Saint Robert Bellarmin: Essai...

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Message  Louis Sam 05 Mai 2018, 6:53 am

Bonjour,

Ce qui suit est tiré du livre suivant :

Saint Robert Bellarmin: Essai... Explic10

(pp. I - XLI)

Comme toujours, j’éditerai ce fil pour compléter ce message et y déposer des liens en vue de faciliter la consultation et pour ne pas surcharger le texte.  

Le texte ne comporte pas de sous-titre : je mettrai les premiers mots de cet essai qui comporte dix subdivisions. Merci.

Bien à vous.  

Bonne et pieuse lecture à tous.

I. — Le vénérable Robert-François-Romule Bellarmin…
II. — Le 20 septembre 1560, Bellarmin…
III. — La Flandre…
IV. — La température si chaude du Midi…
V. — Henri III venait de mourir…
VI. — Le nouveau cardinal choisit le palais le plus rapproché qu'il put trouver de son ancien couvent...
VII.— Bellarmin ne fut que trois ans archevêque de Capoue…
VIII. — Le Conclave s’ouvrit aussitôt ; Bellarmin y eut plusieurs voix, mais…
IX. — Bellarmin avait toujours eu une grande dévotion en saint François d’Assise....
X. — Le cardinal Bellarmin était d’une taille au-dessous de la moyenne…


Dernière édition par Louis le Mar 05 Juin 2018, 7:01 am, édité 14 fois

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Message  Louis Sam 05 Mai 2018, 6:58 am

ESSAI HISTORIQUE

SUR

LE CARDINAL BELLARMIN.

par l’abbé E. Daras

I

Le vénérable Robert-François-Romule Bellarmin, auteur de cette Explication des Psaumes, qui fut membre de la compagnie de Jésus, cardinal et archevêque de Capoue, naquit à Montepulciano le 4 octobre 1542.

Montepulciano est une charmante petite ville de la Toscane, située sur les bords de la vallée de la Chiana. Du haut de sa colline surmontée d'un vieux château, l'œil embrasse des terres fertiles conquises sur les eaux , ombragées de mûriers portant suspendues à leurs branches les guirlandes d'une vigne célèbre en Italie par ses vins; et tout autour de la vallée, des montagnes où s'élèvent les plus vieilles villes de la confédération étrusque , Cortone protégée par le tombeau de l'illustre pénitente sainte Marguerite, Arezzo la patrie de Pétrarque, Chiusi l'ancienne Clusium où régnait Porsenna. Outre le grand cardinal Bellarmin, Montepulciano a donné à l'Eglise triomphante la bienheureuse Agnès qui fut béatifiée sous Clément VIII, et à l'Eglise militante un pape à qui le temps seul manqua pour accomplir de vastes et glorieux desseins, Marcel II. Les lettres lui doivent un poète remarquable, Ange Politien, dont les vers latins rappellent parfois la grâce heureuse de Virgile.

La famille de Bellarmin tenait le premier rang à Montepulciano. Vincent Bellarmin, père du Cardinal, fut jusqu'à sa mort magistrat de la ville. Un de ses frères, François Bellarmin, avait épousé une nièce de Jules III. La mère du Cardinal, Cinthie Cervini, était sœur de Marcel II. C'était une femme d'une grande piété, fort dévouée à la compagnie de Jésus, et qui avait fait le voyage de Lorette pour se mettre sous la direction des Pères. Cette femme héroïque, digne de son frère, un des plus grands papes qui aient été promis à l'Eglise, vit en quelques jours sa maison, élevée au faîte des honneurs de la terre, rentrer tout d'un coup dans l'obscurité. Quand le cardinal Marcel Cervini fut élu le 11 avril 1555, et prit le nom de Marcel II, elle put espérer pour ses enfants des dignités princières. Les neveux des papes s'alliaient, en ce temps, avec les rois. Paul III avait donné les duchés de Parme et de Plaisance à sa famille alliée à Charles-Quint. Paul IV, qui succéda à Marcel II, éleva ses neveux au rang des plus hautes maisons d'Italie. Les Borromée, les Aldobrandini, les Borghèse, les Barberini, les Ludovisi, les Pamphili, les Chigi, sont des neveux de Pie IV, de Clément VIII, de Paul V, d'Urbain VIII, etc. Toute la noblesse romaine a grandi à l'ombre de la tiare. Ce sont des rejetons de ce vieux tronc de la papauté; et, pour le dire en passant, quand ils abandonnent, comme quelques-uns l'ont fait de nos jours, la défense de la sainte Eglise romaine, ce sont des fils ingrats qui délaissent leur bienfaitrice et leur mère.

La sœur de Marcel II pouvait donc espérer pour ses enfants les plus hautes dignités de l'Eglise et du monde. Son frère, il est vrai, était un homme sévère, d'une vertu trop éprouvée pour aliéner le patrimoine de l'Eglise en faveur des siens, comme l'avait fait Paul III. Il avait même interdit à sa famille le séjour de Rome, mais il n'eût pu se défendre de l'élever à une hauteur digne du rang qu'il occupait lui-même lorsqu'il mourut, le vingt-deuxième jour de son pontificat, au milieu de ses projets de réforme, laissant au monde étonné des premiers jets de ce génie vigoureux, le regret de le perdre après avoir entrevu l'avenir heureux qu'il préparait à l'Eglise.

Le jeune Robert Bellarmin était alors dans sa treizième année…

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Message  Louis Dim 06 Mai 2018, 6:39 am

ESSAI HISTORIQUE

I
(SUITE)

Le jeune Robert Bellarmin était alors dans sa treizième année ; nul  doute que si son oncle eut vécu il ne fût entré de bonne heure dans le sacré Collège, où il eût tenu, par son talent et ses vertus, la place que devait occuper, quelques années plus tard, saint Charles Borromée, neveu de Pie IV. Dieu, qui le destinait à être un des plus savants apologistes de la doctrine de l’Église, voulut ainsi le remettre dans le silence de l'obscurité, pour y amasser les trésors de science qui devaient amener un si beau triomphe dans la lutte du catholicisme contre les hérésies protestantes.

L'enfant  semblait avoir le secret de son illustre destinée. Se trouvant, tout petit, à l'église avec sa mère, il lui montra des prélats et des docteurs peints à la voûte en disant : « Voilà ce que je serai. » Et comme sa mère le voulut faire taire, il répéta avec un accent qui la surprit : « Oui, ma mère, voilà ce que je serai. » À l'âge de trois ans, il donnait sa main à baiser à l'une de ses sœurs comme aurait fait un évêque. Sainte Marceline racontait le même trait de son illustre frère saint Ambroise. Il y a des instincts secrets qui ne trompent guère à un âge où l'ambition ne nous aveugle pas encore. Il y a peu de grands hommes qui n'aient pressenti ce qu'ils seraient.

La piété que sa mère lui inspira lui fit bientôt oublier ces pressentiments d'une grandeur à laquelle Dieu devait l'appeler par une voie tout extraordinaire, celle du renoncement. Il conçut de bonne heure le désir d'entrer dans la compagnie de Jésus, où l'on faisait profession de n'accepter aucune dignité ecclésiastique. Il avait eu pour maître un vénérable membre de cette compagnie; toute l'Italie, d'ailleurs, était pleine de la gloire de saint Ignace et dans l'admiration de la vertu de ses premiers disciples. Les saints se rencontraient en foule dans les rangs de cette illustre société qui devait arrêter les progrès du protestantisme, et reculer jusqu'au Japon les bornes de la chrétienté. C'était le temps des François-Xavier, des François de Borgia, et saint Louis de Gonzague, saint Stanislas Kostka, saint François-Régis, s'apprêtaient à marcher sur leurs traces. Qui aspirait à la sainteté se mettait à leur école. Bellarmin voulut être un saint, et il demanda d'entrer dans la compagnie. Ses parents s'y opposèrent d'abord. Ils le destinaient bien à l'état ecclésiastique : sa vocation, d'ailleurs, était manifeste. Quand il allait à la métairie de son père, il réunissait les enfants de son âge, grimpait aux branches d'un chêne, et, de cette tribune aérienne, leur faisait un sermon. Ses récréations les plus douces étaient d'élever des autels et d'imiter, avec une gravité enfantine, les cérémonies saintes de l’Église. Il devait donc être prêtre; mais, dans leur amour un peu charnel, ses parents désiraient le voir arriver aux dignités ecclésiastiques où le souvenir de son oncle l'appelait naturellement. Entrer dans la compagnie de Jésus c'était renoncer à tout.

Bellarmin avait un cousin, Richard Cervini…

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Message  Louis Lun 07 Mai 2018, 6:47 am

ESSAI HISTORIQUE

I

(SUITE)

Bellarmin avait un cousin, Richard Cervini, neveu comme lui de Marcel II. Ce jeune homme, qui étudiait à Padoue, eut le même désir que lui. Tous deux écrivirent au général de la société qui était alors Laynez, un des premiers compagnons de saint Ignace. Laynez les eut acceptés volontiers pour le grand nom de leur oncle; mais les deux familles lui demandèrent de reculer leur réception d'une année, afin d'éprouver plus sûrement leur vocation, et il y consentit. Ils passèrent cette année sous la conduite d'Alexandre Cervini, père de Richard, dans, une villa que Marcel II avait créée des ruines d'un couvent de camaldules, lorsqu'il n'était encore que simple prélat. Tous deux se perfectionnèrent dans les lettres latines. Bellarmin y traduisit la belle harangue de Cicéron Pro Milone. Son goût pour les lettres annonçait une intelligence d'élite. Il aimait la poésie. Son premier essai avait été un petit poème latin sur la Virginité, en l'honneur de la très-Sainte Vierge. Quand le cardinal Robert de Nobili, qui était de Montepulciano, mourut à Rome peu de temps après sa promotion, Bellarmin avait célébré cette gloire de son pays en des vers qui ravirent d'admiration les amateurs des lettres antiques. Il avait écrit aussi un poème sur les obstacles que sa famille mettait à son entrée en religion, mais il le brûla. Il conserva toujours ce goût pour la poésie latine. On a de lui une ode magnifique : Spiritus celsi dominator axis, etc., et l'hymne Pater superni luminis, qu'il lit en se promenant à Frascati, dans les jardins de la villa Aldobrandini, avec le pape Clément VIII et le cardinal Sylvius.

