SAINT AUGUSTIN — CITÉ DE DIEU — LIVRE QUATORZIÈME — LE PÉCHÉ ORIGINEL. (complet)

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Message  ROBERT. Dim 10 Juil 2016, 12:39 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXII a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXII.

DE L’UNION CONJUGALE INSTITUÉE

ORIGINAIREMENT PAR DIEU, QUI L’A BÉNIE.  




 Pour nous, nous ne doutons point que croître, multiplier et remplir la terre en vertu de la bénédiction de Dieu, ce ne soit un don du mariage que Dieu a établi dès le commencement avant le péché, en créant un homme et une femme, c’est-à-dire deux sexes différents. Cet ouvrage de Dieu fut immédiatement suivi de sa bénédiction; ce qui résulte évidemment de l’Ecriture, qui, après ces paroles:  "Il les créa mâle et femelle", ajoute aussitôt: "Et Dieu les bénit, disant: Croissez et multipliez, et remplissez la terre et dominez sur elle 1". Malgré la possibilité de donner un sens spirituel à tout cela, on ne peut pas dire pourtant que ces mots mâle et femelle puissent s’entendre de deux choses qui se trouvent en un même homme, sous prétexte qu’en lui autre chose est ce qui gouverne, et autre chose ce qui est gouverné; mais il paraît clairement que deux hommes de différent sexe furent créés, afin que, par la génération des enfants, ils crussent, multipliassent et remplissent la terre. On ne saurait, sans une extrême absurdité, combattre une chose aussi manifeste.



Ce ne fut ni à propos de l’esprit qui commande et du corps qui obéit, ni de la raison qui gouverne et de la convoitise qui est gouvernée, ni de la vertu active qui est soumise à la contemplative, ni de l’entendement, qui est de l’âme, et des sens qui sont du corps, mais à propos du lien conjugal qui unit ensemble les deux sexes, que Notre-Seigneur, interrogé s’il était permis de quitter sa femme (car Moïse avait permis le divorce aux Juifs à cause de la dureté de leur cœur), répondit: "N’avez-vous point lu que celui qui les créa dès le commencement les créa mâle et femelle, et qu’il est dit: C’est pour cela que l’homme quittera son père et sa mère pour s’unir à sa femme, et ils ne seront tous deux qu’une même chair ? Ainsi ils ne sont plus deux , mais une seule chair . Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint 2".



Il est dès lors certain que les deux sexes ont été créés d’abord en différentes personnes, telles que nous les voyons maintenant, et l’Evangile les appelle une seule chair, soit à cause de l’union du mariage, soit à cause de l’origine de la femme, qui a été formée du côté de l’homme; c’est en effet de cette origine que l’Apôtre prend sujet d’exhorter les maris à aimer leurs femmes 3.



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1. Genèse I, 27-28. – 2. Matthieu XIX, 4-6. — 3. Ephésiens V, 25; Colossiens III, 19.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Lun 11 Juil 2016, 11:37 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXIII a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXIII.

COMMENT ON EUT ENGENDRÉ DES ENFANTS DANS LE

PARADIS SANS AUCUN MOUVEMENT DE CONCUPISCENCE.  




Quiconque soutient qu’ils n’eussent point eu d’enfants, s’ils n’eussent point péché, ne dit autre chose sinon que le péché de l’homme était nécessaire pour accomplir le nombre des saints. Or, si cela ne se peut avancer sans absurdité, ne vaut-il pas mieux croire que le nombre des saints nécessaire à l’accomplissement de cette bienheureuse Cité serait aussi grand, quand personne n’aurait péché, qu’il l’est maintenant que la grâce de Dieu le recueille de la multitude des pécheurs, tandis que les enfants de ce siècle engendrent et sont engendrés 1 ?



