DROITS DE L'HOMME ET DROITS DE DIEU.
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DROITS DE L'HOMME ET DROITS DE DIEU.
Droits de l'homme et droits de Dieu. — Nous avons vu en effet que c'est au nom de la nature humaine et de ses droits essentiels que la société a celui d'exiger des individus qu'ils servent le Bien commun. Mais, la nature humaine qu'est-elle en dehors des individus qui l'incarnent, et la société sans les citoyens qui en font partie ? Ni la nature humaine, ni la société ne sont donc la raison d'être ultime des individus. Comme eux, et à travers eux, elles ont leur raison d'être ultime en Dieu. C'est Dieu qui est l'auteur de la nature humaine et le créateur des sociétés, l'étant des individus, dont Il a fait des êtres sociaux. Les droits de la société et de la nature humaine sur les individus sont relatifs ; seuls, les droits de Dieu sur les individus et les sociétés sont absolus, puisque, dans tout ce qu'il est, être individuel et être social, l'homme dépend absolument de Dieu.
Certes je suis loin de nier qu'au nom de la nature humaine la société ait le droit d'exiger des individus qu'ils accomplissent envers le Bien commun tous leurs devoirs de justice ; mais je tiens à faire remarquer une fois de plus que la nature humaine n'est ici que le porte-voix de l'autorité divine ; que c'est au nom de Dieu qu'elle exerce ses droits, parce que sans Dieu il n'y aurait ni nature humaine, ni individu, ni société. L'importance de cette remarque n'échappera à personne. Si c'est, en dernière analyse, au nom de Dieu, d'où dérive toute autorité, que la société, eu plus exactement l'autorité sociale a le droit d'exiger des individus qu'ils se conforment aux lois de la nature humaine et servent de toutes leurs forces le Bien commun, on conviendra qu'une doctrine, comme la doctrine catholique, qui approuve tout ce que la raison enseigne sur ce point, mais au lieu du Dieu abstrait, lointain, que celle-ci nous présente, nous met en relation directe avec un Dieu vivant, un Dieu d'amour, aura de ce chef la plus haute valeur sociale.
Il n'y a pas deux Dieux, en vérité, et le Dieu de la Foi est substantiellement identique au Dieu de la raison. Mais au lieu que ce soit la raison qui le découvre, et combien péniblement, à travers quelles ombres, par la Foi, c'est Dieu Lui-même qui se révèle à nous, nous apprend ce qu'il est, ce qu'il a fait pour nous. Sans pouvoir mettre en doute sa parole, nous croyons qu'il est plus intime à nous-même que nous ne le sommes nous-même ; qu'il habite en nous ; qu'il veut que nous nous aimions les uns les autres comme Il nous a aimés ; que nous rendions à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ; que nous fassions servir notre charité à l'extension du règne de la justice, et que pour cela nous possédions en nous, malgré la transcendance de son Etre divin, quelque chose de Lui, une participation de sa nature divine, sa grâce en un mot qui nous met en état de faire face à tous nos devoirs personnels et sociaux.
Si les catholiques avaient toujours présente devant les yeux cette doctrine de vie ; si leur foi était éclairée et comme gonflée d'amour, ils ne permettraient à personne de les devancer sur le terrain social. Car ils savent, eux, mieux que personne, au nom de qui ils doivent être justes les uns envers les autres, et devant qui ils sont responsables de leurs injustices ; ils savent que la charité, en leur faisant un devoir d'aimer les autres comme Dieu les aime, sans que les autres y aient aucun droit, les oblige au préalable, sur le terrain de la justice, à leur rendre à tous ce qui leur est dû ; ils savent enfin que si la tâche est difficile de maintenir l'équilibre entre les droits de Dieu et les véritables droits de l'homme, elle n'est cependant pas impossible ; que si, sans la grâce de Dieu ils ne peuvent rien faire, avec elle du moins ils peuvent tout.
En conséquence, aucun programme social, aucun progrès économique ne saurait les surprendre. D'avance, à cause de Dieu auteur de la nature humaine qui le leur commande par l'intermédiaire de l'autorité sociale, et à cause de la grâce de Dieu qui leur met au cœur, avec la charité, la force divine elle-même, ils sont au niveau de tous les progrès, capables de faire face à tous les programmes.
