FRA ANGELICO
FRA ANGELICO
FRA ANGELICOBeato Angelico est peut-être, de tous les maîtres de la Renaissance, le moins contesté, le plus universellement sympathique, celui qui subjugue avec le plus de facilité tous les cœurs. Nombre d'esprits, complètement formés aux grandes choses des arts d'imitation, s'ouvrent, comme par enchantement, devant la naïveté de ces chastes peintures. C'est qu'il y a là un parfum de candeur qui pénètre l'âme jusqu'au fond. Bon gré mal gré, chacun de nous s'incline devant de telles œuvres, et redit en soi-même les paroles, que saint Augustin prononçait, devant les travaux religieux de son temps :
« Ici même, ô mon Dieu ! ô mon sanctificateur ! ô ma gloire ! je trouve à glorifier votre nom ; car ces beautés, que vous faites passer dans l'âme de l'artiste, procèdent de cette beauté supérieure à nos âmes, vers laquelle mon âme soupire nuit et jour... » (1)
Oui, des peintres ont surpassé ce maître pour la perfection du dessin, la richesse du coloris, l'exactitude de la perspective : aucun ne l'a égalé dans l'expression profondément religieuse de son style. Nul, comme lui, n'a reflété sur une figure la vraie beauté de l'âme immortelle. Le surnom qui lui fut donné résume son style et sa manière : l'Ordre dominicain avait déjà le docteur angélique, il aura aussi son peintre angélique : Beato Angelico.
Il naquit, d'après Vasari, en 1388, dans le voisinage de Castel-Vecchio, sur les hauteurs des Apennins, entre Dicomano et Borgo San-Lorenzo, dans la province de Mugello. A quelques milles de là seulement, se trouve Vespignano, où Giotto vit le jour et où il rencontra Cimabué, qui le fit son élève.
Il reçut au baptême le nom de Pierre ; son nom de famille est resté inconnu ; à son entrée au couvent, le jeune peintre s'appelait Guido. On ignore s'il eut d'autre frère que Benedetto, qui entra au couvent avec lui et fut peintre en miniatures. Leur fortune était suffisante ; par son pinceau, il eût pu devenir riche ; mais le Quid prodest de l'Evangile le fit renoncer au monde et embrasser les austérités du sacrifice.
En 1405, Guidolino et son frère entraient au couvent dominicain de Fiesoles, situé aux portes de Florence, au milieu d'odoriférants jardins, qu'abritent, contre le nord, de hautes montagnes. Le premier reçut le nom de Giovanni, le second, celui de Benedetto. Ils ne firent que passer ici, pour aller faire leur noviciat à Cortone ; mais Fiesoles, si propice au recueillement et à l'étude, devait les revoir bientôt.
Quelques personnes ont avancé que le Beato n'était pas prêtre ; mais cette assertion est absolument fausse, les deux frères ayant été inscrits parmi les prêtres de l'Ordre, comme en font foi les chroniques dominicaines (2). Ses peintures, à elles seules, résoudraient la question, car elles supposent une étude peu ordinaire de la théologie.
Le mot fra, sous lequel on désigne le moine-peintre, a pu tromper certaines personnes ignorantes des pratiques monacales. Des cardinaux mêmes mettent ce titre à leurs signatures, et celui-ci ne fait que constater leur affiliation à la grande famille monastique.
Par suite de circonstances graves pour l'Église, il quitta Fiesoles et alla à Foligno. Florence avait pris parti pour Alexandre V ; les Dominicains tenaient pour Grégoire XII, le pape légitime ; les Florentins tentèrent des sollicitations pour les grouper autour d'eux, sous le même drapeau. Les Dominicains préférèrent éviter, par l'exil, des luttes incessantes. Au milieu de la nuit, ils partirent secrètement et allèrent à Foligno. Le talent de Fra Angélico n'eut que profit dans cet exil. Les montagnes de l'Ombrie avec leurs villes et leurs châteaux, le paysage de ces contrées comme enveloppées d'un voile bleu transparent, se retrouveront, à partir de ce jour, dans l'arrière-plan des toiles d'Angelico. Et quand la mort d'Alexandre VI lui rouvrit la route de Fiesoles, il put parfumer cette chère et sainte solitude des fleurs les plus odoriférantes de l'Ombrie.
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(1) Confessions, ch. XXXIV. - Gruyer, Les Vierges de Raphaël, I, 249, 250.
