La Cité de Dieu (SAINT AUGUSTIN) Livre I :Les Goths à Rome. Livre II: Rome et les faux dieux. (complet)

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Message  ROBERT. Sam 23 Mai 2015, 3:50 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. IX a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE IX.


LES ANCIENS ROMAINS JUGEAIENT NÉCESSAIRE DE RÉPRIMER LA LICENCE

DES POÈTES, À LA DIFFÉRENCE DES GRECS QUL NE LEUR IMPOSAIENT

AUCUNE LIMITE, SE CONFORMANT EN CE POINT À LA VOLONTÉ DES DIEUX.



Si l’on veut savoir ce que pensaient à cet égard les anciens Romains, il faut consulter Cicéron qui, dans son traité De la République2,  fait parler Scipion3 en ces termes: "Jamais la comédie, si l’habitude des mœurs publiques ne l’avait autorisée, n’aurait pu faire goûter les infamies qu’elle étalait sur le théâtre4" . Les Grecs du moins étaient conséquents dans leur extrême licence, puisque leurs lois permettaient à la comédie de tout dire sur tout citoyen et en l’appelant par son nom. Aussi, comme dit encore Scipion dans le même ouvrage: "Qui n’a-t-elle pas atteint ? Ou plutôt, qui n’a-t-elle pas déchiré ? A qui fit-elle grâce ? Qu’elle ait blessé des flatteurs populaires, des citoyens malfaisants, séditieux, Cléon, Cléophon, Hyperbolus 5, à la bonne heure; bien que, pour de tels hommes, la censure du magistrat vaille mieux que celle du poète. Mais que Périclès, gouvernant la république depuis tant d’années avec le plus absolu crédit, dans la paix ou dans la guerre, soit outragé par des vers, et qu’on les récite sur la scène, cela n’est pas moins étrange que si, parmi nous, Plaute et Névius se fussent avisés de médire de Publius et de Cnéus Scipion, ou Cécilius de Caton".


Et il ajoute un peu après: "Nos lois des douze Tables, au contraire, si attentives à ne porter la peine de mort que pour un bien petit nombre de faits, ont compris dans cette classe le délit d’avoir récité publiquement ou d’avoir composé des vers qui attireraient sur autrui le déshonneur et l’infamie; et elles ont sagement décidé, car notre vie doit être soumise à la sentence des tribunaux, à l’examen légitime des magistrats, et non pas aux fantaisies des poètes; et nous ne devons être exposés à entendre une injure qu’avec le droit d’y répondre et de nous défendre devant la justice".


Il est aisé de voir combien tout ce passage du quatrième livre de la République de Cicéron, que je viens de citer textuellement (sauf quelques mots omis ou modifiés), se rattache étroitement à la question que je veux éclaircir. Cicéron ajoute beaucoup d’autres réflexions, et conclut en montrant fort bien que les anciens Romains ne pouvaient souffrir qu’on louât ou qu’on blâmât sur la scène un citoyen vivant. Quant aux Grecs, qui autorisèrent cette licence, je répète, tout en la flétrissant, qu’on y trouve une sorte d’excuse, quand on considère qu’ils voyaient leurs dieux prendre plaisir au spectacle de l’infamie des hommes et de leur propre infamie, soit que les actions qu’on leur attribuait fussent de l’invention des poètes, soit qu’elles fussent véritables; et plût à Dieu que les spectateurs n’eussent fait qu’en rire, au lieu de les imiter! Au fait, c’eût été un peu trop superbe d’épargner la réputation des principaux de la ville et des simples citoyens, pendant que les dieux sacrifiaient la leur de si bonne grâce.




2. On sait que ce grand ouvrage est perdu aux trois quarts, même après les découvertes d’Angelo Maio.
   Le quatrième livre, cité ici par saint Augustin, est un de ceux dont il nous reste le moins de débris.
3. Le Scipion de la République est Scipion Emilien, le destructeur de Numance et de Carthage.
4. Cicéron, De la République, livre IV, trad. de M. Villemain.
5. Voyez les comédies d’Aristophane.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
à suivre…
gras ajoutés.

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Message  ROBERT. Sam 23 Mai 2015, 3:52 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. X a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE X.

C’EST UN TRAIT DE LA PROFONDE MALICE DES DÉMONS, DE VOULOIR

QU’ON LEUR ATTRIBUE DES CRIMES, SOIT VÉRITABLES, SOIT SUPPOSÉS.




On allègue pour excuse que ces actions attribuées aux dieux ne sont pas véritables, mais supposées. Le crime alors n’en serait que plus énorme, si l’on consulte les notions de la vraie piété et de la vraie religion; et si l’on considère la malice des démons, quel art profond pour tromper les hommes ! Quand on diffame un des premiers de l’État qui sert honorablement son pays, cette attaque n’est-elle pas d’autant plus inexcusable qu’elle est plus éloignée de la vérité ? Quel supplice ne méritent donc pas ceux qui font à Dieu une injure si atroce et si éclatante !


Au reste, ces esprits du mal, que les païens prennent pour des dieux, n’ont d’autre but, en se laissant attribuer de faux crimes, que de prendre les âmes dans ces fictions comme dans des filets, et de les entraîner avec eux dans le supplice où ils sont prédestinés; soit que des hommes qu’ils se plaisent à faire passer pour des dieux, afin de recevoir à leur place par mille artifices les adorations des mortels, aient en effet commis ces crimes, soit qu’aucun homme n’en étant coupable, ils prennent plaisir à les voir imputer aux dieux, pour donner ainsi aux actions les plus méchantes celles plus honteuses, l’autorité du ciel. C’est ainsi que les Grecs, esclaves de ces fausses divinités, n’ont pas cru que les poètes dussent les épargner eux-mêmes sur la scène, ou par le désir de se rendre en cela semblables à leurs dieux, ou par la crainte de les offenser, s’ils se montraient jaloux d’avoir une renommée meilleure que la leur.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
à suivre…
gras et soulignés ajoutés.

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Message  ROBERT. Dim 24 Mai 2015, 12:32 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XI a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XI.

LES GRECS ADMETTAIENT LES COMÉDIENS À L’EXERCICE DES FONCTIONS

PUBLIQUES, CONVAINCUS QU’IL Y AVAIT DE L’INJUSTICE À  MÉPRISER

DES HOMMES DONT L’ART APAISAIT LA COLÈRE DES DIEUX.  



Les Grecs furent encore très conséquents avec eux-mêmes quand ils jugèrent les comédiens dignes des plus hautes charges de l’État. Nous apprenons, en effet, par Cicéron, dans ce même traité De la République, que l’athénien Eschine, homme très-éloquent, après avoir joué la tragédie dans sa jeunesse, brigua la suprême magistrature, et que les Athéniens envoyèrent souvent le comédien Aristodème en ambassade vers Philippe, pour traiter les affaires les plus importantes de la paix et de la guerre. Voyant leurs dieux accueillir avec complaisance les pièces de théâtre, il ne leur paraissait pas raisonnable de mettre au rang des personnes infâmes ceux qui servaient à les représenter. Nul doute que tous ces usages des Grecs ne fussent très scandaleux, mais nul doute aussi qu’ils ne fussent en harmonie avec le caractère de leurs dieux; car comment auraient-ils empêché les poètes et les acteurs de déchirer les citoyens, quand ils les entendaient diffamer leurs dieux avec l’approbation de ces dieux mêmes ? Et comment auraient-ils méprisé, ou plutôt comment n’auraient-ils pas élevé aux premiers emplois ceux qui représentaient sur le théâtre des pièces qu’ils savaient agréables aux dieux ?


Eût-il été raisonnable, tandis qu’on avait les prêtres en honneur, parce qu’ils attirent sur les hommes la protection des dieux en leur immolant des victimes, de noter d’infamie les comédiens qui, en jouant des pièces de théâtre, ne faisaient autre chose que satisfaire au désir des dieux et prévenir l’effet de leurs menaces, d’après la déclaration expresse des prêtres eux-mêmes ? Car nous savons que Labéon1, dont l’érudition fait autorité en cette matière, distingue les bonnes divinités d’avec les mauvaises, et veut qu’on leur rende un culte différent, conseillant d’apaiser les mauvaises par des sacrifices sanglants et par des prières funèbres, et de se concilier les bonnes par des offrandes joyeuses et agréables, comme les jeux, les festins et les lectisternes2.


Nous discuterons plus tard, s’il plaît à Dieu, cette distinction de Labéon; mais, pour n’en dire en ce moment que ce qui touche à notre sujet, soit que l’on offre indifféremment toutes choses à tous les dieux comme étant tous bons (car des dieux ne sauraient être mauvais, et ceux des païens ne sont tels que parce qu’ils sont tous des esprits immondes), soit que l’on mette quelque différence, comme le veut Labéon, dans les offrandes qu’on présente aux différents dieux, c’est toujours avec raison que les Grecs honorent les comédiens qui célèbrent les jeux, à l’égal des prêtres qui offrent des victimes, de peur de faire injure à tous les dieux, si tous aiment les jeux du théâtre, ou, ce qui serait plus grave encore, aux dieux réputés bons, s’il n’y a que ceux-là qui les voient avec plaisir.




1. On connaît trois Labéons, tous célèbres par leur science en droit civil.
  Celui que cite ici saint Augustin est le plus célèbre de tous, Antiettus Labéon, qui vivait du temps d’Auguste.
  Voyez Suétone, ch. 54; et Aulu-Gelle, liv. I, ch. 12, et liv. XIII, ch. 10 et 12.
2. Lectisternia. Cette cérémonie consistait à dresser dans les temples de petits lits,
    sur lesquels on plaçait toutes sortes de viandes, avec les images des dieux.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
à suivre…
gras ajoutés.

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Message  ROBERT. Dim 24 Mai 2015, 12:40 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XII.

LES ROMAINS, EN INTERDISANT AUX POÈTES D’USER CONTRE

LES HOMMES D’UNE LIBERTÉ QU’ILS LEUR DONNAIENT CONTRE

LES DIEUX, ONT EU MOINS BONNE OPINION DES DIEUX QUE D’EUX-MÊMES.    




Les Romains ont tenu à cet égard une conduite toute différente, comme s’en glorifie Scipion dans le dialogue déjà cité De la République. Loin de consentir à ce que leur vie et leur réputation fussent exposées aux injures et aux médisances des poètes, ils prononcèrent la peine capitale contre ceux qui oseraient composer des vers diffamatoires. C’était pourvoir à merveille au soin de leur honneur, mais c’était aussi se conduire envers les dieux d’une façon bien superbe et bien impie; car enfin ils voyaient ces dieux supporter avec patience et même écouter volontiers les injures et les sarcasmes que leur adressaient les poètes, et, malgré cet exemple, ils ne crurent pas de leur dignité de supporter des insultes toutes pareilles; de sorte qu’ils établirent des lois pour s’en garantir au moment même où ils permettaient que l’outrage fît partie des solennités religieuses.