Dans leurs heures de récréation les deux cousins parcouraient la campagne et faisaient le catéchisme dans les villages. L'année se passa ainsi entre l'étude des lettres, les exercices de piété et les premiers essais de l'apostolat. Le terme expiré, Bellarmin vint à Montepulciano faire ses adieux à sa famille et recevoir la bénédiction de son père. Allez, mon fils, lui dit ce bon père en fondant en larmes, allez où Dieu vous appelle ; je lui sacrifie de bon cœur en votre personne toutes les espérances de ma famille.

Le père de Richard connaissait à Rome le fameux Guillaume Sirlet, alors protonotaire apostolique, et qui fut depuis cardinal. Guillaume Sirlet devait en partie son élévation à Marcel II,  et était resté l'ami de sa famille. Il reçut avec joie les deux jeunes gens, les garda un jour chez lui, et les présenta lui-même au général de la compagnie de Jésus. Il avait deviné le génie et la sainteté de Bellarmin, et il écrivit à son père, le lendemain même de leur entrée au noviciat, que c'eût été un crime de refuser à Dieu une âme si sainte, et que ce jeune homme serait l'honneur de sa maison.

A suivre: II. Le 20 septembre 1560, Bellarmin...

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Message  Louis Mar 08 Mai 2018, 6:36 am

ESSAI HISTORIQUE

II

Le 20 septembre 1560, Bellarmin, qui allait accomplir sa dix-huitième année, fut reçu au noviciat de Saint-André du Quirinal. Il y fit une retraite de dix jours, pleine de ces joies extrêmes que les grands sacrifices savent seuls exciter. Un mois après, on donna ce neveu d'un pape pour aide au frère cuisinier. Bellarmin remplit avec une soumission admirable ce ministère si humble. C'est là le génie de la compagnie de Jésus, d'assouplir les caractères par le passage des fonctions les plus basses aux plus relevées. N'avons-nous pas vu de nos jours un illustre orateur balayer les escaliers de son couvent presque au sortir de la chaire de Notre-Dame? Après deux mois d'épreuve, Bellarmin quitta le noviciat pour aller étudier la théologie au Collège romain. Son maître, le père Pierre Parra, admira cet esprit clair, net, à qui rien n'échappait. La compagnie résolut d'utiliser cette intelligence rare, et, tout malade qu'il était, on l'envoya enseigner les lettres humaines à Florence. On espéra d'ailleurs que l'air de la Toscane rendrait quelque vie à sa poitrine qui semblait attaquée de phthisie.                                                      

La compagnie était pauvre : Bellarmin partit presque sans argent. En route l'argent manqua tout-à-fait, et il eût fallu mendier jusqu'à Florence, si un gentilhomme espagnol, qui devina les défaillances de sa bourse, charmé de son esprit, ne l'eût défrayé du reste de son voyage.

A Florence, Bellarmin trouva dans le recteur du collège le père Alphonse Sgarilli, qui avait élevé sa jeunesse et dirigé sa vocation. Ce bon père fut effrayé de le voir dans un si déplorable état de santé. Au bout de quelques mois, en effet, les forces de Bellarmin étaient abattues : il semblait impossible qu'il pût encore professer. Dans cette extrémité, le saint jeune homme s'alla jeter au pied de l'autel : « Mon Dieu, dit-il avec larmes, voilà ma vie, prenez-la, elle est à vous; mais si vous voulez que je vive, rendez-moi la santé afin que je puisse travailler à votre gloire. »

Il sentit que Dieu l'avait exaucé. « Désormais, disait-il à ses amis qui s'inquiétaient de sa faiblesse, désormais je me porterai bien. » La santé lui revint en effet. Il alla de nouveau se jeter aux pieds de Notre-Seigneur : « Mon Dieu, lui dit-il, vous m'avez rendu la vie, je vous la consacre. Jusqu'à la mort je veux l'employer pour vous. » Et lorsqu'il était sur le point de rendre le dernier soupir, près de soixante ans plus tard, dans sa quatre-vingtième année, il disait aux novices de Saint-André, parmi lesquels il voulut mourir : « Je ne me rappelle pas avoir passé un seul jour sans travailler. »

Il professait donc les belles-lettres à Florence. Dans l'intervalle des classes, il s'occupait de poésie latine, et lisait ses vers aux savants de cette ville dont les Médicis avaient fait l'Athènes de l'Italie. Il prêchait aussi. La première fois qu'il monta en chaire, une dame le voyant si jeune, pria Dieu fort dévotement pendant le sermon qu'il ne manquât pas de mémoire. Il l'avait heureusement fort riche et très-sûre ; et son éloquence si jeune, si entraînante, ravissait Florence. A Mondovi, où il professa plus tard, il fut aussi fort goûté. Un jour de Noël qu'il avait prêché avec une force extraordinaire, le clergé et le peuple se réunirent en foule autour de lui, comme il descendait de chaire, et ne le voulurent point quitter qu'il n'eût promis d'y remonter le lendemain. Jusque-là Bellarmin avait écrit et appris ses sermons. Fatigué déjà comme il était, écrire et apprendre en si peu de temps un sermon lui semblait impossible. Au lieu d'écrire il pria, médita, pria encore. L'heure venue, il monte en chaire, Dieu l'anime, il parle, non plus avec son esprit mais avec son cœur, de la foi et de la charité du premier martyr. Tout son auditoire fondait en larmes, et le recteur du collège, qui était venu l'entendre, écrivit à son provincial que jamais homme n'avait ainsi parlé.

Ces succès ne lui donnaient point de vanité. . .

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Message  Louis Mer 09 Mai 2018, 6:26 am

ESSAI HISTORIQUE

II

(SUITE)

Ces succès ne lui donnaient point de vanité. Rentré au collège, le grand orateur redevenait simple et bon, toujours prêt à rendre service, se chargeant volontiers des fonctions les plus basses. Il éveillait les pères, lisait au réfectoire, remplaçait le frère portier, servait de compagnon à ceux qui voulaient sortir. Un jour le père recteur le prit avec lui et l'emmena chez le prieur des Dominicains. On était au plus fort de l'été. Le prieur offrit des rafraîchissements à ses hôtes. Le recteur ayant refusé, le prieur prit la tasse, et la portant aux lèvres de Bellarmin qu'il ne connaissait pas : Croyez-moi, mon petit frère, lui dit-il en riant, videz-la sans façon, et laissez la cérémonie au père recteur.

—  Je n'en ai pas plus besoin que lui, répondit modestement le petit frère; Votre Révérence me permettra bien de suivre son exemple.

Le lendemain, le prieur fut obligé de se rendre au collège des Jésuites; il voulait prier le fameux prédicateur, qui faisait tant de bruit à Mondovi, d'annoncer une indulgence qui venait d'être accordée à leur ordre. Le frère portier était absent, et c'est Bellarmin qui ouvrit la porte. Ah! vous voilà, mon petit frère, dit le prieur, conduisez-moi donc chez le père prédicateur.

— Le père est un peu embarrassé en ce moment, dit le petit frère en souriant, mais si Votre Révérence veut m'apprendre le sujet de sa visite, je l'en instruirai fidèlement.

— Non pas, non pas, dit le prieur, j'ai bien confiance en vous, mon petit frère ; mais je veux lui parler à lui-même. Est-il sorti?

— Non, mon père.

—  Alors menez-moi chez lui. — Il fallut s'exécuter, et Bellarmin avoua que c'était lui, plus honteux de l'embarras et des excuses du prieur que de cette singulière méprise qui ne l'avait qu'amusé.

Il quitta Mondovi pour aller à Padoue achever ses études théologiques. . .

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Message  Louis Jeu 10 Mai 2018, 6:03 am

ESSAI HISTORIQUE

II

(SUITE)

Il quitta Mondovi pour aller à Padoue achever ses études théologiques. De Padoue il fit quelques voyages : il alla à Venise où il prêcha, le jeudi gras, contre les dissipations de ces jours de folie avec une force telle que les sénateurs, ces graves personnages qui marchaient de pair avec les princes, émus d'un saint respect, se mêlèrent au peuple qui venait lui baiser la main après le sermon. Il fit aussi un pèlerinage aux trois célèbres sanctuaires de l'Apennin, l'Alvernia, Camaldoli, Vallombreuse. Il était très-dévot à saint François d'Assise, qui reçut les sacrés stigmates sur la montagne de l'Alvernia. Il était né le jour de sa fête et portait son nom. Il voulut visiter la montagne sainte, le calvaire franciscain, les trois églises, les traces que tant de saints ont laissées sur cette terre bénie. De l'Alvernia il se rendit, par des sentiers qui ne nous sont point inconnus, dans la gorge où se cachent, au milieu d'une forêt de sapins, le couvent, et un peu plus haut l'ermitage de Saint-Romuald. Charmé du silence et de la paix de cette solitude, de l'éloignement que cette sauvage retraite inspire pour le monde, de l'élan que ces hautes montagnes communiquent à l'âme, il y resta plusieurs jours, et ravit les pères Camaldules par quelques sermons qu'il leur fit.

Vallombreuse est une solitude plus riante, sur un flanc de l'Apennin, entourée de forêts de hêtres et de chênes, au milieu de magnifiques pelouses, en face de Florence et de la mer qu'on aperçoit par-dessus une multitude de montagnes accroupies comme des troupeaux à vos pieds. Bellarmin y vint vénérer les reliques de saint Jean Gualbert devenu tout-à-coup le père d'un grand peuple en récompense d'un héroïque pardon. Il s'était fait accompagner d'un prêtre, et partout sur son passage, il prêchait dans les villages aux paysans ravis de son éloquence et touchés de sa vertu. Ce pèlerinage devint ainsi une mission.

Il fut aussi mandé à Gènes pour y honorer une assemblée nombreuse qui se tenait dans la métropole, par des thèses publiques sur tous les sujets de l'enseignement littéraire, philosophique et théologique de ce temps. Il les soutint avec une netteté, une précision, une modération qui étonnèrent la docte assistance. Celui qui présidait cet acte solennel s'étant trouvé sur un point d'un avis opposé au sien, le provincial se rangea du côté de Bellarmin. Sans s'enorgueillir de cette victoire, Bellarmin monta en chaire, et prêcha sur l'importance unique du salut avec une conviction qui montrait bien le peu de cas qu'il faisait des triomphes de la terre.

