L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
Après avoir parlé des divers objets de la charité, il faut voir dans quel ordre elle les embrasse [92]; et, à ce sujet, treize questions se posent : 1. Y a-t-il un ordre à observer dans la charité ? — 2. L'homme doit-il aimer Dieu plus que le prochain ? — 3. Plus que lui-même ? — 4. Doit-il s'aimer lui-même plus que le prochain ? — 5. Aimer le prochain plus que son propre corps ? — 6. Parmi le prochain doit-il aimer une personne plutôt qu'une autre ? — 7. Aimer celui qui est le meilleur ou celui qui lui tient de plus près ? — 8. Celui qui lui est uni par les liens du sang plus que celui qui lui est uni selon d'autres rapports ? — 9. Doit-il aimer, en charité, son fils plus que son père ? — 10. Sa mère plus que son père ? — 11. Sa femme plus que son père et sa mère ? — 12. Un bienfaiteur plus que celui qui reçoit le bienfait ? — 13. L'ordre de la charité subsiste-t-il dans la Patrie ?
note explicative:
[92] Qu. 26, prol. — Saint Thomas a étudié la nature de la charité (qu. 23); puis son sujet: notre volonté (qu. 24); ensuite, son objet, c'est-à-dire ceux que doit viser la dilection de la charité: Dieu, nous-mêmes, les autres. En passant, il a résolu les difficultés soulevées à propos de certaines catégories de ces "autres" qu'il semble malaisé d'engager dans la perspective de notre charité: les pécheurs, les ennemis, les anges et les démons (qu. 25). En somme, saint Thomas a seulement justifié l'énumération des différents objets de la charité. Maintenant (qu. 26), il va se demander s'il y a lieu d'établir un ordre au sein de cette classification. Notre charité peut-elle avoir des préférences ? Parmi ceux que nous aimons dans la charité, y en a-t-il qui doivent être aimés plus que d'autres ? Dieu doit-il être aimé plus que nous-mêmes ? nous-mêmes, plus que le prochain ? Et, parmi les divers prochains, en est-il qui doivent être préférés ?
Dans cette longue et complexe question 26, voici la marche générale de la démonstration :
1º question de principe: il y a nécessairement un ordre dans la charité (art. 1);
2º la place à faire à Dieu (art. 2 et 3);
3º la place à donner à soi-même (art. 4 et 5);
4º l'ordre dans l'amour du prochain (art. 6 à 12);
5º l'ordre de la charité au ciel (art. 12).
Il s'agit ici d'un ordre dans les objets. Cet ordre objectif commande l'ordre subjectif des sentiments chez celui qui a la charité, en vit intérieurement et en exerce le dévouement. Cependant, il arrive qu'en certaines circonstances, le degré des sentiments de la charité doive accuser plus d'intensité en face d'un même objet. Cet aspect subjectif de la charité viendra, nous le verrons, nuancer l'ordre rigide des objets.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 1. La charité comporte-t-elle un ordre ?
DIFFICULTES: 1. La charité est une vertu. Or, dans les autres vertus, on n'assigne pas d'ordre. Il n'y a donc pas à en assigner non plus dans la charité.
2. De même que l'objet de la foi est la vérité première, de même l'objet de la charité est le souverain bien. Or, on n'assigne pas d'ordre pour la foi: car on croit également toutes les vérités qu'elle enseigne. On ne peut donc pas non plus établir un ordre dans la charité.
3. La charité a pour siège la volonté. Or, ce n'est pas à la volonté, mais à la raison qu'il appartient d'ordonner. On ne doit donc pas supposer un ordre dans la charité.
CEPENDANT, on lit, dans le Cantique des Cantiques: "Le roi m'a fait entrer dans son cellier, et il a ordonné en moi la charité".
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 1. La charité comporte-t-elle un ordre ? (suite)
CONCLUSION: Comme le dit Aristote, antérieur et postérieur ne se disent que par rapport à un commencement. Or, un ordre implique qu'il y ait en lui quelque chose qui soit avant et quelque chose qui soit après. Aussi, partout où se trouve un commencement, existe-t-il nécessairement un ordre. Or, nous avons dit précédemment que l'amour de la charité tend vers Dieu comme vers le principe de la béatitude, sur la communication de laquelle est fondée l'amitié de la charité. Il s'ensuit que, dans les choses qui sont aimées de l'amour de la charité, il faut que se présente un certain ordre à observer, selon leur relation avec le premier principe de cet amour qui est Dieu [93].
note explicative:
[93] Qu. 26) art.1, concl. — Parmi ceux que la charité nous oblige d'aimer, un ordre hiérarchique s'impose. Là où il y a principe, il y a nécessairement ordre: qui dit principe dit commencement et implique une chose ou plusieurs choses qui viennent après. S'il y a pluralité, il y a nécessairement ordre entre les choses qui la composent, puisqu'elles dépendent du même principe. Or, dans la charité, il y a quelque chose de premier: c'est que nous aimions Dieu comme il s'aime, en vivant avec lui dans la participation de sa béatitude. Dieu, voilà le principe; voilà donc ce qui doit être premièrement aimé; ensuite viennent toutes les réalités à aimer pour Dieu et selon l'ordre de jonction qu'elles ont avec lui.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 1. La charité comporte-t-elle un ordre ? (suite)
SOLUTIONS: 1. La charité, nous l'avons vu, tend à la fin dernière et sous la raison même de fin dernière, chose qui ne convient à aucune autre vertu. Or, la fin a raison de principe, dans l'ordre de l'intention et de l'action, comme nous l'avons dit plus haut. Voilà pourquoi la charité se rapportant avant tout au premier principe, on marque particulièrement un ordre, dans la charité, par rapport à ce premier principe.
2. La foi appartient à la faculté de connaître, par l'opération de laquelle l'objet connu se trouve dans le sujet qui connaît. La charité réside dans la faculté affective; par son opération, l'âme tend vers les réalités elles-mêmes. Or, l'ordre réside principalement dans les réalités elles-mêmes; c'est de là qu'il en dérive jusqu'à notre connaissance. Et c'est pourquoi, l'on attribue un ordre à la charité plutôt qu'à la foi, quoique, d'une certaine manière, il y en ait un, dans celle-ci, en ce sens qu'elle a Dieu pour objet principal, et les vérités qui se rapportent à Dieu, pour objet secondaire.
3. L'ordre appartient à la raison, comme à la faculté qui ordonne; mais il appartient à la faculté appétitive, comme à la faculté ordonnée. Et c'est de cette manière qu'un ordre est établi dans la charité.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 2. Faut-il aimer Dieu plus que le prochain ?
DIFFICULTÉS: 1. Il est dit dans saint Jean: "Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?" Il suit que ce qui est le plus visible est le plus aimable; car, selon le Philosophe, la vision est le principe de l'amour. Or, Dieu est moins visible que le prochain. II est donc moins aimable pour la charité.
2. La similitude est la cause de l'amour, selon cette parole de l'Ecclésiastique: "Tout être vivant aime son semblable". Or, il y a plus de ressemblance entre l'homme et son prochain qu'entre l'homme et Dieu. L'homme aime donc son prochain plus que Dieu par la charité.
3. Selon saint Augustin, c'est Dieu que la charité aime dans le prochain. Or, Dieu n'est pas plus grand, considéré en lui-même, qu'il ne l'est dans le prochain. Il ne doit donc pas être plus aimé en lui-même que dans le prochain. Par conséquent, Dieu ne doit être pas plus aimé que le prochain.
CEPENDANT, on doit aimer davantage ce à cause de quoi l'on doit haïr d'autres choses. Or, à cause de Dieu nous devons haïr, parmi notre prochain, ceux qui nous éloigneraient de Dieu, selon ces paroles de l'Evangile: "Si quelqu'un vient à moi, et s'il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses fils, ses frères, ses sœurs, il ne peut être mon disciple". Nous devons donc aimer Dieu plus que notre prochain, par la charité.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 2. Faut-il aimer Dieu plus que le prochain ? (suite)
CONCLUSION: Toute amitié regarde principalement l'objet où se trouve principalement le bien sur la participation duquel elle est fondée; c'est ainsi que l'amitié politique a surtout égard au chef de l'Etat, dont dépend tout le bien public; c'est à lui surtout que les sujets doivent fidélité et obéissance. L'amitié de la charité se fonde sur la communication de la béatitude, qui réside essentiellement en Dieu comme dans son premier principe, d'où elle dérive en tous les êtres qui sont aptes à la posséder. C'est donc Dieu qui, par la charité, doit être aimé principalement et par-dessus tout; il est alors aimé comme la cause de la béatitude, tandis que le prochain est aimé comme participant, en même temps que nous, à la béatitude [94].
note explicative:
[94] Qu. 26, art. 2, concl. — C'est donc Dieu qui, par notre charité, doit être aimé le premier. Tout d'abord, nous l'aimerons plus que notre prochain. Dans une société bien organisée, c'est le chef qui est aimé avant tout le monde. Il est le détenteur et l'arbitre du bien commun et donc, il est la raison d'aimer ceux qui participent à ce bien commun. II représente une valeur hors de pair: il est l'homme nécessaire, celui qui répond du bien-être et de la félicité des citoyens. Le motif, pour ceux-ci, de s'aimer entre eux est précisément le bien commun auquel ils sont ordonnés et dont le chef assure le maintien et l'intégrité. C'est donc à celui qui est le chef du groupement, la tête de la cité, que doivent aller d'abord la fidélité et le dévouement de tous. Dans la charité surnaturelle, le motif, pour nous, d'aimer les autres hommes, c'est qu'ils sont destinés avec nous au même bien souverain, à la même béatitude.