Qu'on ne leur objecte plus que la doctrine catholique, après l'Evangile, ne contient pas de programme défini d'économie sociale ; ils ne l'ignorent pas, et se rendent parfaitement compte que ce n'est pas nécessaire, ni même possible. Ce qui est nécessaire, c'est d'avoir en soi de quoi satisfaire toujours aux besoins sans cesse renaissants d'une société en perpétuelle évolution. Or cela, les catholiques qui ont la Foi et en vivent le possèdent surabondamment. Que la raison, aidée de la science, découvre les besoins de la société, dresse les programmes adaptés à ces besoins, invente et perfectionne sans cesse les moyens de satisfaire à ces besoins et de bien remplir ces programmes, rien de mieux. Il n'y a aucun motif pour que les catholiques eux-mêmes ne se mettent pas à l'œuvre, et ne mêlent pas leurs efforts à ceux des philosophes et des savants qui travaillent à résoudre, au cours des siècles, et sous toutes les formes où elle se présente, la question sociale. On peut tout espérer de cette union sacrée des méthodes. Je n'en veux d'autre preuve que le zèle intelligent avec lequel, depuis un quart de siècle, les catholiques sociaux ont travaillé à adapter les principes les plus authentiques de la doctrine chrétienne aux données essentielles de la raison et au progrès de la science.
Récemment encore, à la Semaine sociale de Metz, ils faisaient la déclaration suivante :
Scientifique et d'inspiration catholique, voilà les traits essentiels de notre méthode.
Comment scientifique ? Nous rassemblons et nous coordonnons les faits sociaux. Conscience scrupuleuse dans le choix des procédés d'observation, sens averti des circonstances contingentes, recherches historiques, géographiques, juridiques, psycho-physiologiques, enquêtes, statistiques, monographies, tout cela, par des moyens purement scientifiques, est une part, non la moindre, de notre effort, la condition rigoureuse de notre succès. Nous devons y mettre l'application soutenue, la probité inflexible, l'esprit méthodique qui distinguent les bons ouvriers.
Comment et pourquoi notre méthode est-elle aussi d'inspiration catholique ? Si nous parvenons par l'observation à percer à jour la réalité, il faut aussi la juger, et, s'il y a lieu, la redresser. Car l'économie sociale n'est pas une discipline purement descriptive, elle est NORMATIVE aussi. Elle serait sans portée pratique et son étude sans profit réel, si son but direct n'était pas la recherche de ce qui doit être et ne la différenciait pas ainsi des sciences physiques, qui, par la simple description de CE QUI EST, facilitent à l'homme l'utilisation de la matière première soumise à son pouvoir. L'objectif des sciences physiques n'est que la pénétration et la représentation adéquate de la réalité observable; l'orientation d'une science relative à une forme de l'activité humaine, comme l'économie sociale, doit être la recherche de la justice dans les rapports sociaux (1).
Aussi faut-il non seulement connaître la réalité, mais l'interpréter, à la manière d'un juge ; et, s'il y a contradiction entre elle et ce qui est juste, relever le point précis où réside la contradiction, examiner si elle est réformable et comment elle l'est.
Le sociologue a donc besoin d'un principe moral d'interprétation et d'une force morale de redressement. Il faut une lumière et un levier. S'il est catholique, il est simplement logique qu'il demande cette lumière et ce levier à l'Eglise. Sinon, il brise en lui l'unité de l'esprit, il dresse des cloisons étanches, là où les libres communications sont nécessaires pour voir toute la perspective du réel et agir avec la plénitude des forces intérieures.
C'est pourquoi nous voulons, d'une part, nous livrer à une étude attentive et minutieuse des faits ; d'autre part, pour juger la réalité observée, nous inspirer des données révélées, des principes dont l'Eglise a la garde et qui président au gouvernement des âmes (2).
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(1) Henri Lorin, Semaine sociale de Marseille, compte rendu, p. 17.
(2) Eugène Duthoit, Semaine sociale de Metz, compte rendu, pp. 20-21._______
CONSCIENCE CHRÉTIENNE ET JUSTICE SOCIALE - Par M. S. Gillet O. P. - 1922 :
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Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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