L'HÉRÉSIE.
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L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
QUESTION 11
L'HÉRÉSIE.
A partir d'ici nous devons traiter de l'hérésie.
A propos d'elle quatre questions se posent :
—1. Est-elle une espèce d'infidélité?
—2. La matière de l'hérésie.
—3. Doit-on tolérer les hérétiques?
—4. S'ils reviennent, doit-on les recevoir?
ARTICLE 1. L’hérésie est-elle une espèce d'infidélité?
DIFFICULTÉS : 1. Il ne semble pas. Car l'infidélité est dans l'intelligence, avons-nous dit, tandis que l'hérésie paraît se rapporter non pas à l'intelligence mais plutôt à la faculté d'appétit. Saint Jérôme dit en effet, et c'est dans les Décrétales : « Hérésie en grec vient du mot choix, c'est-à-dire que chacun choisit pour soi la discipline qu'il estime être meilleure». Or le choix, avons-nous dit, est un acte de la faculté d'appétit. L'hérésie n'est donc pas une espèce d'infidélité.
2. D'autre part, un vice tire son espèce principalement de sa fin. De là cette phrase du Philosophe : « Celui qui commet une fornication afin de voler est plus voleur que fornicateur ». Mais, la fin poursuivie par l'hérésie c'est l'avantage temporel et surtout la domination et la gloire, ce qui appartient au vice de l'orgueil ou à celui de la cupidité. Saint Augustin affirme en effet que « l'hérétique est celui qui, dans l'intérêt d'un avantage temporel et surtout dans l'intérêt de sa gloire et de sa domination, engendre ou suit des opinions fausses ou nouvelles ». L'hérésie n'est donc pas une espèce d'infidélité, c'est plutôt une espèce d'orgueil.
3. D'ailleurs, comme l'infidélité est dans l'intelligence, il ne semble pas qu'elle appartienne à la chair. Mais l'hérésie appartient à la chair. Au dire de l'Apôtre, « les œuvres de la chair sont manifestes, c'est la fornication, l'impureté », et parmi les autres il ajoute après cela « les dissensions, les sectes », qui sont la même chose que les hérésies. L'hérésie n'est donc pas une espèce d'infidélité.
à suivre...
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
QUESTION 11
ARTICLE 1. L’hérésie est-elle une espèce d'infidélité? (suite)
CEPENDANT la fausseté est l'opposé de la vérité. Mais «l'hérétique est celui qui engendre ou suit des opinions fausses ou nouvelles ». Il est donc en opposition avec la vérité sur laquelle s'appuie la foi. Il est donc englobé dans l'infidélité.
CONCLUSION : Le mot hérésie, on vient de le dire, implique un choix. Or le choix a pour objet, on l'a dit plus haut, les moyens en vue de la fin, celle-ci étant présupposée. D'autre part, ainsi qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut, dans les choses qu'on doit croire, la volonté adhère à un vrai comme à son bien propre. Dès lors, ce qu'il y a de principal dans ce vrai a raison de fin ultime, tandis que les choses secondaires ont raison de moyens en vue de la fin. Mais quiconque croit adhère au dire de quelqu'un. C'est pourquoi il semble que ce qu'il y a de principal et qui est comme la fin dans chaque croyance, c'est celui à la parole de qui on donne son adhésion, tandis que ce qui est comme secondaire ce sont les choses auxquelles on tient dans cette volonté qu'on a d'adhérer à quelqu'un.
Ainsi donc celui qui a correctement la foi chrétienne a la volonté d'adhérer au Christ dans ce qui fait vraiment partie de l'enseignement du Christ. Par conséquent, de cette rectitude de la foi chrétienne quelqu'un peut dévier de deux manières. D'une manière, parce qu'il n'a pas la volonté d'adhérer au Christ lui-même : c'est avoir là en quelque sorte un mauvais vouloir relativement à la fin elle-même, et ceci appartient à l'espèce d'infidélité des païens et des Juifs.
Quelqu'un dévie d'une autre manière : il est bien dans cette intention d'adhérer au Christ, mais il est en défaut dans les moyens qu'il choisit pour adhérer à ce Christ, parce qu'il ne choisit pas ce qui est vraiment de la tradition du Christ, mais ce que son propre esprit lui suggère. Et voilà comment l'hérésie est l'espèce d'infidélité de ceux qui professent la foi du Christ mais en corrompent les dogmes. [89]
note explicative :
[89] Qu. 11, art. 1, concl. — L'auteur a déjà parlé de l'hérésie en traitant de l'infidélité. Il consacre pourtant une question à cette espèce d'infidélité. A cette occasion, il nous livre un des plus beaux exposés de la foi. Cet exposé, rien ne l'annonçait ni ne l'exigeait à cet endroit; il eût été bienvenu beaucoup plus tôt. Nous avons là, soit dit en passant, un exemple de la marche que suit la pensée de saint Thomas : cette marche, tout en étant très étudiée, demeure très spontanée; la pensée sait où elle va et quels chemins elle prendra, mais elle rencontre de l'imprévu et soudain s'en empare. Dans le cas présent, nous voici brusquement placés devant une vie nouvelle, jusque là à peine effleurée, d'où nous sommes invités à réviser ce que c'est que la foi et ce que sont les différentes infidélités, en une sorte de suggestive récapitulation. Ce point de vue tout neuf est donné par le mot même d'hérésie. Hérésie veut dire choix. Il s'agit donc de savoir comment il peut y avoir un péché contre la foi par un mauvais choix dans la foi. Mais, ce que nous connaissons de l'acte humain nous rappelle qu'il y a toujours avant un choix, une volonté, avant une élection, une intention. Et, comme l'intention a pour objet une fin tandis que l'élection ou choix a pour objet un moyen, nous sommes conduits à nous demander ce qui est fin et ce qui est moyen dans la foi.