O Scipion ! Comment pouvez-vous louer les Romains d’avoir défendu aux poètes d’offenser aucun citoyen, quand vous voyez que ces mêmes poètes n’ont épargné aucun de vos dieux ! Avez-vous estimé si haut la gloire du sénat comparée à celle du dieu du Capitole, que dis-je ? la gloire de Rome seule mise en balance avec celle de tout le ciel, que vous ayez lié par une loi expresse la langue médisante des poètes, si elle était dirigé contre un de vos concitoyens, tandis que vous la laissiez libre de lancer l’insulte à son gré contre tous vos dieux, sans que personne, ni sénateur, ni censeur, ni prince du sénat, ni pontife, eût le droit de s’y opposer ? Quoi !  Il vous a paru scandaleux que Plaute ou Névius pussent attaquer les Scipions, ou que Caton fût insulté par Cécilius, et vous avez trouvé bon que votre Térence1 excitât les jeunes gens au libertinage par l’exemple du grand Jupiter !




1. Bien que Térence fût Africain par sa naissance, saint Augustin le considère
   ici comme tout Romain par son éducation et ses amitiés, comme par ses ouvrages.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
à suivre…
gras et soulignés ajoutés.

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Vers diffamatoires ?  Plus l'esprit du monde change, plus il est pareil !  Shocked
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Message  ROBERT. Dim 24 Mai 2015, 12:50 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XIII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XIII.

LES ROMAINS AURAIENT DU COMPRENDRE QUE DES DIEUX CAPABLES DE SE COMPLAIRE

À DES JEUX INFÂMES N’ÉTAIENT PAS DIGNES DES HONNEURS DIVINS.  




Scipion, s’il vivait, me répondrait peut-être: Comment ne laisserions-nous pas impunies des injures que les dieux eux-mêmes ont consacrées, puisque ces jeux scéniques, où on les fait agir et parler d’une manière si honteuse, ont été institués en leur honneur et sont entrés dans les mœurs de Rome par leur commandement formel ? — A quoi je réplique en demandant à mon tour comment cette conduite des dieux n’a pas fait comprendre aux Romains qu’ils n’avaient point affaire à des dieux véritables, mais à des démons indignes de recevoir d’une telle république les honneurs divins ? Assurément, il n’eût point été convenable, ni le moins du monde obligatoire de leur rendre un culte, s’ils eussent exigé des cérémonies injurieuses à la gloire des Romains; comment dès lors, je vous prie, a-t-on pu juger dignes d’adoration ces esprits de mensonge dont la méprisable impudence allait jusqu’à demander que le tableau de leurs crimes fit partie de leurs honneurs ?


Aussi, quoique assez aveuglés par la superstition pour adorer ces divinités étranges qui prétendaient donner un caractère sacré aux infamies du théâtre, les Romains, par un sentiment de pudeur et de dignité, refusèrent aux comédiens les honneurs que leur accordaient les Grecs. C’est ce que déclare Cicéron par la bouche de Scipion: "Regardant, dit-il, l’art des comédiens et le théâtre en général comme infâmes, les Romains ont interdit aux gens de cette espèce l’honneur des emplois publics; bien plus, ils les ont fait exclure de leur tribu par une note du censeur1".Voilà, certes, un règlement [d’une] de la sagesse des Romains; mais j’aurais voulu que tout le reste y eût répondu et qu’ils eussent été conséquents avec eux-mêmes. Qu’un citoyen romain, quel qu’il fût, du moment qu’il se faisait comédien, fût exclu de tout honneur public, que le censeur ne souffrît même pas qu’il demeurât dans sa tribu, cela est admirable, cela est digne d’un peuple dont la grande âme adorait la gloire, cela est vraiment romain !  


Mais qu’on me dise s’il y avait quelque raison et quelque conséquence à exclure les comédiens de tout honneur, tandis que les comédies faisaient partie des honneurs des dieux. Longtemps la vertu romaine n’avait pas connu ces jeux du théâtre2, et s’ils eussent été recherchés par goût du plaisir, on aurait pu en expliquer l’usage par le relâchement des moeurs ; mais non, ce sont les dieux qui ont ordonné de les célébrer. Comment donc flétrir le comédien par qui l’on honore le dieu ? Et de quel droit noter d’infamie l’acteur d’une scène honteuse si l’on en adore le promoteur? Voilà donc la dispute engagée entre les Grecs et les Romains. Les Grecs croient qu’ils ont raison d’honorer les comédiens, puisqu’ils adorent des dieux avides de comédies; les Romains, au contraire, pensent que la présence d’un comédien serait une injure pour une tribu de plébéiens, et à plus forte raison pour le sénat.



La question ainsi posée, voici un syllogisme qui termine tout. Les Grecs en fournissent la majeure: si l’on doit adorer de tels dieux, il faut honorer de tels hommes. La mineure est posée par les Romains: or, il ne faut point honorer de tels hommes. Les chrétiens tirent la conclusion: donc, il ne faut point adorer de tels dieux.



1. Comparez Tite-Live, lib. XIV, cap. 15, et Tertullien De Spectac. , cap. 22.
2. Ils ne furent, en effet, institués que l’an de Rome 392. Voyez Tite-Live, lib. VII cap. 2.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
à suivre…
gras, police, soulignés
et caractères ajoutés.

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Message  ROBERT. Lun 25 Mai 2015, 1:48 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XIV a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XIV.

PLATON, EN EXCLUANT LES POÈTES D’UNE CITÉ BIEN GOUVERNÉE,

S’EST MONTRÉ SUPÉRIEUR À CES DIEUX QUI VEULENT ÊTRE

HONORÉS PAR DES JEUX SCÉNIQUES.    




Je demandé encore pourquoi les auteurs de pièces de théâtre, à qui la loi des douze Tables défend de porter atteinte à la réputation des citoyens et qui se permettent de lancer l’outrage aux dieux, ne partagent point l’infamie des comédiens. Quelle raison et quelle justice y a-t-il, quand on couvre d’opprobre les acteurs de ces pièces honteuses et impies, à en honorer les auteurs ? C’est ici qu’il faut donner la palme à un Grec, à Platon, qui, traçant le modèle idéal d’une république parfaite, en a chassé les poètes1, comme des ennemis de la vérité. Ce philosophe ne pouvait souffrir ni les injures qu’ils osent prodiguer aux dieux, ni le dommage que leurs fictions causent aux mœurs.


Comparez maintenant Platon, qui n’était qu’on homme, chassant les poètes de sa république pour la préserver de l’erreur, avec ces dieux, dont la divinité menteuse voulait être honorée par des jeux scéniques. Celui-là s’efforce, quoique inutilement, de détourner les Grecs légers et voluptueux de la composition de ces honteux ouvrages; ceux-là en extorquent la représentation à la pudeur des graves Romains. Et il n’a pas suffi aux dieux du paganisme que les pièces du théâtre fussent représentées, il a fallu les leur dédier, les leur consacrer, les célébrer solennellement en leur honneur. A qui donc, je vous prie, serait-il plus convenable de décerner les honneurs divins: à Platon, qui s’est opposé au scandale, ou aux démons qui l’ont voulu, abusant ainsi les hommes que Platon s’efforça vainement de détromper ?


Labéon a cru devoir inscrire ce philosophe au rang des demi-dieux, avec Hercule et Romulus. Or, les demi-dieux sont supérieurs aux héros, bien que les uns et les autres soient au nombre des divinités. Pour moi, je n’hésite pas à placer celui qu’il appelle un demi-dieu non-seulement au-dessus des héros, mais au-dessus des dieux mêmes. Quoi qu’il en soit, les lois romaines approchent assez des sentiments de Platon; si, en effet, Platon condamne les poètes et toutes leurs fictions, les Romains leur ôtent du moins la liberté de médire des hommes; si celui-là les bannit de la cité, ceux-ci excluent du nombre des citoyens ceux qui représentent leurs pièces, et les chasseraient probablement tout à fait s’ils ne craignaient la colère de leurs dieux.


Je conclus de là que les Romains ne peuvent recevoir de pareilles divinités ni même en espérer des lois propres à former les bonnes mœurs et à corriger les mauvaises, puisque les institutions qu’ils ont établies par une sagesse tout humaine surpassent et accusent celle des dieux. Les dieux, en effet, demandent des représentations théâtrales: les Romains excluent de tout honneur civil les hommes de théâtre. Ceux-là commandent qu’on étale sur la scène leur propre infamie: ceux-ci défendent de porter atteinte à la réputation des citoyens. Quant à Platon, il paraît ici comme un vrai demi-dieu, puisqu’il s’oppose au caprice insensé des divinités païennes et fait voir en même temps aux Romains ce qui manquait à leurs lois; convaincu, en effet, que les poètes ne pouvaient être que dangereux, soit en défigurant la vérité dans leurs fictions, soit en proposant à l’imitation des faibles humains les plus détestables exemples donnés par les dieux, il déclara qu’il fallait les bannir sans exception d’un État réglé selon la sagesse.


S’il faut dire ici le fond de notre pensée, nous ne croyons pas que Platon soit un dieu ni un demi-dieu; nous ne le comparons à aucun des saints anges ou des vrais prophètes de Dieu, ni à aucun apôtre ou martyr de Jésus-Christ, ni même à aucun chrétien; et nous dirons ailleurs, avec la grâce de Dieu, sur quoi se fonde notre sentiment; mais puisqu’on en veut faire un demi-dieu1, nous déclarons volontiers que nous le croyons supérieur, sinon à Hercule et à Romulus (bien qu’il n’ait pas tué son frère et qu’aucun poète ou historien ne lui impute aucun autre crime), du moins à Priape, ou à quelque Cynocéphale2, ou enfin à la Fièvre3, divinités ridicules que les Romains ont reçues des étrangers ou dont le culte est leur propre ouvrage.


Comment donc de pareils dieux seraient-ils capables de détourner ou de guérir les maux qui souillent les âmes et corrompent les mœurs, eux qui prennent soin de répandre et de cultiver la semence de tous les désordres en ordonnant de représenter sur la scène leurs crimes véritables ou supposés, comme pour enflammer à plaisir les passions mauvaises et les autoriser de l’exemple du ciel ! C’est ce qui fait dire à Cicéron, déplorant vainement la licence des poètes: "Ajoutez à l’exemple des dieux les cris d’approbation du peuple, ce grand maître de vertu et de sagesse, quelles ténèbres vont se répandre dans les âmes! Quelles frayeurs les agiter ! Quelles passions s’y allumer4"




1. Voyez la République de Platon, livres II et, III, et les Lois, livres II et VII.
   — Platon s’y élève en effet avec une [fougue] admirable contre les travestissements que les poètes font subir à la divinité,
        mais il ne bannit expressément de la république idéale que la poésie dramatique, et dans la république réelle des Lois,
        il se contente de la soumettre à la censure.
1. Selon Varron, les demi-dieux, nés d’une divinité et d’un être mortel, tiennent un rang intermédiaire entre les dieux immortels et les héros.
2. Les Cynocéphales sont des dieux égyptiens, représentés avec une tête de chien.
3. La Fièvre avait à Rome trois temples. Voyez Cicéron, De Nat deor., lib. III, cap. 25; et Valère Maxime, lib. II, cap. 5, § 6.
4. Cicéron, De repupl., lib. V. — Comp. Tusculanes, s. II, 2.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Lun 25 Mai 2015, 1:53 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XV a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XV.

