CHEZ UN PEINTRE - Mr Charles Huot -- LE PÈRE HENRI BEAUDET DES FR. PRÊCHEURS -- 1900
CHEZ UN PEINTRE - Mr Charles Huot -- LE PÈRE HENRI BEAUDET DES FR. PRÊCHEURS -- 1900
CHEZ UN PEINTRE
Mr Charles Huot
Réaliser l'idéal et idéaliser le réel,
- telle est la fonction de l'art.
Hello.... Il vit uniquement pour son art.
Dès l'aube, il est à l'atelier ; il y reste tout le jour, attendant l'inspiration, tâchant de fixer les formes intérieures qui le séduisent, de reproduire, en les idéalisant, les visions réelles que son regard a perçues. Le soir, quand le soleil s'est couché, là-bas, derrière les Laurentides, il continue, à la lueur d'une veilleuse, ses esquisses ou ses tableaux.
Il n'a rien du simple amateur. Son beau talent, fortifié par un consciencieux travail, a pu produire ces œuvres que tout Québec admire aujourd'hui.
L'atelier, c'est son domaine, le pays de ses rêves. Là, du moins, il peut s'abstraire de tout, oublier, pendant des heures trop vite écoulées, les soucis matériels de la vie quotidienne, donner libre essor à son imagination. Là, il contemple des figures charmantes, il revoit des spectacles pittoresques qu'il trouve du bonheur à exprimer par son crayon ou son pinceau.
Hélas ! non plus qu'à tant d'autres artistes, la fortune ne lui a pas encore souri. Il lui faut quitter les régions sereines de la pensée et du rêve pour s'occuper de choses pratiques.
Mais, pourquoi l'en plaindre ?
La vie commode et bourgeoise favorise-t-elle les aspirations supérieures ?
Non, le don idéal que Dieu a fait aux hommes d'art ne saurait se développer à l'aise, librement s'épanouir dans l'atmosphère amollissante que crée la richesse. C'est leur grandeur de travailler avec désintéressement, de renoncer, pour leur art divin, à une profession plus lucrative, de dédaigner les succès faciles. . . .
Il n'a donc pas la fortune, mais il a conscience d'avoir été fidèle à sa vocation, à travers toutes les vicissitudes et malgré tous les obstacles, d'avoir compris et cultivé le don divin, — et cela suffit à son noble cœur, épris d'idéal.
D'ailleurs, ne goûte-t-il pas, dans l'exercice de son art, lorsqu'il sent que l'inspiration dirige sa main, lorsqu'il voit son œuvre éclore sous ses doigts, des joies qu'aucune richesse ne peut égaler ? Le pur rayon de gloire qui est venu le visiter, à son obscur labeur de l'atelier, ne lui fait-il pas oublier les jours sombres des débuts, les acheminements pénibles des premières années ? La certitude d'imprimer à ses compatriotes un élan vers l'idéal, de leur inspirer un amour plus vif du Beau, n'est-elle pas sa meilleure récompense ?
. . . .C'est un peintre classique. Cela se voit à la facture irréprochable de ses tableaux.
Il travaille d'après des règles sévères, des principes inflexibles et sûrs, qui n'emprisonnent pas son imagination, mais l'empêchent de se dépenser en d'inutiles écarts, qui ne gênent pas sa pensée, mais la guident, la dirigent, concentrent ses forces natives.
Les fortes études qu'il a faites, à Paris et en Allemagne,les saines traditions d'art dans lesquelles il a été; nourri, sans rien ôter à son talent de sa fraîcheur et de 5on originalité, l'ont orienté dans le sens du beau classique, où se trouve la perfection, l'ont éloigné à tout jamais de cette école impressionniste, dont l'unique règle est la fantaisie, et dont les œuvres incomplètes ne peuvent susciter que des admirations d'un jour.
Lui, ses œuvres sont de celles qui demeurent, car elles sont achevées, parfaites.
Il exécute à la façon des maîtres, polissant, repolissant, touchant et retouchant. Rien n'est mis au hasard du caprice. Tout est voulu, calculé en vue d'un effet principal. Chaque tableau a sa note, que tout concourt à mettre en relief. Chacune de ses toiles, chacun de ses dessins révèle une entente parfaite de la composition.
Finesse d'observation, exactitude, précision, sobriété de détails, harmonie des lignes, richesse de coloris, jeu exquis des clairs et des sombres, voilà les qualités qu'on y relève encore.
J'ai parlé de fini, de perfection.
Mais qui donc a dit : Tout chef-d'œuvre est une ébauche. L'inachevé est la marque du génie ?
