CAUSES DU SCEPTICISME
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CAUSES DU SCEPTICISME
C'est en considérant que l'âme chrétienne d'un baptisé est un lieu saint, que j'ai choisi de publier ici ce texte.
C'est une lettre, très instructive comme le sont toutes ses lettres, du Père Louis Lalande à son ami Arthur Prévost. Elle est tirée du livre « ENTRE AMIS : LETTRES DU P. LOUIS LALLANDE, S.J., À SON AMI ARTHUR PRÉVOST » - publié en 1907 :
L' Immaculée-Conception
rue Rachel, Montréal
Mon cher Arthur,
Jamais je ne t'ai dit que la cause unique du scepticisme était le libertinage. La perte de la foi est une question trop complexe pour être résolue par cette exagération simpliste.
La dépravation du cœur mène souvent il est vrai à l'incrédulité et l'accompagne. Mais cette cause ordinaire n'exclut pas toutes les autres; et il n'est pas plus permis de conclure : foi perdue, cœur perverti, que de conclure : foi robuste, mœurs pures.
Il arrive au problème de l'incrédulité d'être purement intellectuel.
C'est peut-être le cas des individus dont tu me cites les noms ; mais ne crois pas les avoir exonérés de toute faute, parce que tu as expliqué la cause extraordinaire de leur incrédulité. On n'est pas innocent parce qu'on est moins coupable. La charité respecte les intentions et donne aux accusés le bénéfice du doute ; mais la charité n'est pas une vertu niaise, toujours prête à fermer les yeux pour distribuer des absolutions.
Règle générale, dans un pays comme le nôtre, on peut dire que personne n'est incroyant sans de graves motifs de soupçonner son erreur, de douter ; et, par conséquent, sans avoir l'obligation de chercher la certitude dans la vérité. Douter, en effet, et ne pas s'éclairer quand on le peut, c'est cesser d'être de bonne foi, c'est consentir à l'erreur entrevue dans le demi-jour du doute.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Or, quel Canadien peut dire avec sincérité : j'ai la certitude que les enseignements de la foi catholique sont faux. J'ai étudié, j'ai réfléchi, j'ai pesé le pour et le contre, sans passion, avec le seul désir d'arriver au vrai. Aux objections où se heurtait mon esprit, j'ai cherché des solutions chez les auteurs catholiques, et je les ai trouvées insuffisantes ; mes parents se sont trompés, mes maîtres se sont trompés, la tradition catholique se trompe. J'ai acquis, pour asseoir l'affirmation contraire que je leur oppose, une somme de documents et de preuves suffisante à me donner la certitude de leur erreur ou de leur longue illusion, et la certitude de la vérité que je possède.
Parmi tes amis, dis-moi, combien pourraient tenir sincèrement ce langage ? C'est le langage de la bonne foi. Tout autre langage est celui de l'opinion, de la fourberie, du peut-être, — du doute.
Ne point faire ce qui dépend de soi pour arriver au langage de la bonne foi, rester conséquemment dans le doute, et partir de là pour accomplir des actes certainement contraires aux obligations de la foi, c'est pécher plus ou moins gravement selon la gravité de ces obligations.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Malgré ton assertion contraire, je me demande s'il est parmi nous des catholiques dont on puisse dire qu'ils n'ont jamais eu la foi, — je ne parle pas évidemment du don habituel de la foi : celui-là, ils l'ont reçu dans le baptême. Est-il chez nous des victimes précoces de leur milieu intellectuel, des jeunes gens entraînés inconsciemment dans un courant d'idées impies, où le nom de Dieu sert au blasphème, l'Eglise à de persistantes calomnies, la religion au ridicule de toutes les railleries, les dogmes à des négations sans réponse ou à des objections victorieuses ? Je ne crois pas à l'existence de pareilles victimes, du moins dans la génération présente. Il faut donc, si on ne veut pas recourir exclusivement à la question des mœurs, chercher ailleurs les causes de l'incrédulité d'un grand nombre.
L'une d'elles est faite d'ignorance, doublée le plus souvent de légèreté.