Par conséquent, celui qui nous garantit la possession de cette béatitude et qui est pour nous le motif d'aimer tous ceux qui y participeront avec nous, doit être aimé avant tout autre. Dieu est ce principe de notre béatitude, le bien souverain et béatifiant. Il doit donc être le préféré, le plus aimé. En fait d'amabilité, il dépasse tout. Il est le seul qu'il faille aimer pour lui-même, sans mesure, totalement; tout ce qui vaut d'être aimé en dehors de lui ne peut être aimé qu'à cause de lui.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 2. Faut-il aimer Dieu plus que le prochain ? (suite)
SOLUTIONS : 1. Une chose est cause de l'amour de deux manières. Premièrement, comme étant ce qui motive l'amour; et c'est de cette façon que le bien est la cause de l'amour, puisqu'un être est aimé pour autant qu'il est bon. Secondement, une chose est cause de l'amour, en tant qu'elle se présente comme le chemin qui y conduit. Et c'est ainsi que la vision est la cause de l'amour, non pas qu'un être soit aimable en raison de sa visibilité, mais parce que, par la vision, nous sommes amenés à l'aimer. Il ne suit donc pas de ce qu'une chose est plus visible, qu'elle soit plus aimable, mais seulement qu'elle remplisse mieux la première condition de l'amour. C'est en ce sens que raisonne l'Apôtre. Nous avons l'occasion d'aimer notre prochain en premier lieu, parce qu'il est plus visible; en effet, "l'âme apprend, par ce qu'elle connaît, à aimer ce qu'elle ne connaît pas", dit saint Grégoire. Si donc quelqu'un n'aime pas son prochain, on pourra en arguer qu'il n'aime pas Dieu, non pas que le prochain soit plus aimable que Dieu, mais parce qu'il s'offre le premier à notre amour. Au demeurant, Dieu reste le plus aimable, à cause de sa plus grande bonté [95].
2. La similitude que nous avons avec Dieu précède et cause la similitude que nous avons avec le prochain. C'est, en effet, parce que nous recevons de Dieu ce que notre prochain en reçoit lui aussi, que nous devenons semblables à notre prochain. Et voilà pourquoi, en raison de la similitude, nous devons aimer Dieu plus que notre prochain.
3. Dieu, considéré en sa substance, est égal à lui-même, où qu'il soit, parce qu'il ne saurait s'amoindrir en existant dans une créature. Cependant, le prochain ne possède pas la bonté de Dieu comme Dieu la possède; car Dieu la possède essentiellement, le prochain ne la possède que par participation.
note explicative:
[95] Qu. 26 art. 2, sol. 1. — Le prochain est pour nous plus visible que Dieu; il est immédiatement devant nous, à notre niveau et par conséquent plus accessible à nos dévouements de charité, tandis que nous ne touchons Dieu qu'à travers la foi. On comprend, dès lors, que la charité puisse être plus spontanée et même plus abondante dans ses réalisations à l'égard du prochain qu'à l'égard de Dieu. Il y a des âmes dont la charité se prodigue au soulagement de la misère humaine avec plus d'application et de ferveur, semble-t-il, qu'à exprimer à Dieu leur amour. Cependant, dans ce cas même, si la charité pour le prochain est vraiment surnaturelle, elle s'inspire directement de la charité pour Dieu. Si donc l'on considère la cause de la charité, rien ne peut enlever à Dieu sa prééminence; et, d'ailleurs, l'exercice même de la charité pour le prochain, revivifie la charité pour Dieu; et ainsi, l'on avance dans l'amour de Dieu par la pratique de l'amour du prochain.
Au surplus, le premier est contrôlé par second: Notre Seigneur n'a-t-il pas dit: "On reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres" ? (Jean XIII, 35)
Théoriquement, dans la conviction de notre foi et le consentement de notre charité, cette préférence donnée à Dieu n'offre pas de difficulté. Mais voici une objection: N'arrive-t-il pas qu'en fait, nous éprouvions pour ceux de nos proches qui sont nos amis, nos parents, nos intimes, un sentiment d'attachement plus vif que pour Dieu ? Est-ce qu'à certaines heures, l'amour de Dieu, bien que très réel dans sa fidélité profonde, ne nous laisse pas froids, insensibles et sans consolation ? Mais, alors, y aurait-il faute à aimer ainsi, avec une ferveur plus grande et une joie plus sentie, nos amis que Dieu ?
— Il faut distinguer ici le point de vue appréciatif du point de vue sentiment, l'attachement de l'amour de la ferveur de l'amour. Déjà, dans l'ordre naturel, il peut se faire qu'une amitié se portant sur quelqu'un s'accompagne d'une vive intensité d'affection, alors que, dans notre appréciation et notre consentement intérieur, nous estimions une autre personne plus digne d'être aimée et plus méritante de notre dévouement. Quand nous aimons, dans la charité fraternelle, ceux auxquels nous lie déjà l'amitié humaine, il est normal que notre sentiment de charité s'accroisse de l'élan chaleureux de notre affection. Est-ce à dire, pour cela, que nous estimions nos amis comme les gens les plus vertueux du monde et supérieurs en mérites à tous les autres ? Dans la conviction de notre conscience surnaturelle, nous admettons sans peine que l'amabilité de Dieu l'emporte sur toute amabilité humaine, mais, au point de vue de la ferveur et de la satisfaction goûtée, nous pouvons ressentir davantage notre affection pour telle ou telle personne à laquelle nous attache un profond amour. Cela ne fausse nullement notre juste estimation des choses; car il est bien entendu que nous sommes plus attachés à Dieu qu'à tout autre, prêts à faire pour lui ce que nous ne ferions jamais pour l'ami le plus cher. Est-ce que nous voudrions offenser Dieu et le trahir, pour plaire à nos amitiés humaines ? Est-ce que, pour répondre à l'appel du divin amour, nous ne quittons pas des foyers de tendresse et des présences douces, consentant à mettre, entre nous et ceux que nous aimons le plus, des revoirs distants et espacés et parfois des séparations terribles qui dureront jusqu'à la mort ?
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P.; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 3.
L’homme doit-il, en charité, aimer Dieu plus que lui-même ?
DIFFICULTÉS: 1. Aristote dit: "L'amitié qu'on a pour autrui vient de l'amitié qu'on a pour soi-même". Or, la cause l'emporte sur l'effet. L'homme a donc plus d'amitié pour lui-même que pour tout autre. Il en résulte donc qu'il doit s'aimer plus que Dieu.
2. Quel que soit l'être que l'on aime, on l'aime à raison du bien qui est en lui. Or, le motif qui fait aimer une chose est plus aimé que cette chose même; de même que, dans l'ordre de la connaissance, les principes qui sont la raison de connaître sont mieux connus que ce qu'ils font connaître. L'homme s'aime donc plus que tout autre bien qu'il aime. Il n'aime donc pas Dieu plus que lui-même,
3. Autant on aime Dieu, autant on aime à jouir de lui. Or, on ne peut aimer à jouir de Dieu qu'autant que l'on s'aime soi-même; car c'est là le plus grand bien qu'on puisse vouloir à soi-même. Il en résulte donc que l'homme ne doit pas aimer Dieu plus que lui-même par la charité.
CEPENDANT, Saint Augustin dit: "Si tu dois t'aimer toi-même, non pour toi-même, mais pour celui en qui se trouve la fin la plus légitime de ton amour, que nul autre homme ne se plaigne si tu l'aimes lui aussi pour Dieu". Or, ce par quoi une chose est telle est à plus forte raison tel. L'homme est donc tenu d'aimer Dieu plus que soi-même.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 3.
L’homme doit-il, en charité, aimer Dieu plus que lui-même ? (suite)
CONCLUSION: Nous pouvons recevoir de Dieu deux sortes de biens: le bien de la nature et celui de la grâce. Sur la communication des biens naturels que Dieu nous a faite, se fonde l'amour naturel; et c'est aussi de cet amour que, dans l'état de nature intègre, l'homme aime Dieu par-dessus toutes choses et plus que lui-même. Non point l'homme seulement, mais encore, toute créature l'aime, à sa manière, savoir: par l'amour intellectuel ou raisonnable, ou animal, ou à tout le moins naturel, comme les pierres et les êtres privés de connaissance; en effet, dans un tout, chaque partie aime naturellement le bien commun de ce tout plus que son bien propre et particulier. Et cela se manifeste par les actes; chaque partie a une inclination primordiale pour l'action commune qui se propose l'utilité du tout. Cela se réalise dans les vertus politiques, selon lesquelles les citoyens souffrent dommage en leurs biens et parfois en leur personne, en vue du bien commun. Cela se vérifie plus encore dans l'amitié de la charité, qui est fondée sur la communication des dons de la grâce. Aussi, l'homme est-il tenu, par la charité, d'aimer Dieu, qui est le bien commun de tous, plus que lui-même; en effet, la béatitude réside en Dieu, comme dans la source et le principe commun de tous ceux qui peuvent la partager [96].
note explicative:
[96] Qu. 26, art. 3, concl. — Nous devons aimer Dieu plus que notre prochain, mais devons-nous aimer Dieu plus que nous-mêmes? — Oui, dit saint Thomas; et c'est une très belle doctrine. Déjà, dans l'ordre naturel, nous devons aimer Dieu plus que nous-mêmes. Par notre seule raison, nous voyons avec évidence que Dieu est le principe de tout et qu'il possède par conséquent une valeur suprême d'amabilité. Cette prééminence de cause créatrice fait que toute créature, même sans conscience, aime Dieu plus qu'elle-même; car elle est une partie du tout dont Dieu est la clef de voûte. Sans le savoir, son activité s'incline naturellement au bien du tout et à la gloire de Dieu.
