Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
On entend bien qu'en recommandant ainsi le silence, c'est du silence intérieur qu'il est question, celui qu'il faut imposer à son imagination, à ses sens pour ne pas être à chaque instant projeté, malgré soi, hors soi.
Si l'on garde perpétuellement le four ouvert, suivant la comparaison de sainte Thérèse, toute la chaleur s'enfuit. Il faut longtemps pour attiédir l'atmosphère, il suffit d'un instant pour que toute la tiédeur s'en aille. Une fissure à la paroi, l'air glacé s'engouffre. Tout est à refaire, à reconquérir.
Une excellente protection de ce silence du dedans est le silence du dehors. Et c'est la raison des grilles et des cloîtres. Mais au milieu même du bruit, chacun peut porter autour de soi une zone de désert, une auréole de solitude qu'il ne laisse percer qu'à bon escient.
L'inconvénient n'est point le bruit, mais le bruit inutile ; ce ne sont point les conversations, mais les conversations inutiles ; ce ne sont point les occupations, mais les occupations inutiles. En l'espèce, tout ce qui ne sert pas nuit déplorablement. Donner à l'inutile ce qu'on pourrait donner à l'Essentiel, quelle trahison, et quel contre bon sens.
Il y a deux façon de s'éloigner de Dieu entièrement différentes, d'ailleurs, mais à un certain point de vue désastreuses toutes deux, c'est le péché mortel et la distraction : le péché mortel qui rompt objectivement notre union avec Dieu ; la distraction volontaire qui le rompt subjectivement ou l'empêche d'être aussi intense qu'elle pourrait être. Il faudrait ne parler que là où se taire n'est point préférable. L'Évangile ne dit pas seulement qu'il nous sera demandé compte d'une parole mauvaise, mais de toute parole oiseuse.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Il faut "tayloriser" sa vie, comme parlent les modernes ; c'est-à-dire en supprimer tout ce qui diminue le rendement ; la vie spirituelle plus que tout le reste, car c'est le plus important. Quand on songe à l'intérêt que prennent la plupart des gens à ce qui n'a aucun intérêt, aux bruits de la rue, aux gesticulations de quelques pantins, au vide flagrant ou tendancieux de la plupart des imprimés quotidiens on croit rêver. Quelle félicité tout à coup dans le monde, si, par un hasard inespéré, subitement tous les bruits inutiles s'éteignaient ! Si seulement cessaient de parler ceux qui parlent pour ne rien dire. Quelle délivrance ! Ce serait le paradis. Les cloîtres ne sont ce qu'ils sont que parce qu'on y apprend à se taire. On n'y réussit pas toujours ; mais du moins on apprend et c'est beaucoup déjà. Ailleurs on n'apprend même pas. Non que parler ne soit un grand art et la conversation un précieux agrément, le plus précieux peut-être de l'existence. Mais usage n'est point abus. D'aucun ont réclamé pour fêter l'armistice ou le soldat inconnu quelques minutes de silence ; ce silence était consécutif à la victoire. Si le monde apprenait à se taire, que de victoires intérieures seraient consécutives à cette pratique du recueillement. Celui qui garde sa langue, dit saint Jacques(1), celui-là est une manière de saint. Peu d'âmes parfaites parce que peu d'âmes de silence. Silence égale perfection. Pas toujours, mais souvent. Faites l'expérience, elle vaut la peine. Vous serez étonné du résultat.
(1). Qui non offendit lingua, hic perfectus est vir. (I, Jac. X, 19). Il dit encore : Sit homo velox ad audiendum, tardus autem aa loquendum. Soyez prompts à écouter, lents à parler. On prend d'habitude exactement le contre-pied. Tout le monde parle. Personne n'écoute, notamment Celui qu'il faudrait écouter partout, le Maître intérieur._______
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
DEUXIÈME PARTIE
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La Pratique
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I. - Bien faire son oraison ;
II. - faire de tout une oraison ;
III. Semer en tout de l'oraison.
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Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
CHAPITRE I
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Assurer son oraison
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I. - Préparer son oraison.
II. - S'activer à l'oraison.
III. - Persévérer dans l'oraison.Une légende qu'il faut détruire, c'est que faire oraison est difficile.
Rien n'est plus facile ; encore faut-il savoir s'y prendre.
Non que nous voulions nier les difficultés de l'oraison - difficultés de l'oraison pour le commun d'entre nous, difficultés de l'oraison pour les âmes de prière élevée.
A ces dernières, nous ne nous adressons point dans ce modeste travail. Qu'il nous suffise de renvoyer aux pages dramatiques de saint Jean de la Croix où les laborieux détachements des "purifications" successives sont décrits avec l'autorité d'un saint et d'un saint ayant vécu chacune de ces étapes où le Calvaire est voisin du Thabor.
Restent les difficultés pour le commun d'entre nous. Elles proviennent la plupart du temps de ce qu'on manque d'une méthode pour prendre contact avec les réalités du monde invisible, ou bien de ce qu'on manque de courage pour s'activer durant la prière, ou de persévérance pour demeurer devant Dieu dans la sécheresse et le manque de douceur.
Savoir préparer son oraison;
Savoir s'activer à l'oraison ;
Savoir persévérer dans l'oraison.
Toute la technique de la prière revient à la mise en application de ces trois formules.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
I
Préparer son oraison.Nous avons dans les pages qui précèdent soigneusement distingué deux cas - recueillement qui résulte d'une largesse particulière de Dieu, recueillement qui résulte de l'effort de l'homme avec l'habituel secours de Dieu.
Il est clair que dans le premier cas, puisque, par hypothèse, c'est Dieu qui fait tout, la part du déploiement humain pourra être réduite au minimum. La sagesse demandera simplement de tenir en réserve un sujet de conversation au cas ou Dieu cesserait d'entretenir l'âme de lui-même. Chercher, au cours des communications du Saint-Esprit, à vouloir insérer ses propres réflexions ou questions, ne peut que gêner, ne peut en tout cas être bien utile. Puisqu'il y a contact, à quoi bon chercher à le provoquer ; puisque le soleil luit, à quoi bon tourner le bouton électrique ?
Restez tranquille. Écoutez ; ce qui ne signifie nullement ne rien faire, telle est la règle.
Tout autre se présente le cas du recueillement qui résulte de notre propre travail. Dieu est tout proche mais caché, comme à l'habitude. Il attend de nous, pour se révéler, que nous percions nous-mêmes l'écran qui le voile.
Se mettre à genoux, et attendre sans plus, ce sera souvent attendre en pure perte. Aide-toi, le ciel t'aidera.