Ainsi, sans le péché, ces mariages, dignes de la félicité du paradis, eussent été exempts de toute concupiscence  honteuse et féconds en aimables fruits. Comment cela eût-il pu se faire ? Nous n’avons point d’exemple pour le montrer; et toutefois il n’y a rien d’incroyable à ce que la partie sexuelle eût obéi à la volonté, puisque tant d’autres parties du corps lui sont soumises. Si nous remuons les pieds et les mains et tous les autres membres du corps avec une facilité qui étonne, surtout chez les artisans en qui une heureuse industrie vient au secours de notre faible et lente nature, pourquoi, sans le secours de la concupiscence, fille du péché, n’eussions-nous pas trouvé dans les organes de la génération la même docilité ? En parlant de la différence des gouvernements dans son ouvrage de la République 2, Cicéron ne dit-il pas que l’on commande aux membres du corps comme à des enfants, à cause de leur promptitude à obéir, mais que les parties vicieuses de l’âme sont comme des esclaves qu’il faut gourmander pour en venir à bout ?



Cependant, selon l’ordre naturel, l’esprit est plus excellent que le corps; ce qui n’empêche pas que l’esprit ne commande plus aisément au corps qu’à soi-même. Mais cette concupiscence dont je parle est d’autant plus honteuse que l’esprit n’y est absolument maître ni de soi-même, ni de son corps,  et que c’est plutôt la concupiscence que la volonté qui le meut. Sans cela, nous n’aurions point sujet de rougir de ces sortes de mouvements; au lieu qu’il nous semble honteux de voir ce corps, qui naturellement devait être soumis à l’esprit, lui résister.



Certes, la résistance que souffre l’esprit dans les autres passions est moins honteuse, puisqu’elle vient de lui-même, et qu’il est tout ensemble le vainqueur et le vaincu; et toutefois, il n’en est pas moins contraire à l’ordre que les parties de l’âme qui devraient être dociles à la raison lui fassent la loi. Quant aux victoires que l’esprit remporte sur soi-même en soumettant ses affections brutales et déréglées, elles lui sont glorieuses, pourvu qu’il soit lui-même soumis à Dieu. Mais enfin il est toujours vrai de dire qu’il y a moins de honte pour lui à être son propre vainqueur, de quelque manière que ce soit, que d’être vaincu par son propre corps, lequel, outre l’infériorité de sa nature, n’a de vie que ce que l’esprit lui en communique.



La chasteté est sauve toutefois, tant que la volonté retient les autres membres sans lesquels ceux que la concupiscence excite en dépit de nous ne peuvent accomplir leur action. C’est cette résistance, c’est ce combat entre la concupiscence et la volonté qui n’auraient point eu lieu dans le paradis sans le péché; tous les membres du corps y eussent été entièrement soumis à l’esprit. Ainsi le champ de la génération 1 eût été ensemencé par les organes destinés à cette fin, de même que la terre reçoit les semences que la main y répand; et tandis qu’à cette heure la pudeur m’empêche de parler plus ouvertement de ces matières, et m’oblige de ménager les oreilles chastes, nous aurions pu en discourir librement dans le paradis, sans craindre de donner de mauvaises pensées; il n’y aurait point même eu de paroles déshonnêtes, et tout ce que nous aurions dit de ces parties aurait été aussi honnête que ce que nous disons des autres membres du corps. Si donc quelqu’un lit ceci avec des sentiments peu chastes, qu’il accuse la corruption de l’homme, et non sa nature; qu’il condamne l’impureté de son cœur, et non les paroles dont la nécessité nous oblige de nous servir et que les lecteurs chastes nous pardonneront aisément, jusqu’à ce que nous ayons terrassé l’infidélité sur le terrain où elle nous a conduit.



Celui qui n’est point scandalisé d’entendre saint Paul parler de l’impudicité monstrueuse de ces femmes "qui changeaient l’usage qui est selon la nature en un autre qui est contre la nature 1", lira tout ceci sans scandale, alors surtout que sans parler, comme fait saint Paul, de cette abominable infamie, mais nous bornant à expliquer selon notre pouvoir ce qui se passe dans la génération des enfants, nous évitons, à son exemple, toutes les paroles déshonnêtes.



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1. Luc  XX, 34. ― 2. Ces paroles de Cicéron ne se rencontrent pas dans le palimpseste du Vatican et elles ne sont nulle part mentionnées par le savant éditeur des fragmente de la République, (le Cardinal Angelo Mai.― 1782-1854) On peut affirmer qu’elles avaient leur place dans une des six lacunes qui interrompent le cours des chapitres, 25 à 34 du livre I. ―1. Souvenir de Virgile, Georgiques., lib. III, v. 136.― 1. Romains I, 26.