Or, une partie doit aimer le tout plus qu'elle-même; car son bien, en tant que partie, dépend du bien du tout. Elle doit être prête à se dévouer, à sacrifier son existence même pour que le tout subsiste. C'est là le fondement métaphysique de la justice sociale. Ce principe commande, par exemple, le dévouement patriotique: les citoyens, étant parties de ce tout qu'est la société, doivent, si cela est nécessaire, souffrir, se priver, donner même leur vie pour le salut de la patrie. A plus forte raison, dans l'ordre surnaturel, nous devons aimer Dieu plus que nous-mêmes. Dieu est le bien surnaturel que tous, notre prochain et nous-mêmes, sommes appelés à recevoir de la magnificence de sa bonté. Dieu est donc plus grand que nous en perfection et en valeur d'amabilité. Qu'avons-nous que nous n'ayons reçu de lui, aussi bien dans l'ordre de la nature que dans l'ordre de la grâce ? Cette perfection surnaturelle qui est en nous, par pure gratuité, est pourtant le motif de nous aimer nous-mêmes dans la charité. Que celle-ci s'adresse donc d'abord à celui qui en est la cause donatrice. Devant l'esprit comme devant le cœur, la cause vaut mieux que l'effet, celui qui possède tout que celui qui n'a rien par lui-même, pas même l'amour qu'il doit à son bienfaiteur.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 3.
L’homme doit-il, en charité, aimer Dieu plus que lui-même ? (suite)
SOLUTIONS: 1. Aristote parle de l'amitié que nous avons pour nos semblables, en qui le bien, objet de l'amitié, ne se trouve que d'une manière limitée; il ne parle pas de l'amitié qui a pour objet celui qui renferme la totalité du bien [97].
2. La partie aime, sans doute, le bien du tout, parce que ce bien lui convient; mais elle l'aime de telle façon qu'au lieu de rapporter à elle-même le bien du tout, c'est elle-même qu'elle rapporte au bien du tout.
3. Désirer jouir de Dieu, c'est aimer Dieu d'un amour de concupiscence. Or, nous aimons Dieu par amour d'amitié plus que par amour de concupiscence; car le bien divin est plus grand en soi que le bien qui peut résulter pour nous de sa jouissance. C'est pourquoi, absolument parlant, l'homme aime Dieu plus que lui-même par la charité [98].
notes explicatives:
[97] Qu. 26, art. 3, sol, 1. — Dans l'amitié humaine, nous nous aimons plus nous-mêmes que nous n'aimons nos amis; nous voulons leur vertu, parce que nous voulons la nôtre. A l'article suivant, saint Thomas dira que, par la charité, nous devons nous aimer plus que le prochain, celui-ci fût-il parent ou ami. Ici, il y a préférence d'un bien particulier, le nôtre, à un autre bien particulier, celui d'autrui. Mais Dieu est le bien suprême; il est tout le bien. Son amabilité est, de toute façon, prévalente: nous devons l'aimer plus que nous-mêmes.
[98] Qu. 26, art. 3, sol. 3. — Jouir d'aimer Dieu et de la béatitude dont il nous comblera est chose légitime; mais c'est là une conséquence de l'union de la charité et non pas son motif. En tout cas, cette jouissance est un bien particulier que nous ne pouvons pas, en toute rectitude de charité, préférer au Bien absolu. Nous devons aimer Dieu d'abord, puis nous-mêmes: ensuite, en nous-mêmes, ce bien le plus haut : la charité; enfin, la béatitude dont cette charité est pour nous la source.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 4.
L'homme doit-il s'aimer lui-même, en charité, plus que son prochain ?
DIFFICULTES: 1. C'est Dieu qui est le principal objet de la charité, comme on l'a dit précédemment. Or, il y a parfois, parmi le prochain, telle personne qui est plus unie à Dieu qu'on ne l'est soi-même. Dans ce cas, il faudra aimer cette personne plus que soi-même.
2. C'est celui que nous aimons le plus que nous nous employons à préserver de tout dommage. Or, par la charité, l'homme consent à subir lui-même du détriment, afin de l'éviter à son prochain, selon cette parole des Proverbes "Celui-là est juste qui, à cause d'un ami, ne fait pas attention à la perte qu'il éprouve". L'homme est donc tenu, en charité, d'aimer autrui plus que lui-même.
3. Nous lisons, dans saint Paul: "La charité ne recherche point son avantage". Or, celui dont nous recherchons le plus l'avantage est celui que nous aimons le plus. Par charité, l'homme ne s'aime donc pas lui-même plus que son prochain.
CEPENDANT, nous lisons, dans l'Ecriture: "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". On peut en conclure que l'amour de l'homme pour lui-même est comme le modèle de l'amour qu'il doit avoir pour le prochain. Or, le modèle l'emporte sur la copie. L'homme doit donc, en charité, s'aimer lui-même plus que son prochain.
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L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 4.
L'homme doit-il s'aimer lui-même, en charité, plus que son prochain ? (suite)
CONCLUSION: Il y a deux éléments dans l'homme: sa nature spirituelle et sa nature corporelles. On dit que l'homme s'aime lui-même, lorsqu'il s'aime selon sa nature spirituelle, comme nous l'avons dit précédemment. Et sous ce rapport, l'homme est tenu de s'aimer, après Dieu, plus que quiconque. Cela ressort du motif même de l'amour. Comme nous l'avons vu plus haut, Dieu est aimé comme le principe du bien sur lequel est fondé l'amour de la charité; l'homme s'aime lui-même, en charité, parce qu'il participe à ce bien; le prochain est aimé parce qu'il lui est associé dans cette participation.
Or, cette association est un motif d'amour; car elle implique une certaine union en Dieu entre l'homme et son prochain. Par conséquent, de même que l'unité l'emporte sur l'union, de même la participation de l'homme au bien divin est un motif d'aimer qui l'emporte sur le motif d'aimer un autre homme parce qu'il est associé avec lui dans la participation de ce même bien divin. Voilà pourquoi l'homme doit s'aimer lui-même par charité plus que son prochain. La preuve en est que l'homme ne doit pas, pour empêcher son prochain de pécher, encourir lui-même le mal spirituel du péché qui l'écarterait de la béatitude [99].
note explicative:
[99] Qu. 26, art. 4, concl. — Si nous comparons Dieu et nous mêmes en regard de la préférence de notre charité, cette préférence, nous venons de le voir, doit se porter sur Dieu. Maintenant, saint Thomas nous invite à instituer la comparaison entre le prochain et nous-mêmes; et il déclare que nous devons nous aimer nous-mêmes plus que le prochain. "Charité bien ordonnée commence par soi-même". Cet adage est souvent employé pour servir nos égoïsmes; mais il vaut cependant, si on l'entend bien, et il contresigne l'ordre obligé de la charité: nous devons nous aimer plus que les autres, c'est-à-dire vaquer d'abord à notre perfection surnaturelle, à notre sanctification, à notre salut, nous y employer en premier lieu. Pourquoi cela ? Nous aimons Dieu qui nous aime et nous appelle à sa béatitude. Nous aimons nos frères humains, aimés de Dieu et associés avec nous dans !a participation du bien divin.
Or, ce qui fait partie de nous-mêmes est plus nous-mêmes, c'est-à-dire nous touche et nous oblige de plus près, que ce qui s'unit à nous seulement par association et co-participation. N'aimons-nous pas la vertu pour notre propre compte, avant de l'aimer chez les autres, que nous aimons pourtant pour leur vertu ? Consentirions-nous jamais à perdre la charité surnaturelle pour la faire obtenir à un autre, à offenser Dieu pour que d'autres ne l'offensent pas ? C'est donc que nous préférons en nous la charité surnaturelle, avant de l'aimer chez les autres. (gras ajoutés.)
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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Re: L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 4.
L'homme doit-il s'aimer lui-même, en charité, plus que son prochain ? (suite)
SOLUTIONS: 1. L'amour de la chanté ne se mesure pas seulement sur l'objet qui est Dieu, mais aussi sur le sujet qui aime, savoir l'homme qui possède la charité; d'ailleurs la mesure de toute action dépend, de quelque façon, du sujet même qui agit. C'est pourquoi, à supposer que le prochain, étant meilleur, soit plus proche de Dieu, cependant parce qu'il n'est pas aussi proche de celui qui possède la charité que ce dernier l'est de lui-même, on ne peut pas en conclure que l'homme doive aimer son prochain plus que lui-même [100].
