Dimanches après la Pentecôte
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Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le huitième dimanche après la Pentecôte
L’aumône
L’aumône
Extraits de Bourdaloue a écrit:A considérer en elle-même et selon les vues du monde la condition du pauvre, nous y trouvons trois désavantages bien remarquables, et trois grandes disgrâces. La première est cette inégalité de biens qui le distingue du riche ; en sorte que l'un, dans l'opulence et dans la fortune se voit abondamment pourvu de toutes choses, tandis que l'autre, sans revenus et sans héritages, a les mains vides et ne possède rien, ni ne peut disposer de rien. La seconde est la nécessité où le pauvre languit et les besoins qu'il souffre, en conséquence de cette même inégalité qui se rencontre entre lui et le riche ; tellement qu'il endure toutes les misères de l'indigence, pendant que le riche goûte toutes les douceurs d'une vie aisée et commode. Enfin la troisième est l'état de dépendance où la disette réduit le pauvre, et les mépris qu'il est souvent obligé d'essuyer dans le rang inférieur où le met sa pauvreté; au lieu que tous les honneurs et toutes les grandeurs du siècle sont pour le riche. Or voilà, mes chers auditeurs, à quoi la providence de notre Dieu a suppléé par la loi de la charité, et en particulier par le précepte de l'aumône : et c'est ce qui me la fait regarder dans ce divin commandement comme une providence miséricordieuse et bienfaisante à l'égard des pauvres(…)
(…) Selon la première loi de la nature, remarque saint Ambroise, tous les biens devaient être communs. Comme tous les hommes sont également hommes, l'un par lui-même et de son fonds n'a pas des droits mieux établis que ceux de l'autre, ni plus étendus. Ainsi il paraissait naturel que Dieu les ayant créés, et voulant, après le bienfait de la création, leur fournira tous, par celui de la conservation, l'entretien et la subsistance nécessaire, leur abandonnât les biens de la terre pour en recueillir les fruits chacun selon ses nécessités présentes, et selon que les différentes conjonctures le demanderaient. Mais cette communauté de biens si conforme d'une part à la nature et à la droite raison, ne pouvait d’ailleurs, par la corruption du cœur de l'homme, longtemps subsister. Chacun, emporté par sa convoitise, et maître de s'attribuer telle portion qu'il lui eût plu, n'eût pensé qu'à se remplir aux dépens des autres (…)
(…) C'est une infortune, il est vrai, pour les pauvres que cette variété d'états où ils se trouvent si mal partagés, et qui les prive des avantages accordés aux riches. Mais, providence de mon Dieu, que vous êtes aimable et bienfaisante, lors même que vous semblez plus rigoureuse et plus sévère ; et que vous savez bien rendre par vos soins paternels ce que vous ôtez selon les conseils de votre adorable sagesse ! En effet, Chrétiens, qu'a fait Dieu en faveur du pauvre? il a établi le précepte de l'aumône. Il a dit au riche ce que saint Paul, son interprète et son apôtre, disait aux premiers fidèles : Vous ferez part de vos biens à vos frères, car, dès que ce sont vos frères, vous devez vous intéresser pour eux, et je vous l'ordonne. (…)
(…) Comme riche vous avez non-seulement ce qu'il vous faut, mais au delà de ce qu'il vous faut; et le pauvre n'a pas même le nécessaire. Or, pour le pourvoir de ce nécessaire qu'il n'a pas, vous emploierez ce superflu que vous avez; si bien que l'un soit le supplément de l'autre (…) Par cette compensation tout sera égal. Le riche, quoique riche, ne vivra point dans une somptuosité et une mollesse aussi pernicieuse pour lui-même que dommageable au pauvre; ni le pauvre, quoique pauvre, ne périra point dans un triste abandon.
Voilà, dis-je, riches du monde, la règle inviolable que Dieu vous a prescrite dans le commandement de l'aumône. Ce père commun s'est souvenu qu'il avait d'autres enfants que vous, dont sa providence était chargée. Si pour de solides considérations il ne les a pas traités aussi favorablement que vous, ce n'est pas qu'il ait prétendu les délaisser; et si vous avez eu le partage des aînés, si vous êtes les dépositaires de ses trésors, c'est pour les répandre et les dispenser avec équité, et non pour les retenir et vous les réserver par une avare cupidité.(…)
(…) De là, conclut saint Chrysostome, quand le riche fait l'aumône, qu'il ne se flatte point en cela de libéralité : car cette aumône, c'est une dette dont il s'acquitte ; c'est la part légitime du pauvre qu'il ne lui peut refuser sans injustice.
Je le veux, il honore Dieu par son aumône; mais il l'honore comme un vassal qui reconnaît le domaine de son souverain, et lui rend l'obéissance qui lui est due. Il l'honore comme un fidèle économe, qui administre sagement les biens qu'on lui a confiés, et les distribue, non point en son nom, mais au nom du maître (…) Prenez garde à ces paroles, dont tous n'avez peut-être jamais pénétré tout le sens. C'est un dispensateur ; mais Dieu est le Seigneur. Il a l'intendance sur toute la maison ; il la conduit et il la gouverne; mais c'est le Seigneur qui l'a constitué pour cela (…) Les pauvres font partie de cette maison de Dieu, et il y a assez de biens pour tous les membres qui la composent; il doit donc dans une juste compensation les leur communiquer à tous (…)
(…) quand les biens, selon l'intention et l'ordre de Dieu, seront ainsi appliqués, il n'y aura plus proprement ni riches ni pauvres, mais toutes les conditions deviendront à peu près semblables. Le pauvre qui n'a rien aura néanmoins de quoi subsister, parce que le riche le lui fournira ; et le riche qui a tout n'aura pourtant rien au delà du pauvre, parce qu'il lui sera tributaire de tout ce qu'il se trouvera avoir de trop, et qu'en effet il s'en privera
(…)Eh ! Seigneur, les avez-vous donc formés, ces hommes sortis de votre sein, et leur avez-vous donné l'être, pour les abandonner à leur infortune, et pour les laisser périr de faim, de soif, de froid, d'infirmités, de chagrins? Qu'ont-ils fait, et par où se sont-ils rendus devant vous assez coupables pour mériter une telle destinée? Je sais, mon Dieu, que vous ne leur devez rien : mais après tout je sais que vous êtes père, et que comme vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez créé, surtout entre les créatures raisonnables, vous n'avez rien aussi créé pour le perdre, même temporellement. Non, sans doute, répond à cette difficulté saint Chrysostome, la providence d'un Dieu si sage et si bon n'a point prétendu manquer à tant d'hommes qui tiennent de lui la vie ; et si nos pauvres périssent dans la nécessité et le besoin, ce n'est point à lui qu'il s'en faut prendre, mais à ceux qu'il a mis en pouvoir de les assister, et à qui il a commandé sous des peines si graves d'en être par leur charité, après lui, les conservateurs.
Car, pour en venir à un détail qui contient de si importantes leçons pour vous, mes chers auditeurs, faisons, s'il vous plaît, ensemble quelques réflexions sur ce commandement si peu connu de la plupart des chrétiens, et de là si mal pratiqué. Prenez garde : Dieu, touché de zèle pour le pauvre, en qui il voit sa ressemblance et qu'il aime comme l'ouvrage de ses mains, ne conseille pas seulement au riche de l'entretenir et de le nourrir, ne l'y exhorte pas seulement, mais le lui enjoint, et lui en fait un devoir rigoureux. Il use pour cela de toute son autorité ; et afin de donner encore plus de poids à sa loi, il transporte au pauvre tous ses droits sur les biens du riche : il le choisit, si j'ose le dire, pour être comme son trésorier, et c'est à lui qu'il assigne toutes les contributions qu'il peut exiger légitimement, et que le riche est indispensablement tenu de lui payer. Ce n'est pas assez : mais joignant à l'ordre la menace, et la plus terrible menace, il annonce au riche qu'il y va de son âme, de sa damnation, de son salut; que celui qui dans le temps n'aura point exercé la miséricorde, n'a point de miséricorde à espérer dans l'éternité ; qu'il sera le vengeur du pauvre (…)
et qu'il n'emploiera point d'autre titre pour condamner tant de riches, et pour les frapper de toute sa malédiction. Cela même encore ne lui suffit pas pour assurer aux pauvres le soutien qu'il leur aménagé ; mais voulant prévenir les fausses interprétations qui pourraient servir de prétexte et de retranchement à l'avarice, et ne bornant point l'obligation de son précepte à certaines nécessités extrêmes et rares, il l'étend aux besoins communs, aux besoins présents : tant il est sensible aux intérêts de ses pauvres, et tant il paraît avoir à cœur qu'ils soient aidés et secourus !
(…) Oui, Seigneur, quelque sévère que semble d'ailleurs votre conduite envers le pauvre, il est évident qu'il y a dans le ciel une providence qui pense à lui, qui veille sur lui, qui travaille pour lui ; et si les soins de cette providence, demeurent inutiles et sans effet, ah! mes Frères, c'est ce qui doit vous faire trembler, parce que c'est votre crime, et que ce sera le sujet de votre réprobation.(…)
(…) Et qu'aurez-vous à répondre, mon cher auditeur, quand Dieu, vous montrant cette foule de misérables dont sa providence vous avait chargé, et dont les voix plaintives retentissaient à vos oreilles sans pénétrer jusqu'à votre cœur, il vous reprochera cette inflexible dureté que rien n'a pu amollir, et qu'il vous en demandera raison ?
(…) C'est l'injustice du monde de n'estimer les hommes que par un certain extérieur qui brille, que par le faste et la splendeur, que par l’équipage et le train, que par la richesse des ornements et la magnificence des édifices, que par les trésors et les dépenses. Tout cela répand sur les opulents et les grands de la terre je ne sais quel éclat dont le vulgaire est ébloui, et dont ils ne se laissent que trop éblouir eux-mêmes. De là qu'arrive-t-il? Accoutumés à ces honneurs qu'ils reçoivent partout et à cette pompe qui les environne, quand ils voient les pauvres dans l'abaissement et l'humiliation, de quel œil les regardent-ils, ou, pour mieux dire, les daignent-ils même regarder? Il semble que ce ne soient pas des hommes comme eux ; et si quelquefois ils les gratifient d'une légère et courte aumône, il faut que ce secours leur soit porté par des mains étrangères, parce qu'il n'est pas permis au pauvre de les approcher, parce que la personne du pauvre leur inspirerait du dégoût (…)
Divin Maître que nous adorons, Sauveur des hommes, vous êtes né pauvre, vous avez vécu pauvre, vous êtes mort pauvre; et voilà, parmi des chrétiens, c'est-à-dire parmi vos disciples , où en est réduite cette pauvreté que vous avez consacrée ! Mais, sans recourir à l'exemple de cet Homme-Dieu, sa loi doit aujourd'hui me suffire pour confondre tous les jugements humains sur le sujet des pauvres, et pour nous apprendre à les respecter. Car puisque c'est par l'estime de Dieu que nous devons régler la nôtre, des hommes si chers à Dieu , des hommes qu'il a estimés jusqu'à faire dépendre d'eux et de leur jugement le salut du riche , jusqu'à récompenser d'un royaume éternel la moindre assistance qu'ils auront reçue de nous, comment et avec quels sentiments la foi que nous promis et qui nous les représente sous de si hautes idées, nous oblige-t-elle de les envisager ?
Le mondain orgueilleux, et aveuglé par son orgueil, rougirait de leur appartenir; mais le Fils même de Dieu ne rougit point, en nous recommandant, de les appeler ses frères, et de les reconnaître pour les membres de son corps mystique. Il ne rougit point d'être spécialement à eux et dans eux, d'y être par l'étroite liaison qui les unit à lui comme à leur chef, d'y être comme dans ses images vivantes qui le retracent à nos yeux avec ses caractères les plus marqués ; il ne rougira point, à la face de l'univers, d'en faire la déclaration publique, et de se substituer en leur place, quand il dira aux réprouvés : J'ai eu faim …(…)
Mais, Seigneur, en quel temps et où vous avons-nous vu dans tous ces états? Vous m'y avez vu lorsque vous y avez vu ce pauvre, parce que, tout pauvre qu'il était, je le regardais comme une portion de moi-même, ou plutôt comme un autre moi-même (…)
Après cela, Chrétiens, je ne suis plus surpris que l'esprit de l'Évangile nous fasse considérer les pauvres avec tant de vénération ; je ne m'étonne plus de la règle que nous donne saint Chrysostome , d'écouter la voix des pauvres comme la voix de Jésus-Christ même, de les honorer comme Jésus-Christ, de les recevoir comme Jésus-Christ ; je n'ai plus de peine à comprendre une autre parole de ce saint docteur, savoir, que les mains des pauvres sont aussi respectables, et en quelque sorte plus respectables pour nous que les autels, parce que sur les autels on sacrifie Jésus-Christ, et que dans les mains des pauvres on soulage Jésus-Christ.
C'est donc ainsi, pauvres, que votre condition est relevée ; et s'il a plu à la providence de votre Dieu de vous faire naître dans les derniers rangs, c'est ainsi qu'il a su, par son précepte et par les termes dans lesquels il l'a énoncé, vous dédommager de cette bassesse apparente. Qui vous méprise le méprise ; et, par l'affinité qu'il y a entre lui et vous, tous les outrages qui vous sont faits lui deviennent personnels; ils ne demeureront pas impunis : mais le temps viendra où vous en aurez une satisfaction pleine et authentique.(…)
Quel est-il ce temps? vous n'y pouvez faire, mes chers auditeurs, une trop sérieuse réflexion : c'est ce grand jour où le riche et le pauvre seront cités devant le tribunal de Dieu (…) Quel retour et quel changement ! Les voilà parmi les enfants de Dieu, parmi les élus de Dieu, héritiers du royaume de Dieu, pendant qu'il nous fait sentir toute son indignation, et qu'il nous frappe des plus rudes coups de sa justice.
(…) la même Providence qui, dans l'établissement de ce précepte, s'est montrée si bienfaisante envers le pauvre, ne l'est pas moins envers le riche
De quelque manière qu'en juge le monde, et quelque adroit que soit l'amour propre à séduire le cœur de l'homme en lui donnant de fausses idées de tout ce qui flatte ses désirs; pour peu qu'un riche chrétien ait de religion, trois choses, dit saint Chrysostome, doivent réprimer en lui l'orgueil secret que la possession des richesses a coutume d'inspirer aux âmes mondaines. Cette opposition qui se rencontre entre l'état des riches et celui de Jésus-Christ pauvre, ce choix que Jésus-Christ a fait pour soi-même de la pauvreté préférablement aux richesses, ce caractère de malédiction qu'il semble avoir attaché aux richesses en béatifiant et en canonisant la pauvreté, c'est la première. Cette espèce de nécessité qui engage presque inévitablement les riches en toutes sortes de péchés, cette facilité qu'ils trouvent à satisfaire leurs passions les plus déréglées, ce pouvoir de faire le mal, c'est la seconde. Enfin cette affreuse difficulté, ou, pour me servir du terme de l'Évangile , cette impossibilité morale, où sont les riches de se sauver, c'est la troisième.
Car, malgré les préventions du monde, et malgré les avantages que peut procurer aux hommes la jouissance des biens temporels, s'ils veulent raisonner selon les principes du christianisme, il n'est pas possible qu'un état si différent de l'état du Dieu-Homme qui les a sauvés, et qu'ils regardent comme le modèle de leur prédestination ; qu'un état exposé et comme livré à tout ce qu'il y a sur la terre de plus contagieux et de plus contraire au salut; qu'un état qui de lui-même conduite une éternelle damnation ; il n'est pas, dis-je, possible qu'un tel état, bien loin de les entretenir d'une vaine complaisance, ne les saisisse de frayeur, ne les trouble, ne les désole, et du moins ne les oblige à prendre toutes les précautions nécessaires pour marcher sûrement dans la voie de Dieu.
Il était, ajoute saint Chrysostome, de la providence et de la bonté de Dieu de donner aux riches du siècle quelque consolation dans cet état; et c'est ce qu'il a prétendu, lorsque, par une conduite bienfaisante, il les a mis en pouvoir de pratiquer la miséricorde chrétienne par le soulagement des pauvres, et qu'il leur a imposé le précepte de l'aumône. Car si le riche peut dans sa condition non-seulement diminuer, mais entièrement corriger l'opposition de son état avec celui de la pauvreté de Jésus-Christ ; si le riche peut réparer tant de péchés et tant de désordres où le plonge l'usage du monde, surtout l'usage des biens du monde; et si le riche, par conséquent, peut se promettre quelque sûreté pour le salut et contre une malheureuse réprobation, tout cela doit être le fruit de sa charité, et c'est le seul fondement solide qui reste à son espérance.
La première vérité est évidente ; car du moment, Chrétiens, que vous partagez vos biens avec Jésus-Christ dans la personne des pauvres, des là vos biens, sanctifiés par ce partage, met fin à la contradiction avec la pauvreté de cet Homme-Dieu, puisque cet Homme-Dieu entre par là comme en société de biens avec vous; et voilà l'admirable secret, ou plutôt l'artifice innocent dont le riche miséricordieux se sert pour mettre Jésus-Christ dans ses intérêts, et pour en faire d'un Juge redoutable un protecteur; voilà par où il se garantit de ces anathèmes fulminés dans l'Évangile contre les riches.
En effet, remarque saint Chrysostome, Jésus-Christ est trop fidèle pour donner sa malédiction à des richesses dont il reçoit lui-même sa subsistance, et qui contribuent à le nourrir en nourrissant ceux qui le représentent en ce monde. Cette seule considération ne devrait-elle pas nous suffire ; et que faudrait-il davantage pour nous remplir d'une sainte ardeur dans l'accomplissement du précepte de l'aumône ?
Mais la seconde n'est pas moins touchante : et c'est que Dieu, par le moyen de l'aumône, pourvu les riches d'un remède général et souverain contre tous les péchés où les expose leur condition, et dont il est si rare qu'ils se préservent.
Car n'est-ce pas une chose bien surprenante, poursuit toujours l'éloquent avocat des pauvres, dont j'emprunte si souvent dans ce discours les pensées et les paroles, l'est-il pas bien étonnant de voir en quels termes l'Écriture s'exprime quand elle parle du pouvoir de l'aumône et de sa vertu pour effacer le péché? Jamais elle n'a rien dit de plus fort ni de l'efficacité des sacrements de la loi nouvelle, ni du sang même du Rédempteur, qui en est la source ; et nous ne lisons rien de plus décisif en faveur du baptême que ce qui est écrit au chapitre onzième de saint Luc à l'avantage de l'aumône Faites l'aumône, et tout, sans exception, vous est remis. D'inférer de là que l'aumône autorise donc la liberté de pécher, et que de satisfaire à ce seul devoir est une espèce d'impunité à l'égard de tout le reste, c'est la maligne conséquence que voudraient tirer quelques mondains peu instruits de leur religion.
(…) saint Augustin dans le livre de la Cité de Dieu, il n'en est pas ainsi ; et cette doctrine que toutes les Écritures nous prêchent ne favorise en nulle manière la licence des mœurs; pourquoi? parce que si l'aumône remet le péché, ce n'est qu'en disposant Dieu à écouter vos prières, qu'il aurait autrement rejetées; à accepter vos sacrifices, dont il n'eût tenu nul compte, et qu'il aurait rebutés ; à être touché de vos larmes , qui ne l'auraient point fléchi. Ce n'est qu'en vous attirant les grâces de la pénitence et d'une véritable conversion, que vous n'auriez sans cela jamais obtenues. Ce n'est qu'en satisfaisant à la justice divine, qui se fût endurcie contre vous et rendue inexorable. (…)
C'est pour cela et par là que l'aumône est toute-puissante, et que le pécheur peut sans témérité faire fond sur elle ; parce que c'est par elle qu'il trouve grâce devant Dieu pour mériter le pardon de son péché, pour le pleurer, pour l'expier, et non pas pour avoir droit d'y persévérer.
(…) Le pauvre satisfait Dieu par ses souffrances, et le riche par ses charités. La satisfaction du riche paraît plus douce que celle du pauvre : ainsi a-t-il plu au Seigneur, qui, d'ailleurs, dans l'ordre de la grâce, avait assez privilégié le pauvre au-dessus du riche.(…)
(…)Ce sont vos richesses qui vous ont perdu, continue saint Ambroise parlant à un riche avare, et ce sont vos richesses qui vous sauveront (…)
(…)Qu'est-ce que le riche dans l'état du péché ? c'est un sujet disgracié de Dieu, qui ne peut point par lui-même avoir d'accès auprès de Dieu, dont les actions les plus louables ne sont de nul mérite devant Dieu, à qui la porte de la miséricorde de Dieu semble être fermée, et qui, livré à sa justice rigoureuse, n'aurait plus d'autre parti à prendre que celui du désespoir. Mais que fait Dieu? en lui donnant de quoi être charitable, il lui donne de quoi se ménager de puissants intercesseurs, qui par reconnaissance, qui par devoir, qui par intérêt, soient obligés à solliciter et à demander grâce pour lui ; et ces intercesseurs, ce sont les pauvres; ces pauvres, amis de Jésus-Christ, et, selon l'Évangile, devenus les siens (…)
ces pauvres (circonstance bien remarquable), ces pauvres dont le crédit auprès de Dieu ne dépend ni de leur mérite ni de leur innocence ; car ils intercèdent pour ceux qui les soulagent, sans parler, sans agir, sans y penser, et même sans le vouloir. C'est assez qu'ils paraissent revêtus de vos aumônes, afin que Dieu les entende, et qu'en leur considération il s'adoucisse pour vous. Pourquoi cela? la raison en est belle, et c'est la réflexion de saint Augustin ; parce que, dans le langage de l'Écriture, ce n'est pas proprement le pauvre, mais l'aumône faite au pauvre, qui intercède pour le riche. Mettez votre aumône dans le sein du pauvre, et elle priera pour vous. Le Saint-Esprit ne dit pas : ils prieront pour vous ; comme si c'était ce pauvre que vous avez secouru qui fût devant Dieu votre patron ; il dit que l'aumône, indépendamment de lui, parle en votre faveur, plaide votre cause, mais d'une voix si éloquente et si forte, que Dieu, quoique indigné et courroucé, ne peut néanmoins lui résister
Voilà ce que la foi nous apprend, et de là s'ensuit cette dernière et consolante vérité, que si le riche peut avoir quelque assurance de sa prédestination éternelle, et quelque préservatif contre cette malheureuse réprobation dont il est menacé, c'est par l'aumône.
(…) combien de riches sont heureusement parvenus au port du salut, après avoir marché bien des années dans les voies corrompues du monde ! A voir les égarements où ils se laissaient emporter en certains temps de leur vie, qui jamais eût espéré pour eux une telle fin? Qu'ont-ils dit à Dieu lorsqu'ils sont entrés dans sa gloire? et, conservant le souvenir de leurs désordres passés, combien ont-ils béni et béniront-ils éternellement ce Père des miséricordes, qui les a éclairés, qui les a touchés, qui les a ramenés, qui les a sanctifiés, qui les a couronnés ! Mais que leur a-t-il répondu, et que leur répondra-t-il pendant toute l'éternité, où ils auront sans cesse devant les yeux ce mystère de grâce ? Il est vrai, vous méritiez mes châtiments les plus sévères, et ma justice en mille rencontres devait éclater contre vous ; mais vous lui avez opposé une barrière qui l'a arrêtée ; ce sont vos aumônes. Au milieu de vos dérèglements, vous aviez toujours un cœur libéral et compatissant pour les pauvres, et c'est ce qui m'a désarmé. Tout le bien que vous avez fait à vos frères, j'étais engagé à vous le rendre : je l'avais promis, et je l'ai exécuté.
(…) compter sur vos aumônes, si elles ont toute l'étendue et toute la mesure nécessaire. Et quelle est pour vous cette mesure? observez ceci, et imprimez-le fortement dans vos esprits. Quand un riche du siècle serait exempt devant Dieu de tout péché et de toute satisfaction, le superflu de ses biens, ainsi que je l'ai dit, devrait toujours être employé pour les pauvres, comme leur patrimoine et leur partage : or de là concluez quelle est donc l'obligation d'un riche pécheur, d'un riche criminel. Je prétends qu'alors le nécessaire même de l'état, ou du moins qu'une partie de ce nécessaire n'y doit pas être épargnée ; et je me fonde sur l'autorité des Pères, qui tant de fois ont obligé les riches pénitents à diminuer la dépense de leur maison, à se vêtir avec plus de modestie, à vivre avec plus de frugalité, à rabattre non-seulement de leur luxe immodéré, mais de l'éclat honnête et raisonnable où selon leur condition ils auraient pu d'ailleurs paraître, et à convertir en aumônes, pour l'acquit de leurs dettes auprès de Dieu, et pour l'expiation de leurs péchés, ce qu'ils retranchaient à leurs aises et à leurs commodités.
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Bourdaloue a écrit:
(…) De là, conclut saint Chrysostôme, quand le riche fait l'aumône, qu'il ne se flatte point en cela de libéralité: car cette aumône, c'est une dette dont il s'acquitte; c'est la part légitime du pauvre qu'il ne lui peut refuser sans injustice.
…Non, sans doute, répond à cette difficulté saint Chrysostôme, la providence d'un Dieu si sage et si bon n'a point prétendu manquer à tant d'hommes qui tiennent de lui la vie ; et si nos pauvres périssent dans la nécessité et le besoin, ce n'est point à lui qu'il s'en faut prendre, mais à ceux qu'il a mis en pouvoir de les assister, et à qui il a commandé sous des peines si graves d'en être par leur charité, après lui, les conservateurs.
…la règle que nous donne saint Chrysostôme, d'écouter la voix des pauvres comme la voix de Jésus-Christ même, de les honorer comme Jésus-Christ, de les recevoir comme Jésus-Christ; je n'ai plus de peine à comprendre une autre parole de ce saint docteur, savoir, que les mains des pauvres sont aussi respectables, et en quelque sorte plus respectables pour nous que les autels, parce que sur les autels on sacrifie Jésus-Christ, et que dans les mains des pauvres on soulage Jésus-Christ.
En effet, remarque saint Chrysostôme, Jésus-Christ est trop fidèle pour donner sa malédiction à des richesses dont il reçoit lui-même sa subsistance, et qui contribuent à le nourrir en nourrissant ceux qui le représentent en ce monde.
(…) saint Augustin dans le livre de la Cité de Dieu, il n'en est pas ainsi ; et cette doctrine que toutes les Écritures nous prêchent ne favorise en nulle manière la licence des mœurs; pourquoi ? Parce que si l'aumône remet le péché, ce n'est qu'en disposant Dieu à écouter vos prières, qu'il aurait autrement rejetées; à accepter vos sacrifices, dont il n'eût tenu nul compte, et qu'il aurait rebutés ; à être touché de vos larmes, qui ne l'auraient point fléchi. Ce n'est qu'en vous attirant les grâces de la pénitence et d'une véritable conversion, que vous n'auriez sans cela jamais obtenues. Ce n'est qu'en satisfaisant à la justice divine, qui se fût endurcie contre vous et rendue inexorable. (…)
(…) Ce sont vos richesses qui vous ont perdu, continue saint Ambroise parlant à un riche avare, et ce sont vos richesses qui vous sauveront (…)
…c'est la réflexion de saint Augustin ; parce que, dans le langage de l'Écriture, ce n'est pas proprement le pauvre, mais l'aumône faite au pauvre, qui intercède pour le riche. Mettez votre aumône dans le sein du pauvre, et elle priera pour vous. Le Saint-Esprit ne dit pas: ils prieront pour vous; comme si c'était ce pauvre que vous avez secouru qui fût devant Dieu votre patron ; il dit que l'aumône, indépendamment de lui, parle en votre faveur, plaide votre cause, mais d'une voix si éloquente et si forte, que Dieu, quoique indigné et courroucé, ne peut néanmoins lui résister.