Sans doute, quand le peintre compare ses travaux aux modèles intérieurs qu'il entrevoit toujours, il doit lui venir des lassitudes, des découragements. Là où nous admirons, peut-être, lui, sourit-il de pitié. Car, L'idéal de l'artiste est la beauté absolue, et sa main est impuissante, hélas ! à réaliser les formes de rêve qui bercent et enchantent son imagination.
Mais il en fut ainsi toujours, même et surtout pour les plus grands.
Et n'est-ce pas beaucoup de pouvoir approcher, ne serait-ce que de loin, l'idéal ? de le reproduire, en partie du moins, de s'arrêter seulement au seuil de l'inaccessible ? N'est-il pas un grand peintre, celui qui peut nous faire deviner, par l'œuvre extérieure, combien son rêve était beau ?
... .Sa galerie de tableaux comprend d'abord des portraits à l'huile. L'on s'attend à voir des portraits, mais ce sont les personnages mêmes qui nous apparaissent. Les figures se meuvent sur la toile, sortent de la toile. Quel naturel ! quelle aisance ! L'artiste a su si bien saisir la physionomie de chacun de ses modèles et la fixer ! Les personnages ne posent pas ; ils sont vivants ; ils vont nous parler.
Il y a, dans toute figure humaine, quelque chose qui demeure, que l'on retrouve, à travers les mobilités accidentelles et successives, les fuyantes impressions. Or, cela, — le caractère propre, l'essence de chaque physionomie, — l'artiste a su le découvrir et l'exprimer merveilleusement. Et c'est pourquoi ses portraits sont supérieurs à tant d'autres que j'ai vus. Il sait donner à ses figures leur véritable et naturelle expression.
Il a aussi reproduit quelques chefs-d'œuvre de peinture religieuse.
N'ayant pas les modèles sous les yeux, il m'est assez difficile de comparer. Toutefois, en recueillant un peu mes souvenirs, je puis juger que ces copies sont fidèles, proches de l'original, tant au point de vue du dessin que du coloris.
Où il excelle, où son libre génie se déploie à l'aise, où ses rares qualités de compositeur, de dessinateur, de coloriste, brillent dans tout leur éclat, où se révèlent son merveilleux sens de la perspective, sa parfaite compréhension de tous les procédés de l'art, où nous pouvons admirer davantage toute la fécondité, toute l'originalité de son imagination, son esprit inventif, où il se montre vraiment poète, poète lyrique, poète de la nature, chantre des blés, des aurores, des chauds midis, des mélancoliques crépuscules, c'est dans ses tableaux de genre et dans ses paysages.
Là, il est créateur.
Comment parler de ces délicieux poèmes à la louange de la terre, de la terre canadienne, où la fraîcheur d'inspiration s'allie à une irréprochable perfection de forme ? Comment dire les impressions que j'ai éprouvées devant ces toiles où l'artiste a si bien rendu nos types de paysans ?
On peut lui appliquer ce joli mot : " Il sent ce qu'il peint, il peint ce qu'il a vu."
Labours d'automne. Le Père Godbout. La mère Chatigny. A l'abreuvoir. Coucher de soleil au bout de l'île. La petite fermière. Effet de lune sur le St-Laurent. Enfants Jouant sur la grève. Crépuscule à Lorette, etc. — toutes ces ravissantes compositions nous bercent comme une musique champêtre. Elles donnent la sensation des choses qu'elles représentent.
Devant " labours d'automne," par exemple, on est peu à peu envahi par la mélancolie épandue partout, sur les champs, sur les bois, sur le fleuve voisin. Plus de feuilles aux arbres. Du ciel gris tombe une lumière froide. Au loin, la brume enveloppe plaines et monts. Tout annonce le repos, la mort de l'hiver.
Vêtu de chaude étoffe, un habitant est là, sur sa terre en pente, avec sa charrue et ses bœufs, — profitant des derniers beaux jours pour labourer. La tristesse des choses ne l'impressionne pas, lui. Ne s'est-il pas habitué aux révolutions des saisons ? Il ne connaît pas les raffinements de notre sensibilité, nos maladifs états d'âme. Il sait seulement que tout reverdira, reprendra vie, il songe aux semailles du printemps, et ses travaux présents sont le signe de sa ferme et sereine espérance en le retour de la belle nature. Pendant l'hiver qui approche, il pourra se reposer des fatigues de la dernière récolte. . . . Cette pensée éclaire, égaie sa rude mais bonne physionomie de campagnard. . . .