— Une foi, quelle qu'elle soit, une « crédulité » dit le texte, une croyance autrement dit, n'est pas du tout une invention de l'esprit ni d'abord un système d'idées; c'est avant tout une adhésion à ce que dit quelqu'un et à ce qu'il pense. Par conséquent, à prendre les choses du côté de l'intelligence, ce qu'il y a de principal dans une foi c'est toujours ce quelqu'un à qui on croit; ce quelque chose que l'on croit est pour ainsi dire secondaire. Par ailleurs, dans une foi, il y a une large part à faire à la volonté, car le vrai auquel on adhère n'étant pas évident à l'esprit, il appartient à la volonté de s'y attacher comme à un bien et de le chercher comme tel : cela fait que ce qu'il y a de principal dans la foi devient une fin à laquelle s'applique l'intention, tandis que le reste est comme un moyen qui fait l'objet d'un choix.
— Transposons tout cela dans la vraie foi, qui n'est autre que la chrétienne. Posséder correctement la foi chrétienne, c'est avoir la volonté d'adhérer en esprit à Jésus-Christ dans tout ce qu'il a dit. Le principal dans cette foi, c'est la personne même du Christ et sa parole : voilà la fin que j'ai en vue, le bien auquel je suis attaché, l'objet de mon intention de croire. Tout le reste, c'est-à-dire ce qui est la matière de l'enseignement du Christ, est comme secondaire : les articles de foi sont pour ainsi dire des moyens d'adhérer à Jésus-Christ et, à cause de cela, j'y fixe mon choix. Le lecteur admirera ce magnifique rattachement de la foi chrétienne à Celui qui est le Christ.
— En regard et en contraste se dessine l'écartement des différentes infidélités. Ce Christ, le païen et le juif ne l'admettent pas : ils ne sont pas dans la grande intention de la foi chrétienne. L'hérétique admet le Christ et se propose au fond de croire au Christ, mais il bouleverse à sa guise les enseignements du Christ : il est bien clans la grande intention, mais il ne prend pas les bons et vrais moyens, il fait un mauvais choix; d'où son hérésie. Elle consiste à corrompre les dogmes du Christ par entêtement à vouloir substituer ce qui est d'élection tout humaine à ce qui est de tradition divine. Une certaine adhésion à la personne de Jésus-Christ, et une rébellion contre les dogmes de Jésus-Christ, telle est l'hérésie.
— L'adhésion, précise Cajetan, peut exister de deux façons, soit par des actes conscients et bien formels, soit simplement par suite d'un état habituel, qui peut être même plus ou moins inconscient, comme est celui qui résulte du caractère imprimé au baptême ou d'une profession purement officielle de foi chrétienne. Pour qu'il y ait hérésie, cette seconde sorte d'adhésion suffit : si quelqu'un n'est lié que par le rite du baptême à la personne de Jésus-Christ et qu'il rejette au gré de sa fantaisie les dogmes de Jésus-Christ, il fait figure d'hérétique.
A une autre extrémité, si quelqu'un, relié au Christ par des actes très formels et même par une prétention d'adhérer à lui, pousse néanmoins la fantaisie jusqu'à rejeter non pas seulement les dogmes mais la personne divine et la divine autorité de ce même Christ, alors il ajoute à l'hérésie l'outrecuidance de l'apostasie, comme nous le verrons à la question 12. (Sur tout ceci, cf. Cajetan, in h. 1, n. 1). En résumé, pour être hérétique, il faut être de ceux qui sont dans une profession de foi chrétienne et qui cependant s'adonnent à une corruption de foi chrétienne : l'hérétique est chrétien, mais il l'est à sa guise.
À suivre…
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
QUESTION 11
ARTICLE 1. L’hérésie est-elle une espèce d'infidélité?(suite)
SOLUTIONS : 1. Le choix fait partie de l'infidélité au même titre que la volonté fait partie de la foi, dans le sens qu'on vient de dire. [90]
2. Les vices tirent leur espèce de leur fin prochaine, mais de leur fin éloignée ils tirent leur genre et leur cause. Ainsi, lorsque quelqu'un commet une fornication dans le but de voler, il y a bien là une espèce de fornication par la fin propre et par l'objet, mais par la fin ultime on voit que la fornication a son origine dans le vol, et elle est contenue sous lui comme un effet sous sa cause et comme une espèce sous un genre, ainsi qu'il appert par ce qui a été dit plus haut des actions en général.
D'où la même chose dans le cas qui nous occupe : l'hérésie a pour fin prochaine d'adhérer à la fausse sentence qui lui est propre, et par là elle a son espèce; mais par sa fin éloignée est dévoilée sa cause, c'est-à-dire qu'elle sort de l'orgueil ou de la cupidité.