2. L'homme doit accepter pour un ami des dommages corporels; et, ce faisant, il s'aime davantage selon la partie spirituelle de lui-même, car cela relève de la perfection de la vertu, qui est le bien de l'âme. Mais, quant à encourir un dommage spirituel en péchant lui-même pour éviter le péché du prochain, l'homme ne le doit pas, comme il a été dit.
3. Ces paroles: "La charité ne recherche pas son avantage", signifient, selon saint Augustin, que "la charité préfère le bien commun au bien propre". Or, pour tout être, le bien commun est plus aimable que son propre bien; c'est ainsi que, pour la partie, le bien du tout est plus aimable que le bien partiel qui est le sien, comme il a été dit plus haut.
note explicative:
[100] Qu. 26, art. 4, sol. 1. — Il faut bien entendre cette priorité de l'amour de nous-mêmes. Elle ne doit pas se prendre, à proprement parler, du côté de l'objet: il y a des âmes qui spirituellement valent mieux que nous et qui, pour ce motif, sont plus aimées de Dieu que nous ne le sommes. Mais, il faut entendre cette préférence du côté du sujet, c'est-à-dire du côté de nous: elle est faite d'une attitude privilégiée de bienveillance et d'un soin particulier de bienfaisance. De par la volonté de Dieu, nous sommes d'abord chargés de nous-mêmes, de nos progrès vertueux et de notre salut, avant d'être chargés des autres et de leur sanctification. D'ailleurs, cette préférence n'a rien qui puisse nous enfermer dans l'égoïsme et ralentir le zèle de notre charité fraternelle. Avoir, comme premier souci, nos intérêts spirituels est le meilleur apprentissage du dévouement affectueux et incessant que nous devons aux intérêts spirituels de nos frères. Déjà dans l'ordre humain, l'amitié qu'on a pour soi n'a jamais sa pareille ni son égale pour quiconque. Apprenons donc à nous aimer nous-mêmes avec une vraie charité, pour y trouver le modèle de notre charité pour le prochain.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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Re: L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 5.
L’homme doit-il aimer son prochain plus que son propre corps ?
DIFFICULTES: 1. Quand on parle du prochain, on entend parler de son corps [en même temps que de son âme]. Si donc l'homme est tenu d'aimer son prochain plus que son propre corps, il est aussi tenu d'aimer le corps de son prochain plus que son propre corps.
2. L'homme est tenu d'aimer son âme plus que son prochain, comme il a été dit. Or, notre propre corps est plus proche de notre âme que ne l'est notre prochain. Nous devons donc aimer notre propre corps plus que notre prochain.
3. Chacun expose ce qu'il aime moins, pour sauver ce qu'il aime le plus. Or, tout homme n'est pas tenu d'exposer son propre corps pour le salut de son prochain; c'est là le propre des parfaits, selon cette parole: "Il n'y a pas de charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis". L'homme n'est donc pas tenu, par la charité, d'aimer son prochain plus que son propre corps.
CEPENDANT, saint Augustin dit: "Nous sommes tenus d'aimer notre prochain plus que notre propre corps".
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 5.
L’homme doit-il aimer son prochain plus que son propre corps ? (suite)
CONCLUSION: C'est ce qui est le plus pleinement aimable selon la charité qui doit être le plus aimé par la charité, comme nous l'avons dit. Or, le motif de l'amour que nous devons avoir pour le prochain est qu'il est associé avec nous dans la participation plénière de la béatitude; et ce motif est plus puissant que celui qui résulte de la participation à la béatitude par rejaillissement, en quoi réside le motif d'aimer notre propre corps. Et c'est pourquoi, en ce qui intéresse le salut de son âme, nous devons aimer le prochain plus que notre propre corps [101].
note explicative:
[101] Qu. 26, art. 5, concl. — Quand nous disons qu'en charité nous devons nous aimer nous-mêmes plus que le prochain, c'est notre nature spirituelle que nous comparons à la nature spirituelle du prochain. Mais, nous sommes corps et âme, et notre prochain est corps et âme. Et voici de nouvelles questions: devons-nous aimer notre corps plus que le corps du prochain; et notre corps plus que l'âme du prochain ?
— Saint Thomas ne soulève pas la première question, mais la réponse se devine. Notre corps, que nous aimons dans la charité comme associé à notre âme dans la sanctification et la glorification, nous est plus uni que le corps du prochain. C'est pourquoi, à ne regarder que les corps eux-mêmes, leur sauvegarde ou leur existence, abstraction faite des intérêts spirituels qui peuvent venir s'y mêler et modifier l'estimation des choses, on doit dire: la charité ne nous oblige pas à préférer le corps du prochain au nôtre et à sacrifier, le cas échéant, notre corps pour le sien.
Ce n'est pas une obligation de la charité de risquer la mort pour sauver la vie corporelle de tout venant et à tout propos. — Cependant, l'enjeu peut se présenter, non plus de notre corps et du corps du prochain, mais de notre corps et des intérêts spirituels du prochain. Et ainsi se pose la nouvelle question, celle du présent article: devons-nous aimer l'âme du prochain plus que notre corps ? Oui, répond saint Thomas. L'âme de notre prochain représente devant Dieu un bien de plus grande valeur que le bien de notre corps. Dans l'appréciation et l'amour de notre charité, il devra en être ainsi. C'est l'âme qui est héritière de la béatitude éternelle du ciel, le corps y sera seulement glorifié comme un associé de l'âme et parce qu'il aura été ici-bas l'instrument de la sanctification. Le salut du prochain et ses intérêts spirituels doivent donc, devant l'amour et le dévouement de notre charité, prendre plus d'importance que l'existence terrestre de notre corps et même plus que sa glorification céleste. Par la charité, nous nous aimons corps et âme, mais la priorité doit aller à notre âme sanctifiée ou à sanctifier; de même nous aimons notre prochain, tel qu'il est, corps et âme, mais la priorité doit aller au salut de son âme de préférence à son corps et à notre propre corps.
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 5.
L’homme doit-il aimer son prochain plus que son propre corps ? (suite)
SOLUTIONS: 1. Selon Aristote, "une chose paraît être ce qu'il y a de principal en elle". Aussi, par l'obligation d'aimer notre prochain plus que notre propre corps, faut-il entendre qu'il s'agit de son âme, qui est la partie principale de son être.
2. Notre corps est plus proche de notre âme que ne l'est notre prochain, si l'on considère la constitution de notre propre nature. Mais, relativement à la participation de la béatitude, il y a relation plus étroite entre l'âme de notre prochain et la nôtre qu'entre celle-ci et notre propre corps.
3. Tout homme est chargé du soin de son propre corps; mais tout homme n'est pas chargé de veiller au salut du prochain, si ce n'est dans un cas particulier. C'est pourquoi il n'est pas essentiel à la charité d'exposer notre corps pour le salut du prochain, hormis le cas où il y a obligation de pourvoir à son salut. Qu'en dehors de ce cas, quelqu'un s'offre spontanément dans ce but, ceci appartient à la perfection de la charité [102].
note explicative:
[102] Qu. 26, art. 5, sol. 3. — Les applications pratiques des principes qui viennent d'être dits ne vont pas sans de très grandes difficultés. Jusqu'à quel point la prudence, la justice et la charité permettent-elles à quelqu'un d'exposer sa vie corporelle pour subvenir aux intérêts spirituels d'un autre ?
— Bien des distinctions doivent ici intervenir. Le prochain est-il en urgente et extrême nécessité spirituelle, ou bien en danger non immédiat ? Celui qui est prêt à se dévouer, va-t-il s'exposer à la mort ou bien à un détriment moins grave ou à un dommage seulement léger? D'autre part, est-il tenu à ce dévouement par un devoir de justice (par exemple par devoir professionnel ou fonction de ministère sacerdotal), avant d'y être tenu par devoir de charité ? Et encore, ce devoir de charité, faut-il l'entendre, selon le cas, d'une obligation stricte de la charité ou seulement d'une exigence prise à la perfection de la charité? On le voit, les situations sont complexes et compliquées et nous ne saurions tenter de résoudre ici toutes les difficultés soulevées par le conflit entre le dévouement dû à l'âme du prochain et la charité que nous nous devons à nous-mêmes. (à ce propos, voir P. Priimmer, O. P. Manuale Theologize Moralis, t. 1, n° 583 et sv<).
— Voici cependant quelques règles: Pour être tenus de secourir, au péril de notre vie, le prochain qui se trouve en extrême et urgente nécessité spirituelle, par exemple, pour nous exposer à être brûlés vifs en allant baptiser un enfant qui va périr dans les flammes, il faut tout d'abord être certain que le résultat visé sera obtenu. De plus, il faut qu'un bien plus grand à sauvegarder ne s'y oppose pas. Au cours d'une attaque, un aumônier militaire n'a pas à se précipiter tout de suite à travers les balles pour secourir le premier soldat blessé, quand tout à l'heure, vingt autres blessés auront besoin d'un secours pareil et ne l'auront plus si le prêtre s'est risqué témérairement. En dehors de ces restrictions, c'est un acte de charité que d'exposer sa vie pour sauver spirituellement le prochain qui se trouve en extrême nécessité, c'est-à-dire dans le cas où son salut éternel dépend immédiatement de cet acte héroïque.