Il était allé à Gênes seul et il en revint seul. Pendant ce retour, sa vertu eut à soutenir de dangereuses attaques dont la grâce de Dieu le tira victorieux, mais qui lui firent prendre la résolution de donner plus tard, s'il en avait le pouvoir, à chaque jésuite en voyage, un compagnon qui fût son ange gardien.

Cependant le bruit de ses grands succès était arrivé à Rome. Saint François de Borgia avait succédé à Laynez dans le généralat de la compagnie. Il cherchait en ce moment un homme de talent qu'il pût envoyer en Flandre raffermir la religion attaquée à main ouverte par le protestantisme, et plus sourdement, mais non moins dangereusement, par les erreurs de Bayus. Il désigna Bellarmin, quoiqu'il ne fût pas encore prêtre. En vain le recteur de Padoue, qui l'aimait, l'en voulut-il dissuader : le général insista, et Bellarmin, heureux d'exposer sa vie pour son Dieu, partit avec joie à la fin de l'hiver, lorsque les Alpes étaient encore couvertes de neiges, s'exposant en outre à tomber dans les mains des protestants qui tenaient la campagne.

A suivre : III. — La Flandre…

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Message  Louis Ven 11 Mai 2018, 7:05 am

ESSAI HISTORIQUE

III

La Flandre, aujourd'hui si catholique (note de Louis : le livre a été imprimé en 1855.), subissait alors la dangereuse épreuve du protestantisme. Ses peuples, toujours amis des nouveautés, enclins aux révolutions depuis plus de deux siècles, ne supportaient qu'avec peine la domination de Philippe II. Ils croyaient leurs libertés, pour lesquelles tant de sang avait été versé depuis leurs premières révoltes dans le quatorzième siècle, menacées par le gouvernement espagnol. La noblesse flamande, pleine d'ambition, eût voulu être chargée seule de l'administration du pays. Le prince d'Orange, dévoré du désir de régner, entretenait avec soin les mécontentements de la Flandre contre l'Espagne. A la faveur de ces divisions, le protestantisme s'était introduit dans le pays, et avait gagné beaucoup d'esprits turbulents. On se jetait dans l'hérésie pour n'être plus de la religion d'un maître qu'on haïssait. Un grand homme, le cardinal de Granvelle, avait essayé de comprimer tous ces troubles dès le commencement, et il y aurait réussi; mais Philippe II, ordinairement si ferme dans ses desseins, avait voulu tenter quelques moyens de conciliation; il avait faibli devant la révolte, et la révolte s'était enhardie. La guerre avait éclaté. Soutenu par l'armée du prince d'Orange, le protestantisme faisait tous les jours quelque conquête. Quand les rebelles s'emparaient d'une ville, ils pillaient les églises, détruisaient les couvents, proscrivaient le catholicisme. Voilà l'état de la Flandre lorsque Bellarmin y arriva.

Il fit son voyage avec un homme célèbre, Guillaume Alain, qui s'en allait à Rheims prendre possession d'un canonicat qu'il avait obtenu. Guillaume Alain, qui fut depuis cardinal, devint à Rheims le protecteur de tous les catholiques anglais, ses compatriotes, qui fuyaient la persécution. Ce fut une heureuse rencontre pour Bellarmin. Les jésuites de Louvain le reçurent avec joie, et le chargèrent, dès son arrivée, de prêcher en latin dans la principale église de la ville. La foule accourut à ses sermons. En peu de temps il eut la réputation du plus éloquent orateur de la Flandre. Ses supérieurs désirèrent alors le voir ordonner prêtre. On était en 1569, et Bellarmin n'avait que vingt-sept ans. Il n'avait pas encore fait profession dans son ordre. D'après la règle de saint Pie V, il ne pouvait être ordonné qu'il n'eût fait ses vœux. Deux années lui manquaient encore. On écrivit à Rome pour obtenir une dispense. Le général, désireux d'avancer la profession d'un homme d'un si rare mérite, permit qu'il prononçât seulement les trois premiers vœux le jour de son ordination, et que le quatrième fût retardé de deux années. Par ce moyen terme, Bellarmin put être ordonné. Il alla à Liège où il reçut les premiers degrés du sacerdoce, et il fut ordonné prêtre à Gand, par Mgr. Cornélius Jansénius, au printemps de l'an 1570.

Quand Bellarmin remonta en chaire, ce fut un homme tout nouveau. Jusque-là il avait été éloquent, il devint un saint. Quand il parlait, la foi et la piété illuminaient son visage : plusieurs fois ses auditeurs crurent voir une lumière céleste environner son front. On accourait des villes voisines, de la Hollande, de l'Angleterre même pour l'entendre. L'église Saint-Michel, où il prêchait, ne pouvait contenir la foule : dès le matin, toutes les places étaient envahies. Un jour que Bellarmin se rendait à Saint-Michel, il fut rencontré par un bourgeois de Louvain qui ne le reconnut pas. Bellarmin était petit, mais en chaire il grandissait, sa figure s'animait, ses yeux jetaient des éclairs ; redescendu, c'était un tout autre homme, simple et bon, mais sans éclat.

— Mon père, dit le bourgeois, vous allez à Saint-Michel, entendre le fameux Bellarmin…

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Message  Louis Sam 12 Mai 2018, 7:19 am

ESSAI HISTORIQUE

III

(SUITE)

— Mon père, dit le bourgeois, vous allez à Saint-Michel, entendre le fameux Bellarmin : le connaissez-vous particulièrement, car vous me semblez de la même compagnie?

— Je le connais un peu, dit Bellarmin, mais pas autant que je le voudrais.

— De quel pays est-il?

— Il est de Montepulciano.

— C'est un homme d'une merveilleuse éloquence: et quel âge a-t-il?

— Il a, je crois, vingt-huit ans.

— Quelle éloquence dans une si grande jeunesse! mais, mon père, vous allez bien doucement; permettez que je vous quitte; il faut me hâter, si je veux avoir ma place au sermon.

— Allez, monsieur, reprit Bellarmin en souriant, je vous en sais bon gré; pour moi, je suis bien assuré d'y trouver la mienne.

Un grand nombre de protestants, touchés de sa prédication et de sa sainteté plus encore que de son génie, se convertirent. Il eut le bonheur d'en ramener beaucoup, surtout dans l'octave du Saint-Sacrement où il prêchait sur l'Eucharistie. On attachait un tel prix à ses sermons que l'on en publia à Cologne une édition très-incorrecte, recueillie par ses auditeurs pendant qu'il prêchait. Les chanoines réguliers de Saint-Norbert, que leurs fonctions empêchaient souvent d'aller à Saint-Michel, lui demandèrent le manuscrit où il écrivait les pensées principales de chaque sermon, et le faisaient lire au réfectoire pour se consoler de n'avoir pu l'entendre.

Bellarmin resta sept ans en Flandre. La première année fut consacrée à l'étude de la théologie et à la prédication. On lui donna ensuite une chaire à l'Université de Louvain. Le chancelier de l'Université était alors Michel de Bay, si connu sous le nom de Bayus. Michel de Bay avait assisté avec Cornélius Jansénius, premier évêque de Gand, au Concile de Trente. C'était un savant homme, mais il avait eu le malheur de s'enticher de quelques idées erronées que saint Pie V venait de condamner en 1567, comme hérétiques. La bulle n'avait pas été publiée sur-le-champ à Louvain, et Michel de Bay s'obstinait à soutenir son malheureux système, par lequel il corrompait les doctrines de l'Université de Louvain. Il était difficile de s'attaquer directement au chancelier de l'Université, qui avait pour lui les professeurs et toute la jeunesse. Bellarmin combattit l'erreur, mais sans l'appliquer à personne. Il posait une thèse qui allait droit contre le système de Bayus, la prouvait par l’Écriture et par les Pères, montrait que c'était là le vrai sens de saint Augustin, sur lequel Bayus prétendait s'appuyer, et faisait triompher la vérité sans froisser l'amour-propre. Il était si modéré dans son argumentation, évitait avec tant de soin toute allusion personnelle, que Bayus n'osa jamais se plaindre de voir ruiner son système sous ses yeux et devant ses plus chers disciples. Il assistait, muet et impuissant, au renversement de ses doctrines, et lui-même sentait peut-être s'ébranler dans son cœur la fermeté de ses convictions, car deux années après le départ de Bellarmin, lorsque François Tolet, théologien et prédicateur de Grégoire XIII, alors membre de la compagnie de Jésus et depuis cardinal, vint publier à Louvain une nouvelle bulle du Pape contre son système, il la reçut avec soumission, et fit en présence de l'Université une rétractation solennelle de ses erreurs.

Bellarmin avait préparé ce triomphe de la vérité…

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Message  Louis Dim 13 Mai 2018, 6:14 am

ESSAI HISTORIQUE

III

(SUITE)

Bellarmin avait préparé ce triomphe de la vérité; rien ne lui avait coûté pour mettre en lumière les raisons victorieuses de la vraie doctrine. Il s'était livré, pendant ces sept années, à un travail qui semble presque impossible. Pour mieux saisir le sens de la sainte Écriture, il avait d'abord appris l'hébreu. Un savant jésuite, le père Arlémius, lui en avait enseigné les premiers éléments, et bientôt Bellarmin avait si bien deviné le génie de cette langue, qu'il avait pu composer une grammaire à l'aide de laquelle il mettait en huit jours ses élèves en état de traduire la Bible. Il voulut ensuite étudier les Pères, et non-seulement les saints docteurs, mais tous ceux qui ont écrit sur la religion, tant avant qu'après Jésus-Christ. L'immense étendue des opinions humaines et des doctrines divines fut ainsi parcourue par un seul homme dans l'espace de six années. Il lisait lentement, annotait avec soin, et sa vaste mémoire retenait tout ce qu'elle saisissait une fois. Les philosophes de l'antiquité, la collection des saints Pères, les historiens, la jurisprudence sacrée, rien ne lui échappa. Il s'était fait une chronologie que les savants ont admirée, pour relier dans son esprit tout l'ensemble des faits historiques. Un monument nous est resté de ces gigantesques travaux, c'est un livre des écrivains ecclésiastiques, où il porte son jugement sur plus de quatre cents auteurs. Dieu le préparait ainsi à accomplir un des plus beaux ouvrages de ce siècle, son fameux livre des Controverses, qui fit au protestantisme plus de mal que Charles-Quint ne lui en avait fait.

