« Comment On Peint Aujourd'hui » - Ch. Maureau-Vauthier - 1923.

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Message  Roger Boivin Ven 27 Mar 2020, 7:23 pm


« COMMENT ON PEINT AUJOURD'HUI - Par Ch. Moreau-Vauthier - 1923 ».

De ce petit livre, je ne placerai que le début et la Conclusion, qui sont déjà très instructifs :



COMMENT ON PEINT AUJOURD'HUI


Toute peinture est à la fois œuvre d'art et œuvre de métier.

Je vais examiner la peinture contemporaine comme œuvre de métier.

Bien que la facture, travail matériel, concerne le métier, elle est encore œuvre d'art, parce qu'elle résulte de la conception du peintre, de ses intentions artistiques, de l'effet qu'il veut produire. Je ne dirai donc rien non plus de cette partie du métier, ou bien je n'en parlerai qu'incidemment, lorsque j'y serai forcé par mon sujet.

Je n'étudierai dans le métier que la manière de construire un morceau de peinture solide, c'est-à-dire capable de représenter ce que veut l'artiste, sans que soient à redouter des altérations ou des dégradations dues aux éléments de la couleur et à leur groupement.

Cette partie du métier de peintre prend une importance capitale dans la création de l'œuvre et dans l'avenir qui lui est réservé.

Elle lui donne la santé.

Je voudrais résumer la manière dont nos contemporains assurent à leurs tableaux cette santé si nécessaire.

Je ne parlerai donc pas d'esthétique, mais de technique.

Je n'étudierai pas les talents, mais les métiers.

Je ne critiquerai pas. Je noterai, j'exposerai l'hygiène actuelle de la peinture.

Mon travail, simple enquête documentaire, n'en sera pas moins utile, je l'espère, par ses conclusions.

J'ai recueilli les confidences d'artistes connus. Je les ai consultés au hasard des occasions et des rencontres. J'aurais pu en voir davantage. Pour ne pas m'encombrer de redites, je me suis arrêté. Je crois offrir une série qui donne exactement le caractère général que je voudrais montrer. Certains m'ont écrit, je donnerai leur lettre ; d'autres m'ont verbalement expliqué leur manière de peindre. On lira mes notes au cours de mon travail.

Mes premières notes remontant à 1913, il est possible que quelques-uns ne peignent plus de même. Qu'importe ? Cela ne change rien à leur talent et ne fait que prouver leur hésitation dans la bonne manière de peindre.

« Il peut y avoir plusieurs manières de peindre qui soient bonnes », m'ont dit Roll, Dinet et beaucoup d'autres.

Raphaël Collin, les bras écartés, finissait par s'écrier :

« Que voulez-vous que je vous dise? Je me laisse entraîner par mon émotion!... Je peins comme je peux!... C'est un mystère ! »

Renoir, m'a répété Desvallières, soupirait :

« La peinture ! Plus on en fait, moins on y comprend quelque chose ! »

Lucien Simon conclut avec bonhomie :

« Je me confesse très modestement. Je m'y prends comme je peux. Je ne garantis pas la perfection de ma manière. »

Les plus ardents, s'en tenant à la joie de peindre, déclarent comme Dagnan :

» J'ai essayé de tout et je ne sais encore ce que j'aime le mieux ! »

Tout cela indique un trouble général.

Je voudrais étudier ce trouble, en noter les contradictions, constater les symptômes caractéristiques du mal et proposer un moyen d'y remédier.

De toute façon, même si le remède que je propose n'est pas approuvé et accepté, cette étude sera, j'en suis persuadé, de quelque utilité. Elle répandra la connaissance de pratiques et de méthodes qui, approuvées par la majorité des peintres, semblent sûres, et elle donnera aux artistes de l'avenir des renseignements qui leur permettront de se dire, en face de peintures restées solides :

« Cette manière de peindre étant prudente et bonne, profitons de l'expérience. »

Rien que pour ce service, mon travail me paraît valoir la peine d'être entrepris.

________


https://archive.org/details/commentonpeintau00moreuoft/page/n9/mode/2up


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Message  Roger Boivin Ven 27 Mar 2020, 7:26 pm



CONCLUSION


Avouons qu'il paraît impossible aujourd'hui de dire quelle est la meilleure manière de bien et solidement peindre un tableau.

