Education des filles, Fénélon.

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Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 9:31 am

Fénélon, De l'Education des filles.

Chapitre premier.

De l'importance de l'éducation des filles.


Rien n'est plus négligé que l'éducation des filles. La coutume et le caprice des mères y décident souvent de tout : on suppose qu'on doit donner à ce sexe peu d'instruction. L'éducation des garçons passe pour une des principales affaires par rapport au bien public ; et quoiqu'on n'y fasse moins de fautes que dans celle des filles, du moins on est persuadé qu'il faut beaucoup de lumières pour y réussir. Les plus habiles gens se sont appliqués appliqués à donner des règles dans cette matière.
Combien voit-onde maîtres et de collèges ! combien de dépenses pour des impressions de livres, pour des recherches de sciences , pour des méthodes d'apprendre les langues, pour le choix des professeurs. Tous ces grands préparatifs ont souvent plus d'apparence que de solidité; mais enfin ils marquent la haute idée qu'on a de l'éducation
des garçons. Pour les filles, dit-on, il ne faut pas qu'elles soient savantes, la curiosité les rend vaines et précieuses; il suffit qu'elles sachent gouverner un jour leurs ménages, et obéir à leurs maris sans raisonner.On ne manque pas de se servir de l'expérience qu'on a de beaucoup de femmes que la science a rendues ridicules : après quoi on se croit en droit d'abandonner aveuglément les filles à la conduite des mères ignorantes et indiscrètes.
Il est vrai qu'il faut craindre de faire des savantes ridicules. Les femmes ont d'ordinaire l'esprit encore plus faible et plus curieux que les hommes ; aussi n'est-il point à propos de les engager dans des études dont elles pourraient s'entêter. Elles ne doivent ni gouverner l'état, ni faire la guerre, ni entrer dans le ministère des choses sacrées; ainsi elles peuvent se passer de certaines connaissances étendues,qui appartiennent à la politique, à l'art militaire, à la jurisprudence, à la philosophie et à la théologie. La plupart même des arts mécaniques ne leur conviennent pas : elles sont faites pour des exercices modérés. Leur corps, aussi bien que leur esprit, est moins fort et moins robuste que celui des hommes ; en revanche, la nature leur a donné en partage l'industrie, la propreté et l'économie, pour les occuper tranquillement dans leurs maisons.
Mais que s'ensuit-il de la faiblesse naturelle des femmes? Plus elles sont faibles, plus il est important de les fortifier. N'ont-elles pas des devoirs à remplir, mais des devoirs qui sont les fondements de toute la vie humaine ? Ne sont-ce pas les femmes qui ruinent et qui soutiennent les maisons, qui règlent tout le détail des choses domestiques, et qui, par conséquent, décident de ce qui touche de plus près à tout le genre humain ? Par-là, elles ont la principale part aux bonnes ou aux mauvaises mœurs de presque tout le monde. Une femme judicieuse, appliquée, et pleine de religion, est l'âme de toute une grande maison, elle y met l'ordre pour les biens temporels et pour le salut.
Les hommes mêmes, qui ont toute l'autorité en public, ne peuvent par leurs délibérations établir aucun bien effectif ; si les femmes ne leur aident à l'exécuter.
Le monde n'est point un fantôme; c'est l'assemblage de toutes les familles: et qui est-ce qui peut les policer avec un soin plus exact que les femmes, qui, outre leur autorité naturelle et leur assiduité, dans leur maison, ont encore l'avantage d'être nées soigneuses, attentives au détail, industrieuses, insinuantes et persuasives ? Mais les hommes peuvent- ils espérer pour eux-mêmes quelque douceur dans la vie, si leur plus étroite société, qui est celle du mariage , se tourne en amertume ? Mais les enfants, qui feront dans la suite tout le genre humain, que deviendront-ils, si les mères les gâtent dès leurs premières années ?
Voilà donc les occupations des femmes, qui ne sont guère moins importantes au public que celles des hommes, puisqu'elles ont une maison à régler, un mari à rendre heureux, des enfants à bien élever.
Ajoutez que la vertu n'est pas moins pour les femmes que pour les hommes : sans parler du bien ou mal qu'elles peuvent faire au public, elles sont la moitié du genre humain, racheté du sang de Jésus-Christ, et destiné à la vie éternelle.
Enfin, il faut considérer, outre le bien que font les femmes quand elles sont bien élevées, le mal qu'elles causent dans le monde quand elles manquent d'une éducation qui leur inspire la vertu. Il est constant que la mauvaise éducation des femmes fait plus de mal que celle des hommes, puisque les désordres des hommes viennent souvent et de la mauvaise éducation qu'ils ont reçue de leurs mères, et des passions que d'autres femmes leur ont inspirées dans un âge plus avancé. Quelles intrigues se présentent à nous dans les histoires, quel renversement des lois et des mœurs, quelles guerres sanglantes, quelles nouveautés contre la religion, quelles révolutions d'état, causés par le dérèglement des femmes ! Voilà ce qui prouve l'importance de bien élever les filles ; cherchons-en les moyens.

CHAPITRE II.

Inconvénients des éducations ordinaires.


L'ignorance d'une fille est cause qu'elle s'ennuie, et qu'elle ne sait à quoi s'occuper innocemment. Quand elle est venue jusqu'à un certain âge sans s'appliquer aux choses solides, elle n'en peut avoir ni le goût ni l'estime; tout ce qui est sérieux lui paraît triste, tout ce qui demande une attention suivie la fatigue ; la pente aux plaisirs, qui est forte pendant la jeunesse ; l'exemple des personnes du même âge qui sont plongées dans l'amusement ; tout sert à lui faire craindre une vie réglée et laborieuse. Dans ce premier âge, elle manque d'expérience et d'autorité pour gouverner quelque chose dans la maison de ses parents ; elle ne connaît pas même l'importance de s'y appliquer, à moins que sa mère n'ait pris soin de la lui faire remarquer en détail. Si elle est de condition, elle est exemple du travail des mains : elle ne travaillera donc que quelque heure du jour, parce qu'on dit, sans savoir pourquoi, qu'il est honnête aux femmes de travailler ; mais souvent ce ne sera qu'une contenance, et elle ne s'accoutumera point à un travail suivi.

En cet état que fera-t-elle? La compagnie d'une mère qui l'observe , qui la gronde, qui croit la bien élever en ne lui pardonnant rien, qui se compose avec elle, qui lui fait essuyer ses humeurs, qui lui paraît toujours chargée de tous les soucis domestiques, la gêne et la rebute; elle a autour d'elle des femmes flatteuses, qui, cherchant à s'insinuer par des complaisances basses et dangereuses, suivent toutes ses fantaisies, et l'entretiennent de tout ce qui peut la dégoûter du bien : la piété lui paraît une occupation languissante, et une règle ennemie de tous les plaisirs. A quoi donc s'occupera-t-elle ? à rien d'utile. Cette inapplication se tourne même en habitude incurable. Cependant voilà un grand vide, qu'on ne peut espérer de remplir de choses solides; il faut donc que les frivoles prennent la place. Dans cette oisiveté, une fille s'abandonne à sa paresse; et la paresse, qui est une langueur de l’âme, est une source inépuisable d'ennuis. Elle s'accoutume à dormir d'un tiers plus qu'il ne faudrait pour conserver une santé parfaite; ce long sommeil ne sert qu'à l'amollir, qu'à la rendre plus délicate, plus exposée aux révoltes du corps : au lieu qu'un sommeil médiocre, accompagné d'un exercice réglé, rend une personne gaie, vigoureuse et robuste; ce qui fait, sans doute , la véritable perfection du corps, sans parler des avantages que l'esprit en tire. Cette mollesse et cette oisiveté étant jointes à l'ignorance, il en naît une sensibilité pernicieuse pour les divertissements et pour les spectacles ; c'est même ce qui excite une curiosité indiscrète et insatiable.
Les personnes instruites, et occupées à des choses sérieuses, n'ont d'ordinaire qu'une curiosité médiocre : ce qu'elles savent leur donne du mépris pour beaucoup de choses qu'elles ignorent ; elles voient l'utilité et le ridicule de la plupart des choses que les petits esprits qui ne savent rien, et qui n'ont rien à faire, sont empressés d'apprendre. Au contraire, les filles mal instruites et inappliquées ont une imagination toujours errante. Faute d'aliment solide, leur curiosité se tourne en ardeur vers les objets vains et dangereux. Celles qui ont de l'esprit s'érigent souvent en précieuses, et lisent tous les livres qui peuvent nourrir leur vanité ; elles se passionnent pour des romans, pour des comédies, pour des récits d'aventures chimériques, où l'amour profane est mêlé. Elles se rendent l'esprit visionnaire, en s'accoutumant au langage magnifique des héros de romans : elles se gâtent même par-là pour le monde ; car tous ces beaux sentiments en l'air, toutes ces passions généreuses, toutes ces aventures que l'auteur du roman a inventées pour le plaisir, n'ont aucun rapport avec les vrais motifs qui font agir dans le monde, et qui décident des affaires, ni avec les mécomptes qu'on trouve dans tout ce qu'on entreprend. Une pauvre fille, pleine du tendre et du merveilleux qui l'ont charmée dans ses lectures, est étonnée de ne trouver point dans le monde de vrais personnages qui ressemblent à ces héros : elle voudrait vivre comme ces princesses imaginaires, qui sont, dans les romans, toujours charmantes, toujours adorées, toujours au-dessus de tous les besoins. Quel dégoût pour elle de descendre de l'héroïsme jusqu'au plus bas détail du ménage !
Quelques-unes poussent leur curiosité encore plus loin, et se mêlent de décider sur la religion, quoiqu'elles n'en soient point capables. Mais celles qui n'ont pas assez d'ouverture d'esprit pour ces curiosités en ont d'autres qui leur sont proportionnées : elles veulent ardemment savoir ce qui se dit, ce qui se fait, une chanson, une nouvelle, une intrigue ; recevoir des lettres, lire celles que les autres reçoivent; elles veulent qu'on leur dise tout, et elles veulent aussi tout dire ; elles sont vaines,et la vanité fait parler beaucoup ; elles sont légères,et la légèreté empêche les réflexions qui feraient souvent garder le silence.

Source Gallica.
Lucie
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Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 9:51 am

CHAPITRE III.
Quels sont les premiers fondements de l'éducation.

Pour remédier à tous ces maux, c'est un grand avantage que de pouvoir commencer l'éducation des filles dès leur plus tendre enfance. Ce premier âge, qu'on abandonne à des femmes indiscrètes et quelquefois déréglées, est pourtant celui où se font les impressions les plus profondes, et qui par conséquent a un grand rapport à tout le reste de la vie. Avant que les enfants sachent entièrement parler, on peut les préparer à l'instruction. On trouvera peut-être que j'en dis trop : mais on n'a qu'à considérer ce que fait l'enfant qui ne parle pas encore: il apprend une langue qu'il parlera bientôt plus exactement que les savants ne sauraient parler les langues mortes qu'ils ont étudiées avec tant de travail dans l'âge le plus mûr. Mais qu'est-ce qu'apprendre une langue ? Ce n'est pas seulement mettre dans sa mémoire un grand nombre de mots; c'est encore, dit saint Augustin, observer le sens de chacun de ces mots en particulier. L'enfant, dit-il, parmi ses cris et ses jeux, remarque de quel objet chaque parole est le signe : il le fait, tantôt en considérant les mouvements naturels des corps qui touchent ou qui montrent les objets dont on parle, tantôt étant frappé par la fréquente répétition du même mot pour signifier le même objet. Il est vrai que le tempérament du cerveau des enfants leur donne une admirable facilité pour l'impression do toutes ces images : mais quelle attention d'esprit ne faut-il pas pour les discerner, et pour les attacher chacune à son objet ?
Considérez encore combien, dès cet âge, les enfants cherchent ceux qui les flattent, et fuient ceux qui les contraignent ; combien ils savent crier ou se taire pour avoir ce qu'ils souhaitent ; combien ils ont déjà d'artifice et de jalousie. J'ai vu, dit saint Augustin, un enfant jaloux : il ne savait pas encore parler ; et déjà, avec un visage pâle et des yeux irrités, il regardait l'enfant qui tétait avec lui. On peut donc compter que les enfants connaissent dès lors plus qu'on ne s'imagine d'ordinaire : ainsi vous pouvez leur donner, par des paroles qui seront aidées par des tons et des gestes, l'inclination d'être avec les personnes honnêtes et vertueuses qu'ils voient, plutôt qu'avec d'autres
personnes déraisonnables qu'ils seraient en danger d'aimer : ainsi vous pouvez encore, par les différents airs de votre visage, et par le ton de votre voix, leur représenter avec horreur les gens qu'ils ont vus en colère ou dans quelque autre dérèglement, et prendre les tons les plus doux avec le visage le plus serein, pour leur représenter avec admiration ce qu'ils ont vu faire de sage et de modeste. Je ne donne pas ces petites choses pour grandes ; mais enfin ces dispositions éloignées sont des commencements qu'il ne faut pas négliger, et cette manière de prévenir de loin les enfants a des suites insensibles qui facilitent l'éducation.
Si on doute encore du pouvoir que ces premiers préjugés de l'enfance ont sur les hommes, on n'a qu'à voir combien le souvenir des choses qu'on a aimées dans l'enfance est encore vif et touchant dans un âge avancé. Si, au lieu de donner aux enfants de vaines craintes des fantômes et des esprits, qui ne font qu'affaiblir, par de trop grands ébranlements, leur cerveau encore tendre ; si, au lieu de les laisser suivre toutes les imaginations de leurs nourrices pour les choses qu'ils doivent aimer ou fuir, on s'attachait à leur donner toujours une idée agréable du bien, et une idée affreuse du mal ; cette prévention leur faciliterait beaucoup dans la suite la pratique de toutes les vertus.
Au contraire, on leur fait craindre un prêtre vêtu de noir, on ne leur parle de la mort que pour les effrayer, on leur raconte que les morts reviennent la nuit sous des figures hideuses : tout cela n'aboutit qu'à rendre une âme faible et timide, et qu'à la préoccuper contre les meilleures choses. Ce qui est le plus utile dans les premières années de l'enfance, c'est de ménager la santé de l'enfant, de tâcher de lui faire un sang doux par le choix des aliments, et par un régime de vie simple ; c'est de régler ses repas, en sorte qu'il mange toujours à peu près aux mêmes heures ; qu'il mange assez souvent à proportion de son besoin ; qu'il ne mange point hors de son repas, parce que c'est surcharger l'estomac pendant que la digestion n'est pas finie ; qu'il ne mange rien de haut goût, qui l'excite à manger au-delà de son besoin, et qui le dégoûte des aliments plus convenables à sa santé ; qu'enfin on ne lui serve pas trop de choses différentes, car la variété des viandes qui viennent l'une après l'autre soutient l'appétit après que le vrai besoin de manger est fini.
Ce qu'il y a encore de très important, c'est de laisser affermir les organes en ne pressant point l'instruction, d'éviter tout ce qui peut allumer les passions, d'accoutumer doucement l'enfant à être privé des choses pour lesquelles il a témoigné trop d'ardeur, afin qu'il n'espère jamais d'obtenir les choses qu'il désire. Si peu que le naturel des enfants soit bon, on peut les rendre ainsi dociles, patients, fermes, gais et tranquilles : au lieu que, si on néglige ce premier âge, ils y deviennent ardents et inquiets pour toute leur vie; leur sang se brûle ; les habitudes se forment; le corps, encore tendre, et l’âme, qui n'a encore aucune pente vers aucun objet, se plient vers le mal ; il. se fait en eux une espèce de second péché originel, qui est la source de mille désordres quand ils sont plus grands. Dès qu'ils sont dans un âge plus avancé, où leur raison est toute développée, il faut que toutes les paroles qu'on leur dit servent à leur faire aimer la vérité, et à leur inspirer le mépris de toute dissimulation. Ainsi, on ne doit jamais se servir d'aucune feinte pour les apaiser, ou pour leur persuader ce qu'on veut : par-là, on leur enseigne la finesse, qu'ils n'oublient jamais ; il faut les mener par la raison autant qu'on peut. Mais examinons de plus près l'état des enfants, pour voir plus en détail ce qui leur convient. La substance de leur cerveau est molle, et elle se durcit tous les jours ; pour leur esprit, il ne sait rien, tout lui est nouveau. Cette mollesse du cerveau fait que. tout s'y imprime facilement, et la surprise de la nouveauté fait qu'ils admirent aisément, et qu'ils sont fort curieux. Il est vrai aussi que cette humidité et cette mollesse du cerveau jointe à une grande chaleur, lui donne un mouvement facile et continuel. De là vient cette agitation des enfants, qui ne peuvent arrêter leur esprit à aucun objet, non plus que leur corps en aucun lieu. D'un autre côté, les enfants ne sachant encore rien penser ni faire d'eux-mêmes, ils remarquent tout, et ils parlent peu, si on ne les accoutume à parler beaucoup, et c'est de quoi il faut bien se garder.
Souvent le plaisir qu'on veut tirer des jolis enfants les gâte ; on les accoutume à hasarder tout ce qui leur vient dans l'esprit, et à parler des choses dont ils n'ont pas encore des connaissances distinctes : il leur en reste toute leur vie l'habitude de juger avec précipitation, et de dire des choses dont ils n'ont point d'idées claires ; ce qui fait un très mauvais caractère d'esprit.
Ce plaisir qu'on veut tirer des enfants produit encore un effet pernicieux ; ils aperçoivent qu'on les regarde avec complaisance, qu'on observe tout ce qu'ils font, qu'on les écoute avec plaisir ; par-là ils s'accoutument à croire que le monde sera toujours occupé d'eux. Pendant cet âge où l'on est applaudi, et où l'on n'a point encore éprouvé la contradiction, on conçoit des espérances chimériques qui préparent des mécomptes infinis pour toute la vie. J'ai vu des enfants qui croyaient qu'on parlait d'eux toutes les fois qu'on parlait en secret, parce qu'ils avaient remarqué qu'on l'avait fait souvent; ils s'imaginaient n'avoir rien en eux que d'extraordinaire et d'admirable. Il faut donc prendre soin des enfants, sans leur laisser voir qu'on pense beaucoup à eux.
Montrez-leur que c'est par amitié, et par le besoin où ils sont d'être redressés, que vous êtes attentifs à leur conduite, et non par l'admiration de leur esprit. Contentez-vous de les former peu à peu selon les occasions qui viennent naturellement : quand même vous pourriez avancer beaucoup l'esprit d'un enfant sans le presser, vous devriez craindre de le faire ; car le danger de la vanité et de la présomption est toujours plus grand que le fruit de ces éducations prématurées qui font tant de bruit. Il faut se contenter de suivre et d'aider la nature. Les enfants savent peu, il ne faut pas les exciter à parler : mais comme ils ignorent beaucoup de choses, ils ont beaucoup de questions à faire ; aussi en font-ils beaucoup. Il suffit de leur répondre précisément, et d'ajouter quelquefois certaines petites comparaisons pour rendre plus sensibles les éclaircissements qu'on doit leur donner.
S'ils jugent de quelque chose sans le bien savoir, il faut les embarrasser par quelque question nouvelle, pour leur faire sentir leur faute, sans les confondre rudement. En même temps il faut leur faire apercevoir, non par des louanges vagues, mais par quelque marque effective d'estime, qu'on les approuve bien plus quand ils doutent, et qu'ils demandent ce qu'ils ne savent pas, que quand ils décident le mieux. C'est le vrai moyen de mettre dans leur esprit, avec beaucoup de politesse, une modestie véritable, et un grand mépris pour les contestations qui sont si ordinaires aux jeunes personnes peu éclairées.
Dès qu'il paraît que leur raison a fait quelque progrès, il faut se servir de cette expérience pour les prémunir contre la présomption. Vous voyez, direz-vous, que vous êtes plus raisonnable maintenant que vous ne l'étiez l'année passée ; dans un an vous verrez encore des choses que vous n'êtes pas capable devoir aujourd'hui. Si, l'année passée, vous aviez voulu juger des choses que vous savez maintenant, et que vous ignoriez alors, vous en auriez maljugé. Vous auriez eu grand tort de prétendre savoir ce qui était au-delà de votre portée.
Il en est de même aujourd'hui des choses qui vous restent à connaître : vous verrez un jour combien vos jugements présents sont imparfaits. Cependant fiez-vous aux conseils des personnes qui jugent, comme vous jugerez vous-mêmes quand vous aurez leur âge et leur expérience.
La curiosité des enfants est un penchant de la nature,qui va comme au-devant de l'instruction ; ne manquez pas d'en profiter. Par exemple, à la campagne ils voient un moulin,et ils veulent savoir ce que c'est ; il faut leur montrer comment se prépare l'aliment qui nourrit l'homme. Ils aperçoivent des moissonneurs, et il faut leur expliquer ce qu'ils font, comment est-ce qu'on sème le blé, et comment il se multiplie dans la terre. A la ville, ils voient des boutiques où s'exercent plusieurs arts, et où l'on vend diverses marchandises. Il ne faut jamais être importuné de leurs demandes; ce sont des ouvertures que la nature vous offre pour faciliter l'instruction : témoignez y prendre plaisir : par-là vous leur enseignerez insensiblement comment se font toutes les choses qui servent à l'homme, et sur lesquelles roule le commerce. Peu à peu, sans étude particulière, ils connaîtront la bonne manière de faire toutes ces choses qui sont de leur usage, et le juste prix de chacune, ce qui est le vrai fond de l'économie. Ces connaissances, qui ne doivent être méprisées de personne puisque tout le monde a besoin de ne se pas laisser tromper dans sa dépense, sont principalement nécessaires aux filles.
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Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 10:10 am

CHAPITRE III.
Quels sont les premiers fondements de l'éducation.


Pour remédier à tous ces maux, c'est un grand avantage que de pouvoir commencer l'éducation des filles dès leur plus tendre enfance. Ce premier âge, qu'on abandonne à des femmes indiscrètes et quelquefois déréglées, est pourtant celui où se font les impressions les plus profondes, et qui par conséquent a un grand rapport à tout le reste de la vie. Avant que les enfants sachent entièrement parler, on peut les préparer à l'instruction. On trouvera peut-être que j'en dis trop : mais on n'a qu'à considérer ce que fait l'enfant qui ne parle pas encore: il apprend une langue qu'il parlera bientôt plus exactement que les savants ne sauraient parler les langues mortes qu'ils ont étudiées avec tant de travail dans l'âge le plus mûr. Mais qu'est-ce qu'apprendre une langue ? Ce n'est pas seulement mettre dans sa mémoire un grand nombre de mots; c'est encore, dit saint Augustin, observer le sens de chacun de ces mots en particulier. L'enfant, dit-il, parmi ses cris et ses jeux, remarque de quel objet chaque parole est le signe : il le fait, tantôt en considérant les mouvements naturels des corps qui touchent ou qui montrent les objets dont on parle, tantôt étant frappé par la fréquente répétition du même mot pour signifier le même objet. Il est vrai que le tempérament du cerveau des enfants leur donne une admirable facilité pour l'impression do toutes ces images : mais quelle attention d'esprit ne faut-il pas pour les discerner, et pour les attacher chacune à son objet ?
Considérez encore combien, dès cet âge, les enfants cherchent ceux qui les flattent, et fuient ceux qui les contraignent ; combien ils savent crier ou se taire pour avoir ce qu'ils souhaitent ; combien ils ont déjà d'artifice et de jalousie. J'ai vu, dit saint Augustin, un enfant jaloux : il ne savait pas encore parler ; et déjà, avec un visage pâle et des yeux irrités, il regardait l'enfant qui tétait avec lui. On peut donc compter que les enfants connaissent dès lors plus qu'on ne s'imagine d'ordinaire : ainsi vous pouvez leur donner, par des paroles qui seront aidées par des tons et des gestes, l'inclination d'être avec les personnes honnêtes et vertueuses qu'ils voient, plutôt qu'avec d'autres personnes déraisonnables qu'ils seraient en danger d'aimer : ainsi vous pouvez encore, par les différents airs de votre visage, et par le ton de votre voix, leur représenter avec horreur les gens qu'ils ont vus en colère ou dans quelque autre dérèglement, et prendre les tons les plus doux avec le visage le plus serein, pour leur représenter avec admiration ce qu'ils ont vu faire de sage et de modeste. Je ne donne pas ces petites choses pour grandes ; mais enfin ces dispositions éloignées sont des commencements qu'il ne faut pas négliger, et cette manière de prévenir de loin les enfants a des suites insensibles qui facilitent l'éducation.
Si on doute encore du pouvoir que ces premiers préjugés de l'enfance ont sur les hommes, on n'a qu'à voir combien le souvenir des choses qu'on a aimées dans l'enfance est encore vif et touchant dans un âge avancé. Si, au lieu de donner aux enfants de vaines craintes des fantômes et des esprits, qui ne font qu'affaiblir, par de trop grands ébranlements, leur cerveau encore tendre ; si, au lieu de les laisser suivre toutes les imaginations de leurs nourrices pour les choses qu'ils doivent aimer ou fuir, on s'attachait à leur donner toujours une idée agréable du bien, et une idée affreuse du mal ; cette prévention leur faciliterait beaucoup dans la suite la pratique de toutes les vertus.
Au contraire, on leur fait craindre un prêtre vêtu de noir, on ne leur parle de la mort que pour les effrayer, on leur raconte que les morts reviennent la nuit sous des figures hideuses : tout cela n'aboutit qu'à rendre une âme faible et timide, et qu'à la préoccuper contre les meilleures choses. Ce qui est le plus utile dans les premières années de l'enfance, c'est de ménager la santé de l'enfant, de tâcher de lui faire un sang doux par le choix des aliments, et par un régime de vie simple ; c'est de régler ses repas, en sorte qu'il mange toujours à peu près aux mêmes heures ; qu'il mange assez souvent à proportion de son besoin ; qu'il ne mange point hors de son repas, parce que c'est surcharger l'estomac pendant que la digestion n'est pas finie ; qu'il ne mange rien de haut goût, qui l'excite à manger au-delà de son besoin, et qui le dégoûte des aliments plus convenables à sa santé ; qu'enfin on ne lui serve pas trop de choses différentes, car la variété des viandes qui viennent l'une après l'autre soutient l'appétit après que le vrai besoin de manger est fini.
Ce qu'il y a encore de très important, c'est de laisser affermir les organes en ne pressant point l'instruction, d'éviter tout ce qui peut allumer les passions, d'accoutumer doucement l'enfant à être privé des choses pour lesquelles il a témoigné trop d'ardeur, afin qu'il n'espère jamais d'obtenir les choses qu'il désire. Si peu que le naturel des enfants soit bon, on peut les rendre ainsi dociles, patients, fermes, gais et tranquilles : au lieu que, si on néglige ce premier âge, ils y deviennent ardents et inquiets pour toute leur vie; leur sang se brûle ; les habitudes se forment; le corps, encore tendre, et l’âme, qui n'a encore aucune pente vers aucun objet, se plient vers le mal ; il. se fait en eux une espèce de second péché originel, qui est la source de mille désordres quand ils sont plus grands. Dès qu'ils sont dans un âge plus avancé, où leur raison est toute développée, il faut que toutes les paroles qu'on leur dit servent à leur faire aimer la vérité, et à leur inspirer le mépris de toute dissimulation. Ainsi, on ne doit jamais se servir d'aucune feinte pour les apaiser, ou pour leur persuader ce qu'on veut : par-là, on leur enseigne la finesse, qu'ils n'oublient jamais ; il faut les mener par la raison autant qu'on peut. Mais examinons de plus près l'état des enfants, pour voir plus en détail ce qui leur convient. La substance de leur cerveau est molle, et elle se durcit tous les jours ; pour leur esprit, il ne sait rien, tout lui est nouveau. Cette mollesse du cerveau fait que. tout s'y imprime facilement, et la surprise de la nouveauté fait qu'ils admirent aisément, et qu'ils sont fort curieux. Il est vrai aussi que cette humidité et cette mollesse du cerveau jointe à une grande chaleur, lui donne un mouvement facile et continuel. De là vient cette agitation des enfants, qui ne peuvent arrêter leur esprit à aucun objet, non plus que leur corps en aucun lieu. D'un autre côté, les enfants ne sachant encore rien penser ni faire d'eux-mêmes, ils remarquent tout, et ils parlent peu, si on ne les accoutume à parler beaucoup, et c'est de quoi il faut bien se garder.
Souvent le plaisir qu'on veut tirer des jolis enfants les gâte ; on les accoutume à hasarder tout ce qui leur vient dans l'esprit, et à parler des choses dont ils n'ont pas encore des connaissances distinctes : il leur en reste toute leur vie l'habitude de juger avec précipitation, et de dire des choses dont ils n'ont point d'idées claires ; ce qui fait un très mauvais caractère d'esprit.
Ce plaisir qu'on veut tirer des enfants produit encore un effet pernicieux ; ils aperçoivent qu'on les regarde avec complaisance, qu'on observe tout ce qu'ils font, qu'on les écoute avec plaisir ; par-là ils s'accoutument à croire que le monde sera toujours occupé d'eux. Pendant cet âge où l'on est applaudi, et où l'on n'a point encore éprouvé la contradiction, on conçoit des espérances chimériques qui préparent des mécomptes infinis pour toute la vie. J'ai vu des enfants qui croyaient qu'on parlait d'eux toutes les fois qu'on parlait en secret, parce qu'ils avaient remarqué qu'on l'avait fait souvent; ils s'imaginaient n'avoir rien en eux que d'extraordinaire et d'admirable. Il faut donc prendre soin des enfants, sans leur laisser voir qu'on pense beaucoup à eux.
Montrez-leur que c'est par amitié, et par le besoin où ils sont d'être redressés, que vous êtes attentifs à leur conduite, et non par l'admiration de leur esprit. Contentez-vous de les former peu à peu selon les occasions qui viennent naturellement : quand même vous pourriez avancer beaucoup l'esprit d'un enfant sans le presser, vous devriez craindre de le faire ; car le danger de la vanité et de la présomption est toujours plus grand que le fruit de ces éducations prématurées qui font tant de bruit. Il faut se contenter de suivre et d'aider la nature. Les enfants savent peu, il ne faut pas les exciter à parler : mais comme ils ignorent beaucoup de choses, ils ont beaucoup de questions à faire ; aussi en font-ils beaucoup. Il suffit de leur répondre précisément, et d'ajouter quelquefois certaines petites comparaisons pour rendre plus sensibles les éclaircissements qu'on doit leur donner.
S'ils jugent de quelque chose sans le bien savoir, il faut les embarrasser par quelque question nouvelle, pour leur faire sentir leur faute, sans les confondre rudement. En même temps il faut leur faire apercevoir, non par des louanges vagues, mais par quelque marque effective d'estime, qu'on les approuve bien plus quand ils doutent, et qu'ils demandent ce qu'ils ne savent pas, que quand ils décident le mieux. C'est le vrai moyen de mettre dans leur esprit, avec beaucoup de politesse, une modestie véritable, et un grand mépris pour les contestations qui sont si ordinaires aux jeunes personnes peu éclairées.
Dès qu'il paraît que leur raison a fait quelque progrès, il faut se servir de cette expérience pour les prémunir contre la présomption. Vous voyez, direz-vous, que vous êtes plus raisonnable maintenant que vous ne l'étiez l'année passée ; dans un an vous verrez encore des choses que vous n'êtes pas capable devoir aujourd'hui. Si, l'année passée, vous aviez voulu juger des choses que vous savez maintenant, et que vous ignoriez alors, vous en auriez maljugé. Vous auriez eu grand tort de prétendre savoir ce qui était au-delà de votre portée.
Il en est de même aujourd'hui des choses qui vous restent à connaître : vous verrez un jour combien vos jugements présents sont imparfaits. Cependant fiez-vous aux conseils des personnes qui jugent, comme vous jugerez vous-mêmes quand vous aurez leur âge et leur expérience.
La curiosité des enfants est un penchant de la nature, qui va comme au-devant de l'instruction ; ne manquez pas d'en profiter. Par exemple, à la campagne ils voient un moulin,et ils veulent savoir ce que c'est ; il faut leur montrer comment se prépare l'aliment qui nourrit l'homme. Ils aperçoivent des moissonneurs, et il faut leur expliquer ce qu'ils font, comment est-ce qu'on sème le blé, et comment il se multiplie dans la terre. A la ville, ils voient des boutiques où s'exercent plusieurs arts, et où l'on vend diverses marchandises. Il ne faut jamais être importuné de leurs demandes; ce sont des ouvertures que la nature vous offre pour faciliter l'instruction : témoignez y prendre plaisir : par-là vous leur enseignerez insensiblement comment se font toutes les choses qui servent à l'homme, et sur lesquelles roule le commerce. Peu à peu, sans étude particulière, ils connaîtront la bonne manière de faire toutes ces choses qui sont de leur usage, et le juste prix de chacune, ce qui est le vrai fond de l'économie. Ces connaissances, qui ne doivent être méprisées de personne puisque tout le monde a besoin de ne se pas laisser tromper dans sa dépense, sont principalement nécessaires aux filles.