LES ROMAINS SE SONT DONNÉ CERTAINS

DIEUX, NON PAR RAISON, MAIS PAR VANITÉ.  




Mais n’est-il pas évident que c’est la vanité plutôt que la raison qui les a guidés dans le choix de leurs fausses divinités? Ce grand Platon, dont ils font un demi-dieu, qui a consacré de si importants ouvrages à combattre les maux les plus funestes, ceux de l’âme qui corrompent les mœurs, Platon n’a pas été jugé digne d’une simple chapelle; mais pour leur Romulus, ils n’ont pas manqué de le mieux traiter que les dieux, bien que leur doctrine secrète le place au simple rang de demi-dieu.


Ils sont allés jusqu’à lui donner un flamine, c’est-à-dire un de ces prêtres tellement considérés chez les Romains, comme le marquait le signe particulier de leur coiffure1, que trois divinités seulement en avaient le privilège, savoir: Jupiter, Mars et Romulus ou Quirinus, car ce fut le nom que donnèrent à Romulus ses concitoyens quand ils lui ouvrirent en quelque façon la porte du ciel. Ainsi, ce fondateur de Rome a été préféré à Neptune et à Pluton, frères de Jupiter, et même à Saturne, père de ces trois dieux; on lui a décerné le même honneur qu’à Jupiter; et si cet honneur a été étendu à Mars, c’est probablement parce qu’il était père de Romulus.




1. Ce signe était l’apex, baguette environnée de laine que les flamines portaient à l’extrémité de leur bonnet.
   Voyez Servius, ad Aeneid., lib. II, V. 683, et lib. VIII, V 654.
 — Valère Maxime raconte ( lib. I, cap. 1, § 4), que le flamine Sulpicius perdit sa dignité
  pour avoir laissé l’apex tomber de sa tête pendant le sacrifice.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Lun 25 Mai 2015, 1:56 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XVI a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XVI.


SI LES DIEUX AVAIENT EU LE MOINDRE SOUCI DE FAIRE RÉGNER LA JUSTICE,

ILS AURAIENT DONNÉ AUX ROMAINS DES PRÉCEPTES ET DES LOIS,

AU LIEU DE LES LEUR LAISSER EMPRUNTER AUX NATIONS ÉTRANGÈRES.



Si les Romains avaient pu recevoir des lois de leurs dieux, auraient-ils emprunté aux Athéniens celles de Solon, quelques années2après la fondation de Rome ? Et encore ne les observèrent-ils pas telles qu’ils les avaient reçues, mais ils s’efforcèrent de les rendre meilleures. Je sais que Lycurgue avait feint d’avoir reçu les siennes d’Apollon, pour leur donner plus d’autorité sur l’esprit des Spartiates3; mais les Romains eurent la sagesse de n’en rien croire  et de ne point puiser à cette source. On rapporte à Numa Pompilius, successeur de Romulus, l’établissement de plusieurs lois, parmi lesquelles un certain nombre qui réglaient beaucoup de choses religieuses; mais ces lois étaient loin de suffire à la conduite de l’État, et d’ailleurs on ne dit pas que Numa les eût reçues des dieux. Ainsi donc, pour ce qui regarde les maux de l’âme, les maux de la conduite humaine, les maux qui corrompent les mœurs, maux si graves que les plus éclairés parmi les païens ne croient pas qu’un État y puisse résister, même quand les villes restent debout1, pour tous les maux de ce genre, les dieux n’ont pris aucun souci d’en préserver leurs adorateurs; bien au contraire, comme nous l’avons établi plus haut, ils ont tout fait pour les aggraver.



2. Ce ne fut que trois cents ans après la fondation de Borne, selon Tite-Live, lib. III, cap. 33, 34.
3. Voyez Xénophon, De republ. Laced., cap. 8.
1. Saint Augustin fait peut-être allusion au beau passage de Plaute (Persa, act. w, se. 4, y. 11-14).




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Mar 26 Mai 2015, 2:31 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XVII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XVII.

DE L’ENLÈVEMENT DES SABINES, ET DES AUTRES INIQUITÉS COMMISES

PAR LES ROMAINS AUX TEMPS LES PLUS VANTÉS DE LA RÉPUBLIQUE.




On dira peut-être que si les dieux n’ont pas donné de lois aux Romains, c’est que "le caractère de ce peuple, autant que ses lois, comme dit Salluste2, le rendait bon et équitable1". Un trait de ce caractère, ce fut, j’imagine, l’enlèvement des Sabines. Qu’y a-t-il, en effet, de plus équitable et de meilleur que de ravir par force, au gré de chacun, des filles étrangères, après les avoir attirées par l’appât trompeur d’un spectacle ? Parlons sérieusement: si les Sabins étaient injustes en refusant leurs filles, combien les Romains étaient-ils plus injustes en les prenant sans qu’on les leur accordât ? Il eût été plus juste de faire la guerre au peuple voisin pour avoir refusé d’accorder ses filles, que pour avoir redemandé ses filles ravies.


Mieux eût donc valu que Romulus se fût conduit de la sorte; car il n’est pas douteux que Mars n’eût aidé son fils à venger un refus injurieux et à parvenir ainsi à ses fins. La guerre lui eût donné une sorte de droit de s’emparer des filles qu’on lui refusait injustement, au lieu que la paix ne lui en laissait aucun de mettre la main sur des filles qu’on ne lui accordait pas; et ce fut une injustice de faire la guerre à des parents justement irrités. Heureusement pour eux, les Romains, tout en consacrant par les jeux du cirque3 le souvenir de l’enlèvement des Sabines, ne pensèrent pas que ce fût un bon exemple à proposer à la république. Ils firent, à la vérité, la faute d’élever au rang des dieux Romulus, l’auteur de cette grande iniquité; mais on ne peut leur reprocher de l’avoir autorisée par leurs lois ou par leurs mœurs.


Quant à l’équité et à la bonté naturelles de leur caractère, je demanderai s’ils en donnèrent une preuve après l’exil de Tarquin. Ce roi, dont le fils avait violé Lucrèce, ayant été chassé de Rome avec ses enfants, le consul Junius Brutus força le mari de Lucrèce, Tarquin Collatin, qui était son collègue et l’homme le plus excellent et le plus innocent du monde, à se démettre de sa charge et même à quitter la ville, par cela seul qu’il était parent des Tarquins et en portait le nom. Et le peuple favorisa ou souffrit cette injustice, quoique ce fût lui qui eût fait Collatin consul aussi bien que Brutus1.  Je demanderai encore si les Romains montrèrent cette équité et cette bonté tant vantées dans leur conduite à l’égard de Camille.


Après avoir vaincu les Véïens, les plus redoutables ennemis de Rome, ce héros qui termina, après dix ans, par la prise de la capitale ennemie, une guerre sanglante où Rome avait été mise à deux doigts de sa perte, fut appelé en justice par la haine de ses envieux et par l’insolence des tribuns du peuple, et trouva tant d’ingratitude chez ses concitoyens qu’il s’en alla volontairement en exil, et fut même condamné en son absence à dix mille as d’amende, lui qui allait devenir bientôt pour la seconde fois, en chassant les Gaulois, le vengeur de son ingrate patrie2. Mais il serait trop long de rapporter ici toutes les injustices et toutes les bassesses dont Rome fut le théâtre, à cette époque de discorde, où les patriciens s’efforçant de dominer sur le peuple, et le peuple s’agitant pour secouer le joug, les chefs des deux partis étaient assurément beaucoup plus animés par le désir de vaincre que par l’amour du bien et de l’équité.





1. Saint Augustin fait peut-être allusion au beau passage de Plaute (Persa, act. w, se. 4, y. 11-14).
2. Salluste, Catilina, ch. 9.
3. Ces jeux annuels, consacrés à Neptune, s’appelaient Consualia, de Consus, nom de Neptune équestre.
   Voyez Tite-Live, lib. I, cap. 9, et Varron, De ling. lat., lib. VI, § 20.
1. Voyez Tite-Live, lib. I, cap. 6, et lib. II, cap. 2.  
2. Voyez Tite Live, lib V, cap 32 ; Valère Maxime, lib. V, cap 3 et Plutarque, Vie de Camille.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Mar 26 Mai 2015, 2:39 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XVIII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XVIII.

TÉMOIGNAGE DE SALLUSTE SUR LES MŒURS

DU PEUPLE ROMAIN, TOUR À TOUR CONTENUES

PAR LA CRAINTE ET RELÂCHÉES PAR LA SÉCURITÉ.




Au lieu donc de poursuivre, j’aime mieux rapporter le témoignage de ce même Salluste, qui m’a donné occasion d’aborder ce sujet en disant du peuple romain "que son caractère, autant que ses lois, le rendait bon et équitable". Salluste veut ici glorifier ce temps où Rome, après la chute des rois, prit en très peu d’années d’incroyables accroissements, et cependant il ne laisse pas d’avouer, dès le commencement du premier livre de son Histoire1, que dans ce même temps, quand l’autorité passa des rois aux consuls, les patriciens ne tardèrent pas à opprimer le peuple, ce qui occasionna la séparation du peuple et du sénat et une foule de dissensions civiles.


En effet, après avoir rappelé qu’entre la seconde et la troisième guerre punique, les bonnes mœurs et la concorde régnaient parmi le peuple romain, heureux état de choses qu’il attribue, non à l’amour de la justice, mais à cette crainte salutaire de l’ennemi que Scipion Nasica voulait entretenir en s’opposant à la ruine de Carthage, l’historien ajoute ces paroles: "Mais, Carthage prise, la discorde, la cupidité, l’ambition, et tous les vices qui naissent d’ordinaire de la prospérité se développèrent rapidement". D’où l’on doit conclure qu’auparavant ils avaient commencé de paraître et de grandir. Salluste ajoute, pour appuyer son sentiment: "Car les violences des citoyens puissants, qui amenèrent la séparation du peuple et du sénat, et une  foule de dissensions civiles, troublèrent Rome dès le principe, et l’on n’y vit fleurir la modération et l’équité qu’au temps où les rois furent expulsés, alors qu’on redoutait les Tarquins et la guerre avec l’Étrurie".


