FONDATION D'ALBE DE TORMEZ (Sainte Thérèse d'Avila)
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FONDATION D'ALBE DE TORMEZ (Sainte Thérèse d'Avila)
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(source BNF) Vie . Fondations faites par sainte Thérèse de plusieurs monastères de la traduction de M. Arnauld d'Andilly...
À suivre…
FONDATION D’ALBE DE TORMEZ
Par Sainte Thérèse d’Avila.
CHAPITRE 19
1. De quelle manière ce monastère fut fondé par le moyen d'une dame de très-grande vertu nommée Thérèse De Lais, dont la sainte rapporte presque toute la vie. Il n'y avait pas encore deux mois que j'avais le jour de la fête de tous les saints pris possession de la maison de Salamanque, lorsque je fus pressée de la part de l'intendant du duc d’Albe et de la femme de cet intendant de fonder un monastère dans Albe. Je n'en avais pas grande envie, parce que la ville est si petite qu'on ne le pouvait sans avoir du revenu, et que j'aurais désiré que nulle de nos maisons n'en eut. Mais le Père Dominique Bagnez mon confesseur dont j’ai parlé au commencement de ces fondations et qui se rencontra alors à Salamanque, m’en reprit, et me dit que puisque le Concile permettait d'avoir du revenu je ne devais pas pour ce sujet refuser de fonder un monastère, et que rien n’empêche des religieuses d'être parfaites encore qu'elles aient du bien.
Avant que de passer dans le récit de l'établissement de ce monastère d’Albe De Tormez nommé de l'Annonciation de la Sainte Vierge, je veux parler de Thérèse de Lais sa fondatrice, et dire de quelle sorte cela se passa. Son père et sa mère tiraient leur origine d'une très-ancienne noblesse : mais parce qu'ils n’étaient pas riches ils demeuraient dans le village de Tordille distant de deux lieues d’Albe. Et je ne saurais voir sans compassion que la vanité du monde est si grande, que plutôt que de s’abaisser en la moindre chose de ce qu’il nomme l’honneur, on aime mieux se retirer ainsi en des lieux où l’on est privé des instructions qui peuvent contribuer au salut. Ce gentilhomme et sa femme avaient déjà quatre filles quand Thérèse naquit, et ils ne purent sans peine en voir augmenter le nombre. Sur quoi ne peut-on pas dire que dans l'ignorance où sont les hommes de ce qui leur est avantageux ils ne comprennent point qu'il leur peut être fort utile d'avoir des filles, et fort préjudiciable d’avoir des fils.
Au lieu de se soumettre aux ordres de leur Créateur, ils s’affligent de ce qui devrait les réjouir. Leur foi est si endormie qu’ils oublient que rien n’arrive sans sa permission. Et ils sont si aveuglés qu'ils ne voient pas que leurs inquiétudes et leurs chagrins leur sont inutiles, et que la seule véritable sagesse est de s'abandonner à sa conduite. Hélas, mon Dieu, que cette erreur se connaîtra clairement dans ce grand jour où toutes les vérités seront découvertes; on verra tant de pères précipités dans l'enfer par les péchés de leurs fils, et tant de mères jouir de la gloire du ciel par les bonnes œuvres de leurs filles.
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CHAPITRE 19
2. Mais il faut revenir à mon sujet. Après que cet enfant eut reçu le saint Baptême on la négligea de telle sorte que le troisième jour de sa naissance on l’oublia depuis le matin jusqu’au soir. Une femme qui aurait dû en prendre soin arrivait alors et le sachant, elle courut avec quelques personnes qui étaient venues visiter la mère et qui furent témoins de ce que je vais dire, pour voir si l’enfant était morte. Cette femme fondant en larmes la prit entre ses bras et lui dit : quoi ! Ma fille, n’êtes-vous donc pas chrétienne ? Comme pour signifier qu'on ne l'avait pas traitée comme telle. Sur quoi l’enfant levant la tête répondit : je la suis : et ce fut la seule parole qu'elle prononça jusqu’au temps que les enfants ont coutume de parler.
Tous les assistants demeurèrent épouvantés, et la mère commença de concevoir tant d’affection pour elle, qu'elle disait souvent qu’elle désirait de vivre jusqu’à ce qu’elle pût voir ce que Dieu ferait de cet enfant. Elle l’élevait fort honnêtement avec ses sœurs, et les instruisit toutes avec grand soin de ce qui pouvait les porter à la vertu. Lorsque la jeune Thérèse fut en âge d’être mariée, elle y témoignait de la répugnance. Mais ayant su que François Velasquez la recherchait, quoiqu'elle ne l'eût jamais vu, elle consentit de l'épouser, et Notre-Seigneur le permit, sans doute afin qu’ils accomplissent ensemble une aussi bonne œuvre que celle de fonder une maison religieuse. Il n’était pas seulement fort riche : il était aussi fort vertueux, et il l'aima tant qu'il ne la contredit jamais en rien : en quoi il avait grande raison, puisqu'il ne lui manquait aucune des qualités que l'on peut désirer en une très habile et très honnête femme.