Nous avons vu plusieurs artistes, — et un maître aussi brillant que Simon, — déclarer modestement : « Je m'y prends comme je peux, sans prétendre avoir raison. » Si certains affirment avec assurance leur opinion, presque toujours les affirmations absolument contraires de leurs collègues enlèvent toute autorité à leur parole. On ne s'accorde que sur des détails de médiocre importance.

En présence de ces doutes, les jeunes débutants, ne trouvant pas une technique ferme et sûre à adopter, se mettent à peindre sans méthode, acceptent au hasard telle manière, ou bien s'engagent dans des expériences qu'ils poursuivent toute leur vie, sans conclure.

Une bonne technique ne donne pas le talent ; mais que devient le talent qui ne possède pas une bonne technique ? La peinture du xIxe siècle est là pour le montrer.

Sous l'influence de David, — comme je l'ai dit dans mon volume La Peinture, — une réaction contre la technique s'organisa en même temps qu'une révolution dans l'esthétique. David s'écriait : « A l'Académie, on fait un métier de la peinture, on l'apprend comme un métier. » L'Académie royale de peinture, installée au Louvre, fut supprimée le 8 août 1793. Dès lors, on négligea l'étude des premiers éléments de l'art de peindre, la couleur même devint une nécessité acceptée à regret. Greuze, survivant de l'ancienne école, qui savait peindre de bons morceaux, disait : « Vous verrez ces tableaux dans trente ans et vous verrez les miens, ces gens-là ne tiendront pas sur la toile. »

Il s'est trouvé qu'il avait raison. Et cette peinture fragile a transmis sa faiblesse à toute la peinture qui lui a succédé. Même lorsque les chefs-d'œuvre des musées d'Europe rassemblés au Louvre par les guerres de la République et de l'Empire eurent fait naître une école plus amie de la couleur, le métier n'en profita point. Les Romantiques peignirent avec enthousiasme et emportement, mais ne surent pas peindre. Au lieu de mourir d'anémie, leur peinture meurt de delirium tremens.

D'année en année, à travers les tendances et les écoles nouvelles, le mal a persisté. La peinture ne devant pas être considérée comme un métier, on n'apprend plus le métier de peindre. Les ateliers où l'on étudiait à fond la technique sont remplacés par des cours, véritables « fours » à faire des admis au Salon, semblables aux « fours » à faire des admis au baccalauréat. Les Salons, — la plus malfaisante, la plus laide et la moins artistique manière de présenter de la peinture, — poussent à la production hâtive et entraînent les jeunes à débuter trop tôt, sans connaître les éléments de l'art. Le désir du succès et la manie de l'originalité poussent à l'individualisme et à la spécialisation. L'artiste est un isolé et veut rester un isolé, prétendant voir un mérite et une force dans son isolement. Il est possible qu'il en résulte de l'originalité. Mais il y aurait beaucoup à dire sur cette question de l'originalité qui, en somme, n'est intéressante que lorsqu'elle est naturelle.

On juge l'originalité si respectable et si nécessaire qu'on tremble de la déflorer dès qu'on croit l'apercevoir. Et l'on se pâme devant des expositions d’œuvres d'enfants. On s'écrie : « Pourvu qu'on ne leur enlève pas celai » Cela! Qu'est-ce, sinon de vagues traces de dons qui n'annoncent rien de certain. Et, par crainte d'enlever quelque chose à un élève qui ne sait rien, on ne lui apprend rien que la vanité, la confiance excessive en soi-même. Or, la modestie est la première base de toute étude, de toute carrière. « Plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles dans leur cœur », a dit l'Imitation [de Jésus-Christ].

En fait, le mot de David est allé aussi loin qu'il pouvait aller, il a apporté toutes ses conséquences. L'éducation est considérée comme dangereuse ; et, pressé de s'affirmer, le jeune peintre commence par peindre trop tôt et continue par peindre trop vite.