Si l'on a charge d'âmes, on est tenu à ce dévouement périlleux. Un curé doit administrer les derniers sacrements à un de ses paroissiens contagieux et mourant, au risque de prendre lui-même la contagion: il y a là un devoir de justice et de ministère sacré, en même temps qu'une obligation stricte de charité. Cependant, cet héroïsme ne serait pas dans l'obligation stricte de la charité, mais relèverait seulement de la perfection de cette même charité, si, n'ayant pas charge d'âme, on s'exposait à la mort pour sauver une âme en péril et quand, il n'y aurait que ce moyen de la sauver. Dans un cas de besoin spirituel, non plus extrême ni immédiat, mais cependant sérieux, on n'est point tenu, par charité, de secourir autrui en s'exposant à la mort ou en s'attirant de grands dommages. A plus forte raison, si le besoin du prochain ne présente aucune gravité ni urgence.
— Dans la solution pratique de tous ces cas, le discernement de la prudence doit jouer un rôle capital: il s'agit non seulement de juger exactement des faits et de leurs circonstances, mais encore de tenir un juste milieu entre une charité à contre-temps et un égoïsme absolu qui refuserait toute entr'aide, dès que menacerait le moindre inconvénient. Entre tout perdre inconsidérément, et perdre quelque chose de ses aises, il y a de la marge. Peut-on concevoir un dévouement de charité qui n'accepterait pas quelque sacrifice ? C'est bien le cas de redire ici la sentence du P. Lacordaire : "L'immolation est la moitié généreuse de l'amour, et nul ne sait aimer qui ne sait s'immoler".
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 6.
Parmi le prochain, y a-t-il telle personne que nous devions aimer plus que telle autre ?
DIFFICULTÉS: 1. Saint Augustin dit: "Tous les hommes doivent être aimés également. Mais, comme il ne vous est pas possible d'être utile à tous, vous devez principalement vous intéresser à ceux qui, à raison des circonstances de lieu et de temps, ou pour d'autres motifs, ont avec vous quelque rapport plus étroit". On n'est donc pas obligé d'aimer telle personne plutôt que telle autre.
2. S'il n'y a qu'une seule et même manière d'aimer divers individus, on ne doit pas les aimer différemment. Or, il n'y a qu'une seule raison d'aimer tous ceux qui composent notre prochain et cette raison c'est Dieu, comme le dit saint Augustin. Nous devons donc aimer également tous les hommes qui sont notre prochain.
3. "Aimer, dit Aristote, c'est vouloir du bien à quelqu'un". Or, c'est un bien égal, la vie éternelle, que nous voulons à tous nos semblables. Donc, nous devons les aimer tous également.
CEPENDANT, quelqu'un doit être d'autant plus aimé que celui qui agit contrairement à cet amour pèche plus grièvement. Or, c'est un péché plus grave d'agir contrairement à l'amour de certaines personnes que d'agir contrairement à l'amour de certaines autres. De là, ce précepte du Lévitique: "Que celui qui aura maudit son père ou sa mère, soit puni de mort", peine qui n'est pas ordonnée contre ceux qui maudissent d'autres individus. Donc, parmi ceux qui constituent le prochain, il en est certains que nous devons aimer plus que les autres.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 6.
Parmi le prochain, y a-t-il telle personne que nous devions aimer plus que telle autre ? (suite)
CONCLUSION: Il y a deux opinions au sujet de la présente question. Plusieurs, en effet, ont dit que tous ceux qui constituent le prochain doivent être aimés également, quant à l'affection, mais non pas quant aux réalisations effectives extérieures; et cela, parce que, d'après eux, l'ordre de la charité se manifeste dans les bienfaits extérieurs, que nous devons à nos proches plutôt qu'à ceux qui nous sont étrangers; il ne consiste pas dans l'affection intérieure, que nous devons, égale, à tous, même à nos ennemis.
Mais, c'est là une affirmation déraisonnable. En effet, l'affection de la charité, qui est une inclination de la grâce, n'est pas moins bien ordonnée que l'appétit naturel qui est une inclination de la nature; car l'une et l'autre de ces inclinations procèdent de la sagesse divine. Or, nous voyons que, dans les choses naturelles, l'inclination de la nature est toujours proportionnée à l'acte ou au mouvement qui convient à la nature de chaque être: ainsi la terre a une plus forte inclination à la pesanteur que l'eau, parce qu'il est dans sa nature d'être au-dessous de l'eau. Il faut donc que l'inclination de la grâce, qui est l'affection de la charité, soit proportionnée aux actes extérieurs qu'elle doit poser; de telle sorte que l'affection de notre charité soit plus intense pour ceux à l'égard desquels il convient que nous soyons plus bienfaisants.
Ainsi donc, il faut conclure que, même sous le rapport de l'affection, nous devons aimer certains individus plus que d'autres. Et en voici la raison: Dieu et celui qui aime étant les principes de l'amour, il est nécessaire qu'il y ait un plus grand sentiment de dilection, selon que celui qui en est l'objet est plus rapproché de l'un de ces deux principes. Car, comme il a été dit plus haut, partout où il y a un principe, l'ordre se mesure par rapport à ce principe [103].
note explicative:
[103] Qu. 26, art. 6, Concl. — Saint Thomas a établi que, par la charité, nous devons aimer Dieu plus que nous-mêmes, et nous-mêmes plus que le prochain. Maintenant, il se place en face de ce prochain qui comprend la multitude de nos frères en destinée surnaturelle, et il se demande s'il y en a, parmi eux, que nous devons aimer davantage. Eh bien oui, dans l'amour de charité pour le prochain, il y a place pour des préférences. Les articles 6, 7 et 8 vont en donner les raisons et justifier l'inégalité de nos amours de charité. Les articles 9, 10, 11 et 12 en relateront les cas particuliers les plus typiques.
Saint Thomas va à rencontre d'une opinion qui avait cours de son temps, et qui, de prime abord, semble assez plausible. D'après cette opinion, notre charité doit aimer tous les hommes également, parce que tous les hommes sont aimés de Dieu et appelés au salut. Si l'on parle de préférences, il faut les entendre, continue cette opinion, uniquement dans l'ordre des dévouements extérieurs de la charité; car il est bien vrai que nous ne pouvons, en fait, être bienfaisants à la totalité du genre humain. Mais, ces services de la charité ont beau se particulariser, il reste qu'intérieurement, nous devons aimer tout le monde avec la même intensité.
— Cette opinion ne s'accorde pas avec la Sainte Ecriture (voir les cependant des art. 6 et 7). Au surplus, elle est "déraisonnable". Et saint Thomas remonte haut pour l'établir. L'affection de charité, dit-il, est à la grâce ce que l'appétit naturel est à la nature. De part et d'autre, c'est une inclination de tout l'être: dans la grâce, aux fins surnaturelles et, dans la nature, aux fins connaturelles. Mais, il n'y a pas de motif pour que l'affection de charité soit moins ordonnée que l'affection naturelle, puisque toutes deux viennent de la sagesse divine. Or, que fait Dieu dans l'ordre de la nature ? Il donne à chaque être de la nature un appétit qui se particularise selon la situation que cet être occupe dans l'univers.
Pareillement, Dieu donne à chaque être de la grâce un appétit de charité, en rapport avec sa condition, son établissement dans le monde, l'ambiance d'humanité dans laquelle il doit évoluer. En d'autres termes, Dieu n'établit pas chacun de nous sur la terre pour être en rapports égaux et uniformes avec tous les hommes; il nous fait vivre dans un cercle d'hommes qui circulent avec nous dans le même cadre d'existence et d'activité et avec lesquels nous avons des relations plus ou moins étroites. Il y a donc des hommes qui sont proches de nous par le mouvement de la vie.
Au surplus, comme il s'agit, par la charité, d'aimer à cause de Dieu, ceux que nous aimons, ceux-ci devront l'être plus ou moins selon qu'ils seront aimés plus ou moins par Dieu. Donc, plus un prochain se rapprochera de l'un ou de l'autre de ces principes mêmes de la charité, de Dieu que nous aimons, et de nous qui aimons Dieu, plus notre charité devra être fervente pour ce prochain. Or, ceux qui sont les plus rapprochés de Dieu et par conséquent les plus aimés de lui et les plus aimables en lui, sont les meilleurs, les plus vertueux, les plus parfaits dans la charité: et ceux qui sont les plus rapprochés de nous sont ceux qui nous sont liés par la consanguinité, la communauté de vie, l'amitié de choix, les obligations et les relations sociales.
En résumé, parmi les hommes, il en est qui sont plus proches de Dieu et il en est qui sont plus proches de nous : voilà ce qui nous oblige à les aimer respectivement plus que ceux qui sont moins proches de Dieu et que ceux qui sont moins proches de nous. Ainsi, d'un côté, l'ordre des meilleurs, et de l'autre, l'ordre des proches, l'ordre d'excellence et l'ordre de proximité, telles sont les deux échelles sur lesquelles se gradueront les degrés de préférence de la charité fraternelle.