3. De même que le mot hérésie vient de l'acte de préférer, le mot secte vient de l'acte de rechercher, comme Isidore le dit dans ses Étymologies. C'est pourquoi l'hérésie et la secte sont une même chose. Et l'une comme l'autre appartient aux œuvres de la chair, non assurément quant à l'acte même d'infidélité en face de son objet prochain, mais en raison de sa cause.
Cette cause, tantôt c'est la recherche d'une fin désordonnée lorsque l'hérésie sort d'un fond d'orgueil ou de cupidité, ainsi qu'on vient de le dire. Tantôt c'est aussi quelque illusion d'imagination, car il y a là, au dire même du Philosophe, un principe d'erreur ; or l'imagination appartient en quelque manière à la chair puisque l'acte de cette faculté s'accompagne d'un organe corporel. [91]
notes explicatives:
[90] Qu. 11, art. 1, sol. 1. — L'hérésie est donc un vice qui réside dans l'intelligence, non pas cependant de façon absolue, mais en tant que l'intelligence est mue par une volonté qui fait un choix. C'est pourquoi aucune proposition ou sentence à proprement parler, ne peut être dite hérétique par soi, elle est seulement qualifiée telle par le genre d'attachement qui y est porté. Ainsi, une seule et même proposition, par exemple : « Les morts ne ressusciteront pas », peut appartenir à toutes les espèces d'infidélités.
Cette proposition en soi, aucune infidélité n'a le droit de la revendiquer pour soi : elle sera hérétique, si elle est proférée par un hérétique; perfide, si c'est par un juif; païenne, si c'est par un païen. Tout ce qu'on peut dire des propositions elles-mêmes, c'est qu'elles sont en soi contraires à la foi. Et on doit les reconnaître telles lorsqu'elles sont contraires aux articles du Symbole, ou à la sainte Ecriture, ou à la définition de l'Église.
Cette définition de l'Église est même la règle prochaine et pratique qui permet de discerner qu'une proposition est de foi en soi et pour nous, et si la proposition contraire doit être taxée d'hérésie. Cette proposition par exemple : «Le Saint-Esprit ne procède pas du Fils», ou cette autre : « La bienheureuse Vierge n'a pas été préservée du péché originel », ont toujours été des propositions en soi contraires à la foi. Néanmoins, aussi longtemps qu'elles n'ont pas été nettement définies par l'Église, elles ont pu être admises ou discutées par des fidèles sans qu'ils fussent hérétiques. Ce qui est vérité de foi en soi-même, peut ne pas l'être suffisamment pour tous les fidèles. (Sur tout ceci, cf. Cajetan, in h. 1, n. 2).
— De là vient qu'on peut être dans l'hérésie matériellement mais non formellement (cf. supra, qu. 5, art. 3). On se trompe sur un point de foi sans savoir qu'il est de foi et surtout sans vouloir aucunement s'opposer à la règle de foi : alors, on est dans l'erreur, mais pas dans l'hérésie.
[91] Qu. 11, art. 1, sol. 2-3. — Le péché d'hérésie a deux sources : une du côté de la connaissance, l'autre du côté de l'appétit. Ces deux sources se retrouvent d'ailleurs à l'origine de toutes les infidélités positives. Mais dans l'hérésie elles sont particulièrement empoisonnées. Plus que quiconque, l'hérétique et à plus forte raison l'hérésiarque, c'est-à-dire le fondateur et fauteur d'hérésie, est quelqu'un d'entêté dans ses idées propres et d'obstiné dans son amour-propre. Lorsqu'une hérésie est formelle et bien positive, elle a des causes mentales et des causes morales, les unes et les autres généralement bien caractérisées. Parmi celles-ci, l'auteur signale spécialement l'orgueil et la cupidité. Parmi celles-là, la tromperie de l'imagination. Judicieuse analyse que nous reprendrons.
à suivre: ARTICLE 2. L’ hérésie est-elle proprement dans les choses de la foi?
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
QUESTION 11.
ARTICLE 2. L’ hérésie est-elle proprement dans les choses de la foi?
DIFFICULTÉS : 1. Proprement non, semble-t-il. Car, comme il y a des hérésies et des sectes parmi les chrétiens, il y en eut aussi parmi les Juifs et les Pharisiens. Isidore en fait la remarque au livre des Étymologies. Mais leurs dissensions n'étaient pas dans les choses de la foi. L'hérésie n'est donc pas là comme dans sa matière propre.
2. La matière de la foi ce sont les réalités que l'on croit. Mais l'hérésie a pour domaine non pas seulement les réalités mais aussi les mots et les exposés de la sainte Ecriture. Saint Jérôme dit en effet que « quiconque interprète l'Ecriture autrement que le réclame le sens de l'Esprit-Saint par qui elle a été écrite, même s'il ne s'en va pas de l'Église, peut cependant être appelé hérétique». Et ailleurs il dit que «des paroles proférées en désordre font une hérésie ». L'hérésie n'est donc pas proprement dans la matière de la foi.
3. Du reste, même dans les choses qui appartiennent à la foi, de temps en temps il se trouve que les saints Docteurs ne sont pas du même avis, comme Jérôme et Augustin en ce qui concerne la cessation des observances légales. Et cependant ceci est en dehors du vice d'hérésie. L'hérésie n'est donc pas proprement en matière de foi.
à suivre...