…Au milieu de vos dérèglements, vous aviez toujours un cœur libéral et compatissant pour les pauvres, et c'est ce qui m'a désarmé. Tout le bien que vous avez fait à vos frères, j'étais engagé à vous le rendre : je l'avais promis, et je l'ai exécuté.
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Saint Jean Chrysostôme, entre autres, fut un impitoyable pourfendeur de l’avarice.
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
En effet, Bourdaloue dit que dans tous ses sermons ce grand Saint parlai de l'aumône et des pauvres.
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le neuvième dimanche après la Pentecôte.
Les remords de la conscience.
Les remords de la conscience.
Lorsque Jésus fut proche de Jérusalem, voyant cette ville, il versa des larmes de compassion pour elle, et il dit : Oh ! si du moins en ce jour, qui est pour toi, tu avais connu ce qui pouvait te donner la paix !
Extraits de Bourdaloue a écrit:C'est ainsi que Dieu parle intérieurement à une âme criminelle, et qu'il presse un pécheur par les remords de sa conscience.
(…) Je dis que le remords de conscience que nous sentons après le péché est une grâce intérieure ; que c'est la première grâce que Dieu donne au pécheur dans l'ordre de sa conversion ; que cette grâce est une des plus miraculeuses, si nous considérons la manière dont elle est produite dans l'homme ; que de toutes les grâces, c'est la plus digne de la grandeur et de la majesté de Dieu ; qu'il n'y a point de grâce plus constante ni moins sujette à se retirer de nous; que c'est la grâce la plus générale et la plus universelle que Dieu emploie pour notre salut ; qu'entre les autres grâces elle a ceci de particulier, d'être certaine, assurée, exempte de toute sorte d'illusion ; que cette grâce seule fait agir toutes les autres grâces sur notre cœur, que c'est une grâce de lumière plus convaincante que toute autre pour réduire l'esprit ; enfin qu'elle est la plus absolue et la plus impérieuse pour fléchir notre volonté et pour la soumettre à Dieu. Auriez-vous cru, mes chers auditeurs, que dans ce reproche de la conscience il y eût tant d'avantages et tant de trésors renfermés?(…)
(…)Car qu'est-ce qu'une grâce? et combien l'ignorent, quoiqu'ils en reçoivent tous les jours! La grâce, disent les théologiens, est un secours que Dieu donne à l'homme, afin qu'il puisse agir et mériter pour le ciel; et, s'il est pécheur, afin qu'il puisse travailler à sa conversion.(…)
(…) Car il est certain que Dieu en est l'auteur, que c'est par amour qu'il l'excite en nous, et qu'il s'en sert pour nous convertir: d'où je conclus que ce remords a toutes les qualités d'une véritable grâce. Que Dieu en soit le principe, rien de plus constant, puisque l'Écriture nous l'apprend en mille endroits. Oui, c'est moi-même, dit Dieu, parlant a un pécheur, c'est moi qui te reprocherai le désordre de ton crime. Quand après l'avoir commis, ta conscience sera troublée, ne t'en prends point à d'autre qu'à moi, et ne cherche point ailleurs d'où vient ce trouble. Cent fois après avoir succombé à la tentation, tu voulais te dissimuler a toi-même ta lâcheté, tu détournais les yeux pour ne pas voir ton péché, et tu croyais que j'en userais de même, et que je serais d'intelligence avec toi , mais tu te trompes, car étant ton Seigneur et ton Dieu, je me déclarerai toujours ton accusateur, et jamais tu ne m'offenseras que je ne te représente aussitôt, malgré toi, ton iniquité et toute son horreur (…)
(…)Mais par quel motif l'opère-t-il en nous ? je l'ai dit : par amour, par un effet de sa bonté, par une effusion de sa miséricorde. Ne s'en expliqua-t-il pas ainsi lui-même à son bien-aimé disciple, dans le chapitre troisième de l'Apocalypse ? « Celui que j'aime je les reprends, et c'est en les reprenant que je les aime. » Mais en faut-il d'autre témoignage que la parole du Fils de Dieu, lorsqu'il annonçait à ses apôtres la venue du Saint-Esprit ? Le monde, leur disait cet adorable Sauveur, sera repris des péchés qui le rendent criminel : et par qui sera-t-il repris? par l'Esprit de vérité que j'enverrai pour cela. Que veut-il dire par cet Esprit de vérité, c'est-à-dire par l'amour substantiel du Père et du Fils, par cette personne divine qui est la charité même? Prenez garde, mes chers auditeurs; c'est l'amour de Dieu qui nous reprend, lorsque nous sommes (…)
Grâce non extérieure, mais grâce intérieure, puisque c'est au milieu de nous-mêmes et dans le fond de nos âmes que ce ver ou ce remords est formé. Car voilà pourquoi, dit saint Paul, l'Esprit de Dieu est descendu dans nos cœurs, afin d'y crier sans cesse contre nos désordres (…)
(…)Il crie, ce divin Esprit, non point, remarque saint Augustin, comme un prédicateur qui nous parle, et qui nous reproche les dérèglements de notre vie : car tous les prédicateurs du monde n'ont pas assez de vertu pour pénétrer dans une conscience; et quand leur parole frappe l'oreille, elle est souvent si éloignée du cœur qu'elle ne peut y arriver. Mais l'Esprit de Dieu est placé comme dans l’antre de nous-mêmes, afin d'y être mieux entendu; et de là, dit saint Augustin, il pousse incessamment une voix qui contredit nos passions, qui censure nos plaisirs, qui condamne notre
(…)Mais voici quelque chose de plus : j'ajoute que le remords de la conscience est la première de toutes les grâces que Dieu donne à un pécheur pour commencer l'ouvrage de sa conversion. Je m'explique. Imaginez-vous, Chrétiens, que par le péché l'homme retombe dans une espèce de néant d'où Dieu l'avait tiré par la grâce du baptême et de la justification. Je veux dire que, dans l'instant que l'âme est souillée du péché, elle est dénuée de tous mérites, dépouillée de tous droits à la gloire, destituée de toutes les vertus et de tous les dons du Saint-Esprit, digne d'être privée de tous les secours de la grâce, et comme réduite enfin au néant dans l’ordre surnaturel ; de sorte qu'elle ne peut faire d'elle-même une seule démarche pour retourner à Dieu. Il faut donc, afin qu'elle se convertisse, que Dieu la prévienne, et que, se relâchant de ses propres intérêts, il fasse toutes les avances pour se réconcilier avec le pécheur, qui est son ennemi. Or, voilà ce qui s'accomplit par les grâces prévenantes, dont la première est le remords du péché ; voilà le premier coup que Dieu frappe pour disposer un cœur à la pénitence, le Saint-Esprit trouve le secret d'anticiper lui-même son entrée dans nos âmes
(…)David tombe, il devient adultère, il y ajoute l'homicide. Que fait Dieu ? il pouvait le réprouver, aussi bien que Saül, mais il ne le veut pas : au contraire, il se dispose à exercer sur lui sa miséricorde. Mais par où commence-t-il? vous le savez : par un remords de conscience qui touche ce prince. A la voix du prophète, David s'écrie : J'ai péché, et je suis coupable d'une double injustice; la chair m'a vaincu, et j'ai versé le sang du juste . C'était là proprement ce retour de la conscience qui s'élève contre elle-même, et ce fut le premier mouvement qui porta ce roi criminel à une entière pénitence.
(…)Pourquoi cela? parce que dans l'ordre des grâces tout cela devait être précédé du remords de son péché ; et c'est ce qui me fait dire que ce remords est, à l'égard d'un pécheur, la première grâce du salut, la première vocation de Dieu qui l'invite à se rapprocher de lui, la première lueur qui nous éclaire dans l'ombre de la mort où le péché nous tient ensevelis.
Et n'est-ce pas aussi ce que Dieu faisait entendre à Caïn, lorsqu’après lui avoir reproché l'indignité de ses sacrifices, et voulant néanmoins, par une bonté toute paternelle, le préserver du désespoir où ce malheureux était sur le point de tomber, il lui disait: Pourquoi te décourages-tu? Ne sais-tu pas qu'autant de fois que tu feras mal, ton péché sera à la porte pour t'assaillir, et pour te troubler par ses remords? C'est ce remords qui t'abat l'esprit ; et c'est ce qui devrait t'animer et te remplir de confiance, parce que le remords est un sentiment de grâce que je t'inspire, et qui montre que je ne t'ai pas encore délaissé. Ainsi saint Ambroise interprète-t-il les paroles que je viens de rapporter, et cette interprétation est tout à fait conforme aux termes de l'Écriture ; car il est certain que Dieu parlait alors à Caïn pour le consoler. (…)
Le péché, ou, comme l'expliquent les Pères, le remords du péché se trouvera dès l'heure même à l'entrée de ton cœur : ce qui nous donne à connaître que ce remords est à la tête de toutes les grâces, et que c'est par là d'abord que Dieu attaque une âme rebelle (…)
(…)le remords de conscience était entre toutes les autres grâces la plus miraculeuse dans la manière dont elle est produite. Or, en quoi consiste ce miracle? apprenez-le : c'est que le péché de l'homme, si opposé de lui-même et par sa nature aux grâces de Dieu, est pourtant ce qui donne naissance à celle-ci. Car, si vous le remarquez bien, le remords du péché est engendré par le péché même ; et il est d'ailleurs indubitable, ainsi que vous l'avez vu, que ce remords est une grâce : donc il est certain que cette grâce est extraite du néant du péché, comme de son fonds et de son origine. Sur quoi saint Jean Chrysostome, adorant la providence de Dieu, s'écrie : Que votre miséricorde, ô mon Dieu est admirable dans ses conseils, qu'elle est puissante dans ses opérations, qu'elle est ingénieuse dans toute l'économie de la conversion des hommes ! Nous ne nous en apercevons pas, et cependant, Seigneur, vous faites dans nous des miracles de grâce pour nous sauver, au moment même où nos offenses devraient vous engager à faire des miracles de justice pour nous punir. Car vous prenez le péché que nous venons de commettre, pour en exprimer la grâce qui nous reproche de l'avoir commis : vous vous servez pour nous justifier de ce qui nous a faits coupables, et pour nous rendre la vie de ce qui nous avait causé la mort.
(…) De toutes les grâces il n'en est point de si constante ni qui soit moins sujette a se retirer de nous ; car il y a des grâces, Chrétiens, que saint Augustin appelle grâces délicates, parce qu'on les perd aisément, et que Dieu nous en prive quelquefois pour les plus légères infidélités. Mais le remords du péché est une grâce stable, fixe, permanente, qui ne nous quitte presque jamais, qui nous suit dans tous les lieux du monde, dont Dieu nous favorise malgré nous, et dont nous ne pouvons même nous défaire.
(…) Ce n'est pas tout. Comme cette grâce du remords de conscience est la plus constante dans sa durée, aussi est-ce la plus universelle dans son étendue (…)elle est commune indifféremment à tous les hommes.(…)
(…) quelle consolation pour un homme engagé dans le crime, de pouvoir dire : Tout pécheur que je suis, il m'est encore permis d'espérer; Dieu a encore des grâces pour moi, aussi bien que pour les saints : il a des grâces d'amis auxquelles je n'ai pas droit de prétendre; mais il a, pour ainsi parler, des grâces d'ennemis, desquelles je puis encore profiter, et qui sont les remords de ma conscience ! Quand il n'y aurait que cela, ne serait-ce pas assez pour conclure qu'il n'y a point de pécheur dans la vie qui soit entièrement destitué du bénéfice de la grâce ; et Dieu n'a-t-il pas raison après cela de faire aux plus impies mêmes le commandement indispensable de se convertir, puisqu'il n'y en a pas un qui n'ait du moins le secours de cette grâce, je veux dire le reproche de son péché?
(…) Quand je suis dans l'état du péché, le reproche que m'en fait ma conscience est une grâce. Donc je résiste à la grâce si je néglige ce reproche, et que je tâche même à l'étouffer dans mon cœur. Ce n'est point un mouvement naturel que je supprime, c'est une inspiration qui vient d'en-haut, et que je rends inutile à mon salut. Le Saint-Esprit est l'auteur de cette grâce, et c'est lui qui me reprend de mon péché. D'où il s'ensuit qu'en résistant à cette grâce, c'est au Saint-Esprit que je résiste(…)
(…) Or, n'est-ce pas justement ce que fait un pécheur dans le feu et l'emportement de la passion qui le possède? La conscience lui dit : Cela t'est défendu ; c'est une injustice, c'est une vengeance, c'est une perfidie, c'est un attentat contre la loi de ton Dieu ; mais il n'importe, répond-il, je me satisferai, et rien là-dessus ne sera capable de m'arrêter.
(…)Le mal va plus loin, et que les suites en sont terribles ! car, puisque le remords de la conscience est la première grâce du salut, et le premier moyen de conversion pour un pécheur, que fait-il encore en y résistant? il tarit pour lui toutes les sources de la divine miséricorde, et, si j'ose m'exprimer ainsi, il met Dieu dans une espèce d'impuissance de le sauver. En effet, que pouvez-vous, après cela, mon cher auditeur, attendre de Dieu pour vous retirer de la voie de perdition où vous demeurez malgré lui? Comptez-vous qu'il vous donnera d'autres grâces? mais il ne le peut, selon les règles ordinaires de sa providence : et pourquoi? parce que, dans le conseil de cette providence éternelle, il est arrêté que le remords du péché précédera toutes les grâces, ou que ce sera l'entrée à toutes les autres grâces. Vous flattez-vous que, par une conduite toute particulière, Dieu changera en votre faveur l'ordre de votre prédestination? Mais il ne le veut pas; et il prétend avec raison que ce changement n'étant point nécessaire, c'est a vous de vous conformer à ses lois, et non point à lui de recevoir les vôtres. Par conséquent, perdre cette grâce du remords, c'est manquer l'occasion favorable du retour, c'est ruiner le fondement de votre justification, c'est couper la racine de tous les fruits de pénitence que vous auriez été en état de produire.
(…)Mais tandis qu'ils le laissent frapper à la porte sans lui ouvrir, et qu'ils lui ferment toutes les voies en lui fermant celle de ces remords intérieurs par où il pourrait s'insinuer, quel accès lui reste-t-il, et n'est-il pas naturel qu'il les abandonne à eux-mêmes? Voila, dis-je, ce qui les entretient jusqu'au dernier soupir de leur vie dans un désordre continuel, et ce qui les conduit presque immanquablement à l'impénitence finale.
(…) Le remords du péché est de toutes les grâces la plus constante et la plus durable ; donc une pleine résistance à ce remords suppose la malice la plus invétérée et la plus insurmontable(…) Luther, cet ennemi de l'Église, le plus emporté et le moins traitable, prétendait avoir secoué le joug, et s'être mis au-dessus de cette censure importune.(…)
le pécheur n'est jamais dans un état plus irrémédiable et plus perdu, que quand il vient à n'avoir plus que du mépris pour tout ce qui concerne la conscience et pour Dieu même (…)
(…)Eh ! mon cher Frère, vous renoncez volontairement à la grâce la plus commune, à la grâce la plus étendue, à une grâce qui n'est pas même refusée au plus méchant homme et au plus impie; vous vous privez de cette dernière espérance : que vous restera-t-il donc, et n'êtes-vous pas comme dans un enfer ? Car un des plus grands malheurs du réprouvé dans l'enfer, ce n'est pas d'être déchiré des remords de sa conscience, mais de ne pouvoir plus se servir de ces remords, de n'y trouver plus nul secours, de n'en avoir que le sentiment et que la peine.
(..)C'est donc pour vous, pécheurs, le seul fonds sur lequel vous puissiez compter avec une pleine certitude. Mais pourquoi le dissipez-vous? pourquoi vous l'enlevez-vous à vous-mêmes? et que ne vous souvenez-vous de la parole de saint Bernard, que comme ce remords est la plus sûre de toutes les grâces, aussi la résistance à ce remords est la plus prochaine disposition au désespoir?
Affreux désespoir, que redoublera au jugement de Dieu cette même conscience dont vous aurez tant de fois éludé les poursuites salutaires; cette conscience à qui vous aurez si souvent imposé un silence mortel, lorsqu'elle s'expliquait contre votre gré, contre vos inclinations vicieuses, contre vos passions, mais pour vous ressusciter et vous rendre une vie toute divine
(…) C'est saint Paul qui vous en avertit dans son Épître aux Romains, où, faisant la description du jugement dernier, il nous représente tous les hommes devant le tribunal de Jésus-Christ, lequel n'aura besoin contre eux ni d'autres témoins que leur conscience, ni d'autres accusations que leurs propres remords (…) Comme si Dieu devait dire alors aux réprouvés : Jugez-vous vous-mêmes. Voilà votre conscience qui vous accuse. C'est elle qui dépose contre vous, et je n'ai point pris d'ailleurs que d'elle-même les titres qui vous condamnent. Dès la vie, elle vous a fait cent fois reconnaître que vous étiez pécheurs, et dignes de mes plus sévères arrêts. Je voulais par là vous rappeler de vos égarements. Mais c'était un aveu stérile et sans fruit qu'elle vous arrachait. Elle vous l'arrache encore après la mort, non plus pour votre conversion, mais pour votre éternelle réprobation.
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le neuvième dimanche après la Pentecôte.
Les remords de la conscience.Extraits de Bourdaloue a écrit: (…) Je dis que le remords de conscience (…) est une grâce intérieure (…) …c'est la grâce la plus générale et la plus universelle que Dieu emploie pour notre salut
Auriez-vous cru, mes chers auditeurs, que dans ce reproche de la conscience il y eût tant d'avantages et tant de trésors renfermés ? (…)
(…)Mais par quel motif l'opère-t-il en nous ? Je l'ai dit: par amour, par un effet de sa bonté, par une effusion de sa miséricorde. Ne s'en expliqua-t-il pas ainsi lui-même à son bien-aimé disciple, dans le chapitre troisième de l'Apocalypse? "Ceux que j'aime je les reprends, et c'est en les reprenant que je les aime."
(…)Il crie, ce divin Esprit (…) remarque saint Augustin (…) Mais l'Esprit de Dieu est placé comme dans l’antre de nous-mêmes, afin d'y être mieux entendu; et de là, dit saint Augustin, il pousse incessamment une voix qui contredit nos passions, qui censure nos plaisirs, qui condamne notre
(…) Et n'est-ce pas aussi ce que Dieu faisait entendre à Caïn, lorsqu’après lui avoir reproché l'indignité de ses sacrifices, et voulant néanmoins, par une bonté toute paternelle, le préserver du désespoir où ce malheureux était sur le point de tomber, il lui disait: Pourquoi te décourages-tu? Ne sais-tu pas qu'autant de fois que tu feras mal, ton péché sera à la porte pour t'assaillir, et pour te troubler par ses remords? C'est ce remords qui t'abat l'esprit ; et c'est ce qui devrait t'animer et te remplir de confiance, parce que le remords est un sentiment de grâce que je t'inspire, et qui montre que je ne t'ai pas encore délaissé.
Ainsi saint Ambroiseinterprète-t-il les paroles que je viens de rapporter, et cette interprétation est tout à fait conforme aux termes de l'Écriture; car il est certain que Dieu parlait alors à Caïn pour le consoler. (…)
…le remords du péché est une grâce stable, fixe, permanente, qui ne nous quitte presque jamais, qui nous suit dans tous les lieux du monde, dont Dieu nous favorise malgré nous, et dont nous ne pouvons même nous défaire.
…Jean Chrysostome, adorant la providence de Dieu, s'écrie: Que votre miséricorde, ô mon Dieu est admirable dans ses conseils, qu'elle est puissante dans ses opérations, qu'elle est ingénieuse dans toute l'économie de la conversion des hommes ! ...
…le remords du péché est une grâce stable, fixe, permanente, qui ne nous quitte presque jamais, qui nous suit dans tous les lieux du monde, dont Dieu nous favorise malgré nous, et dont nous ne pouvons même nous défaire.
(…)Le Saint-Esprit est l'auteur de cette grâce, et c'est lui qui me reprend de mon péché. D'où il s'ensuit qu'en résistant à cette grâce, c'est au Saint-Esprit que je résiste (…)
(…) perdre cette grâce du remords, c'est manquer l'occasion favorable du retour, c'est ruiner le fondement de votre justification, c'est couper la racine de tous les fruits de pénitence que vous auriez été en état de produire. (…)
(…) Le remords du péché est de toutes les grâces la plus constante et la plus durable ; donc une pleine résistance à ce remords suppose la malice la plus invétérée et la plus insurmontable (…) Luther, cet ennemi de l'Église, le plus emporté et le moins traitable, prétendait avoir secoué le joug, et s'être mis au-dessus de cette censure importune.(…)
(…) le pécheur n'est jamais dans un état plus irrémédiable et plus perdu, que quand il vient à n'avoir plus que du mépris pour tout ce qui concerne la conscience et pour Dieu même (…)
…Car un des plus grands malheurs du réprouvé dans l'enfer, ce n'est pas d'être déchiré des remords de sa conscience, mais de ne pouvoir plus se servir de ces remords, de n'y trouver plus nul secours, de n'en avoir que le sentiment et que la peine.
la parole de saint Bernard, que comme ce remords est la plus sûre de toutes les grâces, aussi la résistance à ce remords est la plus prochaine disposition au désespoir ?
Peu importe le nombre d’années que le Bon Dieu nous donne sur cette terre, il faut
s’accrocher à cette grâce du remords de la conscience et s’y tenir jusqu’à la fin de notre vie.
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le dixième dimanche après la Pentecôte.
L’état de vie et le soin de s’y perfectionner.
L’état de vie et le soin de s’y perfectionner.
Le pharisien se tenant debout faisait intérieurement cette prière : Seigneur, je vous rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes.
Extraits de Bourdaloue a écrit:
Voilà l'esprit de l'ambitieux : il veut toujours monter, toujours s'élever au-dessus des autres, au lieu de demeurer sagement dans son état et de travailler à s'y perfectionner.
C'est le péché originel de l'homme de vouloir être plus qu'il n'est, et l'Écriture nous apprend que le premier homme n'est déchu de ce bienheureux état de grâce où Dieu l'avait créé que parce qu'il ne se contenta pas d'être ce qu'il était, et qu'il affecta d'être ce qu'il n'était pas.
C'est une vérité, Chrétiens, fondée sur les lois éternelles de la Providence, que tous les états de la vie sont capables de la perfection, et que, selon la différence des conditions qui partagent le monde, il y a des perfections différentes à acquérir. Quand Dieu eut créé toutes choses, l'Écriture dit qu'il en fit comme une revue générale, et qu'après les avoir bien considérées, il n'y en eut pas une à laquelle il ne donnât son approbation. Elles lui parurent toutes, non-seulement bonnes, mais très-bonnes, c'est-à-dire parfaites, parce qu'elles lui parurent toutes être ce quelles devaient être, et conformes à l'idée qu'il en avait conçue(…)
Or il n'est pas croyable que les états et les conditions des hommes, qui sont encore bien plus noblement les ouvrages de Dieu, aient eu en cela moins d'avantage, ou, pour mieux dire, moins de part à sa sagesse et à sa bonté. Dieu leur donna donc, aussi bien qu'à tout le reste des créatures, le caractère de perfection qui leur était propre; et si ces états nous paraissent maintenant défectueux, déréglés et corrompus comme ils le sont, ce n'est point par ce que Dieu y a mis, mais par ce que nous y avons ajouté. Car si nous les considérons en eux-mêmes, il n'y en a aucun qui n'ait sa perfection dans l'idée de Dieu, et qui ne doive l'avoir dans nous. Or je dis, Chrétiens, et voici l'excellente maxime que Dieu m'a inspiré de vous proposer pour la conduite de votre vie ; je dis que toute la prudence de l'homme, même en matière de salut, se réduit à deux chefs : à s'avancer dans la perfection de son état, et à éviter toute autre perfection, ou contraire à celle-là, ou qui en empêche l'exercice. (…)
Il faut s'avancer dans la perfection de son état : pourquoi? parce que c'est ce que Dieu veut de nous, parce que c'est uniquement pour cela qu'il nous a préparé des grâces, parce que c'est en cela seul que consiste notre sainteté, et à quoi par conséquent notre prédestination est attachée. Pouvons-nous avoir de plus puissants motifs pour persuader notre esprit, et pour toucher notre cœur? Dieu veut cela de nous, et ne veut point tout autre chose : si nous étions soumis à ses ordres, n'en faudrait-il pas demeurer là ?
Quand saint Paul instruisit les premiers fidèles des devoirs du christianisme, une des grandes leçons qu'il leur faisait était celle-ci, d'examiner soigneusement et de tâcher de bien reconnaître, non pas simplement ce que Dieu voulait, mais ce qu'il voulait le plus ; c'est-à-dire ce qui était le meilleur et le plus agréable à ses yeux (…)
Mais pour moi, Chrétiens, et pour la plupart de vous qui m'écoutez, il me semble que nous n'avons point à faire là-dessus de longues recherches. Car quelque parfaite que puisse être la volonté de Dieu sur moi, je suis sûr que je la connais déjà, et que, sans passer pour téméraire, je puis me glorifier d'être déjà instruit de ses desseins, puisqu'il m'est évident que Dieu ne demande de moi qu'une seule chose, qui est que je sois ce que je fais profession d'être, et ce que moi-même j'ai voulu être : vérité si constante (écoutez ceci, qui peut être de quelque soulagement pour les consciences), vérité si constante que quand par malheur j'aurais embrassé une condition sans y être appelé de Dieu , dès là que j'y suis engagé par nécessité d'état, et qu'il ne m'est plus libre d'en sortir, la volonté de Dieu est que je m'y perfectionne, et que je répare le désordre de ce choix aveugle et peu chrétien que j'ai fait. Hors de là, quoi que je fasse, ce n'est plus la volonté de Dieu. C'est, si vous voulez, ce qui éclate le plus aux yeux des hommes, c'est ce que les hommes estiment, c'est ce qui fait du bruit dans le monde, c'est peut-être même ce qui paraît le plus louable en soi ; mais après tout c'est ce que je veux, et non pas ce que Dieu veut : pourquoi ? parce que c'est quelque chose hors de mon état. Quel est douce dans Dieu cette volonté que saint Paul appelle bon plaisir et volonté de perfection
(…) Je vous l'ai dit, Chrétiens; cette volonté est que chacun soit dans le monde parfaitement ce qu'il est (…)
Mais parce qu'on vit tout autrement(…) on veut régler la vertu et le devoir même par le caprice de l'inclination et de l'humeur; c'est-à-dire parce que l'on ne se met pas en peine d'être dignement ce que l'on est, et qu'on travaille éternellement à être ce que l'on n'est pas, de là vient cette confusion et ce mélange qui trouble non-seulement la conduite entière du monde, mais les vues mêmes de Dieu sur nous; ce que nous devons souverainement craindre.