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 6.
Parmi le prochain, y a-t-il telle personne que nous devions aimer plus que telle autre ? (suite)
SOLUTIONS: 1. L'amour peut être inégal de deux manières. D'abord, du côté du bien que nous souhaitons à un ami. De ce chef, nous aimons tous les hommes également par la charité puisqu'à tous nous souhaitons ce même genre de bien: la béatitude éternelle. Secondement, l'amour peut être inégal selon l'intensité de l'acte d'amour. Et, dans ce sens, nous ne devons pas aimer également tous les hommes.
On pourrait dire encore qu'il y a deux sortes d'inégalités dans notre amour à l'égard de plusieurs individus. La première consiste à aimer les uns et à ne pas aimer les autres: cette inégalité se marque dans la bienfaisance, car il nous est impossible de faire du bien à tous; mais elle ne doit pas exister dans la bienveillance de l'amour. La seconde inégalité dans l'amour consiste à aimer les uns plus que les autres. Saint Augustin n'entend donc pas exclure celle-ci, mais seulement la première: cela ressort avec évidence de ce qu'il dit à propos de la bienfaisance [104].
2. Tous ceux qui composent notre prochain ne sont pas en égal rapport avec Dieu: il en est qui sont plus proches de lui, parce qu'ils sont meilleurs. Ceux-là, on doit les aimer plus que d'autres qui sont moins proches de Dieu.
3. Cette objection est prise de la mesure de l'amour considéré par rapport au bien que nous souhaitons à nos amis.
note explicative :
[104] Qu. 26, art. 6, sol. 1. — Il est bien certain que la bienveillance de notre charité doit souhaiter de façon générale, à tous nos frères en destinée éternelle, l'échéance de celle-ci et la sanctification qui y mène, alors que la bienfaisance positive de notre charité ne peut s'exercer que vis-à-vis d'un certain nombre d'hommes. Toutefois, comme le fait remarquer ici Cajetan, il ne faudrait pas en conclure qu'aimer davantage en charité quelqu'un consiste simplement à lui être positivement bienfaisant.
Ce serait retomber dans l'opinion de ceux qui veulent que la charité soit affectivement la même pour tous, sauf à s'exercer en actes extérieurs à l'égard d'un certain nombre seulement, opinion que saint Thomas rejette. Aimer quelqu'un, c'est l'aimer d'une plus grande bienveillance intérieure. D'ailleurs être plus bienfaisant à quelqu'un qu'à un autre, c'est donner la preuve d'une bienveillance plus grande pour le premier que pour le second.
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 7.
Devons-nous aimer les meilleurs plus que ceux qui nous tiennent de près ?
DIFFICULTÉS : 1. Ce qui ne peut être haï sous aucun rapport doit être plus aimé, semble-t-il, que ce qui doit être haï sous un certain rapport ; comme, de deux objets de couleur blanche, celui où se mêle moins de noir est plus blanc que l'autre. Or, les personnes qui nous tiennent de près doivent être haïes sous quelque rapport, puisqu'il est écrit: "Si quelqu'un vient après moi et ne hait point son père et sa mère, etc.... ", tandis que l'on ne doit haïr d'aucune manière les hommes de Dieu. Donc, il semble que ceux qui sont meilleurs doivent être aimés davantage que ceux qui nous tiennent de près.
2. C'est par la charité que l'homme imite Dieu de plus près. Mais Dieu aime davantage celui qui est meilleur. Donc, l'homme aussi doit plus aimer, par la charité, celui qui est meilleur que celui qui lui tient de plus près.
3. En toute amitié, ce que l'on doit aimer davantage, c'est ce qui tient de plus près au fondement même de cette amitié: par l'amitié naturelle, en effet, nous aimons davantage ceux qui nous sont plus unis selon la nature, comme les parents et les enfants. Or, l'amitié de la charité est fondée sur la communication de la béatitude dont les meilleurs se rapprochent davantage que ceux qui nous tiennent de plus près. Donc, en vertu de la charité, nous devons aimer ceux qui sont les meilleurs plus que ceux qui nous tiennent de plus près.
CEPENDANT, saint Paul écrit: "Si quelqu'un n'a pas soin des siens et principalement de ceux de sa maison, il a nié la foi et il est pire qu'un infidèle". Or, l'affection intérieure de la chanté doit répondre à l'effet extérieur. Donc, nous devons avoir plus de charité pour nos proches que pour les meilleurs.
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 7.
Devons-nous aimer les meilleurs plus que ceux qui nous tiennent de près ? (suite)
CONCLUSION: Tout acte doit être proportionné à son objet et au sujet qui le produit: de son objet, il tire son espèce; de la force du sujet, son degré d'intensité. C'est ainsi qu'un mouvement est spécifié par le terme vers lequel il tend, et qu'il prend son allure rapide de l'aptitude du mobile et de la force du moteur. De la sorte, un amour est spécifié par son objet, et son intensité vient de celui qui aime. Or, l'objet de l'amour de charité, c'est Dieu; et c'est l'homme qui aime. D'où il suit que du côté de l'objet, la différence à mettre dans l'amour de charité à l'endroit du prochain à aimer, se prendra par rapport à Dieu; ce qui signifie qu'à celui qui est plus rapproché de Dieu, nous devons vouloir, par la charité, un plus grand bien. Et, en effet, quoique le bien, que la charité veut à tous et qui est la béatitude éternelle, soit un même bien en soi, il a cependant divers degrés, selon les diverses participations à la béatitude; il convient, en effet, à la charité de vouloir que la justice de Dieu soit observée, et il est juste que les meilleurs participent à la béatitude d'une manière plus parfaite. Or, ceci caractérise spécifiquement l'amour, car nos amours sont spécifiquement distincts selon les biens différents que nous souhaitons à ceux que nous aimons.
— Mais l'intensité de l'amour doit se prendre du côté de l'homme qui aime; et, dans ce sens de l'intensité, l'homme voudra pour ceux qui lui tiennent de plus près le bien qui leur convient, et il le leur voudra avec une plus intense affection, qu'il ne veut, pour ceux qui sont meilleurs, un bien pourtant plus grand.
Dans la présente question, une autre différence est à considérer. Parmi ceux qui nous tiennent de près, il en est qui nous sont proches par une commune origine [c'est-à-dire par les liens du sang], liens immuables et constitutifs. Au contraire, le lien de la vertu, par lequel certains s'approchent de Dieu, peut s'acquérir et disparaître, augmenter et diminuer, comme il ressort de ce qui a été dit précédemment. Et c'est pourquoi je puis, par charité, désirer que celui qui m'est apparenté soit meilleur qu'un autre et qu'ainsi il puisse parvenir à un degré plus grand de béatitude [105].
Il est encore une autre façon d'aimer davantage, par la charité, ceux qui nous tiennent de près: c'est de les aimer de plusieurs manières. Ceux qui ne nous tiennent par aucun lien, nous ne les aimons que par la charité. Ceux, au contraire, qui nous sont unis par d'autres liens, nous les aimons au surplus par d'autres amours, selon la nature des biens qui les rattachent à nous. Et parce que le bien sur lequel se fonde toute amitié honnête est ordonné, comme à sa fin, au bien sur lequel se fonde la charité, il suit que la charité commande aux actes de toutes les autres amitiés; comme l'art, qui a pour objet la fin, commande aux arts qui ont pour objet tout ce qui est ordonné à la fin. Et ainsi, le fait d'aimer quelqu'un parce qu'il est notre parent, ou notre concitoyen, ou pour tout autre motif valable et pouvant être ordonné au but de la charité, peut être approuvé et dirigé par la charité. C'est pourquoi, nous aimons ceux qui nous tiennent de près de plusieurs manières: par la charité elle-même et par les autres dilections que cette charité ratifie et gouverne [106].
notes explicatives:
[105] Qu. 26, art. 7, concl. — Dans le précédent article, saint Thomas a établi que les préférences de notre charité doivent s'accuser à l'égard des plus proches de Dieu, c'est-à-dire des meilleurs, et à l'égard des plus proches de nous. Mais, précisément, la difficulté est d'accorder ces deux points de vue qui, bien souvent, se contredisent; car, il arrive que ceux qui nous tiennent de près ne soient pas vertueusement les plus parfaits et que ceux qui nous sont les plus chers par l'amitié ne sont pas précisément ceux que leur perfection rend plus chers à Dieu. Dès lors, en tout état de cause, devons-nous aimer les meilleurs plus que les plus proches ou vice-versa ?
— Saint Thomas fait ici une heureuse distinction, qui va éclairer les difficultés que nous trouverons dans la suite. La préférence de l'amour s'affirme de deux façons: ou par un plus grand bien souhaité à l'être aimé, ou par plus d'intensité dans l'amour lui-même. Nous voulons à quelqu'un plus de bien qu'à un autre; ou nous voulons le même bien à plusieurs, mais en le voulant plus intensément à l'un qu'à l'autre, dans un amour plus fervent. Pour le dire en passant, il est assez difficile d'évaluer l'intensité de ferveur d'un amour: cela ne se définit guère; cela se sent plutôt, et surtout cela se prouve extérieurement par les actes de dévouement. On aime d'autant plus quelqu'un qu'on lui est plus spontanément et plus continuellement dévoué. La charité, qui est un amour, sera donc plus ou moins grande, soit par le bien qu'elle souhaitera, soit par son intensité intime.