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
ARTICLE 2. L’ hérésie est-elle proprement dans les choses de la foi? (suite]
CEPENDANT saint Augustin affirme contre les Manichéens : « Dans l'Église du Christ, ceux qui ont le goût du morbide et du dépravé, si, lorsqu'on les ramène à avoir des pensées saines et droites, ils résistent avec un orgueil méprisant et refusent de réformer leurs manières de voir qui sont la peste et la mort, mais persistent à les défendre, ce sont des hérétiques ». Mais, des dogmes qui sont la peste et la mort, ce ne sont que ceux qui sont opposés aux dogmes de la foi, de cette foi par quoi « le juste a la vie » comme dit l'Apôtre. L'hérésie a donc bien pour domaine les choses de la foi comme sa matière propre.
CONCLUSION : Nous parlons en ce moment de l'hérésie en tant qu'elle implique une corruption de la foi chrétienne. Or ce n'est pas une corruption de la foi chrétienne d'avoir une fausse opinion dans ce qui n'est pas de foi, par exemple en des choses de géométrie ou en d'autres de même sorte qui ne peuvent absolument pas rentrer dans la foi. Il y a corruption de la foi uniquement quand quelqu'un a une fausse opinion dans ce qui se rapporte à la foi. De deux manières, avons-nous dit plus haut, une chose se rapporte à la foi : tantôt c'est directement et à titre principal, comme font les articles de la foi; tantôt, indirectement et secondairement, comme sont les choses qui entraînent la corruption d'un article. Et l'hérésie peut s'étendre à ce double domaine, tout comme aussi la foi. [92]
note explicative:
[92] Qu. 11, art. 2, Concl. — Après le constitutif formel de l'hérésie, en voici le champ matériel. Il n'y a d'hérésies qu'à l'égard des vérités de la foi. Souvenons-nous cependant que ces vérités sont de deux sortes ; les articles mêmes de la foi, mais aussi toutes les vérités qu'on ne peut nier sans qu'un article de foi en soit touché. Ainsi, une sentence agnostique qui rejette la valeur même de la raison, une sentence déterministe qui nie la liberté, un propos matérialiste qui nie l'esprit, un système communiste qui fait violence à la personnalité, toutes les aberrations de ce genre sont très légitimement taxées d'hérésie et condamnées à ce titre, tant qu'elles sont en règne parmi les chrétiens. Ceux-ci ne sauraient, croyant à l'autorité souveraine du Christ, admettre des choses si contraires aux dogmes du Christ.
à suivre...
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
ARTICLE 2. L’ hérésie est-elle proprement dans les choses de la foi? (suite]
SOLUTIONS : 1. De même que les hérésies des juifs et des pharisiens étaient en matière d'opinions relatives au judaïsme et au pharisaïsme, de même aussi les hérésies des chrétiens ont pour matière ce qui se rapporte à la foi du Christ. [93]
2. On dit que quelqu'un expose la sainte Ecriture autrement que l’Esprit-Saint le réclame lorsque son exposé de la sainte Écriture est retors jusqu'à être contraire à ce qui a été révélé par l'Esprit-Saint. D'où il est dit en Ézéchiel au sujet des faux prophètes qu' «ils se sont entêtés à soutenir leurs élucubrations »; entendez : en exposant faussement l'Ecriture.
— Pareillement aussi, dans les paroles que quelqu'un prononce lorsqu'il professe sa foi : la confession est en effet, avons-nous dit, l'acte de la foi. Voilà pourquoi, s'il y a dans les choses de la foi une manière de parler désordonnée, la corruption de la foi peut en découler. D'où cette remarque du pape Léon dans une lettre à Protarius évoque d'Alexandrie : « Puisque les ennemis de la croix du Christ épient tous nos mots et toutes nos syllabes, ne leur donnons nulle occasion, même légère, de dire mensongèrement, que nous sommes d'accord avec la pensée nestorienne. ». [94]
3. Comme le dit saint Augustin et comme il est marqué dans les Décrétales, « s'il y en a qui défendent leur manière de penser, quoique fausse et perverse, sans y mettre aucune opiniâtre animosité, mais en cherchant la vérité avec soin et avec précaution, étant prêts à se corriger dès qu'ils l'auront trouvée, il ne faut pas du tout les compter au rang des hérétiques», parce qu'effectivement ils ne choisissent pas d'être en contradiction avec l'enseignement de l'Église.
En ce sens donc quelques Docteurs semblent n'avoir pas été du même avis, soit dans un domaine où il n'importe en rien à la foi qu'on tienne pour vrai ceci ou autre chose, soit même dans certaines choses relatives à la foi mais qui n'étaient pas encore définies par l'Église. Au contraire, après que les choses ont été définies par l'autorité de l'Église universelle, si quelqu'un répugnait opiniâtrement à un tel arrêt, il serait censé hérétique. A coup sûr cette autorité-là réside principalement dans le Souverain Pontife, car il est dit dans une Décrétale : « Aussi souvent qu'une raison de foi est clans l'air, j'estime que tous nos frères et co-évêques ne doivent se référer qu'à Pierre c'est-à-dire à l'autorité qui est sous son nom ». Or, ni Jérôme ni Augustin ni aucun des saints Docteurs n'a défendu sa manière de penser contre l'autorité de Pierre.