(…) L'Apôtre vous dit que chacun ressuscitera dans son rang ; mais comment se pourra-t-il faire que vous ressuscitiez dans le vôtre, puisque vous ne gardez aucun rang? et que peut-on espérer de vous, sinon qu'ayant vécu dans le désordre, vous ressuscitiez un jour dans le désordre? Belle idée, mes chers auditeurs, de je ne sais combien de chrétiens qui vivent aujourd'hui, et qui ne sont ni du monde ni de l'Église, parce qu'ils ne s'attachent parfaitement ni à l'un ni à l'autre; qui pensent faire quelque chose, et qui ne font proprement rien, parce qu'ils ne font pas ce qui leur est ordonné de Dieu.
Cependant, Chrétiens, c'est pour cela seul que Dieu nous a préparé des grâces ; et si nous avons des secours à nous promettre de sa miséricorde, c'est uniquement pour la perfection de notre état ; car la plus grossière de toutes les erreurs serait de croire que toutes sortes de grâces soient données à tous. Comme Dieu est aussi sage qu'il est bon, et que dans la distribution de ses trésors, il sait observer le poids, le nombre et la mesure avec lesquels l'Écriture nous apprend qu'il a tout fait, il ne nous destine point d'autres grâces que celles qui sont conformes et proportionnées à notre condition. C'est la théologie expresse de saint Paul en mille endroits de ses Épîtres. Il y a diversité de grâces, dit ce grand Apôtre; et selon la diversité des grâces, il y a diversité d'opérations surnaturelles, quoique toujours par l'influence du même Esprit, qui opère tout en tous; et comme l'œil n'a pas la vertu d'entendre, ni l'oreille la faculté de voir, et que la nature ne fournit des forces à ces deux organes que pour l'action qui leur est propre, aussi Dieu, qui a fait de son Église un corps mystique, ne dispense ses grâces aux hommes, qui en sont les membres, que par rapport à la fonction où chacun est destiné.(…)
(…) Or, il est de la foi que nous ne ferons jamais d'autre bien que celui pour lequel Dieu nous accorde sa grâce : et que tout ce que nous entreprendrons hors de l'étendue et des limites de cette grâce, quelque apparence qu'il ait de bien, nous sera inutile.
(…)Car nous voyons que les bonnes œuvres faites hors de l'état ne servent qu'à inspirer l'orgueil, l'attachement au sens propre, et mille autres imperfections ; pourquoi? parce qu'elles ne procèdent pas du principe de la grâce, mais de nous-mêmes : au lieu qu'étant pratiquées dans l'état d'un chacun, elles portent avec elles une bénédiction particulière, et de sainteté pour celui qui les fait, et d'exemple pour les autres.
Car n'espérons pas, Chrétiens, trouver jamais la sainteté ailleurs que dans la perfection de notre état. C'est en cela qu'elle consiste, et les plus grands Saints n'ont point eu d'autre secret que celui-là pour y parvenir. Ils ne se sont point sanctifiés, parce qu'ils ont fait des choses extraordinaires que l'on n'attendait pas d'eux : ils sont devenus saints parce qu'ils ont bien fait ce qu'ils avaient à faire, et ce que Dieu leur prescrivait dans leur condition. Jésus-Christ lui-même, qui est le Saint des saints, n'a point voulu suivre d'autre règle. Quoiqu'il fût au-dessus de tous les états, il a borné, sinon sa sainteté, du moins l'exercice de sa sainteté, aux devoirs de son état ; et la qualité de Dieu qu'il portait ne l'a point empêché de s'accommoder en tout à l'état de l'homme. Il était fils, il a voulu obéir en fils ; il était Juif, il n'a manqué en rien à la loi des Juifs : et parce que la loi des Juifs défendait d'enseigner avant l'âge de trente ans, tout envoyé qu'il était de Dieu pour prêcher le royaume de Dieu , il s'est tenu jusqu'à l'âge de trente ans dans l'obscurité d'une vie cachée , arrêtant tontes les ardeurs de sa zèle, plutôt que de le produire d'une manière qui ne fût pas réglée selon son état; car c'est la seule raison que nous donnent les Pères de la longue retraite de cet Homme-Dieu.
Voilà pourquoi saint Paul, dont je ne fais ici qu'extraire les pensées, exhortant les chrétiens à la sainteté, en revenait toujours à cette maxime (…) Que chacun de nous, mes Frères, se sanctifie dans l'état où il a été appelé de Dieu. Voilà pourquoi ce grand maître de la perfection chrétienne, et qui avait été instruit par Jésus-Christ même, recommandait si fortement aux Romains de n'affecter point cet excès de sagesse qui s'égare de la vraie sagesse, et de n'être sages qu'avec sobriété(…)
Non pas qu'il voulût mettre des bornes à la perfection et à la sainteté de ces premiers fidèles, il en était bien éloigné; mais parce qu'il craignait que ces premiers fidèles n'allassent chercher la sainteté et la perfection où elle n'était pas, je veux dire hors de leur état; car c'est proprement ce que signifie cette intempérance de sagesse dont parle saint Paul; intempérance , dis-je, non point en ce qui est de notre état, puisqu'il est certain que nous ne pouvons jamais être trop parfaits dans notre état ; mais intempérance en ce qui est au delà de l'état où Dieu nous a mis, parce que vouloir être parfaits de la sorte, c'est le vouloir trop, et cesser tout à fait de l'être.
Or le moyen de corriger dans nous cette intempérance ! le voici renfermé en trois paroles par où je finis, et qui contiennent un fonds inépuisable de moralités. C'est de nous défaire de certains faux zèles de perfection qui nous préoccupent, et qui nous empêchent d'avoir le solide et le véritable. Je m'explique. C'est de retrancher le zèle d'une perfection chimérique et imaginaire que Dieu n'attend pas de nous, qui nous détourne de celle que Dieu exige de nous; de modérer ce zèle inquiet de la perfection d'autrui qui nous fait négliger la nôtre, et que nous entretenons assez souvent au préjudice de la nôtre ; mais par-dessus tout, de réformer ce zèle tout païen que nous avons d'être parfaits et irréprochables dans notre état selon le monde, sans travailler a l'être selon le christianisme et selon Dieu.
Prenez garde : je dis de retrancher le zèle d'une perfection chimérique; car j'appelle perfection chimérique celle que nous nous figurons en certains états où nous ne serons jamais, et dont la pensée ne sert qu'à nourrir le dégoût de celui où nous sommes. Si j'étais ceci ou cela, je servirais Dieu avec joie, je ne penserais qu'à lui, je travaillerais sérieusement à mon salut. Abus, Chrétiens : si nous étions ceci ou cela, nous ferions encore pis que nous ne faisons ; car nous n'aurions pas les grâces que nous avons.
Or ce sont les grâces qui peuvent tout, et qui doivent tout faire en nous et avec nous.(…)
J'appelle perfection chimérique celle qui nous porte à faire le bien que nous ne sommes pas obligés de faire, et à omettre celui que nous devons faire. Car vous verrez des chrétiens pratiquer des dévotions singulières pour eux, et se dispenser des obligations communes ; faire des aumônes et ne pas payer leurs dettes, à quoi la justice et la conscience les engagent. Voila le zèle qu'il faut retrancher, et voici celui qu'il faut modérer. C'est un zèle inquiet de la perfection d'autrui, tandis qu'on néglige la sienne propre. On voudrait réformer toute l'Église, et l'on ne se réforme pas soi-même. On parle comme si tout était perdu dans le monde, et qu'il n'y eût que nous de parfaits. Eh ! mes chers auditeurs, appliquons-nous d'abord à nous-mêmes : un défaut corrigé dans nous vaudra mieux pour nous que de grands excès corrigés dans le prochain. (sauf quand la gloire de Dieu l’exige)
Mais ce que nous avons surtout à régler et à redresser est ce faux zèle qui nous rend si attentifs à notre propre perfection selon le monde , tandis que nous abandonnons tout le soin de notre perfection selon Dieu ; comme si l'honnête homme et le chrétien devaient être distingués dans nous; comme si toutes les qualités que nous avons ne devaient pas être sanctifiées par le christianisme ; comme s'il ne nous était pas mille fois plus important de nous avancer auprès de Dieu, et de lui plaire, que de plaire aux hommes. Ah! Chrétiens, pratiquons la grande leçon de saint Paul, qui est de nous rendre parfaits en Jésus-Christ; car nous ne le serons jamais qu'en lui et que par lui. (…) un homme parfait, c'est le chef-d'œuvre de la religion, comme il n'y a qu'elle aussi qui puisse nous conduire à une félicité parfaite et à l'éternité bienheureuse(…)
gabrielle- Nombre de messages : 19796
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Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
…le premier homme n'est déchu de ce bienheureux état de grâce où Dieu l'avait créé que parce qu'il ne se contenta pas d'être ce qu'il était, et qu'il affecta d'être ce qu'il n'était pas...
…ces états nous paraissent maintenant défectueux, déréglés et corrompus comme ils le sont, ce n'est point par ce que Dieu y a mis, mais par ce que nous y avons ajouté…
…Il faut s'avancer dans la perfection de son état : pourquoi ? parce que c'est ce que Dieu veut de nous, parce que c'est uniquement pour cela qu'il nous a préparé des grâces…
…parce que l'on ne se met pas en peine d'être dignement ce que l'on est, et qu'on travaille éternellement à être ce que l'on n'est pas, de là vient cette confusion …
(…) Or, il est de la foi que nous ne ferons jamais d'autre bien que celui pour lequel Dieu nous accorde sa grâce : et que tout ce que nous entreprendrons hors de l'étendue et des limites de cette grâce, quelque apparence qu'il ait de bien, nous sera inutile.
…ils sont devenus saints parce qu'ils ont bien fait ce qu'ils avaient à faire, et ce que Dieu leur prescrivait dans leur condition…
…par-dessus tout, de réformer ce zèle tout païen que nous avons d'être parfaits et irréprochables dans notre état selon le monde, sans travailler a l'être selon le christianisme et selon Dieu.
... Si j'étais ceci ou cela, je servirais Dieu avec joie, je ne penserais qu'à lui, je travaillerais sérieusement à mon salut. Abus, Chrétiens : si nous étions ceci ou cela, nous ferions encore pis que nous ne faisons ; car nous n'aurions pas les grâces que nous avons.
…J'appelle perfection chimérique celle qui nous porte à faire le bien que nous ne sommes pas obligés de faire, et à omettre celui que nous devons faire.
(…) un homme parfait, c'est le chef-d'œuvre de la religion, comme il n'y a qu'elle aussi qui puisse nous conduire à une félicité parfaite et à l'éternité bienheureuse(…)
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le onzième dimanche après la Pentecôte
La médisance
La médisance
On lui amena un homme qui était sourd et muet, et on le pria de mettre les mains sur lui pour le guérir.
Extraits de Bourdaloue a écrit:Jésus-Christ fait parler un muet : mais souvent nous est-il plus difficile et plus expédient de nous taire.
Quand je dis que la médisance est un des vices les plus lâches et les plus odieux, ne pensez pas, Chrétiens, que ce soit une morale attachée des règles et des maximes de la foi. C’est la morale du Saint-Esprit même, qui, dans le livre de l'Ecclésiastique et dans les Prophètes, s'est particulièrement servi de ces deux motifs pour nous inspirer l'horreur de ce péché. Comme nous sommes sensibles à l'honneur, il nous a pris par cet intérêt, en nous faisant voir que la médisance, qui est le péché dont nous nous préservons le moins et que nous voudrions le plus autoriser, de quelque manière que nous le considérions, porte un caractère de lâcheté dont on ne peut effacer l'opprobre ; et c'est ce que saint Chrysostome prouve admirablement (…)
Car, pour commencer par la personne qui sert d'objet à la médisance, voici le raisonnement de ce Père : Ou celui de qui vous parlez est votre ennemi, ou c'est votre ami, ou c'est un homme indifférent à votre égard. S'il est votre ennemi, dès là c'est ou haine ou envie qui vous engage à en mal parler; et cela même parmi les hommes a toujours été traité de bassesse, et l'est encore. Quoi que vous puissiez alléguer, on est en droit de ne vous pas croire, et de dire que vous êtes piqué; que c'est la passion qui vous fait tenir ce langage ; que si cet homme était dans vos intérêts, vous ne le décrieriez pas de la sorte, et que vous approuveriez dans lui ce que vous censurez maintenant avec tant de malignité. En effet, c'est ce qui se dit; et les sages qui vous écoutent, témoins de votre emportement, bien loin d'en avoir moins d'estime pour votre ennemi, n'en conçoivent que du mépris pour vous et de la compassion pour votre faiblesse. Au contraire, si c'est votre ami, (car à qui la médisance ne s'attaque-t-elle pas?) quelle lâcheté de trahir ainsi la loi de l'amitié, de vous élever contre celui même dont vous devez être le défenseur, de l'exposer à la risée dans une conversation, tandis que vous l'entretenez ailleurs de belles paroles ; de le flatter d'une part, et de l'outrager de l'autre ! Or il y en a, vous le savez, en qui l'intempérance de la langue va jusqu'à ce point d'infidélité, et qui n'épargneraient pas leur propre sang, leur propre père, quand il est question de railler et de médire. Mais je veux, conclut saint Chrysostome, que cet homme vous soit indifférent : n'est-ce pas une autre espèce de lâcheté de lui porter des coups si sensibles? Puisque vous le regardez comme indifférent, pourquoi l'entreprenez-vous? N'en ayant reçu nul mauvais office, pourquoi êtes-vous le premier à lui en rendre? Qu'a-t-il fait pour s'attirer le venin de votre médisance? Vous n'avez rien, dites-vous, contre lui, et cependant vous l'offensez et vous le blessez : je vous demande s'il est rien de plus lâche qu'un tel procédé.
Quiconque médit attaque l'honneur d'autrui : c'est en quoi consiste l'essence de ce péché. Mais de quelles armes se sert-il pour l'attaquer? d'une sorte d'armes qui de tout temps ont passé pour avoir quelque chose de honteux, je veux dire des armes de la langue, selon l'expression même du Saint-Esprit.(…)
(…) Le démon, répond saint Augustin, lorsque, voulant combattre le premier homme dans le paradis terrestre, il s'arma d'une langue de serpent; ce qui ne lui réussit que trop bien : d'où vient que le Fils de Dieu, dans l'Évangile, parlant de cet ennemi du genre humain, dit que dès le commencement du monde il fut homicide ; or, il est évident que le démon ne commit pas cet homicide avec le fer, mais avec la langue
(…)Mais de plus, quel temps choisit presque toujours le médisant pour frapper son coup ? celui où l'on est moins en état de s'en défendre.
Car ne croyez pas qu'il attaque son ennemi de front : il est trop circonspect dans son iniquité pour n'y pas apporter plus de précaution. Tandis qu'il vous verra, il ne lui échappera pas une parole. Qu'il aperçoive seulement un ami disposé à soutenir vos intérêts, il n'en faut pas davantage pour lui fermer la bouche. Mais éloignez-vous, et qu'il se croie en sûreté, c'est alors qu'il donnera un cours libre à sa médisance, qu'il en fera couler le fiel le plus amer, qu'il se déchaînera, qu'il éclatera. Or, quelle lâcheté d'insulter un homme parce qu'il n'est pas en pouvoir de répondre !
(…) voilà sur quoi particulièrement est établie l'obligation de ne les pas écouter.
(…) Or, c'est à quoi Dieu sagement pourvu par cette loi de la charité qui nous oblige de ne point adhérer à la médisance ; c'est-à-dire, ou de la condamner par notre silence, ou de la réfuter par nos paroles, ou de la réprimer par notre autorité (…)
Rien de plus formidable à la médisance, dit saint Ambroise, qu'un homme zélé pour la charité. (…)
(…) Ils (médisants) demandent le secret à tout le monde, et ils ne voient pas, dit saint Chrysotome, que cela même les rend méprisables. Car demander à celui que j'ai fait le confident de ma médisance qu'il garde le secret, c'est proprement lui confesser mon injustice. C'est lui dire : Soyez plus sage et plus charitable que moi : je suis un médisant, ne le soyez pas ; en vous parlant de telle personne, je blesse la charité, ne suivez pas mon exemple (…)
D'où vient qu'aujourd'hui la médisance s'est rendue si agréable dans les entretiens et dans les conversations du monde? pourquoi emploie-t-elle tant d'artifices et cherche-t-elle tant de tours? Ces manières de s'insinuer, cet air enjoué qu'elle prend, ces bons mots qu'elle étudie, ces termes dont elle s'enveloppe, ces équivoques dont elle s'applaudit, ces louanges suivies de certaines restrictions et de certaines réserves, ces réflexions pleines d’une compassion cruelle, ces œillades qui parlent sans parler, et qui disent bien plus que les paroles mêmes : pourquoi tout cela? votre bouche était remplie de malice, mais votre langue savait parfaitement l'art de déguiser cette malice et de l'embellir ; car, quand vous aviez des médisances à faire, c'était avec tant d'agrément, que l'on se sentait même charmé de les entendre (…)
Quoique ce fussent communément des mensonges, ces mensonges, à force d'être parés et ornés, ne laissaient pas de plaire, et, par une funeste conséquence, de produire leurs pernicieux effets (…)
(…) Or en quelle vue le médisant agit-il ainsi? Ah ! mes Frères, répond saint Chrysostome, parce qu'autrement la médisance n'aurait pas le front de se montrer ni de paraître. Étant d'elle-même aussi lâche qu'elle est, on n'aurait pour elle que du mépris si elle se faisait voir dans son naturel ; et voilà pourquoi elle se farde aux yeux des hommes, mais d'une manière qui la rend encore plus méprisable et plus criminelle aux yeux de Dieu. Allons encore plus loin (…)
On a trouvé le moyen de consacrer la médisance, de la changer en vertu, et même dans une des plus saintes vertus, qui est le zèle de la gloire de Dieu : c'est-à-dire qu'on a trouvé le moyen de déchirer et de noircir le prochain, non plus par haine ni par emportement de colère, mais par maxime de piété et pour l'intérêt de Dieu. Il faut humilier ces gens-là, dit-on, et il est du bien de l'Église de flétrir leur réputation et de diminuer leur crédit. Cela s'établit comme de principe : là-dessus on se fait une conscience, et il n'y a rien que l'on ne se croie permis par un si beau motif. On invente, on exagère, on empoisonne les choses, on ne les rapporte qu'à demi ; on fait valoir ses préjugés comme des vérités incontestables, on débite cent faussetés, on confond le général avec le particulier; ce qu'un a mal dit, on le fait dire à tous; et ce que plusieurs ont bien dit, on ne le fait dire à personne : et tout cela, encore une fois, pour la gloire de Dieu. Car cette direction d'intention rectifie tout cela. Elle ne suffirait pas pour rectifier une équivoque, mais elle est plus que suffisante pour rectifier la calomnie, quand on est persuadé qu'il y va du service de Dieu.
(…) Si je ne m'étais proposé que votre gloire, je n'aurais pas eu dans mon zèle tant d'aigreur, je n'aurais pas eu un plaisir si sensible à révéler les imperfections de mon prochain; je ne me serais pas fait de son humiliation un avantage, au préjudice de la charité; car la charité est inséparable de votre gloire. Si c'était l'intérêt de votre gloire qui m'eût touché, je n'aurais pas tant exagéré les choses, je n'y aurais rien ajouté de moi-même, je n'aurais pas publié mes conjectures et mes soupçons pour des faits certains et indubitables; car le zèle de votre gloire suppose la vérité. Trouvant de quoi reprendre dans la conduite des autres, ou je vous en aurais laissé le jugement, ou, selon l'ordre de l'Évangile, je m'en serais éclairci entre eux et moi. Je n'en aurais point fait de confidences indiscrètes; je ne l'aurais point déclaré à des personnes incapables d'y remédier, et capables de s'en scandaliser; je n'en aurais point rafraîchi inutilement la mémoire en mille occasions, et je ne serais pas tombé par ma médisance dans un mal plus grand et plus inexcusable que celui que je condamnais. Il faut donc l'avouer, ô mon Dieu, et l'avouer à ma confusion : ce qui m'a mis dans la bouche tant d'amertume, ce sont de lâches passions dont mon cœur s'est laissé préoccuper; c'est une antipathie naturelle que je ne me suis pas efforcé de vaincre; c'est une envie secrète que j'ai eue de voir les autres mieux réussir que moi; c'est un intérêt particulier que j'ai recherché dans l'abaissement de celui-ci, c'est une vengeance que je me suis procurée aux dépens de celle-là; c'est une aveugle prévention contre le mérite, en quelque sujet qu'il se rencontre. Telle a été, Seigneur, la source de mes médisances, et j'en veux bien faire l'aveu devant vous, parce que j'y veux apporter le remède. Si nous étions de bonne foi avec Dieu, voilà comment nous parlerions : et de tout ceci je conclus toujours qu'entre les vices la médisance est évidemment un des plus lâches.
(…) qu'y a-t-il de plus odieux qu'un homme à la censure de qui chacun se trouve exposé ; dont il n'y a personne, de quelque condition qu'il soit, qui se puisse dire exempt; et de qui les puissances mêmes ne peuvent éviter les traits? Quoi de plus odieux qu'un tribunal érigé d'une autorité particulière, où l'on décide souverainement du mérite des hommes; où l'un est déclaré tel que l'on veut qu'il soit ; où l'autre quelquefois est noté pour jamais, et flétri d'une manière à ne s'en pouvoir laver; où tous reçoivent leur arrêt, qui leur est prononcé sans distinction et sans compassion?
Voilà donc les deux qualités de cette habitude criminelle : elle est lâche, et elle est odieuse. Après cela n'est-il pas étrange que ce soit néanmoins aujourd'hui le vice le plus commun et le plus universel? Mais je me trompe : ce n'est pas seulement d'aujourd'hui que ce vice règne dans le monde, puisqu'il y règne dès le temps même de David, et que quand ce prophète voulait exprimer la corruption générale de toute la terre, c'était singulièrement ce désordre qu'il dit : Tous les hommes, disait-il, se sont égarés des voies de Dieu, et en même temps ils sont devenus des sujets inutiles. Car à quoi peut être utile une créature qui n'est plus à Dieu et qui ne cherche plus Dieu ?
(…) C'est le vice des prêtres aussi bien que des laïques, des religieux aussi bien que des séculiers, des spirituels et des dévots aussi bien et peut-être même plus que des libertins et des impies. Prenez garde : je ne dis pas que c'est le vice de la dévotion ; à Dieu ne plaise ! La dévotion est toute pure, toute sainte, exempte de tout vice, et lui en attribuer un seul, ce serait faire outrage à Dieu même, et discréditer son culte. Mais ceux qui professent la dévotion ont leur péché propre comme les autres, et vous savez si le plus ordinaire n'est pas la médisance ; péché qui s'attache aux âmes d'ailleurs les plus pieuses ; péché qui souvent fait mourir en elles tous les fruits de grâce et de justice ; péché qui corrompt leurs esprits, pendant que leurs corps demeurent chastes; péché qui leur fait faire un triste naufrage, après qu'elles ont évité tous les écueils des plus criminel les et des plus dangereuses passions ; enfin, péché qui perd bien des dévots, et qui déshonore la dévotion.
Ce n'est pas sans raison que le Saint-Esprit, parlant du péché d’injustice, lui a donné pour compagne inséparable l'amertume et la douleur, et qu'il a voulu que le remords, le trouble, le ver de conscience fussent les productions malheureuses de ce qu'il appelle iniquité (…)
(…) En effet, dit saint Augustin, tout péché est à l'égard de Dieu un funeste engagement de la conscience du pécheur; mais l'injustice ajoute à celui-ci d'être encore un engagement à l'égard de l'homme ; et quoique l'engagement à l'égard de l'homme paraisse léger en comparaison de celui qui regarde Dieu, il est néanmoins vrai qu'il a quelque chose pour la conscience de plus inquiétant, de plus douloureux, et d'une suite plus fâcheuse. Pourquoi cela ? parce qu'à remonter au principe, le droit de Dieu peut être violé sans celui de l'homme, mais que le droit de l'homme ne le peut jamais être sans celui de Dieu. Quand je pêche contre Dieu, si je puis parler de la sorte, je n'ai affaire qu'à Dieu même ; mais quand je fais tort à l'homme, je suis responsable et à Dieu et à l’homme; et ces deux intérêts sont si étroitement unis, que jamais Dieu ne relâchera du sien, si celui de l’homme n'est entièrement réparé. Or il est bien plus aisé de satisfaire à Dieu seul, que de satisfaire tout à la fois à l'homme et à Dieu. Car, pour Dieu seul, la contrition du cœur suffit: mais pour l'homme et pour Dieu tout ensemble, ou plutôt pour Dieu prenant la cause de l'homme, outre ce sacrifice du cœur, ce qu'il faut au delà est ce que le pécheur a coutume de craindre davantage, et ce qui forme en lui l'obstacle le plus difficile à vaincre pour sa conversion. Appliquez-vous, Chrétiens, à cette vérité, et comprenez le plus essentiel de vos devoirs.
Toute injustice envers le prochain est d'une conséquence dangereuse pour le salut; mais de toutes les espèces d'injustices, il n'y en a pas dont l'engagement soit plus terrible devant Dieu que celui de la médisance. Premièrement, parce qu'il a pour terme la plus délicate et la plus importante réparation, qui est celle de l'honneur. Secondement, parce que c'est celui dont l'obligation souffre moins d'excuses, et est moins exposée aux vains prétextes de l'amour-propre. Enfin, parce qu'il s'étend communément à des suites infinies, dont il n'y a point de conscience, quelque libertine qu'elle puisse être, qui ne doive trembler.
Il faut réparer l'honneur, c'est le premier.
Ah ! Chrétiens , l'étrange nécessité ! Vous avez ravi celui de votre frère, et il s'agit de le rétablir. Si vous reteniez son bien, vous vous condamneriez à le rendre; et vous avouez que sans cela il n'y aurait nulle espérance de salut pour vous : or ce bien dont vous lui seriez redevable est de beaucoup au-dessous de son honneur. Il serait donc surprenant qu'ayant de l'équité pour l’un, vous en manquassiez pour l'autre; et qu'étant religieux pour le vol, vous ne le fussiez pas pour la médisance.
Il me suffit donc en général de vous déclarer qu'un honneur que la médisance a flétri ne peut être lavé de cette tache qu'aux dépens d'un autre honneur, comme un intérêt ne peut être compensé que par un autre intérêt. Vous avez blessé la réputation de cet homme, il est juste qu'il vous en coûte à proportion, de la vôtre, dans la satisfaction que vous lui ferez. Cette satisfaction vous humiliera, mais en cela même consiste le paiement de la dette que vous avez contractée. Car payer en matière d'honneur, c'est s'humilier ; et il est autant impossible de réparer la médisance sans subir l'humiliation, que le larcin sans se dessaisir et se dépouiller de la possession.
Vous essuierez par là un peu de honte : combien vos discours libres et piquants ont-ils causé de confusion
(…)quand je vois un chrétien touché de repentir, et non content de détester son crime, en faire une sérieuse réparation, en détruire les impressions les plus légères, et pour cela ne se point flatter soi-même; dire :Non-seulement j'ai péché contre la charité, mais contre la justice, mais même contre la droiture naturelle et la sincérité, en interprétant selon ma passion, en imaginant, en publiant le faux pour le vrai ; quand j'entends sortir de sa bouche un tel aveu, ah ! Seigneur, quelque impénétrable que soit le mystère de votre grâce, je ne puis m'empêcher alors de croire que c'est un pécheur contrit, sanctifié, parfaitement réconcilié avec vous.