Par exemple, nous pouvons vouloir, pour quelqu'un, une perfection de sainteté plus achevée et, par conséquent, au delà de la vie présente, un degré de gloire céleste plus élevé; ou bien nous voulons, pour quelqu'un, le même bien surnaturel de la sanctification et du salut, avec plus d'intensité que pour un autre; ainsi par exemple, une mère voudra avec plus d'intense ferveur la conversion de son fils que celle de quelqu'un qui lui est indifférent.
— Ces distinctions vont nous permettre de dire de quelle façon nous devons aimer, avec préférence, certains prochains. Nous devons, dans la charité, vouloir pour les meilleurs, le degré de bien surnaturel dont ils sont dignes, que ces meilleurs nous soient proches par l'affection naturelle et par les liens de la vie, ou qu'ils nous soient indifférents et étrangers. Aimant Dieu et aimant nos frères en Dieu, nous devons aimer pour eux, tous les bénéfices qui leur reviennent de l'amour divin. Or, Dieu veut toutes choses avec justice et équité. Par conséquent, nous devons vouloir le plus grand bien surnaturel à ceux qui le méritent le plus, à ceux que Dieu veut récompenser davantage. Ces meilleurs sont les plus agréables à Dieu; ils en sont les plus aimants, et nous devons les traiter comme tels, au regard de notre charité. Ainsi donc, au point de vue de l'objet de notre charité, de ce qu'elle veut en conformité avec la volonté de Dieu, c'est pour les meilleurs que nous devons avoir le plus de charité.
— Au point de vue de l'intensité de la charité, nous aimerons davantage ceux qui sont proches de nous par l'affection et les obligations de la vie, c'est à dire nous devrons nous dévouer plus activement à leur procurer le bien surnaturel qui leur convient. La raison de cette obligatoire préférence vient précisément du fait qu'ils nous touchent et nous sont proches. Leurs rapports avec nous (liens de parenté, d'amitié, d'échanges sociaux) sont, normalement du moins, des rapports fréquents. Ces proches font partie de notre vie, nous dépendons d'eux et ils dépendent de nous; nous sommes providentiellement placés pour subvenir à leurs besoins et, à notre tour, leur demander aide et secours; tandis que les meilleurs en perfection, outre que cette perfection n'est pas définitivement fixée en ce monde, peuvent ne pas se trouver dans notre ambiance de vie, dans nos relations courantes. Nous pouvons n'avoir affaire avec eux qu'extraordinairement, par intermittence, et ne leur être attaché que par le seul lien de la charité surnaturelle. Cependant, il va de soi que, si un proche est en même temps un parfait, la charité pour lui doit être plus grande non seulement objectivement, mais subjectivement: ici, les deux raisons d'aimer davantage se concentrent en la même personne, alors que bien souvent elles sont disjointes. Enfin, si c'est seulement par manière de désir et de souhait que nous voulons à autrui le bien surnaturel, il nous sera loisible de désirer, pour ceux que nous aimons par la parenté et l'amitié, la plus grande perfection vertueuse et surnaturelle possible.
— Dans le de Caritate, qu. 1, art. 9, saint Thomas fait valoir très heureusement cette raison d'une plus grande charité intensive due à nos proches: ils coopèrent à notre conquête de la béatitude; c'est avec eux et par eux que nous nous sanctifions, en bénéficiant de leurs exemples, de leurs prières, de leurs leçons, de leurs mérites, de leur dévouement pour les facilités et le bonheur de notre vie: toutes choses dont peut et doit profiter notre charité. (gras ajoutés.)
[106] Qu. 26, art. 7, concl — Voici une autre raison d'aimer nos proches d'une charité plus intense: vis à vis d'eux, se trouve, fonctionnant déjà, si l'on ose dire, l'affection et le dévouement naturels. Au contraire, les meilleurs, les parfaits, qui ne sont pas nos proches, nous ne les touchons par la charité que par l'endroit de leur bien surnaturel; ils n'ont de rapports affectifs et effectifs avec nous que par ce lien; tandis que nos proches nous sont liés déjà par d'autres amours et d'autres relations étroites et actives: lien du sang, sympathie spontanée, commerce amical, rapport de vie ou d'intérêts, etc. Mais, comment la présence de ces liens naturels va-t-elle accroître l'intensité de notre charité ? Parce que notre charité y trouve l'occasion de s'exercer et de se dévouer à nos proches constamment et non plus seulement extraordinairement comme vis-à-vis des indifférents.
De plus, les actes naturels de nos relations affectueuses vont devenir eux-mêmes, par l'inspiration de chanté dont ils s'ennoblissent, des actes de charité. C'est par affection naturelle, sans doute, mais aussi par charité, que nous serons bon fils, bon frère, ami dévoué et fidèle. La charité se déploiera partout dans nos rapports avec eux en actes "élicites"(absolument volontaires et en actes "impérés"(commandés ?. Il est bien clair qu'ayant à témoigner continuellement et de tous côtés son dévouement, l'intensité de notre charité sera plus grande; nous aimerons en Dieu ceux que nous aimons déjà d'amour naturel; toute occasion nous servira à leur prouver la totalité de notre attachement et la plénitude de notre charité.
— Au surplus, parmi ces affections naturelles, il y en a qui sont plus privilégiées, plus profondes, plus intenses selon le degré de proximité et d'intimité qu'elles réalisent. La charité les accueillera, puisque nous les supposons licites et vertueuses; elle les impérera et assurera ainsi leur vitalité et leur bienfaisance et cela avec d'autant plus de sollicitude et de ferveur que les liens en seront plus étroits.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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Re: L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 7.
Devons-nous aimer les meilleurs plus que ceux qui nous tiennent de près ? (suite)
SOLUTIONS: 1. Il ne nous est point commandé de haïr nos proches parce qu'ils sont nos proches; mais seulement parce qu'ils nous empêcheraient d'être à Dieu; car, en cela, ils ne seraient plus nos proches, mais nos ennemis, selon cette parole de Michée: "Les ennemis de l'homme sont ceux de sa maison".
2. La charité fait que l'homme imite Dieu proportionnellement, en ce sens que l'homme se comporte, à l'égard de ce qui lui appartient, comme Dieu se comporte à l'égard de ce qui lui appartient. II y a, en effet, des choses que nous pouvons vouloir, en vertu de la charité, parce qu'elles nous conviennent; Dieu cependant ne les veut point, parce qu'il ne lui convient pas de les vouloir, selon ce qui a été dit précédemment, quand il s'est agi de la bonté de notre volonté [107].
3. L'acte d'amour que produit la charité ne doit pas être considéré seulement du côté de son objet, mais encore du côté de celui qui aime. De là vient qu'un plus proche soit aimé davantage.
note explicative:
[107] Qu. 26, art. 7, sol. 1 et 2. — Nos proches ne sont pas nécessairement les plus parfaits; et il arrive même qu'ils soient pécheurs et qu'ils refusent de se convertir. Sans doute, notre charité n'aspire qu'à se dévouer à cette conversion en la voulant plus intensément pour nos proches que pour tout autre. Néanmoins, il faut convenir que, dans ce cas, notre volonté de charité ne coïncide pas formellement avec la volonté de Dieu, qui ne peut accorder la grâce de la conversion à ceux qui la refusent Ici, la conformité des vouloirs demeure matérielle seulement: Dieu ne peut pas vouloir actuellement ce que nous voulons.
Ainsi l'acharnement que met une mère à sauver l'âme de son fils peut ne pas s'accorder avec les décrets divins. Et pourtant, Dieu veut cet acharnement de charité maternelle. Il est évident que le vœu intime de notre charité est que nos amis deviennent des saints, afin que nous puissions les aimer de plus en plus comme Dieu les aime.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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Re: L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 8.
Devons-nous aimer davantage celui qui nous est uni par les liens du sang ?
DIFFICULTÉS: 1. Il est écrit dans les Proverbes: "L'homme dont la société nous plaît sera plus aimé qu'un frère". Et Valère Maxime dit: "Le lien de l'amitié est très puissant, et il ne le cède en rien au lien du sang. Il est même plus sûr et plus éprouvé que celui-ci, qui n'est que l'effet du hasard de la naissance, tandis qu'il est l'effet d'un jugement réfléchi et d'une volonté libre". Donc, ceux qui nous sont liés par le sang n'ont pas à être aimés plus que les autres.
2. Saint Ambroise écrit: "Je ne vous aime pas moins, vous que j'ai engendrés dans l'Évangile, que si vous étiez mes propres enfants; car, la nature n'aime pas plus vivement que la grâce. Et ceux que nous pensons devoir être éternellement avec nous, nous les aimons certainement plus que ceux qui sont avec nous en ce monde seulement". Ainsi donc, ceux qui nous sont unis par les liens du sang, nous ne devons pas les aimer plus que ceux qui nous sont unis par d'autres liens.