(2). Fr. Joannes Petrus de Mugello juxtà Vichium, optimus pictor, qui multos tabulas et parietes in diversis locis pinxit, accepit habitum clericorum in hoc conventu, et sequenti anno fecit professionem. Fol. 97. 1407.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: FRA ANGELICO
C'est alors qu'il exécuta la Vierge des menuisiers de Florence, entourée d'anges qui arrachaient à Vasari ces mots : « Il semble qu'ils sont tombés du ciel. »
En 1436, Cosme de Médicis donna le couvent de San Marco aux Dominicains. Les Silvestriens, possesseurs de cet asile, reçurent, en échange, San Giorgio, au de là de l'Arno. Cosme y fit magnifiquement reconstruire le couvent, par Michelazzo, et légua aux religieux trente-six mille ducats et une belle bibliothèque de livres précieux, dont le bibliothécaire, Thomas de Sarzana, ami et admirateur de Fra Angelico, fut Nicolas V.
La voie de Rome lui était ouverte. Le nouveau Pape l'y appela. Son talent lui attira les meilleures et les plus illustres sympathies. Brunelleschi, Ghiberti, Masaccio, venaient souvent le visiter dans sa cellule. Tous l'aimaient comme un génie de l'art, et d'autant plus qu'ils n'avaient pas à le craindre, car, à leur sens, il appartenait à une époque irrévocablement finie. Ils se trompaient, « car Fra Giovanni, en se faisant exclusivement religieux, ne dédaignait pas d'être savant. Rompre la relation de l'âme avec le beau, c'est rompre les rapports de l'homme avec le bien, et la chute de l'art est alors inévitable. Jean de Fiesoles voulut s'approcher des hauteurs où le beau et le bien s'identifient pour se réunir en Dieu. Il fit prévaloir la spiritualité, sans sacrifier toutefois la réalité ; et la peinture, entre ses mains, devint intérieure, sans cesser pour cela d'être sensiblement belle. En revenant au mysticisme des âges les plus fervents, Beato Angelico s'était bien gardé d'être rétrograde. Il n'avait rien renié des progrès accomplis, et était resté, dans le domaine de la pure orthodoxie, un homme de la Renaissance (1). »
« Beato Angelico prit la Vierge pour but constant de ses méditations. Il savait que Marie veille au seuil de la religion de son Fils, que son culte protège celui de Jésus et qu'en glorifiant sa maternité virginale, il confessait le Christ Fils de Dieu. Au-dessus du beau, captif dans la forme, l'homme cherche le principe du beau absolu, et, plaçant ainsi son but dans l'infini, il imprime à ses pensées un cachet divin. Beato Angelico cherchait ce principe dans Marie, en qui Dieu a mis toutes ses grâces. Chacune de ses Vierges est un nouvel acte de foi en faveur de l'art, un nouveau gage d'amour pour la beauté (2). »
Les contemporains du Frate appréciaient grandement le style expressif de ses Vierges. Michel-Ange lui adressa les vers suivants :O Giovanni è salito in Paradiso________
Il volto di Maria a vagheggiare
O Ella è scessa in Terra, è il suo bel viso
A lui venne ad espor per ricavare.
« Ou Jean est monté au ciel,
pour contempler les traits de Marie,
ou Marie est descendue sur la terre,
pour lui montrer son gracieux visage. »
(1). A. Gruyer, Les Vierges de Raphaël, t. I,246-247.
(2). A. Gruyer, idem.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: FRA ANGELICO
L'art était pour lui une méditation continuelle de la beauté de Dieu, chacun de ses tableaux était une prière. Comme des rayons, ils sortaient de son coeur aimant ; ils germaient comme des fleurs de son âme pure.
Jamais il ne refusait son talent, mais religieux avant tout, il eut toujours soin de recommander qu'on s'adressât à son supérieur. Tous les honoraires revenaient à la communauté. « Les religieux peintres étaient dispensés du chœur et ils gardaient le seul argent nécessaire à l'achat des couleurs et autres objets pour leur art (1). »
On pourrait être surpris de voir Fra Angelico, lui-même, dans son Jugement dernier, conservé à Berlin, placer au rang des réprouvés des cardinaux et des évêques. Pour juger de pareilles compositions, il est indispensable de se reporter à l'époque pour laquelle surtout elles ont été faites. Le schisme fournissait aux peintres chrétiens l'occasion de montrer la sévérité des jugements de Dieu, sans exception de personne ; c'était comme un avertissement, une leçon donnée aux spectateurs de leurs tableaux. Au moyen âge, on prêchait par la peinture tout autant que par la parole, et cette prédication de l'art chrétien n'était ni la moins libre ni la moins courageuse.