Malgré sa modestie, la renommée du professeur de Louvain s'était rapidement répandue dans l'Europe savante. On offrit à Bellarmin une des principales chaires de l'Université de Paris. Saint Charles Borromée le demanda pour prédicateur de son église. Le Cardinal Commendone disait au jeune cardinal Bandini qui voulait achever ses études en France : « Allez jusqu'à Louvain, vous y entendrez le meilleur maître de l'Europe. » Et Commendone, qui portait ce jugement de Bellarmin, était lui-même un des plus grands hommes de ce temps.

Le général de la Compagnie le rappela alors à Rome pour aider à une des plus belles créations de Grégoire XIII. D'ailleurs l'œuvre de Bellarmin en Flandre était à peu près accomplie. Il avait vaincu l'erreur de Michel de Bay, raffermi par son éloquence et sa vertu le catholicisme ébranlé dans beaucoup d'esprits; il avait ramené un grand nombre de protestants dans le sein de l’Église; la lutte du bien contre le mal durait encore en Flandre, mais le bien devait triompher dans ce pays resté depuis si fidèle (note de Louis : le livre a été imprimé en 1855.). C'est la gloire de Bellarmin d'avoir aidé à conserver à la papauté un des plus beaux fleurons de sa couronne.

De si héroïques travaux avaient affaibli sa santé naturellement peu robuste...

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Message  Louis Lun 14 Mai 2018, 5:59 am

ESSAI HISTORIQUE

III

(SUITE)

De si héroïques travaux avaient affaibli sa santé naturellement peu robuste. Quand il reçut l'ordre de quitter la Flandre, il était épuisé par ses veilles studieuses. Louvain le vit partir avec regret : elle perdait son professeur le plus célèbre. Ses frères et ses amis raccompagnèrent aux portes de la ville et lui dirent adieu en pleurant. Il partit seul, à cheval, vêtu d'un habit de cavalier, pour échapper aux protestants qui se fussent fait une joie de pendre un jésuite à quelque branche d'un chêne. Plusieurs fois il faillit être reconnu et arrêté; Dieu le tira visiblement de tant de dangers. Au bout de quelques jours, il rencontra de jeunes gentilshommes protestants qui allaient en Italie. Charmés de sa grâce, de son esprit, ces jeunes gens voulurent faire le chemin avec lui. Ils lui dirent leurs noms et lui demandèrent le sien.

— Messieurs, dit Bellarmin, je m'appelle Romulus. C'était en effet un de ses noms de baptême.

—  Eh bien! dirent ces jeunes gens gaîment, puisque vous portez un nom royal, vous serez notre prince.

Pendant tout le voyage, en effet, ils le traitèrent de majesté, et Bellarmin se prêtait à leur gaîté avec une grâce qui les enchantait. Quand il voulait dire son bréviaire : « Messieurs, leur disait-il en riant, c'est au prince à marcher en avant et à éclairer ses troupes ; allez au petit pas, je vais à la découverte.» — Il piquait des deux et disparaissait; puis, quand il avait pris un peu d'avance, il s'arrêtait et disait son office. Ils traversèrent l'Allemagne, la Suisse et arrivèrent à Gènes sans qu'ils se fussent doutés de la profession de leur aimable compagnon de voyage. A Gènes, Bellarmin leur dit adieu. —  « J'ai ici, leur dit-il en les quittant, un ami chez lequel je ne puis refuser d'aller loger. » — Cet ami, c'était le père François Degli Adorni, provincial des Jésuites, et confesseur de saint Charles Borromée. — Les jeunes gens lui exprimèrent leur regret de perdre une si bonne compagnie, et le désir de le revoir un jour. Le lendemain, comme ils visitaient les monuments de la ville, ils entrèrent dans l'église des Jésuites au moment où un prêtre disait la messe; le prêtre s'étant retourné, ils jetèrent un cri de surprise : c'était le spirituel prince dont la conversation charmante avait si souvent pour eux abrégé les longueurs du chemin.
A suivre : IV. La température si chaude du Midi…

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Message  Louis Mar 15 Mai 2018, 6:18 am

ESSAI HISTORIQUE

IV

La température si chaude du Midi, les douces influences du pays natal raffermirent promptement la santé de Bellarmin. De Gènes on lui permit d'aller à Montepulciano , mais avec défense de passer par Milan où l'on craignait que saint Charles Borromée ne le retînt. La joie de son vieux père fut extrême, quand il revit ce cher fils éloigné depuis tant d'années. Bellarmin ferma les yeux d'une de ses parentes, fit entrer deux de ses sœurs en religion, consola sa famille par ses exhortations, ses exemples de piété, et partit pour Rome où l'appelait la volonté de Grégoire XIII.

Le pape Grégoire XIII, successeur de saint Pie V, continuait l'œuvre glorieuse de la restauration du catholicisme dans le nord de l'Europe. Les premiers papes de ce seizième siècle qui ressemble si fort au nôtre, avaient eu la douleur de perdre au milieu des révolutions religieuses la moitié de la chrétienté. Les règnes de Léon X, Clément VII, Paul III, avaient été pleins de désastres; l'Allemagne, l'Angleterre, la Suède, le Danemarck s'étaient presque en même temps séparés de l’Église. Adrien V, malgré son austère vertu et l'appui de Charles-Quint, n'avait pu soutenir tant de ruines, et était mort écrasé sous ce pesant fardeau. La Pologne, la France et l'Italie elle-même, minées par le protestantisme, hésitaient entre l'erreur et la vérité. L'Espagne aussi se sentait entraînée sur le bord de cet abîme, où il fallut la main de fer de Philippe II pour l'empêcher de tomber. Telle avait été la première moitié du seizième siècle. La seconde moitié essaya de réparer toutes les ruines, et la vérité reconquit une partie du terrain qu'elle avait perdu. Dieu donna à son Église de glorieux papes comme Paul IV, qui avait été l'ami de saint Gaétan de Thiene et qui arracha l'Italie au protestantisme, saint Pie V, qui gagna la bataille de Lépante par ses prières, Grégoire XIII qui ramena la Pologne, ranima le catholicisme en Allemagne, et faillit reconquérir la Suède et la Russie.

Ce grand Pape avait compris qu'il fallait s'adresser surtout aux générations nouvelles, et partout il fondait des collèges pour y élever de jeunes et courageux défenseurs de la vérité. Il venait de réaliser un des plus chers désirs de saint Ignace, et d'ouvrir le Collège germanique à la jeunesse de l'Allemagne. Afin de lui donner les moyens de combattre avec plus de succès le protestantisme, il créa au Collège romain une chaire de controverses où l'on réfuterait les erreurs de tous les siècles. Cette chaire demandait un homme d'une érudition immense : le général ne trouva que Bellarmin qui pût la remplir, et le proposa au Pape, Grégoire XIII l'accepta.

Dès les premières leçons, la jeunesse romaine s'enthousiasma du savant professeur…

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Message  Louis Mer 16 Mai 2018, 6:02 am

ESSAI HISTORIQUE

IV

(SUITE)

Dès les premières leçons, la jeunesse romaine s'enthousiasma du savant professeur. On copiait ses controverses et elles circulaient manuscrites dans le reste de l'Italie. Les étrangers qui étudiaient à Rome les envoyèrent en France et en Allemagne, et bientôt elles se répandirent dans toute l'Europe. De tous les pays catholiques on écrivait au général pour le prier de les publier. Bellarmin s'y refusa d'abord, mais ses supérieurs imposèrent silence à sa modestie par des ordres formels. Le premier volume parut en 1581 et fut dédié à Sixte-Quint, successeur de Grégoire XIII; le second deux ans après, et le dernier neuf ans plus tard, sous le règne de Clément VIII qui en accepta la dédicace. Nous dirons bientôt les causes qui en avaient fait différer la publication.

L'apparition de ce magnifique ouvrage, de cette réfutation si claire, si savante des erreurs de tous les siècles, et par conséquent du protestantisme qui les résumait toutes, fut un coup de foudre pour l'hérésie. En le lisant, Bèze ne put s'empêcher de s'écrier : Nous sommes perdus; ce seul livre renverse toute la réforme. En Allemagne, en France, en Angleterre, en Écosse, dans le nord de l'Europe, les ministres protestants se crurent frappés à mort. De tous côtés on essaya des réfutations impuissantes : en Angleterre, on fonda un collège dans le seul but de répondre à Bellarmin, et on lui donna le nom glorieux de Collège Anti-Bellarminien. A Oxford et à Cambridge on créa une chaire des controverses. Élisabeth, furieuse de voir sa réformation menacée par un seul homme, n'en voulut permettre la lecture qu'aux docteurs de l'anglicanisme, et défendit de le conserver sous peine de mort. On le lisait cependant, mais en cachette et avec les plus grandes précautions : ce qui fit dire à un libraire anglais, que le livre de ce Jésuite lui avait valu plus d'argent que tous ceux des ministres et des prédicateurs anglicans,

Les effets que produisit ce livre furent admirables : un nonce qui revenait de Cologne rapporta que des pasteurs allemands s'étaient convertis avec tout leur troupeau. Le pieux duc Guillaume de Bavière, heureux de voir tant de conversions, écrivait à Bellarmin : « Je vous porte envie pour les nombreuses conquêtes que vous faites à la gloire de l’Église en ces contrées. Ah l si vous saviez combien vous avez engendré d'enfants spirituels à Jésus-Christ! » Ce prince commença même la traduction des controverses pour les faire pénétrer jusque dans le peuple. Le cardinal du Perron les fit aussi traduire en français, et tout savant homme qu'il était, lui qui avait tant contribué au triomphe du catholicisme en France et à la conversion de Henri IV, il se plaisait à consulter Bellarmin dans les questions difficiles en disant : « Allons au maître, Eamus ad magistrum. »

Ne sachant comment réfuter un écrit, où les opinions du protestantisme étaient exposées dans tout leur jour avec une clarté, une force que les docteurs de la réforme étaient obligés de reconnaître, n'ayant rien à répondre aux raisons victorieuses par lesquelles Bellarmin les avait mis en poussière, les ministres protestants, furieux des pertes qu'ils éprouvaient, eurent recours à la calomnie. Ils répandirent le bruit que Bellarmin, après s'être converti au protestantisme, avait été emprisonné et tué dans sa prison par ordre du Pape. Cette singulière nouvelle courut la moitié de l'Europe, et on en fit des réjouissances publiques en Angleterre et en Écosse. Dans le nord de l'Allemagne, on inventa une autre fin de Bellarmin, non moins tragique, Bellarmin devenu vieux, écrasé par le remords des crimes qu'il avait commis, s'était enfui à Lorette pour décharger sa conscience dans le sein d'un pénitencier de cette ville. Cet homme, effrayé des assassinats, des abominations de tout genre qui lui étaient révélés, aurait refusé d'entendre sa confession, et Bellarmin serait mort dans le désespoir et l'impénitence finale, laissant après lui le récit de sa vie monstrueuse qu'il avait écrite pour se confesser. C'est ce récit qui était tombé dans les mains des ministres protestants, et que l'on répandait pieusement en Allemagne, en Hollande, en Pologne sous ce titre attrayant : La fidèle et véritable histoire de la mort désespérée de Robert Bellarmin, Jésuite.