CHAPITRE IV.
Imitation à craindre.

L'ignorance des enfants, dans le cerveau desquels rien n'est encore imprimé, et qui n'ont aucune habitude, les rend souples et enclins à imiter tout ce qu'ils voient. C'est pourquoi il est capital de ne leur offrir que de bons modèles. Il ne faut laisser approcher d'eux que des gens dont les exemples soient utiles à suivre : mais comme il n'est pas possible qu'ils ne voient, malgré les précautions qu'on prend, beaucoup de choses irrégulières, il faut leur faire remarquer de bonne heure l'impertinence de certaines personnes vicieuses et déraisonnables, sur la réputation desquelles il n'y a rien à ménager : il faut leur montrer combien on est méprisé et digne de l'être, combien on est misérable, quand on s'abandonne a ses passions, et qu'on ne cultive point sa raison. On peut ainsi, sans les accoutumer à la moquerie, leur former le goût, et les rendre sensibles aux vraies bienséances. Il ne faut pas même s'abstenir de les prévenir en général sur certains défauts, quoiqu'on puisse craindre de leur ouvrir par-là les yeux sur les faiblesses des gens qu'ils doivent respecter ; car, outre qu'on ne doit pas espérer et qu'il n'est point juste de les entretenir dans l'ignorance des véritables règles là-dessus, d'ailleurs le plus sûr moyen de les tenir dans leurs devoirs est de leur persuader qu'il faut supporter les défauts d'autrui, qu'on ne doit pas même en juger légèrement, qu'ils paraissent souvent plus grands qu'ils ne sont, qu'ils sont réparés par des qualités avantageuses ; et que, rien n'étant parfait sur la terre, on doit admirer ce qui a le moins d'imperfection ; enfin, quoiqu'il faille réserver de telles instructions pour l'extrémité, il faut pourtant leur donner les vrais principes, et les préserver d'imiter tout le mal qu'ils ont devant les yeux.
Il faut aussi les empêcher de contrefaire les gens ridicules ; car ces manières moqueuses et comédiennes ont quelque chose de bas et de contraire aux sentiments honnêtes : il est à craindre que les enfants ne les prennent, parce que la chaleur de leur imagination et la souplesse de leur corps, jointes à leur enjouement, leur font aisément prendre toutes sortes de formes pour représenter ce qu'ils voient de ridicule Cette pente à imiter, qui est dans les enfants, produit des maux infinis quand on les livre à des gens sans vertu qui ne se contraignent guère devant eux. Mais Dieu a mis, par cette pente, dans les enfants de quoi se plier facilement à tout ce qu'on leur montre pour le bien. Souvent, sans leur parler, on n'aurait qu'à leur faire voir en autrui ce qu'on voudrait qu'ils fissent.
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Education des filles, Fénélon. Empty Re: Education des filles, Fénélon.

Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 11:33 am

CHAPITRE V.

Instructions indirectes : il ne faut pas presser les enfants.
Je crois même qu'il faudrait souvent se servir de ces instructions indirectes, qui ne sont point ennuyeuses comme les leçons et les remontrances, seulement pour réveiller leur attention sur les exemples qu'on leur donnerait.
Une personne pourrait demander quelquefois devant eux à une autre : Pourquoi faites-vous cela? et l'autre répondrait : Je le fais par telle raison. Par exemple : Pourquoi avez-vous avoué votre faute? C'est que j'en aurais fait encore une plus grande de la désavouer lâchement par un mensonge, et qu'il n'y a rien de plus beau que de dire franchement : J'ai tort. Après cela, la première personne peut louer celle qui s'est ainsi accusée elle-même : mais il faut que tout cela se fasse sans affectation ; car les enfants sont bien plus pénétrants qu'on ne croit, et dès qu'ils ont aperçu quelque finesse dans ceux qui les gouvernent, ils perdent la simplicité et la confiance qui leur sont naturelles.
Nous avons remarqué que le cerveau des enfants est tout ensemble chaud et humide, ce qui leur cause un mouvement continuel. Cette mollesse du cerveau fait que toutes choses s'y impriment facilement, et que les images de tous les objets sensibles y sont très vives : ainsi il faut se hâter d'écrire dans leur tête pendant que les caractères s'y forment aisément. Mais il faut bien choisir les images qu'on y doit graver; car on ne doit verser dans un réservoir si petit et si précieux que des choses exquises : il faut se souvenir qu'on ne doit à cet âge verser dans les esprits que ce qu'on souhaite qui y demeure toute la vie. Les premières images gravées pendant que le cerveau est encore mou, et que rien n'y est écrit, sont les plus profondes.

D'ailleurs elles se durcissent à mesure que l'âge dessèche le cerveau; ainsi elles deviennent ineffaçables : delà vient que, quand on est vieux, on se souvient distinctement des choses de la jeunesse, quoique éloignées ; au lieu qu'on se souvient moins de celles qu'on a vues dans un âge plus avancé, parce que les traces ont été faites dans le cerveau lorsqu'il était desséché, et plein d'autres imagés.

Quand on entend faire ces raisonnements, on a peine à les croire. Il est pourtant vrai qu'on raisonne de même sans s'en apercevoir. Ne dit-on pas tous les jours : J'ai pris mon pli ; je suis trop vieux pour changer ; j'ai été nourri de cette façon? D'ailleurs ne sent-on pas un plaisir singulier à rappeler les images de la jeunesse? Les plus fortes inclinations ne sont-elles pas celles qu'on a prises à cet âge? Tout cela ne prouve-t-il pas que les premières impressions et les premières habitudes sont les plus fortes? Si l'enfance est propre à graver des images dans le cerveau, il faut avouer qu'elle l'est moins au raisonnement. Cette humidité du cerveau, qui rend les impressions faciles ; étant jointe à une grande chaleur, fait une agitation qui empêche toute application suivie.

Le cerveau des enfants est comme une bougie allumée dans un lieu exposé au vent : sa lumière vacille toujours. L'enfant vous fait une question; et, avant que vous répondiez, ses yeux s'enlèvent vers le plancher, il compte toutes les figures qui y sont peintes, ou tous les morceaux de vitres qui sont aux fenêtres : si vous voulez le ramener à son premier objet, vous le gênez comme si vous le teniez en prison. Ainsi il faut ménager avec grand soin les organes, en attendant qu'ils s'affermissent : répondez-lui promptement à sa question, et laissez-lui en faire d'autres à son gré.
Entretenez seulement sa curiosité, et faites dans sa mémoire un amas de bons matériaux : viendra le temps qu'ils s'assembleront d'eux-mêmes, et que, le cerveau ayant plus de consistance, l'enfant raisonnera de suite. Cependant bornez-vous à le redresser quand il ne raisonnera pas juste, et à lui faire sentir sans empressement, selon les ouvertures qu'il vous donnera, ce que c'est que tirer droit une conséquence.
Laissez donc jouer un enfant, et mêlez l'instruction avec le jeu ; que la sagesse ne se montre à lui que par intervalle, et avec un visage riant ; gardez-vous de le fatiguer par une exactitude indiscrète.
Si l'enfant se fait une idée triste et sombre de la vertu, si la liberté et le dérèglement se présentent à lui sous une figure agréable, tout est perdu, vous travaillez en vain. Ne le laissez jamais flatter par de petits esprits, ou par des gens sans règle : on s'accoutume à aimer les mœurs et les sentiments des gens qu'on aime; le plaisir qu'on trouve d'abord avec les malhonnêtes gens fait peu à peu estimer ce qu'ils ont même de méprisable.
Pour rendre les gens de bien agréables aux enfants, faites-leur remarquer ce qu'ils ont d'aimable et de commode ; leur sincérité, leur modestie, leur désintéressement, leur fidélité, leur discrétion, mais surtout leur piété, qui est la source de tout le reste.
Si quelqu'un d'entre eux a quelque chose de choquant, dites : La piété ne donne point ces défauts-là ; quand elle est parfaite, elle les ôte, ou du moins elle les adoucit.
Après tout, il ne faut point s'opiniâtrer à faire goûter aux enfants certaines personnes pieuses dont l'extérieur est dégoûtant. Quoique vous veilliez sur vous-même pour n'y laisser rien voir [que] de bon, n'attendez pas que l'enfant ne trouve jamais aucun défaut en vous ; souvent il apercevra jusqu'à vos fautes les plus légères.
Saint Augustin nous apprend qu'il avait remarqué dès son enfance la vanité de ses maîtres sur les études. Ce que vous avez de meilleur et de plus pressé à faire, c'est de connaître vous-même vos défauts aussi bien que l'enfant les connaîtra, et de vous en faire avertir par des amis sincères.
D'ordinaire, ceux qui gouvernent les enfants ne leur pardonnent rien, et se pardonnent tout à eux-mêmes : cela excite dans les enfants un esprit de critique et de malignité; de façon que quand ils ont vu faire quelque faute à la personne qui les gouverne, ils en sont ravis, et ne cherchent qu'à la mépriser.
Évitez cet inconvénient : ne craignez point de parler des défauts qui sont visibles en vous, et des fautes qui vous auront échappé devant l'enfant.
Si vous le voyez capable d'entendre raison là-dessus, dites-lui que vous voulez lui donner l'exemple de se corriger de ses défauts, en vous corrigeant des vôtres : par-là vous tirerez de vos imperfections mêmes de quoi instruire et édifier l'enfant,de quoi l'encourager pour sa correction ; vous éviterez même le mépris et le dégoût que vos défauts pourraient lui donner pour votre personne.
En même temps il faut chercher tous les moyens de rendre agréables à l'enfant les choses que vous exigez de lui. En avez-vous quelqu'une de fâcheuse à proposer, faites-lui entendre que la peine sera bientôt suivie du plaisir ; montrez-lui toujours l'utilité des choses que vous lui enseignez ; faites-lui-en voir l'usage par rapport au commerce du monde et aux devoirs des conditions.
Sans cela, l'étude lui paraît un travail abstrait, stérile et épineux. A quoi sert, disent-ils en eux-mêmes,d'apprendre toutes ces choses dont on ne parle point dans les conversations, et qui n'ont aucun rapport à tout ce qu'on est obligé de faire ? Il faut donc leur rendre raison de tout ce qu'on leur enseigne : C'est, leur direz-vous, pour vous mettre en état de bien faire ce que vous ferez un jour ; c'est pour vous former le jugement; c'est pour vous accoutumer à bien raisonner sur toutes les affaires de la vie. Il faut toujours leur montrer un but solide et agréable qui les soutienne dans le travail, et ne prétendre jamais les assujettir par une autorité sèche et absolue.
A mesure que leur raison augmente, il faut aussi de plus en plus raisonner avec eux sur les besoins de leur éducation, non pour suivre toutes leurs pensées, mais pour en profiter lorsqu'ils feront connaître leur état véritable, pour éprouver leur discernement, et pour leur faire goûter les choses qu'on veut qu'ils fassent.
Ne prenez jamais sans une extrême nécessité un air austère et impérieux, qui fait trembler les enfants. Souvent c'est affectation et pédanterie dans ceux qui gouvernent ; car, pour les enfants, ils ne sont d'ordinaire que trop timides et honteux. Vous leur fermeriez le cœur, et leur ôteriez la confiance, sans laquelle il n'y a nul fruit à espérer de l'éducation. Faites-vous aimer d'eux ; qu'ils soient libres avec vous, et qu'ils ne craignent point de vous laisser voir leurs défauts.
Pour y réussir, soyez indulgent à ceux qui ne se déguisent point devant vous. Ne paraissez ni étonné ni irrité de leurs mauvaises inclinations ; au contraire, compatissez à leurs faiblesses. Quelquefois il en arrivera cet inconvénient, qu'ils seront moins retenus par la crainte; mais, à tout prendre, la confiance et la sincérité leur sont plus utiles que l'autorité rigoureuse.
D'ailleurs, l'autorité ne laissera pas de trouver sa place, si la confiance et la persuasion ne sont pas assez fortes ; mais il faut toujours commencer par une conduite ouverte, gaie, et familière sans bassesse, qui vous donne moyen de voir agir les enfants dans leur état naturel, et de les connaître à fond. Enfin, quand même vous les réduiriez par l'autorité à observer toutes vos règles, vous n'iriez pas à votre but ; tout se tournerait en formalités gênantes, et peut-être en hypocrisie, vous les dégoûteriez du bien, dont vous devez chercher uniquement de leur inspirer l'amour.
Si le Sage a toujours recommandé aux parents de tenir la verge assidument levée sur les enfants, s'il a dit qu'un père qui se joue avec son fils pleurera dans la suite, ce n'est pas qu'il ait blâmé une éducation douce et patiente ; il condamne seulement ces parents faibles et inconsidérés qui flattent les passions de leurs enfants, et qui ne cherchent qu'à s'en divertir pendant leur enfance, jusqu'à leur souffrir toutes sortes d'excès. Ce qu'il en faut conclure est que les parents doivent toujours conserver de l'autorité pour la correction, car il y a des naturels qu'il faut dompter par la crainte ; mais, encore une fois, il ne faut le faire que quand on ne saurait faire autrement.
Un enfant qui n'agit encore que par imagination, et qui confond dans sa tête les choses qui se présentent à lui liées ensemble, hait l'étude et la vertu, parce qu'il est prévenu d'aversion pour la personne qui lui en parle.
Voilà d'où vient cette idée si sombre et si affreuse de la piété, qu'il retient toute sa vie ; c'est souvent tout ce qui lui reste d'une éducation sévère.
Souvent il faut tolérer des choses qui auraient besoin d'être corrigées, et attendre le moment où l'esprit de l'enfant sera disposé à profiter de la correction. Ne le reprenez jamais, ni dans son premier mouvement, ni dans le vôtre. Si vous le faites dans le vôtre, il s'aperçoit que vous agissez par humeur et par promptitude, et non par raison et par amitié ; vous perdez sans ressource votre autorité. Si vous le reprenez dans son premier mouvement, il n'a pas l'esprit assez libre pour avouer sa faute, pour vaincre sa passion, et pour sentir l'importance de vos avis ; c'est même exposer l'enfant à perdre le respect qu'il vous doit.
Montrez-lui toujours que vous vous possédez : rien ne le lui fera mieux voir que votre patience. Observez tous les moments pendant plusieurs jours, s'il le faut, pour bien placer une correction. Ne dites point à l'enfant son défaut, sans ajouter quelque moyen de le surmonter, qui l'encourage à le faire ; car il faut éviter le chagrin et le découragement que la correction inspire quand elle est sèche.
Si on trouve un enfant un peu raisonnable, je crois qu'il faut l'engager insensiblement à demander qu'on lui dise ses défauts ; c'est le moyen de les lui dire sans l'affliger : ne lui en dites même jamais plusieurs à la fois.
Il faut considérer que les enfants ont la tête faible, que leur âge ne les rend encore sensibles qu'au plaisir, et qu'on leur demande souvent une exactitude et un sérieux dont ceux qui l'exigent seraient incapables. On fait même une dangereuse impression d'ennui et de tristesse sur leur tempérament, en leur parlant toujours des mots et des choses qu'ils n'entendent point : nulle liberté, nul enjouement ; toujours leçons, silence, posture gênée, correction et menaces.
Les anciens l'entendaient bien mieux : c'est par le plaisir des vers et de la musique que les principales sciences, les maximes des vertus, et la politesse des mœurs, s'introduisirent chez les Hébreux, chez les Egyptiens et chez les Grecs. Les gens sans lecture ont peine à le croire ; tant cela est éloigné de nos coutumes. Cependant, si peu qu'on connaisse l'histoire, il n'y a pas moyen de douter que ce n'ait été la pratique vulgaire de plusieurs siècles. Du moins retranchons-nous, dans le nôtre, à joindre l'agréable à l'utile autant que nous le pouvons.
Mais, quoiqu'on ne puisse guère espérer de se passer toujours d'employer la crainte pour le commun des enfants, dont le naturel est dur et indocile, il ne faut pourtant y avoir recours qu'après avoir éprouvé patiemment tous les autres remèdes.
Il faut même toujours faire entendre distinctement aux enfants à quoi se réduit tout ce qu'on leur demande, et moyennant quoi on sera content d'eux ; car il faut que la joie et la confiance soient leur disposition ordinaire : autrement on obscurcit leur esprit, on abat leur courage; s'ils sont vifs, on les irrite; s'ils sont mous, on les rend stupides.
La crainte est comme les remèdes violents qu'on emploie dans les maladies extrêmes ; ils purgent, mais ils altèrent le tempérament, et usent les organes : une âme menée par la crainte en est toujours plus faible.
Au reste, quoiqu'il ne faille pas toujours menacer sans châtier, de peur de rendre les menaces méprisables, il faut pourtant châtier encore moins qu'on ne menace. Pour les châtiments, la peine doit être aussi légère qu'il est possible, mais accompagnée de toutes les circonstances qui peuvent piquer l'enfant de honte et de remords : par exemple, montrez-lui tout ce que vous avez fait pour éviter cette extrémité; paraissez-lui en affligé ; parlez devant lui, avec d'autres personnes, du malheur de ceux qui manquent de raison et d'honneur jusqu'à se faire châtier ; retranchez les marques d'amitié ordinaires, jusqu'à ce que vous voyiez qu'il ait besoin de consolation ; rendez ce châtiment public ou secret, selon que vous jugerez qu'il sera plus utile à l'enfant, ou de lui causer une grande honte, ou de lui montrer qu'on la lui épargne ; réservez cette honte publique pour servir de dernier remède ; servez-vous quelquefois d'une personne raisonnable qui console l'enfant, qui lui dise ce que vous ne devez pas alors lui dire vous-même, qui le guérisse de la mauvaise honte, qui le dispose à revenir à vous, et auquel l'enfant, dans son émotion, puisse ouvrir son cœur plus librement qu'il n'oserait le faire devant vous.

Mais surtout qu'il ne paraisse jamais que vous demandiez de l'enfant que les soumissions nécessaires ; tâchez de faire en sorte qu'il s'y condamne lui-même,qu'il s'exécute de bonne grâce, et qu'il ne vous reste qu'à adoucir la peine qu'il aura acceptée. Chacun doit employer les règles générales selon les besoins particuliers : les hommes, et surtout les enfants, ne se ressemblent pas toujours à eux-mêmes; ce qui est bon aujourd'hui est dangereux demain ; une conduite toujours uniforme ne peut être utile.

Le moins qu'on peut faire de leçons en forme, c'est le meilleur. On peut insinuer une infinité d'instructions plus utiles que les leçons mêmes, dans des conversations gaies. J'ai vu divers enfants qui ont appris à lire en se jouant : on n'a qu'à leur raconter des choses divertissantes qu'on tire d'un livre en leur présence, et leur faire connaître insensiblement les lettres ; après cela, ils souhaitent d'eux-mêmes de pouvoir aller à la source de ce qui leur a donné du plaisir.
Les deux choses qui gâtent tout, c'est qu'on leur fait apprendre à lire d'abord en latin, ce qui leur ôte tout le plaisir de la lecture ; et qu'on veut les accoutumer à lire avec une emphase forcée et ridicule. Il faut leur donner un livre bien relié, doré même sur la tranche, avec de belles images et des caractères bien formés. Tout ce qui réjouit l'imagination facilite l'étude : il faut tâcher de choisir un livre plein d'histoires courtes et merveilleuses.
Cela fait, ne soyez pas en peine que l'enfant n'apprenne à lire : ne le fatiguez pas même pour le faire lire exactement, laissez-le prononcer naturellement comme il parle ; les autres tons sont toujours mauvais, et sentent la déclamation du collège quand sa langue sera dénouée, sa poitrine plus forte, et l'habitude de lire plus grande, il lira sans peine, avec plus de grâce, et plus distinctement. La manière d'enseigner à écrire doit être à peu près de même. Quand les enfants savent déjà un peu lire, on peut leur faire un divertissement de former des lettres ; et s'ils sont plusieurs ensemble, il faut y mettre de l'émulation. Les enfants se portent d'eux-mêmes à faire des figures sur le papier : si peu qu'on aide cette inclination sans la gêner trop, ils formeront les lettres en se jouant, et s'accoutumeront peu à peu à écrire. On peut même les y exciter en leur promettant quelque récompense qui soit de leur goût, et qui n'ait point de conséquence dangereuse.
Écrivez-moi un billet, dira-t-on; mandez telle chose à votre frère ou à votre cousin : tout cela fait plaisir à l'enfant, pourvu qu'aucune image triste de leçon réglée ne le trouble. Une libre curiosité, dit saint Augustin, sur sa propre expérience, excite bien plus l'esprit des enfants qu'une règle et une nécessité imposée par la crainte.
Remarquez un grand défaut des éducations ordinaires : on met tout le plaisir d'un côté, et tout l'ennui de l'autre ; tout l'ennui dans l'étude, tout le plaisir dans les divertissements. Que peut faire un enfant, sinon supporter impatiemment cette règle, et courir ardemment après les jeux ? Tâchons donc de changer cet ordre : rendons l'étude agréable, cachons-la sous l'apparence de la liberté et du plaisir ; souffrons que les enfants interrompent quelquefois l'étude par de petites saillies de divertissement ; ils ont besoin de ces distractions pour délasser leur esprit. Laissons leur vue se promener un peu ; permettons-leur même de temps en temps quelque digression ou quelque jeu , afin que leur esprit se mette au large ; puis ramenons-les doucement au but.

Une régularité trop exacte, pour exiger d'eux des études sans interruption, leur nuit beaucoup : souvent ceux qui les gouvernent affectent cette régularité, parce qu'elle leur est plus commode qu'une sujétion continuelle à profiter de tous les moments. En même temps, ôtons aux divertissements des enfants tout ce qui peut les passionner trop : mais tout ce qui peut délasser l'esprit, lui offrir une variété agréable, satisfaire sa curiosité pour les choses utiles, exercer le corps aux arts convenables, tout cela doit être employé dans les divertissements des enfants. Ceux qu'ils aiment le mieux sont ceux où le corps est en mouvement ; ils sont contents, pourvu qu'ils changent souvent de place ; un volant ou une boule suffit. Ainsi il ne faut pas être en peine de leurs plaisirs, ils en inventent assez eux-mêmes; il suffit de les laisser faire , de les observer avec un visage gai, et de les modérer dès qu'ils s'échauffent trop. Il est bon seulement de leur faire sentir, autant qu'il est possible, les plaisirs que l'esprit peut donner, comme la conversation, les nouvelles, les histoires, et plusieurs jeux d'industrie qui renferment quelque instruction. Tout cela aura son usage en son temps : mais il ne faut pas forcer le goût des enfants là-dessus, on ne doit que leur offrir des ouvertures ; un jour leur corps sera moins disposé à se remuer, et leur esprit agira davantage.
Le soin qu'on prendra cependant à assaisonner de plaisir les occupations sérieuses servira beaucoup à ralentir l'ardeur de la jeunesse pour les divertissements dangereux. C'est la sujétion et l'ennui qui donnent tant d'impatience de se divertir. Si une fille s'ennuyait moins à être auprès de sa mère, elle n'aurait pas tant d'envie de lui échapper pour aller chercher des compagnies moins bonnes. Dans le choix des divertissements, il faut éviter
toutes les sociétés suspectes. Point de garçons avec les filles, ni même des filles dont l'esprit ne soit réglé et sûr. Les jeux qui dissipent et qui passionnent trop, ou qui accoutument à une agitation de corps immodeste pour une fille, les fréquentes sorties de la maison , et les conversations qui peuvent donner l'envie d'en sortir souvent, doivent être évités. Quand on ne s'est encore gâté par aucun grand divertissement, et qu'on n'a fait naître en soi aucune passion ardente, on trouve aisément la joie ; la santé et l'innocence en sont les vraies sources : mais les gens qui ont eu le malheur de s'accoutumer aux plaisirs violents perdent le goût des plaisirs modérés, et s'ennuient toujours dans une recherche inquiète de la joie. On se gâte le goût pour les divertissements comme pour les viandes ; on s'accoutume tellement aux choses de haut goût, que les viandes communes et simplement assaisonnées deviennent fades et insipides. Craignons donc ces grands ébranlements
de l'âme qui préparent l'ennui et le dégoût ; surtout ils sont plus à craindre pour les enfants, qui résistent moins à ce qu'ils sentent, et qui veulent être toujours émus : tenons-les dans le goût des choses simples ; qu'il ne faille pas de grands apprêts de viandes pour les nourrir, ni de grands divertissements pour les réjouir. La sobriété donne toujours assez d'appétit, sans avoir besoin de le réveiller par des ragoûts qui portent à l'intempérance. La tempérance, disait un ancien, est la meilleure ouvrière de la volupté : avec cette tempérance, qui fait la santé du corps et de l'âme, on est toujours dans une joie douce et modérée : on n'a besoin ni de machines, ni de spectacles, ni de dépense pour se réjouir ; un petit jeu qu'on invente, une lecture , un travail qu'on entreprend, une promenade, une conversation innocente qui délasse après le travail, font sentir une joie plus pure que la musique la plus charmante.
Les plaisirs simples sont moins vifs et moins sensibles, il est vrai : les autres enlèvent l'âme en remuant les ressorts des passions. Mais les plaisirs simples sont d'un meilleur usage ; ils donnent une joie égale et durable, sans aucune suite maligne : ils sont toujours bienfaisants ; au lieu que les autres plaisirs sont comme les vins frelatés, qui plaisent d'abord plus que les naturels, mais qui altèrent, et qui nuisent à la santé. Le tempérament de l'âme se gâte, aussi bien que le goût, par la recherche de ces plaisirs vifs et piquants. Tout ce qu'on peut faire pour les enfants qu'on gouverne, c'est de les accoutumer à cette vie simple, d'en fortifier en eux l'habitude le plus longtemps qu'on peut, de les prévenir de la crainte des inconvénients attachés aux autres plaisirs, et de ne les point abandonner à eux-mêmes, comme on fait d'ordinaire, dans l'âge où les passions commencent à se faire sentir, et où par conséquent ils ont plus besoin d'être retenus.