Un enfant a reçu pour toute science religieuse son catéchisme, comme on l'apprend à dix ans. Ses parents y ont ajouté des exemples édifiants de piété, mais d'une piété routinière qui ne s'est jamais demandé et n'a jamais enseigné le pourquoi des pratiques les plus élémentaires. A l'école, la grammaire, la clavigraphie, l'arithmétique et autres matières de l'enseignement commercial, ne lui ont guère laissé de temps pour l'apologétique. — Et puis, l'apologétique, à quoi bon ? Cela ne sert pas à gagner de l'argent. — Des sermons entendus, il se souvient qu'ils étaient longs. Des livres sérieux sur les vérités de la foi, il n'en a jamais lu ; — livres de luxe, livres inutiles : son père et sa mère étaient de bons catholiques, et ils n'en ont jamais lu !
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Mais voici finir cet âge de routine. L'enfant est devenu jeune homme et il est entré dans un bureau d'affaires. Sa foi ne respire plus à l'aise, comme dans son ancien milieu de piété confiante et traditionnelle. Il entend contre ses pratiques religieuses des railleries ; il voit mépriser en paroles et en actes les préceptes de Dieu ; on nie devant lui les dogmes auxquels il a toujours cru; on lui demande des preuves qu'il n'a pas.
Aux paroles des mécréants de son entourage s'ajoutent bientôt, avec tout le prestige de l'imprimé, les journaux et les revues. Il y trouve une pâture détestable : des doctrines contradictoires et des erreurs de tout nom, qui se heurtent, se croisent, dans son esprit désemparé ; des promiscuités immorales, des tolérances odieuses, au nom de la largeur d'esprit et de la liberté des croyances ; des sévérités décourageantes pour tous les tenants du christianisme, des éloges outrés pour les progrès du temps présent et pour toutes les inventions destinées à remplacer nos vieux dogmes mourants ; des louanges répandues avec mélancolie, comme des fleurs funèbres, sur la tombe de la religion qui s'en va. — Hélas ! dit-on, elle qui a accompli tant de belles œuvres, dans le passé ! Mais n'a-t-elle pas fait son temps et ne doit-elle pas disparaître, puisqu'elle vit de mystères et de miracles, et que la science explique, ou va bientôt expliquer les uns et se passer des autres !
La première impression chez le jeune homme est toute de surprise : on peut donc porter la main sur l'arche de mes croyances ! on peut donc s'en passer !
Puis il s'émerveille de voir démolir si aisément des dogmes réputés indestructibles ; et il cède, comme à la science et à la vérité, aux démolisseurs auxquels il ne peut répondre.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Tu songes, n'est-ce pas ? que la première réponse devrait être un aveu de son ignorance. C'est d'ordinaire la réponse de l'homme qui n'est pas du métier : d'un médecin incapable de résoudre une question de droit, d'un avocat embarrassé par une question de chirurgie, d'un musicien questionné sur la tenue des livres, d'un cultivateur interrogé sur une critique d'art ou une pièce de poésie.
Pourquoi n'en est-il pas ainsi dans les questions religieuses ? Ah ! cher ami, pourquoi ? Cherche au fond de notre vieille nature pourquoi elle n'aime pas les vérités gênantes, escortées d'obligations pratiques, et pourquoi elle se fait volontiers complice des erreurs qui l'émancipent et la flattent. Quiconque l'écoute, — et qui ne l'écoute pas un peu ? — raisonne comme notre jeune homme : vous m'apportez contre l'observation des commandements de Dieu et de l'Eglise des arguments que je ne puis pas résoudre ; donc, je ne suis pas obligé d'observer ces commandements.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Le raisonnement est assez sommaire, n'est-ce pas ? Eh bien, regarde autour de toi, et dis-moi : n'est-ce pas là le raisonnement, en faits ou en paroles, de beaucoup d'adolescents dont la vie a été désorientée avant leurs vingt ans ? Remonte le courant où s'en vont, comme des épaves, les débris de leur foi naufragée, et tu vas retrouver ce raisonnement, inconscient ou délibéré, au point de départ de tous leurs désordres du cœur et de l'intelligence.
Et, à ton avis, ils ne seraient pas coupables ?
Supposons même qu'ils en arrivent — Dieu leur retirant la grâce du remords et les abandonnant à leur ingratitude — à une sorte de bonne foi et de tranquillité dans l'apostasie, ils ne cessent pas d'être coupables à l'origine. Il y a eu pour tous ces incrédules un moment de transition, où, sciemment, ils se sont exposés au mal avant d'y passer délibérément. L'état d'âme suivant, heureux et sincère si tu le veux, ne change rien à cette tache de transfuge.