Comment s'aider ?
Voici. Ce sera :
Ou une idée.
Ou un fait.
Ou un texte.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Une idée. L'idée de la mort, par exemple. J'ai une mémoire, une intelligence, une volonté. Je mets en exercice, à propos de cette idée, ces trois facultés. Mémoire (et imagination) : Je cherche à me rappeler tout ce que je sais sur la mort, ses circonstances, sa rapidité, son imprévu. Je me représente la scène, l'ensemble, les détails.... Intelligence : On meurt... Donc moi aussi, je mourrai... Suis-je mortel, oui ou non ? Oui. Donc je mourrai. Moi actuellement si vivant, etc.... Volonté. Puisque je dois mourir, il me faut vivre comme devant mourir, donc devant me détacher de tout. Actuellement suis-je détaché ? etc.
Nous avons pris cet exemple. Mille autres foisonnent... Pour tous on procèderait de même.
Non, qu'on le remarque bien, en vertu de je ne sais quel exercice factice artificiel. Le procédé, si procédé il y a, est celui qu'emploie tout homme raisonnable quand il réfléchit. Il cherche à se souvenir, il lie entre elles par induction ou déduction les données que lui fournit la mémoire et décide en conséquence ce que la raison commande(1).
Crier à la mécanisation, c'est oublier que parler est très simple ; mais qu'expliquer comment prononcer voyelles et consonnes ne l'est pas autant.
La théorie du maniement d'armes paraît compliquée ; le maniement d'armes est très simple(2).
Cette manière de faire oraison s'appelle la méditation. La méditation, au sens précis du mot, car on emploie encore l'expression méditation dans un sens plus compréhensif, englobant toutes manières en général de traiter avec Dieu, et comme synonyme d'oraison. On dira : faire sa méditation, c'est-à-dire non pas s'appliquer exclusivement à "l'exercice des trois puissances", mais vaquer à la prière mentale sous quelque forme que ce soit.
(1). Saint Ignace appelle cet exercice l'Exercice des Trois Puissances.
(2). Voir dans Surin : L'amour de Dieu, Liv. I, ch. VII, les méthodes, ch. IX, leur utilité (et la limite de cette utilité).
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Une de ces formes s'appellera la contemplation - ici encore au sens restreint du mot, car, pour beaucoup, "contemplation" spécifie l'oraison chez les âmes élevées.
La contemplation, au sens ignatien, est la mise en œuvre de l'esprit à l'oraison, non plus en s'aidant d'une idée, mais d'un fait.
Voici par exemple l'Annonciation, ou tel autre récit de la vie de Notre-Seigneur, de la Très Sainte Vierge. Il sera bon, pour ne pas s'encombrer et avoir de l'ordre, de diviser le mystère : Commencement, milieu et fin ; ou bien : Avant, pendant, après. Et dans chaque partie, ou chaque point, de prendre pour cadre : Personne, paroles, actions.
Annonciation. Début (c'est-à-dire avant l'apparition de l'ange). Les "Personnes" : une seule, Marie - Je regarde... Et d'abord sa silhouette extérieure... l'ensemble, quel recueillement... Puis je détaille : son front..., ses yeux, ses mains...Est-ce difficile, cela ? Mieux encore, le dedans : ses pensées..., son cœur..., etc... Qui n'est capable, en s'aidant de ce facile procédé, de pénétrer à l'intime du mystère ?
Les "Paroles" : Aucune... J'écoute ce silence. Je m'y baigne. Non in commotione Dominus. Dieu ne se communique pas dans le bruit. Ne l'ai-je pas moi-même constaté souvent !...
Les "Actions" : aucune.
Et je continue, suivant le besoin. Deuxième point : la venue de Gabriel... Ici, ce seront les "paroles"... Je les prends, je les sonde, une à une...
Difficile !... Mais essayez, voyons ; essayez loyalement, sans vous laisser arrêter au premier effort. Je vous garantis que si vous préparez vos entretiens avec Dieu et si vous avez le courage de persévérer, l'oraison ne vous paraîtra pas difficile. Il y a des difficultés dans l'oraison. Elles ne viennent pas de là. Contempler, qu'est-ce autre chose que regarder. Vous savez regarder ?... Eh bien! ouvrez grand les yeux. Ce monde obscur de la foi est plus lumineux que vous n'imaginez. Il ne faut que vouloir voir.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Je puis, pour aller à Dieu dans l'oraison, m'aider d'un fait ou d'une idée. Autre moyen, m'aider d'un texte. Un psaume par exemple, une prière usuelle dont on veut revivifier le sens, un verset d'Imitation, ou, pour ceux qui veulent approfondir le mystère de "Dieu en nous", telle ou telle formule prise dans Vivre avec Dieu(1).
Méthode excellente pour les débutants et pour gens fatigués : méthode bonne pour tous, à condition que l'on se force à ne plus lire dès qu'on sent monter une réflexion personnelle ou une affection.[2]
Beaucoup de personnes qui méditent arrivent à l'oraison sans avoir préparé leur oraison. Nous avons dit plus haut que c'était une erreur psychologique.
C'est de plus une indélicatesse(3). Je vais avoir un entretient avec Dieu. Avec Dieu, il importe de souligner. Avec le Maître de tout. Supposez qu'un grand personnage vienne dans une ville. Croyez-vous que celui qui a mission de le recevoir se dise : "Inutile de rien préparer. Nous nous en tirerons toujours !" Appliquez, et avec quel a fortiori, au cas qui nous occupe.
(1). [Petit ouvrage publié par l'auteur même, Raoul Plus, en 1920] Sorte de petite Imitation dont toutes les pensées se rapportent à la présence en nous des Trois Personnes divines, du fait de notre état de grâce. Apostolat de la Prière. Toulouse.
[2]. [Note de Roger : Lire ici, si l'on veut, la 25e Rose, no 75 à 78, du Secret Admirable du Très saint Rosaire : https://messe.forumactif.org/t426-le-secret-admirable-du-tres-saint-rosaire-pour-se-convertir-et-se-sauver#5942 ]
(3). P. Lancicius, Jésuite polonais du XVIIe siècle et maître en ascétisme, le déclare formellement. "Il y a négligence dans la méditation : "Si la préparation des points n'a pas été faite (dans un livre ou dans la mémoire) avec l'attention convenable" ; etc...
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
II
S'activer à l'oraison.Même quand on a préparé et qu'on s'est préparé, ne pas croire que le simple fait de se mettre au prie-Dieu va nous ouvrir en un instant les trésors du Monde invisible. Les perles ne se donnent pas pour un sou. Il faut s'ingénier, s'appliquer, d'un mot s'activer.