Il y avait en ce temps, aux portes de Dantzig, un couvent nommé l'abbaye d'Olive…

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Message  Louis Jeu 17 Mai 2018, 6:39 am

ESSAI HISTORIQUE

IV

(SUITE)

Il y avait en ce temps, aux portes de Dantzig, un couvent nommé l'abbaye d'Olive. Un jour, quelques sénateurs de la ville vinrent visiter le prieur,

— Mon révérend père, lui dirent-ils, nous vous apportons une triste nouvelle : le fameux Bellarmin est mort, et bien tristement.

— Cela n'est pas possible, dit le prieur.

— Voyez plutôt, dirent les sénateurs qui étaient protestants et se réjouissaient de lui apprendre cette agréable histoire.

Et ils lui remirent le petit livre de la mort désespérée de Robert Bellarmin.

— Voilà qui est bien singulier, dit le prieur : Bellarmin n'est pas un vieillard, c'est un tout jeune homme; il n'avait que trente-quatre ans quand il fut nommé professeur de controverses, et il n'y a pas bien longtemps de cela.

En ce moment-là même un juif de la ville entra chez le prieur. Ce juif précisément arrivait de Rome.

— Voilà, dit le prieur, un homme qui pourra nous donner des nouvelles de Bellarmin. Vous avez dû entendre parler de ce Jésuite qui fait tant de bruit, dit-il au juif; est-il vivant, est-il mort? Que dit-on de lui à Rome?

— Il n'y a pas encore trois mois que j'étais à Rome, répondit le juif; j'y ai vu souvent celui dont vous me parlez ; il se porte à merveille, et si tous les catholiques vivaient comme lui, il n'y aurait plus de juifs au monde.

Un protestant qui revenait d'Italie avait déjà fait la même réponse dans une circonstance presque semblable. On raconta ces deux histoires à Bellarmin qui dit en riant : « Voilà deux témoignages pour ma canonisation : celui d'un hérétique et celui d'un juif; il ne me manque plus que celui d'un turc pour être saint. »

Pendant qu'il remplissait le monde du bruit de son nom et consolait l'Église par un si éclatant triomphe de la vérité, le savant professeur cachait sa gloire sous les vertus du plus humble religieux. Il obéissait à un mot de ses supérieurs comme à un ordre de Dieu. Amateur de la pauvreté, il ne possédait qu'un reliquaire, et il le donna pour n'avoir plus rien à lui. Avec ses frères il était bon et simple comme un enfant. Aux récréations, il se plaisait à les amuser par des récits intéressants, il aimait la musique et leur chantait des airs religieux qu'il faisait. Il visitait tous les malades, les consolait par de tendres paroles, enviait le bonheur qu'ils auraient d'être bientôt avec Dieu. On le chargea de diriger les jeunes religieux de la compagnie : il s'attacha à eux comme un père à ses enfants; il les révérait comme des anges. Parmi ces jeunes gens se trouvait saint Louis de Gonzague. Bellarmin l'aimait par-dessus tous les autres. C'est lui qui reçut sa confession générale, et quand il fut mort, il déclara que ce saint jeune homme n'avait jamais souillé l'innocence de son baptême. Plus tard, quand il fut cardinal, dans la congrégation où on discuta sa béatification, il montra si bien la pureté de sa vie, et son amour de la pénitence, que le décret fut emporté tout d'une voix. Dans son testament, il exprima le désir d'être enterré aux pieds de ce jeune saint. Dans sa plus extrême vieillesse, le souvenir de ses vertus lui arrachait encore des larmes.

Mais bientôt Bellarmin fut enlevé à ses douces études, à cette vie cachée qu'il aimait tant. Sixte-Quint, qui se connaissait en homme, voulut l'employer dans les fonctions publiques. Il allait envoyer un légat en France, le cardinal Cajetan, pour diriger la Ligue et soutenir le catholicisme dans ce royaume si profondément divisé : Bellarmin fut choisi pour accompagner le cardinal en qualité de théologien de la légation.

A suivre : V. : Henri III venait de mourir…

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Message  Louis Ven 18 Mai 2018, 6:11 am

ESSAI HISTORIQUE

V

Henri III venait de mourir, laissant le trône à un prince protestant. D'après le droit naturel et les anciennes constitutions du royaume, le sceptre de saint Louis ne pouvait tomber entre des mains hérétiques. Comment un roi égaré eût-il pu montrer à ses peuples le chemin de la vérité, et qui eût osé lui faire prêter à son sacre le serment de défendre la religion catholique? La Ligue a valu à la France l'abjuration de Henri IV. Sans la résistance qu'elle lui opposa, jamais ce grand homme, tout occupé de sa gloire et de ses plaisirs, n'eût voulu approfondir les questions de religion. La papauté, qui approuva et soutint la Ligue, défendait donc en cela les vrais intérêts de la France et du catholicisme. Aucune passion personnelle ne s'y mêla. Du jour où l'on put espérer le retour du roi, Sixte-Quint se montra disposé à la paix. Malgré les intrigues de l'Espagne, Clément VIII accomplit bientôt cette grande réconciliation. Si nous sommes restés le plus grand peuple catholique, nous devons cette gloire au courage de nos pères et à l'appui de la papauté.

Le légat partit de Rome sur la fin de l'année 1589. Dans toutes les villes catholiques où il passa, on lui rendit des honneurs extraordinaires. Bellarmin y eut une large part. Chacun voulait voir l'illustre auteur des Controverses. Jusqu'à Dijon, le voyage s'accomplit sans trop de périls. Arrivé dans cette ville, le légat apprit que les protestants tenaient la campagne aux environs. Ne sachant s'il devait attendre une escorte ou poursuivre sa route, on raconte qu'il consulta Dieu de cette façon. Il mit dans le calice, après la sainte Messe, deux billets sur l'un desquels était écrit : faut partir, et sur l'autre : Il ne faut pas partir; puis il invoqua le Seigneur, et tira l'un des billets. Il prit celui qui lui défendait de partir et resta. Le lendemain on apprit que le comte de Tavannes lui avait tendu une embuscade où il serait infailliblement tombé. Le comte avait promis à Henri IV de lui amener le légat. La légation attendit donc à Dijon une escorte que le duc de Lorraine lui envoya, et avec laquelle elle arriva à Paris le 20 janvier 1590.

L'entrée du légat se fit avec une grande pompe. Toute la bourgeoisie vint à sa rencontre ; on le conduisit sous un dais magnifique jusqu’à son hôtel. Mais bientôt Henri IV vint assiéger la ville, et la famine décima Paris. La charité du légat fut admirable. II distribua au peuple, par les mains de Bellarmin, tout l'argent qu'il possédait; il vendit ses meubles et sa vaisselle pour acheter et donner du pain.

Le cardinal Cajétan était plein de zèle pour la Ligue : Bellarmin voyait plus loin…

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Message  Louis Sam 19 Mai 2018, 6:26 am

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V

(SUITE)

Le cardinal Cajétan était plein de zèle pour la Ligue : Bellarmin voyait plus loin. Ce génie pénétrant devina sans peine que les troubles ne pouvaient avoir d'autre fin que le retour de Henri IV à la religion catholique, et il refusa d'entrer dans aucune des intrigues espagnoles pour l'élection d'un nouveau roi. Il assistait à toutes les réunions des chefs de la Ligue, mais comme théologien seulement. Il donnait son avis sur les points de doctrine, et se taisait sur tout le reste. Quand on voulut élire un roi, il se tint dans un silence plein de fermeté. Le président Séguier, père du chancelier Séguier, admira beaucoup cette sage retenue, et en parlait souvent, dans la suite, à la cour de France. Sixte-Quint, en effet, comprit aussi qu'il ne fallait pas détrôner mais essayer de toucher Henri IV. Il blâma Cajétan de s'être avancé si loin. Le cardinal tomba dans sa disgrâce. Heureusement pour lui, Sixte-Quint mourut lorsqu'on s'y attendait le moins. Quand le cardinal reçut la dépêche qui lui annonçait cette mort imprévue, il dit à Bellarmin avant de l'ouvrir : Que nous apporte ce courrier? — Il vous apporte la mort du pape, répondit le saint religieux. Le cardinal ouvrit les dépêches : le pape, en effet, était mort.

Ils quittèrent donc Paris et revinrent à Rome. En passant à Metz, Bellarmin fut attaqué de la dyssenterie, et les soins du légat purent à peine le sauver. A Rome, on s'occupait alors d'une édition de la Vulgate que le concile de Trente avait ordonnée, et que Sixte-Quint venait de préparer. Sur le point de la publier, le pape reconnut de grossières fautes d'impression,  et fit recommencer le travail. Son successeur, Grégoire XIV adjoignit Bellarmin à la congrégation de cardinaux qui en était chargée. Ce pesant fardeau retomba donc sur Bellarmin qui, du reste, par sa connaissance de l'hébreu, était plus que personne en état de juger de ces matières. Déjà, sous Sixte-Quint, il avait fait la préface de l'édition que celui-ci préparait. Son travail ne put être achevé que sous Clément VIII, et c'est à Bellarmin que nous devons l'édition de la Bible dont nous nous servons aujourd'hui.