D'où cette proclamation de saint Jérôme : « Telle est, très saint Père, la foi que nous avons apprise dans la catholique Église. Si par hasard il y a dans cette foi quelque position qui soit moins heureuse ou peu prudente, nous désirons être amendés par toi qui tiens la foi de Pierre avec le siège de Pierre. Si au contraire cette confession qui est nôtre est approuvée par le jugement de ton autorité apostolique, alors quiconque voudra me donner tort fera la preuve que lui-même n'y entend rien, ou qu'il a de la malveillance, ou même qu'il n'est plus catholique mais hérétique.» [95]
notes explicatives:
[93] Qu, 11, art. 2, sol. 1. — Le formel de l'hérésie, ce qui en fait la malice et le vice, c'est que c'est une corruption du christianisme. L'histoire confirme douloureusement cette doctrine.
[94] Qu. 11, art. 2, sol. 2. — Les interprétations de la sainte Ecriture et les déterminations de la sainte Église sont le terrain d'élection des hérésies. C'est là en effet que s'exprime la tradition. Aussi, lorsque l'esprit propre s'y substitue à celui du Christ, tous les dérèglements sont en germe et prêts à se produire. Le plus souvent ils sévissent d'abord dans les mots, mais par les mots ils atteignent les choses. De cela on peut voir un dernier exemple, qui ne sera pas l'un des moins caractéristiques, dans l'hérésie dite du modernisme : aux confins des deux siècles dix-neuvième et vingtième, elle s'est insinuée subtilement dans toutes les branches de la pensée chrétienne et du sentiment religieux, elle menaçait de tout envahir et de tout corrompre; le Saint Père Pie X en a fort heureusement diagnostiqué le mal et arrêté le venin, par une assistance bien admirable du Saint-Esprit, notamment dans l'Encyclique Pascendi du 7 Septembre 1907.
[95] Qu. 11, art. 2, sol. 3. — On est vraiment dans la foi, avons-nous dit, quand on s'attache fermement à l'enseignement de l'Église comme à la règle infaillible de la foi (cf. supra qu. 5, art. 3). Par opposition, on est vraiment dans l'hérésie quand on s'entête obstinément contre ce qui est défini de façon notoire par cette même Église en matière de foi. Mais la recherche de la vérité n'est pas défendue, même dans la foi, et, lorsqu'elle se poursuit avec tout le soin et toute la précaution que réclame un tel objet, elle est très recommandable et ne ressemble en rien à l'hérésie. Elle ne tournerait à l'hérésie que si elle refusait de se plier à ce qui est la règle de la foi.
Un beau texte redit ici où réside cette infaillible autorité, règle prochaine de notre foi :
1° elle est le privilège de toute la sainte Église catholique englobée dans le Christ;
2° elle est la prérogative du Souverain Pontife que le Christ a constitué le chef de son Église au Saint-Siège de l'unité. En cette institution de Jésus-Christ réside et se perpétue toute la Tradition assistée par lui et assurée par lui de ne pas errer dans la foi.
à suivre: Doit-on tolérer les hérétiques?
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ARTICLE 3.
Doit-on tolérer les hérétiques?
DIFFICULTÉS : 1. Il semble que oui. L'Apôtre écrit en effet à Timothée : « Il faut que le serviteur de Dieu soit plein de mansuétude et reprenne avec modération ceux qui résistent à la vérité, savoir si Dieu ne leur donnera pas de se convertir jusqu'à reconnaître la vérité et s'ils ne viendront pas à résipiscence hors des filets du diable ». Mais, si les hérétiques ne sont pas tolérés, s'ils sont livrés à la mort, la faculté de se convertir leur est retirée. Ça paraît donc aller contre le précepte de l'Apôtre.
2. D'ailleurs, ce qui est nécessaire dans l’Église, on doit le tolérer. Mais les hérésies sont nécessaires, dans l'Église : « Il faut qu'il y en ait, dit l'Apôtre, afin que les gens éprouvés se trouvent mis en évidence au milieu de vous». On doit donc, semble-t-il, tolérer les hérétiques.
3. Du reste, le Seigneur a prescrit à ses serviteurs de laisser croître l'ivraie jusqu'à la moisson. La moisson, suivant l'interprétation da ce passage, c'est la fin des temps. Quant à l'ivraie, elle symbolise les hérétiques, selon l'interprétation des saints. Les hérétiques doivent donc être tolérés.
à suivre...
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ARTICLE 3.
Doit-on tolérer les hérétiques? (suite)
CEPENDANT l'Apôtre écrit a Tite : « L'homme hérétique, après une première et une deuxième correction, évite-le, et comprends qu'il est vraiment perdu s'il est à ce point ».
CONCLUSION : En ce qui concerne les hérétiques, il y a deux choses à considérer, une de leur côté, une autre du côté de l'Église.
—De leur côté assurément il y a un péché par lequel ils ont mérité non seulement d'être séparés de l'Église par l'excommunication mais aussi d'être retranchés du monde par la mort. Il est en effet beaucoup plus grave de corrompre la foi qui assure la vie de l'âme que de falsifier la monnaie qui permet de subvenir à la vie temporelle. Par conséquent, si les faux monnayeurs ou autres malfaiteurs sont immédiatement mis à mort en bonne justice par les princes séculiers, bien davantage les hérétiques, aussitôt qu'ils sont convaincus d'hérésie, pourraient-ils être non pas seulement excommuniés mais très justement mis à mort.