On dit très exactement les "exercices de piété", et en homme averti, saint Ignace a intitulé son livre de perfectionnement chrétien : les Exercices Spirituels.
En réalité très peu s'exercent vraiment, c'est-à-dire se forcent à un travail personnel, durant l'oraison. Pour beaucoup, "faire sa méditation" c'est parcourir d'une manière plus ou moins passive les considérations plus ou moins excitantes ou endormantes de l'auteur.
Il y a quelques livres de méditation bien faits. Il en existe ; il n'en existe pas beaucoup(1). Souvent, les développements sont trop longs, trop compliqués, trop littéraires, trop filandreux ; parfois trop ardus, trop abstraits, avec luxe d'appareil théologique qui rebute, un air renfermé ou archaïque, - "irréel", diraient les Anglais. D'où réflexion de certains : "Si ma méditation à moi doit consister en une de ces dissertations, je préfère y renoncer tout de suite. Jamais je n'arriverai."
Mettons que ceux qui raisonnent ainsi sont trop sévères ; il faut reconnaître que certains manuels de méditation ont contribué pour une part à donner de l'oraison une idée fausse, l'idée de quelque chose de rebutant, d'alambiqué, d'impraticable, qui n'a vraiment qu'un rapport très lointain avec la définition donnée par sainte Thérèse : " un entretien cordial avec Dieu," ou avec la réponse de ce brave homme au curé d'Ars : "Je l'avise et Il m'avise"(2).
(1). Les méditations affectives et pratiques sur l'Évangile, 4 vol., Vitte, par l'auteur de "La Méthode Progressive" (Chan. Beaudenon), seraient, au dire des bons connaisseurs, parmi les plus utiles. - Tous connaissent également les excellentes plaquettes du R. P. Parra : Béthenie et Tibériade (Apostolat de la prière, Toulouse).
(2). "Qu'est-ce que la foi", demandait-on au curé d'Ars. - "C'est quand on parle à Dieu comme à un homme". Excellente explication qu'il convient de toujours se rappeler.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Voici pour notre part ce que nous conseillerions. Ne se servir d'un livre que si vraiment on ne peut faire autrement. La raison pour laquelle on trouve rarement bien composé son manuel de méditation n'est pas tant qu'il soit mal rédigé, mais il est rédigé par un autre. Or rien de plus personnel que la prière. Ces sentiments que l'auteur me suggère, ils ne me disent rien. Je crois bien : ce sont les siens ; ils ne correspondent pas nécessairement avec les vôtres. Pourquoi à propos du sujet que vous méditez, en appelez-vous aux développements, aux pensées, aux sentiments d'autrui. Autrui a peut-être de bonnes idées. Mais n'y a-t-il pas vous ? Pourquoi ne pas chercher à tirer de vous, ce que lui a tiré de lui ; qui, à lui, lui a peut-être et sans et sans doute fait du bien, mais ne possède avec votre âme à vous, en ce moment, qu'un rapport trop lointain. Si, après avoir loyalement cherché à vous exploiter, vous ne trouvez rien, appelez-en à la pensée d'autrui, rien de mieux. Mais de grâce, faites-vous assez crédit à vous même pour d'abord chercher à tirer de votre propre fond ce que vous voulez dire à Dieu !(1)
Un enfant qui veut parler à sa mère, commence-t-il par se jeter sur une bibliothèque pour y chercher un "guide de conversation" ou un "recueil de compliments" ? Non, n'est-ce pas. Il tire de lui-même ses sourires et ses balbutiements ; et la mère se manifeste bien plus contente de ces riens imparfaits que de belles pensées "irréelles" qu'il aurait trouvées dans un texte imprimé.
Ce que nous dirons au bon Maître ne sera pas de Bossuet. Ce n'est pas nécessaire. Mais si nous y mettons tout notre cœur, nos pauvres mots trouveront le chemin de la Vie, assurément. Et, pour nous, quel profit autrement plus considérable.
(1). Maman, demandait la petite Anne de Guigné à sa mère, voulez-vous me permettre de prier sans livre pendant la messe ?
- Pourquoi ?
- Parce que je sais par cœur les prières de mon paroissien (elle n'avait pas sept ans) et que je suis souvent distraite en les lisant, tandis que, lorsque je parle au bon Jésus, je ne suis pas distraite du tout : c'est comme quand on cause avec quelqu'un, maman, on sait bien ce qu'on dit. (Notice, par le P. Lajeunie, O.P.)
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Puisque, - sauf attraits différents, - le sujet-type de nos méditations, au long d'une année, ce sont les mystères de la Vie de Notre-Seigneur, en harmonie avec le développement de la sainte Liturgie, un bon moyen pourrait être de se munir, comme livre de fond pour l'oraison, de l'Évangile, tout simplement. Nous signalons entre beaucoup le petit volume du chanoine Weber : Les Quatre Évangiles en un seul. Il existe des éditions très maniables, occupant peu de place. L'ouvrage présente cet avantage : de donner en un récit unique, évitant les redites, la vie du Sauveur, de diviser d'une façon très claire les différentes parties, et dans les différentes parties chaque épisode ou chaque enseignement formant un tout.
Avec ce mince volume comme base(1), et la pratique - très facile avec un peu d'usage - de l'une ou l'autre des méthodes indiquées au paragraphe précédent, à savoir s'il s'agit d'une idée, "l'exercice des trois puissances", s'il s'agit d'un épisode historique, la "contemplation", ou s'il s'agit d'un texte, l'exploitation plus ou moins fouillée ou rapide de telle ou telle sentence du bon Maître(2), on a, semble-t-il, tout ce qu'il faut pour parvenir, si vraiment l'on est résolu à s'exercer, à s'activer au lieu de rester passif, à une excellente oraison.
Notons d'ailleurs que s'activer à l'oraison ne veut nullement dire "se mécaniser", pour employer la vilaine expression de certains. Que tels ou tels, par excessif respect pour la méthode préfèrent se passer au laminoir que de laisser en eux libre jeu au Saint-Esprit, cela prouve non que les méthodes ne valent rien, mais qu'il existe des maladroits. Ne pas juger un usage par ses abus.
(1). Pour nourrir les développements, indiquons, sans préjudice d'autres commentateurs, les volumes de tout premier intérêt de la collection Verbum salutis : S. Marc, par le P. Huby ; S. Matthieu et S. Jean, par le P. Durand ; S. Luc, par le P. Valensin (Beauchesne).