(…) nous nous flattons de n'être point obligés à réparer une médisance, parce que nous n'en sommes pas, disons-nous, les premiers auteurs, et que nous n'avons parlé que sur le rapport d'autrui ; mais dans un sujet où la charité était blessée, le rapport d'autrui était-il pour nous une caution sûre ? (…) un péché peut-il jamais servir d'excuse à un autre péché ; et le jugement téméraire, qui de lui-même est un désordre, dispenserait-il de la réparation d'un second désordre, qui est la médisance?
(…) Nous nous figurons en être quittes devant Dieu, parce que nous n'avons rien dit que de vrai ; mais, pour être vrai, nous est-il permis de le révéler ? N'est-ce pas assez qu'il fût secret, pour devoir être respecté de nous ? Avons-nous droit sur toutes les vérités? Consentirions-nous que tout ce qui est vrai de nos personnes fût découvert et manifesté? Ne compterions-nous pas cette entreprise pour une injure atroce, dont il n'y a point de satisfaction que nous ne dussions attendre? Et pourquoi, raisonnant ainsi pour nous-mêmes, ne suivons-nous pas les mêmes principes en faveur des autres?
Achevons, Chrétiens, de renverser les vains fondements sur quoi notre iniquité s'appuie. Ce que j'ai dit au désavantage, de celui-ci n'est qu'une confidence d'ami que j'ai cru pouvoir faire à celui-là. Voilà, mes Frères, répond saint Ambroise, dans son recueil de la charité : c'est une confidence que j'ai faite, et je ne m'en suis ouvert qu'a mon ami : comme s'il vous était libre de me ruiner de crédit et d'honneur auprès de votre ami ; comme si, pour être votre ami, ce m'était un moindre outrage d'être diffamé dans son esprit ; comme si cet homme que vous traitez d'ami n'avait pas lui-même d'autres amis à qui confier le même secret ; comme si le secret d'une médisance, bien loin d'en diminuer la malignité, ne l'augmentait pas dans un sens, puisque c'est ce secret même qui m'ôte le moyen de me justifier devant cet ami. Tout cela est de saint Ambroise ; et ce qu'il enseignait, Chrétiens, il le pratiquait : car ayant un frère d'une prudence consommée, et qui lui était, comme l’on sait, uniquement cher, il ne laissait pas d'avoir fait ce pacte avec lui, qu'ils ne se communiqueraient jamais l'un à l'autre aucun secret préjudiciable à l'honneur du prochain; condition que ce frère si sage et si droit accepta sans peine; et saint Ambroise, pour notre instruction, a bien voulu en faire un point de son éloge funèbre (…)
(…) le dernier caractère de ce péché, c'est qu'outre l'honneur qu'il attaque et qu'il blesse directement, il a mille autres suites déplorables , qui sont, dans la doctrine des théologiens, autant de charges pesantes pour la conscience.
L'ignorez-vous, et mille épreuves ne doivent-elles pas vous avoir appris quels dommages dans la société humaine la médisance peut causer, et de quels maux elle est suivie? Il était d'une importance extrême pour l'établissement de cette jeune personne que sa vertu fût hors de tout soupçon ; mais vous ne vous êtes pas contenté d'en donner certains soupçons, vous avez fait connaître toute sa faiblesse, et la chute malheureuse où l'a conduite une fatale occasion. Elle l'avait pleurée devant Dieu, elle s'en était préservée avec sagesse en bien d'autres rencontres, elle marchait dans un bon chemin, et gardait toutes les bienséances de son sexe ; mais parce que vous avez parlé, la voilà honteusement délaissée, et pour jamais hors d'état de prétendre à rien dans le monde.
Il n'était pas d'une moindre conséquence pour cet homme de se maintenir dans un crédit qui faisait valoir son négoce, et qui contribuait à l'avancement de ses affaires ; mais parce que vous n'avez pas caché selon les règles de la charité chrétienne quelques fautes qui lui sont échappées, et qu'il avait peut-être pris soin de réparer, vous déconcertez toutes ses mesures, et vous l'exposez à une ruine entière.
Ce mari et cette femme vivaient bien ensemble, et par l'union des cœurs entretenaient dans leur famille la paix et l'ordre; mais un discours que vous avez tenu mal à propos a fait naître dans l'esprit de l'un de fâcheuses idées contre l'autre ; et de là le refroidissement, le trouble, une guerre intestine qui les a divisés, et qui va bientôt les porter à un divorce scandaleux.
Ah ! Chrétiens, faisons mieux, et, sans juger personne, jugeons-nous nous-mêmes. Apprenons à nous taire quand la réputation du prochain y peut être intéressée; et apprenons à parler quand il est du même intérêt que nous lui rendions ce que notre médisance lui a ravi.
(…) Heureux qui s'en préserve et qui le prévient, en gouvernant sa langue et ne lui permettant jamais de s'échapper ! Heureux qui porte toujours la charité sur ses lèvres ! il conservera la grâce de son cœur, et il possédera la gloire dans l'éternité bienheureuse, que je vous souhaite(…)
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
Jésus-Christ fait parler un muet: mais souvent nous est-il plus difficile et plus expédient de nous taire.
Saint Chrysostôme: Or il y en a, vous le savez, (…) qui n'épargneraient pas leur propre sang, leur propre père, quand il est question de railler et de médire.
(…) Le démon, répond saint Augustin, lorsque, voulant combattre le premier homme dans le paradis terrestre, il s'arma d'une langue de serpent; ce qui ne lui réussit que trop bien: d'où vient que le Fils de Dieu, dans l'Évangile, parlant de cet ennemi du genre humain, dit que dès le commencement du monde il fut homicide; or, il est évident que le démon ne commit pas cet homicide avec le fer, mais avec la langue…
…quelle lâcheté d'insulter un homme parce qu'il n'est pas en pouvoir de répondre !
(…) voilà sur quoi particulièrement est établie l'obligation de ne les [médisances] pas écouter.
… Rien de plus formidable à la médisance, dit saint Ambroise, qu'un homme zélé pour la charité. (…)
… votre bouche était remplie de malice, mais votre langue savait parfaitement l'art de déguiser cette malice et de l'embellir…
… la plus délicate et la plus importante réparation (due à la médisance], qui est celle de l'honneur.
… payer en matière d'honneur, c'est s'humilier; et il est autant impossible de réparer la médisance sans subir l'humiliation, que le larcin sans se dessaisir et se dépouiller de la possession.
(…) un péché peut-il jamais servir d'excuse à un autre péché; et le jugement téméraire, qui de lui-même est un désordre, dispenserait-il de la réparation d'un second désordre, qui est la médisance?
Ah ! Chrétiens, faisons mieux, et, sans juger personne, jugeons-nous nous-mêmes. Apprenons à nous taire quand la réputation du prochain y peut être intéressée; et apprenons à parler quand il est du même intérêt que nous lui rendions ce que notre médisance lui a ravi.
Voilà pourquoi l’Apôtre Saint Jacques dit: Si quelqu’un ne pèche point en paroles, c’est un homme parfait,
et il peut conduire même tout son corps avec le frein. (Épître de Saint Jacques III, 2. — Glaire.)
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le 12e dimanche après la Pentecôte
La charité du prochain.
La charité du prochain.
Un samaritain faisant voyage se rencontra auprès de lui; et le voyant, il en fut touché de compassion. Il alla à lui et banda ses plaies, après y avoir versé de l'huile et du vin. Ensuite il le conduisit dans une hôtellerie, et prit soin de lui.
Extraits de Bourdaloue a écrit:Etre attaché d'esprit et de cœur à ses intérêts, et avoir pour le prochain cette charité universelle que la loi de Dieu commande, ce sont choses non-seulement difficiles à accorder, mais contradictoires, dans la doctrine de saint Paul. Voulez-vous savoir, mes frères, dit ce grand apôtre, quelle est la véritable charité? c'est celle qui ne cherche point ses intérêts propres (…) ) ; voilà l’une des marques les plus essentielles à quoi il veut que nous la reconnaissions. D'où je conclus que si nous ne sommes dans cette préparation d'esprit que la grâce doit opérer en nous, et que j'appelle renoncement au propre intérêt, il est impossible que nous aimions notre prochain selon les règles et selon l'ordre de la charité. Cette conséquence est évidente dans tous les principes de la raison et de la foi(….)
(…) Qu'est-ce que la charité, considérée en elle-même? c'est une union des cœurs et des volontés, dit l'Ecriture en parlant des premiers fidèles; ils n'étaient tous qu'un cœur et qu'une âme, pour exprimer qu'ils avaient une charité sincère. Or, cela supposé, qui doute que l'ennemi le plus mortel de la charité ne soit la passion de l'intérêt propre?
En effet, comme a remarqué saint Augustin, le moyen qu'un homme soit uni de cœur au prochain, tandis qu'il se resserre en lui-même, qu'il ne sort point hors de lui-même, qu'il ne vit que pour lui-même; qu'il se cherche partout, qu'il se trouve en tout; qu'il n'envisage les autres qu'autant qu'ils lui sont bons et utiles, toujours prêt à les abandonner, pour ne pas dire à leur manquer de foi et à les trahir, dès qu'il s'en promet le moindre avantage? Car qui dit un homme intéressé dit tout cela.
(…) N'est-il pas vrai que leur véritable charité est de n'aimer personne sincèrement, et par un retour qui est infaillible, de n'être aimés sincèrement de personne? Pourquoi un homme esclave de son intérêt n'aime-t-il personne avec sincérité ? parce qu'il a un cœur incapable d'être uni avec un autre cœur. (…)
Là où est votre trésor, votre cœur y est. Si donc je me fais un intérêt absolument propre, et tout à fait séparé de celui de mon prochain, dès là je sépare mon cœur d'avec le sien, et par cette séparation, je détruis la charité que je dois avoir pour lui. Car la charité réside dans le cœur; et le centre du cœur c'est l'intérêt.
(…)Et il ne faut qu'un intérêt seul (…) pour rompre cette union.
(…) une erreur pratique qui règne aujourd'hui parmi les hommes, un fantôme de charité dont on s'éblouit, un amour imaginaire du prochain dont on se forme une conscience. On dit : J'aime cette personne, parce que Dieu me le commande ; mais du reste je ne veux avoir avec elle ni habitude ni société ; je ne lui demande rien, je ne lui veux point de mal, je ne prends aucune part dans ses affaires ; qu'elle se tienne de son côté et moi du mien : voilà pour elle et pour moi le secret unique de maintenir la charité et de vivre en paix. Le secret, mon Frère, reprend saint Chrysostome, de maintenir la charité? Est-il possible que votre aveuglement aille jusque-là? (…)Nous réduisons toute la substance de la charité à des termes purement négatifs, à ne pas faire tout le mal que nous pouvons, à ne point conserver de ressentiments, à n'avoir nul dessein de nuire. Mais on vous répond que quand tout cela serait ainsi, tout cela précisément n'est point charité; que la charité est quelque chose de positif, et qu'il est insoutenable de vouloir la faire consister dans une indifférence de cœur qui en est une des plaies les plus dangereuses; que, pour aimer son prochain, il faut lui vouloir du bien ; que, pour lui vouloir du bien, il faut entrer dans ses intérêts, et qu'on n'y peut entrer tandis qu'on est rempli des siens propres.
(…): à quoi Dieu nous engage-t-il donc, quand il nous commande d'aimer nos frères ? Après ce que je viens de dire, rien de plus aisé que de résoudre cette question : il nous engage à nous dépouiller, en faveur de nos frères, de certains intérêts propres qui nous dominent, et qui altèrent ou qui corrompent tout à fait dans nous l'esprit de charité. Car, c'est proprement ce qu'il nous ordonne par son prophète, quand il nous dit: Faites-vous un même cœur de plusieurs cœurs; et c'est ce qu'il promet de nous donner par un autre prophète, lorsqu'il ajoute : Je leur donnerai à tous un même cœur. Que signifie ceci? demande saint Augustin. Dieu nous promet à tous un cœur, et cependant il veut que nous fassions nous-mêmes ce cœur. S'il nous le donne, pourquoi nous commande-t-il de nous le faire ? et si nous-mêmes nous devons nous le faire, pourquoi dit-il que c'est lui qui nous le donnera? Mais ces paroles, répond ce Père, se concilient admirablement; car tout le mystère est que cette union des cœurs, où consiste la charité, est tellement l'ouvrage de Dieu qu'elle ne peut s'accomplir en nous sans nous-mêmes : il faut que la grâce la commence; mais il faut que nous l'achevions, ou, pour parler plus exactement, que nous y coopérions. Or Dieu nous promet cette grâce quand il dit : Je leur donnerai un même cœur; et il nous oblige à cette coopération quand il ajoute : Faites-vous un même cœur.
(…) il y a donc bien peu de charité parmi les hommes: peut-être, Chrétiens, y en a-t-il encore moins que nous ne pensons.
(…)peut-être conclurions-nous que cette vertu est donc l'une des plus rares; et je ne doute point qu'une conclusion aussi terrible que celle-là ne nous fit trembler, dans la vue des jugements de Dieu.
Or, si cela est vrai généralement de la charité , que devons-nous dire de la charité particulière que le Fils de Dieu nous a recommandée, et qui est comme le capital du christianisme que nous professons? Car, comme toute sorte d'amour pour le prochain n'est pas charité, aussi toute sorte de charité n'est pas charité chrétienne ; et si nous n'avons la charité chrétienne, eussions-nous d'ailleurs toutes les vertus des anges, nous ne sommes rien devant Dieu (…)
Nous aimer en sages selon le monde, nous aimer en frères selon la chair, nous aimer même selon Dieu en hommes fidèles, associés dans un même corps de religion, tout cela ne suffit pas : il faut nous aimer en disciples de Jésus-Christ, parce que sans cela nous n'avons pas cette plénitude de justice(…) et la raison, Chrétiens, est que le Sauveur du monde, notre souverain législateur, nous a fait un commandement de charité bien différent de celui que la loi naturelle et divine imposait à tous les hommes. C'est pour cela qu'il l'a appelé son commandement
(…) Ce divin Maître nous a aimés jusqu'à sacrifier pour nous tous ses intérêts en qualité d'Homme-Dieu : il nous a aimés jusqu'à se faire pauvre de riche qu'il était, voilà l'intérêt de son domaine et de ses biens ; jusqu'à s'anéantir par les excès d'une humilité sans bornes et sans mesure, voilà l'intérêt de sa gloire ; jusqu'à prendre la forme de serviteur, voilà l'intérêt de sa liberté; jusqu'à devenir un homme de douleurs, voilà l'intérêt de sa béatitude; jusqu'à mourir comme un criminel, voilà l'intérêt de sa réputation et de sa vie; le dirai-je? jusqu'à paraître devant Dieu comme un anathème, et à être traité comme un sujet de malédiction , voilà l'intérêt de sa sainteté et de son innocence.
Tout cela lui était libre, et il pouvait sans tout cela satisfaire pleinement à son amour pour nous; mais il a voulu que ce qui lui était libre nous devînt nécessaire, et de ce qui a fait le mérite de sa charité il a fait l'obligation de la nôtre. Car de prétendre ensuite aimer nos frères sans qu'il nous en coûte rien, sans renoncer à rien, sans nous captiver en rien ; de croire avoir pour eux la charité chrétienne, et d'être aussi entiers dans nos prétentions, aussi jaloux de nos droits, aussi délicats sur notre honneur, aussi amateurs de nos personnes, que l'esprit du siècle, par un faux prétexte de charité et de justice envers nous-mêmes, nous l'inspire : erreur.
(…) Cependant, mes Frères, dit saint Chrysostome, voilà notre honte , et la matière de notre scandale. Autrefois on distinguait les chrétiens par la charité, parce que la charité des chrétiens était victorieuse de tous les intérêts de la terre; et maintenant on pourrait bien nous distinguer par le désordre de la cupidité, puisque toute notre charité n'est qu'amour-propre et intérêt. Disons mieux : autrefois les ennemis mêmes de Jésus-Christ, surpris du généreux détachement qu'ils remarquaient dans les fidèles, leur rendaient avec admiration ce témoignage en forme d'éloge : Voyez comment ils s'entr'aiment; mais aujourd'hui, par un renversement bien étrange, surpris de la manière dont les fidèles s'acquittent mutuellement des devoirs de la charité, ils pourraient dans les mêmes termes, mais par la plus sanglante et la plus juste de toutes les ironies, leur rendre un témoignage tout contraire (…)
(…) quand je vois un chrétien n'avoir pour les autres que cette charité intéressée, c'est-à-dire n'aimer d'une charité officieuse et obligeante que ceux dont il se tient obligé, que ceux qui lui plaisent, que ceux qui lui sont utiles ou nécessaires ; et pour tout le reste n'avoir qu'une charité indifférente, stérile, sans mouvement et sans action ; qu'une charité à ne rien céder et à ne rien relâcher; qu'une charité sensible à l'injure, impatiente à supporter les défauts ; qu'une charité bizarre, défiante, facile à aigrir ; et lorsqu'elle est une fois émue, fière, dédaigneuse, ne revenant jamais d'elle-même , voulant toujours être prévenue , oubliant le bien et conservant un souvenir éternel du mal ; se faisant de cela même un point de conduite, de science du monde, de force d'esprit ; et pour comble d'erreur se flattant encore d'être non-seulement ce qui s'appelle charité, mais ce que saint Paul entend par cette charité éminente qui est en Jésus-Christ et que nous devons tous avoir : quand je trouve, dis-je, un chrétien ainsi disposé, ah! mon Frère, puis-je lui dire avec saint Augustin, que votre état est déplorable, et que les voies où vous marchez, et où vous vous égarez, sont éloignées de celles de Jésus-Christ!
(…) Renoncer à sa propre vie, c'est ce qui paraîtrait d'abord plus incroyable; et cependant il y a une étroite obligation de le faire pour la charité. C'est en cela, dit saint Jean, que nous avons reconnu l'amour de notre Dieu, en ce qu'il a donné sa vie pour nous; et c'est pour cela que nous devons aussi être prêts de donner notre vie pour nos frères. Telle est la résolution du Saint-Esprit même, où il n'y a ni équivoque ni obscurité. Il ne dit pas que nous le pouvons, il dit que nous le devons
(…) Renoncer à l'honneur et à sa réputation :je dis à cet honneur du siècle, qui, tout chimérique et tout vain qu'il est, ne laisse pas de nous être plus précieux que la vie(…) et si l’on ne renonce à cet honneur, il est impossible de se défendre de tous ces désordres expressément condamnés par la loi de la charité.
Renoncer à son bien et à ses droits : devoir encore plus clairement exprimé dans l'Evangile, et en des termes plus décisifs. Car, que pouvait nous dire sur cela de plus fort le Fils de Dieu, que ce que nous lisons au chapitre sixième de saint Luc, quand il nous ordonne de ne pas redemander notre bien à celui qui nous l'enlève par violence
Mais ne m'est-il pas permis de le redemander en justice; et, sans entreprendre de m'en faire raison moi-même, ne puis-je pas user des voies ordinaires pour soutenir et poursuivre mon droit? oui, mes chers auditeurs, quand cette justice peut s'accorder avec la charité. Car, du moment que la charité se trouve blessée par cette justice, ce que vous appelez justice devient pour vous la plus grande de toutes les injustices, puisqu'en vous procurant une ombre de bien, elle vous fait perdre le vrai et le solide bien.
(…) Si donc j'ai du zèle pour la conservation de la charité, je dois, autant qu'il m'est possible, combattre dans moi l'esprit d'intérêt. Dans le ciel, dit saint Chrysostome, il n'y a point de guerres, point de jalousies, point de passions qui troublent la paix. Mais d'où vient cette union si étroite et si constante entre les saints? Est-ce parce qu'ils voient Dieu, parce qu'ils l'aiment, parce qu'ils sont en état de grâce, parce qu'ils jouissent de la lumière de gloire ? Tout cela sans doute contribue à l'entretien de la charité : mais en voici une raison plus immédiate ; c'est que parmi ces bienheureux on n'entend point ces termes de mien et de tien ; c'est qu'on ne dit point : Cela est à moi, cela ne vous appartient pas, vous n'avez pas droit sur cela (…) Il n'y a qu'un même intérêt pour tous, qui est de posséder Dieu ; et comme Dieu seul suffit à tous sans se partager, ils demeurent tous réunis dans son sein sans se diviser.
(..) N'est-ce point un paradoxe dans notre religion, de dire que nous soyons obligés à respecter l'intérêt d'autrui, en même temps que Dieu nous ordonne de sacrifier notre intérêt propre ; et que la charité nous fasse une loi d'avoir des égards pour tout ce qui touche le prochain, après nous avoir fait une autre loi de renoncer d'esprit et de cœur à ce qui nous touche nous-mêmes?(…)
(…) En effet, remarque saint Chrysostome, tout homme à qui l'intérêt d'autrui est confié, par le seul motif de l'honneur se croit engagé à le ménager plus fidèlement que le sien ; et le reproche qu'on lui ferait d'avoir trahi cet intérêt lui serait plus injurieux que s'il était accusé d'avoir négligé ses intérêts personnels. Or si le monde, dans le dérèglement et la corruption où l'amour-propre l'a réduit, a encore des sentiments si droits, quels doivent être les nôtres dans la profession que nous faisons d'être chrétiens ?(…)
(…) (Saint Ambroise) il était juste que Dieu établît cet ordre parmi les hommes, c'est-à-dire qu'il nous ordonnât d'avoir du zèle pour les intérêts de notre prochain, pendant qu'il nous oblige à un détachement sincère de tout intérêt propre : pourquoi? parce qu'il savait, ajoute ce saint docteur, que, quelque détachés que nous fussions de nos propres intérêts, il ne nous resterait toujours que trop d'attention et trop d'ardeur à les maintenir; et qu'au contraire, quelque zèle que nous eussions pour les intérêts d'autrui, à peine en aurions-nous jamais autant que la loi exacte d'une entière justice le demanderait.(…) il aurait été inutile, reprend saint Ambroise, que Dieu par une loi particulière eût pourvu à l'observation de ce devoir. Il était sûr que l'homme ne s'oublierait pas; et dans cette vue, bien loin de nous exciter à avoir de l'amour pour nous-mêmes, il pensait dès lors à nous faire dans la loi de grâce ce grand commandement, de nous haïr et de nous renoncer nous-mêmes.
(…) il n'y a point d'intérêt d'autrui, quelque léger qu'on le suppose, qui ne doive être respecté(…)
(…) parce que tout intérêt d'autrui est essentiellement l'objet de la charité qui est en moi ; or, en cette qualité, il me doit être non-seulement cher, mais, si j'ose ainsi dire, vénérable.
(…) parce que cet intérêt d'autrui, qui me paraît petit en lui-même, par rapport à la charité, est presque toujours important dans ses conséquences ; or, c'est par ces conséquences que je dois l'envisager , pour bien juger des obligations qu'il m'impose selon Dieu.
(…) parce qu'il n'y a point d'intérêt d'autrui dont le mépris ou le peu de soin, par la seule faiblesse des hommes, ne puisse être pernicieux à la charité ; or, dès là je suis inexcusable si je viens à le mépriser, et si dans le commerce de la vie je n'y apporte pas toute la circonspection que demande la prudence chrétienne.
(…) selon la loi de Dieu, nous devons avoir plus de ménagement et plus de zèle. Si c'était dans les vues de l'amitié qu'on regardât cet intérêt, avec quelle exactitude, disons mieux, avec quelle religiosité ne s'y comporterait-on pas? de quelle fidélité ne se piquerait-on pas pour témoigner combien l'intérêt d'un ami nous est précieux? jusqu'à quel point de raffinement ne porterait-on pas ce respect et ce zèle ? Or voilà, dit saint Augustin, le désordre que nous avons à nous reprocher. Nous nous faisons de l'amitié une espèce de religion ; et de la charité, qui est la plus sainte des vertus, un sujet de profanation
(…) Cependant la foi nous apprend que si la charité n'est en nous plus forte et plus efficace que l'amitié, nous sommes non-seulement des hommes vains, mais réprouvés de Dieu.
(…) car aimer le prochain et n'avoir pour lui ni déférence, ni condescendance, ni retenue, ni précaution, ni soin de l'épargner, ni crainte de lui nuire et de lui déplaire, c'est une charité que saint Paul n'a point connue , et qui passera toujours pour chimérique quand on voudra la comparer avec celle dont ce grand apôtre nous a fait l'excellente peinture.(…)
(…)On a même trouvé le secret d'aimer ses frères dans le christianisme, et de leur donner tous les chagrins qu'on leur donnerait s'ils étaient nos ennemis les plus déclarés : et cela se fait d'autant plus dangereusement que l'on proteste alors plus hautement ne les point haïr. Car on les raille, on les choque, on les mortifie, on censure leurs actions, on traverse leurs desseins, on rabaisse leurs succès; et cependant on assure et on se flatte qu'on les aime, comme si tout cela était indifférent à la charité, et qu'elle n'y dût prendre aucune part
Mais ces intérêts d'autrui, me direz-vous, sont souvent trop peu de chose pour imposer à la charité une obligation si sévère. Et moi je soutiens qu'en matière de charité, mais encore plus de charité chrétienne, il n'y a rien de léger, et que par rapport à cette vertu, si nous raisonnons bien, tout doit être censé important.
(…) qu'autant que l'amour-propre est ingénieux à grossir dans notre idée les moindres offenses qui nous regardent, autant a-t-il de subtilité et d'artifice pour diminuer dans notre estime les offenses les plus graves qui s'adressent au prochain, vérité que l'expérience nous rend sensible, et qui se rapporte à ce que le Sage appelait abomination devant Dieu, quand il disait que nous avons deux poids et deux mesures : l'une, pour nos propres injures, qui consiste à exagérer, à amplifier, à relever tout; et l'autre, pour celles d'autrui, qui consiste à traiter de bagatelle et à compter tout pour (…)
(…) cette raillerie que vous avez faite, qui a paru fine et spirituelle, mais aux dépens de votre prochain, et qui peut-être a été applaudie de ceux qui n'y prenaient nul intérêt, du moment qu'elle reviendra à la personne dont vous avez parlé, quels mouvements de dépit et d'indignation n'excitera-t-elle pas dans son cœur ? Cette obstination, souvent bizarre et capricieuse, que vous avez à contredire l'humeur de votre frère ; cette parole brusque et hautaine qui vous est échappée traitant avec lui ; ce défaut de complaisance dans une occasion où vous en deviez avoir ; ce refus peu honnête et désobligeant d'un service qu'il attendait de vous, ne sont-ce pas là les principes de l'aversion qu'il vous témoigne en toutes rencontres? Si vous aviez respecté la charité, si vous aviez été, à l'égard de cet homme, aussi réservé et aussi prudent que vous voulez qu'on soit pour vous, la paix, qui est le fruit de la charité, serait encore parfaite entre vous et lui. (…)
(…) Car ce qui détruit la charité parmi les hommes, ce n'est pas seulement ni même toujours ce que les hommes appellent choses essentielles, en fait de réputation et d'honneur ; et tel ne s'offensera pas moins d'être raillé sur son ignorance et la grossièreté de son esprit, que d'être accusé de manquer de cœur et de probité. Dites d'une femme mondaine qu'elle est ridicule dans ses manières et pitoyable dans sa figure, vous la piquerez plus vivement que si vous lui reprochiez un commerce de galanterie. Ce qui détruit parmi les hommes la charité, c'est, par rapport à chacun d'eux, ce qui les aigrit, ce qui les envenime, ce qui les remplit d'amertume; et quand je me donne la licence de les entreprendre sur l'un de ces points, quel qu'il soit, je me charge devant Dieu de tout ce qui en peut arriver.