On voit ici Salluste chercher la cause de cette modération et de cette équité qui régnèrent à Rome pendant un court espace de temps après l’expulsion des Tarquins. Cette cause, à ses yeux, c’est la crainte; on redoutait, en effet, la guerre terrible que le roi Tarquin, appuyé sur ses alliés d’Étrurie, faisait au peuple qui l’avait chassé de son trône et de ses États. Mais ce qu’ajoute l’historien mérite une attention particulière:  "Après cette époque, dit-il, les patriciens traitèrent les gens du peuple en esclaves, condamnant celui-ci à mort et  celui-là aux verges, comme avaient fait les rois, chassant le petit propriétaire de son champ, et imposant à celui qui n’avait rien la plus dure tyrannie. Accablé de ces vexations, écrasé surtout par l’usure, le bas peuple, sur qui des guerres continuelles faisaient peser avec le service militaire les plus lourds impôts, prit les armes et se retira sur le mont Sacré et sur l’Aventin1; ce fut ainsi qu’il obtint ses tribuns et d’autres prérogatives. Mais la lutte elles dissensions ne furent entièrement éteintes qu’à la seconde guerre punique".


Voilà ce que devinrent, au bout de quelque temps, peu après l’expulsion des rois, ces Romains dont Salluste nous dit: "Que leur caractère, autant que leurs lois, les rendait justes et équitables". Or, si telle a été la république romaine aux jours de sa vertu et de sa beauté, que dirons-nous du temps qui a suivi, où, comme dit Salluste: "Changeant peu à peu,  de belle et vertueuse qu’elle était, elle devint laide et corrompue", et cela, comme il a soin de le remarquer, depuis la ruine de Carthage ? On peut voir, dans son Histoire, le tableau rapide qu’il trace de ces tristes temps, et par quels degrés la corruption, née des prospérités de Rome, aboutit enfin à la guerre civile: "Depuis cette époque, dit-il, les antiques mœurs, au lieu de s’altérer insensiblement, s’écoulèrent comme un torrent; car le luxe et la cupidité avaient tellement dépravé la jeunesse que nul ne pouvait plus conserver son propre patrimoine ni souffrir la conservation de celui d’autrui". Salluste parle ensuite avec quelque étendue des vices de Scylla et des autres hontes de la république, et tous les historiens sont ici d’accord avec lui, quoiqu’ils n’aient pas son éloquence.


Voilà, ce me semble, des témoignages suffisants pour faire voir à quiconque voudra y prendre garde dans quel abîme de corruption Rome était tombée avant l’avènement de Notre-Seigneur, car tous ces désordres avaient éclaté, non-seulement avant que Jésus-Christ revêtu d’un corps eût commencé à enseigner sa doctrine, mais avant qu’il fût né d’une vierge. Si donc les païens n’osent imputer à leurs dieux les maux de ces temps antérieurs, tolérables avant la ruine de Carthage, intolérables depuis, bien que leurs dieux seuls, dans leur méchanceté et leur astuce, en jetassent la semence dans l’esprit des hommes par les folles opinions qu’ils y répandaient, pourquoi imputent-ils les maux présents à Jésus-Christ, dont la doctrine salutaire défend d’adorer ces dieux faux et trompeurs, et qui, condamnant par une autorité divine ces dangereuses et criminelles convoitises du cœur humain, retire peu à peu sa famille d’un monde corrompu et qui tombe, pour établir, non sur les applaudissements de la vanité, mais sur le jugement de la vérité même, son éternelle et glorieuse cité !




1. Salluste avait écrit l’histoire de Rome pendant la période de quatorze ans environ comprise entre 78 avant J-C. et 65 après.
   Cet ouvrage est perdu; il n’en reste que des fragments.
1. Ce fut dix-sept ans après l’expulsion des Tarquins que le peuple se retira sur le mont Sacré.
   Voyez Tite-Live, lib. II, cap. 32, et lib. III, cap. 50.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Mar 26 Mai 2015, 2:46 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XIX a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XIX.

DE LA CORRUPTION OU ÉTAIT TOMBÉE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE

AVANT QUE LE CHRIST VÎNT ABOLIR LE CULTE DES DIEUX.



Voilà donc comment la république romaine, "changeant peu à peu, de belle et vertueuse qu’elle était, devint laide et corrompue". Et ce n’est pas moi qui le dis le premier; leurs auteurs, dont nous l’avons appris pour notre argent, l’ont dit longtemps avant l’avènement du Christ. Voilà comment depuis la ruine de Carthage,  "les antiques mœurs, au  lieu de s’altérer insensiblement, s’écoulèrent comme un torrent: tant le luxe et la cupidité avaient corrompu la jeunesse !"Où sont les préceptes donnés au peuple romain par ses dieux contre le luxe et la cupidité ? Et plût au ciel qu’ils se fussent contentés de se taire sur la chasteté et la modestie, au lieu d’exiger des pratiques indécentes et honteuses auxquelles ils donnaient une autorité pernicieuse par leur fausse divinité !


Qu’on lise nos Écritures, on y verra cette multitude de préceptes sublimes et divins contre l’avarice et l’impureté, partout répandus dans les Prophètes, dit le saint Évangile, dans les Actes et les Épîtres des Apôtres, et qui font éclater à l’oreille des peuples assemblés non pas le vain bruit des disputes philosophiques, mais le tonnerre des divins oracles roulant dans les nuées du ciel. Les païens n’ont garde d’imputer à leurs dieux le luxe, la cupidité, les mœurs cruelles et dissolues qui avaient si profondément corrompu la république avant la venue de Jésus-Christ; et ils osent reprocher à la religion chrétienne toutes les afflictions que leur orgueil et leurs débauches attirent aujourd’hui sur elle.


Et pourtant, si les rois et les peuples, si tous les princes et les juges de la terre, si les jeunes hommes et les jeunes filles, les vieillards et les enfants, tous les âges, tous les sexes, sans oublier ceux à qui s’adresse saint Jean-Baptiste1, publicains et soldats, avaient soin d’écouter et d’observer les préceptes de la vie chrétienne, la république serait ici-bas éclatante de prospérité et s’élèverait sans effort au comble de la félicité promise dans le royaume éternel; mais l’un écoute et l’autre méprise, et comme il s’en trouve plus qui préfèrent la douceur mortelle des vices à l’amertume salutaire des vertus1, il faut bien que les serviteurs de Jésus-Christ, quelle que soit leur condition, rois, princes, juges, soldats, provinciaux, riches et pauvres, libres ou esclaves de l’un ou de l’autre sexe, supportent cette république terrestre, fût-elle avilie, fût-elle au dernier degré de la corruption, pour mériter par leur patience un rang glorieux dans la sainte et auguste cour des anges, dans cette république céleste où la volonté de Dieu est l’unique loi.




1. Luc III, 12.
1. Saint Augustin parait ici faire allusion au passage célèbre d’Hésiode sur les deux voies contraires du vice et de la vertu.
    Voyez les Œuvres et les Jours, vers 285 et seq.
— Comp. Xénophon, dans les Mémorables, livre II, ch. 2, § 21, où se trouve la fable de Prodicus.




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Message  ROBERT. Mer 27 Mai 2015, 2:23 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XX a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XX

DE L’ESPÈCE DE FÉLICITÉ ET DU GENRE DE VIE QUI PLAIRAIENT

LE PLUS AUX ENNEMIS DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.




Mais qu’importe aux adorateurs de ces méprisables divinités, aux ardents imitateurs de leurs crimes et de leurs débauches, que la république soit vicieuse et corrompue ? Qu’elle demeure debout, disent-ils; que l’abondance y règne; qu’elle soit victorieuse, pleine de gloire, ou mieux encore, tranquille au sein de la paix; que nous fait tout le reste ? Ce qui nous importe, c’est que chacun accroisse tous les jours ses richesses pour suffire à ses profusions continuelles et s’assujettir les faibles. Que les pauvres fassent la cour aux riches pour avoir de quoi vivre, et pour jouir d’une oisiveté tranquille à l’ombre de leur protection; que les riches fassent des pauvres les instruments de leur vanité et de leur fastueux patronage.


Que les peuples saluent de leurs applaudissements, non les tuteurs de leurs intérêts, mais les pourvoyeurs de leurs plaisirs; que rien de pénible ne soit commandé, rien d’impur défendu; que les rois s’inquiètent de trouver dans leurs sujets, non la vertu, mais la docilité; que les sujets obéissent aux rois, non comme aux directeurs de leurs mœurs, mais comme aux arbitres de leur fortune et aux intendants de leurs voluptés, ressentant pour eux, à la place d’un respect sincère, une crainte servile; que les lois veillent plutôt à conserver à chacun sa vigne que son innocence; que l’on n’appelle en justice que ceux qui entreprennent sur le bien ou sur la vie d’autrui, et qu’au reste il soit permis de faire librement tout ce qu’on veut des siens ou avec les siens, ou avec tous ceux qui veulent y consentir; que les prostituées abondent dans les rues pour quiconque désire en jouir, surtout pour ceux qui n’ont pas le moyen d’entretenir une concubine; partout de vastes et magnifiques maisons, des festins somptueux, où chacun, pourvu qu’il le veuille ou qu’il le puisse, trouve jour et nuit le jeu, le vin, le vomitoire, la volupté; qu’on entende partout le bruit de la danse; que le théâtre frémisse des transports d’une joie dissolue et des émotions qu’excitent les plaisirs les plus honteux et les plus cruels.




Qu’il soit déclaré ennemi public celui qui osera blâmer ce genre de félicité; et si quelqu’un veut y mettre obstacle, qu’on ne l’écoute pas, que le peuple l’arrache de sa place et le supprime du nombre des vivants; ]que ceux-là seuls soient regardés comme de vrais dieux qui ont procuré au peuple ce bonheur et qui le conservent; qu’on les adore suivant leurs désirs; qu’ils exigent les jeux qui leur plaisent et les reçoivent de leurs adorateurs ou avec eux; qu’ils fassent seulement que ni la guerre, ni la peste, ni aucune autre calamité, ne troublent "un état si prospère"!


Est-ce là, je le demande à tout homme en possession de sa raison, est-ce là l’empire romain ? Ou plutôt, n’est-ce pas la maison de Sardanapale, de ce prince livré aux voluptés, qui fit écrire sur son tombeau qu’il ne lui restait plus après la mort que ce que les plaisirs avaient déjà consumé de lui pendant sa vie ? Si nos adversaires avaient un roi comme celui-là, complaisant pour toute débauche et désarmé contre tout excès, ils lui consacreraient, je n’en doute pas, et de plus grand cœur que les anciens Romains à Romulus, un temple et un flamme.