(2). Évidemment, si nous suggérons à titre de sujet principal, suivant en cela les maîtres de la vie spirituelle, la méditation, au long de l'année, de la Vie de N.-S., nous ne voulons être en rien excessif ? D'aucuns aimeront à prendre soit telle pensée ou parole de la messe du jour, tel psaume, etc... Tout sujet est bon qui nourrit vraiment l'âme ; toute méthode est bonne qui obtient de salutaires résultats.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Il est trop clair que si, ayant sagement préparé son sujet d'oraison, - comme nous avons dit que par sagesse psychologique et par déférence pour le Maître, il convenait de le faire, - Lui, le Maître, se charge de substituer au sujet préparé par nous un sujet préparé par Lui, la règle est de s'adapter à l'indication d'en haut et non de s'attacher coûte que coûte à ce qu'on a prévu. Ce qu'on a prévu doit toujours l'être sous réserve de ce que, de Lui-même, il plairait au Maître intérieur de suggérer, et qui Lui paraît, à Lui, préférable. Toujours suivre le Saint-Esprit sans prétendre lui imposer nos façons de faire.
L'activité sera, dans ce cas, non d'insérer maladroitement son texte à soi dans la conversation, mais de laisser place libre à la leçon que Dieu veut donner. L'activité sera de faire taire une activité maladroite. L'activité sera non tant de parler que d'écouter. Il y a des bavards, à l'oraison comme ailleurs. N'en soyons point. S'il plaît au Seigneur d'instruire plus ou moins directement notre âme et sans se soucier de nos préparatifs, ne gênons point son action. Donnons-lui seulement, en intensifiant notre silence intérieur, l'occasion de bien faire entendre tout ce qu'il veut faire entendre. "Fais-toi capacité, je me ferai torrent", disait Notre-Seigneur à une âme(1) ; ou encore, à sainte Marguerite-Marie : "Mets-toi devant moi comme une toile d'attente." - Fais-toi, mets-toi ; une passivité ainsi entendue est singulièrement active et tout-à-fait de bon aloi.
En résumé, nous exploiter au maximum quand le Saint-Esprit nous laisse à nos propres moyens. Quand il fait mine de vouloir se passer de notre action, nous mettre humblement à sa disposition et nous prêter le plus généreusement possible à tous ses vouloirs.
(1). Mère Marie Ponnet, Visitandine de vaissieux. caluire. (Rhône).
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
III
Persévérer dans l'oraison.Déjà deux conditions importantes du succès sont supposées remplies. On est décidé à préparer son oraison et à s'y activer.
Reste à y persévérer.
Il en va de notre atmosphère d'âme comme de l'atmosphère qui entoure nos corps. Ce n'est pas toujours le grand soleil. On compte bien des jours gris, sans parler de périodiques retours de l'obscurité.
Distinguons donc les trois cas : oraison consolée, oraison désolée, oraison calme.
Persévérer dans la prière quand Dieu console, rien de plus facile. Nous nous en voudrions d'insister.
Signalons pourtant quelques écueils, qui vont d'ailleurs non tant à faire abandonner l'oraison qu'à en diminuer le profit.
Voici le premier : confondre la consolation sensible avec les vraies touches de recueillement infus, et s'imaginer, parce que l'on a eu des "goûts" dans l'oraison, que l'on a été favorisés de grâces mystiques. Cela peut avoir eu lieu, mais pas toujours. A ces cas s'applique le conseil de saint Jean de la Croix. Après avoir dit "Ne vous éloignez jamais d'une amoureuse attention sur Dieu", parole qui ne vient pas ici à notre sujet, il ajoute, ce qui y vient tout-à-fait : "Mais ne désirez d'en obtenir aucune chose singulière."
Est-ce à dire qu'il ne faille pas désirer l'union la plus grande possible avec Dieu ? Si fait. Mais autre chose pour adopter la division des théologiens, désirer une plénitude sans cesse plus large de la grâce sanctifiante, gratia gratum faciens, ce qui est tout-à-fait conseillé, et désirer bénéficier des grâces "gratuitement données", gratioe gratis datoe, visons, révélations, etc..., ce qui serait imprudence. Saint Jean de la Croix fait évidemment allusion à ces dernières.
En général d'ailleurs, les âmes aux prises avec les authentiques faveurs mystiques sont loin, surtout au début, de les désirer. Celles-ci leur font plutôt peur. Au directeur éclairé de donner confiance s'il voit qu'il a devant lui une piété solide et de la mystique vraie. Ces deux éléments réunis sont moins rares que certains intransigeants ne prétendent ; moins fréquents que certains optimistes n'imaginent.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Autre écueil de l'oraison consolé : Croire que Dieu est content parce que soi-même on est satisfait.
Hier, on a été aux prise avec d'obsédantes distractions ; on a lutté d'ailleurs et courageusement. On sort de l'oraison sans grand enthousiasme... Aujourd'hui l'on a été "au septième ciel" : consolation d'un bout à l'autre ; très peu d'efforts d'ailleurs, Dieu faisait tout.
Ce serait naïveté de conclure : la méditation d'aujourd'hui est bien supérieure à celle d'hier. En réalité, la méditation vaut ce que vaut, au moment, l'intensité de notre charité, et il est très possible qu'hier en luttant j'ai mis en jeu plus de charité vraie qu'aujourd'hui en recevant. Théoriquement, ce n'est pas l'effort qui constitue la mesure du mérite, mais la charité. Pratiquement, la mesure de la charité et donc du mérite - ce sera l'effort.
Le P. Lancicius, dont nous avons invoqué déjà le témoignage à propos de la préparation de l'oraison, note très exactement : "N'avoir trouvé aucune pieuse affection, et s'accuser, pour autant, d'avoir mal médité, c'est un scrupule que l'on ne doit pas accepter." Voici d'après lui ce qui mérite reproche :
"Si avant la méditation nous ne repoussons pas les pensées étrangère(1) ;
"Si dans la méditation nous ne repoussons pas les distractions au premier avertissement de la conscience ;
"Si nous ne méditons pas tout le temps marqué ;
"Si notre posture est insuffisamment respectueuse et telle que nous rougirions d'être surpris par une personne spirituelle ;
"Si nous permettons à nos yeux de regarder ce qui se passe, à nos oreilles, d'écouter ce qui se dit autour de nous."
Et il conclut, - ce qui calmera les inquiétudes de plusieurs et stimulera le zèle de certains - "Hors de ces cas, la méditation est toujours bonne. "
(1). Il se place dans l'hypothèse où l'on fait sa méditation peu de temps après le lever.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
A côté des moments de "consolation", il faut compter avec la "désolation". Elle constitue la grosse pierre d'achoppement de la plupart des ferveurs.