(…) la charité étant la chose du monde la plus délicate, elle veut, pour ainsi parler, être choyée, et qu'une partie du respect qui lui est dû consiste dans les égards que sa faiblesse même demande de nous. Car il ne faut pas, dit ce Père, que nous considérions cette vertu dans la pure abstraction de son être, ni telle qu'elle serait dans des créatures d'une autre espèce que celles qu'il a plu à Dieu de produire, ni même telle qu'il serait à désirer qu'elle fût absolument dans le prochain; mais telle en effet qu'elle y est, et qu'elle y sera toujours. Or il est certain que la charité, quoique forte et robuste en elle-même, n'est point communément de cette trempe dans ceux avec qui nous vivons. Au contraire, nous devons faire état qu'elle est faible dans leurs personnes , qu'elle est susceptible de toutes les impressions, aisée à choquer, et que les moindres injures sont pour elle autant de plaies dangereuses et difficiles à guérir ; d'où s'ensuit pour nous un devoir de conscience de nous étudier nous-mêmes, et d'agir toujours avec beaucoup de retenue et de douceur.
Mais cette délicatesse de la charité ne vient que de l'imperfection des hommes. Eh bien ! répond Saint Bernard, quelle conséquence pensez-vous pouvoir tirer de là? Les hommes sont nés imparfaits; donc il vous sera permis d'en user avec eux comme s'ils ne l'étaient pas ? ils ont peur eux-mêmes et pour ce qui les concerne une extrême sensibilité ; donc vous pourrez impunément les irriter et les aigrir? La charité, dans leur cœur, est bien fragile; donc vous n'aurez nul égard à sa fragilité? Eh quoi! poursuit ce saint docteur, est-ce ainsi que raisonnait saint Paul ? sont-ce là les règles de christianisme qu'il donnait aux fidèles, lorsqu'il leur recommandait de respecter jusqu'à la faiblesse de leurs frères , de se garder avec soin de les scandaliser dans les choses mêmes innocentes et d'ailleurs permises, de craindre surtout que, par leur conduite peu discrète, une âme faible, pour laquelle Jésus-Christ est mort, ne vînt à périr ?
(…) ce n'est point à moi de guérir la faiblesse des hommes, ni de corriger la délicatesse de leurs esprits et de leurs humeurs. C'est à moi de m'y accommoder, et comme chrétien, de les supporter ; et puisque les hommes sont sensibles à une parole et à une raillerie jusqu'à rompre la charité, cette raillerie, cette parole doit être pour moi quelque chose de grand. De tout temps les hommes ont été faibles et délicats. Voilà ce que je dois présupposer comme le fondement de tous mes devoirs en matière de charité. Car si, pour avoir de la charité, j'attendais que les hommes n'eussent plus d'imperfections ni de faiblesses, comme il est certain qu'ils en auront toujours, je renoncerais pour toujours à cette vertu. Dieu me commande de les aimer faibles comme ils sont, et imparfaits comme ils sont ; or, cela ne se peut si je ne respecte en eux jusqu'aux moindres de leurs intérêts, et si je ne suis circonspect jusque dans les sujets les plus légers, dont ils ont coutume, quoique sans raison, de s'offenser.
J'aurai bien plus tôt fait de condescendre là-dessus à leur faiblesse, que de prétendre qu'ils réforment leurs idées ; et il me sera bien plus avantageux d'être à leur égard humble et patient, que de m'opiniâtrer à vouloir les rendre raisonnables.
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le quatorzième dimanche après la Pentecôte.
Sur l’éloignement et la fuite du monde.
Sur l’éloignement et la fuite du monde.
Jésus dit à ses disciples : Nul ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à celui-là et méprisera celui-ci.
Extraits de Bourdaloue a écrit:C'est l'oracle de la vérité éternelle ; et sans recourir à la foi, la raison seule nous fait assez comprendre qu'il n'est pas possible d'allier ensemble le service de deux maîtres ennemis l'un de l'autre, et qui n'ont pas seulement des intérêts différents, mais des intérêts et des sentiments tout opposés. Car, comme disait l'Apôtre aux Corinthiens, qu'y a-t-il de commun entre la justice et l'iniquité, quel rapport de la lumière avec les ténèbres? enfin, quelle société peut unir et concilier Jésus-Christ et Bélial? (…)
Ce qui les y a portés (Les solitaires) encore plus fortement, c'est qu'en regardant le monde comme l'ennemi de leur Dieu, ils l'ont regardé comme leur propre ennemi, parce qu'ils savaient qu'en les détachant de Dieu et leur faisant perdre la grâce de Dieu, il les exposait à toutes les vengeances divines, et mettait un obstacle invincible à leur salut.
Le monde est contagieux, et nous sommes faibles : il faut donc absolument fuir le commerce du monde, et y renoncer pour jamais, dès que nous voyons qu'il nous pervertit et que nous sentons les premières atteintes de sa corruption. Voilà, Chrétiens, la grande règle de conduite que l'Esprit de Dieu a de tout temps prescrite aux hommes pécheurs, c'est-à-dire à ceux qui sentent particulièrement leur faiblesse, et qui en font au milieu du monde de plus fréquentes épreuves. Ainsi nous l'a fait entendre saint Grégoire, pape, dans ces belles paroles, dont l'expérience ne justifie que trop la vérité : c’est une triste fatalité, mes Frères, disait-il, que les cœurs même les plus religieux et les plus purs soient immanquablement souillés de la poussière, ou plutôt de l'iniquité et de la malignité des conversations du siècle. A combien plus forte raison les cœurs vains et les cœurs fragiles doivent-ils craindre d'en être non-seulement souillés, mais tout à fait corrompus ?
(…) Car ne sont-ce pas les plus mondains que nous voyons les plus éloquents à déclamer contre le monde, et à ne pas seulement parler de tant de périls où il expose leur innocence et par conséquent leur salut, mais à les exagérer : faussement persuadés que plus le monde est dangereux, plus ils sont excusables de donner malheureusement dans ses pièges, et de s'y laisser surprendre. De là ce langage si ordinaire : qu'il faudrait être de la nature des anges pour se maintenir dans le monde et pour se sauver de sa contagion ; qu'il faudrait être sans yeux pour ne rien voir, et sans oreilles pour ne rien entendre ; qu'il faudrait n'avoir ni un cœur sensible aux passions humaines, ni un corps susceptible des impressions de la chair; que tout est danger ou que tout porte avec soi son danger. Et le moyen en effet, dit-on, de résister aux charmes de tant d'objets qui nous frappent sans cesse la vue ; d'avoir sans cesse devant nous tant d'exemples qui nous entraînent, et de n'en pas suivre l'attrait ; de vivre sans cesse parmi des gens qui n'ont dans l'esprit que telles et telles maximes, qui ne débitent dans les entretiens que telles et telles maximes, qui, dans la pratique, n'agissent que selon telles et telles maximes, et de ne pas penser comme eux, de ne pas parler comme eux, de ne pas agir comme eux? J'en conviens, mon cher auditeur, cela n'est pas naturellement possible. Mais vous en demeurez là, et je vais plus loin. Car ce danger supposé et reconnu par vous-même, je me sers de votre propre témoignage pour vous convaincre, de quoi ? je l'ai dit, et je le répète : que vous devez donc vous éloigner du feu pour n'être pas atteint de la flamme ; c'est-à-dire que vous devez donc vous éloigner du monde, et, par une fuite sage et chrétienne, vous mettre à couvert de ses traits empoisonnés.
(…) qu'il y a donc à tirer de la corruption du monde et de la connaissance que nous avons des dangers inévitables où nous engage le commerce du monde, c'est celle que j'ai marquée : de renoncer au monde, d'abandonner le monde, de ne le laisser point approcher de nous, et de ne nous point approcher de lui, afin qu'il ne puisse nous communiquer son poison. Voilà le préservatif nécessaire dont nous devons user. Je dis nécessaire; car, tandis que nous avons ce moyen et que nous le négligeons, de compter que Dieu y supplée par un autre moyen hors des voies ordinaires de sa sagesse ; de nous promettre qu'il nous favorisera d'une protection particulière et toute-puissante, c'est faire fond sur un miracle, et c'est se rendre indigne d'un miracle que de l'attendre, lorsque, sans ce miracle, nous avons une ressource plus commune, et qu'il ne tient qu'à nous d'éprouver. Dieu veut bien vous aider dans le divorce que vous avez à faire avec le monde; il veut bien pour cela vous prévenir, vous seconder, vous fortifier; mais du reste, après avoir là-dessus satisfait à tout ce que lui dictent sa providence et sa miséricorde, il vous confie, pour ainsi parler, vous-même à vous-même, il vous charge de votre propre salut(…)
(…)Sauvez-vous maintenant, et retirez-vous. Vous voyez le péril : voici par où vous pourrez échapper ; prenez cette route qui vous est ouverte, il n'y en a point d'autre pour vous.
(…)mais parce que tout contagieux qu'est le monde vous l'aimez, et que souvent même ce qui en fait la plus mortelle contagion, c'est ce qui vous flatte et ce qui vous plaît davantage; au lieu de le fuir comme vous reconnaissez qu'il le faudrait, vous vous prévalez, pour y demeurer, de certains engagements qui vous y retiennent, à ce que vous prétendez, malgré vous. (…) vous ne manquez pas en même temps d'ajouter que vous n'êtes pas maîtres de vous, et que vous êtes attachés par des liens qu'il n'est guère en votre pouvoir de rompre. Or c'est ce prétexte que j'ai maintenant à combattre ; et, pour le détruire, je ne veux que quelques réflexions où je vous prie d’entrer avec moi. (…)
Car, de quelque nature que puissent être les engagements qui vous arrêtent, il y a, et c'est la première réflexion, il y a un engagement supérieur qui doit l'emporter sur tous les autres. Quel est-il ? je l'ai déjà dit : l'intérêt de votre âme et votre salut éternel. Dès que ce salut éternel, que cet intérêt de votre âme est en compromis avec tout autre chose, ce qui était engagement pour vous cesse de l'être ; ou de tous les engagements humains il n'y en a aucun qui ne doive être sacrifié.
(…) Que le mondain le plus sensuel ne puisse autrement se garantir d'une mort prochaine que par la plus douloureuse opération, ou par le régime le plus ennuyeux et le plus gênant, non-seulement il s'y condamnera lui-même, mais il se tiendra encore heureux de pouvoir ainsi prolonger ses jours. A combien plus forte raison un chrétien doit-il donc, pour une vie mille fois plus précieuse, qui est la vie de l’âme, pratiquer cette grande maxime du Fils de Dieu. Si votre œil vous scandalise, arrachez-le(…)
Mais un bras, un œil, sont bien chers, parce qu'ils sont bien nécessaires. Il n'importe : dès qu'un autre bien plus nécessaire encore, et souverainement nécessaire, demande que vous vous passiez de ce bras et de cet œil, vous ne devez pas hésiter un moment.
(…) comme je vous l'ai déjà fait observer, ce souverain bien est la fin dernière; et quand il est question de la fin dernière, on ne délibère point, ou l'on ne doit point délibérer. Pourquoi, écrivait saint Jérôme, voulez-vous rester dans un lieu où, tous les jours, vous êtes dans la nécessité de vaincre ou de périr? (…)
(…) Ainsi parlait ce Père ; et moi, si j'ose enchérir sur sa pensée, je vous dis : Pourquoi voulez-vous rester dans un lieu où vous ne vaincrez pas, et où il est presque infaillible que vous périrez? Mais je suis résolu d'y vaincre : vous le croyez ; et je soutiens, moi, que ce n'est là qu'une fausse résolution, ou du moins que ce ne sera qu'une résolution inefficace. Fausse résolution qui vous trompe : car si, de bonne foi, vous vouliez vaincre le monde, et si, après avoir compris de quelle importance il vous est de ne vous y pas laisser corrompre, vous vous étiez bien déterminé à vous défendre contre ses attaques, vous ne balanceriez pas tant à le fuir, puisque vous ne pouvez ignorer que la fuite est au moins le plus sûr et le plus fort rempart que vous ayez à lui opposer. Résolution inefficace qui se démentira dans l'occasion. Le passé suffit pour vous l'apprendre. En combien de rencontres l'occasion a-t-elle fait évanouir toutes les résolutions que vous aviez formées ? Le monde sera toujours aussi engageant pour vous qu'il l'a été, vous serez toujours aussi faible pour lui résister ; et Dieu ne vous donnera pas plus de secours dans le péril où vous vous serez vous-même précipité. C'est de quoi vous êtes dans le fond assez instruit, quoique vous tâchiez de vous persuader du contraire : et si vous vouliez sans déguisement traiter avec vous-même, et bien rentrer en vous-même, vous verriez que cette résolution imaginaire de combattre et de vaincre n'est qu'un prétexte et une illusion. Car en voici le mystère : vous aimez le monde, et parce que vous y êtes attaché et que vous l'aimez, vous ne pouvez vous résoudre à le quitter. Cependant, avec un reste de religion et de crainte de Dieu que vous n'avez pas perdu, vous découvrez toute la malignité du monde, et votre conscience, malgré vous, vous dicte intérieurement que le bon parti serait de s'en éloigner : mais ce parti ne vous plaît pas, et vous en prenez un autre. Afin de ne vous pas séparer de ce que vous aimez, vous voulez toujours avoir les mêmes habitudes dans le monde. Mais aussi pour calmer votre conscience, qui voit le péril et qui s'en alarme, vous comptez sur une résolution chimérique de tenir ferme désormais, en quelque rencontre que ce soit, et de demeurer inébranlable ; c'est-à-dire que vous vous jouez vous-même, et que vous prenez plaisir à vous perdre, sans vouloir le remarquer.
(…) lorsque Dieu vous ordonne de l'éviter, lorsque mille épreuves funestes vous ont fait connaître qu'il est pour vous d'une conséquence infinie de l'éviter.
D'autant plus coupable, d'autant plus coupable dans cet entêtement opiniâtre qui vous fait toujours revenir au monde et aux sociétés du monde, que ces engagements dont vous pensez pouvoir vous autoriser ne sont point communément tels que vous vous les représentez.(…)
(…) à bien examiner ce qu'on appelle, dans l'usage le plus ordinaire, engagements du monde, on trouvera que ce ne sont point des engagements nécessaires; que ce sont des engagements de passion, des engagements d’ambition, des engagements de curiosité, des engagements de sensualité et de mondanité.
(…) Avouez-le, mon cher auditeur, et ne cherchez point à vous tromper vous-même : ne pourriez-vous pas vous passer de tout cela, modérer tout cela, beaucoup retrancher de tout cela? Mais mon état le demande. Votre état? et quel état? Est-ce votre état de chrétien ou de chrétienne? bien loin de le demander, il le condamne, il le défend. Est-ce votre état de mondain ou de mondaine? mais qu'est-il nécessaire que dans votre état vous soyez un mondain ou une mondaine? qu'est-il nécessaire que dans cet état vous vous conduisiez selon l'esprit du monde, et non selon l'esprit de Dieu ? Or l'esprit de Dieu ne connaît point pour de véritables engagements toutes ces manières et tous ces usages du monde, qui ne sont fondés que sur les principes et sur les sentiments de la nature corrompue.
Vous me direz que le monde sera surpris du divorce que vous ferez avec lui ; qu'on en parlera, qu'on en raisonnera, qu'on en raillera. Eh bien ! vous laisserez parler le monde; vous le laisserez raisonner, railler tant qu'il lui plaira; et vous aurez, malgré tous les discours du monde, la consolation intérieure de voir que vous suivez le bon chemin, que vous vous mettez hors de danger, et que vous vous sauvez. Sera-ce le monde qui viendra vous tirer de l'abîme éternel, quand vous y serez une fois tombé? (…)
(…) Fuyons le monde, sortons de cette Babylone : retirons-nous, autant qu'il est possible, de cette terre maudite, où règne le trouble et la confusion(…)
Nous y sommes chacun intéressés, puisqu'il y va de notre âme pour chacun de nous. Ne la livrons pas à un ennemi si dangereux. Il ne cherche qu'à la perdre : tirons-la, et, s'il le faut, arrachons-la par violence de ses mains. Quelque effort qu'il y ait à faire, quelque victoire et quelque sacrifice qu'il en coûte, nous serons bien payés de nos peines si nous pouvons nous assurer un si riche trésor (…)
(…)Car, si vous avez à craindre les railleries du monde, ce n'est plus désormais quand vous vivrez séparées de lui, mais au contraire quand vous voudrez toujours entretenir les mêmes liaisons avec lui. Autrefois il eût demandé pourquoi l'on ne vous voyait point ici ni là; mais peut-être commence-t-il maintenant à demander pourquoi l'on vous y trouve, et ce qui vous y attire. Heureux que votre Dieu soit encore disposé à vous recevoir, quoique vous n'ayez que les restes, et, si j'ose le dire, que le rebut du monde à lui offrir !
Ce n'est pas toutefois, Chrétiens, pour ne rien exagérer, qu'il n'y ait un certain monde dont la société peut être innocente, et avec qui vous pouvez converser. Dieu s'est réservé partout des serviteurs ; et, au milieu des eaux qui inondèrent toute la terre, il y avait une arche qui renfermait une famille sainte et une assemblée de justes. Ainsi jusque dans le siècle il y a un monde fidèle, un monde réglé, un monde, si je puis m'exprimer de la sorte, qui n'est point monde. Dès que vous vous en tiendrez là, et que du reste vous y garderez toute la modération nécessaire, c'est-à-dire que vous ne passerez point les bornes d'une bienséance raisonnable, d'une amitié honnête, et, si vous voulez, d'une réjouissance modeste et chrétienne, j'y consentirai.
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
… Car, comme disait l'Apôtre aux Corinthiens, qu'y a-t-il de commun entre la justice et l'iniquité, quel rapport de la lumière avec les ténèbres ? enfin, quelle société peut unir et concilier Jésus-Christ et Bélial ? (…)
…Ainsi nous l'a fait entendre saint Grégoire, pape, dans ces belles paroles, dont l'expérience ne justifie que trop la vérité: c’est une triste fatalité, mes Frères, disait-il, que les cœurs même les plus religieux et les plus purs soient immanquablement souillés de la poussière, ou plutôt de l'iniquité et de la malignité des conversations du siècle.
… il y a un engagement supérieur qui doit l'emporter sur tous les autres. Quel est-il ? Je l'ai déjà dit: l'intérêt de votre âme et votre salut éternel.
(…) comme je vous l'ai déjà fait observer, ce souverain bien est la fin dernière; et quand il est question de la fin dernière, on ne délibère point, ou l'on ne doit point délibérer. Pourquoi, écrivait saint Jérôme, voulez-vous rester dans un lieu où, tous les jours, vous êtes dans la nécessité de vaincre ou de périr? (…)
… Sera-ce le monde qui viendra vous tirer de l'abîme éternel, quand vous y serez une fois tombé ? (…)
(…) Fuyons le monde, sortons de cette Babylone: retirons-nous, autant qu'il est possible, de cette terre maudite, où règne le trouble et la confusion(…)
(…) Car, si vous avez à craindre les railleries du monde, ce n'est plus désormais quand vous vivrez séparées de lui, mais au contraire quand vous voudrez toujours entretenir les mêmes liaisons avec lui.
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gras ajoutés.
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le quinzième dimanche après la Pentecôte.
La crainte de la mort.
La crainte de la mort.
Lorsque Jésus-Christ était près d'entrer dans la ville, on portait en terre un mort, fils unique d’une femme veuve, et cette femme était accompagnée d'une grande quantité de personnes de la ville. Jésus l’ayant vue, il en fut touché, et lui dit : Ne pleurez point.
Extraits de Bourdaloue a écrit:La seule image de la mort nous contriste et nous effraye, mais nous devons combattre, ou du moins régler cette crainte.
Je le sais, Chrétiens, et je n'en puis disconvenir ; c'est un sentiment que la nature a de tout temps imprimé dans le cœur des hommes,(…) ne sommes-nous pas bien dignes de compassion, si nous ne faisons pas, avec les secours de la grâce et les lumières du christianisme, ce que des philosophes ont fait par la seule lumière naturelle, et si nous avons moins de force dans la vraie religion qu'ils n'en ont témoignée dans l'idolâtrie et la superstition ?
(…) Tantôt ils prétendaient que c'était pour nous une crainte ridicule que celle de la mort, étant déjà morts tant de fois, et mourant tous les jours (…): Qu'est-ce à dire, morts tant de fois? c'est qu'autant d'années que nous avons vécu, et qui ne reviendront jamais, ce sont autant de portions retranchées de notre vie, et comme autant de morts par où nous avons passé ; et qu'est-ce à dire, mourant tous les jours? c'est que chaque moment qui nous échappe sans retour est une preuve continuelle de la mort (…)
En effet, ces inégalités si odieuses de la fortune, ces discernements si aveugles de la faveur, ces rabaissements du mérite et de la vertu, ces élévations des plus vils sujets, enfin ces iniquités du siècle qui nous irritent et qui excitent notre indignation, tout cela doit cesser à la mort, et c'est uniquement de la mort que nous devons espérer de voir la fin de tout cela. Or, cette espérance est une des plus douces consolations dans les disgrâces de la vie (…)
Mais tout cela, me répondrez-vous, ce n'étaient que des spéculations et de pompeuses paroles, qui n'empêchaient pas ces sages de la gentilité d'avoir la mort en horreur et de la fuir. Vous vous trompez, Chrétiens; ce n'étaient ni de vaines paroles, ni de sèches spéculations. C'étaient pour eux des raisons efficaces qui les persuadaient, et qui même les persuadaient souvent jusqu'à l'excès, puisqu'ils en sont bien des fois venus jusqu'à se rendre homicides d'eux-mêmes, et à s'en faire un honneur, un plaisir, une vertu. C'était une erreur du paganisme : mais notre confusion est que ces païens, ayant eu assez de grandeur d'âme et de fermeté pour aimer la mort et pour la rechercher, nous qui sommes chrétiens, nous en ayons trop peu pour ne la pas craindre.
(…)dans le christianisme nous avons les raisons les plus solides, les raisons les plus essentielles, les raisons les plus capables de pénétrer nos esprits et de répandre dans nos cœurs une onction de grâce, en faveur de la mort et à l'avantage de la mort Vous me les demandez, et les voici telles que la foi nous les propose, et que nous devons nous les proposer à nous-mêmes : la vue de Jésus-Christ mourant, l'attente du royaume de Dieu, l'exemple des saints et de tant de justes, les trésors infinis de grâce dont la mort peut être enrichie. A quoi serons-nous sensibles, si rien de tout cela ne fait impression sur nous?
La vue de Jésus-Christ mourant, de ce Dieu qui, immortel de sa nature, ne s'est revêtu de notre chair, selon la théologie de saint Paul et selon son expression, que pour goûter la mort, et en la goûtant lui ôter toute son amertume(…)
Cependant, Chrétien faible et lâche, cette mort vous paraît encore amère. Jésus-Christ l'a goûtée pour vous, et il vous semble dur de la goûter pour lui, et après lui. Quelque soin qu'il ait pris d'y répandre une douceur divine, vous la rejetez comme un calice plein de fiel et d'absinthe. L'Apôtre a beau se féliciter de ce que la mort a été comme absorbée et dépouillée par le triomphe de cet Homme-Dieu sur elle; il a beau la défier, et, par une espèce d'insulte qui n'a rien de présomptueux, lui demander : 0 mort, où est ta victoire ? où est ton aiguillon? ? tout cela ne nous touche point. La mort est toujours victorieuse de notre faiblesse, elle a toujours à notre égard la même force, toujours le même aiguillon; et l'on dirait que la vertu de la croix et de la mort du Rédempteur est en quelque sorte anéantie. Le privilège des chrétiens unis à Jésus-Christ est de mourir, et de ne pas sentir le tourment ni l'affliction de la mort
(…)Mais nous renonçons à ce privilège; et, par une pusillanimité indigne de notre foi, non-seulement nous sentons ce tourment de la mort, mais nous l'anticipons, mais nous l'augmentons.
Ce n'est pas assez : l'attente du royaume de Dieu, de ce royaume du ciel, où nous savons que nous ne pouvons entrer qu'après la mort, puisque Dieu lui même nous l'a déclaré N'est-il pas étonnant que parmi les demandes que nous faisons à Dieu, une des premières et des plus importantes soit que son règne arrive pour nous, et qu'en même temps, par une visible contradiction, nous souhaitions avec tant d'ardeur de retarder le plus qu'il nous est possible l'avènement de ce règne? N'est-il pas étrange que ce règne de Dieu devant être notre souverain bien, nous en redoutions les approches comme notre souverain mal?
(…) nous sommes consternés à la seule idée de la mort, et nous frémissons au moindre péril qui nous en approche, ou qui l'approche de nous.
Ce n'est pas tout encore : l'exemple des saints et de tant de justes. N'avons-nous pas les mêmes secours pour nous affermir contre la mort, et d'où vient donc que nous tenons à toute heure un langage si différent et même si contraire à celui des serviteurs de Dieu ?
Je languis d'ennui sur la terre, parce que c'est une terre étrangère pour moi. Heureux moment où je paraîtrai devant mon Dieu ! je l'attends, je le désire, je le demande. Ainsi ce prophète , le saint roi David s'en expliquait-(…) Mais nous, bien autrement disposés, nous trouvons que notre exil dure trop peu ; nous voudrions demeurer éternellement en ce monde, et en faire notre patrie ; nous gémissons d'être forcés d'en partir ; et ce départ qui nous désole, nous formons pour le différer les vœux les plus vifs et les plus ardents.
Enfin les trésors de mérites dont la mort peut être enrichie. Car quelles vertus la mort ne nous donne-t-elle pas occasion de pratiquer C'est en vue de la mort que nous faisons à Dieu le sacrifice le plus héroïque, qui est celui de notre vie, et que nous devenons, en quelque manière, semblables aux martyrs. C'est par une libre acceptation de la mort que nous témoignons à Dieu la soumission la plus généreuse, et que nous lui rendons le devoir de l'obéissance la plus parfaite, puisqu'elle va jusqu'à la destruction de nous-mêmes.
C'est au milieu des douleurs de la mort que nous commençons à nous acquitter auprès de la justice de Dieu, recevant l'arrêt de notre mort en esprit de pénitence ; lui offrant notre mort non-seulement comme une satisfaction générale et commune du péché de nos premiers parents, mais comme une satisfaction particulière et personnelle de nos propres péchés; consentant (…) à être dénués de tout dans le sein de la terre ; pour la réparation de nos vanités et de notre orgueil, à être ensevelis dans les ombres et la poussière du tombeau; pour la réparation de nos sensualités et de nos plaisirs criminels, à devenir la pâture des vers.
C'est par une sainte union de notre mort avec la mort de Jésus-Christ, que nous entrons en participation des grâces surabondantes que ce Dieu Sauveur a renfermées dans sa croix, comme dans une source inépuisable : et qui peut dire de quelles richesses spirituelles un mourant se sent quelquefois comblé; ou sans attendre l'heure de sa mort, qui peut dire de quelles impressions secrètes un chrétien est pénétré, de quels mouvements intérieurs il est animé, lorsque, anticipant son dernier jour, il se met à certains jours et en esprit au lit de la mort, et qu'il se présente à Dieu comme une victime qui lui est destinée, et qui lui doit être immolée?