—Du côté de l'Église, au contraire, il y a une miséricorde en vue de la conversion de ceux qui sont dans l'erreur. C'est pourquoi elle ne condamne pas tout de suite, mais « après un premier et un second avertissement », comme l'enseigne l'Apôtre. Après cela, en revanche, s'il se trouve que l'hérétique s'obstine encore, l'Église n'espérant plus qu'il se convertisse pourvoit au salut des autres en le séparant d'elle par une sentence d'excommunication, et ultérieurement elle l'abandonne au jugement séculier pour qu'il soit retranché du monde par la mort.
Saint Jérôme dit en effet ceci, qu'on a dans les Décrétales : « Il faut couper les chairs pourries et chasser de la bergerie la brebis galeuse, de peur que toute la maison, toute la masse, tout le corps et tout le troupeau, ne souffre, ne se corrompe, ne pourrisse et périsse. Arius dans Alexandrie fut une étincelle; mais, parce qu'il n'a pas été aussitôt étouffé, sa flamme a ravagé tout le globe. [96]
notes explicatives:
[96] Qu. 11, art. 3, concl. — C'est tout le problème des rapports avec les hérétiques qui est ici posé (cf. qu. 10, art. 7-12). Il est plus délicat et plus pressant que celui des rapports avec les autres infidèles. Les hérétiques, par définition peut-on dire, font partie de la chrétienté et sont souvent, par là même, fort mêlés aux fidèles. Tout ce qui a été dit à propos de l'infidèle leur demeure applicable.
Mais comme l'hérésie suppose un état de rébellion très spécial, généralement fort virulent et contagieux, l'Église a raison de prendre envers les hérétiques des mesures appropriées de précaution et de salubrité. Doit-elle, notamment, les rejeter s'ils persévèrent dans leur hérésie (art. 3), ou au contraire les accepter s'ils reviennent de leur hérésie (art. 4)?
—La réponse à la première question est sévère pour l'hérétique. Elle étonnera les esprits d'aujourd'hui. Elle suppose, comme nous l'avons déjà dit, d'autres temps et d'autres mœurs. La société civile est une communauté chrétienne : ( dans l’temps… ) la foi y est unanime, elle est le lien entre tous, elle est la pensée de tous, elle est le charme de la vie, elle en est le sens, elle est perçue dans toute sa vérité et reçue en son immense réalité, nul bien n'est plus précieux. Dans ces conditions, il est compréhensible que l'on regarde comme une chose extrêmement grave de corrompre la foi : le crime de falsifier la doctrine est sans comparaison avec celui de falsifier la monnaie, et le crime d'empoisonner les esprits dépasse de beaucoup celui d'empoisonner les corps.
L'homme donc qui est auteur ou fauteur d'hérésie mérite certainement d'être excommunié de la communauté. Peut-être même mérite-t-il d'être exterminé de la société si son hérésie devient une anarchie religieuse et sociale et s'il met de la violence à la soutenir et à la propager. Quant à la procédure à laquelle le texte fait allusion, elle est celle indiquée par l'Apôtre. Au Moyen-Âge la sainte Inquisition s'en est inspirée. Ce fut, comme on sait, une juridiction spécialement instituée pour la surveillance et pour la répression de l'hérésie.
Après toutes les criailleries que l'histoire romantique a pu faire entendre à ce sujet, une histoire plus sereine finit par se rendre compte que cette Inquisition a procuré de grands biens inestimables à la chrétienté et même simplement à la société d'alors et qu'elle les a préservées l'une et l'autre de grands maux incontestables, et que ce fut du reste au prix d'une sévérité très modérée où l'Église, comme une bonne mère qu'elle est toujours, a certainement usé de plus de miséricorde que de justice, suivant la touchante remarque que vous lirez à la fin de l'article suivant.
à suivre...
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
ARTICLE 3.
Doit-on tolérer les hérétiques? (suite)
SOLUTIONS : 1. Il appartient en effet à la modération que l'hérétique soit repris une première fois puis une seconde. Ce n'est que s'il n'a pas voulu revenir qu'on le tient pour perdu, comme on le voit bien dans l'autorité de l'Apôtre alléguée ci-dessus.
2. L'utilité provenant des hérésies est en dehors de l'intention des hérétiques. C'est-à-dire que la constance des fidèles s'en trouve éprouvée, comme dit l'Apôtre; et elles font que nous secouons la paresse et pénétrons avec plus de soin les divines Écritures, comme dit saint Augustin. Mais leur intention à eux est bien de corrompre la foi, et c'est très grand dommage. Aussi faut-il regarder plutôt à ce qui est de soi dans leur intention et les fait écarter, qu'à ce qui est en dehors de leur intention et les ferait supporter.
3. Comme il est marqué dans les Décrétales, « autre chose est l'excommunication et autre chose l'extirpation. Un individu est en effet excommunié, dit l'Apôtre, pour que son esprit soit sauf au jour du Seigneur ».
— Si cependant les hérétiques sont tout à fait arrachés par la mort, ce n'est même pas contraire au commandement du Seigneur. Ce commandement doit s'entendre dans le cas où on ne peut arracher l'ivraie sans arracher le froment, comme nous l'avons dit plus haut lorsqu'il s'agit des infidèles en général. [97]
note explicative:
[97] Qu. 11, art. 3, sol. 1-3. — Si ferme qu'il soit sur les principes, saint Thomas voit bien qu'ils sont d'une application délicate. Il approuve que l'Église fasse preuve d'une large modération (sol. 1); mais il ne consent pas que cette modération empêche les plus légitimes précautions (sol. 2-3). Il n'ignore pas que l'hérésie peut avoir quelque utilité pour les fidèles : elle éprouve la constance et la solidité de leur foi, elle secoue leur paresse d'esprit, elle force à scruter les Écritures, à creuser la Révélation, et à ne pas laisser sommeiller la Tradition.