Il importe de connaître le dispositif ordinaire de Dieu pour la montée des âmes. A l'origine, le plus souvent, il comble. Pour donner l'idée de ce qu'il est, affranchir de la tyrannie des apparences, permettre de prendre goût à l'invisible, il sème à profusion les faveurs : attirances nombreuses et réconfortantes, chaleur ardente, désir de renouer l'entretien interrompu... L'âme se sent attirée. Comment ne se plairait-elle pas en si douce compagnie ? Le mot du Thabor monte involontairement aux lèvres : " Il fait bon d'être ici."
Mais voilà que tout change... Après avoir duré plus ou moins longtemps, les attraits cessent, ici brusquement, là de façon plus ou moins progressive. Après le grand soleil, une sorte de nuit, d'autant plus sombre que la lumière précédemment s'était montrée plus éclatante. L'impression de quelqu'un qui pénètre, venant du jour cru, dans un tunnel ou une cave.
C'est ici que Dieu attend les âmes. Certaines - le grand nombre - décontenancées, moins vraiment pieuses au fond qu'il ne semblait, et qui ne suivait Dieu beaucoup plus pour ce qu'il accordait que pour Lui-même, abandonnent tout maintenant qu'elles ne trouvent plus à l'oraison les faveurs escomptées. Elles se croyaient, et peut-être les croyait-on, généreuses ; elles étaient, au moins en partie, imperceptiblement égoïstes. Ce n'est point Dieu qu'elles cherchaient, mais elles-mêmes.
Or, Dieu veut qu'on regarde - si l'on ose dire - non à ses mains, mais à son cœur ; non à ce qu'il donne, mais à ce qu'il est. Voilà pourquoi, justement, il retire, à l'occasion, ses faveurs apparentes, abandonnant aux ressources de la pure foi. Il veut se rendre compte si l'âme le cherche, Lui, et non ses dons. Dieu veut être seul dans l'âme. Il veut être aimé pour Lui-même, et voilà pourquoi tôt ou tard, aux âmes qu'il veut élever aux suprêmes degrés de l'oraison, il se plaît à tout retirer, tout, pour que l'âme demeure seule avec Lui seul. De là, ces étranges purifications, purifications actives, purifications passives (nuit des sens, nuit de l'esprit) par lesquelles Dieu fait passer(1). Dieu veut arriver à ce qu'il n'y ait plus en l'âme que Lui. Quand les auteurs nous parlent de la solitude de Dieu dans l'âme, c'est à cette divine exigence qu'ils font allusion.
Heureux ceux qu'une générosité assez experte et assez ardente maintient orientés vers le but, et qui persévèrent, inlassables, malgré les épreuves parfois étrangement dramatiques des aridités et des désolations.
Mais qu'on le sache bien. Là se fait la démarcation des vrais "intérieurs". Foin d'une piété qui ne s'exerce que quand "ça plaît". Et s'il en est, parmi les lecteurs de ces pages, qui présentement luttent dans la nuit, à côté du sauveur, sous les Oliviers de l'Agonie, qu'ils sachent que, de leur persévérance, dépend l'obtention de grâces dont ils ne soupçonnent pas la valeur et qui dépassent en énergie sanctificatrice tout ce qu'ils peuvent rêver.
(1). Et que nous n'avons point à décrire ici, renvoyant, pour l'étude de l'oraison mystique, aux auteurs compétents, en tout premier lieu à saint Jean de la Croix. Parmi les modernes : Maumigny : Pratique de l'Oraison mentale, le tome II ; Dom Lehodey : L'Oraison mentale, etc...
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Reste à dire un mot de la prière calme.
Y persévérer demande évidemment moins d'efforts que la prière désolée. Mais elle en réclame encore.
Cela tient d'abord à ce que l'Invisible, à moins d'un très grand esprit de foi, ne nous attire guère, et que se mettre à la prière, c'est chercher le contact avec l'Invisible.
Au surplus, pour l'atteindre, cet Invisible, ou même simplement le chercher, il faut rompre avec le décor d'apparences où se plaît notre goût du sensible. Moïse, pour aller trouver Dieu, quitte ses sandales au bas du Sinaï, et, laborieusement, se sépare de la plaine. Monter nous fait peur ; nous aimons le terrain plat, et préférons marcher commodément chaussés. Combien d'ailleurs, s'ils étaient sincères, devraient quitter plus que leurs sandales !
Mais supposons l'âme généreuse. Une difficulté d'un tout autre ordre risque de paralyser les élans. Adorer, louer, remercier... elle voudrait bien. Peut-être même n'a-t-elle pas de plus profond désir. Mais avec quoi louer ; avec quoi remercier ; adorer avec quoi ? Elle n'a rien. Elle est la pauvreté même. Comment jamais égaler sa pauvre prière aux dimensions de l'Infini de Dieu ; comment faire monter là-Haut quelque chose qui en vaille la peine, qui ne soit pas une dérision, presque une insulte. Dieu est Dieu. Elle est... elle. Comment oser se présenter, elle, devant tout ce qu'Il est, Lui ? C'est la lutte de Jacob avec l'Ange. On est vaincu d'avance. L'Ange est toujours victorieux.
Beaucoup trop dans leur prière manquent d'intelligence de la prière, ou si l'on veut, beaucoup trop manifestent dans leur prière, qu'ils n'ont n'ont pas suffisamment compris ce que saint Paul appelle : le Mystère chrétien, c'est-à-dire le mystère de notre incorporation au Sauveur Jésus, de notre "identification" avec Notre-Seigneur dans l'unité d'un seul Corps mystique : "Je suis le cep, vous les rameaux. Le Christ est le tronc, nous les membres."
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Pour qui vit dans la lumière de cette doctrine splendide, la difficulté que nous énonçons n'existe pas. En vérité, s'il s'agit d'aimer Dieu, de le louer avec du "moi" ou du "mien", j'en suis bien incapable, et mon hommage avant de quitter la terre doit s'avérer impuissant. Aussi bien n'est-ce pas ce qui m'est demandé. Seul Jésus-Christ est capable d'offrir au Père une gloire digne du Père. Mais avec ce Jésus-Christ, par une miséricorde insigne, je ne fais qu'un. Non seulement Notre-Seigneur, pour nous sauver, s'est fait l'un de nous, mais il a voulu faire de chacun de nous quelque chose de Lui. Voilà qui emporte tout. Il ne s'agit plus d'aimer uniquement avec du moi, j'ai à ma disposition, pour prier, toute la prière de Jésus-Christ. Ce Jésus a bien voulu n'être pas tout Lui sans moi. Il a fait de moi partie intégrante de Lui. Ma prière à moi est insignifiante, au-dessous de tout. Mais la Sienne !... Or, la Sienne est à moi ; j'ai le pouvoir de m'en emparer ; bien mieux le devoir.