Il faut avouer que de toutes les peines de l'éducation, aucune n'est comparable à celle d'élever des enfants qui manquent de sensibilité. Les naturels vifs et sensibles sont capables de terribles égarements : les passions et la présomption les entraînent ; mais aussi ils ont de grandes ressources, et reviennent souvent de loin ; l'instruction est en eux un germe caché, qui pousse et qui fructifie quelquefois, quand l'expérience vient au secours de la raison, et que les passions s'attiédissent : au moins on sait par où on peut les rendre attentifs, et réveiller leur curiosité ; on a en eux de quoi les intéresser à ce qu'on leur enseigne, et les piquer d'honneur ; au lieu qu'on n'a aucune prise sur les naturels indolents. Toutes les pensées de ceux-ci sont des distractions ; ils ne sont jamais où ils doivent être ; on ne peut même les toucher jusqu'au vif par les corrections ; ils écoutent tout, et ne sentent rien. Cette indolence rend l'enfant négligent, et dégoûté de tout ce qu'il fait. C'est alors que la meilleure éducation court risque d'échouer, si on ne se hâte d'aller au-devant du mal dès la première enfance. Beaucoup de gens, qui n'approfondissent guère, concluent de ce mauvais succès que c'est la nature qui fait tout pour former des hommes de mérite, et que l'éducation n'y peut rien : au lieu qu'il faudrait seulement conclure qu'il y a des naturels semblables aux terres ingrates, sur qui la culture fait peu. C'est encore bien pis quand ces éducations si difficiles sont traversées, ou négligées, ou mal réglées dans leurs commencements.
Il faut encore observer qu'il y a des naturels d'enfants auxquels on se trompe beaucoup. Ils paraissent d'abord jolis, parce que les premières grâces de l'enfance ont un lustre qui couvre tout; on y voit je ne sais quoi de tendre et d'aimable, qui empêche d'examiner de près le détail des traits du visage.

Tout ce qu'on trouve d'esprit en eux surprend, parce qu'on n'en attend point de cet âge; toutes les fautes de jugement leur sont permises,et ont la grâce de l'ingénuité ; on prend une certaine vivacité du corps, qui ne manque jamais de paraître dans les enfants, pour celle de l'esprit.De là vient que l'enfance semble promettre tant, et qu'elle donne si peu. Tel a été célèbre par son esprit à l'âge de cinq ans, qui est tombé dans l'obscurité et dans le mépris à mesure qu'on l'a vu croître.De toutes les qualités qu'on voit dans les enfants, il n'y en a qu'une sur laquelle on puisse compter, c'est le bon raisonnement ; il croît toujours avec eux, pourvu qu'il soit bien cultivé : les grâces de l'enfance s'effacent ; la vivacité s'éteint ; la tendresse de cœur se perd même souvent, parce que les passions et le commerce des hommes politiques endurcissent insensiblement les jeunes gens qui entrent dans le monde. Tâchez donc de découvrir,au travers des grâces de l'enfance , si le naturel que vous avez à gouverner manque de curiosité, et s'il est peu sensible à une honnête émulation. En ce cas, il est difficile que toutes les personnes chargées de son éducation ne se rebutent bientôt dans un travail si ingrat et si épineux. Il faut donc remuer promptement tous les ressorts de l'âme de l'enfant, pour le tirer de cet assoupissement. Si vous prévoyez cet inconvénient, ne pressez pas d'abord les instructions suivies ; gardez-vous bien de charger sa mémoire, car c'est ce qui étonne et qui appesantit le cerveau ; ne le fatiguez point par des règles gênantes : égayez-le ; puisqu'il tombe dans l'extrémité contraire à la présomption, ne craignez point de lui montrer avec discrétion de quoi il est capable; contentez-vous de peu ; faites-lui remarquer ses moindres succès; représentez-lui combien mal à propos il a craint de ne pouvoir réussir dans des choses qu'il fait bien ; mettez-en œuvre l'émulation. La jalousie est plus violente dans les enfants qu'on ne saurait se l'imaginer ; on en voit quelquefois qui sèchent et qui dépérissent d'une langueur secrète, parce que d'autres sont plus aimés et plus caressés qu'eux. C'est une cruauté trop ordinaire aux mères, que de leur faire souffrir ce tourment ; mais il faut savoir employer ce remède dans les besoins pressants contre l'indolence: mettez devant l'enfant que vous élevez d'autres enfants qui ne fassent guère mieux que lui ; des exemples disproportionnés à sa faiblesse achèveraient de le décourager.
Donnez-lui de temps en temps de petites victoires sur ceux dont il est jaloux ; engagez-le, si vous le pouvez, à rire librement avec vous de sa timidité ; faites-lui voir des gens timides comme lui, qui surmontent enfin leur tempérament; apprenez-lui par des instructions indirectes, à l'occasion d'autrui, que la timidité et la paresse étouffent l'esprit ; que les gens mous et inappliqués, quelque génie qu'ils aient, se rendent imbéciles, et se dégradent eux-mêmes. Mais gardez-vous bien de lui donner ces instructions d'un ton austère et impatient; car rien ne renfonce tant au-dedans de lui-même un enfant mou et timide, que la rudesse.
Au contraire, redoublez vos soins pour assaisonner de facilités et de plaisirs proportionnés à son naturel le travail que vous ne pouvez lui épargner ; peut-être faudra-t-il même de temps en temps le piquer par le mépris et par les reproches. Vous ne devez pas le faire vous-même ; il faut qu'une personne inférieure, comme un autre enfant, le fasse, sans que vous paraissiez le savoir.
Saint Augustin raconte qu'un reproche fait à sainte Monique sa mère, dans son enfance, par une servante, la toucha jusqu'à la corriger d'une mauvaise habitude de boire du vin pur, dont la véhémence et la sévérité de sa gouvernante n'avait pu la préserver. Enfin il faut tâcher de donner du goût à l'esprit de ces sortes d'enfants, comme on tâche d'en donner au corps de certains malades.
On leur laisse chercher ce qui peut guérir leur dégoût ; on leur souffre quelques fantaisies aux dépens mêmes des règles, pourvu qu'elles n'aillent pas à des excès dangereux. Il est bien plus difficile de donner du goût à ceux qui n'en ont pas, que de former le goût de ceux qui ne l'ont pas encore tel qu'il doit être.
Il y a une autre espèce de sensibilité encore plus difficile et plus importante à donner : c'est celle de l'amitié. Dès qu'un enfant en est capable, il n'est plus question que de tourner son cœur vers des personnes qui lui soient utiles. L'amitié le mènera presque à toutes les choses qu'on voudra de lui; on a un lien assuré pour l'attirer au bien, pourvu qu'on sache s'en servir : il ne reste plus à craindre que l'excès ou le mauvais choix dans ses affections. Mais il y a d'autres enfants qui naissent politiques, cachés, indifférents, pour rapporter secrètement tout à eux-mêmes : ils trompent leurs parents, que la tendresse rend crédules; ils font semblant de les aimer ; ils étudient leurs inclinations pour s'y conformer ; ils paraissent plus dociles que les autres enfants du même âge, qui agissent sans déguisement selon leur humeur ; leur souplesse, qui cache une volonté âpre, paraît une véritable douceur ; et leur naturel dissimulé ne se déploie tout que quand il n'est plus temps de le redresser.
S'il y a quelque naturel d'enfant sur lequel l'éducation ne puisse rien, on peut dire que c'est celui-là; et cependant il faut avouer que le nombre en est plus grand qu'on ne s'imagine. Les parents ne peuvent se résoudre à croire que leurs enfants aient le cœur mal fait : quand ils ne veulent pas le voir d'eux-mêmes, personne n'ose entreprendre de les en convaincre, et le mal augmente toujours. Le principal remède serait de mettre les enfants, dès le premier âge, dans une grande liberté de découvrir leurs inclinations. Il faut toujours les connaître à fond, avant que de les corriger. Ils sont naturellement simples et ouverts ; mais si peu qu'on les gêne, ou qu'on leur donne quelque exemple de déguisement, ils ne reviennent plus à cette première simplicité. Il est vrai que Dieu seul donne la tendresse et la bonté de cœur : on peut seulement tâcher de l'exciter par des exemples généreux, par des maximes d'honneur et de désintéressement, par le mépris des gens qui s'aiment trop eux-mêmes. Il faut essayer de faire goûter de bonne heure aux enfants, avant qu'ils aient perdu cette première simplicité des mouvements les plus naturels, le plaisir d'une amitié cordiale et réciproque. Rien n'y servira tant, que de mettre d'abord auprès d'eux des gens qui ne leur montrent jamais rien de dur, de faux, de bas et d'intéressé.
Il vaudrait mieux souffrir auprès d'eux des gens qui auraient d'autres défauts, et qui fussent exempts de ceux-là. II faut encore louer les enfants de tout ce que l'amitié leur fait faire, pourvu qu'elle ne soit point trop déplacée ou trop ardente. Il faut encore que les parents leur paraissent pleins d'une amitié sincère pour eux : car les enfants apprennent souvent de leurs parents mêmes à n'aimer rien. Enfin je voudrais retrancher devant eux à l'égard des amis tous les compliments superflus, toutes les démonstrations feintes d'amitié, et toutes les fausses caresses, par lesquelles on leur enseigne à payer de vaines apparences les personnes qu'ils doivent aimer.
Il y a un défaut opposé à celui que nous venons de représenter, qui est bien plus ordinaire dans les filles; c'est celui de se passionner sur les choses même les plus indifférentes. Elles ne sauraient voir deux personnes qui sont mal ensemble, sans prendre parti dans leur cœur pour l'une contre l'autre ; elles sont toutes pleines d'affections ou d'aversions sans fondement ; elles n'aperçoivent aucun défaut dans ce qu'elles estiment, et aucune bonne qualité dans ce qu'elles méprisent. Il ne faut pas d'abord s'y opposer, car la contradiction fortifierait ces fantaisies : mais il faut peu à peu faire remarquer à une jeune personne, qu'on connaît mieux qu'elle tout ce qu'il y a de bon dans ce qu'elle aime, et tout ce qu'il y a de mauvais dans ce qui la choque. Prenez soin, en même temps, de lui faire sentir dans les occasions l'incommodité des défauts qui se trouvent dans ce qui la charme, et la commodité des qualités avantageuses qui se rencontrent dans ce qui lui déplaît : ne la pressez pas, vous verrez qu'elle reviendra d'elle-même.
Après cela, faites-lui remarquer ses entêtements passés avec leurs circonstances les plus déraisonnables : dites-lui doucement qu'elle verra de même ceux dont elle n'est pas encore guérie, quand ils seront finis. Racontez-lui les erreurs semblables où vous avez été à son âge. Surtout montrez-lui, le plus sensiblement que vous pourrez, le grand mélange de bien et de mal qu'on trouve dans tout ce qu'on peut aimer et haïr, pour ralentir l'ardeur de ses amitiés et de ses aversions.
Ne promettez jamais aux enfants, pour récompenses, des ajustements ou des friandises : c'est faire deux maux ; le premier, de leur inspirer l'estime de ce qu'ils doivent mépriser ; et le second, de vous ôter le moyen d'établir d'autres récompenses qui faciliteraient votre travail. Gardez-vous bien de les menacer de les faire étudier, ou de les assujettir à quelque règle. Il faut faire le moins de règles qu'on peut ; et lorsqu'on ne peut éviter d'en faire quelqu'une, il faut la faire passer doucement, sans lui donner ce nom, et montrant toujours quelque raison de commodité, pour faire une chose dans un temps et dans un lieu plutôt que dans un autre.
On courrait risque de décourager les enfants, si on ne les louait jamais lorsqu'ils font bien. Quoique les louanges soient à craindre à cause de la vanité, il faut tâcher de s'en servir pour animer les enfants sans les enivrer. Nous voyons que saint Paul les emploie souvent pour encourager les faibles, et pour faire passer plus doucement la correction.
Les Pères en ont fait le même usage. Il est vrai que, pour les rendre utiles, il faut les assaisonner de manière qu'on en ôte l'exagération, la flatterie, et qu'en même temps on rapporte tout le bien à Dieu, comme à sa source. On peut aussi récompenser les enfants par des jeux innocents et mêlés de quelque industrie, par des promenades où la conversation ne soit pas sans fruit, par de petits présents qui seront des espèces de prix, comme des tableaux ou des estampes, ou des médailles, ou des cartes de géographie, ou des livres dorés.
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Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 11:52 am

CHAPITRE VI.
De l'usage des histoires pour les enfants.

Les enfants aiment avec passion les contes ridicules ; on les voit tous les jours transportés de joie, ou versant, des larmes, au récit des aventures qu'on leur raconte. Ne manquez pas de profiter de ce
penchant. Quand vous les voyez disposés à vous entendre,racontez-leur quelque fable courte et jolie : mais choisissez quelques fables d'animaux qui soient ingénieuses et innocentes : donnez-les pour ce qu'elles sont; montrez-en le but sérieux.
Pour les fables païennes, une fille sera heureuse de les ignorer toute sa vie, à cause qu'elles sont impures et pleines d'absurdités impies. Si vous ne pouvez les faire ignorer toutes à l'enfant, inspirez en l'horreur.
Quand vous aurez raconté une fable, attendez que l'enfant vous demande d'en dire d'autres ; ainsi laissez-le toujours dans une espèce de faim d'en apprendre davantage. Ensuite, la curiosité étant excitée, racontez certaines histoires choisies, mais en peu de mots; liez-les ensemble, et remettez d'un jour à l'autre à dire la suite, pour tenir les enfants en suspens, et leur donner de l'impatience de voir la fin. Animez vos récits de tons vifs et familiers; faites parler tous vos personnages : les enfants, qui ont l'imagination vive, croiront les voir et les entendre. Par exemple, racontez l'histoire de Joseph : faites parler ses frères comme des brutaux, Jacob comme un père tendre et affligé ; que Joseph parle lui-même; qu'il prenne plaisir, étant maître en Egypte, à se cacher à ses frères,à leur faire peur, et puis à se découvrir.
Cette représentation naïve, jointe au merveilleux de cette histoire, charmera un enfant, pourvu qu'on ne le charge pas trop de semblables récits, qu'on les lui laisse désirer, qu'on les lui promette même pour récompense quand il sera sage, qu'on ne leur donne point l'air d'étude, qu'on n'oblige point l'enfant de les répéter : ces répétitions, à moins qu'ils ne s'y portent d'eux-mêmes, gênent les enfants, et leur ôtent tout l'agrément de ces sortes d'histoires.

Il faut néanmoins observer que si l'enfant a quelque facilité de parler, il se portera de lui-même à raconter aux personnes qu'il aime les histoires qui lui auront donné plus de plaisir ; mais ne lui en faites point une règle. Vous pouvez vous servir de quelque personne qui sera libre avec l'enfant,et qui paraîtra désirer apprendre de lui son histoire: l'enfant sera ravi de la lui raconter.
Ne faites pas semblant de l'entendre, laissez-le dire sans le reprendre de ses fautes. Lorsqu'il sera plus accoutumé à raconter, vous pourrez lui faire remarquer doucement la meilleure manière de
faire une narration, qui est de la rendre courte simple et naïve, par le choix des circonstances qui représentent mieux le naturel de chaque chose. Si vous avez plusieurs enfants, accoutumez-les peu à peu à représenter les personnages des histoires qu'ils ont apprises; l'un sera Abraham et l'autre Isaac : ces représentations les charmeront plus que d'autres jeux, les accoutumeront à penser et à dire des choses sérieuses avec plaisir, et rendront ces histoires ineffaçables dans leur mémoire.
Il faut tâcher de leur donner plus de goût pour les histoires saintes que pour les autres, non en leur disant qu'elles sont plus belles, ce qu'ils ne croiraient peut-être pas, mais en le leur faisant sentir sans le dire. Faites-leur remarquer combien elles sont importantes, singulières, merveilleuses, pleines de peintures naturelles et d'une noble vivacité.
Celles de la création, de la chute d'Adam, du déluge , de la vocation d'Abraham, du sacrifice d'Isaac, des aventures de Joseph que nous avons touchées, de la naissance et de la fuite de Moïse, ne sont pas seulement propres à réveiller la curiosité des enfants ; mais, en leur découvrant l'origine de la religion, elles en posent les fondements dans leur esprit. Il faut ignorer profondément l'essentiel de la religion, pour ne pas voir qu'elle est tout historique : c'est par un tissu de faits merveilleux que nous trouvons son établissement, sa perpétuité, et tout ce qui doit nous la faire pratiquer et croire. Il ne faut pas s'imaginer qu'on veuille engager les gens à s'enfoncer dans la science, quand on leur propose toutes ces histoires; elles sont courtes, variées, propres à plaire aux gens les plus grossiers. Dieu, qui connaît mieux que personne l'esprit de l'homme qu'il a formé, a mis la religion dans des faits populaires, qui, bien loin de surcharger les simples, leur aident à concevoir et à retenir les mystères. Par exemple, dites à un enfant qu'en Dieu trois personnes égales ne sont qu'une seule nature : à force d'entendre et de répéter ces termes, il les retiendra dans sa mémoire, mais je doute qu'il en conçoive le sens. Racontez-lui que Jésus-Christ sortant des eaux du Jourdain, le Père fit entendre cette voix du ciel : C'est mon fils bien aimé en qui j'ai mis ma complaisance, écoutez-le ; ajoutez que le Saint-Esprit descendit sur le Sauveur en forme de colombe : vous lui faites sensiblement trouver la Trinité dans une histoire qu'il n'oubliera point. Voilà trois personnes qu'il distinguera toujours par la différence de leurs actions : vous n'aurez plus qu'à lui apprendre que toutes ensemble elles ne font qu'un seul Dieu. Cet exemple suffit pour montrer l'utilité des histoires : quoiqu'elles semblent allonger l'instruction, elles l'abrègent beaucoup, et lui ôtent la sécheresse des catéchismes, où les mystères sont détachés des faits ; aussi voyons-nous qu'anciennement on instruisait par les histoires. La manière admirable dont saint Augustin veut qu'on instruise tous les ignorants n'était point une méthode que ce Père eût seul introduite, c'était la méthode et la pratique universelle de l'Église. Elle consistait à montrer, par la suite de l'histoire, la religion aussi ancienne que le monde, Jésus-Christ attendu dans l'ancien Testament, et Jésus-Christ régnant dans le nouveau : c'est le fond de l'instruction chrétienne.
Cela demande un peu plus de temps et de soin que l'instruction à laquelle beaucoup de gens se bornent : mais aussi on sait véritablement la religion, quand on sait ce détail ; au lieu que, quand on l'ignore, on n'a que des idées confuses sur Jésus-Christ, sur l'Evangile, sur l'Eglise, sur la nécessité de se soumettre absolument à ses décisions, et sur le fond des vertus que le nom chrétien doit nous inspirer. Le Catéchisme historique, imprimé depuis peu de temps, qui est un livre simple, court, et bien plus clair que les catéchismes ordinaires, renferme tout ce qu'il faut savoir là-dessus ; ainsi on ne peut pas dire qu'on demande beaucoup d'étude. Ce dessein est même celui du concile de Trente ; avec cette circonstance, que le Catéchisme du concile est un peu trop mêlé de termes théologiques pour les personnes simples.
Joignons donc aux histoires que j'ai remarquées le passage de la mer Rouge, et le séjour du peuple au désert, où il mangeait un pain qui tombait du ciel, et buvait une eau que Moïse faisait couler d'un rocher en le frappant avec sa verge.
Représentez la conquête miraculeuse de la Terre promise, où les eaux du Jourdain remontent vers leur source, et les murailles d'une ville tombent d'elles-mêmes à la vue des assiégeants. Peignez au naturel les combats de Saül et de David ; montrez celui-ci dès sa jeunesse , sans armes et avec son habit de berger, vainqueur du fier géant Goliath. N'oubliez pas la gloire et la sagesse de Salomon ; faites-le décider entre les deux femmes qui se disputent un enfant : mais montrez-le tombant du haut de cette sagesse, et se déshonorant par la mollesse, suite presque inévitable d'une trop grande prospérité.
Faites parler les prophètes aux rois de la part de Dieu; qu'ils lisent dans l'avenir comme dans un livre; qu'ils paraissent humbles, austères, et souffrant de continuelles persécutions pour avoir dit la vérité. Mettez en sa place la première ruine de Jérusalem : faites voir le temple brûlé, et la ville sainte ruinée pour les péchés du peuple. Racontez la captivité de Babylone, où les Juifs pleuraient leur chère Sion. Avant leur retour, montrez en passant les aventures délicieuses de Tobie et de Judith, d'Esther et de Daniel. Il ne serait pas même inutile de faire déclarer les enfants sur les différents caractères de ces saints, pour savoir ceux qu'ils goûtent le plus. L'un préférerait Esther, l'autre Judith ; et cela exciterait entre eux une petite contention, qui imprimerait plus fortement dans leurs esprits ces histoires, et formerait leur jugement. Puis ramenez le peuple à Jérusalem, et faites-lui réparer ses ruines ; faites une peinture riante de sa paix et de son bonheur.
Bientôt après, faites un portrait du cruel et impie Antiochus, qui meurt dans une fausse pénitence :
montrez sous ce persécuteur les victoires des Machabées, et le martyre des sept frères du même nom. Venez à la naissance miraculeuse de saint Jean. Racontez plus en détail celle de Jésus-Christ; après quoi il faut choisir dans l'Evangile tous les endroits les plus éclatants de sa vie, sa prédication dans le temple à l'âge de douze ans, son baptême, sa retraite au désert, et sa tentation ; la vocation de ses apôtres; la multiplication des pains; la conversion de la pécheresse qui oignit les pieds du Sauveur d'un parfum, les lava de ses larmes, et les essuya avec ses cheveux. Représentez encore la Samaritaine instruite, l'aveugle-né guéri, Lazare ressuscité, Jésus-Christ qui entre triomphant à Jérusalem : faites voir sa passion ; peignez-le sortant du tombeau. Ensuite il faut marquer la familiarité avec laquelle il fut quarante jours avec ses disciples, jusqu'à ce qu'ils le virent monter au ciel ; la descente du Saint-Esprit, la lapidation de saint Etienne, la conversion de saint Paul, la vocation du centenier Corneille. Les voyages des apôtres, et particulièrement de saint Paul, sont encore très agréables. Choisissez les plus merveilleuses des histoires des martyrs, et quelque chose en gros de la vie céleste des premiers chrétiens : mêlez-y le courage des jeunes vierges, les plus étonnantes austérités des solitaires, la conversion des empereurs et de l'empire, l'aveuglement des Juifs, et leur punition terrible qui dure encore.
Toutes ces histoires, ménagées discrètement, feraient entrer avec plaisir dans l'imagination des enfants, vive et tendre, toute une suite de religion, depuis la création du monde jusqu'à nous, qui leur en donnerait de très nobles idées, et qui ne s'effacerait jamais. Ils verraient même, dans cette histoire, la main de Dieu toujours levée pour délivrer les justes et pour confondre les impies. Ils s'accoutumeraient à voir Dieu faisant tout en toutes choses,et menant secrètement à ses desseins les créatures qui paraissent le plus s'en éloigner. Mais il faudrait recueillir dans ces histoires tout ce qui donne les images les plus riantes et les plus magnifiques, parce qu'il faut employer tout pour faire en sorte que les enfants trouvent la religion belle, aimable et auguste, au lieu qu'ils se la représentent d'ordinaire comme quelque chose de triste et de languissant.
Outre l'avantage inestimable d'enseigner ainsi la religion aux enfants, ce fonds d'histoires agréables,qu'on jette de bonne heure dans leur mémoire, éveille leur curiosité pour les choses sérieuses, les rend sensibles aux plaisirs de l'esprit, fait qu'ils s'intéressent à ce qu'ils entendent dire des autres histoires qui ont quelque liaison avec celles qu'ils savent déjà. Mais, encore une fois, il faut bien se garder de leur faire jamais une loi d'écouter ni de retenir ces histoires, encore moins d'en faire des leçons réglées; il faut que le plaisir fasse tout. Ne les pressez pas, vous en viendrez à bout, même pour les esprits communs; il n'y a qu'à ne les point trop charger, et laisser venir leur curiosité peu à peu. Mais,direz-vous, comment leur raconter ces histoires d'une manière vive, courte, naturelle et agréable ? où sont les gouvernantes qui le savent faire? A cela je réponds que je ne le propose qu'afin qu'on tâche de choisir des personnes de bon esprit pour gouverner les enfants, et qu'on leur inspire autant qu'on pourra cette méthode d'enseigner : chaque gouvernante en prendra selon la mesure de son talent. Mais enfin, si peu qu'elles aient d'ouverture d'esprit, la chose ira moins mal quand on les formera à cette manière, qui est naturelle et simple.
Elles peuvent ajouter à leurs discours la vue des estampes ou des tableaux qui représentent agréablement les histoires saintes. Les estampes peuvent suffire, et il faut s'en servir pour l'usage ordinaire : mais quand on aura la commodité de montrer aux enfants de bons tableaux, il ne faut pas le négliger; car la force des couleurs , avec la grandeur des figures au naturel, frapperont bien davantage leur imagination.
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Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 3:55 pm

CHAPITRE VII.
Comment il faut faire entrer dans l'esprit des enfants les premiers principes de la religion.


Nous avons remarqué que le premier âge des enfants n'est pas propre à raisonner ; non qu'ils n'aient déjà toutes les idées et tous les principes généraux de raison qu'ils auront dans la suite, mais parce que, faute de connaître beaucoup de faits, ils ne peuvent appliquer leur raison, et que d'ailleurs l'agitation de leur cerveau les empêche de suivre leurs pensées et de les lier.