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Message  ROBERT. Mer 27 Mai 2015, 2:32 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXI a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXI.

SENTIMENT DE CICÉRON SUR LA RÉPUBLIQUE ROMAINE.  




Si nos adversaires récusent le témoignage de l’historien qui nous a dépeint la république romaine comme déchue de sa beauté et de sa vertu, s’ils s’inquiètent peu d’y voir abonder les crimes, les désordres et les souillures de toute espèce, pourvu qu’elle se maintienne et subsiste, qu’ils écoutent Cicéron, qui ne dit plus seulement, comme Salluste, que la république était déchue, mais qu’elle avait cessé d’être et qu’il n’en restait plus rien. Il introduit Scipion, le destructeur de Carthage, discourant sur la république en un temps où la corruption décrite par Salluste faisait pressentir sa ruine prochaine. C’est le moment1 qui suivit la mort de l’aîné des Gracques, le premier, au témoignage du même Salluste, qui ait excité de grandes séditions; et il est question de sa fin tragique, dans la suite du dialogue.


Or, sur la fin du second livre, Scipion s’exprime en ces termes2: "Si dans un concert il faut maintenir un certain accord entre les sons différents qui sortent de la flûte, de la lyre et des voix humaines, sous peine de blesser par la moindre discordance les oreilles exercées, si ce parfait accord ne peut s’obtenir qu’en soumettant les accents les plus divers à une même mesure, de même, dans l’État, un certain équilibre est nécessaire entre les diverses classes, hautes, basses et moyennes, et l’harmonie résulte ici, comme dans la musique, d’un accord entre des éléments très-divers; cette harmonie, dans l’État, c’est la concorde, le plus fort et le  meilleur gage du salut public, mais qui, sans la justice, ne peut exister3". Scipion développe quelque temps cette thèse, pour montrer combien la justice est avantageuse à un État, et combien tout est compromis quand elle disparaît.


Alors l’un des interlocuteurs, Philus4 prend la parole et demande que la question soit traitée plus à fond, et que par de nouvelles recherches sur la nature du juste, on fixe la valeur de cette maxime qui commençait alors à se répandre: qu’il est impossible de gouverner la république sans injustice. Scipion consent que l’on discute ce problème, et ajoute qu’à son avis tout ce qu’on a dit sur la république n’est rien et qu’il est impossible de passer outre, si on n’a pas établi, non seulement qu’il n’est pas impossible de gouverner sans injustice, mais qu’il est impossible de gouverner sans prendre la justice pour règle souveraine1.


Cette question, remise au lendemain, est agitée avec grande chaleur et fait le sujet du troisième livre. Philus prend le parti de ceux qui soutiennent qu’une république ne peut être gouvernée sans injustice, après avoir déclaré toutefois que ce sentiment n’est pas le sien. Il plaide de son mieux pour l’injustice contre la justice, tâchant de montrer par des raisons vraisemblables et par des exemples que la première est aussi avantageuse à la république que la seconde lui est inutile. Alors Lélius, sur la prière de tous, entreprend la défense de la justice et fait tous ses efforts pour démontrer qu’il n’y a rien de plus contraire à un État que l’injustice, et que sans une justice sévère il n’y a ni gouvernement, ni sécurité possibles.


Cette question paraissant suffisamment traitée, Scipion reprend son discours et recommande cette courte définition qu’il avait donnée La république, c’est la chose du peuple2.   Or, le peuple n’est point un pur assemblage d’individus, mais une société fondée sur des droits reconnus et sur la communauté des intérêts. Ensuite il fait voir combien une bonne définition est utile dans tout débat, et il conclut de la sienne que la république, la chose du peuple, n’existe effectivement que lorsqu’elle est administrée selon le bien et la justice, soit par un roi, soit par un petit nombre de grands, soit par le peuple entier. Mais quand un roi est injuste et devient un tyran, comme disent les Grecs, quand les grands sont injustes et deviennent une faction, ou enfin quand le peuple est injuste et devient, lui aussi, un tyran, car Scipion ne voit pas d’autre nom à lui donner, alors, non seulement la république est corrompue, comme on l’avait reconnu la veille, mais, aux termes de la définition établie, la république n’est plus, puisqu’elle a cessé d’être la chose du peuple pour devenir celle d’un tyran ou d’une faction, le peuple lui-même, du moment qu’il devient injuste, cessant d’être le peuple, c’est-à-dire une société fondée sur des droits reconnus el sur la communauté des intérêts.


Lors donc que la république romaine était telle que la décrit Salluste, elle n’était pas seulement déchue de sa beauté et de sa vertu, comme le dit l’historien, mais elle avait cessé d’être, suivant le raisonnement de ces grands hommes. C’est ce que Cicéron prouve au commencement du cinquième livre , où il ne parle plus au nom de Scipion, mais en son propre nom. Après avoir rappelé ce vers d’Ennius: Rome a pour seul appui ses mœurs et ses grands hommes,


"Ce vers," dit-il, par la vérité comme par la précision, me semble un oracle émané du sanctuaire. Ni les hommes, en effet, si l’État n’avait eu de telles mœurs, ni les mœurs publiques, s’il ne s’était montré de tels hommes, n’auraient pu fonder ou maintenir pendant si longtemps une si vaste domination. Aussi voyait-on, avant notre siècle, la force des mœurs héréditaires appeler naturellement les hommes supérieurs, et ces hommes éminents retenir les vieilles coutumes et les institutions des aïeux. Notre siècle, au contraire, recevant la république comme un chef-d’œuvre d’un autre âge, qui déjà commençait à vieillir et à s’effacer, non-seulement a négligé de renouveler les couleurs du tableau primitif, mais ne s’est pas même occupé d’en conserver au moins le dessin et comme les derniers contours ".


"Que reste-t-il, en effet, de ces mœurs antiques, sur lesquelles le poète appuyait la république romaine ? Elles sont tellement surannées et mises en oubli, que, loin de les pratiquer, on ne les connaît même plus. Parlerai-je des hommes ? Les mœurs elles-mêmes n’ont péri que par le manque de grands hommes; désastre qu’il ne suffit pas d’expliquer, et dont nous aurions besoin de nous faire absoudre, comme d’un crime capital; car c’est grâce à nos vices, et non par quelque coup du sort que, conservant encore la république de nom,nous en avons dès longtemps perdu la réalité1 ."


Voilà quels étaient les sentiments de Cicéron, longtemps, il est vrai, après la mort de Scipion l’Africain2, mais enfin avant l’avènement de  Jésus-Christ. Certes, si un pareil état de choses eût existé et eût été signalé depuis l’établissement de la religion du Christ, quel est celui de nos adversaires qui ne l’eût imputé à son influence ? Je demande donc pourquoi leurs dieux ne se sont pas mis en peine de prévenir cette ruine de la république romaine que Cicéron, bien longtemps avant l’incarnation de Jésus-Christ, déplore avec de si pathétiques accents ? Maintenant c’est aux admirateurs des antiques moeurs et de la vieille Rome d’examiner s’il est bien vrai que la justice régnât dans ce temps-là; peut-être, à la place d’une vivante réalité, n’y avait-il qu’une surface ornée de couleurs brillantes, suivant l’expression échappée à Cicéron. Mais nous discuterons ailleurs cette question, s’il plaît à Dieu1.


Car je m’efforcerai de prouver, en temps et lieu, que selon les définitions de la république et du peuple, données par Scipion avec l’assentiment de ses amis, jamais il n’y a eu à Rome de république, parce que jamais il n’y a eu de vraie justice. Si l’on veut se relâcher de cette sévérité et prendre des définitions plus généralement admises, je veux bien convenir que la république romaine a existé, surtout à mesure qu’on s’enfonce dans les temps primitifs; mais il n’en demeure pas moins établi que la véritable justice n’existe que dans cette république dont le Christ est le fondateur et le gouverneur. Je puis, en effet, lui donner le nom de république, puisqu’elle est incontestablement la chose du peuple; mais si ce mot, pris ailleurs dans un autre sens, s’écarte trop ici de notre langage accoutumé, il faut au moins reconnaître que le seul siège de la vraie justice, c’est cette cité dont il est dit dans l’Ecriture sainte: "On a publié  de toi des choses glorieuses, ô cité de Dieu2 !"




1. Le dialogue de Cicéron sur la République est censé avoir eu lien l’an de Rome 625, sous le consulat de Tuditanus et d’Aquillius.
2. Cette citation de la République de Cicéron est tirée du second livre qu’Angelo Maio a retrouvé presque tout entier. Voyez le chap. 42.
3. Montesquieu s’est servi de la même comparaison: "Ce que l’on appelle union, dans un corps politique, dit-il, est une chose fort équivoque. La vraie est une union d’harmonie qui fait que toutes les parties. quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général, comme des dissonances dans la musique, qui concourent à l’accord total[/i]". (Grandeur et décadence des Romains, ch. 10.)
4. Furius Philus, consul en 618. — Ce personnage est, avec Scipion et Lélius, un des principaux interlocuteurs du dialogue de Cicéron.
1. Cette démonstration formait le chap. 43 du livre II de la République.
2. Voyez De Republ., lib. I, cap. 25.
1. Cicéron, le  De la République, liv. V, trad. De M. Villemain.
2. Scipion l’Africain mourut l’an de Rome 624. C’est environ dix ans après que Cicéron écrivit le dialogue de la République, c’est-à-dire soixante ans avant Jésus-Christ.
1. Voyez plus bas le livre XIX, ch. 21 et 24.
2. Psaume LXXXVI, 3.




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Message  ROBERT. Mer 27 Mai 2015, 2:39 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXII.

LES DIEUX DES ROMAINS N’ONT JAMAIS PRIS SOIN D’EMPÊCHER

QUE LES MŒURS NE FISSENT PÉRIR LA RÉPUBLIQUE.




Mais, pour revenir à la question, qu’on célèbre tant qu’on voudra la république romaine, telle qu’elle a été ou telle qu’elle est, il est certain que, selon leurs plus savants écrivains, elle était déchue bien avant  l’avènement du Christ; que dis-je ? N’ayant plus de mœurs, elle n’était déjà plus. Pour l’empêcher de périr, qu’auraient dû faire les dieux protecteurs ? Lui donner les préceptes qui règlent la vie et forment les mœurs, en échange de tant de prêtres, de temples, de sacrifices, de cérémonies, de fêtes et de jeux solennels. Mais en tout cela les démons ne songeaient qu’à leur intérêt, se mettant fort peu en peine de la manière dont le peuple vivait, le portant au contraire à mal vivre, pourvu qu’asservi par la crainte il continuât de les honorer.