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Message  ROBERT. Mar 12 Juil 2016, 12:10 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXIV a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXIV.

SI LES HOMMES FUSSENT DEMEURÉS INNOCENTS  DANS LE PARADIS,

L’ACTE DE LA GÉNÉRATION SERAIT SOUMIS À LA VOLONTÉ

COMME TOUTES NOS AUTRES ACTIONS.  




L’homme aurait semé et la femme aurait recueilli, quand il eût fallu et autant qu’il eût été nécessaire, les organes n’étant pas mus par la concupiscence, mais par la volonté. Nous ne remuons pas seulement à notre gré les membres où il y a des os et des jointures, comme les pieds, les mains et les doigts, mais aussi ceux où il n’y a que des chairs et des nerfs, et nous les étendons, les plions, les accourcissons comme il nous plaît, ainsi que cela se voit dans la bouche et dans le visage. Les poumons enfin, c’est-à-dire les plus mous de tous les viscères, plus mous même que la moelle des os, et pour cette raison enfermés dans la poitrine qui leur sert de rempart, ne se meuvent-ils pas à notre volonté comme des soufflets d’orgue, quand nous respirons ou quand nous parlons ? Je ne rappellerai pas ici ces animaux qui donnent un tel mouvement à leur peau, lorsqu’il en est besoin, qu’ils ne chassent pas seulement les mouches en remuant l’endroit où elles sont sans remuer les autres, mais qu’ils font même tomber les flèches dont on les a percés. Les hommes, il est vrai, n’ont pas cette sorte de mouvement, mais niera-t-on que Dieu eût pu le leur donner ? Ne pouvait-il donc point pareillement faire que ce qui se meut maintenant dans son corps par la concupiscence n’eût été mû que par le commandement de la volonté ?



Ne voyons-nous pas certains hommes qui font de leur corps tout ce qu’ils veulent ? Il y en a qui remuent les oreilles, ou toutes deux ensemble, ou chacune séparément, comme bon leur semble; on en rencontre d’autres qui, sans mouvoir la tête, font tomber tous leurs cheveux sur le front, puis les redressent et les renversent de l’autre côté; d’autres qui, en pressant un peu leur estomac, d’une infinité de choses qu’ils ont avalées, en tirent comme d’un sac celles qu’il leur plaît; quelques-uns contrefont si bien le chant des oiseaux ou la voix des bêtes et des hommes, qu’on ne saurait s’en apercevoir si on ne les voyait; il s’en trouve même qui font sortir par en bas, sans aucune ordure, tant de vents harmonieux qu’on dirait qu’ils chantent. J’ai vu, pour mon compte, un homme qui suait à volonté. Tout le monde sait qu’il y en a qui pleurent quand ils veulent et autant qu’ils veulent. Mais voici un fait bien plus incroyable, qui s’est passé depuis peu et dont la plupart de nos frères ont été témoins. Il y avait un prêtre de l’église de Calame 1, nommé Restitutus, qui, chaque fois qu’on l’en priait (et cela arrivait souvent), pouvait, au bruit de certaines voix plaintives, perdre les sens et rester étendu par terre comme mort, ne se sentant ni pincer, ni piquer, ni même brûler.



Or, ce qui prouve que son corps ne demeurait ainsi immobile que parce qu’il était privé de tout sentiment, c’est qu’il n’avait plus du tout de respiration non plus qu’un mort. Il disait néanmoins que quand on parlait fort haut, il entendait comme des voix qui venaient de loin. Puis donc que, dans la condition présente, il est des hommes à qui leur corps obéit en des choses si extraordinaires, pourquoi ne croirions-nous pas qu’avant le péché et la corruption de la nature, il eût pu nous obéir pour ce qui regarde la génération ? L’homme a été abandonné à soi, parce qu’il a abandonné Dieu par une vaine complaisance en soi, et il n’a pu trouver en soi l’obéissance qu’il n’avait pas voulu rendre à Dieu. De là vient qu’il est manifestement misérable en ce qu’il ne vit pas comme il l’entend. Il est vrai que s’il vivait à son gré, il se croirait bienheureux; mais il ne le serait pas même de la sorte, à moins qu’il ne vécût comme il faut.