Le général Acquaviva, un des plus grands hommes de la compagnie, nomma Bellarmin recteur du Collège romain. Bellarmin avait alors cinquante ans. Il se fit aimer de tous ses religieux par sa douceur, sa piété, le soin qu'il prenait d'eux. Toutes les semaines il les réunissait, et s'il avait quelque reproche à adresser, ses larmes le leur apprenaient seules. Après ses trois années de rectorat, il fut envoyé à Naples comme provincial. Il parcourut sa province, s'occupant de tout avec un soin minutieux. Partout on fut charmé de son aménité, de sa politesse exquise. Les autorités civiles lui rendaient, à son grand regret, tous les honneurs dus à la plus illustre renommée du siècle. Dans une petite ville de la Calabre, la jeune noblesse monta à cheval et vint au-devant de lui. Bellarmin les remercia gracieusement, et les pria de le laisser entrer en ville sans aucune pompe. Mais il fut entouré et mené malgré lui à l'hôtel qu'on lui avait destiné. Là les magistrats de la ville l'attendaient au milieu de la bourgeoisie et d'un peuple immense. Il fut accueilli au bruit de la mousqueterie et des acclamations de la foule. Emu de cette réception presque royale, Bellarmin demanda, les larmes aux yeux, qu'on le laissât prendre un logement plus modeste : il lui fallut subir jusqu'au bout le triomphe qui lui avait été préparé ; mais il se hâta de quitter une ville où son humilité avait été mise à une si rude épreuve. Dieu le dédommagea bientôt. Un jour qu'il sortait de Tarente, il alla demander l'hospitalité dans un village où personne ne voulut le recevoir. A peine put-il trouver une cabane abandonnée pour y passer la nuit. Ce fut une bonne journée pour Bellarmin qui se réjouit de se rapprocher ainsi de Jésus-Christ dont le premier palais fut une étable.

Cependant le jour était venu où Dieu avait résolu…

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Message  Louis Dim 20 Mai 2018, 6:39 am

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V

(SUITE)

Cependant le jour était venu où Dieu avait résolu de faire asseoir son humble serviteur parmi les princes de l’Église. Le cardinal François Toledo, ce jésuite qui reçut la rétractation de Bayus, et qui aida plus tard à la réconciliation de Henri IV avec le Saint-Siège, était mort théologien de Clément VIII.  Le pape, désireux de remplacer une si grande lumière, de retrouver un si bon conseil, jeta les yeux sur Bellarmin, et le nomma son théologien. Il voulait le loger au Vatican, mais Bellarmin lui demanda en grâce de le laisser dans son couvent où on lui donna une humble et étroite cellule. C'était une dernière épreuve où la compagnie, toujours si sévère, mit encore une fois ce grand mérite. Tout le monde s'en étonna : Bellarmin ne s'en aperçut même pas. Le pape lui ayant demandé s'il était bien logé : « Parfaitement bien, très-saint Père, répondit Bellarmin. »

Au reste la bonté du pape pour lui était sans bornes. Quand il fit le voyage de Ferrare, que ses armes venaient de reconquérir à l’Église, il voulut que Bellarmin l'accompagnât. Il lui assigna vint-cinq écus par semaine pour sa dépense, et s'informait souvent s'il était bien traité. Tous les jours il l'entretenait des affaires de l’Église. Il l'avait fait consulteur du Saint-Office, il lui donna le titre d'examinateur des évêques : tout le monde prévoyait qu'il le ferait bientôt cardinal. Innocent IX en avait eu déjà le désir, que la mort seule l'empêcha d'exécuter.

Clément VIII resta huit mois à Ferrare, où il embellit la ville et fit rebâtir la citadelle. Pendant ce long séjour, le cardinal Baronius, le disciple bien-aimé de saint Philippe de Néri, l'illustre auteur des Annales de l’Église, aussi versé dans la science historique que Bellarmin l'était dans la théologie, fit avec lui le voyage de Padoue. Ils allèrent ensemble en pèlerinage au tombeau de saint Antoine, un des plus grands thaumaturges du treizième siècle, lui aussi éloquent disciple d'un plus grand maître, saint François d'Assise. Pendant le trajet, ces deux saints amis s'entretenaient de leurs études de prédilection, l’Écriture sainte, la théologie, l'histoire, puis, revenant tout-à-coup vers Dieu, ils se disaient quelquefois : Croyons-nous que cette pourpre nous mènera au ciel? Crediam-noi che queste porpore ci conduranno al cielo?

A son retour à Rome…


Dernière édition par Louis le Lun 21 Mai 2018, 6:56 am, édité 1 fois (Raison : Orthographe.)

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Message  Louis Lun 21 Mai 2018, 6:54 am

ESSAI HISTORIQUE


V

(SUITE)

A son retour à Rome, les desseins de Clément VIII sur Bellarmin devinrent évidents pour tous. Un jour qu'il allait à Frascati, il voulut que Bellarmin se tînt constamment à la portière de son carrosse, la tête couverte, afin de s'entretenir plus familièrement avec lui. De si grandes marques de faveur ouvrirent les yeux de Bellarmin qui comprit enfin qu'on le ferait cardinal. Une si haute dignité remplit son âme de frayeur. Il alla trouver son général, et le supplia de détourner le pape de cette pensée : lui-même prit la résolution de se jeter aux genoux de Clément VIII lorsque, le 3 mars 1599, le pape fit tout-à-coup une promotion de treize cardinaux, au nombre desquels était Bellarmin, de qui il fit cet éloge : « J'ai choisi celui-ci, parce que l’Église de Dieu n'a pas son pareil en doctrine, et parce qu'il est neveu d'un grand et saint pape à qui je dois cette reconnaissance. »

Bellarmin reçut cette nouvelle comme un coup de foudre. Le marquis Sannesio, qui la lui annonça de la part du saint Père, le laissa baigné de larmes. Quand on le manda auprès de Sa Sainteté, il se jeta à genoux pour la supplier de ne le point forcer d'abandonner sa chère compagnie de Jésus. Le pape lui imposa silence sous peine d'excommunication. Jamais un si grand honneur ne produisit une plus profonde et plus réelle douleur. Il fallut que ses amis le consolassent de la pourpre comme d'un grand malheur qui lui arrivait. Toute la cour romaine, au reste, se réjouit de cette promotion si bien justifiée par un grand mérite. Le cardinal Baronius, qui y avait beaucoup contribué, disait que la pourpre lui pesait moins depuis que son cher et illustre ami la partageait avec lui. La gloire du nouveau cardinal rejaillit jusque sur la papauté qui avait si bien su l'honorer. Les protestants eux-mêmes ne purent s'empêcher d'admirer le choix de Clément VIII. Quant aux savants, il semblait que l'élévation de Bellarmin leur fut personnelle. Ce n'est point une grâce, lui écrivait le fameux Juste-Lipse, c'est une justice qu'on vous a faite. Dans toutes les villes d'Italie que Bellarmin avait habitées, on fit, pour son élévation, des réjouissances publiques. Les jésuites s'en affligèrent et s'en enorgueillirent tout à la fois. « Nous le perdons, écrivait Acquaviva à tous les pères, mais c'est trop de gloire à nous de le perdre pour Dieu de qui nous l'avons reçu et à qui nous le rendons. »

A suivre : VI. Le nouveau cardinal choisit le palais le plus rapproché qu'il put trouver de son ancien couvent…

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Message  Louis Mar 22 Mai 2018, 6:14 am

ESSAI HISTORIQUE

VI

Le nouveau cardinal choisit le palais le plus rapproché qu'il put trouver de son ancien couvent. De là il entendait la cloche qui appelait les Pères, et suivait de son mieux encore les règles de la compagnie. Il se levait de bonne heure, faisait son oraison, allumait sa lampe en hiver, et travaillait jusqu'à l'heure de la Messe. Il disait lui-même la prière avec ses domestiques, les instruisait, leur faisait réciter le rosaire, les litanies, cherchait par tous les moyens à les sanctifier. Il vivait simplement. Sa table était la moins bien servie de sa maison; il jeûnait trois fois par semaine, et tout l'Avent et le Carême. Le luxe de son mobilier consistait en quatre chaises de velours, dont il se défit comme trop magnifiques, et en une tenture de serge qu'il donna, pendant un hiver où le froid était rigoureux, à des pauvres presque nus qu'il rencontra. « Venez, mes amis, leur dit-il. » Et comme ses domestiques le surprirent enlevant lui-même la tenture de ses appartements, et lui en firent des reproches : « Eh quoi, dit Bellarmin, mes murailles étaient mieux vêtues que ces pauvres gens? Elles n'ont pas froid, elles! »

Tous les ans, au mois de septembre, il faisait une retraite d'un mois au noviciat de Saint-André au Quirinal, où lui-même avait été novice. C'est là qu'il écrivit cinq admirables petits traités spirituels, fruit de ses méditations et de ses lectures. Le premier est intitulé : Echelle de l'âme vers Dieu par la contemplation des choses créées, et est dédié au cardinal Aldobrandini, neveu de Clément VIII. Le second : De l'éternelle félicité des saints, est dédié au cardinal Farnèse, grand ami de la Compagnie. Le troisième est dédié à la compagnie elle-même, et intitulé : Du gémissement de la colombe, ou Du don des larmes. Le quatrième est une Explication des sept paroles de Notre-Seigneur en croix. Bellarmin le dédia aux Célestins dont il était protecteur. Le dernier enseigne le Grand art de bien mourir, et fut offert au cardinal Sforza, allié à Grégoire XIII. Tels étaient les loisirs de ce grand homme. Il se reposait des affaires en pensant à Dieu, éternel repos des saints.