L'ignorance, mon cher Arthur, est donc ici la première cause du mal.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
— Mais si cette ignorance, penses-tu, n'est pas volontaire, — ce qui peut fort bien arriver, — comment le jeune homme devient-il coupable en cédant aux objections qui le confondent ?
— N'y pouvoir pas répondre, est-ce une raison suffisante pour y croire ? Ne pouvoir pas analyser un breuvage considéré depuis longtemps comme poison, est-ce une raison pour céder à l'invitation de le boire ? Parce qu'il est plus facile d'objecter que de démontrer, de démolir que de bâtir, faut-il se ranger du côté des démolisseurs ? La vérité cesse-t-elle d'être la vérité parce qu'on l'ignore ? Le faux devient-il vrai parce qu'on ne peut lui donner un démenti victorieux ? Les adversaires eux-mêmes n'objectent-ils pas, parce qu'ils sont trop ignorants pour répondre aux difficultés entendues ou lues quelque part ?
La légèreté est la seconde cause du mal.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Sans elle, l'ignorance aurait recours au bon sens et elle se dirait : moi, je ne sais pas ; mais depuis dix-neuf siècles l'Eglise catholique a eu des savants, pour résoudre les objections d'adversaires aussi forts que ceux de nos clubs et de nos tables d'hôte. Et il se trouve que ces savants acceptaient toutes les obligations de la foi et en pratiquaient tous les devoirs. Ils devaient être sincères.
Sans la légèreté, le jeune homme se dirait encore : moi, je ne sais pas ; mais avant d'être renégat je dois au moins étudier. Il y a des livres pour me renseigner ; et comme il s'agit de mon bonheur et de mon éternité, la chose en vaut la peine.
Moi, je ne sais pas ; mais en renonçant à mes croyances et à mes pratiques religieuses, je me sens moins honnête, moins fort, moins chaste, moins fidèle à la parole donnée, moins respectueux de l'honneur d'autrui. Ce sont là des vertus bien Catholiques, — ce sont des fruits excellents : l'arbre qui les produit doit être bon.
Moi, je ne sais pas ; mais il est autour de moi des hommes qui savent, des laïques instruits, des prêtres, mon confesseur, des professeurs de collège et d'université, pourquoi ne leur demanderai-je pas des lumières et des réponses ?
Moi, je ne sais pas ; mais j'ai un cœur pour jouir, et ce cœur est trop au-dessus de celui de la bête pour se contenter des jouissances sensuelles d'une nature déchue. Il exige d'autres consolations et un autre idéal. Vous voulez éteindre sur mes lèvres la prière, fermer sur ma vie les portes de l'au-delà, traiter de sottises et de crédulité naïve ce qui a fait la joie de mes meilleures années, l'honneur et la force de toute ma famille, qu'allez-vous me donner à la place ?
Comment exonérer de toute faute l'être léger qui dédaigne même ces raisonnements élémentaires, et comment croire à sa bonne foi dans l'incrédulité ?
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Chez d'autres, la cause du doute et de ses conséquences est moins complexe, tient plus exclusivement à l'intelligence.
C'étaient des jeunes gens instruits, chercheurs, bien doués, sans peur de l'effort ; seulement, présomptueux. Ils ont cru pouvoir, sans danger, tout lire, et tout braver. Séduits souvent par la forme littéraire ou une certaine métaphysique nuageuse, plutôt que par le fond, ils se sont engagés dans le dédale des théories, des systèmes, du dilettantisme philosophique, de la critique et de l'histoire dont notre âge est si fécond, se flattant de savoir faire le triage dans cet amas d'erreurs et de vérités. Ils se sont dit : le temps est venu de soulever tous les voiles et de voir par nous-mêmes ; la crainte pudique ou intéressée des professeurs de collège en a assez caché de chefs-d'œuvre et d'adversaires, pour qu'il y ait un plaisir intense à les regarder enfin face à face.
Et ils ont fait du modernisme littéraire et philosophique, français ou allemand, leur milieu intellectuel. Ils ont forcé leur âme à vivre dans une atmosphère privée d'air surnaturel.