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1. Saint Augustin a eu plusieurs fois l’occasion de parler de Calame, et dans un de ses écrits (Cont. litt. Petil., lib. II, n. 323), il en indique assez nettement la position, entre Constantine et Hippone, pour qu’on puisse reconnaître cette ancienne ville dans les ruines de Guelma.





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Message  ROBERT. Mer 13 Juil 2016, 11:49 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXV a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXV.

ON NE SAURAIT ÊTRE VRAIMENT HEUREUX EN CETTE VIE.  




A y regarder de près, l’homme heureux seul vit selon sa volonté, et nul n’est heureux s’il n’est juste; mais le juste même ne vit pas comme il veut, avant d’être parvenu à un état où il ne puisse plus ni mourir, ni être trompé, ni souffrir de mal, et tout cela avec la certitude d’y demeurer toujours. Tel est l’état que la nature désire; et elle ne saurait être pleinement et parfaitement heureuse qu’elle n’ait obtenu l’objet de ses vœux. Or, quel est l’homme qui puisse dès à présent vivre comme il veut, lorsqu’il n’est pas seulement en son pouvoir de vivre ? Il veut vivre, et il est contraint de mourir.



Comment donc vivra-t-il comme il l’entend, cet être qui ne vit pas autant qu’il le souhaite ? Que s’il veut mourir, comment peut-il vivre comme il veut, lorsqu’il ne veut pas vivre ? Et même, de ce qu’il veut mourir, il ne s’ensuit pas qu’il ne soit bien aise de vivre; mais il veut mourir pour vivre après la mort. Il ne vit donc pas encore comme il veut, mais il vivra selon son désir, quand il sera arrivé en mourant où il désire arriver. A la bonne heure ! Qu’il vive comme il veut, puisqu’il a gagné sur lui de ne vouloir que ce qui se peut, suivant le précepte de Térence: "Ne pouvant faire ce que tu veux, tâche de vouloir ce qui se peut 1".



Mais est-ce bien le bonheur que de souffrir son mal en patience ? Si l’on n’aime réellement la vie bienheureuse, on ne la possède point. Or, pour l’aimer comme il faut, il est nécessaire de l’aimer par-dessus tout, puisque c’est pour elle que l’on doit aimer tout ce que l’on aime. Mais si on l’aime autant qu’elle mérite d’être aimée (car celui-là n’est pas heureux qui n’aime pas la vie bienheureuse autant qu’elle le mérite), il ne se peut faire que celui qui l’aime ainsi, ne désire qu’elle soit éternelle: sa béatitude tient donc essentiellement à son éternité.



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1. Andrienne, acte II, scène I, v. 5-6.




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Message  ROBERT. Jeu 14 Juil 2016, 11:57 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXVI a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXVI.

LES HOMMES AURAIENT REMPLI SANS ROUGIR,

DANS LE PARADIS, L’OFFICE DE LA GÉNÉRATION.  




L’homme vivait donc dans le paradis comme il voulait, puisqu’il ne voulait que ce qui était conforme au commandement divin; il vivait jouissant de Dieu, et bon par sa bonté; il vivait sans aucune indigence, et pouvait vivre éternellement. S’il avait faim, les aliments ne lui manquaient pas, ni, s’il avait soif, les breuvages, et l’arbre de vie le défendait contre la vieillesse. Aucune corruption dans sa chair qui pût lui causer la moindre douleur. Point de maladies à craindre au-dedans, point d’accidents au- dehors. Son corps jouissait d’une pleine santé, et son âme d’une tranquillité absolue. Tout comme le froid et le chaud étaient inconnus dans le paradis, ainsi son heureux habitant était à l’abri des vicissitudes de la crainte et du désir. Ni tristesse, ni fausses joies; toute sa joie venait de Dieu, qu’il aimait d’une ardente charité, et cette charité prenait sa source dans un cœur pur, une bonne conscience et une foi sincère 1.