Il faut pourtant, sans les presser, tourner doucement le premier usage de leur raison à connaître Dieu. Persuadez-les des vérités chrétiennes, sans leur donner des sujets de doute. Ils voient mourir quelqu'un; ils savent qu'on l'enterre ; dites-leur : Ce mort est-il dans le tombeau? Oui. Il n'est donc pas en paradis ? Pardonnez-moi; il y est. Comment est-il dans le tombeau et dans le paradis en même temps ? C'est son âme qui est en paradis ; c'est son corps qui est mis dans la terre. Son âme n'est donc pas son corps? Non. L’âme n'est donc pas morte? Non; elle vivra toujours dans le ciel. Ajoutez : Et vous, voulez-vous être sauvée? Oui. Mais qu'est-ce que se sauver? C'est que l’âme va en paradis quand on est mort. Et la mort, qu'est ce? C'est que l'âme quitte le corps, et que le corps s'en va en poussière.
Je ne prétends pas qu'on mène d'abord les enfants à répondre ainsi : je puis dire néanmoins que plusieurs m'ont fait ces réponses dès l'âge de quatre ans. Mais je suppose un esprit moins ouvert et plus reculé ; le pis aller, c'est de l'attendre quelques années de plus sans impatience. Il faut montrer aux enfants une maison, et les accoutumer à comprendre que cette maison ne s'est pas bâtie d'elle-même. Les pierres, leur direz-vous, ne se sont pas élevées sans que personne les portât. Il est bon même de leur montrer des maçons qui bâtissent ; puis faites-leur regarder le ciel, la terre, et les principales choses que Dieu y a faites pour l'usage de l'homme; dites-leur : Voyez combien le monde est plus beau et mieux fait qu'une maison. S'est-il fait de lui-même? Non, sans doute ; c'est Dieu qui l'a bâti de ses propres mains. D'abord, suivez la méthode de l'Écriture : frappez vivement leur imagination; ne leur proposez rien qui ne soit revêtu d'images sensibles. Représentez Dieu assis sur un trône, avec des yeux plus brillants que les rayons du soleil, et plus perçants que les éclairs : faites-le parler; donnez-lui des oreilles qui écoutent tout, des mains qui portent l'univers, des bras toujours levés pour punir les méchants, un cœur tendre et paternel pour rendre heureux ceux qui l'aiment. Viendra le temps que vous rendrez toutes ces connaissances plus exactes. Observez toutes les ouvertures que l'esprit de l'enfant vous donnera ; tâtez-le par divers endroits, pour découvrir par où les grandes vérités peuvent mieux entrer dans sa tête. Surtout ne lui dites rien de nouveau sans le lui familiariser par quelque comparaison sensible.
Par exemple, demandez-lui s'il aimerait mieux mourir que de renoncer à Jésus-Christ ; il vous répondra : Oui. Ajoutez : Mais quoi ! donneriez-vous votre tête à couper pour aller en paradis? Oui. Jusque là l'enfant croit qu'il aurait assez de courage pour le faire. Mais vous, qui voulez lui faire sentir qu'on ne peut rien sans la grâce, vous ne gagnerez rien, si vous lui dites simplement qu'on a besoin de grâce pour être fidèle : il n'entend point tous ces mots-là ; et si vous l'accoutumez à les dire sans les entendre, vous n'en êtes pas plus avancé. Que ferez-vous donc ? Racontez-lui l'histoire de saint Pierre ; représentez-le qui dit d'un ton présomptueux : S'il faut mourir, je vous suivrai ; quand tous les autres vous quitteraient, je ne vous abandonnerai jamais. Puis dépeignez sa chute; il renie trois fois Jésus-Christ; une servante lui fait peur. Dites pourquoi Dieu permit qu'il fût si faible : puis servez-vous de la comparaison d'un enfant ou d'un malade qui ne saurait marcher tout seul ; et faites-lui entendre que nous avons besoin que Dieu nous porte, comme une nourrice porte son enfant : par-là vous rendrez sensible le mystère de la grâce.
Mais la vérité la plus difficile à faire entendre est que nous avons une âme plus précieuse que notre corps. On accoutume d'abord les enfants à parler de leur âme; et on fait bien : car ce langage qu'ils n'entendent point ne laisse pas de les accoutumer à supposer confusément la distinction du corps et de l’âme, en attendant qu'ils puissent la concevoir. Autant que les préjugés de l'enfance sont pernicieux quand ils mènent à l'erreur, autant sont-ils utiles lorsqu'ils accoutument l'imagination à la vérité, en attendant que la raison puisse s'y tourner par principes. Mais enfin il faut établir une vraie persuasion. Comment le faire? Sera-ce en jetant une jeune fille dans des subtilités de philosophie? Rien n'est si mauvais. Il faut se borner à lui rendre clair et sensible, s'il se peut, ce qu'elle entend et ce qu'elle dit tous les jours.
Pour son corps, elle ne le connaît que trop ; tout la porte à le flatter, à l'orner, et à s'en faire une idole : il est capital de lui en inspirer le mépris, en lui montrant quelque chose de meilleur en elle.
Dites donc à un enfant en qui la raison agit déjà : Est-ce votre âme qui mange? S'il répond mal, ne le grondez point; mais dites-lui doucement que l'âme ne mange pas. C'est le corps, direz-vous, qui mange ; c'est le corps qui est semblable aux bêtes. Les bêtes ont-elles de l'esprit? sont-elles savantes? Non, répondra l'enfant. Mais elles mangent, continuerez-vous, quoiqu'elles n'aient point d'esprit. Vous voyez donc bien que ce n'est pas l'esprit qui mange, c'est le corps qui prend les viandes pour se nourrir ; c'est lui qui marche, c'est lui qui dort. Et l'âme, que fait-elle? Elle raisonne; elle connaît tout le monde; elle aime certaines choses ; il y en a d'autres qu'elle regarde avec aversion. Ajoutez, comme en vous jouant : Voyez-vous cette table? Oui. Vous la connaissez donc ? Oui. Vous voyez bien qu'elle n'est pas faite comme cette chaise ; vous savez bien qu'elle est de bois, et qu'elle n'est pas comme la cheminée, qui est de pierre ? Oui, répondra l'enfant. N'allez pas plus loin, sans avoir reconnu, dans le ton de sa voix et dans ses yeux, que ces vérités si simples l'ont frappé. Puis dites-lui : Mais cette table vous connaît-elle? Vous verrez que l'enfant se mettra à rire, pour se moquer de cette question. N'importe, ajoutez : Qui vous aime mieux, de cette table ou de cette chaise? Il rira encore. Continuez : Et la fenêtre, est-elle bien sage? Puis essayez d'aller plus loin. Et cette poupée vous répond-elle quand vous lui parlez? Non. Pourquoi? est-ce qu'elle n'a point d'esprit ? Non, elle n'en a pas. Elle n'est donc pas comme vous ; car vous la connaissez, et elle ne vous connaît point. Mais après votre mort, quand vous serez sous terre, ne serez-vous pas comme cette poupée? Oui. Vous ne sentirez plus rien? Non. Vous ne connaîtrez plus personne? Non. Et votre âme sera dans le ciel ? Oui. N'y verra-t-elle pas Dieu ? Il est vrai. Et l'âme de la poupée, où est-elle à présent ? Vous verrez que l'enfant souriant vous répondra, ou du moins vous fera entendre, que la poupée n'a point d'âme. Sur ce fondement, et par ces petits tours sensibles employés à diverses reprises, vous pouvez l'accoutumer peu à peu à attribuer au corps ce qui lui appartient, et à l'âme ce qui vient d'elle, pourvu que vous n'alliez point indiscrètement lui proposer certaines actions qui sont communes au corps et à l’âme. Il faut éviter les subtilités qui pourraient embrouiller ces vérités, et il faut se contenter de bien démêler les choses où la différence du corps et de l’âme est plus sensiblement marquée. Peut-être même trouvera-t-on des esprits si grossiers, qu'avec une bonne éducation ils ne pourront entendre distinctement ces vérités ; mais, outre qu'on conçoit quelquefois assez clairement une chose, quoiqu'on ne sache pas l'expliquer nettement, d'ailleurs Dieu voit mieux que nous dans l'esprit de l'homme ce qu'il y a mis pour l'intelligence de ses mystères.
Pour les enfants en qui on apercevra un esprit capable d'aller plus loin, on peut, sans les jeter dans une étude qui sente trop la philosophie, leur faire concevoir, selon la portée de leur esprit, ce qu'ils disent quand on leur fait dire que Dieu est un esprit, et que leur âme est un esprit, aussi. Je crois que le meilleur et le plus simple moyen de leur faire concevoir cette spiritualité de Dieu et de l'âme est de leur faire remarquer la différence qui est entre un homme mort et un homme vivant : dans l'un, il n'y a que le corps ; dans l'autre, le corps est joint à l'esprit. Ensuite, il faut leur montrer que ce qui raisonne est bien plus parfait que ce qui n'a qu'une figure et du mouvement. Faites ensuite remarquer, par divers exemples, qu'aucun corps ne périt ; ils se séparent seulement : ainsi, les parties du bois brûlé tombent en cendre, ou s'envolent en fumée. Si donc, ajouterez-vous, ce qui n'est en soi-même que de la cendre, incapable de connaître et de penser, ne périt jamais ; à plus forte raison notre âme, qui connaît et qui pense, ne cessera jamais d'être. Le corps peut mourir, c'est-à-dire qu'il peut quitter l'âme, et être de la cendre ; mais l'âme vivra, car elle pensera toujours.
Les gens qui enseignent doivent développer le plus qu'ils peuvent dans l'esprit des enfants ces connaissances,qui sont les fondements de toute la religion. Mais, quand ils ne peuvent y réussir, ils doivent, bien loin de se rebuter des esprits durs et tardifs, espérer que Dieu les éclairera intérieurement.
Il y a même une voie sensible et de pratique pour affermir cette connaissance de la distinction du corps et de l'âme; c'est d'accoutumer les enfants à mépriser l'un et à estimer l'autre, dans tout le détail des mœurs. Louez l'instruction, qui nourrit l’âme et qui la fait croître ; estimez les hautes vérités qui l'animent à se rendre sage et vertueuse. Méprisez la bonne chère, les parures,et tout ce qui amollit le corps : faites sentir combien l'honneur, la bonne conscience et la religion sont au-dessus des plaisirs grossiers.
Par de tels sentiments, sans raisonner sur le corps et sur l’âme, les anciens Romains avaient appris à leurs enfants à mépriser leur corps, et à le sacrifier, pour donner à l'âme le plaisir de la vertu et de la gloire. Chez eux ce n'était pas seulement les personnes d'une naissance distinguée, c'était le peuple entier qui naissait tempérant, désintéressé, plein de mépris pour la vie, uniquement sensible à l'honneur et à la sagesse. Quand je parle des anciens Romains, j'entends ceux qui ont vécu avant que l'accroissement de leur empire eût altéré la simplicité de leurs mœurs.
Qu'on ne dise point qu'il serait impossible de donner aux enfants de tels préjugés par l'éducation. Combien voyons-nous de maximes qui ont été établies parmi nous contre l'impression des sens par la force de la coutume ! Par exemple, celle du duel, fondée sur une fausse règle de l'honneur.
Ce n'était point en raisonnant, mais en supposant, sans raisonner la maxime établie sur le point d'honneur, qu'on exposait sa vie, et que tout homme d'épée vivait dans un péril continuel. Celui qui n'avait aucune querelle pouvait en avoir à toute heure avec des gens qui cherchaient des prétextes pour se signaler dans quelque combat. Quelque modéré qu'on fût, on ne pouvait, sans perdre le faux honneur, ni éviter une querelle par un éclaircissement, ni refuser d'être second du premier venu qui voulait se battre. Quelle autorité n'a-t-il pas fallu pour déraciner une coutume si barbare !
Voyez donc combien les préjugés de l'éducation sont puissants : ils le seront bien davantage pour la vertu, quand ils seront soutenus par la raison, et par l'espérance du royaume du ciel. Les Romains, dont nous avons déjà parlé , et avant eux les Grecs, dans les bons temps de leurs républiques, nourrissaient leurs enfants dans le mépris du faste et de la mollesse; ils leur apprenaient à n'estimer que la gloire; à vouloir, non pas posséder les richesses, mais vaincre les rois qui les possédaient ; à croire qu'on ne peut se rendre heureux que par la vertu. Cet esprit s'était si fortement établi dans ces républiques, qu'elles ont fait des choses incroyables, selon ces maximes si contraires à celles de tous les autres peuples. L'exemple de tant de martyrs, et d'autres premiers chrétiens de toute condition et de tout âge, fait voir que la grâce du baptême, étant ajoutée au secours de l'éducation, peut faire des impressions encore, bien plus merveilleuses dans les fidèles, pour leur faire mépriser ce qui appartient au corps. Cherchez donc tous les tours les plus agréables et les comparaisons les plus sensibles, pour représenter aux enfants que notre corps est semblable aux bêtes, et que notre âme est semblable aux anges. Représentez un cavalier qui est monté sur un cheval, et qui le conduit ; dites que l'âme est à l'égard du corps ce que le cavalier est à l'égard du cheval. Finissez en concluant qu'une âme est bien faible et bien malheureuse, quand elle se laisse emporter par son corps comme par un cheval fougueux qui la jette dans un précipice. Faites encore remarquer que la beauté du corps est une fleur qui s'épanouit le matin, et qui est le soir flétrie et foulée aux pieds ; mais que l'âme est l'image de la beauté immortelle de Dieu. Il y a, ajouterez-vous, un ordre de choses d'autant plus excellentes, qu'on ne peut les voir par les yeux grossiers de la chair, comme on voit tout ce qui est ici-bas sujet au changement et à la corruption. Pour faire sentir aux enfants qu'il y a des choses très réelles que les yeux et les oreilles ne peuvent apercevoir, il leur faut demander s'il n'est pas vrai qu'un tel est sage, et qu'un tel autre a beaucoup d'esprit. Quand ils auront répondu, Oui, ajoutez : Mais la sagesse d'un tel, l'avez-vous vue? de quelle couleur est-elle ? l'avez-vous entendue? fait-elle beaucoup de bruit? l'avez-vous touchée? est-elle froide ou chaude? L'enfant rira; il en fera autant pour les mêmes questions sur l'esprit : il paraîtra tout étonné qu'on lui demande de quelle couleur est un esprit; s'il est rond ou carré. Alors vous pourrez lui faire remarquer qu'il connait donc des choses très véritables qu'on ne peut ni voir, ni toucher, ni entendre, et que ces choses sont spirituelles.
Mais il faut entrer fort sobrement dans ces sortes de discours pour les filles. Je ne les propose ici que pour celles dont la curiosité et le raisonnement vous mèneraient malgré vous jusqu'à ces questions. Il faut se régler selon l'ouverture de leur esprit, et selon leur besoin. Retenez leur esprit le plus que vous pourrez dans les bornes communes ; et apprenez-leur qu'il doit y avoir, pour leur sexe, une pudeur sur la science, presque aussi délicate que celle qui inspire l'horreur du vice.
En même temps, il faut faire venir l'imagination au secours de l'esprit, pour leur donner des images charmantes des vérités de la religion, que le corps ne peut voir. Il faut leur peindre la gloire céleste telle que saint Jean nous la représente ; les larmes de tout œil essuyées; plus de mort, plus de douleurs ni de cris; les gémissements s'enfuiront ; les maux seront passés; une joie éternelle sera sur la tête des bienheureux, comme les eaux sont sur la tête d'un homme abîmé au fond de la mer. Montrez cette glorieuse Jérusalem, dont Dieu sera lui-même le soleil pour y former des jours sans fin ; un fleuve de paix, un torrent de délices, une fontaine de vie l'arrosera ; tout y sera or, perles et pierreries. Je sais bien que toutes ces images attachent aux choses sensibles ; mais après avoir frappé les enfants par un si beau spectacle pour les rendre attentifs, on se sert des moyens que nous avons touchés pour les ramener aux choses spirituelles.
Concluez que nous ne sommes ici-bas que comme des voyageurs dans une hôtellerie, ou sous une tente ; que le corps va périr ; qu'on ne peut retarder que de peu d'années sa corruption; mais que l'âme s'envolera dans cette céleste patrie, où elle doit vivre à jamais de la vie de Dieu. Si on peut donner aux enfants l'habitude d'envisager avec plaisir ces grands objets, et de juger des choses communes par rapport à de si hautes espérances, on a aplani des difficultés infinies.
Je voudrais encore tâcher de leur donner de fortes impressions sur la résurrection des corps. Apprenez-leur que la nature n'est qu'un ordre commun que Dieu a établi dans ses ouvrages, et que les miracles ne sont que des exceptions à ces règles générales ; qu'ainsi il ne coûte pas plus à Dieu de faire cent miracles, qu'à moi de sortir de ma chambre un quart d'heure avant le temps où j'avais accoutumé d'en sortir. Ensuite rappelez l'histoire de la résurrection du Lazare, puis celle de la résurrection de Jésus-Christ, et de ses apparitions familières pendant quarante jours devant tant de personnes. Enfin montrez qu'il ne peut être difficile à celui qui a fait les hommes de les refaire.
N'oubliez pas la comparaison du grain de blé qu'on sème dans la terre et qu'on fait pourrir, afin qu'il ressuscite et se multiplie. Au reste, il ne s'agit point d'enseigner par mémoire cette morale aux enfants, comme on leur enseigne le catéchisme ; cette méthode n'aboutirait qu'à tourner la religion en un langage affecté, du moins en des formalités ennuyeuses : aidez seulement leur esprit, et mettez-les en chemin de trouver ces vérités dans leur propre fonds; elles leur en seront plus propres et plus agréables, elles s'imprimeront plus vivement : profitez des ouvertures pour leur faire développer ce qu'ils ne voient encore que confusément.
Mais prenez garde qu'il n'est rien de si dangereux que de leur parler du mépris de cette vie, sans leur faire voir, par tout le détail de votre conduite, que vous parlez sérieusement. Dans tous les âges, l'exemple a un pouvoir étonnant sur nous ; dans l'enfance, il peut tout. Les enfants se plaisent fort à imiter ; ils n'ont point encore d'habitude qui leur rende l'imitation d'autrui difficile ; de plus, n'étant pas capables de juger par eux-mêmes du fond des choses, ils en jugent bien plus parce qu'ils voient dans ceux qui les proposent, que par les raisons dont ils les appuient ; les actions mêmes sont bien plus sensibles que les paroles : si donc ils voient faire le contraire de ce qu'on leur enseigne, ils s'accoutument à regarder la religion comme une belle cérémonie, et la vertu comme une idée impraticable.
Ne prenez jamais la liberté de faire devant les enfants certaines railleries sur des choses qui ont rapport à la religion. On se moquera de la dévotion de quelque esprit simple ; on rira sur ce qu'il consulte son confesseur, ou sur les pénitences qui lui sont imposées.Vous croyez que tout cela est innocent ; mais vous vous trompez : tout tire à conséquence en cette matière. Il ne faut jamais parler de Dieu,ni des choses qui concernent son culte, qu'avec un sérieux et un respect bien éloigné de ces libertés.Ne vous relâchez jamais sur aucune bienséance, mais principalement sur celles-là. Souvent les gens qui sont les plus délicats sur celles du monde sont les plus grossiers sur celles de la religion.
Quand l'enfant aura fait les réflexions nécessaires pour se connaître soi-même et pour connaître Dieu, joignez-y les faits d'histoire dont il sera déjà instruit: ce mélange lui fera trouver toute la religion assemblée dans sa tête ; il remarquera avec plaisir le rapport qu'il y a entre ses réflexions et l'histoire du genre humain. Il aura reconnu que l'homme ne s'est point fait lui-même, que son âme est l'image de Dieu, que son corps a été formé avec tant de ressorts admirables par une industrie et une puissance divine : aussitôt il se souviendra de l'histoire de la création. Ensuite il songera qu'il est né avec des inclinations contraires à la raison,qu'il est trompé par le plaisir, emporté par la colère, et que son corps entraîne son âme contre la raison, comme un cheval fougueux emporte un cavalier, au lieu que son âme devrait gouverner son corps : il apercevra la cause de ce désordre dans l'histoire du péché d'Adam ; cette histoire lui fera attendre le Sauveur, qui doit réconcilier les hommes avec Dieu. Voilà tout le fond de la religion.
Pour faire mieux entendre les mystères, les actions et les maximes de Jésus-Christ, il faut disposer les jeunes personnes à lire l'Évangile. Il faudrait donc les préparer de bonne heure à lire la parole de Dieu, comme on les prépare à recevoir par la communion la chair de Jésus-Christ ; il faudrait poser comme le principal fondement l'autorité de l’Église, épouse du Fils de Dieu et mère de tous les fidèles : c'est elle, direz-vous, qu'il faut écouter, parce que le Saint-Esprit l'éclaire pour nous expliquer les Écritures; on ne peut aller que par elle à Jésus-Christ. Ne manquez pas de relire souvent avec les enfants les endroits où Jésus-Christ promet de soutenir et d'animer l’Église, afin qu'elle conduise ses enfants dans la voie de la vérité.
Surtout inspirez aux filles cette sagesse sobre et tempérée que saint Paul recommande; faites-leur craindre le piège de la nouveauté, dont l'amour est si naturel à leur sexe ; prévenez-les d'une horreur salutaire pour toute singularité en matière de religion ; proposez-leur cette perfection céleste, cette merveilleuse discipline, qui régnait parmi les premiers chrétiens; faites-les rougir de nos relâchements, faites-les soupirer après cette pureté évangélique ; mais éloignez avec un soin extrême toutes les pensées de critique présomptueuse et de réformation indiscrète.
Songez donc à leur mettre devant les yeux l’Évangile et les grands exemples de l'antiquité ; mais ne le faites qu'après avoir éprouvé leur docilité et la simplicité de leur foi. Revenez toujours à l’Église : montrez-leur, avec les promesses qui lui sont faites, et avec l'autorité qui lui est donnée dans l'Évangile, la suite de tous les siècles où cette Église a conservé, parmi tant d'attaques et de révolutions, la succession inviolable des pasteurs et de la doctrine, qui sont l'accomplissement manifeste des promesses divines. Pourvu que vous posiez le fondement de l'humilité, de la soumission, et de l'aversion pour toute singularité suspecte, vous montrerez avec beaucoup de fruit aux jeunes personnes tout ce qu'il y a de plus parfait dans la loi de Dieu, dans l'institution des sacrements, et dans la pratique de l'ancienne Église. Je sais qu'on ne peut pas espérer de donner ces instructions dans toute leur étendue à toutes sortes d'enfants ; je le propose seulement ici, afin qu'on les donne le plus exactement qu'on pourra, selon le temps, et selon la disposition des esprits qu'on voudra instruire.
La superstition est sans doute à craindre pour le sexe; mais rien ne la déracine ou ne la prévient mieux qu'une instruction solide. Cette instruction, quoiqu'elle doive être renfermée dans les justes bornes, et être bien éloignée de toutes les études des savants, va pourtant plus loin qu'on ne croit d'ordinaire. Tel pense être bien instruit, qui ne l'est point, et dont l'ignorance est si grande, qu'il n'est pas même en état de sentir ce qui lui manque pour connaître le fond du christianisme.
Il ne faut jamais laisser mêler dans la foi ou dans les pratiques de piété rien qui ne soit tiré de l’Évangile, ou autorisé par une approbation constante de l'Église. Il faut prémunir discrètement les enfants contre certains abus qu'on est quelquefois tenté de regarder comme des points de discipline, quand on n'est pas bien instruit : on ne peut entièrement s'en garantir, si on ne remonte à la source, si on ne connaît l'institution des choses, et l'usage que les saints en ont fait.
Accoutumez donc les filles, naturellement trop crédules, à n'admettre pas légèrement certaines histoires sans autorité, et à ne s'attacher pas à de certaines dévotions qu'un zèle indiscret introduit, sans attendre que l'Église les approuve.
Le vrai moyen de leur apprendre ce qu'il faut penser là-dessus n'est pas de critiquer sévèrement ces choses, auxquelles un pieux motif a pu donner quelque cours; mais démontrer, sans les blâmer, qu'elles n'ont point un solide fondement. Contentez-vous de ne faire jamais entrer ces choses dans les instructions qu'on donne sur le christianisme. Ce silence suffira pour accoutumer d'abord les enfants à concevoir le christianisme dans toute son intégrité et dans toute sa perfection, sans y ajouter ces pratiques. Dans la suite, vous pourrez les préparer doucement contre les discours des calvinistes. Je crois que cette instruction ne sera pas inutile, puisque nous sommes mêlés tous les jours avec des personnes préoccupées de leurs sentiments, qui en parlent dans les conversations les plus familières.
Ils nous imputent, direz-vous, mal à propos tels excès sur les images, sur l'invocation des saints, sur la prière pour les morts, sur les indulgences.
Voilà à quoi se réduit ce que l'Église enseigne sur le baptême, sur la confirmation, sur le sacrifice de la messe, sur la pénitence, sur la confession , sur l'autorité des pasteurs, sur celle du pape, qui est le premier d'entre eux par l'institution de Jésus-Christ même, et duquel on ne peut se séparer sans quitter l'Église.

Voilà, continuerez-vous, tout ce qu'il faut croire : ce que les calvinistes nous accusent d'y ajouter n'est point la doctrine catholique : c'est mettre un obstacle à leur réunion, que de vouloir les assujettir à des opinions qui les choquent, et que l'Église désavoue ; comme si ces opinions faisaient partie de notre foi. En même temps, ne négligez jamais de montrer combien les calvinistes ont condamné témérairement les cérémonies les plus anciennes et les plus saintes ; ajoutez que les choses nouvellement instituées, étant conformes à l'ancien esprit, méritent un profond respect, puisque l'autorité qui les établit est toujours celle de l'épouse immortelle du Fils de Dieu.
En leur parlant ainsi de ceux qui ont arraché aux anciens pasteurs une partie de leur troupeau, sous prétexte d'une réforme, ne manquez pas de faire remarquer combien ces hommes superbes ont oublié la faiblesse humaine, et combien ils ont rendu la religion impraticable pour tous les simples, lorsqu'ils ont voulu engager tous les particuliers à examiner par eux-mêmes tous les articles de la doctrine chrétienne dans les Écritures, sans se soumettre aux interprétations de l'Église. Représentez l'Écriture sainte, au milieu des fidèles, comme la règle souveraine de la foi. Nous ne reconnaissons pas moins que les hérétiques, direz-vous, que l'Église doit se soumettre à l'Écriture mais nous disons que le Saint-Esprit aide l'Église pour expliquer bien l’Écriture. Ce n'est pas l'Église que nous préférons à l'Écriture, mais l'explication de l’Écriture, faite par toute l’Église, à notre propre explication. N'est-ce pas le comble de l'orgueil et de la témérité à un particulier, de craindre que l'Église ne se soit trompée dans sa décision, et de ne craindre pas de se tromper soi-même en décidant contre elle?
Inspirez encore aux enfants le désir de savoir les raisons de toutes les cérémonies et de toutes les paroles qui composent l'office divin et l'administration des sacrements : montrez-leur les fonts baptismaux ; qu'ils voient baptiser ; qu'ils considèrent le jeudi-saint comment on fait les saintes huiles, et le samedi comment on bénit l'eau des fonts. Donnez-leur le goût, non des sermons pleins d'ornements vains et affectés, mais des discours sensés et édifiants, comme des bons prônes et des homélies, qui leur fassent entendre clairement la lettre de l’Évangile. Faites-leur remarquer ce qu'il y a de beau et de touchant dans la simplicité de ces instructions, et inspirez-leur l'amour de la paroisse, où le pasteur parle avec bénédiction et avec autorité, si peu qu'il ait de talent et de vertu.
Mais en même temps faites-leur aimer et respecter toutes les communautés qui concourent au service de l'Église : ne souffrez jamais qu'ils se moquent de l'habit ou de l'état des religieux ; montrez la sainteté de leur institut, l'utilité que la religion en tire, et le nombre prodigieux de chrétiens qui tendent dans ces saintes retraites à une perfection qui est presque impraticable dans les engagements du siècle.

Accoutumez l'imagination des enfants à entendre parler de la mort ; à voir, sans se troubler, un drap mortuaire, un tombeau ouvert, des malades même qui expirent, et des personnes déjà mortes, si vous pouvez le faire sans les exposer à un saisissement de frayeur.
Il n'est rien de plus fâcheux que de voir beaucoup de personnes, qui ont de l'esprit et de la piété, ne pouvoir penser à la mort sans frémir; d'autres pâlissent pour s'être trouvées au nombre de treize à table, ou pour avoir eu certains songes, ou pour avoir vu renverser une salière ; la crainte de tous ces présages imaginaires est un reste grossier du paganisme; faites-en voir la vanité et le ridicule.Quoique les femmes n'aient pas les mêmes occasions que les hommes de montrer leur courage, elles doivent pourtant en avoir. La lâcheté est méprisable partout ; partout elle a de méchants effets.Il faut qu'une femme sache résister à de vaines alarmes, qu'elle soit ferme contre certains périls imprévus, qu'elle ne pleure ni ne s'effraie que pour de grands sujets ; encore faut-il s'y soutenir par vertu. Quand on est chrétien, de quelque sexe qu'on soit, il n'est pas permis d'être lâche. L'âme du christianisme, si on peut parler ainsi,est le mépris de cette vie, et l'amour de l'autre.


Dernière édition par Lucie le Lun 28 Mar 2011, 3:59 pm, édité 1 fois
Lucie
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Education des filles, Fénélon. Empty Re: Education des filles, Fénélon.

Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 3:58 pm

CHAPITRE VIII.

Instructions sur le Décalogues, sur les sacrements et sur la prière.