Au baptême, j'ai reçu le pouvoir d'offrir, non au compte de l'ensemble fidèle - seul le sacrement de l'Ordre permet cela, - mais pour mon propre compte, Jésus à son Père. En cela consiste le sacerdoce spirituel de tous les chrétiens dont parle saint Pierre, fonction si belle que le premier pape n'hésite pas à l'appeler un "sacerdoce royal"(1). Certains redoutent ce mot appliqué au simple chrétien. Il ne faut pas le redouter, mais le comprendre. Il est splendide, et la réalité qu'il exprime, sublime.
Prier "chrétiennement" - entendons, en donnant à ce mot le sens fort - c'est, comme d'ailleurs prie l'Église chaque fois qu'elle prie, offrir, en vertu de notre sacerdoce baptismal, le Christ à son Père. Il y a trop de nous dans la plupart de nos prières ; non certes que notre bonne volonté y soit jamais trop généreuse ; non certes que l'offrande de nous-même y soit ardemment réclamée par Dieu ; mais "trop de nous" en ce sens qu'il n'y a pas assez de "Jésus-Christ" dans notre don.
La terre, le ciel. Ainsi simplifions-nous, bien à tort. En réalité, il y a un troisième terme ; nous l'oublions. La terre, le ciel, et, entre les deux, Jésus, le médiateur divin, avec qui nous ne faisons qu'un.
(1). I Pet.. II, 9. Vos autem, genus electum, gens sancta, regale sacerdotium.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
La vraie formule de nos rapports avec Dieu dans l'oraison se trouve exprimée dans ce mot de saint Paul : Abscondita cum Christo in Deo. Une vie cachée avec le Christ en Dieu. Voilà bien les trois termes : Dieu, le Christ, nous. Et ces trois termes, avec leur valeur relative : nous, zéro, non que nous n'ayons à nous verser, goutte d'eau, dans le vin du calice(1), mais précisément cela nous fait reconnaître notre part exacte, simple goutte d'eau ; - le Christ ; le Christ avec sa méditation infinie montant vers le Père, pour la gloire du Père et la rédemption du monde ; - au sommet, Dieu, la Trinité sainte, à qui toute gloire et tout honneur. C'est le Per ipsum, cum ipso, et in ipso de la Messe. Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ et en Jésus-Christ. Il n'y a pas assez de "Jésus-Christ" dans notre prière d'"autre Christ".
"Il faut vous oublier totalement vous-même", conseille le Père Guilloré, - et ces termes, après ce que nous venons de dire, ne risquent pas d'être mal interprétés, - "n'ayant que deux regards, l'un vers ces divines opérations de Jésus que vous tenez en main comme un présent, et l'autre vers son Père à qui vous les offrez. Cela s'appelle se revêtir de Jésus."
Quelle spiritualité plus douce et plus foncièrement "chrétienne"(2).
"Je ne puis plus arrêter mes regards sur moi", écrit une âme intelligemment pénétrée de sa vie "dans le Christ", " je ne veux pas dire que je ne vois plus ma misère, c'est tout le contraire, et il me fallait l'expérience de ces chûtes répétées pour me les faire connaître bien à fond. Mais qu'est-ce que cela, qu'est-ce que ce point pour l'Infini de Dieu ? Il me semble que m'y arrêter(3), c'est faire injure à Notre-Seigneur qui a tout soldé et dont les mérites infinis nous sont acquis. Si je n'avais pas le Christ, jamais je n'oserais m'approcher du Père ; mais appuyé sur Notre-Seigneur, revêtu de Lui, j'ai toutes les audaces car je suis riche de toutes ses richesses."
(1). Nous l'avons assez marqué, croyons-nous, au Liv. IV, ch. II, du volume Dans le Christ-Jésus.
(2). "Jésus-Christ vous fera connaître (si vous cherchez à l'aimer) comment son Humanité constitue une digne offrande pour son Père. Cette Humanité, il vous l'a donnée avec toute ses souffrances afin de vous permettre de vous présenter hardiment à la Cour de son Père céleste... Vous devez donc présenter et offrir le Christ d'un coeur humble et généreux comme votre vraie offrande et comme votre trésor qui a servi à votre délivrance et à votre rachat. Et il vous offrira avec lui-même à son Père céleste, comme le fruit bien-aimé pour lequel il est mort : et le Père vous recevra avec son Fils dans un embrassement plein d'amour". - Ruysbrock : Œuvres, trad. Wisques, t. I, p. 52, 53 (Le Miroir du Salut éternel).
(3). Non qu'elle argue de son incorporation à J.-C. pour se dispenser de se corriger. Nous sommes à cent lieues de Luther et du pecca fortifier et crede fotuis. On l'a compris, je pense._______
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
CHAPITRE II
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Faire de tout une oraison
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I. - La pureté de l'intention.
II. - La perfection des actions.Nous l'avons vu : il n'est pas nécessaire de se trouver continuellement dans l'acte de la prière pour demeurer incessamment dans l'état de prière.
Toute action faite pour Dieu monte vers Lui comme un hommage. Elle constitue une "élévation" de notre être vers sa Majesté suprême, une reconnaissance non toujours explicite, mais très réelle de son droit souverain, le geste filial de la créature qui offre tout à son Créateur et à son Père.
En pratique, que devra exiger de lui celui qui veut "toujours prier" ? Donner à chacune de ses intentions le maximum humain de perfection surnaturelle. A quoi il sera aidé beaucoup s'il s'efforce de donner à chacune de ses actions le maximum humain de perfection professionnelle.
Autrement dit, purifier ses motifs d'action et en toute circonstance "faire de son mieux".
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
I
La pureté d'intention.On ne songe pas assez à admirer la bonté de Dieu dans le mécanisme des intentions.
Quand il arrive de réfléchir à la pauvreté si ordinaire de nos actes habituels, à la misère de nos réalisations effectives, on est épouvanté. Au long d'un jour, qu'est-ce qui compose la trame de nos vingt-quatre heures ? Des gestes d'une banalité formidable. Huit heures ou plus passées à dormir, une ou deux à manger ; les autres à quoi faire ? Même pour ceux dont le travail est le plus relevé, l'artiste, le poète, l'écrivain, qu'est-ce que leurs œuvres au prix de ce que Dieu mérite, et que de portions de leur temps passées en des besognes tout autres que l'élucubration géniale ou la composition, - corrections d'épreuves, comptes d'éditeurs et le reste ! Comment fabriquer de l'éternel avec de si petites choses : pour une mère de famille, le balayage d'un intérieur ; pour une servante, le soin d'une cuisine ; pour un maître d'Humanités l'explication quinze fois redite d'un texte de César ou de Virgile.