Leurs bonnes intentions, servies par leur belle intelligence, les ont d'abord préservés du scepticisme. Mais une âme catholique a beau être vigoureuse, si on la laisse vivre hors de son élément propre, dans un milieu contaminé, elle languit bientôt et s'affaisse, comme languit la poitrine d'un montagnard habitué à respirer l'air pur des sommets, dès qu'on le force à vivre dans l'air vicié d'une usine ou l'atmosphère méphytique d'une houillère.
Hors du milieu surnaturel, la foi vacille ; puis, comme ces lampes du sanctuaire dont l'huile s'est lentement consumée, elle s'éteint presque à l'insu de l'incroyant laissé dans les ténèbres.
Un jour il a voulu se mesurer dans une lutte inégale à un adversaire admiré, et il a été terrassé. Le sophisme est resté debout, victorieux dans son esprit.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Combien j'en ai vu, mon cher Prévost, de ces jeunes vaincus de l'imprévoyance ! Tous ne sont pas allés jusqu'à l'incrédulité absolue ; mais tous étaient amoindris dans leur foi.
Ils avaient quitté le collège bien armés pour les luttes de la vie, l'âme fière, prête au sacrifice et au travail, le cœur plein d'admirations très hautes ; leurs succès dans le monde nous apparaissaient déjà dans un rayonnement de foi, de pureté, d'honneur. Ce n'est pas sur eux que pouvait compter la vie de bohème. Ce n'est pas dans leurs rangs que les viveurs, fils à papa, ou enfants ramollis de parvenus, cherchaient leurs camarades en jouissances. L'incrédulité vulgaire, faite de bravades grotesques pendant la vie et de frayeurs tremblantes à l'heure de la mort, nourrie de vantardises, de farces ineptes contre le clergé, de goujateries contre les religieuses, de calomnies et de vieilles rengaines cent fois réfutées, n'aurait jamais pu les entamer. Ils avaient pour elle, comme pour l'immoralité, un dédain suprême. Ils auraient rougi d'avoir un simple point de contact avec ces mécréants de bas étage ; ils seraient devenus apologistes intransigeants par la seule peur d'être de leur école.
Eh bien, si prévenus qu'ils fussent contre les mauvais amis, ils ne l'étaient pas contre les mauvais livres. L'ami eut été mis à la porte ; le livre les suivait jusqu'à leur chevet.
Ils revenaient de temps en temps au collège. On causait des choses d'autrefois ; ça leur semblait un plaisir sincère ; ça nous était une grande joie. Quel professeur ne constate pas avec joie que le cœur de ses élèves reste jeune avec lui, tandis que poussent leurs moustaches et que mûrit leur esprit au soleil de la vie ?
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Mais c'est une douleur profonde aussi de constater chez eux l'effet des études aventureuses et du sophisme envahissant. La remarque se fait peu à peu ; leur mentalité n'est plus tout à fait la même ; le vrai n'arrive plus comme autrefois dans leur âme, ainsi que la lumière dans le cristal. Leur esprit est enveloppé d'ombres et d'éclairs qui ôtent aux choses leur contour précis et y jettent des reflets décevants. Ils ne voient plus la vérité comme ils la voyaient ; ils la morcellent, lui font des restrictions. A tout propos on s'étonne de voir leur répugnance devant certains principes d'ailleurs indiscutables. Ils se soumettaient naguère à l'autorité, ils en appellent aujourd'hui de ses ordres ; ils étaient dirigés par elle, ils se montrent prêts à la diriger. Ils jugent volontiers leurs juges. Catholiques, ils veulent continuer de l'être, mais d'un catholicisme à leur goût, d'où ils retranchent, par un éclectisme digne du libre-examen, les points de doctrine et de morale trop embarrassants. Ce n'est plus l'Eglise, semble-t-il, qui les reçoit, ce sont eux qui reçoivent l'Eglise ; et pour la rendre digne d'être reçue, ils la corrigent. Avant de la mettre à la porte, ils lui donnent toutes les chances de se rendre acceptable.
Dans ces conditions, la défiance à l'égard des anciens maîtres ne se fait pas attendre. Peut-être même se mêle-t-elle à une forte idée de supériorité dédaigneuse ; — le dédain est si proche parent de l'orgueil ! Ils se disent en secret : j'ai étudié des choses que ces routiniers de la classe ne savent pas. Et ils s'éloignent de leurs maîtres par le même chemin qui les éloigne de l'Eglise.