Ce qu'il y a de principal à mettre sans cesse devant les yeux des enfants, c'est Jésus-Christ, auteur et consommateur de notre foi, le centre de toute la religion, et notre unique espérance. Je n'entreprends pas de dire ici comment il faut leur enseigner le mystère de l'incarnation ; car cet engagement me mènerait trop loin, et il y a assez de livres où l'on peut trouver à fond tout ce qu'on en doit enseigner. Quand les principes sont posés, il faut réformer tous les jugements et toutes les actions de la personne qu'on instruit, sur le modèle de Jésus-Christ même, qui n'a pris un corps mortel que pour nous apprendre à vivre et à mourir, en nous montrant, dans sa chair semblable à la nôtre, tout ce que nous devons croire et pratiquer.
Ce n'est pas qu'il faille à tout moment comparer les sentiments et les actions de l'enfant avec la vie de Jésus-Christ ; cette comparaison deviendrait fatigante et indiscrète : mais il faut accoutumer les enfants à regarder la vie de Jésus-Christ comme notre exemple, et sa parole comme notre loi. Choisissez parmi ses discours et parmi ses actions ce qui est le plus proportionné à l'enfant. S'il s'impatiente de souffrir quelque incommodité, rappelez-lui le souvenir de Jésus-Christ sur la croix : s'il ne peut se résoudre à quelque travail rebutant, montrez-lui Jésus-Christ travaillant jusqu'à trente ans dans une boutique : s'il veut être loué et estimé, parlez-lui des opprobres dont le Sauveur s'est rassasié : s'il ne peut s'accorder avec les gens qui l'environnent, faites-lui considérer Jésus-Christ conversant avec les pécheurs et avec les hypocrites les plus abominables: s'il témoigne quelque ressentiment, hâtez-vous de lui représenter Jésus-Christ mourant sur la croix pour ceux mêmes qui le faisaient mourir : s'il se laisse emporter à une joie immodeste, peignez-lui la douceur et la modestie de Jésus-Christ, dont toute la vie a été si grave et si sérieuse. Enfin faites qu'il se représente souvent ce que Jésus-Christ penserait et ce qu'il dirait de nos conversations, de nos amusements et de nos occupations les plus sérieuses, s'il était encore visible au milieu de nous. Quel serait, continuerez-vous, notre étonnement, s'il paraissait tout d'un coup au milieu de nous, lorsque nous sommes dans le plus profond oubli de sa loi ! Mais n'est-ce pas ce qui arrivera à chacun de nous à la mort, et au monde entier, quand l'heure secrète du jugement universel sera venue ? Alors il faut peindre le renversement de la machine de l'univers, le soleil obscurci, les étoiles tombant de leurs places, les éléments embrasés s'écoulant comme des fleuves de feu, les fondements de la terre ébranlés jusqu'au centre. De quels yeux, ajouterez-vous, devons-nous donc regarder ce ciel qui nous couvre, cette terre qui nous porte, ces édifices que nous habitons, et tous ces autres objets qui nous environnent, puisqu'ils sont réservés au feu? Montrez ensuite les tombeaux ouverts, les morts qui rassembleront les débris de leurs corps, Jésus-Christ qui descendra sur les nues avec une haute majesté; ce livre ouvert où seront écrites jusqu'aux plus secrètes pensées des cœurs; cette sentence prononcée à la face de toutes les nations et de tous les siècles ; cette gloire qui s'ouvrira pour couronner à jamais les justes,et pour les faire régner avec Jésus-Christ sur le même trône; enfin, cet étang de feu et de soufre, cette nuit et cette horreur éternelle, ce grincement de dents, et cette rage commune avec les démons, qui sera le partage des âmes pécheresses.
Ne manquez pas d'expliquer à fond le Décalogue; faites voir que c'est un abrégé de la loi de Dieu, et qu'on trouve dans l'Évangile ce qui n'est contenu dans le Décalogue que par des conséquences éloignées. Dites ce que c'est que conseil, et empêchez les enfants que vous instruisez de se flatter, comme le commun des hommes, par une distinction qu'on pousse trop loin entre les conseils et les préceptes.
Montrez que les conseils sont donnés pour faciliter les préceptes, pour assurer les hommes contre leur propre fragilité, pour les éloigner du bord du précipice où ils seraient entraînés par leur propre poids; qu'enfin les conseils deviennent des préceptes absolus pour ceux qui ne peuvent, en certaines occasions, observer les préceptes sans les conseils. Par exemple, les gens qui sont trop sensibles à l'amour du monde, et aux pièges des compagnies, sont obligés de suivre le conseil évangélique de quitter tout pour se retirer dans une solitude.
Répétez souvent que la lettre tue, et que c'est l'esprit qui vivifie; c'est-à-dire que la simple observation du culte extérieur est inutile et nuisible, si elle n'est intérieurement animée par l'esprit d'amour et de religion. Rendez ce langage clair et sensible : faites voir que Dieu veut être honoré du cœur, et non des lèvres ; que les cérémonies servent à exprimer notre religion et à l'exciter, mais que les cérémonies ne sont pas la religion même ; qu'elle est toute au-dedans, puisque Dieu cherche des adorateurs en esprit et en vérité; qu'il s'agit de l'aimer intérieurement, et de nous regarder comme s'il n'y avait dans toute la nature que lui et nous ; qu'il n'a pas besoin de nos paroles, de nos postures, ni même de notre argent ; que ce qu'il veut, c'est nous-mêmes ; qu'on ne doit pas seulement exécuter ce que la loi ordonne, mais encore l'exécuter pour en tirer le fruit que la loi a eu en vue quand elle l'a ordonné ; qu'ainsi ce n'est rien d'entendre la messe, si on ne l'entend afin de s'unir à Jésus-Christ, sacrifié pour nous, et de s'édifier de tout ce qui nous représente son immolation. Finissez-en disant que tous ceux qui crieront, Seigneur, Seigneur ! n'entreront pas au royaume du ciel ; que si on n'entre dans les vrais sentiments d'amour de Dieu, de renoncement aux biens temporels, de mépris de soi-même, et d'horreur pour le monde, on fait du christianisme un fantôme trompeur pour soi et pour les autres.
Passez aux sacrements : je suppose que vous en avez déjà expliqué toutes les cérémonies à mesure qu'elles se sont faites en présence de l'enfant, comme nous l'avons dit. C'est ce qui en fera mieux sentir l'esprit et la fin : par là vous ferez entendre combien il est grand d'être chrétien, combien il est honteux et funeste de l'être comme on l'est dans le monde. Rappelez souvent les exorcismes et les promesses du baptême, pour montrer que les exemples et les maximes du monde, bien loin d'avoir quelque autorité sur nous, doivent nous rendre suspect tout ce qui nous vient d'une source si odieuse et si empoisonnée. Ne craignez pas même de représenter, comme saint Paul, le démon régnant dans le monde, et agitant le cœur des hommes par toutes les passions violentes, qui leur font chercher les richesses, la gloire et les plaisirs. C'est cette pompe, direz-vous, qui est encore plus celle du démon que du monde ; c'est ce spectacle de vanité auquel un chrétien ne doit ouvrir ni son cœur ni ses yeux. Le premier pas qu'on fait par le baptême dans le christianisme est un renoncement à toute la pompe mondaine : rappeler le monde, malgré des promesses si solennelles faites à Dieu, c'est tomber dans une espèce d'apostasie ; comme un religieux qui, malgré ses vœux, quitterait son cloître et son habit de pénitence pour rentrer dans le siècle.
Ajoutez combien nous devons fouler aux pieds les mépris mal fondés, les railleries impies et les violences même du monde, puisque la confirmation nous rend soldats de Jésus-Christ pour combattre cet ennemi. L'évêque, direz-vous, vous a frappé pour vous endurcir contre les coups les plus violents de la persécution ; il a fait sur vous une onction sacrée, afin de représenter les anciens, qui s'oignaient d'huile pour rendre leurs membres plus souples et plus vigoureux quand ils allaient au combat ; enfin il a fait sur vous le signe de la croix, pour vous montrer que vous devez être crucifié avec Jésus-Christ. Nous ne sommes plus, continuerez-vous, dans le temps des persécutions, où l'on faisait mourir ceux qui ne voulaient pas renoncer à l’Évangile : mais le monde, qui ne peut cesser d'être monde, c'est-à-dire corrompu, fait toujours une persécution indirecte à la piété; il lui tend des pièges pour la faire tomber, il la décrie, il s'en moque; et il en rend la pratique si difficile dans la plupart des conditions, qu'au milieu même des nations chrétiennes, et où l'autorité souveraine appuie le christianisme, on est en danger de rougir du nom de Jésus-Christ et de l'imitation de sa vie.

Représentez fortement le bonheur que nous avons d'être incorporés à Jésus-Christ par l'eucharistie. Dans le baptême, il nous fait ses frères ; dans l'eucharistie, il nous fait ses membres. Comme il s'était donné, par l'incarnation, à la nature humaine en général, il se donne par l'eucharistie, qui est une suite si naturelle de l'incarnation, à chaque fidèle en particulier. Tout est réel dans la suite de ses mystères; Jésus-Christ donne sa chair aussi réellement qu'il l'a prise : mais c'est se rendre coupable du corps et du sang du Seigneur, c'est boire et manger son jugement, que de manger la chair vivifiante de Jésus-Christ sans vivre de son esprit.
Celui, dit-il lui-même, qui me mange doit vivre pour moi.
Mais quel malheur, direz-vous encore, d'avoir besoin du sacrement de la pénitence, qui suppose qu'on a péché depuis qu'on a été fait enfant de Dieu !Quoique cette puissance toute céleste qui s'exerce sur la terre, et que Dieu a mise dans les mains des prêtres pour lier et pour délier les pécheurs, selon leurs besoins, soit une si grande source de miséricordes, il faut trembler, dans la crainte d'abuser des dons de Dieu et de sa patience.
Pour le corps de Jésus-Christ, qui est la vie,la force et la consolation des justes, il faut désirer ardemment de pouvoir s'en nourrir tous les jours; mais, pour le remède des âmes malades, il faut souhaiter de parvenir à une santé si parfaite, qu'on en diminue tous les jours le besoin. Le besoin, quoiqu'on fasse, ne sera que trop grand; mais ce serait bien pis si on faisait de toute sa vie un cercle continuel et scandaleux du péché à la pénitence, et de la pénitence au péché. Il n'est donc question de se confesser que pour se convertir et se corriger ; autrement les paroles de l'absolution, quelque puissantes qu'elles soient par l'institution de Jésus-Christ, ne seraient par notre indisposition que des paroles, mais des paroles funestes qui seraient notre condamnation devant Dieu.
Une confession sans changement intérieur, bien loin de décharger une conscience du fardeau de ses péchés,ne fait qu'ajouter aux autres péchés celui d'un monstrueux sacrilège.
Faites lire aux enfants que vous élevez les prières des agonisants, qui sont admirables ; montrez-leur ce que l'Église fait, et ce qu'elle dit, en donnant l'extrême-onction aux mourants. Quelle consolation pour eux de recevoir encore un renouvellement de l'onction sacrée pour ce dernier combat ! Mais pour se rendre digue des grâces de la mort, il faut être fidèle à celles de la vie.
Admirez les richesses de la grâce de Jésus-Christ, qui n'a pas dédaigné d'appliquer le remède à la source du mal, en sanctifiant la source de notre naissance, qui est le mariage. Qu'il était convenable de faire un sacrement de cette union de l'homme et de la femme, qui représente celle de Dieu avec sa créature, et de Jésus-Christ avec son Église! Que cette bénédiction était nécessaire pour modérer les passions brutales des hommes, pour répandre la paix et la consolation sur toutes les familles, pour transmettre la religion comme un héritage de génération en génération! De là il faut conclure que le mariage est un état très saint et très pur, quoiqu'il soit moins parfait que la virginité ; qu'il faut y être appelé ; qu'on n'y doit chercher ni les plaisirs grossiers, ni la pompe mondaine; qu'on doit seulement désirer d'y former des saints.
Louez la sagesse infinie du Fils de Dieu, qui a établi des pasteurs pour le représenter parmi nous, pour nous instruire en son nom, pour nous donner son corps, pour nous réconcilier avec lui après nos chutes, pour former tous les jours de nouveaux fidèles, et même de nouveaux pasteurs qui nous conduisent après eux, afin que se l'Église conserve dans tous les siècles sans interruption.
Montrez qu'il faut se réjouir que Dieu ait donné une telle puissance aux hommes. Ajoutez avec quel sentiment de religion on doit respecter les oints du Seigneur : ils sont les hommes de Dieu , et les dispensateurs de ses mystères. Il faut donc baisser les yeux et gémir, dès qu'on aperçoit en eux la moindre tache qui ternit l'éclat de leur ministère ; il faudrait souhaiter de la pouvoir laver dans son propre sang. Leur doctrine n'est pas la leur; qui les écoute écoute Jésus-Christ même : quand ils sont assemblés au nom de Jésus-Christ pour expliquer les Écritures, le Saint-Esprit parle avec eux. Leur temps n'est point à eux : il ne faut donc pas vouloir les faire descendre d'un si haut ministère, où ils doivent se dévouer à la parole et à la prière, pour être les médiateurs entre Dieu et les hommes, et les rabaisser jusqu'à des affaires du siècle. Il est encore moins permis de vouloir profiter de leurs revenus, qui sont le patrimoine des pauvres et le prix des péchés du peuple ; mais le plus affreux désordre est de vouloir élever ses parents et ses amis à ce redoutable ministère, sans vocation, et par des vues d'intérêt temporel.
Il reste à montrer la nécessité de la prière, fondée sur le besoin de la grâce, que nous avons déjà expliqué. Dieu, dira-t-on à un enfant, veut qu'on lui demande sa grâce, non parce qu'il ignore notre besoin, mais parce qu'il veut nous assujettir à une demande qui nous excite à reconnaître ce besoin : ainsi c'est l'humiliation de notre cœur, le sentiment de notre misère et de notre impuissance, enfin la confiance en sa bonté, qu'il exige de nous. Cette demande, qu'il veut qu'on lui fasse, ne consiste que dans l'intention et dans le désir; car il n'a pas besoin de nos paroles. Souvent, on récite beaucoup de paroles sans prier, et souvent on prie intérieurement sans prononcer aucune parole. Ces paroles peuvent néanmoins être très utiles; car elles excitent en nous les pensées et les sentiments qu'elles expriment si on y est attentif : c'est pour cette raison que Jésus-Christ nous a donné une forme de prière. Quelle consolation de savoir par Jésus-Christ même comment son Père veut être prié ! Quelle force doit-il y avoir dans des demandes que Dieu même nous met dans la bouche ! Comment ne nous accorderait-il pas ce qu'il a soin de nous apprendre à demander ? Après cela, montrez combien cette prière est simple et sublime, courte, et pleine de tout ce que nous pouvons attendre d'en haut.

Le temps de la première confession des enfants est une chose qu'on ne peut décider ici : il doit dépendre de l'état de leur esprit, et encore plus de celui de leur conscience. Il faut leur enseigner ce que c'est que la confession, dès qu'ils paraissent capables de l'entendre. Ensuite attendez la première faute un peu considérable que l'enfant fera ; donnez- lui-en beaucoup de confusion et de remords.
Vous verrez qu'étant déjà instruit sur la confession, il cherchera naturellement à se consoler en s'accusant au confesseur. Il faut tâcher de faire en sorte qu'il s'excite à un vif repentir, et qu'il trouve dans la confession un sensible adoucissement à sa peine, afin que cette première confession fasse une impression extraordinaire dans son esprit, et qu'elle soit une source de grâces pour toutes les autres.
La première communion au contraire me semble devoir être faite dans le temps où l'enfant, parvenu à l'usage de raison, paraîtra plus docile, et plus exempt de tout défaut considérable. C'est parmi ces prémices de foi et d'amour de Dieu que Jésus-Christ se fera mieux sentir et goûter à lui par les grâces de la communion. Elle doit être longtemps attendue, c'est-à-dire qu'on doit l'avoir fait espérer à l'enfant dès sa première enfance, comme le plus grand bien qu'on puisse avoir sur la terre en attendant les joies du ciel. Je crois qu'il faudrait la rendre la plus solennelle qu'on peut : qu'il paraisse à l'enfant qu'on a les yeux attachés sur lui pendant ces jours-là, qu'on l'estime heureux, qu'on prend part à sa joie, et qu'on attend de lui une conduite au-dessus de son âge pour une action si grande. Mais quoiqu'il faille donc préparer beaucoup l'enfant à la communion, je crois que, quand il y est préparé, on ne saurait le prévenir trop tôt d'une si précieuse grâce, avant que son innocence soit exposée aux occasions dangereuses où elle commence à se flétrir.

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Message  Lucie Lun 28 Mar 2011, 4:01 pm

CHAPITRE IX.

Remarques sur plusieurs défauts des filles.

Nous avons encore à parler du soin qu'il faut prendre pour préserver les filles de plusieurs défauts ordinaires à leur sexe. On les nourrit dans une mollesse et dans une timidité qui les rend incapables d'une conduite ferme et réglée. Au commencement, il y a beaucoup d'affectation, et ensuite beaucoup d'habitude, dans ces craintes mal fondées, et dans ces larmes qu'elles versent à si bon marché : le mépris de ces affectations peut servir beaucoup à les corriger, puisque la vanité y a tant de part.
Il faut aussi réprimer en elles les amitiés trop tendres, les petites jalousies, les compliments excessifs, les flatteries, les empressements : tout cela les gâte, et les accoutume à trouver que tout ce qui est grave et sérieux est trop sec et trop austère. Il faut même tâcher de faire en sorte qu'elles s'étudient à parler d'une manière courte et précise.
Le bon esprit consiste à retrancher tout discours inutile, et à dire beaucoup en peu de mots ; au lieu; que la plupart des femmes disent peu en beaucoup de paroles. Elles prennent la facilité de parler et la vivacité d'imagination pour l'esprit ; elles ne choisissent point entre leurs pensées ; elles n'y mettent aucun ordre par rapport aux choses qu'elles ont à expliquer; elles sont passionnées sur presque tout ce qu'elles disent, et la passion fait parler beaucoup : cependant on ne peut espérer rien de fort bon d'une femme, si on ne la réduit à réfléchir de suite, à examiner ses pensées, à les expliquer d'une manière courte, et à savoir ensuite se taire.

Une autre chose contribue beaucoup aux longs discours des femmes ; c'est qu'elles sont nées artificieuses, et qu'elles usent de longs détours pour venir à leur but. Elles estiment la finesse : et comment ne l'estimeraient-elles pas, puisqu'elles ne connaissent point de meilleure prudence, et que c'est d'ordinaire la première chose que l'exemple leur a enseignée ? Elles ont un naturel souple pour jouer facilement toutes sortes de comédies ; les larmes ne leur coûtent rien ; leurs passions sont vives, et leurs connaissances bornées : de là vient qu'elles ne négligent rien pour réussir, et que les moyens qui ne conviendraient pas à des esprits plus réglés leur paraissent bons ; elles ne raisonnent guère pour examiner s'il faut désirer une chose, mais elles sont très industrieuses pour y parvenir.
Ajoutez qu'elles sont timides et pleines de fausse honte ; ce qui est encore une source de dissimulation.
Le moyen de prévenir un si grand mal est de ne les mettre jamais dans le besoin de la finesse, et de les accoutumer à dire ingénument leurs inclinations sur toutes les choses permises. Qu'elles soient libres pour témoigner leur ennui quand elles s'ennuient ; qu'on ne les assujettisse point à paraître goûter certaines personnes ou certains livres qui ne leur plaisent pas.
Souvent une mère, préoccupée de son directeur, est mécontente de sa fille jusqu'à ce qu'elle prenne sa direction ; et la fille le fait par politique contre son goût. Surtout qu'on ne les laisse jamais soupçonner qu'on veut leur inspirer le dessein d'être religieuse : car cette pensée leur ôte la confiance en leurs parents, leur persuade qu'elles n'en sont point aimées,leur agite l'esprit, et leur fait faire un personnage forcé pendant plusieurs années.
Quand elles ont été assez malheureuses pour prendre l'habitude de déguiser leurs sentiments, le moyen de les désabuser est de les instruire solidement des maximes de la vraie prudence ; comme on voit que le moyen de les dégoûter des fictions frivoles des romans est de leur donner le goût des histoires utiles et agréables. Si vous ne leur donnez une curiosité raisonnable, elles en auront une déréglée ; et tout de même, si vous ne formez leur esprit à la vraie prudence, elles s'attacheront à la fausse, qui est la finesse.
Montrez-leur, par des exemples, comment on peut sans tromperie être discret, précautionné, appliqué aux moyens légitimes de réussir. Dites-leur: La principale prudence consiste à parler peu, à se défier bien plus de soi que des autres, mais point à faire des discours faux et des personnages brouillons. La droiture de conduite et la réputation universelle de probité attirent plus de confiance et d'estime, et par conséquent à la longue plus d'avantages, même temporels, que les voies détournées. Combien cette probité judicieuse distingue-t-elle une personne, ne la rend-elle pas propre aux plus grandes choses !
Mais ajoutez combien ce que la finesse cherche est bas et méprisable; c'est, ou une bagatelle qu'on n'oserait dire, ou une passion pernicieuse.
Quand on ne veut que ce qu'on doit vouloir, on le désire ouvertement, et on le cherche par des voies droites avec modération. Qu'y a-t-il de plus doux et de plus commode que d'être sincère, toujours tranquille, d'accord avec soi-même, n'ayant rien à craindre ni à inventer ? au lieu qu'une personne dissimulée est toujours dans l'agitation, dans les remords, dans le danger, dans la déplorable nécessité de couvrir une finesse par cent autres.
Avec toutes ces inquiétudes honteuses, les esprits artificieux n'évitent jamais l'inconvénient qu'ils fuient : tôt ou lard ils passent pour ce qu'ils sont. Si le monde est leur dupe sur quelque action détachée, il ne l'est pas sur le gros de leur vie ; on les devine toujours par quelque endroit : souvent même ils sont dupes de ceux qu'ils veulent tromper ; car on fait semblant de se laisser éblouir par eux, et ils se croient estimés, quoiqu'on les méprise. Mais au moins ils ne se garantissent pas des soupçons : et qu'y a-t-il de plus contraire aux avantages qu'un amour-propre sage doit chercher, que de se voir toujours suspect ? Dites peu à peu ces choses, selon les occasions les besoins, et la portée des esprits.
Observez encore que la finesse vient toujours d'un cœur bas et d'un petit esprit. On n'est fin qu'à cause qu'on se veut cacher, n'étant pas tel qu'on devrait être, ou que, voulant des choses permises, on prend pour y arriver des moyens indignes, faute d'en savoir choisir d'honnêtes.
Faites remarquer aux enfants l'impertinence de certaines finesses qu'ils voient pratiquer, le mépris qu'elles attirent à ceux qui les font; et enfin faites-leur honte à eux-mêmes, quand vous les surprendrez dans quelque dissimulation. De temps en temps privez-les de ce qu'ils aiment, parce qu'ils ont voulu y arriver par la finesse ; et déclarez qu'ils l'obtiendront quand ils le demanderont simplement : ne craignez pas même de compatir à leurs petites infirmités, pour leur donner le courage de les laisser voir. La mauvaise honte est le mal le plus dangereux et le plus pressé à guérir ; celui-là, si on n'y prend garde, rend tous les autres incurables.
Désabusez-les des mauvaises subtilités par lesquelles on veut faire en sorte que le prochain se trompe, sans qu'on puisse se reprocher de l'avoir trompé ; il y a encore plus de bassesse et de supercherie dans ces raffinements que dans les finesses communes. Les autres gens pratiquent, pour ainsi dire, de bonne foi la finesse ; mais ceux-ci y ajoutent un nouveau déguisement pour l'autoriser.
Dites à l'enfant que Dieu est la vérité même; que c'est se jouer de Dieu que de se jouer de la vérité dans ses paroles ; qu'on doit les rendre précises et exactes, et parler peu pour ne rien dire que de juste, afin de respecter la vérité.
Gardez-vous donc bien d'imiter ces personnes qui applaudissent aux enfants lorsqu'ils ont marqué de l'esprit par quelque finesse. Bien loin de trouver ces tours jolis, et de vous en divertir, reprenez-les sévèrement ; et faites en sorte que tous leurs artifices réussissent mal, afin que l'expérience les en dégoûte. En les louant sur de telles fautes, on les persuade que c'est être habile que d'être fin.
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Message  gabrielle Mar 29 Mar 2011, 10:34 am

Merci chère Lucie pour ces textes de Fénélon, c'est la première fois que je prends connaissance de ses écrits sur ce sujet.
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 12:51 pm

Mgr de Ségur avait l'air de s'appuyer dessus, c'est la raison pour laquelle je voulais les trouver, pour mieux comprendre la pensée catholique à ce sujet.

Ces textes sont vraiment très bons pour savoir éduquer, je trouve. Very Happy On dirait que l'Evêque parle de connaissance de faits, qu'il connaissait le sujet, et en plus, c'est le rôle particulier de l'Eglise d'éduquer, donc il est normal de suivre un manuel d'éducation écrit par l'Eglise, à adapter aux circonstances de notre époque, bien entendu.

S.S. Pie XI, Divini illius magistri.
L'éducation est nécessairement œuvre de l'homme en société, non de l'homme isolé. Or, il y a trois sociétés nécessaires, établies par Dieu, à la foi distinctes et harmonieusement unies entre elles, au sein desquelles l'homme vient au monde.

Deux sont d'ordre naturel: la famille et la société civile; la troisième, l'Eglise, est d'ordre surnaturel. En premier lieu, la famille, instituée immédiatement par Dieu pour sa fin propre, qui est la procréation et l'éducation des enfants. Elle a pour cette raison une priorité de nature, et par suite une priorité de droits, par rapport à la société civile. Néanmoins, la famille est une société imparfaite parce qu'elle n'a pas en elle-même tous les moyens nécessaires pour atteindre sa perfection propre; tandis que la société civile est une société parfaite, car elle a en elle tous les moyens nécessaires à sa fin propre, qui est le bien commun temporel. Elle a donc sous cet aspect, c'est-à-dire par rapport au bien commun, la prééminence sur la famille, qui trouve précisément dans la société civile la perfection temporelle qui lui convient.

La troisième société dans laquelle l'homme, par le baptême, naît à la vie divine de la grâce, est l'Eglise, société d'ordre surnaturel et universel, société parfaite aussi, parce qu'elle a en elle tous les moyens requis pour sa fin, qui est le salut éternel des hommes. A elle donc la suprématie dans son ordre.

En conséquence, l'éducation qui s'adresse à l'homme tout entier, comme individu et comme être social, dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce, appartient à ces trois sociétés nécessaires, dans une mesure proportionnée et correspondante, selon le plan actuel de la Providence établi par Dieu, à la coordination de leurs fins respectives.

Et d'abord, elle appartient d'une manière suréminente à l'Eglise à deux titres d'ordre surnaturel, que Dieu lui a conférés à elle exclusivement, et qui sont pour ce motif absolument supérieurs à tout autre titre d'ordre naturel.

Le premier titre se trouve dans la mission expresse et l'autorité suprême du magistère que son divin Fondateur lui a données: Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé; et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles 9. A ce magistère le Christ a conféré l'infaillibilité en même temps qu'il donnait à l'Eglise la mission d'enseigner sa doctrine. Il en résulte que celle-ci " a été établie par son divin Auteur comme la colonne et le fondement de la vérité pour enseigner à tous les hommes la foi divine, pour en conserver entier et inviolé le dépôt qui lui a été confié, pour conduire et conformer les hommes, leurs mutuelles relations et leurs actions, à l'honnêteté des mœurs et à l'intégrité de la vie selon la règle de la doctrine révélée " 10.

Le second titre est la maternité surnaturelle par laquelle l'Eglise, Epouse immaculée du Christ, engendre, nourrit et élève les âmes dans la vie divine de la grâce par ses sacrements et son enseignement. C'est pourquoi saint Augustin affirme à bon droit que " celui-là n'aura pas Dieu pour Père qui aura refusé d'avoir l'Eglise pour Mère " 11.

Cependant, pour ce qui concerne l'objet propre de sa mission éducatrice, c'est-à-dire " la foi et la règle des mœurs, Dieu lui-même a fait l'Eglise participante de son divin magistère et l'a mise, par privilège divin, à l'abri de l'erreur. Elle est donc la maîtresse suprême et très sûre des hommes, et elle a reçu un droit inviolable au libre exercice de son magistère " 12. La conséquence nécessaire en est l'indépendance de l'Église vis-à-vis de tout pouvoir terrestre, aussi bien dans l'origine que dans l'exercice de sa mission éducatrice, et non seulement dans ce qui concerne l'objet propre de cette mission, mais aussi dans le choix des moyens nécessaires ou convenables pour la remplir. De là, à l'égard de toute autre science humaine et de tout enseignement qui, considérés en eux-mêmes, sont le patrimoine de tous, individus et sociétés, l'Eglise a le droit indépendant d'en user et surtout d'en juger, dans la mesure où ils peuvent se montrer utiles ou contraires à l'éducation chrétienne. Il en est ainsi parce que l'Eglise, en tant que société parfaite, a un droit indépendant sur les moyens propres à sa fin, et que tout enseignement, comme toute action humaine, a une relation nécessaire de dépendance vis-à-vis de la fin dernière de l'homme, et ne peut, dès lors, se soustraire aux règles de la loi divine, dont l'Eglise est la gardienne, l'interprète et la maîtresse infaillible.
9. S. MATTHIEU, XXVIII 18-20.

10. PIE IX, Lettre encyclique Cum non sine, 14 juillet 1864, Recueil, p. 509.

11. S. AUGUSTIN, De symbolo ad catechumenos XIII, PL XL 668.

12. LÉON XIII, Lettre encyclique Libertas præstantissimum, 20 juin 1888, ASS XX (1888) 607. Cf. CH n. 85.
http://www.vatican.va/holy_father/pius_xi/encyclicals/documents/hf_p-xi_enc_31121929_divini-illius-magistri_fr.html


Dernière édition par Lucie le Mar 29 Mar 2011, 1:00 pm, édité 1 fois
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 12:55 pm

CHAPITRE X.

La vanité de la beauté et des ajustements.


Mais ne craignez rien tant que la vanité dans les filles. Elles naissent avec un désir violent de plaire : les chemins qui conduisent les hommes à l'autorité et à la gloire leur étant fermés, elles tâchent de se dédommager par les agréments de l'esprit et du corps : de là vient leur conversation douce et insinuante ; de là vient qu'elles aspirent tant à la beauté et à toutes les grâces extérieures, et qu'elles sont si passionnées pour les ajustements : une coiffe, un bout de ruban, une boucle de cheveux plus haut ou plus bas, le choix d'une couleur, ce sont pour elles autant d'affaires importantes.
Ces excès vont encore plus loin dans notre nation qu'en toute autre ; l'humeur changeante qui règne parmi nous cause une variété continuelle de modes : ainsi on ajoute à l'amour des ajustements celui de la nouveauté, qui a d'étranges charmes sur de tels esprits. Ces deux folies mises ensemble renversent les bornes des conditions, et dérèglent toutes les mœurs. Dès qu'il n'y a plus de règle pour les habits et pour les meubles, il n'y en a plus d'effectives pour les conditions : car pour la table des particuliers, c'est ce que l'autorité publique peut moins régler ; chacun choisit selon son argent, ou plutôt, sans argent, selon son ambition et sa vanité.
Ce faste ruine les familles, et la ruine des familles entraîne la corruption des mœurs. D'un côté, le faste excite, dans les personnes d'une basse naissance, la passion d'une prompte fortune ; ce qui ne se peut faire sans péché, comme le Saint-Esprit nous l'assure. D'un autre côté, les gens de qualité, se trouvant sans ressource, font des lâchetés et des bassesses horribles pour soutenir leur dépense ; par là s'éteignent insensiblement l'honneur, la foi, la probité et le bon naturel, même entre les plus proches parents.
Tous ces maux viennent de l'autorité que les femmes vaines ont de décider sur les modes : elles ont fait passer pour Gaulois ridicules tous ceux qui ont voulu conserver la gravité et la simplicité des mœurs anciennes.
Appliquez-vous donc à faire entendre aux filles combien l'honneur qui vient d'une bonne conduite et d'une vraie capacité est plus estimable que celui
qu'on tire de ses cheveux ou de ses habits. La beauté, direz-vous, trompe encore plus la personne qui la possède que ceux qui en sont éblouis ; elle trouble, elle enivre l'âme ; on est plus sottement idolâtre de soi-même que des amants les plus passionnés ne le sont de la personne qu'ils aiment. Il n'y a qu'un fort petit nombre d'années de différence entre une belle femme et une autre qui ne l'est pas. La beauté ne peut être que nuisible, à moins qu'elle ne serve à faire marier avantageusement une fille : mais comment y servira-t- elle, si elle n'est soutenue par le mérite et par la vertu ? Elle ne peut espérer d'épouser qu'un jeune fou, avec qui elle sera malheureuse, à moins que sa sagesse et sa modestie ne la fassent rechercher par des hommes d'un esprit réglé, et sensibles aux qualités solides. Les personnes qui tirent toute leur gloire de leur beauté deviennent bientôt ridicules : elles arrivent, sans s'en apercevoir, à un certain âge où leur beauté se flétrit ; et elles sont encore charmées d'elles-mêmes, quoique le monde, bien loin de l'être, en soit dégoûté. Enfin, il est aussi déraisonnable de s'attacher uniquement à la beauté, que de vouloir mettre tout le mérite dans la force du corps, comme font les peuples barbares et sauvages.