Si on répond qu’ils lui ont donné des préceptes, qu’on les cite, qu’on les montre; qu’on nous dise à quel commandement des dieux ont désobéi les Gracques en troublant l’État par leurs séditions; Marius, Cinna et Carbon, en allumant des guerres civiles injustes dans leurs commencements, cruelles dans leur progrès, sanglantes dans leur terme; Scylla enfin, dont on ne saurait lire la vie, les mœurs, les actions dans Salluste et dans les autres historiens, sans frémir d’horreur. Qui n’avouera qu’une telle république avait cessé d’exister ? Dira-t-on, pour la défense de ces dieux, qu’ils ont abandonné Rome à cause de cette corruption même, selon ces vers de Virgile1: "Les dieux protecteurs de cet empire ont tous abandonné leurs temples et leurs autels."


Mais d’abord, s’il en est ainsi, les païens n’ont pas le droit de se plaindre que la religion chrétienne leur ait fait perdre la protection de leurs dieux, puisque déjà les mœurs corrompues de leurs ancêtres avaient chassé des autels de Rome, comme des mouches, tout cet essaim de petites divinités. Où était d’ailleurs cette armée de dieux, lorsque Rome, longtemps avant la corruption des mœurs antiques, fut prise et brûlée par les Gaulois ? S’ils étaient là, ils dormaient sans doute; car de toute la ville tombée au pouvoir de l’ennemi, il ne restait aux Romains que le Capitole, qui aurait été pris comme tout le reste, si les oies n’eussent veillé pendant le sommeil des dieux2. Et de là, l’institution de la fête des oies, qui fit presque tomber Rome dans les superstitions des Égyptiens, adorateurs des bêtes et des oiseaux3.


Mais mon dessein n’est pas de parler présentement de ces maux extérieurs qui se rapportent au corps plutôt qu’à l’esprit et qui ont pour cause la guerre ou tout autre fléau; je ne parle que de la décadence des mœurs, d’abord insensiblement altérées, puis s’écoulant comme un torrent et entraînant si rapidement la république dans leur ruine qu’il n’en restait plus, au jugement de graves esprits, que les murailles et les maisons. Certes, les dieux auraient eu raison de se retirer d’elle pour la laisser périr, et, comme dit Virgile, d’abandonner leurs temples et leurs autels, si elle eût méprisé leurs préceptes de vertu et de justice; mais que dire de ces dieux, qui ne veulent plus vivre avec un peuple qui les adore, sous prétexte qu’il vit mal, quand ils ne lui ont pas appris à bien vivre ?




1. Énéide, liv. II, V. 351, 352.
2. Voyez Tite-Live, lib. V, cap. 38 et seq., et cap. 47-48.
3. Voyez Plutarque, De fort. Roman., § 12.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Jeu 28 Mai 2015, 12:19 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXIII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXIII.

LES VICISSITUDES DES CHOSES TEMPORELLES NE DÉPENDENT POINT DE LA

FAVEUR OU DE L’INIMITIÉ DES DÉMONS, MAIS DU CONSEIL DU VRAI DIEU.




J’irai plus loin; je dirai que les dieux ont paru aider leurs adorateurs à contenter leurs convoitises, et n’ont jamais rien fait pour les contenir. C’est en effet par leur assistance que Marius, homme nouveau et obscur, fauteur cruel de guerres civiles, fut porté sept fois au consulat et mourut, chargé d’années, échappant aux mains de Scylla vainqueur; pourquoi donc cette même assistance ne l’a-t-elle pas empêché d’accomplir tant de cruautés ? Si nos adversaires répondent que les dieux ne sont pour rien dans sa fortune, ils nous font une grande concession; car ils nous accordent qu’on peut se passer des dieux pour jouir de cette prospérité terrestre dont ils sont si épris, qu’on peut avoir force, richesses, honneurs, santé, grandeur, longue vie, comme Marins, tout en ayant les dieux contraires, et qu’on peut souffrir, comme Régulus, la captivité, l’esclavage, la misère, les veilles, les douleurs, les tortures et la mort enfin, tout en ayant les dieux propices.


Si on accorde cela, on avoue en somme que les dieux ne servent à rien et que c’est en vain qu’on les adore. Si les dieux, en effet, loin de former les hommes à ces vertus de l’âme et à cette vie honnête qui les autorise à espérer le bonheur après la mort, leur donnent des leçons toutes contraires, et si d’ailleurs, quand il s’agit des biens passagers et temporels, ils ne peuvent nuire à ceux qu’ils détestent, ni être utiles à ceux qu’ils aiment, pourquoi les adorer ? Pourquoi s’empresser autour de leurs autels ? Pourquoi, dans les mauvais jours, murmurer contre eux, comme s’ils avaient par colère retiré leur protection ? Et pourquoi en prendre occasion pour outrager et maudire la religion chrétienne ? Si, au contraire, dans l’ordre des choses temporelles, ils peuvent nuire ou servir, pourquoi ont-ils accordé au détestable Marius leur protection, et l’ont-ils refusée au vertueux Régulus ? Cela ne fait-il pas voir qu’ils sont eux-mêmes très-injustes et très-pervers ?


Que si, par cette raison même, on est porté à les craindre et à les adorer, on se trompe, puisque rien ne prouve que Régulus les ait moins adorés que Marius. Et qu’on ne s’imagine pas non plus qu’il faille mener une vie criminelle à cause que les dieux semblent avoir favorisé Marius plutôt que Régulus. Je rappellerais alors que Métellus1, un des plus excellents hommes parmi les Romains, qui eut cinq fils consulaires, fut un homme très heureux, au lieu que Catilina, vrai scélérat, périt misérablement dans la guerre criminelle qu’il avait excitée. Enfin, la véritable et certaine félicité n’appartient qu’aux gens de bien adorant le Dieu qui seul peut la donner.


Lors donc que cette république périssait par ses mauvaises mœurs, les dieux ne firent rien pour l’empêcher de périr, en accroissant ses mœurs ou en les corrigeant; au contraire, ils travaillaient à la faire périr en accroissant la décadence et la corruption des mœurs. Et qu’ils ne viennent pas se faire passer pour bons, sous prétexte qu’ils abandonnèrent Rome en punition de ses iniquités. Non, ils restèrent là; leur imposture est manifeste; ils n’ont pu ni aider les hommes par de bons conseils, ni se cacher par leur silence. Je ne rappellerai pas que les habitants de Minturnes, touchés de l’infortune de Marius, le recommandèrent à la déesse Marica2, et que cet homme cruel, sauvé contre toute espérance, rentra à Rome plus puissant que jamais à la tête d’hommes non moins cruels que lui et se montra, au témoignage des historiens, plus atroce et plus impitoyable que ne l’eût été le plus barbare ennemi.


Mais encore une fois, je laisse cela de côté, et je n’attribue point cette sanglante félicité de Marius à je ne sais quelle Marica, mais à une secrète providence de Dieu, qui a voulu par là fermer la bouche à nos ennemis et retirer de l’erreur ceux qui, au lieu d’agir par passion, réfléchissent sérieusement sur les faits. Car bien que les démons aient quelque puissance en ces sortes d’événements, ils n’en ont qu’à condition de la recevoir du Tout-Puissant, et cela pour plusieurs raisons: d’abord pour que nous n’estimions pas à un trop haut prix la félicité temporelle, puisqu’elle est souvent accordée aux méchants, témoin Marins; puis, pour que nous ne la considérions pas non plus comme un mal, puisque nous en voyons également jouir un grand nombre de bons et pieux serviteurs du seul et vrai Dieu, malgré les démons; enfin pour que nous ne soyons pas tentés de craindre ces esprits immondes ou de chercher à nous les rendre propices, comme arbitres souverains des biens et des maux temporels, puisqu’il en est des démons comme des méchants en ce monde, qui ne peuvent faire que ce qui leur est permis par celui dont les jugements sont aussi justes qu’incompréhensibles.




1. Il s’agit de Métellus le Numidique, petit-fils du pontife L. Métellus. Saint Augustin commet ici une légère
   inexactitude en donnant cinq enfants à Métellus, au lieu de quatre.
   Voyez Cicéron, De fin., lib. V, cap. 27 et 28; et Valère Maxime, lib. VII, cap. 1.
2. Marica est le nom d’uns déesse qu’on adorait à Minturnes, et qui n’était autre que Circé, au témoignage de Lactance,
   Instit., lib. I, cap. 21. Comp. Servius, ad. Aeneid., lib. VII, vers. 47, et lib. XII, vers. 164.  




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Jeu 28 Mai 2015, 12:22 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXIV a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXIV.

DES PROSCRIPTIONS DE SCYLLA AUXQUELLES LES

DÉMONS SE VANTENT D’AVOIR PRÊTÉ LEUR ASSISTANCE.  




Il est certain que lorsque Scylla, dont le gouvernement fut si atroce qu’en se portant le vengeur des cruautés de Marius il le fit regretter, se fût approché de Rome pour combattre son rival, les entrailles des victimes parurent si favorables, suivant le rapport de Tite-Live1, que l’aruspice Postumius, convaincu qu’avec l’aide des dieux Sylla ne pouvait manquer de réussir dans ses desseins, répondit du succès sur sa tête. Vous voyez bien que les dieux ne s’étaient point retirés de leurs temples et de leurs autels, puisqu’ils prédisaient l’avenir, sans se mettre en peine du reste de rendre Sylla meilleur. Ils avaient des présages pour lui promettre une grande félicité et n’avaient point de menaces pour réprimer son ambition coupable. Ce n’est pas tout: comme il faisait la guerre en Asie contre Mithridate, Jupiter lui fit dire par Lucius Titius qu’il serait vainqueur, ce qui arriva.


Plus tard, quand Scylla méditait de retourner à Rome pour venger par les armes ses injures et celle de ses amis, le même Jupiter lui fit dire par un soldat de la sixième légion que, lui ayant déjà présagé sa victoire contre Mithridate, il lui promettait encore de lui donner la puissance nécessaire pour s’emparer de la république, non toutefois sans répandre beaucoup de sang. Scylla voulut savoir du soldat sous quelle forme il avait vu Jupiter, et reconnut que c’était la même que le dieu avait déjà revêtue pour lui faire annoncer une première fois qu’il serait vainqueur. Comment justifier les dieux du soin qu’ils ont pris de prédire à Scylla le succès de ses entreprises, et de leur négligence à lui donner d’utiles avertissements pour détourner les maux qu’allait déchaîner sur Rome une guerre impie, honte et ruine de la république ?

Il faut conclure de là, comme je l’ai dit plusieurs fois et comme les saintes Écritures et l’expérience même nous le font assez connaître, que les démons n’ont d’autre but que de passer pour dieux, de se faire adorer comme tels, et de porter les hommes à leur offrir un culte qui les associe à leurs crimes, afin qu’étant unis avec eux dans une même cause, ils soient condamnés comme eux par un même jugement de Dieu.