Et pourtant leur savoir de quoi s'est-il accru ? Des erreurs qui s'y sont ajoutées ? Peut-on dire que des erreurs ajoutées à des vérités grossissent le trésor de la science ? Autant vaudrait au prodigue, pour prouver l'accroissement de sa fortune, énumérer ses dettes.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Samedi matin.Je me suis relu avant de fermer ma lettre. Bon Dieu, que ce n'est donc pas cela ! Que c'est indécis, terne et flou, comparé à ce que je ressens ! Ce sont des photographies de jeunes gens, prises instantanément sur la pente de l'incrédulité, que je voulais t'envoyer, et je ne trouve, en les développant, que des taches vagues, sans physionomie. Je compte sur tes deux yeux pour débrouiller tout cela et y mettre un peu de lumière.
J'ai connu en particulier l'un de ces jeunes gens, et j'ai suivi sa marche. Il suffirait de raconter dix ans de sa vie, pour raconter celle de tout le groupe dont il est un des types.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Il eut des succès de collège, — bon premier de sa classe, huit années durant. Quand, par accident, il fut second, l'humiliation rageuse qu'il en éprouva fit assez voir la part de l'orgueil dans son émulation. Il brilla en littérature et l'on put croire que les lettres seraient sa voie. En philosophie, son esprit délié, subtil, assoupli par une culture précoce, servi par des connaissances étendues, pour son âge, l'inclina plutôt vers la métaphysique.
Il reçut de ses maîtres des faveurs, assez pour rendre un cœur loyal reconnaissant, assez pour rendre un cœur égoïste ingrat.
Sa conduite était comme sa diligence, excellente, et ses succès comme sa conduite.
Il n'était pas populaire parmi ses condisciples ; on ne l'aimait pas, mais on le respectait, et il se respectait beaucoup lui-même. Les espiègles lui semblaient de jeunes fous, les frondeurs des tâcherons du pensum, les paresseux des imbéciles fermés au bonheur d'apprendre. On ne le prit jamais dans un chahut.
Il quitta le collège en bons termes avec tout le monde. " Si celui-là déraille, disaient les vieux maîtres, ce ne sera pas par le cœur, ce sera par la tête. " Par la tête il dérailla.
Il fit son stage, aida sa famille, travailla ferme, mena de front plusieurs besognes, sans renoncer à ses chères études.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
La critique littéraire l'attira tout d'abord.
Ce genre parasite, empruntant à la fois à la philosophie, au théâtre, à la poésie et à l'histoire, fournit avec beaucoup d'agrément une science à bon marché. Il étudia Faguet, s'amusa dans Sarcey, s'attarda dans Taine et Sainte-Beuve, se déclara disciple de Jules Lemaître.
Or, la critique française, comme d'ailleurs presque toute la littérature moderne dont nous sommes inondés, nous séduit par cela même qui en fait le danger. Elle est spirituellement irréligieuse et d'une facilité entraînante. On ne lait pas l'éloge de ces auteurs en disant, comme de ceux d'autrefois, " qu'ils nous forcent à penser ", mais qu'ils nous font voir. Leur style, assoupli, concret, enlace dans ses méandres toutes les doctrines contradictoires du dilettantisme. L'erreur s'y glisse, subtile, finement insinuée, parmi des bonheurs d'expression ; le lecteur souvent absorbe un blasphème sans cesser d'être sous le charme des mots.
Essaie de me montrer un seul de ces critiques, — admirables par ailleurs, je le confesse, — où ne se trouvent ces mélanges empoisonnés : de fines analyses et de lourds préjugés antireligieux, des coups d'aile vers l'idéal et des contacts avec la fange, des admirations d'artiste et des négations d'hérétique, des théories ingénieuses, avec un souci apparent d'exactitude et d'impartialité, donnant à chacun sa place : au mérite comme au ridicule, à l'œuvre géniale comme à l'outre gonflée par la réclame. Mêlés à tout cela, le scepticisme railleur, le mensonge plaisant, le croyant casé parmi les niais, l'objection sans réponse et le dogme traité d'absurde ; le soufflet donné au catholicisme, dans lequel le lecteur catholique lui-même ne voit que l'élégance du geste, et qu'il s'obstine à ne pas ressentir sous une main si finement gantée de velours.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Jules Lemaître semble s'être confessé de ce salmigondis artistique, quand il écrivit : " Quel pauvre être de volupté suis-je donc, moi, pour aimer à la fois, — et peut-être également, — Renan et Veuillot! "
Et c'est justement ce monstre exquis de Jules Lemaître qui jeta dans l'âme de notre jeune ami des doutes mortels et le poussa au premier tournant de son évolution. Le disciple assidu venait de lire la plus inoffensive et, à mon avis, la plus attachante étude des Contemporains, celle sur Louis Veuillot.