3. "La preuve de l'amour, ce sont les œuvres", dit saint Grégoire. Or, à l'égard de certaines personnes, les œuvres de l'amour nous obligent plus qu'à l'égard de ceux qui nous sont unis par les liens du sang; c'est ainsi qu'à l'armée on doit plus obéir à son chef qu'à son père. Donc ceux qui nous sont unis par les liens du sang ne sont pas ceux que nous devons aimer le plus.
CEPENDANT, dans les préceptes du Décalogue, il est spécialement commandé d'honorer les parents. Nous devons donc plus spécialement aimer ceux qui nous sont unis par les liens du sang.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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A suivre…
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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Re: L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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A suivre…
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LA CHARITÉ.
QUESTION 26.
L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 8.
Devons-nous aimer davantage celui qui nous est uni par les liens du sang ? (suite)
CONCLUSION: Comme il a été dit, nous devons avoir une plus grande charité pour ceux qui nous sont plus unis, soit parce que notre amour est pour eux plus intense, soit que nous les aimons sous un plus grand nombre de rapports. Or, l'intensité de l'amour se prend de l'union de l'être aimé avec l'être aimant. C'est pourquoi l'amour qui se rapporte à diverses personnes doit se mesurer selon les motifs différents d'être uni à elles, de telle sorte que l'on aime telle personne plus qu'une autre selon le rapport qui nous unit à elle et nous la fait aimer. De plus, il faut comparer un amour à un autre amour, en comparant le motif d'union qui fonde le premier amour au motif d'union qui fonde le second.
D'après cela, il faut dire que l'amitié qui unit les membres d'une famille est fondée sur une commune origine, celle qui unit des concitoyens, sur les rapports communs dans un même Etat, et celle qui unit des soldats, sur leur participation commune à la guerre. Dès lors, dans les choses qui ont trait à la nature, nous devons aimer davantage nos parents; dans celles qui touchent aux relations de la vie civile, nos concitoyens; et enfin, dans celles qui concernent la guerre, nos compagnons d'armes. C'est ce qui fait dire au Philosophe: "Il faut attribuer à chacun ce qui lui est propre et ce qui lui convient. Et c'est ce qui se pratique généralement: c'est la famille que l'on invite aux noces; de même les enfants sont persuadés qu'ils doivent pourvoir à la subsistance de leurs parents et les honorer". Et il en est ainsi dans les autres amitiés.
Maintenant, si nous comparons une union à l'autre, il est manifeste que l'union fondée sur la commune origine est la première et la plus indestructible, car elle tient à la substance de notre être, tandis que les autres sont venues après et peuvent cesser. C'est pourquoi l'amitié entre parents est la plus stable. Toutefois, les autres amitiés peuvent prévaloir sur celle-ci, en ce qui est propre à chacune d'elles [108].
note explicative:
[108] Qu. 26, art. 8, concl. — Nous savons quels doivent être les privilégiés de notre charité: d'une part, les plus parfaits, parce qu'ils sont les plus aimés de Dieu; d'autre part, les plus proches (en quoi il faut entendre non pas seulement notre parenté mais tous ceux qui vivent près de nous et avec qui nous avons de fréquentes relations d'amitié ou d'intérêts), parce que, providentiellement, c'est envers eux que nous avons à déployer un plus grand dévouement. Mais, parmi ces proches, faut-il établir une nouvelle hiérarchie ? Devons-nous, par exemple, aimer nos parents plus que nos amis ou compagnons de vie ou associés dans les mêmes intérêts (telle est la question posée en cet article 8) ? Et, parmi la parenté, doit-on plus aimer son père que ses enfants (art. 9) ? Un enfant doit-il plus aimer son père que sa mère (art. 10) ? Un homme doit-il plus aimer ses parents que sa femme (art. 11) ? Un bienfaiteur aime-t-il plus son obligé que celui-ci ne l'aime (art. 12) ?
Ici, sans doute, va intervenir une hiérarchie. Mais, celle-ci sera beaucoup moins accentuée que précédemment. Entre nos proches et ceux qui sont étrangers à notre vie, la différence est, en effet, bien tranchée, puisque nous n'avons affaire, avec ces étrangers, qu'occasionnellement et par hasard, tandis qu'avec nos proches, nous sommes en rapport constant, en habituelle réciprocité d'entr'aide et de bienfaisance.
— Saint Thomas admet une certaine hiérarchie dans nos dilections de charité à l'égard de nos proches et c'est là une doctrine merveilleusement humaine et chrétienne. Toutefois, ici se présente une grande complication: des liaisons diverses nous unissent aux différentes catégories de nos proches. Tout d'abord, dans un ordre donné de liaisons, notre charité devra, le cas échéant, s'attacher aux personnes qui sont liées avec nous dans cet ordre, de préférence à celles qui sont en dehors de lui; car, chaque liaison est fondée sur un lien spécial et nous devons aimer davantage ceux qui sont plus proches de nous selon ce lien spécial.
Voici des exemples de ces diverses liaisons ayant chacune un motif spécifique: le lien du sang entre enfants et parents: le lien spirituel entre un directeur de conscience et son dirigé; le lien de dévouement militaire entre un soldat et son chef; le lien d'association d'intérêts entre gens groupés pour les mêmes entreprises ou participant aux mêmes travaux. Chacune de ces relations implique, chez ceux qui en font partie, une préférence de charité mutuelle, quand le but qui les motive est en jeu.
Un soldat, par exemple, doit, dans une opération militaire, obéir à son chef avant d'obéir à ses parents; il est obligé de défendre son pays avant de rester près des siens et de leur être utile. Un chef d'industrie, un patron, doit plus de charité bienfaisante à ses employés et à ses ouvriers qu'à d'autres employés et ouvriers. Je dois plus de dévouement spirituel à un fils spirituel qu'à une personne de ma parenté qui ne se réclame pas de moi pour la direction de son âme. Je dois, de même, plus de charité effective, dans mes paroles et mes actes, à un frère en religion qu'à un membre de ma famille qui est loin de moi et n'a pas besoin de mes services.
— Maintenant, considérons ces liaisons, pour les comparer entre elles, par rapport à moi. Sous ce rapport, elles se hiérarchisent, devant les préférences de ma charité, selon la plus ou moins grande proximité qu'elles ont avec moi; selon le lien plus ou moins fort ou stable qui m'unit à elles. Je suis plus lié à mon père et à ma mère qu'à mes amis de libre choix et plus lié à un ami qu'à un associé transitoire dans une commune entreprise. Les affections de parenté ont une naturelle permanence, elles tiennent à la substance de notre condition humaine et, de ce fait, elles ont priorité parce qu'elles ont plus de stabilité. Avec nos amitiés, la jonction est beaucoup plus mobile par nature. Sans doute, ces amitiés de choix peuvent être plus douces, et en fait, donner plus de satisfactions spirituelles, intellectuelles et morales que certaines relations de parenté; mais, encore une fois, elles sont moins stables par elles-mêmes. C'est pourquoi, lorsqu’il y a nécessité et que nous avons à choisir, nous devons, en charité, secourir nos parents avant nos amis. Toutefois, en dehors de cette obligation, quand le devoir de piété filiale est accompli, nous pouvons donner, en certaines circonstances, plus de dévouement positif à certains de nos amis qu'à nos parents, surtout quand il s'agit de vaquer ensemble à des œuvres qui sont le but et la raison d'être de l'amitié.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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Re: L'ORDRE DE LA CHARITÉ (extraits du Traité de la Charité par Saint Thomas d’Aquin.)
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LA CHARITÉ.
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L'ORDRE DE LA CHARITÉ.
ARTICLE 8.
Devons-nous aimer davantage celui qui nous est uni par les liens du sang ? (suite)
SOLUTIONS: 1. L'amitié contractée avec ceux que nous associons à nos diverses et libres activités résulte de notre propre inclination; dès lors, elle peut l'emporter sur l'amour qui nous unit à nos parents, en ce sens que, dans notre vie d'action, nous nous entendons mieux avec nos amis qu'avec nos parents. Cependant, l'amitié à l'égard de nos parents est plus stable, parce qu'elle existe plus naturellement; et elle l'emporte sur toutes les autres en ce qui concerne la nature: c'est pourquoi nous sommes tenus davantage à pourvoir aux besoins de nos parents.
2. Saint Ambroise parle de l'amour qui vise les bienfaits ayant trait à la communication de la grâce, c'est-à-dire à la formation de la vie morale. Dans cet ordre, en effet, l'homme doit plutôt subvenir aux fils spirituels engendrés par lui spirituellement qu'à ses fils selon la chair, encore qu'il doive d'abord subvenir aux besoins corporels de ses fils selon la chair.
3. Le fait d'obéir au chef de l'armée dans les choses de la guerre plutôt qu'à son père, ne prouve point que le père soit moins aimé absolument parlant; cela prouve seulement qu'il est moins aimé relativement, c'est-à-dire dans l'ordre de l'amour que fonde la communauté des armes.
"IIa-IIæ, qu.26, par H.D. NOBLE O.P ; Éditions de la Revue des Jeunes, Paris, 1936."
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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