Quel merveilleux tableau ! Que d'autres encore nous pourrions décrire et analyser !
Ah ! chères petites toiles, si pures, si sereines, si lumineuses ! II nous semble, en vous regardant, entendre chanter les moissons. Le soleil qui vous baigne nous verse une douce chaleur. Cette vie des champs que vous nous racontez, sous quelle couleur charmante elle nous apparaît maintenant !
Oui, ce peintre, il a une âme de poète, il est en harmonie avec tout ce qui vit et respire, il comprend le langage de la nature et le traduit avec un art infini.
Ces tableaux de genre, ces paysages, tout cela c'est du réel, c'est du vu, c'est du vécu. On reconnaît le pays, les horizons, les couleurs de notre ciel, nos types canadiens, la richesse de notre végétation. Et pourtant, — ô magie du pinceau ! — tout cela est idéalisé, autour de toutes ces choses flotte cette vague poésie, que seuls voient les vrais artistes et que seuls ils peuvent exprimer. . .
. . .Les nombreuses esquisses et aquarelles nous initient au difficile travail de composition, qui précède et prépare l'œuvre dernière.
N'allons pas croire que le tableau naît tout d'un coup sous les doigts de l'artiste. Non. L'éclosion en est lente. L'idée germe peu à peu, se développe, la pensée se dégage, les formes apparaissent plus précises.
Ces esquisses offrent un charme à part, et, en nous révélant mieux encore la finesse d'observation de l'artiste, son intelligence pittoresque, son habileté à saisir tout ce qui, dans la nature ou dans les mœurs, offre un caractère tant soit peu original, — nous permettent aussi de suivre l'évolution progressive de sa pensée dans l'exécution de tel ou tel tableau.
Il en est de la peinture comme du travail littéraire.
La réflexion fournit les idées, qu'il faut ensuite agencer, grouper, coordonner, revêtir de la splendeur de la forme.
Les critiques d'art littéraire aiment à fouiller les manuscrits des grands auteurs, et à étudier, dans ses dévelopements successifs, jusqu'à son parfait achèvement, telle œuvre célèbre.
Ces esquisses, ces aquarelles, me donnent un plaisir égal. Je trouve ici l'idée première, les ébauches des tableaux que j'admirais tantôt. Tous ces délicats et merveilleux petits dessins, couchés là, sur des cartons, aux heures d'inspiration, disent à quel point le peintre a le souci et l'amour de son art et sait féconder son talent par un travail opiniâtre.
Et je songe que l'artiste, aussi bien que l'écrivain doit s'armer de patience et de courage pour arriver à réaliser dans la mesure du possible, l'idéal entrevu.
. . .Me permettra-t-il de lui faire une suggestion ?
Je la lui présente timidement.
Pourquoi ne mettrait-il pas plus souvent la note religieuse, dans ses tableaux de genre ? Pourquoi ne se livrerait-il pas à des compositions inspirées par le même sentiment qui lui a dicté : le Sanctus à la maison ?
C'est une de ses toiles les plus ravissantes que celle-ci. Nous savons qu'elle a conquis tous les suffrages.
II est donc admirablement apte à sentir la beauté simple des choses religieuses, à voir tout ce qu'il y a, dans certaines scènes chrétiennes, de vraie et de supérieure poésie. — Nous en avons là la preuve éclatante. — Et il appliquerait ses rares dons de dessinateur et de coloriste à l'exprimer ; — ses types si bien réussis de paysans ou d'hahitantes il les illuminerait d'un rayon d'en haut ;— il projetterait sur ses paysages ensoleillés l'ombre gracieuse des campaniles ; — il nous ferait davantage sentir la présence divine dans la nature, — qu'il créerait des œuvres d'un mérite artistique encore supérieur, parce qu'elles se rapprocheraient davantage de Dieu, principe de toute perfection, source de toute beauté, exemplaire des arts.
...Hello disait : L'artiste, l'artiste digne de ce nom, donne de l'air à l'âme humaine.
Durant les heures, trop rapides, que j'ai passées avec mon ami dans sa galerie de peintures, j'ai respiré en effet l'air pur des hauteurs. Je le remercie de m'avoir procuré cette idéale jouissance d'art.
Qu'il veuille bien accepter ici le témoignage de ma reconnaissance et de ma sincère admiration.
Le Père Henri Beaudet
des frères prêcheurs.PASTELS -- Le Père Henri Beaudet des Frères Prêcheurs -- 1905 -- page 89 :
CHEZ UN PEINTRE : Mr Charles HUOT -- QUÉBEC -- Mai -- 1900 :
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Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
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