"Moi, j'ai mes désirs", observait quelqu'un. Nous dirions tout aussi volontiers : "Heureusement que nous avons nos intention !" Dans cette matière plus ou moins fine ou grossière que sont nos actions de chaque jour, que vienne à s'introduire une "âme". Voici, comme après adjonction d'un levain, que toute cette matière palpite et monte. Une fermentation cachée la travaille. C'étaient des riens insignifiants, cela devient une louange éloquente. C'étaient des riens inanimés, cela devient une poésie vivante. Plus rien n'est bas et vil : tout, rimes de poète ou sauce de cuisine, spéculation de penseur dans un amphithéâtre de Sorbonne ou assemblage de linteaux dans un atelier de menuiserie, tout peut devenir quelque chose qui soit pénétré d'éternel. Qui a fait le miracle ? L'intention.
Nous serions trop malheureux si Dieu devait nous juger sur nos actes pris en eux-mêmes. Ceux-là seraient les privilégiés à qui il est donné d'accomplir de grandes choses. Nous serons jugés sur les mobiles de nos actes ; et quelle consolation de penser qu'une petite vie animée de grandes intentions dépasse incomparablement ce que le monde appelle une grande vie, mais pavée de petites intentions. Tout l'homme est dans ce qu'il veut, c'est-à-dire dans sa pensée et dans son cœur, et non dans son pinceau, son balai ou sa plume.
Heureux pays que l'au-delà où seront rétablies enfin les valeurs vraies, où éclatera aux yeux de tous que certains personnages aux gestes éclatants n'ont été que des baudruches, et que la bonne femme signalée un jour par saint François d'Assise à frère Juniper, surpasse en dignité surnaturelle tel religieux de seconde zone !
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Mais il ne suffit pas d'admirer la beauté et l'importance de l'intention, il faut signaler la difficulté de l'intention parfaitement droite.
La plupart de nos mobiles d'action sont "mélangées". Laissons ici le cas du méchant qui cherche le mal. Il s'agit du bon chrétien, voire de l'âme fervente. Sans doute, ils cherchent Dieu. Mais pas Dieu seul ; Dieu, avec aussi, en plus, leur petit caprice, telle satisfaction d'amour-propre, tel désir du bien-être ou de la vanité.
L'Imitation recommande d'avoir "oculus simplex", le regard simple, c'est-à-dire une visée exclusivement surnaturelle que ne vient pas corriger ou diviser la multiplicité des mobiles humains. Saint Ignace propose le même idéal à ses fils : "Ut in omnibus quoerant Deum". Qu'en tout ils cherchent Dieu et Dieu seul.
C'est là une recommandation de tous les maîtres sur laquelle d'ailleurs il faut toujours revenir(1).
L'homme rapetisse tout ce qu'il touche. Fabriqué de poussière et d'esprit il met de la dualité partout. Né du mélange, il a la manie du mélange.
Surveiller en nous cette manie. Faire assez souvent l'examen de nos mobiles d'action, de notre droiture d'intention. L'auteur de "Paraître" met en scène un personnage dont le souci perpétuel est de "soigner sa page d'Histoire de France". Ce que pensent les autres, ce que diront les autres ; ce que peut-être pourraient penser les autres. Si l'on savait pourtant combien peu, le plus souvent, les autres "pensent" à nous, je veux dire ont souci de nous - et mieux encore, combien peu leur opinion possède d'intérêt et mérite d'influer sur nous ! La plupart des humains sont mûs par des ombres. Jetons une lumière crue sur ces fantômes.
J'agis pour qui et pour quoi ? Pour le sourire de Pierre ou Paul ? pour l'approbation présumée - le plus souvent inexistante - de Madame une telle... Allons donc !
(1). Après avoir donné à une supérieure ce conseil : "Passez avec Notre-Seigneur tout le temps que vous pouvez dérober aux occupations", sainte Mad.-Sophie Barat, très sagement ajoute : "Accoutumez-vous ensuite à vider vos puissances de l'occupation et du souvenir des choses et des personnes qui se succèdent. Dès que nous avons pourvu à une affaire, reçu une visite, laissons-en le succès à Notre-Seigneur et ne nous amusons pas à nous le rappeler, nous repaître peut-être de ce qui nous aura intéressé, du succès que nous avons eu, des louanges, qui sait ? l'amour-propre est si subtil ! Laissons tout cela et revenons de suite à la pensée de Notre-Seigneur, comme le poisson qu'on a sorti de l'eau et qui lorsqu'il la revoit, s'y précipite". (Brou : Travail et prière : sainte Mad.-Sophie Barat, p. 184-185).
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Avant d'agir, s'entraîner dans un certain nombre de cas, par un effort, positif au besoin et explicite, à supprimer le mélange, s'il existe, afin de parvenir progressivement à le supprimer de façon habituelle et dans l'ensemble des cas. Mieux encore, s'entraîner à agir pour le motif qui apparaît le plus noble. J'ai à travailler ; je puis le faire ou parce que c'est le devoir, la volonté de Dieu, voilà le motif très parfait ; - ou parce que cela m'assure une position et un foyer honorable, motif excellent, mais d'ordre humain et bien inférieur au précédent qui était, lui, tout surnaturel ; - ou parce que cela me fait valoir, me donne des occasions de briller, motif beaucoup moins noble déjà, etc...
Ne pas d'ailleurs croire tout perdu parce qu'une intention moins noble sera intervenue en cours de route.
Évidemment, s'il s'agit d'une intention nettement mauvaise et recouvrant entièrement la primitive intention bonne de façon à la détruire complètement (notons les deux conditions), le résultat est une action mauvaise, dont la gravité est à apprécier d'après les règles de la morale du péché.
Mais le plus souvent, la primitive intention bonne demeurera - je fais l'aumône par pitié, par charité ; - l'intention "seconde" qui se glissera - la pensée d'être vu, par exemple, - ne détruit pas en totalité ma visée première ; elle la corrige simplement un peu, ajoute un élément d'ordre humain à une activité au début purement surnaturelle. L'acte reste bon ; son mérite est simplement un peu diminué du fait de la légère intrusion du motif moins noble ; le plus simple est en pareille occurrence de déclarer à ce motif sournois et intempestif, ce que saint Bernard conseillait à ses moines : "Non propter te incepi, non propter te finiam. Ce n'est pas pour toi que j'ai commencé ; ce n'est pas pour toi que je veux finir"(1).