L'hérésie rentre donc à sa façon dans le plan divin : elle n'échappe pas au gouvernement que le Christ étend sur son Église. Pourtant elle reste un grand mal contre lequel la chrétienté doit réagir et auquel elle doit remédier. Le bien que l'hérésie peut provoquer n'est que d'occasion, tandis que le mal est dans son intention : il faut la traiter pour ce qu'elle vaut, et, au besoin, la châtier pour ce qu'elle veut; se souvenir cependant qu'il y a plus de tact à avoir dans la répression des « faux monnayeurs » de la doctrine que dans celle des falsificateurs d'or : « L'épreuve de votre foi est plus précieuse que l'or », dit saint Pierre (I Pierre, 1, 7).
À suivre : Ceux qui reviennent de l’hérésie, l'Église doit-elle les recevoir?
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
ARTICLE 4.
Ceux qui reviennent de l’hérésie, l'Église doit-elle les recevoir?
DIFFICULTES : 1. Oui, tout à fait, semble-t-il. Car il est dit en Jérémie au nom du Seigneur : « Tu t'es prostituée à de nombreux amants, reviens cependant vers moi, dit le Seigneur ». Or le jugement de l'Église c'est le jugement de Dieu, selon la parole du Deutéronome : «Vous écouterez le petit comme le grand, et vous ne ferez pas acception de la personne de chacun, car le jugement est de Dieu ». Donc, si d'aucuns se sont prostitués dans l'infidélité, qui est une prostitution spirituelle, il faut néanmoins les recevoir.
2. D'autre part, le Seigneur commande à Pierre de pardonner le péché d'un frère non pas seulement sept fois « mais jusqu'à septante fois sept fois », par quoi s'entend, selon l'interprétation de saint Jérôme, qu'il faut pardonner à quelqu'un autant de fois qu'il aura péché. Par conséquent, autant de fois que quelqu'un aura péché comme relaps dans l'hérésie, il devra être accueilli par l'Église.
3. D'ailleurs, l'hérésie c'est une infidélité. Mais les autres infidèles, lorsqu'ils veulent se convertir, sont accueillis par l'Église. Les hérétiques doivent donc l'être aussi.
à suivre...
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
ARTICLE 4.
Ceux qui reviennent de l’hérésie, l'Église doit-elle les recevoir? (suite)
CEPENDANT la Décrétale dit que « s'il en est qui après abjuration de leur erreur ont été pris comme étant retombés dans l'hérésie qu'ils avaient abjurée, il faut les abandonner au jugement séculier». Ils ne doivent donc pas être reçus par l'Église.
CONCLUSION : L'Église, selon l'institution du Seigneur, étend sa charité à tous, non seulement à ses amis, mais aussi à ses ennemis et persécuteurs, conformément à cette parole en saint Mathieu : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent ». Or il appartient à la charité et de vouloir le bien du prochain et de le faire. Mais il y a un double bien. [98]
— Il y en a un spirituel, le salut de l'âme : c'est ce bien que la charité regarde avant tout, car c'est lui que n'importe quelle personne doit par charité vouloir à autrui. Aussi à cet égard, lorsque les hérétiques reviennent, ils sont reçus par l'Église autant de fois qu'ils ont été relaps : ils sont admis à la pénitence par laquelle leur est procurée la voie du salut.
— Mais il y a un autre bien que la charité regarde en second lieu, c'est le bien temporel, comme est la vie corporelle, la possession des choses de ce monde, la bonne renommée et les dignités ecclésiastiques ou séculières. Ce bien, en effet, nous ne sommes tenus par charité de le vouloir pour d'autres que dans l'ordre du salut éternel et d'eux-mêmes et des autres. Dès lors, si quelqu'un de ces biens-là peut empêcher, en se trouvant dans un individu, le salut éternel dans un grand nombre, la charité n'exige pas que nous lui voulions cette sorte de bien, elle exige plutôt que nous voulions qu'il en soit privé : soit parce que le salut éternel doit être préféré au bien temporel, soit parce que le bien du grand nombre passe avant le bien d'un seul.
Or, si les hérétiques qui reviennent étaient toujours reçus avec assurance de demeurer en possession de la vie et des autres biens temporels, ce pourrait être au préjudice du salut des autres, soit parce que, s'ils retombaient, ils en gâteraient d'autres, soit parce que, s'ils échappaient sans châtiment, d'autres retomberaient plus sûrement dans l'hérésie. Il est dit en effet dans l'Ecclésiaste : « Dès lors qu'une sentence n'est pas vite portée contre les méchants, les enfants des hommes perpètrent le mal sans plus aucune crainte ».