Outre Saint-Marc de Florence, tout parfumé encore de ses fresques si suaves et si pieuses, Fiesoles, Orvieto et Rome, possèdent des œuvres du Frate. C'est de la chapelle dite de Nicolas V, à Rome, que Rossini a écrit: « Par les travaux de la chapelle de Saint-Nicolas, Angelico a remporté la palme sur tous les peintres de son siècle. »
Il resta à Rome jusqu'à sa mort, qui arriva à l'âge de soixante-huit ans. Le peintre de Marie eut la consolation de terminer sa carrière au couvent de Sainte-Marie-de-la-Minerve, au chant du Salve Regina, le 18 mars 1455.
La voix du peuple le nomma El Beato. Nicolas V fit placer, sur le tombeau de celui qu'il avait aimé, l'inscription suivante :HIC JACET VEN. PICTOR
FR. JO. D. FLOR. ORD. P.
Non mihi sit laudi, quod eram velut Apelles,
Sed quod lucra tuis, omnia Christo dabam
Altera nam terris opera extant, altera cœlo,
Urbs me Joannem flos tulit Etrurisae.
« Ci-git le vénérable peintre
Fra Giovanni, de Florence, de l'Ordre des Frères Prêcheurs.
Que la gloire d'avoir été un second Apelle
ne soit rien pour moi ; tous mes gains, je les ai donnés à Jésus-Christ ;
une partie de mes œuvres est sur la terre, une partie est au ciel.
La ville qui est la fleur de l'Étrurie m'a donné le jour. »Fra Angelico aurait pu devenir riche, mais il n'en prenait nul souci, disant que la vraie richesse consiste à se contenter de peu. Il aurait pu commander, mais il ne le voulut point, disant qu'il était plus facile d'obéir et qu'on risquait moins de se tromper. Il aurait pu obtenir des dignités, Nicolas V lui ayant offert l'archevêché de Florence, mais il ne les estimait pas, disant qu'il ne cherchait aucune autre dignité que de pouvoir échapper à l'enfer et s'approcher du ciel. Jamais ses frères en religion ne le virent en colère, et même quand il avait besoin de reprendre quelqu'un, il ne le faisait qu'avec le sourire sur les lèvres. Tout, chez lui, tout, le pinceau, le sourire, la vie, était digne d'un ange : Angelico.____________
Avant de le quitter, déposons, sur sa tombe, une gracieuse fleur cueillie dans les œuvres de M. de Montalembert. « Chaque catholique, dit ce grand écrivain, doit se trouver heureux quand il contemple les admirables œuvres de ce maître, où la parfaite expression de sainteté égale l'intention qu'on peut appeler le nec plus ultrà de l'art chrétien (2). »
(1). Razzi, Storia degli Uomini ilIustri.
(2). Du Vandalisme et du Catholicisme.
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
Re: FRA ANGELICO
Nous avons de ce maître :
PÉROUSE : à San Domenico : Sainte Vierge et Enfant Jésus dans ses bras.
BARI : à Saint-Nicolas : Deux scènes de la Vie de la Sainte Vierge.
CORTONE : à San Domenico : Vierge avec l'Enfant Jésus.
ROME : à l'église du Gesù : l'Annonciation.
FIESOLES : Deux Vierges entourées de saints.
FLORENCE : Galerie des petits tableaux : Sainte Vierge avec l'Enfant Jésus. Au salon des Expositions, trois différentes Vierges ;
Au Palazzo degli Uffizzi : Autel à panneaux avec la Sainte Vierge et des saints ;
Salle de l'École de Toscane : Couronnement de la Sainte Vierge.
MONTE-FALCO : Couronnement de la Sainte Vierge.
TURIN : à la Galerie royale : Madone avec l'Enfant.
BRESCIA : à Saint-Alessandro : Annonciation.
PARIS : Musée du Louvre : Couronnement de la Vierge.
ANGLETERRE : Collection de Mrs Yong Ottleys : Ensevelissement de Marie ;
Collection du feu prince Albert : Madone avec l'Enfant ;
Galerie Kinsington, à Londres : Annonciation.ÉCOLE FLORENTINE -- Maîtres de l'École Florentine qui ont peint la Sainte Vierge :
http://www.archive.org/stream/ecoleflorentinem00brug#page/34/mode/2up
Roger Boivin- Nombre de messages : 13227
Date d'inscription : 15/02/2009
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