De la beauté, passons à l'ajustement.
Les véritables grâces ne dépendent point d'une parure vaine et affectée. Il est vrai qu'on peut chercher la propreté, la proportion et la bienséance, dans les habits nécessaires pour couvrir nos corps; mais, après tout, ces étoffes qui nous couvrent, et qu'on peut rendre commodes et agréables, ne peuvent jamais être des ornements qui donnent une vraie beauté.
Je voudrais même faire voir aux jeunes filles la noble simplicité qui paraît dans les statues et dans les autres figures qui nous restent des femmes grecques et romaines ; elles y verraient combien des cheveux noués négligemment par derrière, et des draperies pleines et flottantes à longs plis, sont agréables et majestueuses. Il serait bon même qu'elles entendissent parler les peintres et les autres gens qui ont ce goût exquis de l'antiquité.
Si peu que leur esprit s'élevât au-dessus de la préoccupation des modes, elles auraient bientôt un grand mépris pour leurs frisures, si éloignées du naturel, et pour les habits d'une figure trop façonnée. Je sais bien qu'il ne faut pas souhaiter qu'elles prennent l'extérieur antique ; il y aurait de l'extravagance à le vouloir : mais elles pourraient, sans aucune singularité, prendre le goût de cette simplicité d'habits si noble, si gracieuse, et d'ailleurs si convenable aux mœurs chrétiennes.
Ainsi, se conformant dans l'extérieur à l'usage présent,elles sauraient au moins ce qu'il faudrait penser de cet usage : elles satisferaient à la mode comme à une servitude fâcheuse, et elles ne lui donneraient que ce qu'elles ne pourraient lui refuser.
Faites-leur remarquer souvent, et de bonne heure, la vanité et la légèreté d'esprit qui fait l'inconstance des modes. C'est une chose bien mal entendue, par exemple, de se grossir la tête de je-ne-sais-combien de coiffes entassées ; les véritables grâces suivent la nature, et ne la gênent jamais.
Mais la mode se détruit elle-même; elle vise toujours au parfait, et jamais elle ne le trouve ; du moins elle ne veut jamais s'y arrêter. Elle serait raisonnable,si elle ne changeait que pour ne changer plus, après avoir trouvé la perfection pour la commodité et pour la bonne grâce; mais changer pour changer sans cesse, n'est-ce pas chercher plutôt l'inconstance et le dérèglement, que la véritable politesse et le bon goût ? Aussi n'y a-t-il d'ordinaire que caprice dans les modes. Les femmes sont en possession de décider ; il n'y a qu'elles qu'on en veuille croire : ainsi les esprits les plus légers et les moins instruits entraînent les autres. Elles ne choisissent et ne quittent rien par règle; il suffit qu'une chose bien inventée ait été longtemps à la mode, afin qu'elle ne doive plus y être,et qu'une autre, quoique ridicule, à titre de nouveauté prenne sa place et soit admirée.
Après avoir posé ce fondement, montrez les règles de la modestie chrétienne. Nous apprenons, direz-vous, par nos saints mystères, que l'homme naît dans la corruption du péché ; son corps, travaillé d'une maladie contagieuse, est une source inépuisable de tentation à son âme. Jésus-Christ nous apprend à mettre toute notre vertu dans la crainte et dans la défiance de nous-mêmes. Voudriez-vous, pourra-t-on dire à une fille, hasarder votre âme et celle de votre prochain pour une folle vanité ?Ayez donc horreur des nudités de gorge, et de toutes les autres immodesties : quand même on commettrait ces fautes sans aucune mauvaise passion, du moins c'est une vanité, c'est un désir effréné de plaire. Cette vanité justifie-t-elle devant Dieu et devant les hommes une conduite si téméraire, si scandaleuse, et si contagieuse pour autrui ?
Cet aveugle désir de plaire convient-il à une âme chrétienne, qui doit regarder comme une idolâtrie tout ce qui détourne de l'amour du Créateur et du mépris des créatures? Mais, quand on cherche à plaire, que prétend-on ? N'est-ce pas d'exciter les passions des hommes ? Les tient-on dans ses mains pour les arrêter, si elles vont trop loin ? Ne doit-on pas s'en imputer toutes les suites ? et ne vont-elles pas toujours trop loin, si peu qu'elles soient allumées ? Vous préparez un poison subtil et mortel, vous le versez sur tous les spectateurs ; et vous vous croyez innocente ! Ajoutez les exemples des personnes que leur modestie a rendues recommandables, et de celles à qui leur immodestie a fait tort. Mais surtout ne permettez rien, dans l'extérieur des filles, qui excède leur condition : réprimez sévèrement toutes leurs fantaisies.
Montrez-leur à quel danger on s'expose, et combien on se fait mépriser des gens sages, en oubliant ce qu'on est.
Ce qui reste à faire, c'est de désabuser les filles du bel esprit. Si on n'y prend garde, quand elles ont quelque vivacité, elles s'intriguent, elles veulent parler de tout, elles décident sur les ouvrages les moins proportionnés à leur capacité, elles affectent de s'ennuyer par délicatesse. Une fille ne doit parler que pour de vrais besoins, avec un air de doute et de déférence ; elle ne doit pas même parler des choses qui sont au-dessus de la portée commune des filles, quoiqu'elle en soit instruite.
Qu'elle ait, tant qu'elle voudra, de la mémoire, de la vivacité, des tours plaisants, de la facilité à parler avec grâce, toutes ces qualités lui seront communes avec un grand nombre d'autres femmes fort peu sensées et fort méprisables. Mais qu'elle ait une conduite exacte et suivie, un esprit égal et réglé ; qu'elle sache se taire et conduire quelque chose : cette qualité si rare la distinguera dans son sexe. Pour la délicatesse et l'affectation d'ennui, il faut la réprimer, en montrant que le bon goût consiste à s'accommoder des choses selon qu'elles sont utiles.

Rien n'est estimable que le bon sens et la vertu : l'un et l'autre font regarder le dégoût et l'ennui, non comme une délicatesse louable, mais comme une faiblesse d'un esprit malade. Puisqu'on doit vivre avec des esprits grossiers, et dans des occupations qui ne sont pas délicieuses, la raison, qui est la seule bonne délicatesse, consiste à se rendre grossier avec les gens qui le sont. Un esprit qui goûte la politesse, mais qui sait s'élever au-dessus d'elle dans le besoin, pour aller à des choses plus solides, est infiniment supérieur aux esprits délicats et surmontés par leur dégoût.
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 12:56 pm

CHAPITRE XI.
Instruction des femmes sur leurs devoirs.


Venons maintenant au détail des choses dont une femme doit être instruite. Quels sont ses emplois? Elle est chargée de l'éducation de ses enfants ; des garçons jusqu'à un certain âge, des filles jusqu'à ce qu'elles se marient, ou se fassent religieuses ; de la conduite des domestiques, de leurs mœurs, de leur service; du détail de la dépense, des moyens de faire tout avec économie et honorablement ; d'ordinaire même, de faire les fermes et de recevoir les revenus.
La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s'instruire par rapport à leurs fonctions ; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études. Il faut donc borner l'instruction des femmes aux choses que nous venons de dire. Mais une femme curieuse trouvera que c'est donner des bornes bien étroites à sa curiosité : elle se trompe ; c'est qu'elle ne connaît pas l'importance et l'étendue des choses dont je lui propose de s'instruire.
Quel discernement lui faut-il pour connaître le naturel et le génie de chacun de ses enfants, pour trouver la manière de se conduire avec eux la plus propre à découvrir leur humeur, leur pente, leur talent, à prévenir les passions naissantes, à leur persuader les bonnes maximes, et à guérir leurs erreurs ! Quelle prudence doit-elle avoir pour acquérir et conserver sur eux l'autorité, sans perdre l'amitié et la confiance ! Mais n'a-t-elle pas besoin d'observer et de connaître à fond les gens qu'elle met auprès d'eux ? Sans doute. Une mère de famille doit donc être pleinement instruite de la religion, et avoir un esprit mûr, ferme, appliqué, et expérimenté pour le gouvernement.
Peut-on douter que les femmes ne soient chargées de tous ces soins, puisqu'ils tombent naturellement sur elles pendant la vie même de leurs maris occupés au-dehors ? Ils les regardent encore de plus près si elles deviennent veuves. Enfin saint Paul attache tellement en général leur salut à l'éducation de leurs enfants, qu'il assure que c'est par eux qu'elles se sauveront.
Je n'explique point ici tout ce que les femmes doivent savoir pour l'éducation de leurs enfants parce que ce mémoire leur fera assez sentir l'étendue des connaissances qu'il faudrait qu'elles eussent.
Joignez à ce gouvernement l'économie. La plupart des femmes la négligent comme un emploi bas, qui ne convient qu'à des paysans ou à des fermiers, tout au plus à un maître-d'hôtel, ou à quelque femme de charge : surtout les femmes nourries dans la mollesse, l'abondance et l'oisiveté, sont indolentes et dédaigneuses pour tout ce détail ; elles ne font pas grande différence entre la vie champêtre et celle des sauvages du Canada. Si vous leur parlez de vente de blé, de cultures des terres, des différentes natures des revenus, de la levée des rentes et des autres droits seigneuriaux, de la meilleure manière de faire des fermes ou d'établir des receveurs, elles croient que vous voulez les réduire à des occupations indignes d'elles. Ce n'est pourtant que par ignorance qu'on méprise cette science de l'économie. Les anciens Grecs et les Romains, si habiles et si polis, s'en instruisaient avec un grand soin : les plus grands esprits d'entre eux en ont fait, sur leurs propres expériences, des livres que nous avons encore, et où ils ont marqué même le dernier détail de l'agriculture.
On sait que leurs conquérants ne dédaignaient pas de labourer, et de retourner à la charrue en sortant du triomphe. Cela est si éloigné de nos mœurs, qu'on ne pourrait le croire, si peu qu'il y eût dans l'histoire quelque prétexte pour en douter.
Mais n'est-il pas naturel qu'on ne songe à défendre ou à augmenter son pays, que pour le cultiver paisiblement ? A quoi sert la victoire, sinon à cueillir les fruits de la paix ? Après tout, la solidité de l'esprit consiste à vouloir s'instruire exactement de la manière dont se font les choses qui sont les fondements de la vie humaine; toutes les plus grandes affaires roulent là-dessus. La force et le bonheur d'un état consiste, non à avoir beaucoup de provinces mal cultivées, mais à tirer de la terre qu'on possède tout ce qu'il faut pour nourrir aisément un peuple nombreux.
Il faut sans doute un génie bien plus élevé et plus étendu pour s'instruire de tous les arts qui ont rapport à l'économie, et pour être en état de bien policer toute une famille, qui est une petite république, que pour jouer, discourir sur des modes, et s'exercer à de petites gentillesses de conversation.
C'est une sorte d'esprit bien méprisable, que celui qui ne va qu'à bien parler : on voit de tous côtés des femmes dont la conversation est pleine de maximes solides, et qui, faute d'avoir été appliquées de bonne heure, n'ont rien que de frivole dans la conduite.
Mais prenez garde au défaut opposé : les femmes courent risque d'être extrêmes en tout. Il est bon de les accoutumer dès l'enfance à gouverner quelque chose, à faire des comptes, à voir la manière de faire les marchés de tout ce qu'on achète, et à savoir comment il faut que chaque chose soit faite pour être d'un bon usage. Mais craignez aussi que l'économie n'aille en elles jusqu'à l'avarice, montrez-leur en détail tous les ridicules de cette passion.
Dites-leur ensuite : Prenez garde que l'avarice gagne peu, et qu'elle se déshonore beaucoup.
Un esprit raisonnable ne doit chercher, dans une vie frugale et laborieuse, qu'à éviter la honte et l'injustice attachées à une conduite prodigue et ruineuse. Il ne faut retrancher les dépenses superflues, que pour être en état de faire plus libéralement celles que la bienséance, ou l'amitié, ou la charité inspirent. Souvent c'est faire un grand gain que de savoir perdre à propos : c'est le bon ordre, et non certaines épargnes sordides, qui fait les grands profits.Ne manquez pas de représenter l'erreur grossière de ces femmes qui se savent bon gré d'épargner une bougie, pendant qu'elles se laissent tromper par un intendant sur le gros de toutes leurs affaires.
Faites pour la propreté comme pour l'économie.
Accoutumez les filles à ne souffrir rien de sale ni de dérangé; qu'elles remarquent le moindre désordre dans une maison. Faites-leur même observer que rien ne contribue plus à l'économie et à la propreté, que de tenir toujours chaque chose en sa place.Cette règle ne paraît presque rien ; cependant elle irait loin, si elle était exactement gardée.
Avez-vous besoin d'une chose? vous ne perdez jamais un moment à la chercher ; il n'y a ni trouble,ni dispute, ni embarras, quand on en a besoin ; vous mettez d'abord la main dessus; et quand vous vous en êtes servi, vous la remettez sur-le-champ dans la place où vous l'avez prise.
Ce bel ordre fait une des plus grandes parties de la propreté ; c'est ce qui frappe le plus les yeux , que de voir cet arrangement si exact. D'ailleurs, la place qu'on donne à chaque chose étant celle qui lui convient davantage, non seulement pour la bonne grâce et le plaisir des yeux, mais encore pour sa conservation, elle s'y use moins qu'ailleurs ; elle ne s'y gâte d'ordinaire par aucun accident ; elle y est même entretenue proprement : car, par exemple, un vase ne sera ni poudreux, ni en danger de se briser, lorsqu'on le mettra dans sa place immédiatement après s'en être servi. L'esprit d'exactitude, qui fait ranger, fait aussi nettoyer.
Joignez à ces avantages celui d'ôter, par cette habitude, aux domestiques, l'esprit de paresse et de confusion. De plus, c'est beaucoup que de leur rendre le service prompt et facile, et de s'ôter à soi-même la tentation de s'impatienter souvent par les retardements qui viennent des choses dérangées qu'on a peine à trouver. Mais en même temps évitez l'excès de la politesse et de la propreté. La propreté, quand elle est modérée, est une vertu mais quand on y suit trop son goût, on la tourne en petitesse d'esprit. Le bon goût rejette la délicatesse excessive ; il traite les petites choses de petites, et n'en est point blessé. Moquez-vous donc, devant les enfants, des colifichets dont certaines femmes sont si passionnées, et qui leur font faire insensiblement des dépenses si indiscrètes. Accoutumez-les à une propreté simple et facile à pratiquer : montrez-leur la meilleure manière de faire les choses; mais montrez-leur encore davantage à s'en passer. Dites-leur combien il y a de petitesse d'esprit et de bassesse à gronder pour un potage mal assaisonné, pour un rideau mal plissé, pour une chaise trop haute ou trop basse.
Il est sans doute d'un bien meilleur esprit d'être volontairement grossier, que d'être délicat sur des choses si peu importantes. Cette mauvaise délicatesse, si on ne la réprime dans les femmes qui ont de l'esprit, est encore plus dangereuse pour les conversations que pour tout le reste : la plupart des gens leur sont fades et ennuyeux ; le moindre défaut de politesse leur paraît un monstre ; elles sont toujours moqueuses et dégoûtées.Il faut leur faire entendre de bonne heure qu'il n'est rien de si peu judicieux que de juger superficiellement d'une personne par ses manières, au lieu d'examiner le fond de son esprit, de ses sentiments, et de ses qualités utiles. Faites voir, par diverses expériences, combien un provincial d'un air grossier, ou, si vous voulez, ridicule, avec ses compliments importuns, s'il a le cœur bon et l'esprit réglé, est plus estimable qu'un courtisan qui, sous une politesse accomplie, cache un cœur ingrat, injuste, capable de toutes sortes de dissimulations et de bassesses. Ajoutez qu'il y a toujours de la faiblesse dans les esprits qui ont une grande pente à l'ennui et au dégoût. Il n'y a point de gens dont la conversation soit si mauvaise, qu'on n'en puisse tirer quelque chose de bon : quoiqu'on en doive choisir de meilleures quand on est libre de choisir, on a de quoi se consoler quand on y est réduit, puisqu'on peut les faire parler de ce qu'ils savent, et que les personnes d'esprit peuvent toujours tirer quelque instruction des gens les moins éclairés.

Mais revenons aux choses dont il faut instruire une fille.
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 1:41 pm

CHAPITRE XII.
Suite des devoirs des femmes.


Il y a la science de se faire servir, qui n'est pas petite. Il faut choisir des domestiques qui aient de l'honneur et de la religion ; il faut connaître les fonctions auxquelles on veut les appliquer, le temps et la peine qu'il faut donner à chaque chose, la manière de la bien faire, et la dépense qui y est nécessaire. Vous gronderez mal à propos un officier, par exemple, si vous voulez qu'il ait dressé un fruit plus promptement qu'il n'est possible, ou si vous ne savez pas à peu près le prix et la quantité du sucre et des autres choses qui doivent entrer dans ce que vous lui faites faire : ainsi vous êtes en danger d'être la dupe ou le fléau de vos domestiques, si vous n'avez quelque connaissance de leurs métiers.
Il faut encore savoir connaître leurs humeurs, ménager leurs esprits, et policer chrétiennement toute cette petite république, qui est d'ordinaire fort tumultueuse. Il faut sans doute de l'autorité ; car moins les gens sont raisonnables, plus il faut que la crainte les retienne : mais comme ce sont des chrétiens, qui sont vos frères en Jésus-Christ, et que vous devez respecter comme ses membres, vous êtes obligé de ne payer d'autorité que quand la persuasion manque.
Tâchez donc de vous faire aimer de vos gens sans aucune basse familiarité : n'entrez pas en conversation avec eux; mais aussi ne craignez pas de leur parler assez souvent avec affection et sans hauteur sur leurs besoins. Qu'ils soient assurés de trouver en vous du conseil et de la compassion : ne les reprenez point aigrement de leurs défauts ; n'en paraissez ni surpris ni rebuté, tant que vous espérez qu'ils ne seront pas incorrigibles ; faites-leur entendre doucement raison, et souffrez souvent d'eux pour le service, afin d'être en état de les convaincre de sang-froid que c'est sans chagrin et sans impatience que vous leur parlez, bien moins pour votre service que pour leur intérêt. Il ne sera pas facile d'accoutumer les jeunes personnes de qualité à cette conduite douce et charitable ; car l'impatience et l'ardeur de la jeunesse, jointe à la fausse idée qu'on leur donne de leur naissance, leur fait regarder les domestiques à peu près comme des chevaux : on se croit d'une autre nature que les valets ; on suppose qu'ils sont faits pour la commodité de leurs maîtres. Tâchez de montrer combien ces maximes sont contraires à la modestie pour soi, et à l'humanité pour son prochain.
Faites entendre que les hommes ne sont point faits pour être servis ; que c'est une erreur brutale de croire qu'il y ait des hommes nés pour flatter la paresse et l'orgueil des autres ; que le service étant établi contre l'égalité naturelle des hommes, il faut l'adoucir autant qu'on le peut ; que les maîtres, qui sont mieux élevés que leurs valets ; étant pleins de défauts, il ne faut pas s'attendre que les valets n'en aient point, eux qui ont manqué d'instructions et de bons exemples ; qu'enfin, si les valets se gâtent en servant mal, ce que l'on appelle d'ordinaire "être bien servi" gâte encore plus les maîtres ; car cette facilité de se satisfaire en tout ne fait qu'amollir l’âme, que la rendre ardente et passionnée pour les moindres commodités, enfin que la livrer à ses désirs.
Pour ce gouvernement domestique, rien n'est meilleur que d'y accoutumer les filles de bonne heure. Donnez-leur quelque chose à régler, à condition de vous en rendre compte : cette confiance les charmera ; car la jeunesse ressent un plaisir incroyable lorsqu'on commence à se fier à elle, et à la faire entrer dans quelque affaire sérieuse. On en voit un bel exemple dans la reine Marguerite.
Cette princesse raconte, dans ses Mémoires, que le plus sensible plaisir qu'elle ait eu en sa vie fut de voir que la reine sa mère commença à lui parler, lorsqu'elle était encore très jeune, comme à une personne mûre : elle se sentit transportée de joie d'entrer dans la confidence de la reine et de son frère le duc d'Anjou, pour le secret de l'état, elle qui n'avait connu jusque là que des jeux d'enfants.
Laissez même faire quelque faute à une fille dans de tels essais, et sacrifiez quelque chose à son instruction ; faites-lui remarquer doucement ce qu'il aurait fallu faire ou dire pour éviter les inconvénients où elle est tombée ; racontez-lui vos expériences passées, et ne craignez point de lui dire les fautes semblables aux siennes, que vous avez faites dans votre jeunesse ; par-là vous lui inspirerez la confiance, sans laquelle l'éducation se tourne en formalités gênantes.
Apprenez à une fille à lire et à écrire correctement.
Il est honteux, mais ordinaire, de voir des femmes qui ont de l'esprit et de la politesse ne savoir pas bien prononcer ce qu'elles lisent : ou elles hésitent, ou elles chantent en lisant ; au lieu qu'il faut prononcer d'un ton simple et naturel, mais ferme et uni. Elles manquent encore plus grossièrement pour l'orthographe, ou pour la manière de former ou de lier des lettres en écrivant : au moins accoutumez-les à faire leurs lignes droites, à rendre leurs caractères nets et lisibles. Il faudrait aussi qu'une fille sût la grammaire ; pour sa langue naturelle, il n'est pas question de la lui apprendre par règles, comme les écoliers apprennent le latin en classe ; accoutumez-les seulement sans affectation à ne prendre point un temps pour un autre, à se servir des termes propres, à expliquer nettement leurs pensées avec ordre, et d'une manière courte et précise : vous les mettrez en état d'apprendre un jour à leurs enfants à bien parler sans aucune étude.
On sait que, dans l'ancienne Rome, la mère des Gracques contribua beaucoup, par une bonne éducation, à former l'éloquence de ses enfants, qui devinrent de si grands hommes.
Elles devraient aussi savoir les quatre règles de l'arithmétique ; vous vous en servirez utilement pour leur faire faire souvent des comptes. C'est une occupation fort épineuse pour beaucoup de gens ; mais l'habitude prise dès l'enfance, jointe à la facilité de faire promptement, par le secours des règles, toutes sortes de comptes les plus embrouillés, diminuera fort ce dégoût. On sait assez que l'exactitude de compter souvent fait le bon ordre dans les maisons.
Il serait bon aussi qu'elles sussent quelque chose des principales règles de la justice ; par exemple, la différence qu'il y a entre un testament et une donation ; ce que c'est qu'un contrat, une substitution, un partage de cohéritiers ; les principales règles du droit ou des coutumes du pays où l'on est, pour rendre ces actes valides ; ce que c'est que propre, ce que c'est que communauté ; ce que c'est que biens meubles et immeubles. Si elles se marient, toutes leurs principales affaires rouleront là-dessus.
Mais en même temps, montrez-leur combien elles sont incapables d'enfoncer dans les difficultés du droit ; combien le droit lui-même, par la faiblesse de l'esprit des hommes, est plein d'obscurités et de règles douteuses ; combien la jurisprudence varie ; combien tout ce qui dépend des juges,quelque clair qu'il paraisse, devient incertain ; combien les longueurs des meilleures affaires même sont ruineuses et insupportables. Montrez-leur l'agitation du palais, la fureur de la chicane, les détours pernicieux et les subtilités de la procédure, les frais immenses qu'elle attire, la misère de ceux qui plaident, l'industrie des avocats, des procureurs et des greffiers pour s'enrichir bientôt en appauvrissant les parties. Ajoutez les moyens qui rendent mauvaise par la forme une affaire bonne dans le fond ; les oppositions des maximes de tribunal à tribunal : si vous êtes renvoyé à la grand'chambre, votre procès est gagné ; si vous allez aux enquêtes, il est perdu. N'oubliez pas les conflits de juridiction, et le danger où l'on est de plaider au conseil plusieurs années pour savoir où l'on plaidera. Enfin, remarquez la différence qu'on trouve souvent entre les avocats et les juges sur la même affaire ; dans la consultation vous avez gain de cause, et votre arrêt vous condamne aux dépens.
Tout cela me semble important pour empêcher les femmes de se passionner sur les affaires, et de s'abandonner aveuglément à certains conseils ennemis de la paix, lorsqu'elles sont veuves, ou maîtresses de leur bien dans un autre état. Elles doivent écouter leurs gens d'affaires, mais non pas se livrer à eux.
Il faut qu'elles s'en défient dans les procès qu'ils veulent leur faire entreprendre, qu'elles consultent les gens d'un esprit plus étendu et plus attentif aux avantages d'un accommodement, et qu'enfin elles soient persuadées que la principale habileté dans les affaires est d'en prévoir les inconvénients, et de les savoir éviter.
Les filles qui ont une naissance et un bien considérable ont besoin d'être instruites des devoirs des seigneurs dans leurs terres. Dites-leur donc ce qu'on peut faire pour empêcher les abus, les violences, les chicanes, les faussetés si ordinaires à la campagne. Joignez-y les moyens d'établir de petites écoles et des assemblées de charité pour le soulagement des pauvres malades. Montrez aussi le trafic qu'on peut quelquefois établir en certains pays pour y diminuer la misère; mais surtout comment on peut procurer au peuple une instruction solide et une police chrétienne. Tout cela demanderait un détail trop long pour être mis ici.
En expliquant les devoirs des seigneurs, n'oubliez pas leurs droits : dites ce que c'est que fiefs, seigneur dominant, vassal, hommage, rentes, dîmes inféodées, droit de champart, lods et ventes, indemnités, amortissement et reconnaissances, papiers terriers et autres choses semblables.
Ces connaissances sont nécessaires, puisque le gouvernement des terres consiste entièrement dans toutes ces choses.
Après ces instructions, qui doivent tenir la première place, je crois qu'il n'est pas inutile de laisser aux filles, selon leur loisir et la portée de leur esprit, la lecture des livres profanes qui n'ont rien de dangereux pour les passions : c'est même le moyen de les dégoûter des comédies et des romans.
Donnez-leur donc les histoires grecques et romaines ; elles y verront des prodiges de courage et de désintéressement. Ne leur laissez pas ignorer l'histoire de France, qui a aussi ses beautés ; mêlez celle des pays voisins, et les relations des pays éloignés judicieusement écrites. Tout cela sert à agrandir l'esprit et à élever l'âme à de grands sentiments, pourvu qu'on évite la vanité et l'affectation.
On croit d'ordinaire qu'il faut qu'une fille de qualité qu'on veut bien élever apprenne l'italien et l'espagnol ; mais je ne vois rien de moins utile que cette étude, à moins qu'une fille ne se trouvât attachée auprès de quelque princesse espagnole ou italienne, comme nos reines d'Autriche et de Médicis. D'ailleurs ces deux langues ne servent guère qu'à lire des livres dangereux, et capables d'augmenter les défauts des femmes ; il y a beaucoup plus à perdre qu'à gagner dans cette étude. Celle du latin serait bien plus raisonnable, car c'est la langue de l’Église : il y a un fruit et une consolation inestimable à entendre le sens des paroles de l'office divin, où l'on assiste si souvent.
Ceux mêmes qui cherchent les beautés du discours en trouveront de bien plus parfaites et plus solides dans le latin que dans l'italien et dans l'espagnol, où règne un jeu d'esprit et une vivacité d'imagination sans règle. Mais je ne voudrais faire apprendre le latin qu'aux filles d'un jugement ferme et d'une conduite modeste, qui sauraient ne prendre cette étude que pour ce qu'elle vaut, qui renonceraient à la vaine curiosité, qui cacheraient ce qu'elles auraient appris, et qui n'y chercheraient que leur édification.
Je leur permettrais aussi, mais avec un grand choix, la lecture des ouvrages d'éloquence et de poésie, si je voyais qu'elles en eussent le goût, et que leur jugement fût assez solide pour se borner au véritable usage de ces choses ; mais je craindrais d'ébranler trop les imaginations vives, et je voudrais en tout cela une exacte sobriété : tout ce qui peut faire sentir l'amour, plus il est adouci et enveloppé, plus il me paraît dangereux.
La musique et la peinture ont besoin des mêmes précautions : tous ces arts sont du même génie et du même goût. Pour la musique, on sait que les anciens croyaient que rien n'était plus pernicieux à une république bien policée, que d'y laisser introduire une mélodie efféminée : elle énerve les hommes; elle rend les âmes molles et voluptueuses; les tons languissants et passionnés ne font tant de plaisir qu'à cause que l'âme s'y abandonne à l'attrait des sens jusqu'à s'y enivrer elle-même. C'est pourquoi à Sparte les magistrats brisaient tous les instruments dont l'harmonie était trop délicieuse, et c'était là une de leurs plus importantes polices ; c'est pourquoi Platon rejette sévèrement tous les tons délicieux qui entraient dans la musique des Asiatiques : à plus forte raison les chrétiens, qui ne doivent jamais chercher le plaisir pour le seul plaisir, doivent-ils avoir en horreur ces divertissements empoisonnés.
La poésie et la musique, si on en retranchait tout ce qui ne tend point au vrai but, pourraient être employées très utilement à exciter dans l'âme des sentiments vifs et sublimes pour la vertu. Combien avons-nous d'ouvrages poétiques de l’Écriture que les Hébreux chantaient, selon les apparences!
Les cantiques ont été les premiers monuments qui ont conservé plus distinctement, avant l'écriture, la tradition des choses divines parmi les hommes.
Nous avons vu combien la musique a été puissante parmi les peuples païens, pour élever l’âme au-dessus des sentiments vulgaires. L’Église a cru ne pouvoir consoler mieux ses enfants que par le chant des louanges de Dieu. On ne peut donc abandonner ces arts, que l'Esprit de Dieu même a consacrés.
Une musique et une poésie chrétienne seraient le plus grand de tous les secours pour dégoûter des plaisirs profanes ; mais, dans les faux préjugés où est notre nation, le goût de ces arts n'est guère sans danger : Il faut donc se hâter de faire sentir à une jeune fille qu'on voit fort sensible à de telles impressions, combien on peut trouver de charmes dans la musique sans sortir des sujets pieux. Si elle a de la voix et du génie pour les beautés de la musique, n'espérez pas de les lui faire toujours ignorer : la défense irriterait la passion ; il vaut mieux donner un cours réglé à ce torrent, que d'entreprendre de l'arrêter.
La peinture se tourne chez nous plus aisément au bien : d'ailleurs elle a un privilège pour les femmes ; sans elle leurs ouvrages ne peuvent être bien conduits. Je sais qu'elles pourraient se réduire à des travaux simples qui ne demanderaient aucun art ; mais, dans le dessein qu'il me semble qu'on doit avoir d'occuper l'esprit en même temps que les mains des femmes de condition, je souhaiterais qu'elles fissent des ouvrages où l'art et l'industrie assaisonnassent le travail de quelque plaisir.
De tels ouvrages ne peuvent avoir aucune vraie beauté, si la connaissance des règles du dessin ne les conduit. De là vient que presque tout ce qu'on voit maintenant dans les étoffes, dans les dentelles et dans les broderies, est d'un mauvais goût ; tout y est confus, sans dessein, sans proportion.
Ces choses passent pour belles, parce qu'elles coûtent beaucoup de travail à ceux qui les font, et d'argent à ceux qui les achètent ; leur éclat éblouit ceux qui les voient de loin, ou qui ne s'y connaissent pas. Les femmes ont fait là-dessus des règles à leur mode : qui voudrait contester passerait pour visionnaire. Elles pourraient néanmoins se détromper en consultant la peinture, et par-là se mettre en état de faire, avec une médiocre dépense et un grand plaisir, des ouvrages d'une noble variété,et d'une beauté qui serait au-dessus des caprices irréguliers des modes.
Elles doivent également craindre et mépriser l'oisiveté. Qu'elles pensent que tous les premiers chrétiens, de quelque condition qu'ils fussent, travaillaient, non pour s'amuser, mais pour faire du travail une occupation sérieuse, suivie et utile.
L'ordre naturel, la pénitence imposée au premier homme, et en lui à toute sa postérité ; celle dont l'homme nouveau, qui est Jésus-Christ, nous a laissé un si grand exemple, tout nous engage à une vie laborieuse, chacun en sa manière.
On doit considérer, pour l'éducation d'une jeune fille,sa condition, les lieux où elle doit passer sa vie,et la profession qu'elle embrassera selon les apparences. Prenez garde qu'elle ne conçoive des espérances au-dessus de son bien et de sa condition.
Il n'y a guère de personnes à qui il n'en coûte cher pour avoir trop espéré ; ce qui aurait rendu heureux n'a plus rien que de dégoûtant, dès qu'on a envisagé un état plus haut. Si une fille doit vivre à la campagne, de bonne heure tournez son esprit aux occupations qu'elle y doit avoir, et ne lui laissez point goûter les amusements de la ville ; montrez-lui les avantages d'une vie simple et active.
Si elle est d'une condition médiocre de la ville,ne lui faites point voir des gens de la cour ; ce commerce ne servirait qu'à lui faire prendre un air ridicule et disproportionné : renfermez-la dans les bornes de sa condition, et donnez-lui pour modèles les personnes qui y réussissent le mieux ; formez son esprit pour les choses qu'elle doit faire toute sa vie; apprenez-lui l'économie d'une maison bourgeoise, les soins qu'il faut avoir pour les revenus de la campagne, pour les rentes et pour les maisons qui sont les revenus de la ville, ce qui regarde l'éducation des enfants, et enfin le détail des autres occupations d'affaires ou de commerce, dans lequel vous prévoyez qu'elle devra entrer, quand elle sera mariée. Si au contraire elle se détermine à se faire religieuse, sans y être poussée par ses parents, tournez dès ce moment toute son éducation vers l'état où elle aspire; faites lui faire des épreuves sérieuses des forces de son esprit et de son corps, sans attendre le noviciat, qui est une espèce d'engagement par rapport à l'honneur du monde : accoutumez-la au silence ; exercez-la à obéir sur des choses contraires à son humeur et à ses habitudes ; essayez peu à peu de voir de quoi elle est capable pour la règle qu'elle veut prendre ; tâchez de l'accoutumer à une vie grossière, sobre et laborieuse ; montrez-lui en détail combien on est libre et heureux de savoir se passer des choses que la vanité et la mollesse, ou même la bienséance du siècle, rendent nécessaires hors du cloître ; en un mot, en lui faisant pratiquer la pauvreté, faites-lui-en sentir le bonheur que Jésus-Christ nous a révélé. Enfin, n'oubliez rien pour ne laisser dans son cœur le goût d'aucune des vanités du monde, quand elle le quittera.
Sans lui faire faire des expériences trop dangereuses, découvrez-lui les épines cachées sous les faux plaisirs que le monde donne ; montrez-lui des gens qui y sont malheureux au milieu des plaisirs.
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 2:08 pm