Clément VIII avait en lui une pleine confiance et le consultait sur tout. Il eut un jour la pensée de remplacer, dans les écoles, l'étude d'Aristote par celle de Platon. Bellarmin l'en détourna. « Platon, lui dit-il, a été le philosophe des premiers Pères de l'Église, mais il l'a été aussi des premiers hérétiques, et c'est chez lui que les gnostiques ont puisé une partie de leurs doctrines. Origène avait trop aimé Platon : il y avait pris les idées qui l'égarèrent. Aristote, au contraire, quand il a été une fois dégagé des rêveries des Arabes et de quelques-uns de ses commentateurs, a paru aux plus grands esprits de l'Eglise, Alexandre de Halès, Albert-le-Grand, saint Thomas d'Aquin, sans danger pour la vérité, et Nicolas V en voulut faire à ses frais une traduction qui pût être entre les mains de tous les maîtres de la jeunesse. » (?) Clément VIII sut bon gré à Bellarmin de cette franchise. Il renonça à son projet, et disait souvent qu'il avait voulu auprès de lui un homme qui ne craignît point de lui dire la vérité.

Une autre fois il lui demanda une règle de conduite pour la haute position qu'il occupait…

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Message  Louis Mer 23 Mai 2018, 6:38 am

ESSAI HISTORIQUE

VI

(SUITE)

Une autre fois il lui demanda une règle de conduite pour la haute position qu'il occupait. Bellarmin lui traça en quelques lignes les principaux devoirs de la papauté : ne point laisser les églises veuves de leurs pontifes, choisir les plus dignes, les obliger à résider, empêcher qu'ils ne cumulent les bénéfices ou qu'ils ne passent trop facilement d'une église à une autre. Clément VIII, en grand pape qu'il était, ne dédaigna pas de reconnaître qu'il s'était trompé quelquefois sur ces points difficiles, et de se justifier là où il croyait avoir agi pour le bien.

Une grande question théologique agitait en ce temps les ordres religieux, et principalement les jésuites et les dominicains. Le molinisme divisait tous les esprits. La cour de Rome était partagée. Clément VIII, cependant, et une partie du sacré Collège, penchaient pour les dominicains. Bellarmin soutint avec courage ce qu'il croyait la vérité. Il mit les adversaires du molinisme au défi, et personne n'osa répondre à ce redoutable athlète. Le pape, fatigué de ces discussions, dit un jour à Bellarmin qu'il voulait en finir et terminer la question. Le cardinal l'engagea de l'examiner encore. « Non, dit le pape, j'y suis résolu. — Vous y êtes résolu, dit Bellarmin, et cependant pardonnez-moi si j'ose vous dire que vous n'en ferez rien. — Et qui m'en empêcherait, dit le pape surpris? — Personne, répondit le cardinal; pourtant vous ne le ferez pas. »

Cette réponse fit du bruit. Ceux qui connaissaient la modération de Bellarmin s'en étonnèrent. Le cardinal del Monte, doyen du sacré Collège, lui en parla. « Le pape le peut et le veut, qui l'en empêchera, lui dit-il un jour? — Dieu, répondit Bellarmin ; Dieu qui le tirera plutôt de cette vie que de permettre qu'il réalise cette pensée funeste. »

Trois ans après, le pape mourut lorsqu'on s'y attendait le moins. Tout le monde se rappela alors la parole de Bellarmin. Sa fermeté avait atteint son but. Le pape voulut relire encore le livre de Molina et l'annota de sa main, mais il ne décida rien. Sa mort prévint une décision prématurée. On croit cependant qu'il avait, avant de mourir, abandonné son premier dessein. Peu de temps après sa conversation avec Clément VIII, Bellarmin fut nommé à l'archevêché de Capoue. Ses ennemis y virent une disgrâce : ses amis attribuèrent cette nomination aux instances de Baronius qui connaissait la pauvreté de Bellarmin et le savait hors d'état de soutenir son rang à Rome. Le pape voulut sacrer lui-même le nouvel archevêque. Il le fit le dimanche du Bon-Pasteur, et lui donna presque aussitôt le pallium. Il y avait trois ans que Bellarmin était cardinal. Il quitta Rome avec joie et n'y voulut rester que trois jours après sa consécration. Il passa ces derniers jours au Collège romain pour s'y retremper, comme il le disait, dans l'esprit apostolique, et partit pour Capoue un vendredi de l'an 1602.

A suivre : VII. Bellarmin ne fut que trois ans archevêque de Capoue…

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Message  Louis Jeu 24 Mai 2018, 7:40 am

ESSAI HISTORIQUE

VII

Bellarmin ne fut que trois ans archevêque de Capoue, et en ces trois années, il renouvela la face de son diocèse. Dieu lui avait sans doute révélé le peu de temps qu'il y devait rester, car quand il partit de Rome, il dit à ceux de ses amis qui pleuraient son départ, ou plutôt son exil : « Consolez-vous ; avant trois ans Dieu me rappellera ici. » Dès les premiers jours de son arrivée à Capoue, il fît dresser le catalogue des archevêques, et après le nom de son prédécesseur qui avait gouverné le diocèse pendant trente années, il fit mettre ces paroles : « Suit Robert Bellarmin qui occupa trois ans le siège de Capoue. »

Aussi ne voulut-il point perdre un seul jour de ces trois précieuses années. Il arriva à Capoue peu avant la fête de l'Ascension. Le jour de la fête, il monta en chaire, et commença d'expliquer les épîtres de la Messe. Il prêcha ainsi constamment tous les dimanches. La première année il expliqua donc les Épîtres, la seconde année les Évangiles, la troisième le Sermon sur la montagne. La foule ne se lassa pas de l'entendre une seule fois. On accourait de Naples à ses prédications, comme autrefois en venait d'Angleterre et de Hollande pour l'entendre à Louvain.

Il y avait, à la cathédrale, quarante chanoines, dont six seulement étaient prêtres. Bellarmin commença par eux la réforme qu'il méditait. Il leur fit si bien comprendre la dignité du sacerdoce, qu'il eut bientôt le bonheur de porter le nombre des chanoines-prêtres jusqu'à vingt, d'en ordonner dix diacres et les dix autres sous-diacres. Il leur donnait l'exemple en tout. Le premier au chœur, il y arrivait dès le milieu de la nuit, psalmodiait Matines avec eux, chantait la Messe lui-même les jours de fête, et montait ensuite en chaire. L'archevêque de Capoue était en même temps chanoine de sa cathédrale et avait part, à ce titre, aux distributions qui allaient environ à trente ducats. Bellarmin mettait cet argent à part pour ses aumônes particulières. « Il est à moi, disait-il, c'est moi qui l’ai gagné. » Et aussitôt qu'il l'avait reçu, il se plaisait à le distribuer lui-même à quelques personnes pauvres qu'il affectionnait. Il fit  restaurer et embellir sa cathédrale, rebâtir presqu'entièrement le palais de l'archevêché.

Il s'occupa ensuite de Capoue. L'amour du jeu y était porté à ce point qu'on y tenait des tables de jeu jusque sur les places publiques et dans les rues. C'était une source de désordres et de ruine pour les familles. Comme les magistrats percevaient un droit sur les maisons de jeu, Bellarmin ne savait trop comment abolir cet usage sans révolter toute la ville contre lui. Il s'adressa au vice-roi, et obtint un édit qui interdisait tout jeu public. Les mœurs gagnèrent à cette sage sévérité. La parole éloquente, les saints exemples de son archevêque firent le reste, et achevèrent la réforme de cette ville jusqu'alors si corrompue.

Bellarmin fit ensuite la visite de son diocèse…

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Message  Louis Ven 25 Mai 2018, 6:43 am

ESSAI HISTORIQUE

VII

(SUITE)

Bellarmin fit ensuite la visite de son diocèse. Il alla dans toutes les campagnes, et y retournait chaque année. Dès qu'il arrivait dans un village, il réunissait la population et montait en chaire. Si la foule était trop grande, il parlait du haut de quelque colline, ou sur la place publique. Après le sermon, il disait la Messe, distribuait la sainte Eucharistie et administrait le sacrement de Confirmation. Il faisait lui-même le catéchisme, apprenant ainsi aux pasteurs le grand art d'instruire l'enfance en l'intéressant. Il visitait les malades du village, les secourait, les consolait Aussi était-il adoré de tous ces pauvres gens, Ses prêtres avaient pour lui un amour qui égalait leur vénération. Bellarmin les traitait comme un père. Savait-il que l'un d'eux dût venir à Capoue, il le priait de descendre à l'archevêché où il donnait à tous l'hospitalité la plus généreuse. Il lui arrivait quelquefois d'aller chercher lui-même les ecclésiastiques qui se trouvaient de rencontre dans la ville pour les inviter à sa table. Tous les ans il réunissait ses prêtres en synode, pour dresser de sages règlements et leur donner des conseils. Il leur prêchait d'exemple, faisant devant eux le catéchisme dans la cathédrale aux enfants de Capoue. Une cure était-elle vacante, il assemblait ceux qu'il croyait le plus capables de la remplir, et la donnait au concours. Il avait eu soin d'assurer une retraite aux prêtres âgés ou infirmes, et pour recruter les rangs du sacerdoce, il faisait élever à ses frais un grand nombre d'enfants de familles pauvres, en qui il remarquait des dispositions religieuses.

De si précieux exemples eurent une heureuse influence sur les diocèses voisins. Les évêques de la province de Capoue se réunirent en concile provincial, et eurent la joie de voir tous les décrets qu'ils portèrent approuvés à Rome.

Ce pays avait, au reste, bien besoin d'une régénération semblable. Le jeudi-saint Bellarmin lavait les pieds à douze pauvres qu'il faisait ensuite habiller à neuf. Il trouva une fois parmi eux un homme de cent ans. Le cardinal se plut à l'entretenir et voulut lui faire réciter le symbole des Apôtres.

— Monseigneur, je ne le sais pas, dit le vieillard.

— Vous l'avez sans doute oublié, mon ami; à votre âge la mémoire n'est plus sûre.

— Non, Monseigneur, repartit ce pauvre homme, je ne l'ai jamais su, on ne me l'a jamais appris.

— Bellarmin ne put retenir ses larmes en pensant que pendant tout un siècle il ne s'était pas trouvé un pasteur qui se fût occupé de cette pauvre âme.