La société conjugale y était accompagnée d’un amour honnête. Le corps et l’esprit vivaient dans un parfait accord, et l’obéissance au commandement de Dieu était facile; car il n’y avait à redouter aucune surprise, soit de la fatigue, soit du sommeil 2. Dieu nous garde de croire qu’avec une telle facilité en toutes choses et une si grande félicité, l’homme eût été incapable d’engendrer sans le secours de la concupiscence. Les parties destinées à la génération auraient été mues, comme les autres membres, par le seul commandement de la volonté. Il aurait pressé sa femme dans ses bras 3 avec une entière tranquillité de corps et d’esprit, sans ressentir en sa chair aucun aiguillon de volupté, et sans que la virginité de sa femme en souffrît aucune atteinte. Si l’on objecte que nous ne pouvons invoquer ici le témoignage de l’expérience, je réponds que ce n’est pas une raison d’être incrédule; car il suffit de savoir que c’est la volonté et non une ardeur turbulente qui aurait présidé à la génération.



Et d’ailleurs, pourquoi la semence conjugale eût-elle nécessairement fait tort à l’intégrité de la femme, quand nous savons que l’écoulement des mois n’en fait aucun à l’intégrité de la jeune fille ? Injection, émission, les deux opérations sont inverses, mais la route est la même. La génération se serait donc accomplie avec la même facilité que l’accouchement; car la femme aurait enfanté sans douleur, et l’enfant serait sorti du sein maternel sans aucun effort, comme un fruit qui tombe lorsqu’il est mûr. Nous parlons de choses qui sont maintenant honteuses, et quoique nous tâchions de les concevoir telles qu’elles auraient pu être, alors qu’elles étaient honnêtes, il vaut mieux néanmoins céder à la pudeur qui nous retient, que de nous laisser aller au mouvement de notre faible éloquence.



L’observation nous faisant ici défaut, tout comme à nos premiers parents (car le péché et l’exil, juste châtiment du péché, les empêchèrent de s’unir saintement), il nous est difficile de concevoir cette union calme et libre sans le cortège des mouvements déréglés qui la troublent présentement; et de là cette retenue qu’on observe à parler de ces matières, quoique l’on ne manque pas de bons raisonnements pour les éclaircir. Mais le Dieu tout-puissant et souverainement bon, créateur de toutes les natures, qui aide et récompense les bonnes volontés, abandonne et condamne les mauvaises, et les ordonne toutes, ce Dieu n’a pas manqué de moyens pour tirer de la masse corrompue du genre humain un certain nombre de prédestinés, comme autant de pierres vivantes qu’il veut faire entrer dans la structure de sa cité, ne les discernant point par leurs mérites, puisqu’ils étaient tous également corrompus, mais par sa grâce, et leur montrant, non seulement par eux-mêmes qu’il délivre, mais aussi par ceux qu’il ne délivre pas, combien ils lui sont redevables. On ne peut en effet imputer sa délivrance qu’à la bonté gratuite de son libérateur, quand on se voit délivré de la compagnie de ceux avec qui l’on méritait d’être châtié. Pourquoi donc Dieu n’aurait-il pas créé ceux qu’il prévoyait devoir pécher, puisqu’il était assez puissant pour les punir ou pour leur faire grâce, et que, sous un maître si sage, les désordres mêmes des méchants contribuent à l’ordre de l’univers ?



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1. I Timothée I, 5.― 2. Comparez cette description du paradis avec celles de saint Basile (Homilia de Paradiso ) et de saint Jean Damascène (De Fide orth., lib. II,cap. 11).― 3. Il y a ici un ressouvenir de Virgile: Conjugis infusas gremio... (Enéide, livre VIII, v. 406.)




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Message  ROBERT. Ven 15 Juil 2016, 10:03 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXVII a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXVII.

DES HOMMES ET DES ANGES PRÉVARICATEURS, DONT LE PÉCHÉ

NE TROUBLE PAS L’ORDRE DE LA DIVINE PROVIDENCE.




Les anges et les hommes pécheurs ne font rien dès lors qui puisse troubler l’économie des grands ouvrages de Dieu, dans lesquels sa volonté se trouve toujours accomplie 1. Comme il dispense à chaque chose ce qui lui appartient avec une sagesse égale à sa puissance, il ne sait pas seulement bien user des bons, mais encore des méchants. Ainsi, usant bien du mauvais ange, dont la volonté s’était tellement endurcie qu’il n’en pouvait plus avoir de bonne, pourquoi n’aurait-il pas permis qu’il tentât le premier homme, qui avait été créé droit, c’est-à-dire avec une bonne volonté ? En effet, il avait été créé de telle sorte qu’il pouvait vaincre le diable en s’appuyant sur Dieu, et qu’il en devait être vaincu en abandonnant son créateur et son protecteur pour se complaire vainement en soi-même. Si sa volonté, aidée de la grâce, fût demeurée droite, elle aurait été en lui une source de mérite, comme elle devint une source de péché, parce qu’il abandonna Dieu.  