Il ferma le livre, songeur. Le lendemain, il y revint. Il ouvrit le tome VIe, à la page 75, et lut à un compagnon de bureau le paragraphe suivant : "...Dieu a créé la plupart des hommes, non sans doute pour qu'ils fussent damnés, c'est-à-dire éternellement méchants et malheureux, mais sachant qu'ils le seraient. C'est là une idée si épouvantable... que, justement à cause de cela, on finit par se tranquilliser. "
— Qui a jamais, dit-il, en fermant le livre, répondu à l'objection que fait surgir cette idée ? Qui pourrait y répondre et prouver que nous ne nous débattons pas en vain devant un sort fixé à l'avance ?
Une phrase avait suffi à son esprit présomptueux et mal affermi : toutes les solutions mille fois données du problème de la prédestination lui semblaient anéanties. La prescience divine, le libre arbitre et la grâce se résolvaient pour lui en pure fatalité.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Quelqu'un lui fit un jour remarquer que tel ouvrage étant à l'Index, il ne pouvait le lire sans autorisation.
— " Il ne l'est pas pour moi, répondit-il, puisqu'il m'instruit sans me faire tort.
— Ce motif, reprit-on, vous justifie de demander la permission de le lire, mais non pas de violer une loi générale qui oblige sous peine de péché mortel.
— C'est affaire de conscience, continua-t-il, et je trouverais absurde une religion ennemie de la lecture et de la science."
Cette réponse marquait une nouvelle étape. C'était, en matière grave de discipline, la réponse de toutes les apostasies. Tous les apostats, grands et petits, se sont retranchés dans leur conscience, pour trouver absurde l'opposition légitime à leur orgueil.
Sa conduite toutefois — du moins que je sache — n'en fut pas atteinte. Il remplissait encore ses devoirs extérieurs de catholique. Mais il était trop intelligent pour continuer longtemps à demander à l'Eglise ses sacrements, tout en refusant de lui obéir ; à poser en fils soumis, tout en violant une loi absolue imposée par sa Mère.
D'ailleurs, pour obtenir l'absolution de son confesseur, il eût fallu, ou bien faire acte de contrition et de ferme propos, ce qu'il refusait ; ou bien cacher hypocritement, en faux dévot, la violation dont il ne voulait pas se repentir.
Cette hypocrisie lui déplut, et il s'abstint des sacrements.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Il en garda, cependant dans le cœur un grief contre l'Eglise. Pour l'adoucir, il s'en prit aux prêtres, à leurs idées étroites, à leur autocratie. En maintes circonstances, il indiqua au clergé le théâtre de son rôle social, un théâtre large comme la sacristie. Il imagina une Eglise catholique double, ou plutôt deux églises dans une : l'église du clergé et l'église des laïques ; toutes deux engagées dans un duel incessant, et dépensant, chacune, ses meilleures énergies à empêcher sa rivale d'empiéter sur son terrain. Comme l'église des laïques travaille à bâtir une nation grande et libre, il voulut exclure de cette œuvre l'église du clergé, incompétente, rétrograde, bonne pour autrefois, incapable de comprendre son temps et de former des jeunes gens pour les progrès nouveaux.
Tu peux imaginer si, avec de pareilles tendances, l'évolution fut rapide. Elle fit naître chez les meilleurs amis de l'ancien élève des défiances.
Il considéra ces défiances comme des injustices. Il en voulut à ses camarades. Il en voulut à ses contradicteurs, il en voulut à ses maîtres. De tous les enseignements et les faveurs reçus dans son éducation, il ne se souvint plus que de quelques lacunes qu'il lui plaisait d'y remarquer. La maxime : " A cheval donné on ne regarde pas la bride ", n'eut plus de sens pour lui. Il fallait changer ces maîtres vieux jeu et les remplacer par des " brideurs " en redingote, qui sauraient mettre aux brides des pompons, des boucles rutilantes et des mors d'argent. A tout hasard il avait lancé son poulin de guerre. Et à voir le cavalier, flamberge au vent et toutes couleurs dehors, il devait de ce galop aller loin.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Heureusement, il voyagea abroad deux ou trois ans. Du moins, il disparut de notre circulation.