Il soulageait les misères corporelles avec non moins de charité que les spirituelles…

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Message  Louis Sam 26 Mai 2018, 6:41 am

ESSAI HISTORIQUE

VII

(SUITE)

Il soulageait les misères corporelles avec non moins de charité que les spirituelles. Il avait chez lui la liste de tous les pauvres de la ville. Quand il rentrait, il les trouvait ordinairement rangés en haie dans la cour de son palais et jusque dans ses escaliers. Son bonheur était de leur faire l'aumône lui-même.

Un jour un pauvre faillit le renverser en s'approchant brusquement de lui. Un domestique voulut le jeter à la porte : « Gardez-vous bien de le toucher, cria le cardinal avec animation ; ne savez-vous pas que les pauvres sont la prunelle de mes yeux ?» Il écrivait à son frère, Thomas Bellarmin : « Je suis le père des pauvres; » et il accomplissait à la lettre les devoirs de cette admirable paternité.

Il avait sur sa table une bourse pleine d'argent qu'il faisait remplir aussitôt qu'elle était vide : « Donnez toujours, disait-il à son intendant, c'est le moyen d'avoir toujours de quoi donner. » Un pauvre lui vola trente ducats : touché de remords, il avoua son crime et lui en fit faire des excuses : « Que ne me les demandait-il, répondit Bellarmin, je les lui aurais donnés de bon cœur. » Il fit cadeau de trente écus à un déserteur qui espérait faire sa paix au régiment avec cette somme. L'intendant de Bellarmin lui fit observer que probablement il serait trompé : « Ce n'est point à lui que je les donne, reprit le cardinal, c'est à Jésus-Christ qui ne me trompera point. »

Il faisait venir quelquefois les notaires de Capoue pour savoir les noms des prisonniers qui étaient retenus pour dettes, et la somme à laquelle ces dettes se montaient. Quand il avait reçu tous ces renseignements, si ses ressources le lui permettaient, il allait lui-même à la prison et rendait ces pauvres gens à leur famille.

Il visitait souvent les hôpitaux, consolant, soignant les malades.

Un jour un curé le vint prévenir qu'il y avait sur sa paroisse un malheureux qui se refusait à recevoir les derniers sacrements. Bellarmin y alla. Il trouva un homme qui se mourait dans le désespoir, laissant trois filles, jeunes, belles, dévouées à la misère et bientôt, peut-être, à la honte. « Mon ami, dit le cardinal, vous pouvez mourir en paix, c'est moi qui serai leur père. » Il les dota, les maria, et le pauvre père, réconcilié avec la Providence, mourut plein de joie.

Il prenait souvent dans sa garde-robe pour habiller les pauvres. Quand il lui en venait un qui était presque nu : « Cherchez bien, disait-il à ses domestiques, et vous trouverez parmi mes habits quelque chose qui lui aille : donnez-le lui. »

Dieu ne vit pas sans reconnaissance l'amour de son serviteur pour ses membres souffrants ; il le combla en récompense de dons admirables.

Il y avait dans le diocèse quelques personnes possédées du démon : Bellarmin les guérit toutes. Plusieurs malades qui se recommandèrent à ses prières furent guéris également. On raconte de sa puissance sur la nature plusieurs traits charmants qui peignent bien la bonté et la simplicité de ce grand homme.

Un jour qu'il se promenait sur les bords du Vulturne, il rencontra des pêcheurs qui lui parurent désolés. Depuis le matin qu'ils jetaient leurs filets, ces pauvres gens n'avaient rien pris. — Ne les retirez pas encore, mes enfants, leur dit l'archevêque; prenez courage. — Alors, avec une confiance toute divine, il appelle de sa voix et de sa main les poissons du fleuve ; les pêcheurs retirent leurs filets : ils étaient remplis.

Il y avait dans un village des environs de Capoue, un brave homme nommé Salvator…

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Message  Louis Dim 27 Mai 2018, 6:40 am

ESSAI HISTORIQUE

VII

(SUITE)

Il y avait dans un village des environs de Capoue, un brave homme nommé Salvator, qui tous les ans apportait à Bellarmin un panier de figues délicieuses. Une année, à peu près à l'époque où ce bonhomme venait, le cardinal le rencontra dans la cour de son palais. — Eh bien! mon ami, dit l'archevêque, vous m'apportez sans doute des figues? — Ah ! monseigneur, dit cet homme, je ne vous en apporterai plus jamais. Le feu a détruit la plupart des arbres de mon jardin, et entre autre mon pauvre figuier. — Et cet homme se mit à pleurer. Bellarmin, touché de sa peine, lui dit: — Allez le voir, mon ami, vous y trouverez quelque chose. — Hélas ! monseigneur, c'est bien impossible : c'est aujourd'hui un tronc desséché, calciné par le feu. — Allez-y toujours, reprit le cardinal. — Cet homme retourna aussitôt chez lui, et quelle ne fut pas sa surprise en retrouvant son figuier verdoyant, portant comme à l'ordinaire des fruits magnifiques. Il en cueillit aussitôt un panier et le porta plein de joie au saint archevêque à qui il attribuait ce miracle.

Le bruit de tant de vertus arriva bientôt aux oreilles de Clément VIII, et ranima l'ancienne affection qu'il avait eue pour Bellarmin. Il lui écrivit avec une grande bonté ; mais Bellarmin ne devait plus le revoir en ce monde, et le saint cardinal ne l'ignorait pas. Il arriva en ce temps à Capoue des dames de la plus haute noblesse, qui allaient à Naples pour une alliance de famille; Bellarmin, qui les connaissait, les envoya saluer à l'hôtel où elles étaient descendues. L'officier de sa maison qu'il avait chargé de ce soin, croyant entrer dans les intentions de son maître, leur exprima tout le regret qu'il avait de ce qu'elles eussent choisi un autre logis que l'archevêché. — Eh bien ! au retour, dirent ces dames, nous irons lui demander l'hospitalité. — L'officier, tout joyeux, rapporta cette promesse au saint archevêque. —  Vous m'avez mis dans un grand embarras, lui répondit Bellarmin; vous auriez dû vous rappeler que je me suis fait une loi de ne loger aucune femme dans ma maison. — Il réfléchit un instant, et ajouta : — Mais quand doivent-elles repasser à Capoue ? — Dans six semaines environ, monseigneur, répondit l'officier. — Oh! alors, me voilà tranquille, reprit Bellarmin en souriant; car dans six semaines je ne serai plus à Capoue.

Quelques jours après, en effet, on apprit la mort de Clément VIII, et Bellarmin fut appelé au Conclave. Il monta en chaire pour faire ses adieux à son peuple. « Je vais à Rome, leur dit-il, et je sais que je ne vous reverrai plus. » À ces mots, des sanglots éclatèrent par toute l'immense cathédrale, et Bellarmin lui-même ne put se défendre de mêler ses larmes à celles de ce peuple qu'il avait tant aimé.

Le lendemain, tout Capoue voulut assister au départ de son archevêque, et lui dire un dernier adieu. Les pauvres remplissaient la cour de son palais, et pleuraient comme on pleure un père. La noblesse, la bourgeoisie, le peuple, confondus ensemble, se jetèrent à genoux pour recevoir encore une fois sa bénédiction. Quand la voiture s'ébranla pour quitter l'archevêché, la douleur ne connut plus de bornes, et il fallut employer une sorte de violence pour lui ouvrir un passage à travers les rangs pressés de la foule. Alors ne pouvant l'arrêter, tous voulurent le suivre, ils l'accompagnèrent au-dehors de la ville aussi loin qu'ils purent aller, et leurs yeux le cherchaient encore, lorsque déjà il avait disparu.

A suivre : VIII. Le Conclave s’ouvrit aussitôt…

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Message  Louis Lun 28 Mai 2018, 7:15 am

ESSAI HISTORIQUE

VIII

Le Conclave s'ouvrit aussitôt; Bellarmin y eut plusieurs voix, mais son saint ami, le cardinal Baronius, faillit emporter tous les suffrages, et cette élection eût comblé les plus chers vœux de Bellarmin. Baronius eut à un scrutin jusqu'à trente-deux voix; il n'y avait plus de doute que le reste du Sacré-Collège ne s'y fût réuni, lorsqu'il reçut l'exclusion de l'Espagne. Léon XI fut alors élu : mais ce pape étant mort presque aussitôt, Bellarmin fut obligé de rentrer au Conclave.

Cette fois, tous les suffrages se portèrent sur lui; c'était, avec Baronius, l'homme le plus éminent du Sacré-Collège ; il avait en Europe une réputation immense, et son élection eût rehaussé encore la gloire de la papauté. Henri IV la désirait passionnément. Il savait la conduite modérée que Bellarmin avait tenue à Paris pendant les troubles de la Ligue. Ses amis regardaient son triomphe comme assuré. Pour lui, il ne s'en occupait même pas. Il priait Dieu dans sa cellule de détourner de lui une dignité si redoutable. Et comme ses amis lui reprochaient son indifférence, il leur répondit doucement : « Si pour être pape il fallait lever un fétu de paille, je ne le lèverais pas. »

Un jour que son élection paraissait inévitable, il fit vœu de n'appeler à Rome aucun membre de sa famille, et de n'en élever aucun aux dignités de l’Église.

Dieu exauça ses prières, il ne fut point élu. Plus tard on lui montra une relation du Conclave, où l'on disait que son air trop simple avait détourné quelques cardinaux : il prit le papier en souriant, et écrivit au bas : Heureuse simplicité qui m'a délivré d'un si grand fardeau !

Le nouveau pape, Paul V, le retint à Rome pour s'éclairer de ses conseils. En vain Bellarmin, qui recevait de Capoue les lettres les plus touchantes, voulut-il revoir son cher troupeau. Le pape ne le lui permit pas, de peur qu'il ne revînt jamais. Il lui offrit de choisir un coadjuteur et de conserver les revenus de l'archevêché qui allaient à dix mille ducats ; mais Bellarmin refusa de garder la dot de son épouse après s'en être séparé. Il donna sa démission, ne se réserva aucune pension ; et comme le pape lui avait laissé le choix de son successeur, malgré les instances de sa famille qui lui proposait un de ses neveux entré déjà dans l’Église, il choisit un étranger qu'il crut plus digne, voulant à la fois et remplir son devoir et donner à son peuple un dernier témoignage d'affection.

Deux grandes affaires occupèrent surtout Bellarmin pendant son séjour…

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