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Message  Roger Boivin Ven 27 Mar 2020, 7:27 pm


« Êtes-vous sûr, me disait Gosselin, êtes-vous sur que tel artiste de talent accusé de mal peindre et d'employer des couleurs mauvaises, véritables poisons, dites-vous, pour la santé de sa peinture, êtes-vous sûr que ce peintre aurait encore le talent que vous lui reconnaissez s'il n'employait plus les couleurs que vous lui reprochez et ne recourait plus aux expédients que vous condamnez ? Ne serait-ce pas à sa mauvaise technique et à l'emploi de telle ou telle couleur qu'il doit ses bons tableaux ? Si c'est à cela, n'ai-je pas le droit d'applaudir, d'approuver ses faiblesses et de m'en féliciter ? »

Je répondrai à cette ingénieuse observation que jamais un peintre de vrai talent ne devra son talent à une pratique de métier. Et si cet artiste de talent a de mauvaises habitudes de technique, il pourra y renoncer sans perdre son dessin, sa couleur, les exigences de son œil de peintre. Seul, un artiste médiocre cherchera et trouvera des résultats bons, en apparence, dans des artifices suspects. Le vrai talent ne tient pas à des trucs de métier. Et je ne vois pas qu'on puisse citer un artiste de valeur qui ait dû son talent à de mauvaises habitudes de peindre. Il aura eu du talent malgré cela et non par cela1.


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I. Et puis les dégâts qui résultent d'une mauvaise technique arrivent souvent plus vite qu'on ne croit.

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Message  Roger Boivin Ven 27 Mar 2020, 7:28 pm


Il peut y avoir, comme je l'ai dit déjà, plusieurs manières de peindre qui soient bonnes et sûres, mais il faudrait les connaître.

On se plaint de ne plus savoir comment peignaient les maîtres anciens. Plus ils sont grands, plus ils sont mystérieux, me disait Roll.

Il y a pourtant des artistes de tradition, fervents dévots des maîtres, qui affirment savoir comment ils peignaient. On devrait les consulter. Ils donneraient des renseignements utiles. Mais il ne faudrait pas s'en tenir là.

Nos moyens de peindre se sont renouvelés par de nouvelles couleurs, de nouveaux véhicules. Notre vision s'est transformée; nous avons des exigences nouvelles, des théories d'art nouvelles, sans cesse renouvelées. Notre peinture doit braver des dangers nouveaux par suite de nos installations de gaz, de charbon, d'électricité, que n'avaient pas les intérieurs anciens. Tout s'accorde pour exiger une technique nouvelle qui réponde à ces nouveautés.

Cette technique nouvelle peut très bien nous être commune sans nous imposer une esthétique commune. Talent et manière de peindre ne marchent pas nécessairement par les mêmes voies.

Il semble donc naturel que l'on peigne autrement que les anciens et que l'on profite des moyens nouveaux fournis par la science.

Mais il faut s'assurer préalablement de la valeur et de la solidité de ces nouveaux procédés et de ces nouveaux produits.

Je crois que l'examen que nous venons de terminer prouve la nécessité de s'entendre.

Dans ce but, un petit Périodique de technique donnant les renseignements utiles fournis par les artistes pourrait être un premier agent d'entente et de vulgarisation.

A l'École des beaux-arts, où l'élève ne commencerait à peindre qu'après avoir reçu de solides éléments de technique, un laboratoire de chimie surveillerait la production des marchands. Tout fabricant devrait demander l'approbation de ses produits et autoriser le chimiste à en vérifier sans cesse la fabrication. Toute couleur serait approuvée d'abord et surveillée ensuite.

Un Conseil de technique, composé d'artistes, de chimistes, d'amateurs d'art, serait chargé de surveiller et d'étudier toutes les questions de technique.

Enfin, un Musée de technique tiendrait et conserverait des peintures en observation.

Préparations, ébauches, morceaux achevés, ces œuvres seraient commandées à des artistes qui donneraient exactement leur manière de peindre. On conserverait et leurs indications et leurs tableaux, de manière à pouvoir vérifier la solidité de leur peinture.

Ce musée, organisé dans des conditions très prudentes au point de vue des tableaux, préparerait des documents capables de fournir, un jour, des renseignements de bonne et solide technique.

En attendant, le Périodique de la technique recueillerait les procédés les plus sûrs, ceux dont l'expérience aurait prouvé la solidité.

Je connais des artistes qui se préoccupent beaucoup de ces questions. Chercheurs consciencieux, prudents et appliqués, ils sont tout disposés à faire profiter leurs collègues de leur expérience et ils accepteront avec reconnaissance les renseignements. D'autre part, des jeunes, inquiets et troublés, demandent des conseils. Il y a donc des hommes de bonne volonté qui, désireux de bien peindre, voudraient s'éclairer.

Les amis des arts et les artistes ont le devoir d'user de leur autorité et de leur influence pour répondre à ces vœux.

L'avenir de la peinture française en dépend.

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https://archive.org/details/commentonpeintau00moreuoft/page/96/mode/2up


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