Elle prenait un extrême soin de sa famille, et n'avait pas moins de sagesse que de bonté. En voici une preuve : Son mari l'ayant menée à Albe qui était le lieu de sa naissance, et les fourriers du duc ayant marqué son logis pour un jeune gentilhomme, elle ne put souffrir d'y demeurer davantage, à cause qu'étant fort belle, et lui fort bien fait, elle avait remarqué qu'il avait de l'inclination pour elle. Ainsi sans en rien témoigner à son mari elle le pria d’aller demeurer ailleurs. Il la mena à Salamanque où ils vivaient fort contents et fort à leur aise, parce qu’outre qu’il avait beaucoup de biens, sa charge le rendait considérable. Leur seule peine était de n’avoir point d’enfants : et il n’y avait point de dévotions que cette vertueuse femme ne fît pour en demander à Dieu, afin qu’après sa mort ils continuassent à le louer, sans que jamais à ce qu’elle m’a dit, elle y ait été poussée par nulle autre cause : et c'est une personne si chrétienne, qui a un si grand désir de plaire à Dieu, et qui fait sans cesse tant de bonnes œuvres, que je ne saurais douter de la vérité de ses paroles. Après avoir passé plusieurs années dans ce désir d'avoir des enfants ; s'être fort recommandée à S. André que l'on invoque particulièrement pour ce sujet, et fait plusieurs autres dévotions, une nuit étant couchée elle entendit une voix qui lui dit :
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3. (....elle entendit une voix qui lui dit:)
ne désirez point des enfants : ils causeraient votre perte. Ces paroles l'étonnèrent, et ne purent néanmoins la faire renoncer à son désir, parce qu'il lui semblait que la fin en était si bonne qu'il n'y avait point d’apparence que ce lui fut un sujet de condamnation. Ainsi elle continuait toujours à demander à Dieu des enfants et à prendre Saint André pour intercesseur. Un jour, sans qu’elle puisse dire si elle était endormie ou éveillée, mais sachant seulement par les effets que la vision qu'elle eut venait de Dieu, il lui sembla qu'elle était dans une maison où il y avait dans la cour un puits au-dessous d'une galerie, et un pré couvert de fleurs blanches d'une beauté merveilleuse : que S André lui apparut auprès de ce puits avec un visage si vénérable et plein d' une si grande majesté qu'elle ne pouvait se lasser de le regarder ; et qu'il lui dit : voilà bien d'autres enfants que ceux que vous désirez. Cette vision, qui ne dura qu'un moment, lui donna tant de consolation et de joie qu’elle aurait souhaité quelle eût toujours continué. Alors elle ne put douter que ce ne fut S. André qui lui était apparu et que la volonté de Dieu était qu'elle fondât un monastère, mais ce qui montre clairement que cette vision n'était pas moins intellectuelle que représentative et qu'elle ne pouvait procéder d' aucune imagination fantastique ni d' une illusion du diable ; c' est que cette dame demeura si persuadée que Dieu demandait cela d'elle, qu'elle n'a jamais depuis désiré d'avoir des enfants, ni ne l’a prié de lui en donner. Elle a seulement pensé aux moyens d'exécuter sa volonté à quoi l’on peut ajouter que le démon n'aurait eu garde de lui inspirer un désir aussi saint que celui de fonder un monastère où Dieu est servi fidèlement quand même il aurait sût son dessein ; ce qui ne pouvait être puisqu'il ne connaît point l'avenir, et que cette fondation n'a été faite que six ans après.
Lorsque cette dame fut revenue de son étonnement et eût raconté à son mari ce qui s’était passé, elle lui dit, que puisque Dieu ne leur voulait pas donner des enfants elle croyait qu’ils ne pouvaient mieux faire que de fonder un monastère de religieuses. Comme il était extrêmement bon et l'aimait parfaitement il approuvait sa proposition, et ils commencèrent d’agiter en quel lieu ils le fonderaient. Elle désirait que ce fût en celui où elle était née : mais il lui fit voir qu'il s'y rencontrait des obstacles qui les obligeaient d'en choisir quelque autre. Dans le temps qu'il était occupé de cette pensée, la duchesse d'Albe lui ordonna de retourner à Albe pour exercer une charge dans sa maison : et il ne put la refuser, quoiqu'elle fut de moindre revenu que celle qu'il avait à Salamanque. Sa femme en fut fort fâchée bien qu'on l'assurât que l'on ne logerait plus personne chez-elle, à cause comme je l'ai dit qu'elle avait de l'aversion pour ce lieu-là, et se trouvait mieux à Salamanque. Son mari acheta une maison et l’envoya quérir pour y aller.