A son retour, on crut à un apaisement. Sa tenue morale était restée digne. Les viveurs et les sectaires ne le virent pas dans leurs rangs.
Il aimait encore les livres et n'avait pas appris à les choisir.
Une démonstration patriotique lui fournit l'occasion de se prononcer sur la question d'éducation. Sans le vouloir et sans le savoir peut-être, il exprima des idées qui firent tressaillir d'aise nos pires ennemis. Il en fut couvert de tels éloges humiliants que ç'aurait dû le désabuser. Il crut, au contraire, — tout imprégné de son propre mérite, — qu'il inaugurait avec succès " l'œuvre de l'émancipation intellectuelle ".
Un journal, le jugeant d'après son langage, comme on juge un oiseau à son ramage, l'accusa d'être franc-maçon. C'était une gaucherie et une injustice. Nous tous qui savions en quel dégoût il tient la Franc-Maçonnerie et ses mouchards, n'hésitions pas à croire que s'il avait fait leur affaire, en cette circonstance, c'était inconsciemment, avec une prétention remplie de bonne foi.
N'importe, il s'en piqua, s'en souvint longtemps et garda rancune. Il posa en victime, et par un procédé dont il devint coutumier, il tint responsable de la gaffe du journal toute l'école du journaliste ; — et par école, tu dois entendre ici tous les catholiques. Chose étrange, pour se justifier de l'accusation, il sembla prendre à cœur de justifier, par sa conduite, l'accusateur même. Il se plaça de fait dans les rangs ennemis, parce qu'un imbécile avait cru faussement l'y voir.
Les sectaires triomphaient. Quelle recrue précieuse leur arrivait! apportant avec elle un talent rare chez eux et des mœurs plus rares encore. Ils crièrent à l'unisson, et tous les naïfs crièrent avec eux : " Voyez un peu ces dévots, on ne peut différer d'opinion avec eux sans passer pour des piliers de loges. Tout le monde est franc-maçon avec eux ! "
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: CAUSES DU SCEPTICISME
Quand on leur applique, à eux, ce procédé d'accusation en bloc, ils ont des miaulements de chat dont on écrase la patte. Mais le procédé devient admirable quand eux l'appliquent aux catholiques.
Et maintenant ne me demande pas de suivre plus loin notre jeune ami ; tu vois assez où mènent, au nom de la science, les livres dangereux. Il était bourré de présomption à en éclater; il en paie aujourd'hui sans l'avouer les conséquences, et les fait payer aux autres. Je ne crois pas, qu'avec sa tête qui se déséquilibre, son cœur soit gâté. L'ennemi ne l'a pas soumis aux humiliations de la chair. Mais qu'importe à l'ennemi de tenir sa victime par une chaîne ignoble, ou de la tenir par un fil d'or, pourvu qu'il la tienne!
Il n'a pas l'air non plus d'en souffrir, car arriviste et chançard, il occupe une situation cossue.
Ses enfants se chargeront peut-être de lui fournir bientôt des preuves douloureuses de ses torts, en vivant, eux, les doctrines libres que leur père n'a qu'enseignées. C'est alors que son cas lui apparaîtra comme exceptionnel, et il avouera, trop tard pour les siens, combien il est difficile d'éteindre une lumière, en haut, dans l'âme croyante, sans allumer, en bas, une convoitise dans les sens.
Oh ! si cet aveu pouvait être accompagné de la vertu, que ni l'intelligence ni les livres ne peuvent donner, et qui est la vertu de contrition ! Il est si difficile de se convertir lorsque c'est la tête qui a longtemps péché ! et il est si facile à cette conversion de n'être qu'apparente !
J'espère cependant pour lui ; mais j'espérerais davantage s'il ne se faisait pas tant d'imitateurs.Louis Lalande, s.j.
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ENTRE AMIS : LETTRES DU Père LOUIS LALANDE, S.J. À SON AMI ARTHUR PRÉVOST - Par Lalande, Louis, 1859-1944 - 1907 :
https://archive.org/stream/entreamislettres00lala?ref=ol#page/246/mode/2up
Roger Boivin- Nombre de messages : 13216
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