Voilà pourquoi, ceux qui reviennent de l'hérésie pour la première fois, l'Église non seulement les admet à la pénitence mais aussi leur laisse la vie sauve, et parfois elle les remet dispensativement dans les dignités ecclésiastiques qu'ils avaient avant, s'ils ont l'air vraiment convertis. On lit même qu'elle a souvent fait cela pour le bien de la paix. Mais, quand ceux qu'on a accueillis retombent de nouveau, il semble que ce soit le signe de leur inconstance en matière de foi. C'est pourquoi, s'ils reviennent ultérieurement, ils sont bien admis à la pénitence, non pas cependant au point d'éviter la sentence de mort. [99]
notes explicatives:
[98] Qu. 11, art. 4, concl. init. — Même remarque que ci-dessus : plus l'exposé condescend aux dernières applications, plus il est rehaussé de premiers principes (cf. note 84). Comme on pourrait avoir ici l'impression d'une certaine dureté du droit, l'auteur nous ramène à la charité qui en doit demeurer l'inspiration. L'Église est animée de la charité du Christ, elle est une institution de charité. Comme son divin fondateur elle veut du bien et elle en fait, non pas seulement à ses amis mais même à ses ennemis. Lors même qu'elle est obligée de sévir, c'est toujours par charité. Elle a notamment la charité de la vérité. Cela donne le ton et l'esprit du statut concernant l'hérésie : il est empreint de sagesse politique en même temps que de charité chrétienne, il ne jette ni fanatisme dans les esprits ni sectarisme dans les cœurs.
[99] Qu. 11, art. 4, concl. fin. — Pensons qu'il y a dans la charité un ordre des biens à procurer et des devoirs à remplir. Nous avons ici de cet ordre même une application à laquelle il n'y a rien à objecter. C'est la réponse à la deuxième question au sujet des hérétiques, à savoir : lorsqu'au lieu de s'enfoncer dans l'hérésie ils en reviennent, comment les recevoir en toute charité?
1° Il y a un bien tout spirituel qu'on ne peut jamais leur refuser, c'est celui du salut de leur âme.
2° Il y a d'autres biens ou avantages temporels dont ils ont pu ou pourraient encore avoir le bénéfice, parmi lesquels le bien même de la vie : de tels avantages, la vraie charité, bien comprise et bien ordonnée, peut avoir à les leur refuser justement, soit en raison du salut de leur âme et pour leur procurer une bienfaisante expiation, soit en raison du salut des autres âmes et pour ménager à celles-ci une indispensable préservation. C'est net : on ne peut pas dire mieux, on ne peut rien dire contre. Cet exposé pourrait même servir de modèle en d'autres cas où il importe de comprendre et d'exercer comme il faut la sainte charité. Avouons que celle-ci est un amour fort : parce qu'elle sait aimer, elle saura même châtier. Vraie charité n'est pas vaine sensibilité.
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Re: L'HÉRÉSIE.
IIa-IIæ, qu. 11, par R. Bernard, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
ARTICLE 4.
Ceux qui reviennent de l’hérésie, l'Église doit-elle les recevoir? (suite)
SOLUTIONS : 1. Dans le jugement de Dieu on est toujours reçu lorsqu'on revient, parce que Dieu est le scrutateur des cœurs et qu'il connaît ceux qui reviennent vraiment. Mais ceci, l'Église ne peut pas l'imiter. Pour elle, ceux qui après avoir été accueillis de nouveau relaps, elle présume qu'ils n'ont pas fait un véritable retour. C'est pourquoi elle ne leur refuse pas la voie du salut mais ne les préserve pas du péril de mort. [100]
2. Le Seigneur parle à Pierre du péché qui a été commis contre lui Pierre : ce péché, toujours il faut le remettre et, quand un frère nous revient, lui pardonner. Mais cela ne s'entend pas du péché qui a été commis contre le prochain ou contre Dieu : ce péché, comme dit saint Jérôme, « il ne nous appartient pas de le remettre à notre gré », mais il y a dans ce cas une mesure établie par la loi selon qu'il sied à l'honneur de Dieu et à l'utilité du prochain. [101]
3. Les autres infidèles, eux, n'avaient jamais reçu la foi. C'est pourquoi, après qu'ils ont été convertis à la foi, ils ne montrent pas encore en matière de foi des signes d'inconstance comme font les hérétiques relaps. C'est pourquoi on ne peut pas raisonner de la même manière à propos des uns et des autres.
notes explicatives:
[100] Qu. 11, art. 4, sol. 1. — Bien qu'elle soit sûre que « ce qu'elle liera sur la terre sera lié dans le ciel », l'Église n'a pas la prétention que son jugement s'identifie absolument à celui de Dieu. Elle sait que l'assistance divine lui est accordée toujours, quoique pas pour tout au même degré. Elle l'a jusqu'au privilège d'infaillibilité lorsqu'il s'agit de l'enseignement de la foi, non point lorsqu'il s'agit du gouvernement des fidèles. Or il est évident que toutes ces questions relatives au traitement des hérétiques sont affaire de bon ordre et de gouvernement.
[101] Qu. 11, art. 4, soi. 2. — Distinction à retenir, entre les péchés dont le pardon est laissé à notre arbitrage, et même recommandé à notre générosité, parce que nous sommes les seuls lésés, et les péchés dont la rémission ne peut se faire que suivant l'ordre, celui des lois ou simplement celui des choses, dont on n'a pas le droit de s'écarter parce qu'il y va de l'honneur de Dieu et de l'utilité du prochain. En des temps qu'ont pervertis un individualisme sans frein et un libéralisme trompeur, beaucoup ne comprennent plus ce que peut exiger le culte dû à Dieu ou le bien du peuple de Dieu.
FIN
à suivre sur un prochain fil: l'apostasie.
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