Quoiqu’il ne pût au fond mettre sa confiance dans ce secours du ciel sans ce secours même, il était néanmoins en son pouvoir de ne pas s’en servir. De même que nous ne saurions vivre ici-bas sans prendre des aliments, et que nous pouvons néanmoins n’en pas prendre, comme font ceux qui se laissent mourir de faim, ainsi, même dans le paradis, l’homme ne pouvait vivre sans le secours de Dieu, et toutefois il pouvait mal vivre par lui-même, mais en perdant sa béatitude et tombant dans la peine très-juste qui devait suivre son péché. Qui s’opposait donc à ce que Dieu, lors même qu’il prévoyait la chute de l’homme, permît que le diable le tentât et le vainquît, puisqu’il prévoyait aussi que sa postérité, assistée de sa grâce, remporterait sur le diable une victoire bien plus glorieuse ? De cette sorte, rien de ce qui devait arriver n’a été caché à Dieu; sa prescience n’a contraint personne à pécher, et il a fait voir à l’homme et à l’ange, par leur propre expérience, l’intervalle qui sépare la présomption de la créature de la protection du créateur. Qui oserait dire que Dieu n’ait pu empêcher la chute de l’homme et de l’ange ? Mais il a mieux aimé la laisser en leur pouvoir, afin de montrer de quel mal l’orgueil est capable, et ce que peut sa grâce victorieuse.




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1. Psaume CX, 2.



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Message  ROBERT. Sam 16 Juil 2016, 12:20 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre XIV, cap XXVIII a écrit:

LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL


CHAPITRE XXVIII.

DIFFÉRENCE DES DEUX CITÉS.  




 Deux amours ont donc bâti deux cités: l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu, celle de la terre, et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même, celle du ciel. L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur; l’une brigue la gloire des hommes, et l’autre ne veut pour toute gloire que le témoignage de sa conscience; l’une marche la tête levée, toute bouffie d’orgueil, et l’autre dit-à Dieu: "Vous êtes ma gloire, et c’est vous qui me faites marcher la tête levée 1"; en l’une, les princes sont dominés par la passion de dominer sur leurs sujets, et en l’autre, les princes et les sujets s’assistent mutuellement, ceux-là par leur bon gouvernement, et ceux-ci par leur obéissance; l’une aime sa propre force en la personne de ses souverains, et l’autre dit à Dieu: "Seigneur, qui êtes ma vertu, je vous aimerai 2". Aussi les sages de l’une, vivant selon l’homme, n’ont cherché que les biens du corps ou de l’âme, ou de tous les deux ensemble; et si quelques-uns ont connu Dieu, ils ne lui ont point rendu l’homme et l’hommage qui lui sont dus, mais ils se sont perdus dans la vanité de leurs pensées et sont tombés dans l’erreur et l’aveuglement.


En se disant sages, c’est-à-dire en se glorifiant de leur sagesse, ils sont devenus fous et ont rendu l’honneur qui n’appartient qu’au Dieu incorruptible à l’image de l’homme corruptible et à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents; car, ou bien ils ont porté les peuples à adorer les idoles, ou bien ils les ont suivis, aimant mieux rendre le culte souverain à la créature qu’au Créateur, qui est béni dans tous les siècles 3. Dans l’autre cité, au contraire, il n’y a de sagesse que la piété, qui fonde le culte légitime du vrai Dieu et attend pour récompense dans la société des saints, c’est-à-dire des hommes et des anges, l’accomplissement de cette parole: "Dieu tout en tous 4".


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1. Psaume III, 4 .- 2.  Psaume XVII, 2 . – 3. Romains I, 21-25. – 4. I Corinthiens V, 28.



Traduction par M. SAISSET, 1869.
gras, caractères, police
et italiques ajoutés.

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FIN DU LIVRE QUATORZIÈME: LE PÉCHÉ ORIGINEL
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