CHAPITRE XIII.
Des gouvernantes.

Je prévois que ce plan d'éducation pourra passer, dans l'esprit de beaucoup de gens, pour un projet chimérique. Il faudrait, dira-t-on , un discernement, une patience et un talent extraordinaire pour l'exécuter. Où sont les gouvernantes capables de l'entendre ? A plus forte raison, où sont celles qui peuvent le suivre ? Mais je prie de considérer attentivement que quand on entreprend un ouvrage sur la meilleure éducation qu'on peut donner aux enfants, ce n'est pas pour donner des règles imparfaites : ou ne doit donc pas trouver mauvais qu'on vise au plus parfait dans cette recherche.
Il est vrai que chacun ne pourra pas aller,dans la pratique, aussi loin que vont nos pensées lorsque rien ne les arrête sur le papier : mais enfin, lors même qu'on ne pourra pas arriver jusqu'à la perfection dans ce travail, il ne sera pas inutile de l'avoir connue, et de s'être efforcé d'y atteindre ; c'est le meilleur moyen d'en approcher. D'ailleurs cet ouvrage ne suppose point un naturel accompli dans les enfants, et un concours de toutes les circonstances les plus heureuses pour composer une éducation parfaite : au contraire, je tâche de donner des remèdes pour les naturels mauvais ou gâtés ; je suppose les mécomptes ordinaires dans les éducations, et j'ai recours aux moyens les plus simples pour redresser, en tout ou en partie, ce qui en a besoin. Il est vrai qu'on ne trouvera point, dans ce petit ouvrage, de quoi faire réussir une éducation négligée et mal conduite : mais faut-il s'en étonner ? N'est-ce pas le mieux qu'on puisse souhaiter, que de trouver des règles simples dont la pratique exacte fasse une solide éducation? J'avoue qu'on peut faire et qu'on fait tous les jours pour les enfants beaucoup moins que ce que je propose ; mais aussi on ne voit que trop combien la jeunesse souffre par ces négligences, le chemin que je représente, quelque long qu'il paroisse, est le plus court, puisqu'il mène droit où l'on veut aller ; l'autre chemin, qui est celui de la crainte, et d'une culture superficielle des esprits, quelque court qu'il paraisse, est trop long ; car on n'arrive presque jamais par-là au seul vrai but de l'éducation, qui est de persuader les esprits, et d'inspirer l'amour sincère de la vertu.
La plupart des enfants qu'on a conduits par ce chemin sont encore à recommencer, quand leur éducation semble finie; et après qu'ils ont passé les premières années de leur entrée dans le monde à faire des fautes souvent irréparables, il faut que l'expérience et leurs propres réflexions leur fassent trouver toutes les maximes que cette éducation gênée et superficielle n'avait point su leur inspirer.
On doit encore observer que ces premières peines, que je demande qu'on prenne pour les enfants, et que les gens sans expérience regardent comme accablantes et impraticables, épargnent des désagréments bien plus fâcheux, et aplanissent des obstacles qui deviennent insurmontables dans la suite d'une éducation moins exacte et plus rude.
Enfin, considérez que, pour exécuter ce projet d'éducation, il s'agit moins de faire des choses qui demandent un grand talent, que d'éviter des fautes grossières que nous avons marquées ici en détail. Souvent il n'est question que de ne presser point les enfants, d'être assidu auprès d'eux, de les observer, de leur inspirer de la confiance, de répondre nettement et de bon sens à leurs petites questions, de laisser agir leur naturel pour le mieux connaître, et de les redresser avec patience, lorsqu'ils se trompent ou font quelque faute.
Il n'est pas juste de vouloir qu'une bonne éducation puisse être conduite par une mauvaise gouvernante.
C'est sans doute assez que de donner des règles pour la faire réussir par les soins d'un sujet médiocre; ce n'est pas demander trop de ce sujet médiocre, que de vouloir qu'il ait au moins le sens droit, une humeur traitable, et une véritable crainte de Dieu. Cette gouvernante ne trouvera dans cet écrit rien de subtil ni d'abstrait ; quand même elle ne l'entendrait pas tout, elle concevra le gros, et cela suffît. Faites qu'elle le lise plusieurs fois ; prenez la peine de le lire avec elle, donnez-lui la liberté de vous arrêter sur tout ce qu'elle n'entend pas, et dont elle ne se sent pas persuadée ; ensuite mettez-la dans la pratique; et à mesure que vous verrez qu'elle perd de vue, en parlant à l'enfant, les règles de cet écrit qu'elle était convenue de suivre, faites-le lui remarquer doucement en secret. Cette application vous sera d'abord pénible ; mais, si vous êtes le père ou la mère de l'enfant, c'est votre devoir essentiel : d'ailleurs vous n'aurez pas longtemps de grandes difficultés là-dessus ; car cette gouvernante, si elle est sensée et de bonne volonté, en apprendra plus en un mois par sa pratique et par vos avis, que par de longs raisonnements ; bientôt elle marchera d'elle-même dans le droit chemin. Vous aurez encore cet avantage, pour vous décharger, qu'elle trouvera dans ce petit ouvrage les principaux discours qu'il faut faire aux enfants sur les plus importantes maximes, tout faits, en sorte qu'elle n'aura presque qu'à les suivre. Ainsi elle aura devant ses yeux un recueil des conversations qu'elle doit avoir avec l'enfant sur les choses les plus difficiles à lui faire entendre. C'est une espèce d'éducation pratique, qui la conduira comme par la main. Vous pouvez encore vous servir très utilement du Catéchisme historique, dont nous avons déjà parlé; faites que la gouvernante que vous formez le lise plusieurs fois, et surtout lâchez de lui en faire bien concevoir la préface, afin qu'elle entre dans cette méthode d'enseigner. Il faut pourtant avouer que ces sujets d'un talent médiocre, auxquels je me borne, sont rares à trouver. Mais enfin il faut un instrument propre à l'éducation ; car les choses les plus simples ne se font pas d'elles-mêmes, et elles se font toujours mal par les esprits mal faits. Choisissez donc, ou dans votre maison, ou dans vos terres, ou chez vos amis, ou dans les communautés bien réglées, quelque fille que vous croirez capable d'être formée ; songez de bonne heure à la former pour cet emploi, et tenez-la quelque temps auprès de vous pour l'éprouver, avant que de lui confier une chose si précieuse. Cinq ou six gouvernantes formées de cette manière seraient capables d'en former bientôt un grand nombre d'autres. On trouverait peut-être du mécompte en plusieurs de ces sujets; mais enfin sur ce grand nombre on trouverait toujours de quoi se dédommager, et on ne serait pas dans l'extrême embarras où l'on se trouve tous les jours. Les communautés religieuses et séculières qui s'appliquent, selon leur institut, à élever des filles, pourraient aussi entrer dans ces vues pour former leurs maîtresses de pensionnaires et leurs maîtresses d'école.
Mais, quoique la difficulté de trouver des gouvernantes soit grande, il faut avouer qu'il y en a une autre plus grande encore ; c'est celle de l'irrégularité des parents : tout le reste est inutile, s'ils ne veulent concourir eux-mêmes dans ce travail.
Le fondement de tout est qu'ils ne donnent à leurs enfants que des maximes droites et des exemples édifiants.C'est ce qu'on ne peut espérer que d'un très petit nombre de familles. On ne voit, dans la plupart des maisons, que confusion, que changement, qu'un amas de domestiques qui sont autant d'esprits de travers que division entre les maîtres.
Quelle affreuse école pour des enfants ! Souvent une mère qui passe sa vie au jeu, à la comédie, et dans des conversations indécentes, se plaint d'un ton grave qu'elle ne peut pas trouver une gouvernante capable d'élever ses filles. Mais qu'est-ce que peut la meilleure éducation sur des filles à la vue d'une telle mère? Souvent encore on voit des parents qui, comme dit saint Augustin, mènent eux-mêmes leurs enfants aux spectacles publics, et à d'autres divertissements qui ne peuvent manquer de les dégoûter de la vie sérieuse et occupée dans laquelle ces parents mêmes les veulent engager; ainsi ils mêlent le poison avec l'aliment salutaire. Ils ne parlent que de sagesse ; mais ils accoutument l'imagination volage des enfants aux violents ébranlements des représentations passionnées et de la musique, après quoi ils ne peuvent plus s'appliquer. Ils leur donnent le goût des passions, et leur font trouver fades les plaisirs innocents.
Après cela ils veulent encore que l'éducation réussisse; et ils la regardent comme triste et austère, si elle ne souffre ce mélange du bien et du mal. N'est-ce pas vouloir se faire honneur du désir d'une bonne éducation de ses enfants, sans en vouloir prendre la peine, ni s'assujettir aux règles les plus nécessaires ?
Finissons par le portrait que le Sage fait d'une femme forte : Son prix, dit-il, est comme celui de ce qui vient de loin, et des extrémités de la terre. Le cœur de son époux se confie à elle ; elle ne manque jamais des dépouilles qu'il lui rapporte de ses victoires; tous les jours de sa vie elle lui fait du bien, et jamais de mal. Elle cherche la laine et le lin : elle travaille avec des mains pleines de sagesse. Chargée comme un vaisseau marchand, elle porte de loin ses provisions. La nuit elle se lève, et distribue la nourriture à ses domestiques. Elle considère un champ , et l'achète de son travail, fruit de ses mains; elle plante une vigne. Elle ceint ses reins de force, elle endurcit son bras. Elle a goûté et vu combien son commerce est utile : sa lumière ne s'éteint jamais pendant la nuit. Sa main s'attache aux travaux rudes, et ses doigts prennent le fuseau. Elle ouvre pourtant sa main à celui qui est dans l'indigence, elle l'étend sur le pauvre. Elle ne craint ni froid ni neige ; tous ses domestiques ont de doubles habits : elle a tissu une robe pour elle, le fin lin et la pourpre sont ses vêtements.
Son époux est illustre aux portes, c'est-à-dire dans les conseils, où il est assis avec les hommes les plus vénérables. Elle fait des habits qu'elle vend, des ceintures qu'elle débite aux Chananéens.
La force et la beauté sont ses vêtements, et elle rira dans son dernier jour. Elle ouvre sa bouche à la sagesse, et une loi de douceur est sur sa langue. Elle observe dans sa maison jusqu'aux traces des pas, et elle ne mange jamais son pain sans occupation. Ses enfants se sont élevés, et l'ont dite heureuse ; son mari s'élève de même, et il la loue : Plusieurs filles, dit-il, ont amassé des richesses ; vous les avez toutes surpassées. Les grâces sont trompeuses, la beauté est vaine : la femme qui craint Dieu, c'est elle qui sera louée.
Donnez-lui du fruit de ses mains ; et qu'aux portes, dans les conseils publics, elle soit louée par ses propres œuvres.
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 2:17 pm

[passage qui a été oublié par l'éditeur suivi de]
pernicieuse impression que cette image trompeuse.
Quoique la différence extrême des mœurs, la brièveté et la hardiesse des figures, rendent d'abord ce langage obscur, on y trouve un style si vif et si plein, qu'on en est bientôt charmé si on l'examine de près. Mais ce que je souhaite davantage qu'on en remarque, c'est l'autorité de Salomon, le plus sage de tous les hommes ; c'est celle du Saint-Esprit même, dont les paroles sont si magnifiques pour faire admirer, dans une femme riche et noble, la simplicité des mœurs, l'économie et le travail.
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Message  Lucie Mar 29 Mar 2011, 3:00 pm

Ce portrait de la femme forte, comme nous l'avons fait observer ailleurs n'est qu'un abrégé de celui qu'on trouve dans une copie très ancienne de l'ouvrage de Fénelon,et que nous croyons devoir mettre sous les yeux du lecteur.
"Qui sera assez heureux pour trouver une femme forte ? On la doit chercher, comme un bien d'un prix inestimable, jusque dans les pays les plus éloignés. Le cœur de son époux se repose sur elle avec confiance et, sans avoir besoin de remporter les dépouilles des ennemis, il verra toujours l'abondance dans sa maison. Elle lui rendra le bien, et non le mal, pendant tous les jours de sa vie. De quelque manière qu'il en use avec elle, elle ne néglige aucun de ses devoirs envers lui ; et s'il manque à régler et à soutenir sa famille, solidaire avec lui dans cette fonction, elle y suppléera courageusement, couvrira respectueusement les fautes de son mari, et réparera le mal par le bien. Au lieu de s'amuser, comme les autres femmes, à des choses frivoles, elle prendra d'abord du lin et de la laine : ce sera par un conseil plein de sagesse qu'elle s'appliquera ainsi à travailler de ses propres mains. Semblable à un vaisseau marchand, qui porte de loin toutes ses provisions, elle attirera de tous côtés des biens dans sa maison. Bien loin de s'endormir dans la mollesse, elle se lèvera devant le jour, afin de pourvoir à la nourriture de ses domestiques et de ses servantes. A-t-elle bien examiné le prix d'une terre, elle l'achètera ; et on la verra planter une vigne, pour cueillir un jour elle-même le fruit du travail de ses propres mains. Ne vous la représentez point comme une femme vaine et délicate ; la voilà qui ceint déjà ses reins pour agir avec plus de liberté et de force, et qui endurcit ses bras au travail. Elle goûte et elle a compris combien cette vie agissante est bonne. Aussi veille-t-elle sur toutes choses, et elle ne laisse jamais éteindre sa lumière chez elle pendant la nuit, afin de voir tout ce qui se passe. Si ses doigts ne méprisent point le fuseau, sa main n'est pas moins prompte pour les travaux qui semblent les plus rudes. Ne croyez pourtant pas qu'elle se donne tant de soins par un sentiment d'avarice. Ses bras, qui sont infatigables au travail, s'étendent souvent chaque jour en faveur des pauvres, qu'elle soulage dans leurs misères. Elle ne craint point pour sa famille la rigueur de l'hiver ; elle a pourvu aux besoins de toutes les saisons, et tous ses domestiques ont deux paires d'habits.Son époux est un homme considérable aux portes de la ville, c'est-à-dire dans les assemblées publiques et dans les conseils. ll est assis avec dignité au milieu des vieillards vénérables qui sont juges du peuple. Elle travaille à divers ouvrages pour des manteaux et pour des ceintures, et elle en fait commerce avec les étrangers. La force de son corps exercé au travail, et sa beauté toute naturelle, sont ses ornements, sans qu'elle ait besoin d'en emprunter par un vain artifice. Aussi verra-t-elle la mort sans en être étonné et ; toujours préparée à la recevoir, elle s'y résoudra avec un cœur soumis à la Providence, et avec un visage riant. Accoutumée à se taire et à retrancher les discours inutiles, elle n'ouvre sa bouche qu'à la sagesse, que pour instruire et édifier : une loi de clémence, de discrétion et de charité pour le prochain conduit sa langue, et règle toutes ses paroles. Elle observe tout ce qui se fait chez elle ; elle veille sur la conduite de ses domestiques ; elle étudie leurs inclinations et leurs habitudes ; elle suit, pour les bien reconnaître, jusqu'aux traces de leurs pieds.
Ennemie de la mollesse et de l'oisiveté, elle gagne sa vie par son travail, dans sa propre maison, et au milieu de ses biens mêmes. Ses enfants, qu'elle élève, charmés de sa sagesse, admirent son bonheur qui en est le fruit.
ils se lèvent, ils s'écrient publiquement : qu'elle est heureuse, qu'elle est digne de l'être !Et son époux, joignant ses louanges aux leurs, lui dit : Beaucoup de femmes ont enrichi leurs familles ; mais vous les avez toutes surpassées par vos vertus et par votre conduite. Les grâces sont trompeuses, la beauté n'est qu'un éclat vain et fragile ; mais la sagesse d'une femme pleine de la crainte de Dieu mérite une louange immortelle. Qu'elle soit donc comblée des biens qui sont les fruits de son travail, et qu'elle soit louée aux portes,c'est-à-dire de tout le public.» Bossuet, dans son Commentaire sur le dernier chapitre du livre des Proverbes, s'arrête avec une sorte de complaisance à développer le passage qui a fourni à Fénélon ce beau portrait.
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Message  Lucie Mer 30 Mar 2011, 9:29 am

AVIS A UNE DAME DE QUALITÉ, SUR L'ÉDUCATION DE SA FILLE.