Je dois donc en convenir, chrétiens auditeurs : puisque la mort est suivie d'une éternité bienheureuse ou malheureuse ; puisque c'est la mort qui décide pour jamais de notre destinée dans cette éternité; puisqu'au moment de la mort nous devons être présentés devant le souverain Juge, pour lui rendre un compte exact de toute notre vie, et pour en recevoir, par un dernier arrêt, ou la récompense ou le châtiment, toutes ces pensées, qui sont comme les points fondamentaux de notre foi, vivement retracées dans nos esprits et bien méditées, ont de quoi nous faire trembler et nous saisir d'une juste frayeur. Mais, après tout, ma proposition ne laisse pas de subsister; et je prétends toujours que si cette crainte de la mort prédomine en nous, que si c'est une crainte toute pure, sans mélange de consolation, et qui n'ait pas ce tempérament de grâce que lui doit donner l'espérance chrétienne, même dans la personne des pécheurs ; quelque sainte qu'elle paraisse, nous sommes encore dignes de compassion ; pourquoi cela? parce qu’étant chrétiens, la foi nous fait trouver dans la mort même de quoi nous tenir lieu de ressource, si j'ose m'exprimer ainsi, contre ces jugements de Dieu si formidables. Or, ce qu'il y a de pitoyable en nous, c'est que tout cela se trouvant dans la mort, nous ne l'y trouvions néanmoins jamais, et que nous n'écoutions la foi qu'à demi, sur un sujet où nous pouvons la faire servir de correctif à elle-même, en opposant aux vérités effrayantes qu'elle nous enseigne, d'autres vérités consolantes qu'elle y ajoute.
Saint Augustin lorsqu'il nous dit que nous devons avoir par proportion les mêmes sentiments et les mêmes affections pour la mort, que nous avons pour Dieu. Dieu, remarque ce saint docteur, est tout ensemble et aimable et terrible. Il est aimable, parce que c'est un Dieu de miséricorde et de bonté ; et il est terrible, parce que c'est un Dieu de justice, et selon l'expression de l'Ecriture, le Dieu des vengeances. Comme terrible, il veut être craint ; et comme aimable , il veut être aimé.
De même, reprend ce Père, la mort a deux visages tout différents. Elle est redoutable d'une part, et désirable de l'autre. Redoutable, parce qu'elle peut être pour nous le commencement d'un malheur éternel ; mais désirable, parce que, selon les vues de Dieu, elle nous doit mettre en possession de l'immortalité et de la gloire. Il faut donc que nous la craignions et que nous l'aimions tout à la fois : c'est-à-dire que nous la craignions d'une crainte mêlée d'amour, et que nous l'aimions d'un amour accompagné de crainte. Il y a plus, ajoute saint Augustin: car comme Dieu, qui est aimable et terrible, veut absolument parlant, être plus aimé des hommes que redouté, aussi devons-nous plus aimer la mort que la craindre : et comme Dieu ne se tiendrait pas honoré de nous autant qu'il le veut être, si nous le craignions plus que nous ne l'aimons; ainsi peut-on dire que nous ne sommes pas dans une disposition parfaitement chrétienne si nous craignons plus la mort que nous ne l'espérons, parce que notre crainte et notre amour par rapport à elle doivent suivre la mesure de notre amour et de notre crainte à l'égard de Dieu. Il faut donc craindre la mort par esprit de foi ; mais il faut encore plus l'espérer et la désirer en esprit de foi. Tel est le raisonnement de saint Augustin.
Ce n'est pas que les saints n'aient craint la mort, ou plutôt les suites de la mort. Saint Paul, qui témoignait tant d'empressement de voir la prison de son corps détruite, reconnaissait néanmoins que c'était une chose terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant Et le même David, qui demandait si instamment de voir Dieu, ne laissait pas de chercher un asile où il pût se mettre à couvert de sa colère(…)
Cependant, quelque partagés qu'ils parussent entre ces divers mouvements d'amour et de crainte, le désir l'emportait, et ils ne pouvaient se défendre de souhaiter la mort en considérant que c'était la voie pour aller à Dieu. (…)
Mais vous me dites que vous craignez la mort, parce que vous êtes pécheur; que vous la craignez, parce que vous êtes actuellement dans le désordre du péché et dans l'inimitié de Dieu; que vous la craignez, parce qu'étant fragile, vous pouvez perdre à tout moment la grâce; que vous la craignez, parce que vous êtes exposé à des occasions dangereuses et à toute la corruption du monde; que vous la craignez, parce que, quelque bien que vous puissiez faire, vous êtes toujours incertain de votre état devant Dieu , et que vous ne savez si vous êtes digne de haine ou d'amour. Car voilà toutes les dispositions où la crainte de la mort pourrait être, avec plus de prétexte, autorisée par la foi. Et moi je réponds qu'en toutes ces dispositions, à quiconque veut consulter la foi et agir selon la foi, la vue de la mort doit encore être aimable, et que nous y découvrons toujours des sources fécondes d'espérance et de confiance, pour modérer l'excès de nos craintes.
Ah ! Seigneur, que deviendrais-je si cette vue touchante de la mort, qui me règle et qui me gouverne, venait jamais à m'abandonner? En quels dérèglements irais-je me précipiter, et où me porterait ma passion? Je suis dans le désordre du péché, et c'est pour cela même que je dois envisager souvent la mort. Quelle conséquence ! elle est très-naturelle. Parce que, s'il y a quelque chose qui soit propre à me convertir et à me faire sortir de l'affreux état où je suis tombé, c'est la mort bien envisagée et bien considérée.
(…) l’idée cette vue de la mort, et pourquoi n'en ferais-je pas ma plus solide consolation ? Je suis fragile, et je puis perdre à chaque moment la grâce : mais que s'ensuit-il de là? que je dois donc m'entretenir sans cesse de la vue de la mort, puisque ce sera le soutien de ma fragilité ; et que , portant ce précieux trésor de la grâce dans un vase de terre, il n'y a que la vue de la mort qui puisse affermir mes pas, et me mettre en quelque sûreté. C'est donc être bien ennemi de moi-même et de mon salut si je fuis cette vue, et si je la crains comme un sujet de tristesse et d'abattement. (…)
(…) Soit donc que j'aie égard à l'intérêt de Dieu, soit que je sois sensible au mien, la mort me doit être, sous l'un et l'autre rapport, un avantage. Pour l'intérêt de Dieu, parce qu'elle nous fait entrer dans un état où nous ne sommes plus capables de l'offenser. Pour le mien, parce que dans cet état le monde n'est plus capable de nous corrompre(…)
Mais après tout, nous ne savons si nous sommes dignes d'amour ou de haine. Vous l'avez voulu de la sorte, ô mon Dieu , pour nous tenir dans une plus grande dépendance de votre grâce : mais du reste, au milieu de cette incertitude, la vue de la mort nous fait trouver tout le repos que nous pouvons avoir en cette vie, puisqu'elle nous fait prendre toutes les mesures nécessaires pour nous maintenir dans l'amour de Dieu. En deux mots, ou nous sommes pécheurs, ou nous sommes justes. Si nous sommes pécheurs, la vue de la mort nous ramène dans les voies de Dieu; et si nous sommes justes, la vue de la mort nous confirme dans les voies de Dieu.
Nous craindrons la mort sans faiblesse, et nous la désirerons sans présomption. Nous trouverons de quoi bénir Dieu jusque dans les effets de sa justice, et nous nous en ferons un moyen de sanctification en ce monde, pour obtenir en l'autre la félicité éternelle(…)
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
… ces païens, ayant eu assez de grandeur d'âme et de fermeté pour aimer la mort et pour la rechercher, nous qui sommes chrétiens, nous en ayons trop peu pour ne la pas craindre.
… la vue de Jésus-Christ mourant, l'attente du royaume de Dieu, l'exemple des saints et de tant de justes, les trésors infinis de grâce dont la mort peut être enrichie. A quoi serons-nous sensibles, si rien de tout cela ne fait impression sur nous ?
… Le privilège des chrétiens unis à Jésus-Christ est de mourir, et de ne pas sentir le tourment ni l'affliction de la mort.
N'est-il pas étonnant que (…) par une visible contradiction, nous souhaitions avec tant d'ardeur de retarder le plus qu'il nous est possible l'avènement de ce règne ? N'est-il pas étrange que ce règne de Dieu devant être notre souverain bien, nous en redoutions les approches comme notre souverain mal ?
… Dieu, remarque ce saint docteur [Saint Augustin], est tout ensemble et aimable et terrible. Il est aimable, parce que c'est un Dieu de miséricorde et de bonté; et il est terrible, parce que c'est un Dieu de justice, et selon l'expression de l'Ecriture, le Dieu des vengeances. Comme terrible, il veut être craint ; et comme aimable, il veut être aimé.
… Il y a plus, ajoute saint Augustin: car comme Dieu, qui est aimable et terrible, veut absolument parlant, être plus aimé des hommes que redouté, aussi devons-nous plus aimer la mort que la craindre : et comme Dieu ne se tiendrait pas honoré de nous autant qu'il le veut être, si nous le craignions plus que nous ne l'aimons; ainsi peut-on dire que nous ne sommes pas dans une disposition parfaitement chrétienne si nous craignons plus la mort que nous ne l'espérons, parce que notre crainte et notre amour par rapport à elle doivent suivre la mesure de notre amour et de notre crainte à l'égard de Dieu. Il faut donc craindre la mort par esprit de foi; mais il faut encore plus l'espérer et la désirer en esprit de foi. Tel est le raisonnement de saint Augustin.
…nous ne savons si nous sommes dignes d'amour ou de haine. Vous l'avez voulu de la sorte, ô mon Dieu, pour nous tenir dans une plus grande dépendance de votre grâce…
Nous craindrons la mort sans faiblesse, et nous la désirerons sans présomption. Nous trouverons de quoi bénir Dieu jusque dans les effets de sa justice, et nous nous en ferons un moyen de sanctification en ce monde, pour obtenir en l'autre la félicité éternelle (…)
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le seizième dimanche après la Pentecôte.
L’ambition
L’ambition
Il adressa ensuite aux conviés une parabole, prenant garde comment ils choisissaient les premières places.
Extraits de Bourdaloue a écrit: Il n'y a point de passion qui n'aveugle l'homme, et qui ne lui fasse voir les choses dans un faux jour, où elles lui paraissent tout ce qu'elles ne sont pas, et ne lui paraissent rien de ce qu'elles sont. Mais on peut dire, Chrétiens, et il est vrai, que ce caractère convient particulièrement à l'ambition. Comme la science du bien et du mal fut le premier fruit que l'homme rechercha et qu'il osa se promettre, quand il se laissa emporter à la vanité de ses désirs ; aussi l'ignorance et l'erreur est la première peine qu'il éprouva, et à quoi Dieu le condamna pour punir son orgueil et pour le confondre. Il voulut, en s'élevant au-dessus de lui-même, connaître les choses comme Dieu. Et Dieu l'humilia, en lui ôtant même les connaissances salutaires qu'il avait comme homme. Livré à son ambition, il devint, dans sa prétendue sagesse, moins sage qu'un enfant, dépourvu de sens et de conduite ; et il sembla que toutes les lumières de sa raison s'étaient éclipsées, dès qu'il conçut le dessein de monter à un degré plus haut que celui où Dieu l'avait placé.
Voila le point de morale que notre religion nous propose comme un point de foi, et qui est si incontestable que les philosophes païens l'ont reconnu.
Quelque ambitieux qu'aient été ces sages du monde, ils ont confessé qu'en cela même ils étaient aveugles; et jamais ils n'ont paru ni plus judicieux ni plus éloquents que quand ils se sont appliqués, ainsi que nous le voyons dans leurs ouvrages, à développer les ténèbres sensibles que l'ambition a coutume de répandre dans un esprit.
Quel aveuglement de désirer toujours ce qu'il n'a pas, et de ne se contenter jamais de ce qu'il a; de faire consister sa félicité à être ce qu'il n'est pas encore, et souvent ce qu'il ne sera jamais, et de vivre dans un perpétuel dégoût pour ce qu'il est; de chercher toute sa vie ce qu'il ne trouve point et ce qu'il est incapable de trouver, savoir, le repos et la paix du cœur, puisque autant qu'il est essentiel à un ambitieux d'aspirer à être content, autant est-il certain que jamais il n'y parviendra; de prendre plaisir à se charger de soins, de peines, de fatigues, et à s'en charger jusqu'à s'accabler s'il pouvait, et à se faire une gloire de cet accablement : ce qui est la grande folie où aboutit l'ambition, et le terme où elle vise? Ce n'est pas assez. Quel aveuglement, et même quelle espèce d'enchantement, de s'engager en tant de misères pour un fantôme d'honneur qui n'a rien de solide, qui ne donne point le mérite, ni communément ne le suppose point, qui plutôt contribue à le faire perdre, qui ne subsiste que dans l'idée de quelques hommes trompés, qui devient le jouet du caprice et de l'inconstance, et qui, tout au plus, ne peut s'étendre qu'à une vie courte, pour disparaître bientôt à la mort, et pour s'évanouir comme une fumée !
Prenez garde, Chrétiens : affliction d'esprit et vanité, c'est à quoi se réduisent toutes les recherches de l'ambition, et ce qui en fait le double aveuglement.
(…) je dis que l'ambition est doublement aveugle dans ses recherches, et voici comment. En premier lieu, parce qu'elle s'y propose un prétendu bonheur, et qu'elle n'y trouve que des chagrins, des croix, ce que nous appelons affliction d'esprit(…) parce qu'elle s’y propose une véritable grandeur, et qu'elle n'y trouve qu'une grandeur vaine , et souvent même que sa honte et son humiliation(…)
C'était pour saint Bernard un sujet d'étonnement dont il avait peine à revenir, lorsque, repassant d'une part en lui-même, et considérant tout ce que l'ambition attire d'inquiétudes, d'alarmes, de troubles , d'agitations , de douleurs intérieures et de désespoirs, il voyait néanmoins d'ailleurs tant d'ambitieux, et le monde rempli de gens possédés d'une passion si cruelle à ceux mêmes qui l'entretiennent et qui la nourrissent dans leur sein. 0 ambition ! s'écriait ce Père, par quel charme arrive-t-il , qu'étant le supplice d'un cœur où tu as pris naissance, et où tu exerces ton empire, il n’y a personne toutefois à qui tu ne plaises, et qui ne se laisse surprendre à l'attrait flatteur que tu lui présentes (…)
(…) C'est que, pour parvenir à cet état où l'ambition se figure tant d'agréments, il faut prendre mille mesures toutes également gênantes, et toutes contraires à ses inclinations; qu'il faut se miner de réflexions et d'étude, rouler pensées sur pensées, desseins sur desseins, compter toutes ses paroles, composer toutes ses démarches, avoir une attention perpétuelle et sans relâche, soit sur moi-même, soit sur les autres. C'est que pour contenter une seule passion, qui est de s'élever à cet état, il faut s'exposer à devenir la proie de toutes les passions : car y en a-t-il une en nous que l'ambition ne suscite contre nous; et n'est-ce pas elle qui, selon les différentes conjonctures et les divers sentiments dont elle est émue , tantôt nous aigrit des dépits les plus amers, tantôt nous envenime des plus mortelles inimitiés, tantôt nous enflamme des plus violentes colères , tantôt nous accable des plus profondes tristesses, tantôt nous dessèche des mélancolies les plus noires, tantôt nous dévore des plus cruelles jalousies ; qui fait souffrir à une âme comme un espèce d'enfer, et qui la déchire par mille bourreaux intérieurs et domestiques ?
Je trouve la réflexion de saint Ambroise très-solide et pleine d'un grand sens , quand il dit qu'un homme ambitieux, et qui agit parle mouvement de cette passion dont il est dominé, doit être nécessairement ou bien injuste , ou bien présomptueux. Bien injuste, s'il recherche des honneurs et des emplois dont il se reconnaît lui-même indigne; ou bien présomptueux, s'il se les procure dans la persuasion qu'il en est digne. Or il arrive très-peu, ajoute ce saint docteur , que nous nous rendions sincèrement à nous-mêmes cette justice, d'être persuadés et de convenir avec nous-mêmes de notre propre indignité. D'où il conclut que le grand principe sur lequel roule l'ambition de la plupart des hommes, est communément la présomption ou l'idée secrète qu'ils se forment de leur capacité(…)
(…) Qu'est-ce qu'un ambitieux ? C'est un homme, répond saint Chrysostome, rempli de lui-même, qui se flatte de pouvoir soutenir tout ce qu'il croit le pouvoir élever : qui, selon les différents états où il est engagé, présume avoir assez de force pour se charger des soins les plus importants, assez de lumière pour conduire les affaires les plus délicates, (…)
Car à peine entendez-vous jamais un homme sensé et d'un mérite solide se rendre à soi-même ce témoignage avantageux : Je puis ceci, j'ai droit à cela ; cet emploi n'excède point mes force! j'ai les qualités qu'il faut pour remplir cette place. Ce langage ne convient qu'à un esprit léger et frivole. De là vient que la modestie, qui, comme l'a fort bien remarqué le philosophe, devrait être naturellement la vertu des imparfaits, est au contraire celle des partait?, et que les plus présomptueux selon Dieu et selon le monde ont toujours été ceux qui devaient moins l'être.
Saint Paul ne voulait pas qu'un néophyte fût tout d'un coup élevé à certaines distinctions, et jugeait qu'il y avait des degrés par où l'humilité devait conduire les mérites les plus solides et les plus éclatants. Mais ces règles de saint Paul ne sont pas faites pour ambitieux. Du plus bas rang, si l'on s'en rapporte à lui et selon ce qu'il croit valoir, il peut monter au plus haut; et sans passer par aucun milieu, il a de quoi parvenir au faîte.(…)
(…)le croiriez-vous, que l'ambition des hommes eût dû les porter jusqu'à chercher des honneurs pour lesquels, selon le témoignage du Saint-Esprit même, la première condition requise est d'être irrépréhensible? Voilà néanmoins ce qu'a produit l'esprit du monde dans le christianisme et dans l'Eglise de Dieu. Il faut donc, conclut saint Grégoire, pape, ou que l'ambitieux se juge en effet irrépréhensible, ou qu'il ne se mette pas en peine de contredire visiblement au Saint-Esprit. Or tant s'en faut qu'il considère son procédé comme un péché contre le Saint-Esprit, qu'il ne s'en fait pas même un scrupule : marque évidente que c'est donc la présomption qui le fait agir : et que, dans l'opinion qu'il a de lui-même, il ne craint pas de se compter parmi les irrépréhensibles et les parfaits.
(…) Si le monde se conduisait selon ces maximes évangéliques, l'ambition en serait bannie et l'humilité y régnerait : avec cette humilité on deviendrait raisonnable, on se sanctifierait devant Dieu, et souvent même on réussirait mieux auprès des hommes, parce qu'on en aurait l'estime et la confiance ; mais sans cette humilité, outre que l'ambition est aveugle dans ses recherches et présomptueuse dans ses desseins, elle est encore odieuse dans ses suites (…)
(…) quand Pierre fut élevé à la plus haute dignité dont un homme soit capable, qui est celle de chef de l'Eglise, les apôtres ne s'en plaignirent point, ni n'en conçurent nulle peine ; mais lorsque Jacques et Jean vinrent demander au Fils de Dieu les premières places de son royaume, tous les assistants en furent scandalisés, et témoignèrent de l'indignation contre ses deux frères Ah! dit saint Chrysostome, il est bien aisé d'en apporter la raison. La prééminence de Pierre ne les choqua point, parce qu'ils savaient bien que Pierre ne lavait pas recherchée, et qu'elle venait immédiatement de Jésus-Christ; mais ils ne purent voir sans murmurer celle des deux enfants de Zébédée, parce qu'il paraissait évidemment que c'était eux-mêmes qui l'affectaient et qui l'ambitionnaient. Or il n'y a rien de plus odieux que ces ambitieuses prétentions(…)
Ah ! mes Frères, disait saint Augustin (et remarquez, Chrétiens, ce sentiment), quand l'ambition serait aussi modérée et aussi équitable envers le prochain qu'elle est injuste et emportée, la jalousie seule qu'elle produirait encore infailliblement par la simple recherche d'une élévation qu'elle se procurerait elle-même, devrait en détacher votre cœur. Et puisque cette jalousie est une faiblesse dont les âmes les plus fortes et souvent même les plus vertueuses, ont peine à se défendre, et qui néanmoins ne laisse pas d'altérer la charité chrétienne; si nous avions à cœur cette charité pour laquelle Dieu nous ordonne de renoncer à tout le reste, nous n'aurions garde de lui faire une plaie si dangereuse dans le cœur des autres, en témoignant une ardeur si vive de nous élever; cela seul nous tiendrait dans les bornes d'une prudente modestie(…)
Bienheureux les humbles, qui contents de leur condition, savent s'y contenir et y borner leurs désirs! ils possèdent tout à la fois et le cœur de Dieu et le cœur des hommes. Ce n'est pas qu'il ne puissent monter aux plus haut rangs, car l'humilité ne demeure pas toujours dans les ténèbres, et Jésus-Christ aujourd'hui nous fait entendre que souvent, dès cette vie même, elle sera exaltée Mais parce que ce n'est point elle qui cherche à s'avancer et à paraître; parce que de son choix, et suivant le conseil du Fils de Dieu, elle ne demande ni ne prend que la dernière place; parce que, pour la résoudre à en occuper une autre, il faut l'appeler, il faut la presser, il faut lui faire une espèce de violence; parce qu'en changeant d'état, elle ne change ni de sentiments ni de conduite; que pour être élevée, elle n'en est ni moins soumise à Dieu, ni moins charitable envers le prochain, ni moins détachée d'elle-même ; que les honneurs, bien loin de la flatter, lui sont à charge, et qu'au lieu d'en tirer une fausse gloire, elle les tourne à sa confusion(…)
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
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Il n'y a point de passion qui n'aveugle l'homme, et qui ne lui fasse voir les choses dans un faux jour, où elles lui paraissent tout ce qu'elles ne sont pas, et ne lui paraissent rien de ce qu'elles sont.
0 ambition ! s'écriait ce Père, [Saint Bernard] par quel charme arrive-t-il, qu'étant le supplice d'un cœur où tu as pris naissance, et où tu exerces ton empire, il n’y a personne toutefois à qui tu ne plaises, et qui ne se laisse surprendre à l'attrait flatteur que tu lui présentes (…)
Je trouve la réflexion de saint Ambroise très solide et pleine d'un grand sens , quand il dit qu'un homme ambitieux, et qui agit par le mouvement de cette passion dont il est dominé, doit être nécessairement ou bien injuste , ou bien présomptueux. (…) il conclut que le grand principe sur lequel roule l'ambition de la plupart des hommes, est communément la présomption ou l'idée secrète qu'ils se forment de leur capacité (…)
(…) Qu'est-ce qu'un ambitieux ? C'est un homme, répond saint Chrysostome, rempli de lui-même, qui se flatte de pouvoir soutenir tout ce qu'il croit le pouvoir élever…
…la modestie, qui, comme l'a fort bien remarqué le philosophe, {question: le Père Bourdaloue dit-il de qui il s’agit ?} devrait être naturellement la vertu des imparfaits, est au contraire celle des parfaits.
l'ambition est aveugle dans ses recherches et présomptueuse dans ses desseins, elle est encore odieuse dans ses suites (…)
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
ROBERT. a écrit:
…la modestie, qui, comme l'a fort bien remarqué le philosophe, {question: le Père Bourdaloue dit-il de qui il s’agit ?}
En théorie, dire "le philosophe" tout court se rapporte à Aristote, comme dans Saint Thomas.
Du moins, je crois.
Benjamin- Nombre de messages : 6869
Date d'inscription : 26/07/2011
Re: Dimanches après la Pentecôte
Benjamin a écrit:ROBERT. a écrit:
…la modestie, qui, comme l'a fort bien remarqué le philosophe, {question: le Père Bourdaloue dit-il de qui il s’agit ?}
En théorie, dire "le philosophe" tout court se rapporte à Aristote, comme dans Saint Thomas.
Du moins, je crois.
Je vous remercie cher ami. Je cherche et vous reviens.
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Benjamin a écrit:ROBERT. a écrit:
…la modestie, qui, comme l'a fort bien remarqué le philosophe, {question: le Père Bourdaloue dit-il de qui il s’agit ?}
En théorie, dire "le philosophe" tout court se rapporte à Aristote, comme dans Saint Thomas.
Du moins, je crois.
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En plein dans le mille Benjamin ! Merci.
IIa-IIæ Question 161L'humilité est-elle une vertu ?
L'HUMILITÉ
Article 1
Objections 4. La vertu, selon Aristote est " la disposition de ce qui est parfait ". Or l'humilité semble convenir aux imparfaits…
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http://www.santorosario.net/somme/secundasecundae/161.htm
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Dix-septième dimanche après la Pentecôte
Le caractère du Chrétien.
Le caractère du Chrétien.
Les pharisiens étant assemblés?, Jésus leur fit cette question : Que pensez-vous du Christ ?
Extraits de Bourdaloue a écrit:N'examinons point aujourd'hui ce que c'est que le Christ; la foi nous l'apprend assez : mais voyons ce que c'est que le chrétien qui en doit être le fidèle imitateur.
(…)selon saint Thomas, sont essentiellement requises pour faire un chrétien : la grâce ou la vocation du côté de Dieu , et une fidèle correspondance à cette vocation ou à cette grâce du côté de l'homme. Or l'une et l'autre, bien considérées, n'ont point de caractère qui leur soit plus propre que celui de la séparation du monde. (…)
Qu'est-ce que la grâce, je dis la première de toutes les grâces, qui est la vocation au christianisme? (…) je n'en trouve point de plus exacte ni de plus solide définition que celle de saint Augustin, quand il dit en un mot que c'est une grâce de séparation (…)
Voulez-vous savoir, mes Frères, dit ce saint docteur, qui sont ces élus appelés comme l'Apôtre selon le décret, mais le décret favorable de Dieu ? ce sont ceux dont Dieu a fait le discernement, qu'il a tirés de la masse corrompue du monde, et qu'il en a séparés en vertu de la grâce de leur vocation. C'est donc en effet dans la séparation du monde que consiste l'attrait, le mouvement et l'impression particulière de cette grâce. De là vient que saint Paul, pour exprimer le don de grâce qu'il avait reçu dans cette vocation miraculeuse et pleine de prodiges dont sa conversion fut suivie, ne se servait point d'autre terme que celui-ci Tout ce que je suis, je le suis par la miséricorde de mon Dieu qui m'a appelé. Et comment m'a-t-il appelé? en me séparant dès le ventre de ma mère ; c'est-à-dire, selon l'explication de saint Ambroise, en me choisissant pour vivre séparé de la corruption du monde. De là vient que quand l'Esprit de Dieu répandait sur les premiers disciples ces grâces visibles et abondantes qui les élevaient aux plus saints ministères, ainsi qu'il est rapporté au livre des Actes, c'était toujours en ordonnant que ceux qu'il avait choisis pour cela fussent séparés du reste même des fidèles. (…)
De là vient que le Sauveur du monde, pour signifier qu'il était venu appeler les hommes à la perfection évangélique, disait hautement qu'il était venu séparer le père d'avec son fils, et la fille d'avec sa mère (…) réduisant toute la grâce de cette perfection à cet esprit de séparation. De là vient que le grand Apôtre voulant nous faire comprendre la grâce suréminente et infinie de la sainteté de Jésus-Christ, en a renfermé tout le mystère dans ce seul mot (…); c'est un pontife qui nous a été donné de Dieu, mais un pontife qui, par l'onction céleste dont il était rempli, a été parfaitement séparé des pécheurs. Or vous savez que la sainteté de Jésus-Christ est l'exemplaire de la nôtre ; et que la nôtre , pour être agréée de Dieu, doit être conforme à la sienne. Puisqu'il est donc vrai que cet Homme-Dieu a été sanctifié par une grâce qui l’a pleinement séparé du monde, il faut par proportion que la grâce qui nous sanctifie produise en nous un semblable effet(…)
(…) la vocation chrétienne, en tant qu'elle procède et qu'elle est inspirée de Dieu, est une grâce de séparation ; donc la correspondance qui lui est due, et qui fait proprement le devoir du chrétien, doit être une correspondance de séparation du côté de l'homme. Pourquoi cela ? Ah ! mes chers auditeurs, le voici : parce que la correspondance à la grâce doit nécessairement se rapporter à la fin et au terme de la grâce même. Car comme il y a diversité de grâces et d'inspirations ; aussi faut-il reconnaître qu'il y a diversité d'opérations dans l'homme et de devoirs (…)
C'est-à-dire que toutes sortes de devoirs ne répondent pas à toutes sortes de grâces. Je m'explique. Dieu me donne une grâce de résistance et de défense contre la passion qui me porte au péché : je ne puis correspondre à cette grâce qu'en résistant à ma passion et en la combattant. Au contraire, Dieu me donne une grâce d'éloignement et de fuite dans l'occasion du péché : je ne puis être fidèle à cette grâce qu'en fuyant et en m'éloignant : et ainsi des autres, parce que c'est à nous, dit saint Prosper, de suivre le mouvement de la grâce, et non pas à la grâce de suivre le mien. Comme il est donc vrai que la grâce par laquelle Dieu m'appelle au christianisme ou à la perfection du christianisme, est une grâce de séparation du monde, quoi que je fasse, je n'accomplirai jamais le devoir du christianisme, si je ne me sépare du monde, et si je ne fais avec Dieu ce que Dieu fait le premier dans moi.