(1). D'excellentes indications sur cette question des intentions, dans de Smet : Notre Vie Surnaturelle, t. I., Ch. III, *2, pp. 70-74.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
II
La perfection de nos actions.L'accompagnement normal de la perfection de l'intention, c'est la perfection de l'action. Agir très bien parce qu'on voit très haut.
S'il faut en croire les plaintes qui montent de partout, les œuvres bien faites deviennent chose rare. La conscience professionnelle s'en va. On ne travaille plus, on bâcle. On n'a plus au même degré qu'autrefois le souci du "mieux possible"(1). Est-il certain que, du monde paganisant qui nous entoure, cette habitude du "vaille que vaille" n'ait pas pénétré quelque peu nos existences à nous, chrétiens ?
Quelle est, chacun dans notre état, notre conscience professionnelle ? Comment accomplissons-nous notre devoir quotidien ? Faisons-nous vraiment de notre mieux ce que nous avons à faire ? Si non, qu'attendons-nous ? Parce que notre Maître est bon et récompense le moindre de nos actes même à moitié fait, nous contentons-nous de ne lui donner que des actes à moitié faits, un demi-travail, de l'activité à demi-rendement ?
Souvent, nous rêverions pour nos vies autre chose. Nous les voudrions pleines d'autres événements, d'une activité différente, de devoirs d'état ou moins monotones ou plus reluisants. Ce n'est un secret pour personne, nemo contentus sua sorte, personne n'est content de son sort. On souhaite changer avec le voisin. Or, Dieu ne nous demande pas de faire autre chose, mais de faire autrement. Non de changer nos actes, mais seulement la manière de les accomplir. Ravauder du linge ou corriger des copies, cela nous vaut le ciel si c'est notre devoir. Encore est-il qu'il y a "la manière". Il existe bien des formes de "sabotage". Chacun de nous s'il s'examine un peu se découvrira un fervent habitué de la grève perlée et du sabotage à huit clos.
(1). Écoutons quelques lignes de Péguy, dans l'Argent (p. 16 à 21, passim) : "Nous avons connu ce soin poussé jusqu'à la perfection, égal dans l'ensemble, égal dans le plus infime détail. Nous avons connu cette pitié de "l'ouvrage bien faite" poussée, maintenue jusqu'à ses plus extrêmes exigences. J'ai vu toute mon enfance (chez-lui) rempailler des chaises exactement et du même esprit, du même cœur et de la même main que ce même peuple avait taillé ses cathédrales... Notez qu'aujourd'hui, au fond, ça ne les amuse pas de ne rien faire sur les chantiers. Ils aimeraient mieux travailler. Ils entendent cet appel de la race. La main qui démange, qui a envie de travailler... mais voilà, des messieurs très bien, des savants, des bourgeois, leur ont expliqué que c'était ça le socialisme et que c'était ça la révolution".
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
Les saints ne procédaient point de la sorte. Ils faisaient bien ce qu'ils avaient à faire, et voilà la notion la plus élémentaire et la plus profonde à la fois de la sainteté. Certains ont pu accomplir des choses grandes. Ils ne sont pas devenus saints à cause de cela, et n'ont mérité d'accomplir ces choses grandes que pour avoir, à l'habitude, été fidèles dans les petites. Tels parmi les bienheureux n'est honoré, - saint Jean Berchmans par exemple - que pour avoir, dans une vie d'ailleurs courte, réalisé l'entière perfection des actions ordinaires. On demandait à quelqu'un ce qu'il pensait de la vertu du Père Chevrier, fondateur du Prado : "Je n'en sais rien, répondit-il, je ne sais qu'une chose, c'est qu'il ferme toujours ses portes." Simple boutade, mais qui en dit long, manifeste une entière possession de soi-même et une fidélité entière aux plus petites choses.
Qui ne peut être saint de cette manière-là : vivre dans la grisaille monotone de la vie quotidienne une vie radieusement sainte parce que perpétuellement priante de la grande manière ?
Nous avons dit ailleurs que le grand secret de la vie fervente était de prendre pour idéal : "Agir en tout comme Notre-Seigneur agirait s'il était nous"(1). Et nous avons marqué que cela ne constituait pas une imagination, un "comme si" plus ou moins factice. Il s'agit d'une réalité. Chacun de nous vivant en grâce est une portion vivante du Christ, et par conséquent, ce que chacun de nous accomplit surnaturellement, le Christ, entendu dans son acception globale, le Christ, l'accomplit en nous et par nous.
Cet humble détail de mon existence, comment l'accomplirait le Christ ? - Ainsi moi dois-je l'accomplir. - Et cet autre ?... et encore cet autre... Une âme qui adopterait cette règle pour gouverne pratique, n'a pas besoin de chercher ailleurs une formule de sainteté. Elle l'a trouvée. Et chacune ne peut être plus efficace et plus rapide.
(1). Dans le Christ Jésus et Le Christ dans nos frères, [deux ouvrages du Père Raoul Plus], passim (Ap. de la P.)_______
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Comment toujours prier - Raoul Plus s. j.
CHAPITRE III
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Semer en tout de l'oraison.
_______
I. - Pratique des oraisons jaculatoires.
II. - Avantage de cette pratique.Faire soigneusement son oraison ; faire de toute sa vie une oraison, telles sont, disons-nous, les conditions requises pour l'union profonde, véritable, avec Dieu.
Il faut y ajouter : le soin de semer au long de ses journées le plus possible d'aspirations vers Dieu. C'est l'habitude des oraisons jaculatoires.
Montrons comment on doit la comprendre en pratique, et quels en sont les avantages.I
L'habitude des oraisons jaculatoires.Il est clair que la plupart des âmes avides de piété vraie ne demanderaient pas mieux que de penser souvent à Dieu. mais comment procéder pour y parvenir ?
D'abord, en s'entraînant à y penser de temps à autre. Commencer par le plus facile ; ainsi un acte d'offrande, chaque fois que l'on varie notablement d'occupation. "Si l'on ne peut, observe sainte Thérèse, pratiquer bien des fois par jour l'exercice de la présence de Dieu, du moins qu'on le fasse de temps en temps... Le souvenir de cette compagnie que nous avons en nous, ne durât-il qu'un instant, il serait déjà pour nous d'un immense profit"(1).
(1). Sainte Thérèse : Chemin de la Perfection. Chap. XXIX, p. 213.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13222
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