Puisque vous le voulez, madame, je vais vous proposer mes idées sur l'éducation de mademoiselle votre fille.
Si vous en aviez plusieurs, vous pourriez en être embarrassée, à cause des affaires qui vous assujettissent à un commerce extérieur plus grand que vous ne le souhaiteriez. En ce cas, vous pourriez choisir quelque bon couvent, où l'éducation des pensionnaires serait exacte. Mais, puisque vous n'avez qu'une seule fille à élever, et que Dieu vous a rendue capable d'en prendre soin, je crois que vous pouvez lui donner une meilleure éducation qu'aucun couvent. Les yeux d'une mère sage, tendre et chrétienne, découvrent sans doute ce que d'autres ne peuvent découvrir. Comme ces qualités sont très rares, le plus sûr parti pour les mères est de confier aux couvents le soin d'élever leurs filles, parce que souvent elles manquent des lumières nécessaires pour les instruire ; ou, si elles les ont, elles ne les fortifient pas par l'exemple d'une conduite sérieuse et chrétienne, sans lequel les instructions les plus solides ne font aucune impression ; car tout ce qu'une mère peut dire à sa fille est anéanti par ce que sa fille lui voit faire. Il n'en est pas de même de vous, madame : vous ne songez qu'à servir Dieu; la religion est le premier de vos soins, et vous n'inspirerez à mademoiselle votre fille que ce qu'elle vous verra pratiquer : ainsi je vous excepte de la règle commune, et je vous préfère, pour son éducation, à tous les couvents.
Il y a même un grand avantage dans l'éducation que vous donnez à mademoiselle votre fille auprès de vous. Si un couvent n'est pas régulier, elle y verra la vanité en honneur, ce qui est le plus subtil de tous les poisons pour une jeune personne.
Elle y entendra parler du monde comme d'une espèce d'enchantement; et rien ne fait une plus [passage oublié par l'éditeur] du siècle, qu'on regarde de loin avec admiration, et qui en exagère tous les plaisirs sans en montrer les mécomptes et les amertumes. Le monde n'éblouit jamais tant que quand on le voit de loin, sans l'avoir jamais vu de près, et sans être prévenu contre sa séduction. Ainsi je craindrais un couvent mondain encore plus que le monde même. Si, au contraire, un couvent est dans la ferveur et dans la régularité de son institut, une jeune fille de condition y croît dans une profonde ignorance du siècle : c'est sans doute une heureuse ignorance, si elle doit durer toujours ; mais si cette fille sort de ce couvent, et passe, à un certain âge, dans la maison paternelle, où le monde aborde, rien n'est plus à craindre que cette surprise et que ce grand ébranlement d'une imagination vive. Une fille qui n'a été détachée du monde qu'à force de l'ignorer, et en qui la vertu n'a pas encore jeté de profondes racines, est bientôt tentée de croire qu'on lui a caché ce qu'il y a de plus merveilleux. Elle sort du couvent comme une personne qu'on aurait nourrie dans les ténèbres d'une profonde caverne, et qu'on ferait tout d'un coup passer au grand jour.Rien n'est plus éblouissant que ce passage imprévu, et que cet éclat auquel on n'a jamais été accoutumé. Il vaut beaucoup mieux qu'une fille s'accoutume peu à peu au monde auprès d'une mère pieuse et discrète, qui ne lui en montre que ce qu'il lui convient d'en voir, qui lui en découvre les défauts dans les occasions, et qui lui donne l'exemple de n'en user qu'avec modération, pour le seul besoin. J'estime fort l'éducation des bons couvents ; mais je compte encore plus sur celle d'une bonne mère, quand elle est libre de s'y appliquer.
Je conclus donc que mademoiselle votre fille est mieux auprès de vous que dans le meilleur couvent que vous pourriez choisir. Mais il y a peu de mères à qui il soit permis de donner un pareil conseil.
Il est vrai que cette éducation aurait de grands périls, si vous n'aviez pas le soin de choisir avec précaution les femmes qui seront auprès de mademoiselle votre fille. Vos occupations domestiques, et le commerce de bienséance au-dehors, ne vous permettent pas d'avoir toujours cet enfant sous vos yeux: il est à propos qu'elle vous quitte le moins qu'il sera possible ; mais vous ne sauriez la mener partout avec vous. Si vous la laissez à des femmes d'un esprit léger, mal réglé et indiscret, elles lui feront plus de mal en huit jours que vous ne pourriez lui faire de bien en plusieurs années. Ces personnes, qui n'ont eu d'ordinaire elles-mêmes qu'une mauvaise éducation, lui en donneront une à peu près semblable. Elles parleront trop librement entre elles en présence d'un enfant qui observera tout, et qui croira pouvoir faire de même : elles débiteront beaucoup de maximes fausses et dangereuses. L'enfant entendra médire, mentir, soupçonner légèrement, disputer mal à propos. Elle verra des jalousies, des inimitiés, des humeurs bizarres et incompatibles, et quelquefois des dévotions ou fausses, ou superstitieuses et de travers, sans aucune correction des plus grossiers défauts. D'ailleurs, ces personnes d'un esprit servile ne manqueront pas de vouloir plaire à cet enfant par les complaisances et par les flatteries les plus dangereuses. J'avoue que l'éducation des plus médiocres couvents serait meilleure que cette éducation domestique. Mais je suppose que vous ne perdrez jamais de vue mademoiselle votre fille, excepté dans les cas d'une absolue nécessité, et que vous aurez au moins une personne sûre qui vous en répondra pour les occasions où vous serez contrainte de la quitter. Il faut que cette personne ait assez de sens et de vertu pour savoir prendre une autorité douce, pour tenir les autres femmes dans leur devoir, pour redresser l'enfant dans les besoins sans s'attirer sa haine, et pour vous rendre compte de tout ce qui méritera quelque attention pour les suites. J'avoue qu'une telle femme n'est pas facile à trouver ; mais il est capital de la chercher, et de faire la dépense nécessaire pour rendre sa condition bonne auprès de vous. Je sais qu'on peut y trouver de fâcheux mécomptes ; mais il faut se contenter des qualités essentielles, et tolérer les défauts qui sont mêlés avec ces qualités. Sans un tel sujet, appliqué à vous aider, vous ne sauriez pas réussir.
Comme mademoiselle votre fille montre un esprit assez avancé, avec beaucoup d'ouverture, de facilité et de pénétration, je crains pour elle le goût du bel esprit, et un excès de curiosité vaine et dangereuse. Vous me permettrez, s'il vous plaît, madame, de vous dire ce qui ne doit point vous blesser, puisqu'il ne vous regarde point. Les femmes sont d'ordinaire encore plus passionnées pour la parure de l'esprit que pour celle du corps.
Celles qui sont capables d'étude, et qui espèrent de se distinguer par-là, ont encore plus d'empressement pour leurs livres que pour leurs ajustements.
Elles cachent un peu leur science ; mais elles ne la cachent qu'à demi, pour avoir le mérite de la modestie avec celui de la capacité. D'autres vanités plus grossières se corrigent plus facilement, parce qu'on les aperçoit, qu'on se les reproche, et qu'elles marquent un caractère frivole. Mais une femme curieuse, et qui se pique de savoir beaucoup, se flatte d'être un génie supérieur dans son sexe ; elle se sait bon gré de mépriser les amusements et les vanités des autres femmes, elle se croit solide en tout, et rien ne la guérit de son entêtement.
Elle ne peut d'ordinaire rien savoir qu'à demi ; elle est plus éblouie qu'éclairée par ce qu'elle sait ; elle se flatte de savoir tout ; elle décide ; elle se passionne pour un parti contre un autre dans toutes les disputes qui la surpassent, même en matière de religion : de là vient que toutes les sectes naissantes ont eu tant de progrès par des femmes qui les ont insinuées et soutenues.
Les femmes sont éloquentes en conversation, et vives pour mener une cabale. Les vanités grossières des femmes déclarées vaines sont beaucoup moins à craindre que ces vanités sérieuses et raffinées, qui se tournent vers le bel esprit pour briller par une apparence de mérite solide. Il est donc capital de ramener sans cesse mademoiselle votre fille à une judicieuse simplicité. Il suffit qu'elle sache assez bien la religion pour la croire et pour la suivre exactement dans la pratique, sans se permettre jamais d'en raisonner. Il faut qu'elle n'écoute que l'Eglise, qu'elle ne se prévienne pour aucun prédicateur contredit, ou suspect de nouveauté. Son directeur doit être un homme ouvertement déclaré contre tout ce qui s'appelle parti. Il faut qu'elle fuie les conversations des femmes qui se mêlent de raisonner témérairement sur la doctrine, et qu'elle sente combien cette liberté est indécente et pernicieuse. Elle doit avoir horreur de lire les livres défendus, sans vouloir examiner ce qui les fait défendre. Qu'elle apprenne à se défier d'elle-même, et à craindre les pièges de la curiosité et de la présomption : qu'elle s'applique à prier Dieu en toute humilité, à devenir pauvre d'esprit, à se recueillir souvent, à obéir sans relâche, à se laisser corriger par les personnes sages et affectionnées, jusque dans ses jugements les plus arrêtés, et à se taire, laissant parler les autres. J'aime bien mieux qu'elle soit instruite des comptes de votre maître-d'hôtel, que des disputes des théologiens sur la grâce. Occupez-la d'un ouvrage de tapisserie qui sera utile dans votre maison, et qui l'accoutumera à se passer du commerce dangereux du monde ; mais ne la laissez point raisonner sur la théologie, au grand péril de sa foi. Tout est perdu, et si elle s'entête du bel esprit, et si elle se dégoûte des soins domestiques. La femme forte file, se renferme dans son ménage, se tait, croit et obéit ; elle ne dispute point contre l'Église.
Je ne doute nullement, madame, que vous ne sachiez bien placer, dans les occasions naturelles quelques réflexions sur l'indécence et sur les dérèglements qui se trouvent dans le bel esprit de certaines femmes, pour éloigner mademoiselle votre fille de cet écueil. Mais comme l'autorité d'une mère court risque de s'user, et comme ses plus sages leçons ne persuadent pas toujours une fille contre son goût, je souhaiterais que les femmes d'un mérite approuvé dans le monde, qui sont de vos amies, parlassent avec vous en présence de cette jeune personne, et sans paraître penser à elle, pour blâmer le caractère vain et ridicule des femmes qui affectent d'être savantes, et qui montrent quelque partialité pour les novateurs en matière de religion. Ces instructions indirectes feront, selon les apparences, plus d'impression que tous les discours que vous feriez seule et directement.
Pour les habits, je voudrais que vous tâchassiez d'inspirer à mademoiselle votre fille le goût d'une vraie modération. Il y a certains esprits extrêmes de femmes à qui la médiocrité est insupportable : elles aimeraient mieux une simplicité austère, qui marquerait une réforme éclatante en renonçant à la magnificence la plus outrée, que de demeurer dans un juste milieu, qu'elles méprisent comme un défaut de goût et comme un état insipide.
Il est néanmoins vrai que ce qu'il y a de plus estimable et de plus rare est de trouver un esprit sage et mesuré, qui évite les deux extrémités et qui, donnant à la bienséance ce qu'on ne peut lui refuser, ne passe jamais cette borne. La vraie sagesse est de vouloir, pour les meubles, pour les équipages et pour les habits, qu'on n'ait rien à y remarquer, ni en bien, ni en mal. Soyez assez bien, direz-vous à mademoiselle votre fille, pour ne vous faire point critiquer comme une personne sans goût, malpropre et trop négligée ; mais qu'il ne paraisse dans votre extérieur aucune affectation de parure, ni aucun faste : par-là vous paraîtrez avoir une raison et une vertu au-dessus de vos meubles, de vos équipages et de vos habits ; vous vous en servirez, et vous n'en serez pas esclave.
Il faut faire entendre à cette jeune personne que c'est le luxe qui confond toutes les conditions, qui élève les personnes d'une basse naissance, et enrichies à la hâte par des moyens odieux, au-dessus des personnes de la condition la plus distinguée ; que c'est ce désordre qui corrompt les mœurs d'une nation, qui excite l'avidité, qui accoutume aux intrigues et aux bassesses, et qui sape peu à peu tous les fondements de la probité.
Elle doit comprendre aussi qu'une femme, quelques grands biens qu'elle porte dans une maison, la ruine bientôt, si elle y introduit le luxe, avec lequel nul bien ne peut suffire. En même temps accoutumez-la à considérer avec compassion les misères affreuses des pauvres, et à sentir combien il est indigne de l'humanité que certains hommes qui ont tout ne se donnent aucune borne dans l'usage du superflu, pendant qu'ils refusent cruellement le nécessaire aux autres. Si vous teniez mademoiselle votre fille dans un état trop inférieur à celui des autres personnes de son âge et de sa condition,vous courriez risqué de l'éloigner de vous : elle pourrait se passionner pour ce qu'elle ne pourrait pas avoir, et qu'elle admirerait de loin en autrui ; elle serait tentée de croire que vous êtes trop sévère et trop rigoureuse : il lui tarderait peut-être de se voir maîtresse de sa conduite, pour se jeter sans mesure dans la vanité. Vous la retiendrez beaucoup mieux en lui proposant un juste milieu, qui sera toujours approuvé des personnes sensées et estimables : il lui paraîtra que vous voulez qu'elle ait tout ce qui convient à la bienséance, que vous ne tombez dans aucune économie sordide, que vous avez même pour elle toutes les complaisances permises, et que vous voulez seulement la garantir des excès des personnes dont la vanité ne connaît point de bornes. Ce qui est essentiel est de ne vous relâcher jamais sur aucune des immodesties qui sont indignes du christianisme. Vous pouvez vous servir des raisons de bienséance et d'intérêt, pour aider et pour soutenir la religion en ce point. Une jeune fille hasarde tout pour le repos de sa vie, si elle épouse un homme vain, léger et déréglé. Donc il lui est capital de se mettre à portée d'en trouver un sage, réglé, d'un esprit solide, et propre à réussir dans les emplois. Pour trouver un tel homme, il faut être modeste, et ne laisser voir en soi rien de frivole et d'évaporé.
Quel est l'homme sage et discret qui voudra une femme vaine, et dont la vertu paraît ambiguë, à en juger par son extérieur?
Mais votre principale ressource est de gagner le cœur de mademoiselle votre fille pour la vertu chrétienne.Ne l'effarouchez point sur la piété par une sévérité inutile ; laissez-lui une liberté honnête et une joie innocente ; accoutumez-la à se réjouir en-deçà du péché, et à mettre son plaisir loin des divertissements contagieux. Cherchez-lui des compagnies qui ne la gâtent point, et des amusements à certaines heures, qui ne la dégoûtent jamais des occupations sérieuses du reste de la journée.Tâchez de lui faire goûter Dieu ; ne souffrez pas qu'elle ne le regarde que comme un juge puissant et inexorable, qui veille sans cesse pour nous censurer et pour nous contraindre en toute occasion ; faites-lui voir combien il est doux, combien il se proportionne à nos besoins, et a pitié de nos faiblesses ; familiarisez-la avec lui comme avec un père tendre et compatissant. Ne lui laissez point regarder l'oraison comme une oisiveté ennuyeuse, et comme une gêne d'esprit où l'on se met pendant que l'imagination échappée s'égare.
Faites-lui entendre qu'il s'agit de rentrer souvent au-dedans de soi pour y trouver Dieu, parce que son règne est au-dedans de nous. Il s'agit de parler simplement à Dieu à toute heure, pour lui avouer nos fautes, pour lui représenter nos besoins, et pour prendre avec lui les mesures nécessaires par rapport à la correction de nos défauts. Il s'agit d'écouter Dieu dans le silence intérieur, en disant :
J'écouterai ce que le Seigneur dit au-dedans de moi. Il s'agit de prendre l'heureuse habitude d'agir en sa présence, et de faire gaiement toutes choses, grandes ou petites, pour son amour. Il s'agit de renouveler cette présence toutes les fois qu'on s'aperçoit de l'avoir perdue. Il s'agit de laisser tomber les pensées qui nous distraient dès qu'on les remarque, sans se distraire à force de combattre les distractions, et sans s'inquiéter de leur fréquent retour. Il faut avoir patience avec soi-même, et ne se rebuter jamais quelque légèreté d'esprit qu'on éprouve en soi. Les distractions involontaires ne nous éloignent point de Dieu ; rien ne lui est si agréable que celte humble patience d'une âme toujours prête à recommencer pour revenir vers lui. Mademoiselle votre fille entrera bientôt dans l'oraison, si vous lui en ouvrez bien la véritable entrée. Il ne s'agit ni de grands efforts d'esprit, ni de saillies d'imagination, ni de sentiments délicieux, que Dieu donne et qu'il ôte comme il lui plaît. Quand on ne connaît point d'autre oraison que celle qui consiste dans toutes ces choses si sensibles et si propres à nous flatter intérieurement, on se décourage bientôt ; car une telle oraison tarit, et on croit alors avoir tout perdu. Mais dites-lui que l'oraison ressemble à une société simple, familière et tendre, ou, pour mieux dire, qu'elle est cette société même. Accoutumez-la à épancher son cœur devant Dieu, à se servir de tout pour l'entretenir, et à lui parler avec confiance, comme on parle librement et sans réserve à une personne qu'on aime, et dont on est sûr d'être aimé du fond du cœur. La plupart des personnes qui se bornent à une certaine oraison contrainte sont avec Dieu comme on est avec les personnes qu'on respecte, qu'on voit rarement, par pure formalité, sans les aimer et sans être aimé d'elles : tout s'y passe en cérémonies et en compliments ; on s'y gêne, on s'y ennuie, on a impatience de sortir. Au contraire, les personnes véritablement intérieures sont avec Dieu comme on est avec ses intimes amis : on ne mesure point ce qu'on dit, parce qu'on sait à qui on parle ; on ne dit rien que de l'abondance et de la simplicité du cœur ; on parle à Dieu des affaires communes qui sont sa gloire et notre salut. Nous lui disons nos défauts que nous voulons corriger, nos devoirs que nous avons besoin de remplir, nos tentations qu'il faut vaincre, les délicatesses et les artifices de notre amour-propre qu'il faut réprimer. On lui dit tout ; on l'écoute sur tout ; on repasse ses commandements, et on va jusqu'à ses conseils. Ce n'est plus un entretien de cérémonie ; c'est une conversation libre, de vraie amitié : alors Dieu devient l'ami du cœur, le père dans le sein duquel l'enfant se console, l'époux avec lequel on n'est plus qu'un même esprit par la grâce. On s'humilie sans se décourager ; on a une vraie confiance en Dieu, avec une entière défiance de soi; on ne s'oublie jamais pour la correction de ses fautes, mais on s'oublie pour n'écouter jamais les conseils flatteurs de l'amour-propre. Si vous mettez dans le cœur de mademoiselle votre fille cette piété simple et nourrie par le fond, elle fera de grands progrès.
Je souhaite, etc...
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Education des filles, Fénélon. Empty Re: Education des filles, Fénélon.

Message  Lucie Mer 30 Mar 2011, 10:54 am

Mgr de Ségur se fiait manifestement aux enseignements de Fénelon, également écouté par Bossuet, quand il écrivait :


Que les dames veuillent bien s’occuper de leur intérieur, de leur famille et de leurs bonnes œuvres, de leurs aimables et modestes travaux, et qu’elles ne fassent plus d’invasion dans le champ de la théologie ni du droit canonique.
Ce champ n’est pas plus fait pour elles que le champ de bataille. A moins d’être des Jeanne d’Arc, les dames ne se battent point. L’austère théologie, le rude et positif droit canonique ne leur convient pas plus que l’épée ou le mousquet. Rien de ridicule comme une femme-homme : rien d’insupportable comme une femme théologienne. Quarante-neuf fois sur cinquante, elle parle de ce qu’elle ignore ; elle ne comprend pas le premier mot de ce qu’elle dit ; elle répète, comme une pie, ce qu’on lui a dit, et uniquement parce qu’on le lui a dit. Or, c’est encore ici l’expérience qui montre aux dames que les plus beaux parleurs ne sont pas toujours les plus sûrs docteurs. En matière de foi et de conscience, il faut tant se défier de l’engouement, de la passion et du parti pris !
Mgr de Cambrai, que j’ai souvent cité dans ce petit écrit, complimentait ses pieuses diocésaines de ne s’être pas laissé prendre, comme tant d’autres, aux piéges de ces discussions.
«Les conseils de Fénelon, écrivait-il de Rome, sont compris et observés dans nos familles les plus distinguées et les plus instruites. On ne trouve point parmi elles de ces femmes «qui se mêlent de décider sur la religion, quoiqu’elles n’en soient pas capables» ; – qui sont plus éblouies qu’éclairées parce «qu’elles savent, et qui se passionnent pour un parti contre un autre dans les disputes qui les surpassent». – Nos pieuses dames «sentent combien cette liberté est indécente et pernicieuse». Elles ne «raisonnent point sur la théologie, au grand péril de leur foi ; elles ne disputent point contre l’Eglise».

Leur vie sérieuse et toujours chrétiennement occupée se partage entre les devoirs de leur état et les oeuvres que la charité leur demande».
II est parfaitement permis aux femmes de s’occuper de religion et de doctrine ; elles le doivent même ; car, pour la femme comme pour l’homme, la religion est la grande affaire de la vie ; mais elles doivent s’en occuper en femmes, en chrétiennes douces et modestes, profondément soumises à l’Eglise, et obéissantes en cela comme en tout.

Du temps du jansénisme, c’est principalement au moyen des grandes dames que la secte s’est propagée ; les salons de Paris et, en Province, les grands châteaux abondaient en théologiennes, qui citaient des textes, commentaient saint Augustin, se moquaient du Pape et de Rome. Dans la querelle de l’infaillibilité, nous avons eu une reproduction de cette campagne, et nous avons vu avec stupéfaction des centaines et des centaines de dames pieuses, discuter sur le Pape Honorius, sur les fausses décrétales, sur l’unanimité morale, etc., etc. ; nous les avons vues préférer un Evêque, un prêtre, un journal à l’autorité du Chef de l’Eglise et d’un Concile oecuménique.
Evidemment les dames, même les plus grandes, même les meilleures, ne sont pas nées pour la philosophie ni pour la théologie.
Une bonne petite histoire à ce sujet.
Une dame, fort bien mise, se présente un jour au couvent des Pères Capucins de ***.
Elle demande le Père un tel, dont la réputation de bonté était arrivée jusqu’à elle.
- «Mon Père, lui dit-elle, il m’arrive une chose assez singulière. Figurez-vous que mon confesseur refuse de me donner l’absolution, uniquement parce que je ne veux pas croire à l’infaillibilité du Pape. Je ne peux pas y croire, c’est plus fort que moi».
Le Capucin, avec un air de bonhomie, répond aussitôt :
- «Comment ! votre confesseur vous refuse l’absolution pour cela ? Eh bien, moi, je vous la donnerai.
- Vous allez me la donner? Oh! mon Père, que vous me faites donc plaisir !
- Oui, je veux vous la donner sans aucune difficulté.
- Mais alors, pourquoi mon confesseur me la refuse-t-il ?
- Eh ! c’est qu’il vous prend pour une autre.
- Comment, pour une autre ? il me connaît depuis longtemps.
- Et moi, je vous dis qu’il vous prend pour une autre ; il vous prend pour une personne instruite.
- Pour une personne instruite ! Que voulez-vous dire par là ? Je ne suis pas une ignorante.
- Je ne dis pas cela ; mais vous ne savez pas ce que c’est que l’infaillibilité du Pape. Ces questions-là, voyez-vous, ne sont pas du domaine de tout le monde; et les trois quarts des dames qui font la controverse aujourd’hui sur le dos du Pape n’y entendent rien».
Et profitant de l’espèce de surprise qu’avait causée à cette dame une réponse si peu attendue, il lui expliqua doucement et très simplement l’état de la question. Pour la première fois, la bonne dame y vit clair.
- Comment ! dit-elle, ce n’est que cela, l’infaillibilité ? Mais alors j’y crois bien volontiers.
- Vous voyez bien, repartit finement le Capucin, que vous pouvez parfaitement recevoir l’absolution».
Les pauvres femmes surtout, qui n’ont pas grâce d’état sur le terrain de la théologie et du droit canonique, ont été séduites par les sophismes. Le grand art des tenants de l’opposition consistait, en effet, à embrouiller les questions les plus claires. C’est ce que disait le Saint-Père lui-même, il n’y a pas longtemps :
«Il importe avant tout de repousser les tentatives de ceux qui cherchent à fausser l’idée de l’infaillibilité. Quelques-uns voudraient m’entendre expliquer et éclaircir la définition conciliaire. Je ne le ferai pas. Elle est claire par elle-même, et n’a besoin ni de commentaire ni d’explications. Il suffit de lire le décret avec un esprit sincère ; son vrai sens se présente
facilement et tout naturellement»
(Mgr de Ségur, Réponse à la députation de l’Académie de la Religion catholique de Rome, juillet 1871).
Mais Fénelon dit aussi :
CHAPITRE XI.
Instruction des femmes sur leurs devoirs.

Venons maintenant au détail des choses dont une femme doit être instruite. Quels sont ses emplois? Elle est chargée de l'éducation de ses enfants ; des garçons jusqu'à un certain âge, des filles jusqu'à ce qu'elles se marient, ou se fassent religieuses ; de la conduite des domestiques, de leurs mœurs, de leur service; du détail de la dépense, des moyens de faire tout avec économie et honorablement ; d'ordinaire même, de faire les fermes et de recevoir les revenus.
La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s'instruire par rapport à leurs fonctions ; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études. Il faut donc borner l'instruction des femmes aux choses que nous venons de dire.

Voilà pourquoi les circonstances ont changé aujourd'hui, et qu'on ne peut donc plus appliquer Fénelon à notre époque. La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s'instruire par rapport à leurs fonctions ; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études. Quels sont donc les devoirs et les droits des femmes aujourd'hui, que les circonstances ont changé ?
Fénelon :

On ne manque pas de se servir de l'expérience qu'on a de beaucoup de femmes que la science a rendues ridicules : après quoi on se croit en droit d'abandonner aveuglément les filles à la conduite des mères ignorantes et indiscrètes.
Il est vrai qu'il faut craindre de faire des savantes ridicules. Les femmes ont d'ordinaire l'esprit encore plus faible et plus curieux que les hommes ; aussi n'est-il point à propos de les engager dans des études dont elles pourraient s'entêter. Elles ne doivent ni gouverner l'état, ni faire la guerre, ni entrer dans le ministère des choses sacrées; ainsi elles peuvent se passer de certaines connaissances étendues,qui appartiennent à la politique, à l'art militaire, à la jurisprudence, à la philosophie et à la théologie. La plupart même des arts mécaniques ne leur conviennent pas : elles sont faites pour des exercices modérés. Leur corps, aussi bien que leur esprit, est moins fort et moins robuste que celui des hommes ; en revanche, la nature leur a donné en partage l'industrie, la propreté et l'économie, pour les occuper tranquillement dans leurs maisons.

S.S. Pie XII donne des consignes en désaccord. Qui faut-il écouter, le Pape ou Fénelon ?
Fénelon :
Surtout inspirez aux filles cette sagesse sobre et tempérée que saint Paul recommande; faites-leur craindre le piège de la nouveauté, dont l'amour est si naturel à leur sexe ; prévenez-les d'une horreur salutaire pour toute singularité en matière de religion ; proposez-leur cette perfection céleste, cette merveilleuse discipline, qui régnait parmi les premiers chrétiens; faites-les rougir de nos relâchements, faites-les soupirer après cette pureté évangélique ; mais éloignez avec un soin extrême toutes les pensées de critique présomptueuse et de réformation indiscrète.
Fénelon :

Les femmes sont éloquentes en conversation, et vives pour mener une cabale. Les vanités grossières des femmes déclarées vaines sont beaucoup moins à craindre que ces vanités sérieuses et raffinées, qui se tournent vers le bel esprit pour briller par une apparence de mérite solide. Il est donc capital de ramener sans cesse mademoiselle votre fille à une judicieuse simplicité. Il suffit qu'elle sache assez bien la religion pour la croire et pour la suivre exactement dans la pratique, sans se permettre jamais d'en raisonner. Il faut qu'elle n'écoute que l'Eglise, qu'elle ne se prévienne pour aucun prédicateur contredit, ou suspect de nouveauté. Son directeur doit être un homme ouvertement déclaré contre tout ce qui s'appelle parti. Il faut qu'elle fuie les conversations des femmes qui se mêlent de raisonner témérairement sur la doctrine, et qu'elle sente combien cette liberté est indécente et pernicieuse. Elle doit avoir horreur de lire les livres défendus, sans vouloir examiner ce qui les fait défendre. Qu'elle apprenne à se défier d'elle-même, et à craindre les pièges de la curiosité et de la présomption : qu'elle s'applique à prier Dieu en toute humilité, à devenir pauvre d'esprit, à se recueillir souvent, à obéir sans relâche, à se laisser corriger par les personnes sages et affectionnées, jusque dans ses jugements les plus arrêtés, et à se taire, laissant parler les autres. J'aime bien mieux qu'elle soit instruite des comptes de votre maître-d'hôtel, que des disputes des théologiens sur la grâce. Occupez-la d'un ouvrage de tapisserie qui sera utile dans votre maison, et qui l'accoutumera à se passer du commerce dangereux du monde ; mais ne la laissez point raisonner sur la théologie, au grand péril de sa foi. Tout est perdu, et si elle s'entête du bel esprit, et si elle se dégoûte des soins domestiques. La femme forte file, se renferme dans son ménage, se tait, croit et obéit ; elle ne dispute point contre l'Église.

Fénelon écoute lui-même avant tout le Pape, et moi aussi j'écoute avant tout le Pape, avant tout Évêque, avant tout prédicateur et autres. Si le Pape ne dit rien contre ce que dit Fénelon et Mgr de Ségur, on écoute alors Fénelon et Mgr de Ségur plutôt que nos idées propres, à moins que d'autres auteurs ayant une aussi solide garantie, et plus adaptés aux circonstances d'aujourd'hui disent le contraire. On ne peut vouloir plier Fénelon et Mgr de Ségur aux circonstances présentes, et même contre le Pape.
Toute la règle est là décrite par Fénelon : La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s'instruire par rapport à leurs fonctions ; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études. Comment apprendre la vérité ? Heureusement, S.S. Pie XII a dit aux femmes :
DISCOURS AUX ORGANISATIONS FÉMININES CATHOLIQUES
(29 septembre 1957)
Dépendance de la femme envers l'Eglise.

Dès qu'elle s'engage dans une tâche apostolique, la femme catholique se trouve prise aussitôt dans un fourmillement d'idées, d'opinions, de tendances, de systèmes, qui la sollicitent de toute part ; il importe donc qu'elle sache s'orienter avec facilité suivant les circonstances et, pour cela, qu'elle possède des normes sûres, lui permettant de se tracer une ligne de conduite, ainsi que la force morale indispensable pour y rester fidèle et pour déceler et redresser les erreurs éventuelles. Où trouvera-t-elle cette règle ferme de pensée et d'action, sinon au sein de la communauté chrétienne, dans l'Eglise catholique ?

Par la volonté de son divin Fondateur, l'Eglise est dépositaire de la Révélation surnaturelle, elle en est la gardienne et l'unique interprète autorisée ; le magistère qu'elle exerce à l'égard du dépôt sacré suppose le pouvoir de juger de toute vérité, puisque la destinée éternelle de l'homme est unique et que rien dans sa vie n'échappe à cette finalité. Les réalités culturelles, politiques, sociales et morales influencent toutes l'orientation de sa conduite ; chargée de le conduire à Dieu et possédant les moyens infaillibles de discerner le vrai du faux, l'Eglise est capable d'apprécier la valeur exacte des principes intellectuels et moraux, ainsi que les comportements qui répondent aux exigences de la vérité dans les situations concrètes de la vie individuelle et sociale.

Dès lors dans sa conduite personnelle, comme dans son apostolat, la femme catholique doit se préoccuper de rester en contact étroit avec la source vive de lumière que le Seigneur a mise en son Eglise : aussi longtemps qu'elle reste sous sa direction, qu'elle accepte son enseignement, et observe ses directives, elle jouit d'une sécurité infiniment précieuse, qui confère à toutes ses entreprises une autorité et une stabilité empruntées à celles de l'Eglise même.

Il semblerait cependant qu'il n'y a aucune concession donnée par l'Eglise de façon explicite pour étudier théologie et Droit Canon ou philosophie dans leurs parties les plus hautes par la femme. Au contraire, Fénelon et Mgr de Ségur s'y opposent, et donc je les écoute pour ma part à ce sujet jusqu'à preuve du contraire.
DISCOURS AUX ORGANISATIONS FÉMININES CATHOLIQUES
(29 septembre 1957)
Quant à votre champ d'apostolat lui-même et au travail que vous y déployez, Nous constatons que, depuis quelques décades, il s'étend constamment dans presque tous les pays. Les causes les plus diverses comme l'industrialisation, les bouleversements sociaux, l'élévation des niveaux de vie et de culture, la création de nouvelles branches de la technique y ont contribué et continuent encore à agir. Actuellement la femme trouve place dans presque toutes les professions et institutions culturelles, sociales, politiques, ainsi que dans les organismes internationaux. Comme les autres, la femme catholique participe à ce mouvement ; elle ne pourrait ni d'ailleurs ne veut s'y soustraire ; bien au contraire, elle doit assumer ses responsabilités dans tous les domaines et faire face aux exigences d'un apostolat effectif.

Dans chacun des secteurs où elle travaille, dans la famille comme épouse et mère, dans l'éducation, dans la vie sociale, dans les organismes législatifs, administratifs, judiciaires et dans les relations internationales, elle doit suivre des normes religieuses et morales particulières sur lesquelles l'Eglise, et les Papes tout spécialement, ont fourni des éclaircissements utiles. Lorsque les circonstances n'étaient pas encore suffisamment définies, ils ont d'habitude tracé les limites à ne pas franchir.

Exhortation à l'apostolat.

Le Siège apostolique ne tolère pas seulement votre action ; il vous exhorte à l'apostolat, à vous dépenser pour réaliser le grand devoir missionnaire des chrétiens, afin de rassembler toutes les brebis égarées en un seul troupeau et sous un seul Pasteur (Jn 10,16). L'initiative individuelle y a sa fonction à côté d'une action d'ensemble organisée et menée par le moyen des diverses associations. Cette initiative de l'apostolat laïc se justifie parfaitement, même sans « mission » préalable explicite de la hiérarchie. La mère de famille qui s'occupe de la formation religieuse de ses enfants, la femme qui s'adonne aux services d'assistance charitable, celle qui montre une fidélité courageuse pour sauvegarder sa dignité ou le climat moral de son milieu, exercent un apostolat véritable. Spécialement dans les pays où les contacts avec la hiérarchie sont difficiles ou pratiquement impossibles, une part très large revient à l'initiative personnelle pour le maintien de la foi et de la vie catholique ; les chrétiens sur qui retombe cette charge doivent dans ce cas, avec la grâce de Dieu, prendre toutes leurs responsabilités. Il est clair toutefois qu'on ne peut, même alors, rien entreprendre qui aille contre la volonté explicite ou implicite de l'Eglise ou soit contraire en quelque manière aux règles de la foi, de la morale ou de la discipline ecclésiastique.
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Message  gabrielle Mer 30 Mar 2011, 2:00 pm

ainsi elles peuvent se passer de certaines connaissances étendues,qui appartiennent à la politique, à l'art militaire, à la jurisprudence, à la philosophie et à la théologie.

Peut-on s'en passer de nos jours? Je ne pense pas que cela soit une connaissance étendue que de lire ce que dit Saint Thomas sur un point ou un autre ou ce que dit le Code sur un point XY... pour défendre la foi il faut avoir des armes et si ces armes se trouvent dans ces livres... pourquoi ne pas les prendre. Laughing
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Message  Lucie Mer 30 Mar 2011, 3:13 pm

Fénelon : La science des femmes, comme celle des hommes, doit se borner à s'instruire par rapport à leurs fonctions ; la différence de leurs emplois doit faire celle de leurs études.
Je crois que tout dépend de cela : qu'en est-il aujourd'hui ? Suspect J'attends d'avoir étudié plus le sujet pour ma part, je pense que c'est plus prudent.
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