(…) il suffit précisément d'être chrétien, pour être obligé de vivre dans cet esprit de séparation du monde. Qu'est-ce à dire du monde? c'est-à-dire des faux plaisirs du monde que clament les mondains, des joies profanes du monde, des vaines intrigues du monde, du luxe du monde, des amusements, des folies, des coutumes, ou plutôt des abus du monde ; en un mot, de tout ce qui entretient la corruption et la dissolution du monde ; c'est-à-dire de tout ce qu'entendait le disciple bien-aimé, quand il nous défendait de nous attacher au monde et à tout ce qui est dans le monde(…)
Il suffit, dis-je, pour être obligé par profession et par état de s'en séparer, d'être chrétien ; et il n'est point nécessaire pour cela d'être quelque chose de plus que chrétien : pourquoi ? parce que la grâce seule du christianisme nous sépare de tout cela ; et parce qu'au moment que nous avons été régénérés par cette grâce, nous nous en sommes séparés nous-mêmes.
C'est donc une erreur, non-seulement grossière, mais pernicieuse, de dire : Je suis du monde, et je ne puis me dispenser de vivre selon le monde, ni de me conformer au monde. Car c'est ce qui vous perd, et ce qui est la source de tous vos égarements. Or vous me permettrez bien de vous dire que de parler ainsi c'est une espèce de blasphème ; car le Fils de Dieu vous a déclaré expressément dans l'Evangile que vous n'êtes plus du monde, et vous supposez que vous en êtes encore; et, ce qui est bien plus étrange, vous prétendez en être encore dans le même sens qu'il a voulu lui faire entendre que vous n'en étiez plus. Il faut donc renverser la proposition, et dire : Je ne suis plus du monde, parce que je suis chrétien ; donc il ne m'est plus permis de vivre selon le monde, ni de me conformer aux lois du monde. Alors vous parlerez selon l'esprit et selon la grâce de votre vocation.
(..) plus un homme dans le christianisme a soin de se séparer du monde, plus il est chrétien ; et plus il a d'engagement et de liaison avec le monde ( je dis de liaison hors de son devoir, et d'engagement hors de la nécessité et de sa condition), moins il est chrétien(…)
(…) Qu'est-ce qu'une religion fervente et réglée (écoutez saint Bernard, et souffrez que je rende ce témoignage à la vérité connue), qu'est-ce qu'une religion fervente et réglée, telle que nous en voyons encore aujourd'hui? c'est une idée subsistante du christianisme. C'est un christianisme particulier, dit saint Bernard, qui, dans les débris du christianisme universel, s'est sauvé, pour ainsi dire, du naufrage, et que la Providence a conservé, comme au commencement de ce premier christianisme révéré par les païens mêmes; car voilà, mes chers auditeurs, ce qui me rend la religion vénérable.
(…) quand les Pères de l'Eglise ont parlé ou de ces recherches empressées du monde, ou de ces vanités et de ces plaisirs qui marquent l'attachement au monde, ils n'ont point fait difficulté de dire qu'il y avait en tout cela une apostasie secrète : pourquoi? parce que la grâce de la foi étant un principe de séparation à l'égard de toutes ces choses, ne pas renoncer à ces choses, c'était renoncer, en quelque manière, à la grâce de la foi.
(…) il est impossible à une âme chrétienne de se convertir et de retourner véritablement à Dieu, à moins qu'elle ne soit résolue de faire un certain divorce avec le monde, qu'elle n'a pas encore fait; et il y a de la contradiction à vouloir être autant du monde et aussi engagé dans le monde qu'auparavant, et néanmoins à prétendre marcher dans la voie, d'une pénitence sincère qui produise le salut, car le moyen, mon cher auditeur, de concilier ces deux choses ? Vous avouez vous-même que c'est le monde qui vous a fait perdre l'esprit de votre religion et l'Esprit de Dieu : il faut donc que pour retrouver cet esprit vous vous sépariez du monde, et qu'au lieu de persister à vous figurer en vain cet esprit où il n'est pas, vous l'alliez chercher où il est.
(…) n'y a-t-il pas une perfection pour les gens du monde comme pour les religieux? Mais quand on leur répond qu'il n'est pas question du monde en général; qu'il s'agit d'un certain monde particulier, qui n'est point l'ouvrage de Dieu ; d'un monde qui les pervertit et qui les pervertira toujours, parce que c'est un monde où règne le péché, parce que c'est un monde où le libertinage passe pour agréable et pour honnête, parce que c'est un monde dont la médisance fait tous les entretiens, parce que c'est un monde où toutes les passions se trouvent comme dans leur centre et dans leur élément, parce que c'est un monde où l'on ne peut éviter mille écueils auxquels la conscience ne manque pas d'échouer(…)
Est-il possible, dit-on, que je puisse vivre sans voir le monde ? Que ferais-je quand je me serai déclarée n'être plus du monde? Quelle ressource aurais-je contre l'ennui qui m'accablera dans cette séparation du monde? quel jugement fera-t-on de moi dans le monde? car voila les difficultés que l'esprit du monde a coutume de former dans une âme qui traite avec Dieu de sa conversion. Et moi je dis, âmes chrétiennes, que si vous aviez tant soit peu de foi ou plutôt si vous écoutiez tant soit peu votre foi, vous rougiriez de ces sentiments. Non, non, Seigneur, diriez-vous à Dieu, ce n'est point de là que doit dépendre ma résolution, et je raisonne en infidèle lorsque je parle de la sorte. Que cette séparation du monde me soit difficile ou aisée, qu'elle me cause de la tristesse ou de la joie, que le monde l'approuve ou qu'il la condamne ; puisqu'elle m'est nécessaire, c'est assez pour m'y soumettre.(…)
Le monde me condamnera : et que m'importe d'être louée ou condamnée du monde, puisque je veux sincèrement m'en séparer? Je cherche quelles seront alors mes occupations : et n'en aurai-je pas trop, pourvu que je m'attache aux devoirs de ma religion et aux devoirs de mon état ? (…) Il y a des séparations du monde fausses, et il y en a de vraies. Je suppose que celle que nous embrasserons sera telle qu'elle doit être ; qu'elle sera sincère, désintéressée, et qu'elle aura Dieu pour motif.
(…) je dis qu'il y a deux sortes de séparations du monde : l'une corporelle et extérieure, l'autre de cœur et d'esprit. Je dis que pour vivre en véritable chrétien, toutes deux sont nécessaires, parce que la séparation extérieure du monde n'est qu'un fantôme, si elle n'est soutenue et animée de celle de l'esprit ; et que celle de l'esprit ne peut se soutenir ni subsister, si elle n'est aidée de l'extérieure. C'est la maxime de saint Bernard et de tous les Pères. Il faut une séparation du cœur et de l'esprit; car, en vain suis-je séparé du monde(…), si mon esprit et mon cœur y sont attachés. C'est par le cœur qu'il faut que je commence à m'en séparer. (…)
(…) il faut que la séparation du cœur soit accompagnée, ou, pour mieux dire, soutenue de la séparation extérieure et corporelle : par quelle raison? parce que, dit saint Grégoire, pape, la contagion du siècle est telle, que les hommes les plus purs, les plus saints et les plus dégagés de l'amour du monde, ne laissent pas d'en ressentir les atteintes. (…)
(…) ne vaut-il pas bien mieux que cette séparation se fasse en nous par l'attrait de la grâce, que d'attendre qu'elle se fasse malgré nous par la violence de la mort? Séparons-nous du monde, tandis que nous pouvons devant Dieu nous rendre le témoignage que nous nous en séparons pour lui. Car, quel honneur faisons-nous à Dieu quand nous nous convertissons à lui parce que nous ne sommes plus en état de goûter le monde, ou plutôt parce que le monde commence à ne nous plus goûter? Quelle obligation Dieu, pour ainsi parler, nous peut-il avoir, quand nous lui donnons le reste du monde?
Il est de la sainteté de Dieu d'être servi par des saints(…) Dieu, en qualité de Saint des saints, se fait un honneur de recevoir le culte qui lui est du par des hommes sanctifiés, et qui portent dans eux un caractère de consécration. Tous les hommes, dit saint Grégoire, pape, sont essentiellement sujets à l'empire de Dieu ; mais tous les hommes ne sont pas pour cela consacrés à Dieu. Cette consécration est l'effet d'une grâce spéciale : et je dis que c'est la grâce propre du christianisme. (…)
Qu'est-ce que l'onction du baptême, en vertu de laquelle nous sommes chrétiens? C'est dit saint Cyprien, une consécration solennelle qui se fait de nos personnes; mais une consécration dans laquelle il semble que Dieu a pris plaisir de rassembler toutes les richesses de sa grâce pour nous la rendre plus précieuse ; car le baptême, ajoute ce Père, nous consacre en je ne sais combien de manières, qui doivent toutes nous inspirer un certain respect pour nous-mêmes. Il nous consacre comme rois, il nous consacre comme prêtres, il nous consacre comme temples de Dieu, il nous consacre comme enfants de Dieu, il nous consacre comme membres de Dieu. (…)
Je dis que le baptême nous consacre comme rois et comme prêtres; ainsi l'apôtre saint Pierre le déclare-t-il, lorsque parlant aux chrétiens dans sa première Epitre canonique, il leur donne tout à la fois ces deux qualités en les appelant sacerdoce royal (…) Et ainsi le disciple bien-aimé, dans l'Apocalypse, fait-il consister en partie le bienfait de la rédemption en ce que Jésus-Christ, qui est le souverain rédempteur, nous a établi rois et prêtres de Dieu son père (…)
En effet, comme chrétiens, nous ne sommes destinés à rien de moins qu'à régner; et ce n'est point une exagération ni une figure de dire que dans le baptême nous sommes sacrés pour un royaume, qui est le ciel ; que nous y recevons l'investiture d'une couronne, qui est la couronne du ciel; et qu'en même temps que la grâce de ce sacrement nous est conférée, nous avons un droit légitime de prétendre à l'un des trônes que le Fils de Dieu nous a préparés dans le ciel.
(…) l'onction baptismale non-seulement donne pouvoir au chrétien, mais lui impose l'obligation d'offrir à Dieu des sacrifices continuels : le sacrifice de son esprit par la foi, le sacrifice de son corps par la pénitence, le sacrifice de ses biens par l'aumône, le sacrifice de sa vengeance par la charité, le sacrifice de son ambition par l'humilité; toutes hosties, dit saint Paul, par lesquelles on se rend Dieu favorable, et sans lesquelles le christianisme n'est qu'une ombre de religion(…)
J'ajoute qu'en vertu de ce même caractère vous êtes consacrés à Dieu comme ses temples. Rien de plus commun dans la doctrine de saint Paul. Non, mes Frères, disait ce grand apôtre, ce n'est point dans des temples bâtis par les hommes que notre Dieu fait sa demeure, mais dans ceux qu'il a bâtis lui-même; c'est-à-dire dans nous-mêmes, car vous êtes vous-mêmes les temples du Dieu tout-puissant(…) cette qualité que nous possédons de temples de Dieu est, à parler dans la rigueur, uniquement attachée à la grâce du baptême ; et toute autre grâce que celle du baptême, fût-elle aussi éminente que celle des anges, ne nous communique point cette qualité.(…)
(…)C'est donc le baptême qui fait en nous comme la première consécration du temple de Dieu, ou plutôt c'est par le baptême, et par le caractère de chrétien que le baptême nous confère, que nous devenons les temples de Dieu.
Mais qu'est-ce que toutes ces qualités, en comparaison des titres glorieux d'enfants de Dieu et de membres de Dieu ? Car ce sont là les termes formels et les expressions de l'Ecriture. C'est de nous que saint Jean a dit que tous ceux qui ont été unis à Jésus-Christ dans le baptême et par le baptême, que tous ceux qui ont cru en lui et en son saint nom, ont dès lors acquis un droit incontestable d'être appelés enfants de Dieu, comme en effet ils le sont devenus(…)
(…)C'est aux chrétiens que saint Paul disait : Vous êtes le corps de Jésus-Christ, vous êtes ses membres(…)
(…) Enfin, tout ce que la loi chrétienne nous commande, quelque héroïque qu'il puisse être, est-il trop relevé pour des enfants de Dieu ? Ah ! Seigneur, s'écriait saint Ambroise, méritons-nous de porter ce beau nom, si, par une lâche conduite, nous venions à dégénérer, et à déchoir des hauts sentiments de l'esprit chrétien, dans les bassesses infinies de l'esprit du monde ; et ne faut-il pas que nous renoncions pour jamais à l'honneur de vous appartenir, si nous prétendions nous borner à des vertus médiocres?
Ne savez-vous pas, mes Frères, leur disait-il, que par le baptême vous êtes devenus le temple de Dieu? Or le temple de Dieu doit être saint ; et quiconque profane ce temple, Dieu le perdra.
(…) si vous n'êtes pas touchés de ce que je dis, voilà ce qui doit vous faire trembler ; car un troisième et dernier article par où je finis, c'est que les péchés des chrétiens contractent une malice particulière, qui est celle même du sacrilège, et qui les rend plus abominables devant Dieu. En effet, qu'est-ce que le sacrilège? C’est, disent les théologiens, l'abus, la profanation d'une chose consacrée à Dieu. Or tout ce qu'il y a dans moi est consacré à Dieu par le baptême ; et tous les péchés que je commets sont autant d'abus criminels que je fais de moi-même. Par conséquent tous mes péchés renferment une espèce de sacrilège dont je suis coupable. Mais encore de quelle nature est ce sacrilège? ce n'est pas seulement la profanation d'une chose consacrée à Dieu, mais unie à Dieu, mais incorporée avec Dieu, ainsi que l'est un chrétien en conséquence du baptême et selon les principes de notre foi.(…)
Quoi! j'arracherais les membres de Jésus-Christ, pour en faire les membres d'une prostituée? ce sont les propres expressions de l'Apôtre : Quoi ! je corromprais un cœur qui doit être la demeure de mon Dieu, je l'infecterais du poison le plus mortel, je le souillerais de toutes les iniquités. Ce ne sont point là des exagérations de la chair, ni ce n'en est point une d'ajouter, en déplorant la triste décadence du christianisme, que rien néanmoins n'y est plus ordinaire que le péché. Quand Dieu, dans les premiers âges du monde, vit la corruption générale où toute la terre était tombée, il se repentit, selon le langage de l'Ecriture, d'avoir créé l'homme(…)
Tertullien et de tous les Pères après lui dit, que dans la loi nouvelle, dans cette loi qui nous lie si étroitement à Dieu, qui nous dévoue si spécialement à Dieu, qui nous donne avec Dieu une communication si intime, et nous fait en quelque sorte participer à la nature même de Dieu, si nous sommes pécheurs, notre péché nous rend beaucoup plus condamnables au tribunal de Dieu, et plus redevables à sa justice?
Qu'avons-nous donc à craindre? Plaise au ciel de détourner l'effet d'une si terrible menace, et puissions-nous le prévenir ! C'est que Dieu, selon les mêmes termes de l'Ecriture, ne vienne à se repentir de ce qu'il a fait pour nous, en nous honorant d'un si saint et si glorieux caractère(…) C'est qu'il ne détruise enfin cette Eglise qu'il a rachetée de son sang et animée de son esprit(…)Que dis-je, mes chers auditeurs ! il ne la détruira jamais, et cette Eglise subsistera toujours, parce qu'elle est bâtie sur la pierre ferme. Mais Dieu, content de se réserver quelques âmes fidèles, détruira tant d'indignes sujets qui la désolent, au lieu de l'édifier. Il les retranchera de son royaume comme autant de scandales, et il le transportera à des nations étrangères. Il conservera le christianisme, mais il réprouvera des millions de chrétiens. Il permettra que le flambeau de la foi s'éteigne parmi nous : hélas! n'a-t-il pas déjà commencé à le permettre?
Dernière édition par Louis le Dim 27 Sep 2015, 7:27 am, édité 3 fois (Raison : espacement)
gabrielle- Nombre de messages : 19796
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Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
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N'examinons point aujourd'hui ce que c'est que le Christ; la foi nous l'apprend assez : mais voyons ce que c'est que le chrétien qui en doit être le fidèle imitateur.
(…)selon saint Thomas, sont essentiellement requises pour faire un chrétien: la grâce ou la vocation du côté de Dieu, et une fidèle correspondance à cette vocation ou à cette grâce du côté de l'homme. Or l'une et l'autre, bien considérées, n'ont point de caractère qui leur soit plus propre que celui de la séparation du monde. (…)
…quand l'Esprit de Dieu répandait sur les premiers disciples ces grâces visibles (…) c'était toujours en ordonnant que ceux qu'il avait choisis pour cela fussent séparés du reste même des fidèles. (…)
…la correspondance à la grâce doit nécessairement se rapporter à la fin et au terme de la grâce même.
…Je ne suis plus du monde, parce que je suis chrétien; donc il ne m'est plus permis de vivre selon le monde, ni de me conformer aux lois du monde. Alors vous parlerez selon l'esprit et selon la grâce de votre vocation…
(..) plus un homme dans le christianisme a soin de se séparer du monde, plus il est chrétien ; et plus il a d'engagement et de liaison avec le monde (je dis de liaison hors de son devoir, et d'engagement hors de la nécessité et de sa condition), moins il est chrétien (…)
(…) quand les Pères de l'Eglise ont parlé ou de ces recherches empressées du monde, ou de ces vanités et de ces plaisirs qui marquent l'attachement au monde, ils n'ont point fait difficulté de dire qu'il y avait en tout cela une apostasie secrète: pourquoi ? Parce que la grâce de la foi étant un principe de séparation à l'égard de toutes ces choses, ne pas renoncer à ces choses, c'était renoncer, en quelque manière, à la grâce de la foi.
Vous avouez vous-même que c'est le monde qui vous a fait perdre l'esprit de votre religion et l'Esprit de Dieu…
...cette séparation du monde (…) puisqu'elle m'est nécessaire, c'est assez pour m'y soumettre.(…)
…parce que, dit saint Grégoire, pape, la contagion du siècle est telle, que les hommes les plus purs, les plus saints et les plus dégagés de l'amour du monde, ne laissent pas d'en ressentir les atteintes. (…)
(…) ne vaut-il pas bien mieux que cette séparation se fasse en nous par l'attrait de la grâce, que d'attendre qu'elle se fasse malgré nous par la violence de la mort ?
Tous les hommes, dit saint Grégoire, pape, sont essentiellement sujets à l'empire de Dieu; mais tous les hommes ne sont pas pour cela consacrés à Dieu. Cette consécration est l'effet d'une grâce spéciale: et je dis que c'est la grâce propre du christianisme. (…)
(…) l'onction baptismale non-seulement donne pouvoir au chrétien, mais lui impose l'obligation d'offrir à Dieu des sacrifices continuels: le sacrifice de son esprit par la foi, le sacrifice de son corps par la pénitence, le sacrifice de ses biens par l'aumône, le sacrifice de sa vengeance par la charité, le sacrifice de son ambition par l'humilité; toutes hosties, dit saint Paul, par lesquelles on se rend Dieu favorable, et sans lesquelles le christianisme n'est qu'une ombre de religion (…)
(…) Enfin, tout ce que la loi chrétienne nous commande, quelque héroïque qu'il puisse être, est-il trop relevé pour des enfants de Dieu ? Ah ! Seigneur, s'écriait saint Ambroise, méritons-nous de porter ce beau nom, si, par une lâche conduite, nous venions à dégénérer, et à déchoir des hauts sentiments de l'esprit chrétien, dans les bassesses infinies de l'esprit du monde; et ne faut-il pas que nous renoncions pour jamais à l'honneur de vous appartenir, si nous prétendions nous borner à des vertus médiocres ?
Ne savez-vous pas, mes Frères, leur disait-il, que par le baptême vous êtes devenus le temple de Dieu? Or le temple de Dieu doit être saint; et quiconque profane ce temple, Dieu le perdra.
En effet, qu'est-ce que le sacrilège ? C’est, disent les théologiens, l'abus, la profanation d'une chose consacrée à Dieu....
Quoi ! J’arracherais les membres de Jésus-Christ, pour en faire les membres d'une prostituée?
Qu'avons-nous donc à craindre? Plaise au ciel de détourner l'effet d'une si terrible menace, et puissions-nous le prévenir ! C'est que Dieu, selon les mêmes termes de l'Ecriture, ne vienne à se repentir de ce qu'il a fait pour nous, en nous honorant d'un si saint et si glorieux caractère (…) C'est qu'il ne détruise enfin cette Eglise qu'il a rachetée de son sang et animée de son esprit (…) Que dis-je, mes chers auditeurs ! Il ne la détruira jamais, et cette Eglise subsistera toujours, parce qu'elle est bâtie sur la pierre ferme. Mais Dieu, content de se réserver quelques âmes fidèles, détruira tant d'indignes sujets qui la désolent, au lieu de l'édifier. Il les retranchera de son royaume comme autant de scandales, et il le transportera à des nations étrangères. Il conservera le christianisme, mais il réprouvera des millions de chrétiens. Il permettra que le flambeau de la foi s'éteigne parmi nous: hélas! N’a-t-il pas déjà commencé à le permettre ?
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Re: Dimanches après la Pentecôte
Sermon pour le dix-huitième dimanche après la Pentecôte
La paralysie spirituelle
La paralysie spirituelle
Extraits des Oeuvres du Père Louis de Grenade, vol VI a écrit:(…) la paralysie spirituelle, qui nous est indiquée par notre évangile. Saint Jean Climaque, comme nous le verrons, appelle cette maladie l'insensibilité du cœur, et il affirme qu'elle est mortelle entre toutes.
Il existe donc une paralysie des âmes qui n'est pas sans analogie avec la paralysie des corps.(…) Il faut savoir ensuite que, comme il y a dans notre âme deux parties de nature différente, l'une portant la ressemblance des brutes, l'autre celle des anges, l'homme a été créé de Dieu pour que, élevant aux choses supérieures et divines la partie la plus noble de son âme, où résident l'intelligence, la volonté et la mémoire, il reçoive la grâce et les lumières célestes qui entretiennent et perfectionnent la vie spirituelle. C'est ce qu'ont fait tous les saints qui se sont consacrés tout entiers à la pratique de la piété et des vertus, et dont Théodoret dit avec autant de raison que d'élégance qu'ils avaient une âme ailée. Les hommes charnels, au contraire, étrangers à cette occupation, appliquent les plus nobles puissances de leur âme à la recherche des plaisirs terrestres et à la satisfaction de leurs sens(…)
L'âme infortunée, étendue sur le misérable grabat des passions de la chair où elle prend son repos, plutôt morte que vivante, n'a en elle-même aucune force pour s'élever des pensées terrestres à celles du ciel; et telle est la misère de sa condition, que, tandis qu'elle se montre pleine de vigueur et de clairvoyance dans la recherche des choses terrestres, elle se trouve aveugle et sans vie pour les choses divines.(…) la paralysie des âmes, qui rend un homme comme mort et insensible aux choses spirituelles et divines.(…) quoi que vous lui mettiez sous les yeux pour le détourner du mal, la mort, le jugement, l'enfer, la gloire du ciel, la croix et la passion de notre Seigneur, les innombrables bienfaits de Dieu, les châtiments, privés ou publics, dont il punit tous les jours les crimes des hommes, rien ne le touche et ne lui fait impression.(…)
Saint Jean Climaque appelle cette maladie l'ignorance de la componction, la porte du désespoir, la mère de l'oubli et l'absence de la crainte de Dieu. (…)cette maladie est-elle tout-à-fait incurable? Il n'y en a point de telle pour le Seigneur qui, d'un mot, répare toutes les ruines, et devant qui les morts eux-mêmes sont comme vivants.
A quelles marques notre paralytique spirituel pourra-t-il donc se croire indubitablement guéri?
Premièrement, s'il se lève. C'est ce que fait l'homme qui s'applique à la recherche et à l'amour des choses du ciel. Levez-vous donc, vous qui rampiez sur la terre, qui n'aviez à l'esprit que des pensées basses, qui vous consumiez nuit et jour pour des choses terrestres. Car ne sont-ce pas là les occupations des hommes charnels? Ne sont-ce pas là leurs pensées, leurs affections, leurs désirs, leur continuel labeur? Si donc votre regard se porte peu à peu vers le ciel, si vous méditez les choses d'en haut, si vous prenez quelque souci de la vie future, si vous vous arrêtez à la pensée de la mort qui chaque jour vous menace, qui que vous soyez, vous commencez à vous lever, et c'est à vous que s'adressent les encouragements du Prophète : « Sors de la poussière, lève-toi, et prends place sur un trône, ô Jérusalem! » Levez-vous donc, vous qui êtes assis sur la poussière des choses terrestres, objet de vos affections; prenez place sur un trône, c'est-à-dire reposez-vous dans l'amour des choses divines, dont vous étiez si éloignés. Voilà la première marque de guérison.
La deuxième est de prendre le lit où vous étiez étendu, et sur lequel on vous transportait(…) dans notre âme deux parties, l'une supérieure, l'autre inférieure, l'une semblable aux anges, l'autre semblable aux brutes. La première prend pour guide la sagesse, la raison et la loi divine; la seconde se laisse aller, comme les brutes, à l'entraînement aveugle de ses appétits. Or, quoique la raison et la loi de Dieu prescrivent que la partie inférieure soit dirigée par la partie supérieure, telle est l'influence du péché dans les âmes charnelles, qu'il renverse cet ordre divin, en sorte que la partie inférieure détrône la partie supérieure et la soumet à son empire.