Quelque temps après, Scylla vint à Tarente, et ayant sacrifié, il aperçut au haut du foie de la victime la forme d’une couronne d’or. Sur ce présage, l’aruspice Postumius lui promit une grande victoire et ordonna que Scylla seul mangeât de ce foie. Presque au même instant l’esclave d’un certain Lucius Pontius s’écria, d’un ton inspiré: Je suis le messager de Bellone, la victoire est à toi, Scylla ! Puis il ajouta que le Capitole serait brûlé. Là-dessus étant sorti du camp, il revint le lendemain encore plus ému, et s’écria: Le Capitole est brûlé ! et, en effet1, il l’était. On sait qu’il est facile à un démon de prévoir un tel événement et d’en apporter très promptement la nouvelle; mais considérez ici, ce qui importe fort à notre sujet, sous quels dieux veulent vivre ceux qui blasphèment le Sauveur venu pour les délivrer de la domination des démons. Cet homme s’écria, comme inspiré: La victoire est à toi, Scylla ! Et pour faire croire qu’il était animé de l’esprit divin, il annonça comme prochain un événement qui s’accomplit en effet, tout éloigné qu’il fût de celui qui le prédisait; mais il ne cria point: Scylla, garde-toi d’être cruel ! de manière à prévenir les horribles cruautés que commit à Rome cet illustre vainqueur à qui fut annoncé son triomphe par une couronne d’or empreinte sur le foie d’un veau !


Certes, si c’étaient des dieux justes et non des démons impies qui fissent paraître de tels présages, ils auraient bien plutôt révélé à Scylla, par l’inspection des entrailles, les maux que sa victoire devait causer à l’État et à lui-même. Car il est certain qu’elle ne fut pas si avantageuse à sa gloire que fatale à son ambition, puisque enivré par la prospérité, il lâcha la bride à ses passions et fit plus de mal à son âme en la perdant de mœurs qu’il n’en fit à ses ennemis en les tuant. Cependant ces malheurs si réels et si lamentables, les dieux ne les lui annoncèrent ni par les entrailles des victimes, ni par des augures, ni par quelque songe ou quelque prophétie. Ils n’appréhendaient pas qu’il fût vaincu, mais qu’il se vainquît lui-même; ou plutôt ils travaillaient à faire que ce vainqueur de ses concitoyens devînt esclave de ses vices et d’autant plus asservi, par là même, au joug des démons.




1. Le passage que désigne ici saint Augustin faisait probablement partie du livre LXXVIIe, un de ceux qui sont perdus.
1. Cet incendie eut lieu l’an de Rome 670, le 7 juillet. Les historiens l’attribuent à diverses causes, par exemple à la négligence d’un gardien.
  Voyez sur ces prédictions le De divinatione de Cicéron, qui avait sous les yeux les Commentaires de Scylla (lib. I, cap. 33).  




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Message  ROBERT. Jeu 28 Mai 2015, 12:26 pm

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXV a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXV.

LES DÉMONS ONT TOUJOURS EXCITÉ  LES HOMMES AU MAL

EN DONNANT AUX CRIMES L’AUTORITÉ DE LEUR EXEMPLE.  




Qui ne reconnaît donc par là, si ce n’est celui qui aime mieux imiter de tels dieux que d’être préservé de leur commerce par la grâce du vrai Dieu, qui ne sent et ne comprend que tout leur effort est de donner au crime par leur exemple une autorité divine ? On les a même vus se battre les uns contre les autres dans une grande plaine de la Campanie, où peu après se donna une bataille entre les deux partis qui divisaient la république. Un bruit formidable se fit d’abord entendre1, et plusieurs rapportèrent bientôt qu’ils avaient vu pendant quelques jours deux armées qui étaient aux prises. Le combat fini, on trouva  des espèces de vestiges d’hommes et de chevaux, autant qu’il pouvait en rester après une telle mêlée. Si donc les dieux se sont véritablement battus ensemble, il n’en faut pas davantage pour excuser les guerres civiles; et, dans cette hypothèse, je vous prie de considérer quelle est la méchanceté ou la misère de ces dieux; si, au contraire, ce combat n’était qu’une vaine apparence, quel autre dessein ont-ils pu avoir que de justifier les guerres civiles des Romains et de leur faire croire qu’elles étaient innocentes, puisque les dieux les autorisaient par leur exemple ?


Ces guerres, en effet, avaient déjà commencé, et déjà elles étaient signalées par des événements tragiques; on se racontait avec émotion l’histoire de ce soldat qui, voulant dépouiller un mort, après la bataille, reconnut son frère et se rua sur son cadavre, en maudissant les discordes civiles. De peur donc qu’on ne fût trop affligé de ces malheurs, et afin que l’ardeur criminelle des partis allât toujours croissant, ces démons, qui se faisaient passer pour des dieux et adorer comme tels, eurent l’idée de se montrer aux hommes en état de guerre les uns contre les autres, afin que l’autorité d’un exemple divin étouffât dans les âmes les restes de l’affection patriotique. C’est par une ruse pareille qu’ils ont fait instituer ces jeux scéniques dont j’ai déjà beaucoup parlé, et où le drame et le chant attribuent aux dieux de telles infamies, qu’il suffit de les en croire capables ou de penser qu’ils les voient représenter avec plaisir pour les imiter en toute sécurité. Or, de crainte qu’on ne vînt à révoquer en doute ces combats entre les dieux, que nous lisons dans les poètes, et à les regarder comme d’injurieuses fictions, les dieux ne se sont pas bornés à les faire représenter sur le théâtre, ils ont voulu se donner eux-mêmes en représentation sur un champ de bataille.


J’ai dû insister sur ce point, parce que les auteurs païens n’ont pas fait difficulté de déclarer que la république romaine était morte de corruption, et qu’il n’en restait déjà plus rien avant l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or, cette corruption, nos adversaires ne l’imputent point à leurs dieux, et cependant ils prétendent imputer à notre Sauveur ces maux passagers qui ne sauraient perdre les bons, ni dans cette vie, ni dans l’autre. Chose étrange ! Ils accusent le Christ, qui a donné tant de préceptes pour la purification des mœurs et contre la corruption des vices, et ils n’accusent point leurs dieux, qui, loin de préserver par de semblables préceptes le peuple qui les servait, ont fait tous leurs efforts pour le précipiter plus avant dans le mal par leur exemple et leur autorité. J’espère donc qu’il ne se rencontrera plus personne qui ose expliquer la chute de l’empire romain en disant avec Virgile: "Tous les dieux se sont retirés de leurs temples et ont abandonné leurs autels".


Comme si ces dieux étaient des amis de la vertu, irrités contre les vices des hommes ! Non; car ces présages tirés des entrailles des victimes, ces augures, ces prédictions, par lesquelles les dieux païens se complaisaient à faire croire qu’ils connaissaient l’avenir et influaient sur le destin des combats, tout cela témoigne qu’ils n’avaient pas cessé d’être présents. Et plût à Dieu qu’ils se fussent retirés ! la fureur des guerres civiles eût été moins excitée par les passions romaines qu’elle ne le fut par leurs instigations détestables.




1. Voyez Tite-Live, lib. LXXIX ; Valère Maxime, lib. V, cap. 5, § 4, et Orose, Hist., lib. V, cap. 19.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
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Dernière édition par ROBERT. le Jeu 28 Mai 2015, 3:58 pm, édité 1 fois (Raison : mise en forme)
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Message  ROBERT. Ven 29 Mai 2015, 10:25 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXVI a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXVI.

LES FAUX DIEUX DONNAIENT EN SECRET DES

PRÉCEPTES POUR LES BONNES MŒURS,

ET EN PUBLIC DES EXEMPLES D’IMPUDICITÉ.




Après avoir mis au grand jour les cruautés et les turpitudes des dieux, lesquelles, feintes ou véritables, sont proposées en exemple au public, et consacrées dans des fêtes solennelles qu’on a établies sur leur demande et par crainte d’encourir leur vengeance en cas de refus, la question est de savoir comment il se fait que ces mêmes démons, qui confessent assez par là leur caractère d’esprits immondes, partisans de tous ces crimes dont ils demandent la représentation à l’impudicité des uns et à la faiblesse des autres, comment, dis-je, ces amis d’une vie criminelle et souillée passent pour donner dans le secret de leurs sanctuaires quelques préceptes de vertu à un certain nombre d’initiés. Si le fait est vrai, je n’y vois qu’une preuve de plus de l’excès de leur malice. Car tel est l’ascendant de la droiture et de la chasteté, qu’il n’est presque personne qui ne soit bien aise d’être loué pour ces vertus, dont le sentiment ne se perd jamais dans les natures les plus corrompues.


Si donc les démons ne se transformaient pas  quelquefois, comme dit l’Ecriture, en anges de lumière1, ils ne pourraient pas séduire les hommes. Ainsi l’impudicité s’étale à grand bruit devant la foule, et la chasteté murmure à peine quelques paroles hypocrites à l’oreille d’un petit nombre d’initiés. On expose en public ce qui est honteux, et on tient secret ce qui est honnête; la vertu se cache et le vice s’affiche; le mal a des spectateurs par milliers, et le bien trouve à peine quelques disciples, comme si l’on devait rougir de ce qui est honnête et faire gloire de ce qui ne l’est pas. Mais où enseigne-t-on ces beaux préceptes ?  Où donc, sinon dans les temples des démons, dans les retraites de l’imposture ? C’est que les préceptes secrets sont pour surprendre la bonne foi des honnêtes gens, qui sont toujours en petit nombre, et les spectacles publics pour empêcher les méchants, qui sont toujours en grand nombre, de se corriger.


Quant à nous, si on nous demandait où et quand les initiés de la déesse Célestis2 entendaient des préceptes de chasteté, nous ne pourrions le dire; mais ce que nous savons, c’est que, lorsque nous étions devant son temple, en présence de sa statue, au milieu d’une foule de spectateurs qui ne savaient où trouver place, nous regardions les jeux avec une attention extrême, considérant tour à tour, d’un côté, le cortège des courtisanes, de l’autre, la déesse vierge, devant laquelle on jouait des scènes infâmes en manière d’adoration. Pas un mime qui ne fût obscène, pas une comédienne qui ne fût impudique; chacun remplissait de son mieux son office d’impureté. On savait très bien ce qui était fait pour plaire à cette divinité virginale, et la matrone qui assistait à ces exhibitions retournait du temple à sa demeure plus savante qu’elle n’était venue. Les plus sages détournaient la vue des postures lascives des comédiens, mais un furtif regard leur apprenait l’art de faire le mal. Elles n’osaient pas, devant des hommes, regarder d’un œil libre des gestes impudiques, mais elles osaient moins encore condamner d’un cœur chaste un spectacle réputé divin.