Alors ce qu'il y a en nous de plus sage, de plus clairvoyant, de plus noble, dirige ce qu'il y a de plus insensé, de plus aveugle, de plus vil ; le maître obéit au serviteur, et, par une indignité plus grande encore, l'homme à la bête. Car tel est l'empire que la chair impure et aveugle exerce sur l'esprit. Quoi de plus monstrueux et de plus révoltant? La terre se trouble, dit Salomon en voyant la servante, c'est-à-dire la chair, dont la condition est d'obéir, usurper le commandement.
C'est, dans un sens mystique, être étendu sur un grabat, être porté sur un grabat. Mais lorsque, par la puissance du Seigneur Jésus, l'homme est guéri de cette maladie, alors ce n'est plus son grabat qui le porte, c'est lui qui porte son grabat, c'est-à-dire, ce n'est plus la chair et ses convoitises qui le conduisent, mais lui qui conduit la chair, et soumet ses convoitises à son empire. Alors, au lieu de marcher comme courbé sous le joug d'un tyran, il s'avance la tête haute, selon l'ordre de la nature; il a recouvré son trône et le sceptre de sa domination; affranchi d'une honteuse servitude, il est arrivé à la liberté des enfants de Dieu; enfin, délivré de la tyrannie de la chair et de ses appétits, il réalise la parole du Prophète : " Ceux qui les avaient pris seront leurs captifs, et ils s'assujettiront ceux qui les avaient dominés. » C'est là, dans un sens mystique, porter son grabat, après avoir été porté par lui ; et c'est ce que font tous les enfants de Dieu qui suivent, non la chair, mais l'Esprit de Dieu.
Vous voyez, mes frères, quelle différence il y a entre les hommes spirituels et les hommes charnels : les premiers, soumettant la chair à l'esprit, se conduisent par la foi, la raison et la sagesse; les derniers, esclaves de leurs passions, s'abandonnent à ces guides aveugles, qui les égarent plutôt qu'ils ne les dirigent. Dans les uns, c'est la raison qui conduit les appétits; dans les autres, ce sont les appétits qui conduisent la raison. Ceux-là disent : « La justice de votre loi, Seigneur, me tient lieu de conseil, » et réalisent la parole de l'Apôtre : " Si nous vivons par l'esprit, conduisons-nous par l'esprit" ;ceux-ci disent : « Nous marcherons en suivant nos pensées, » ; ou bien : « Je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont désiré, et j'ai permis à mon cœur de jouir de toutes sortes de plaisirs, » Voilà la deuxième et la meilleure marque de la guérison spirituelle.
La troisième est de marcher. Qu'est-ce que marcher dans un sens spirituel, si ce n'est s'avancer peu à peu de vertu en vertu ? Car le juste fait des progrès dans la vertu comme il en fait dans la foi, marchant de clarté en clarté. Ainsi, à l'exemple de l'Apôtre, oubliant ce qui est derrière lui, il s'avance vers ce qui est devant lui.
Tels sont, d'après saint Bernard, les trois signes auxquels nous pouvons reconnaître notre guérison. Qui pourrait, en effet, se lever, porter son lit et marcher, s'il n'était pas déchargé du poids de ses fautes, et si la grâce ne lui avait pas donné de nouvelles forces? L'homme ainsi guéri, s'avançant de vertu en vertu, arrivera enfin à un état parfait de vigueur et d'intégrité, et verra dans Sion le Dieu des dieux, à qui est la gloire aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.
gabrielle- Nombre de messages : 19796
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Re: Dimanches après la Pentecôte
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On peut considérer Berlingot et tout autre intrus étant de grands paralytiques spirituels.
.Sermon pour le dix-huitième dimanche après la Pentecôte
La paralysie spirituelle.Extraits des Œuvres du Père Louis de Grenade, vol VI a écrit:
L'âme infortunée (…) se montre pleine de vigueur et de clairvoyance dans la recherche des choses terrestres, elle se trouve aveugle et sans vie pour les choses divines.(…) la paralysie des âmes: (…) quoi que vous lui mettiez sous les yeux pour le détourner du mal, la mort, le jugement, l'enfer, la gloire du ciel, la croix et la passion de notre Seigneur, les innombrables bienfaits de Dieu, les châtiments, privés ou publics, dont il punit tous les jours les crimes des hommes, rien ne le touche et ne lui fait impression.(…)
Saint Jean Climaque appelle cette maladie l'ignorance de la componction, la porte du désespoir, la mère de l'oubli et l'absence de la crainte de Dieu. (…)
A quelles marques notre paralytique spirituel pourra-t-il donc se croire indubitablement guéri ?
1º Premièrement, s'il se lève. C'est ce que fait l'homme qui s'applique à la recherche et à l'amour des choses du ciel.
2º La deuxième est de prendre le lit où vous étiez étendu (…) telle est l'influence du péché dans les âmes charnelles, qu'il renverse cet ordre divin, en sorte que la partie inférieure détrône la partie supérieure et la soumet à son empire.
3º La troisième est de marcher. (…) Car le juste fait des progrès dans la vertu comme il en fait dans la foi, marchant de clarté en clarté.
Tels sont, d'après saint Bernard, les trois signes auxquels nous pouvons reconnaître notre guérison.
Ainsi soit-il.
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On peut considérer Berlingot et tout autre intrus étant de grands paralytiques spirituels.
Dernière édition par ROBERT. le Dim 27 Sep 2015, 4:41 pm, édité 1 fois (Raison : mise en forme en gras)
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Re: Dimanches après la Pentecôte
Dix-neuvième dimanche après la Pentecôte
L’éternité malheureuse
L’éternité malheureuse
Alors le roi dit à ses officiers : Jetez-le dans les ténèbres, pieds et mains liés : c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Extraits de Bourdaloue a écrit:Ce qu'il y a de plus intolérable dans les peines de l'enfer, c'est leur éternité.
Oui l'éternité des peines que souffrent les réprouvés dans l'enfer, est un mystère dont la créance semble avoir de grandes difficultés ; mais j'ajoute que la foi, sur la vérité de cet article, doit corriger nos erreurs et perfectionner nos lumières. Or elle fait l'un et l'autre, et je vous prie de bien comprendre ma pensée. Dieu propose aux hommes une révélation aussi pleine de terreur que digne de respect : savoir, que tout péché, mortel de sa nature, mérite d'être puni par un supplice éternel. Dieu, dis-je, nous propose ce point de créance avec tout le poids de son autorité(…)
(…) et par le consentement unanime de toute l'Église, laquelle a toujours interprété l'Écriture en ce sens : et par les décisions des conciles, qui nous l'ont expressément déclaré : et par la tradition des deux lois, l'ancienne et la nouvelle, qui, sur ce dogme important, ont toujours tenu le même langage ; enfin, par toutes les maximes de la foi, qui nous annonce une peine éternelle dans sa durée, comme due à un seul péché, et même à un péché d'un moment, quand il va jusqu’à nous séparer de Dieu, et à rompre le sacré nœud qui nous doit unir à lui. Est-il donc une vérité plus solidement établie? Mais sur cette vérité néanmoins, sur cette révélation si authentiquement proposée, l'esprit de l'homme a souvent formé des difficultés, c'est-à-dire des erreurs; et lorsqu'il s'y est soumis, il a voulu chercher des raisons pour se justifier à soi-même cette étonnante proportion d'une Éternité de peine avec un moment de péché. Or, à quoi nous sert la foi, ou à quoi nous doit-elle servir? (…): à corriger ces erreurs, comme étant opposées à la vérité primitive et infaillible, et à fortifier, à perfectionner les lumières qui nous donnent quelque idée de ce mystère, si éloigné de nos vues humaines et de nos connaissances.
(…) une peine éternelle pour un péché n'est point incompatible avec la bonté divine ; et ce qui vous trompe, c'est la fausse opinion que vous avez conçue de cette bonté souveraine d'un Dieu. Car vous voulez qu'elle consiste dans une molle indulgence à tolérer le mal et à l'autoriser : mais c'est cela même qui la détruirait, puisqu'elle ne serait plus ce qu'elle est, dès qu'elle cesserait de haïr le péché autant qu'elle le déteste et qu'elle le hait. Pourquoi disons-nous que Dieu est souverainement bon (c'est la belle remarque de Tertullien), sinon parce qu'il a souverainement le mal en horreur? Et qu'est-ce à l'égard de Dieu que d'avoir une souveraine horreur pour le mal, si ce n'est de le poursuivre sans relâche, et d'en être l'implacable vengeur (…) comprenez ce que c'est qu'un Dieu bon. C'est un Dieu opposé essentiellement au péché, un Dieu toujours ennemi du péché, et, par une suite nécessaire, un Dieu persécuteur éternel du péché. Tellement qu'il ne serait plus Dieu, s'il y avait un instant où il n'agît pas contre le péché pour le condamner et pour le punir, parce que ce ne serait plus un Dieu bon, de la manière qu'il l'est et qu'il le doit être.
(…) Ah ! s'écrie saint Grégoire, l'homme est toujours subtil à tirer des conséquences de la bonté de Dieu contre Dieu même : Et moi je réponds, pourquoi donc l'Écriture nous fait-elle entendre tant de menaces et tant d'arrêts foudroyants, qui condamnent le pécheur à cette affreuse éternité de supplice, s'il y a lieu de penser qu'il ne doive pas toujours souffrir? Chose étrange! ajoute ce grand pape, nous nous mettons en peine de garantir la bonté de Dieu, et nous ne craignons pas de le faire auteur du mensonge pour sauver sa miséricorde, comme s'il était moins véritable dans ses paroles que favorable dans ses jugements (…)
En effet, la même Écriture qui m'apprend que Dieu a des entrailles de miséricorde pour les hommes, me déclare en même temps, et dans les termes les plus formels, qu'il y a des flammes éternelles allumées pour le tourment des pécheurs. Il ne m'est pas plus permis de douter de l'un que de l'autre ; mais je dois par l'un rectifier les faux préjugés dont je pourrais me laisser prévenir à l'égard de l'autre; car au lieu de dire : Dieu est la source de toute bonté, donc il ne punira pas éternellement le péché; je dois dire : Dieu punira éternellement le péché, quoiqu'il soit la source de toute limite et la bonté même, puisque la foi me l'enseigne de la sorte, et que c'est une vérité fondamentale dans la religion. Ainsi la bonté de Dieu n'exclut point l'éternité des peines, ni l'éternité des peines n'est point contraire à la bonté de Dieu.
Mais comment et par où se concilient dans le même Dieu cette bonté suprême et cette extrême sévérité, c'est ce qu'il ne m'appartient pas de pénétrer; mais c'est ce que je suis obligé de croire. Il me suffit de savoir l’un et l'autre(…)Objections
C'est qu'une peine éternelle ne peut s'accorder avec la justice de Dieu : pourquoi ? parce que le propre de la justice est de conformer le châtiment à l'offense, en sorte que ni l'offense par sa grièveté ne soit point au-dessus de la peine, ni la peine par sa rigueur au-dessus de l'offense. Or, où est cette égalité et cette proportion entre une éternité de peine et un péché de quelques jours, de quelques heures, et même d'un seul moment? Si j'avais à justifier cet article de notre foi autrement que par la foi même, je pourrais vous répondre que s'il n'y a pas entre cette éternité et ce péché une proportion de durée, il peut y avoir, et qu'il y a en effet une proportion de malice d'une part, et d'autre part de satisfaction et de punition : de malice dans le péché, et de satisfaction dans le châtiment.(…)
(…) ce qui nous trompe, c'est de vouloir mesurer la durée de la satisfaction que la justice de Dieu ordonne, par la durée de l'action criminelle dont le pécheur s'est rendu coupable. Faux principe, dit saint Augustin; et pour en voir sensiblement l'illusion, il n'y a qu'à considérer ce qui se passe tous les jours dans la justice même des hommes. Qu'est-ce que l'ignominie d'un supplice infâme, et que la tache qu'il imprime, laquelle ne s'effacera jamais ? Qu'est-ce qu'un état de servitude et qu'un esclavage perpétuel? Qu'est-ce que l'ennui d'un bannissement, d'un exil, d'une captivité aussi longue que la vie ? Tout cela, n'est-ce pas, autant qu'il le peut être, une espèce d'éternité ? Or, nous voyons néanmoins que la justice humaine emploie tout cela contre un attentat presque aussitôt commis et achevé, qu'entrepris et commencé. Et quand, pour venger cet attentat si peu médité quelquefois et si promptement exécuté, elle fait servir tout cela, nous ne trouvons rien dans la peine qui excède le crime.
(…) d'où il s'ensuit que pour mesurer la proportion de la peine et de l'offense, ce n'est donc pas une règle toujours à prendre que la durée de l'une ou de l'autre, et que, dans un supplice qui ne finit jamais, pour un péché qui finit si vite et dont le plaisir est si court, la justice divine peut être à couvert de tout reproche.
(…) j'en reviens à la foi. Que me dit-elle ? deux choses : que Dieu est juste, et que ses vengeances sont éternelles. Elle ne me peut tromper sur aucune de ces deux vérités, puisque ce sont autant d'oracles émanés de la première vérité; par conséquent ce sont pour moi deux vérités incontestables; par conséquent ces deux vérités ne se combattent point l'une l'autre, et concourent parfaitement ensemble ; par conséquent la peine des damnés subsistant dans toute son éternité, la justice de Dieu subsiste dans toute son intégrité
(…) qui refuse à Dieu le pouvoir d'exercer sur le même sujet une vengeance éternelle, et de lui faire toujours également sentir les cruelles atteintes et les vives impressions du feu qui le brûle. Erreur entre toutes les autres la plus frivole et la plus vaine pour quiconque a quelque notion d'un Dieu tout-puissant. Comme si Dieu ne pouvait pas donner au feu, qu'il a choisi pour être l'instrument de sa colère, des qualités propres, et au-dessus de l'ordre naturel ; comme si Dieu, qui de rien a tout créé, et qui d'un seul acte de sa volonté soutient tout, ainsi que la foi nous le fait connaître, manquait de force et de vertu pour soutenir toute l'activité de ce feu, sans aliment et sans matière ; comme s'il était difficile à Dieu, après avoir formé et le corps et l'âme, de rendre l'un incorruptible aussi bien que l'autre, sans le rendre, non plus que l'autre, impassible, et de les conserver dans les flammes, pour en éprouver les plus violentes ardeurs, sans en recevoir la plus légère altération ; comme si c'était là de plus grands miracles pour Dieu que tant de prodiges éclatants que la foi nous met devant les yeux, et où elle nous donne à entendre qu'il n'a même fallu que le doigt de Dieu (..) Qu'est-ce donc quand il déploie tout son bras, et qu'il l'appesantit sur de rebelles créatures frappées de sa haine ?(…)
Ah ! mes chers auditeurs, ne cherchons point, par d'inutiles questions ni des recherches dangereuses, à diminuer les salutaires frayeurs qu'excite en nous l'esprit chrétien. Croyons, et, dans un saint tremblement, rendons à la bonté de notre Dieu, à la justice de notre Dieu, à la puissance de notre Dieu, tous les hommages qui leur sont dus.
(…) ce feu éternel, ce feu de l'enfer, ou si vous voulez, ce feu de l'autre vie, doit éteindre en celle-ci un feu qui nous dévore et qui nous perd, c'est le feu de nos passions déréglées; et en allumer un autre, qui est celui d'une charité agissante, et d'un saint zèle pour le règlement et le bon ordre de toute notre conduite. Conséquence fondée sur deux principes. L'un est l’amour de nous-mêmes ; je dis cet amour raisonnable, cet amour chrétien que Dieu même nous commande, et qui nous oblige à nous préserver, autant qu'il nous est possible, et par les moyens que nous en avons, du plus grand de tous les malheurs. L'autre est, selon les maximes de notre foi, l'indispensable nécessité d'une vie sainte, c'est-à-dire d'une vie ou innocente ou pénitente, pour se garantir de ce souverain mal, et pour ne pas tomber dans l'état de cette affreuse damnation.
Et en effet, pour peu que nous nous aimions nous-mêmes, comme il nous est ordonné de nous aimer, que devons-nous craindre davantage, et que devons-nous éviter avec plus de soin que la perte entière de nous-mêmes, et une perte irréparable ?
(…) Or il n'y a, vous le savez, point d'autre voie pour cela que la fuite du péché, que le renoncement au monde, que le service de Dieu, que l'observation de la loi de Dieu, que tous ces exercices du christianisme qui nous sanctifient devant Dieu, et qui nous entretiennent dans la grâce de Dieu.(…)Perfection des motifs de l’amour de Dieu
Il est vrai, se retirer du vice, et après de longs égarements revenir à Dieu par un pur amour de Dieu ; s'adonner à la pratique de ses devoirs et les observer en vue de la récompense qui y est promise, et qui n'est autre que Dieu même, ce sont des motifs supérieurs, et beaucoup plus dignes de l'esprit chrétien. Il est à souhaiter que toutes les âmes se portent là, et l'on doit, autant qu'on le peut, les y élever. Mais il n'est pas moins vrai que tous ne sont pas également disposés à prendre ces sentiments, ni à se laisser toucher de ces vues toutes pures et toutes divines. Il y a des justes, des fervents, des parfaits, qui, comme des enfants dans la maison du Père céleste, cherchent à lui plaire, à le posséder, pour le posséder et pour l'aimer, et qui, par là même, sans cesse excités et animés, s'attachent inviolablement à ses divins préceptes, et se font une loi étroite de ses moindres volontés. Ils le servent par une affection toute filiale.
Mais aussi il y a des lâches, des mondains, des pécheurs, de ces hommes terrestres et tout matériels, dont a parlé saint Paul, qui ne sont guère susceptibles d'autre impression que de la crainte des jugements et des vengeances de Dieu. Parlez-leur des grandeurs de Dieu, des perfections de Dieu, des bienfaits de Dieu, des récompenses mêmes de Dieu, à peine vous écouteront-ils ; et s'ils vous donnent quelque attention, tout ce que vous leur ferez entendre leur frappera l'oreille sans descendre jusque dans leur cœur. Pourquoi ? parce que leur cœur, obscurci des épaisses ténèbres que les passions y ont répandues, et rempli des idées les plus grossières, est devenu tout animal, selon l'expression de l'Apôtre. Or l'homme animal, ajoute ce même docteur des Gentils, ne comprend point les mystères de Dieu, ou ne les comprend qu'autant qu'ils ont de rapport à ses sens (…)
Voulez-vous donc les remuer, les exciter, les réveiller de ce sommeil léthargique où ils demeurent profondément assoupis? Faites retentir autour d'eux les tonnerres de la colère divine, et ce foudroyant arrêt qui les doit condamner à des flammes éternelles : Allez au feu..
Enfin conjurez-les d'avoir pitié de leur âme(…)
C'est ainsi que tant de mondains et de libertins ont été retirés de leurs voies corrompues, et qu'ils sont rentrés dans la voie du salut.(…)
Et il ne faut pas penser que cette vue d'un malheur éternel ne convienne qu'aux âmes engagées dans le crime, ou à ces âmes faibles et encore toutes couvertes, si j'ose ainsi m'exprimer de la poussière du monde et des impuretés de leurs inclinations vicieuses. Je l'ai dit et je le répète, c'est une vue convenable à tous les degrés de perfection ; et quand je pourrais, avec quelque apparence, me flatter d'être aux premiers rangs des élus de Dieu, alors même ne cesserais-je point, pour me soutenir, pour me fortifier, pour m'élever, de me remettre dans l'esprit et de méditer les vengeances infinies de Dieu; car je regarderais comme une présomption de croire, ainsi que se le persuadent quelques âmes chrétiennes, que ce serait, en quelque manière, dégénérer de l'état parfait en m'arrêtant à de pareilles considérations (…)
Nous ne sommes pas plus saints que l'était saint Jérôme, qui, dans le souvenir de l'éternité, se frappait sans cesse la poitrine pour attirer sur lui les miséricordes du Seigneur, et pour détourner les coups redoutables de sa colère(…)
Voilà, encore une fois, à quoi je m'attache, et sur quoi je fixe mes regards : car je m'imagine que je vois cette éternité, que je marche dans cette éternité, et que je n'en découvre jamais le bout. Je m'imagine que j'en suis enveloppé et investi de toutes parts; que si je m'élève, si je descends, de quelque côté que je me tourne, je trouve toujours cette éternité; qu'après mille efforts pour m'y avancer, je n'y ai pas fait le moindre progrès, et que c'est toujours l'éternité. Je m'imagine qu'après les plus longues révolutions des temps je vois toujours au milieu de cette éternité une âme réprouvée, dans le même état, dans la même désolation, dans les mêmes transports ; et me substituant moi-même en esprit à la place de cette âme, je m'imagine que dans ce supplice éternel je me sens toujours dévoré de ce feu que rien n'éteint, que je répands toujours ces pleurs qui rien ne tarit, que je suis toujours rongé de ce ver qui ne meurt point, que j'exprime toujours mon désespoir par ces grincements de dents et ces cris lamentables qui ne peuvent fléchir le cœur de Dieu. Cette idée de moi-même, cette peinture me saisit et m'épouvante ; mon corps même en frémit, et j'éprouve tout ce qu'éprouvait le Prophète royal lorsqu'il disait a Dieu : Seigneur, pénétrez ma chair de votre crainte, et de la crainte de vos jugements
(..) On pense assez, et l'on ne pense même que trop, à tout ce qui pourra arriver dans le cours des années que l'on se promet de passer sur la terre. On n'est que trop attentif aux revers, aux contretemps, aux disgrâces, aux pertes qui peuvent déranger les affaires et renverser la fortune. On n'examine que trop ce que l'on deviendra dans la suite de l'âge, et l'on ne prend sur cela que trop de précautions et trop de mesures. A force même de s'en occuper et de s'en remplir l'esprit, on se forme mille chimères dont on se laisse vainement agiter ; et l'on se charge de mille soins réels et pénibles, pour prévenir des maux imaginaires qu'une timide prévoyance fait envisager. Cependant on vit dans le plus profond oubli de son sort éternel: on y demeure tranquille et sans inquiétude ; la vie coule, l'éternité s'approche ; et, comme ces victimes qui allaient les yeux bandés à l'autel où elles devaient être immolées, on va se jeter en aveugle dans le précipice(…)
Tels sont mes sentiments, et puissent-ils ne s'effacer jamais de mon esprit ! Si l'impie les traite de faiblesse et de timidité superstitieuse, je préférerai ma faiblesse à toute sa prétendue force. Il rira de ma simplicité, et moi j'aurai pitié de sa folie, lorsqu'il ne craint point ce qu'ont craint tant d'hommes mille fois plus sages et mieux instruits que lui ; de son insensibilité, lorsqu'il prend si peu de part a une affaire qui le touche de si près, et qu'il s'intéresse si peu au plus grand de tous ses intérêts; de sa témérité et de son audace, lorsqu'il s'expose si légèrement et de sang-froid à une éternelle réprobation, et qu'il n'a point de peine à en courir tout le risque. S'il s'endurcit aux avis charitables que je voudrais sur cela lui donner, et si, malgré les plus fortes remontrances, il demeure dans son obstination, à l'exemple de ces anges qui se retirèrent de Babylone, je l'abandonnerai à son sens réprouvé, et je penserai à moi-même. Je lèverai les mains vers Dieu, et je lui ferai la même prière que le Prophète …. Ne perdez pas, Seigneur, ne perdez pas mon âme avec les impies. Sauvez-la par votre miséricorde. Aidez-moi à la sauver moi-même par mes œuvres. C'est une âme immortelle, c'est mon unique (…) Le succès en dépend de Dieu et de nous. Dieu de sa part ne nous manquera pas; ne manquons pas à sa grâce, et disposons-nous par la parfaite observation de ses commandements à recevoir sa gloire dans l'éternité bienheureuse(…)
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: Dimanches après la Pentecôte
Extraits de Bourdaloue a écrit:
Pourquoi disons-nous que Dieu est souverainement bon (c'est la belle remarque de Tertullien), sinon parce qu'il a souverainement le mal en horreur? Et qu'est-ce à l'égard de Dieu que d'avoir une souveraine horreur pour le mal, si ce n'est de le poursuivre sans relâche, et d'en être l'implacable vengeur (…) comprenez ce que c'est qu'un Dieu bon. C'est un Dieu opposé essentiellement au péché, un Dieu toujours ennemi du péché, et, par une suite nécessaire, un Dieu persécuteur éternel du péché. Tellement qu'il ne serait plus Dieu, s'il y avait un instant où il n'agît pas contre le péché pour le condamner et pour le punir, parce que ce ne serait plus un Dieu bon, de la manière qu'il l'est et qu'il le doit être.
(…) Ah ! s'écrie saint Grégoire, l'homme est toujours subtil à tirer des conséquences de la bonté de Dieu contre Dieu même : Et moi je réponds, pourquoi donc l'Écriture nous fait-elle entendre tant de menaces et tant d'arrêts foudroyants, qui condamnent le pécheur à cette affreuse éternité de supplice, s'il y a lieu de penser qu'il ne doive pas toujours souffrir? Chose étrange! Ajoute ce grand pape, nous nous mettons en peine de garantir la bonté de Dieu, et nous ne craignons pas de le faire auteur du mensonge pour sauver sa miséricorde, comme s'il était moins véritable dans ses paroles que favorable dans ses jugements (…)
…la peine des damnés subsistant dans toute son éternité, la justice de Dieu subsiste dans toute son intégrité.
Croyons, et, dans un saint tremblement, rendons à la bonté de notre Dieu, à la justice de notre Dieu, à la puissance de notre Dieu, tous les hommages qui leur sont dus.
…Que devons-nous craindre davantage, et que devons-nous éviter avec plus de soin que la perte entière de nous-mêmes, et une perte irréparable ?
Il y a des justes, des fervents, des parfaits, qui, comme des enfants dans la maison du Père céleste, cherchent à lui plaire, à le posséder, pour le posséder et pour l'aimer, et qui, par là même, sans cesse excités et animés, s'attachent inviolablement à ses divins préceptes, et se font une loi étroite de ses moindres volontés. Ils le servent par une affection toute filiale.
Mais aussi il y a des lâches, des mondains, des pécheurs, de ces hommes terrestres et tout matériels, dont a parlé saint Paul, qui ne sont guère susceptibles d'autre impression que de la crainte des jugements et des vengeances de Dieu. Parlez-leur des grandeurs de Dieu, des perfections de Dieu, des bienfaits de Dieu, des récompenses mêmes de Dieu, à peine vous écouteront-ils; et s'ils vous donnent quelque attention, tout ce que vous leur ferez entendre leur frappera l'oreille sans descendre jusque dans leur cœur. Pourquoi ? Parce que leur cœur, obscurci des épaisses ténèbres que les passions y ont répandues, et rempli des idées les plus grossières, est devenu tout animal, selon l'expression de l'Apôtre. Or l'homme animal, ajoute ce même docteur des Gentils, ne comprend point les mystères de Dieu, ou ne les comprend qu'autant qu'ils ont de rapport à ses sens (…)
…Nous ne sommes pas plus saints que l'était saint Jérôme, qui, dans le souvenir de l'éternité, se frappait sans cesse la poitrine pour attirer sur lui les miséricordes du Seigneur, et pour détourner les coups redoutables de sa colère (…)
….Ne perdez pas, Seigneur, ne perdez pas mon âme avec les impies. Sauvez-la par votre miséricorde. Aidez-moi à la sauver moi-même par mes œuvres. C'est une âme immortelle, c'est mon unique (…) Le succès en dépend de Dieu et de nous. Dieu de sa part ne nous manquera pas; ne manquons pas à sa grâce, et disposons-nous par la parfaite observation de ses commandements à recevoir sa gloire dans l'éternité bienheureuse (…)
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
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