Et pourtant, ce qui s’enseignait ainsi publiquement dans le temple, on n’osait le faire qu’en secret dans la maison, comme si un reste de pudeur eût empêché les hommes de se livrer en toute liberté à des actions enseignées par la religion, et dont la représentation était même prescrite, sous peine d’irriter les dieux. Et maintenant, quel est cet esprit qui agit sur le cœur des méchants par des impressions secrètes, qui les pousse à commettre des adultères, et y trouve, pendant qu’on les commet, un spectacle agréable, sinon le même qui se complaît à ces représentations impures, qui consacre dans les temples les images des démons, et sourit dans les jeux aux images des vices, qui murmure en secret quelques paroles de justice pour surprendre le petit nombre des bons, et étale en public les appâts du vice pour attirer sous son joug le nombre infini des méchants ?




1. II Corinthiens XI, 14.
2. Sur la déesse Célestis, voyez plus haut, liv. II, ch. 4.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
italiques et
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Message  ROBERT. Ven 29 Mai 2015, 10:29 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXVII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXVII.


QUELLE FUNESTE INFLUENCE ONT EXERCÉE SUR LES MŒURS

PUBLIQUES LES JEUX OBSCÈNES QUE LES ROMAINS

CONSACRAIENT A LEURS DIEUX POUR LES APAISER.    




Un grave personnage, et qui se piquait de philosophie, Cicéron, sur le point d’être édile, criait à qui voulait l’entendre1, qu’entre autres devoirs de sa magistrature, il avait à apaiser la déesse Flore par des jeux solennels. Or, ces jeux marquaient d’autant plus de dévotion qu’ils étaient plus obscènes. Il dit ailleurs (et alors il était consul, et la république courait le plus grand danger) que l’on avait célébré des jeux pendant dix jours et que rien n’avait été négligé pour apaiser les dieux2; comme s’il n’eût pas mieux valu irriter de tels dieux par la tempérance, que les apaiser par la luxure, et provoquer même leur inimitié par la pudeur que leur agréer. En effet, les partisans de Catilina ne pouvaient, si cruels qu’ils fussent, causer autant de mal aux Romains que leur en faisaient les dieux en leur imposant ces jeux sacrilèges. Pour détourner le dommage dont l’ennemi menaçait les corps, on recourait à des moyens mortellement pernicieux pour les âmes, et les dieux ne consentaient à se porter au secours des murailles de Rome qu’après avoir travaillé à la ruine de ses mœurs.


Cependant, ces cérémonies si effrontées et si impures, si impudentes et si criminelles, ces scènes tellement immondes que l’instinctive honnêteté des Romains les porta à en mépriser les acteurs, à les exclure de toute dignité, à les chasser de la tribu, à les déclarer infâmes, ces fables scandaleuses et impies qui flattaient les dieux en les déshonorant, ces actions honteuses, si elles étaient réelles, et non moins honteuses, si elles étaient imaginaires, tout cela composait l’enseignement public de la cité. Le peuple voyait les dieux se complaire à ces turpitudes, et il en concluait qu’il était bon, non-seulement de les représenter, mais aussi de les imiter, de préférence à ces prétendus préceptes de vertu qui enseignaient à si peu d’élus (supposé qu’on les enseignât) et avec tant de mystère, comme si on eût craint beaucoup plus de les voir divulgués que mal pratiqués.




1. Allusion à un passage du 6e discours contre Verrès (cap. 8).
2. Allusion à un passage du 3e discours contre Catilina (cap. 8).




Traduction par M. SAISSET, 1869.
à suivre…

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Message  ROBERT. Ven 29 Mai 2015, 11:15 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXVIII a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXVIII.

DE LA SAINTETÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE.    



Il n’y a donc que des méchants, des ingrats et des esprits obsédés et tyrannisés par le démon, qui murmurent de ce que les hommes ont été délivrés par le nom de Jésus-Christ du joug infernal de ces puissances impures et de la solidarité de leur châtiment; eux seuls peuvent se plaindre de voir succéder aux ténèbres de l’erreur l’éclatante lumière de la vérité; eux seuls ne sauraient souffrir que les peuples courent avec le zèle le plus pur vers des églises où de chastes barrières séparent les deux sexes, où l’on apprend ce qu’il faut faire pour bien vivre dans ce monde, afin d’être éternellement heureux dans l’autre, et où l’Ecriture sainte, cette doctrine de justice, est annoncée d’un lieu éminent en présence de tout le monde, afin que ceux qui observent ses enseignements l’entendent pour leur salut, et ceux qui les violent, pour leur condamnation.


Que si quelques moqueurs viennent se mêler aux fidèles, ou bien leur légèreté impie tombe par un changement soudain, ou bien elle est tenue en respect par la crainte et par la honte. Là, en effet, rien d’impur ne s’offre au regard, rien de déshonnête n’est proposé en exemple; on enseigne les préceptes du vrai Dieu, on raconte ses miracles, on le loue de ses dons, on lui demande ses grâces.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
gras ajoutés.
à suivre…

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La Cité de Dieu  (SAINT AUGUSTIN)  Livre I :Les Goths à Rome. Livre II: Rome et les faux dieux. (complet) - Page 3 Empty Re: La Cité de Dieu (SAINT AUGUSTIN) Livre I :Les Goths à Rome. Livre II: Rome et les faux dieux. (complet)

Message  ROBERT. Ven 29 Mai 2015, 11:19 am

Saint Augustin, in La Cité de Dieu, Livre II, cap. XXIX a écrit:

LIVRE II: ROME ET LES FAUX DIEUX.



CHAPITRE XXIX.

EXHORTATION AUX ROMAINS POUR

QU’ILS REJETTENT LE CULTE DES DIEUX.




Voilà la religion digne de tes désirs, race glorieuse des Romains, race des Régulus, des Scévola, des Scipions, des Fabricius ! Voilà le culte digne de toi et que tu ne peux mettre en balance avec les vanités impures et les pernicieux mensonges des démons ! S’il est en ton âme un principe naturel de vertu, songe que la véritable piété peut seule le maintenir dans sa pureté et le porter à sa perfection, tandis que l’impiété le corrompt et en fait une nouvelle cause des châtiments. Choisis donc la route que tu veux suivre; afin de conquérir une gloire sans illusion et des éloges qui ne s’arrêtent pas à toi, mais qui remontent jusqu’à Dieu. Tu étais jadis en possession de la gloire humaine, mais par un secret conseil de la Providence, tu n’avais pas su choisir la véritable religion. Réveille-toi, il est grand jour; fais comme quelques-uns de tes enfants dont les souffrances pour la vraie foi sont l’honneur de l’Eglise, combattants intrépides qui, en triomphant au prix de leur vie des puissances infernales, nous ont enfanté par leur sang une nouvelle patrie. C’est à cette patrie que nous te convions; viens grossir le nombre de ses citoyens, viens-y chercher l’asile où les fautes sont véritablement effacées1.


N’écoute point ceux des tiens qui, dégénérés de la vertu de leurs pères, calomnient le Christ et les chrétiens, et leur imputent toutes les agitations de notre temps; ce qu’il leur faut à eux, ce n’est pas le repos d’une vie douce, c’est la sécurité d’une vie mauvaise. Mais Rome n’a jamais convoité un pareil loisir, même en vue du seul bonheur de la vie présente. Or maintenant, c’est vers la vie future qu’il faut marcher; la conquête en sera plus aisée et la victoire y sera sans illusion et sans terme. Tu n’y honoreras ni le feu de Vesta, ni la pierre du Capitole2, mais le Dieu unique et véritable, "Qui ne te mesurant ni l’espace ni la durée, te donnera un empire sans fin.3".


Ne cours plus après des dieux faux et trompeurs; mais plutôt rejette-les, méprise-les, et prends ton essor vers la liberté véritable. Ces dieux ne sont pas des dieux, mais des esprits malfaisants dont ton bonheur éternel sera le supplice. Junon n’a jamais tant envié aux Troyens, dont tu es la fille selon la chair, la gloire de la cité romaine, que ces démons, que tu prends encore pour des dieux, n’envient à tous les hommes la gloire de l’éternelle cité. Toi-même, tu as jugé selon leur mérite les objets de ton culte, lorsqu’en leur conservant des jeux de théâtre pour les rendre propices, tu as condamné les acteurs  à l’infamie. Souffre qu’on t’affranchisse de la domination de ces esprits impurs qui t’ont imposé comme un joug la consécration de leur propre ignominie. Tu as éloigné de tes honneurs ceux qui représentaient les crimes des dieux; prie le vrai Dieu d’éloigner de toi ces dieux qui se complaisent dans le spectacle de leurs crimes, spectacle honteux, si ces crimes sont réels, spectacle perfide, si ces crimes sont imaginaires. Tu as exclu spontanément de la cité les comédiens et les histrions, c’est bien, mais achève d’ouvrir les yeux, et songe que la majesté divine ne saurait être honorée par tes fêtes, quand la dignité humaine en est avilie.


Comment peux-tu croire que des dieux qui prennent plaisir à un culte et à des jeux obscènes soient au nombre des puissances du ciel, du moment que tu refuses de mettre les acteurs de ces jeux au nombre des derniers membres de la cité ?  N’y a-t-il pas une cité incomparablement supérieure à toutes les autres, celle qui donne pour victoire la vérité, pour honneurs la sainteté, pour paix la félicité, pour vie l’éternité ? Elle ne peut compter de tels dieux parmi ses enfants, puisque tu as refusé de compter parmi les tiens de tels hommes. Si donc tu veux parvenir à cette cité bienheureuse, évite la société des démons. Ils ne peuvent être servis par d’honnêtes  gens, ceux qui se laissent apaiser par des infâmes. Que la sainteté du christianisme retranche à ces dieux tes hommages, comme la sévérité du censeur retranchait à ces hommes tes dignités.


Quant aux biens et aux maux de l’ordre charnel, c’est-à-dire aux seuls biens dont les méchants désirent jouir et aux seuls maux qu’ils ne veuillent pas supporter, nous montrerons dans le livre suivant que les démons n’en disposent pas aussi souverainement qu’on se l’imagine; et quand il serait vrai qu’ils distribuent à leur gré les vains avantages de la terre, ce ne serait pas une raison de les adorer et de perdre en les adorant les biens réels que leur malice nous envie.



1. Allusion à l’origine de Rome, qui fut d’abord un asile ouvert à tous les vagabonds.
  Voyez plus bas à la fin du chap. 17 du livre V.
2. Saint Augustin veut parler de la fameuse statue de pierre élevée à Jupiter, au Capitole.
   Voyez Aulu-Gelle, lib. I, cap. 21.
3. Virgile, Énéide, livre I.




Traduction par M. SAISSET, 1869.
italiques et
gras ajoutés.
à suivre…


FIN DU LIVRE II


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