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4. Elle partit bien qu’à regret, et sa peine augmenta lorsqu'elle vit la maison, parce qu'encore qu'elle fut en belle assiette et fort spacieuse, elle n'était pas commode. Ainsi elle y passa mal la première nuit. Mais le lendemain au matin, étant entrée dans la cour, elle ne fut pas moins consolée que surprise d'y voir le puits et tout le reste, excepté le pré et les fleurs, qu'elle se souvenait très bien que Saint André lui avait montré, et elle résolut aussitôt d'y bâtir un monastère. Son mari et elle achetèrent aussi des maisons proches autant qu'il en fallait pour exécuter leur dessein. La seule peine qui restait à cette sainte femme était de quel ordre elle choisirait ces religieuses à cause qu'elle désirait qu'elles fussent en petit nombre et dans une étroite clôture.
Elle consulta sur ce sujet deux religieux de différents ordres gens de bien et savants. Ils lui dirent qu'il vaudrait mieux faire quelques autres bonnes œuvres, parce que la plupart des religieuses étaient mécontentes dans leur profession. Ils y ajoutèrent encore d'autres raisons que le démon, qui n'oubliait rien pour traverser un si bon dessein, leur faisait paraître fort considérables ; et elles la touchèrent tellement qu'elle résolut d'abandonner cette entreprise. Elle le dit à son mari ; et il crut comme elle que puisque des personnes de piété et éclairées étaient de ce sentiment ils ne pouvaient manquer de le suivre. Ainsi ils proposèrent de marier un neveu qu'elle avait, qui était jeune, vertueux, et qu'elle aimait beaucoup avec une nièce de son mari ; de leur donner la plus grande partie de leur bien, et d'employer le reste en des charités : et après y avoir bien pensé ils s'y résolurent. Mais Dieu en avait ordonné d'une autre sorte : car quinze jours n'étaient pas encore passé, que ce neveu fut frappé d'une maladie si violente qu'elle l'emporta bientôt. Cette dame ne fut pas moins troublée que touchée de cette mort, parce qu’elle en attribuait la cause à qu'elle s'était laissée persuader de ne point exécuter le commandement de Dieu.
Ce qui arrivait au prophète Jonas pour lui avoir désobéi se représenta à elle, et lui fit considérer comme un châtiment de sa faute la perte de ce neveu qui lui était si cher. Dès lors, ni elle ni son mari ne mirent plus en doute de fonder un monastère, quoiqu'on pût leur dire pour les en détourner. Mais ils ne savaient comment en venir à l'exécution, à cause que d'un côté Dieu mettait dans l'esprit de cette vertueuse femme une idée confuse de ce qu'elle a fait depuis : et que de l'autre ceux à qui elle en parlait et particulièrement son confesseur qui était un religieux de S. François, savant et fort considéré dans son ordre, croyant qu'elle ne pourrait rencontrer ce qu'elle désirait, se moquaient de son dessein. Les choses étant en ces termes, ce religieux apprit des nouvelles de nos fondations. Il s'informa de tout le particulier, et dit ensuite à cette dame qu'il avait trouvé ce qu'elle cherchait ; qu'elle pouvait sans crainte fonder ce monastère, et pour ce sujet traiter avec moi.
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5. Elle vint me voir, et nous eûmes assez de peine à convenir des conditions, parce que j'ai toujours observé dans les monastères fondés avec du revenu qu'il fut suffisant pour l'entretien des religieuses, sans être obligées de rien demander à leurs parents ou à d'autres, ni pour le vivre, ni pour le vêtement, ni pour les besoins des malades, et les autres choses nécessaires, à cause de l’expérience que j’ai des inconvénients qui en arrivent. Mais pour le regard des maisons qui n'ont point de bien, je les fonde sans aucune crainte par la ferme confiance que j'ai que Dieu ne les abandonnera pas ; au lieu que ne pouvant avoir cette confiance pour les monastères rentés avec peu de revenu, j'aime mieux ne les point fonder. Enfin nous demeurâmes d'accord de tout. Son mari et elle donnèrent un revenu suffisant outre leur maison que je comptais pour beaucoup, et aillèrent demeurer dans une autre qui était en assez mauvais état. Ainsi la fondation fut achevée à l'honneur et à la gloire de Dieu le jour de la conversion de Saint Paul en l'année 1571 et nous eûmes le Très-Saint Sacrement. Sa divine majesté me paraît être fort bien servie dans cette maison, et je la prie de tout mon cœur que ce bonheur aille toujours en augmentant.
J'avais commencé à rapporter certaines particularités de quelques-unes des sœurs de ces monastères, parce que j'ai sujet de croire qu'elles ne seront plus en vie lors que l'on verra ceci, et qu'il pourra exciter celles qui leur succéderont à continuer d'édifier l’œuvre de Dieu sur de si bons fondements. Mais j’ai pensé depuis que d’autres pourront l’écrire, et plus exactement que moi, à cause qu’ils ne seront point retenus par la crainte que j’ai toujours que l’on ne s’imagine que j’y ai part. Et cette raison me fait omettre beaucoup de choses qui étant surnaturelles ne sauraient ne point passer pour miraculeuses dans l'esprit de ceux qui les ont vues ou apprises. Je n’en ai donc point parlé, ni de ce que l’on a connu évidemment avoir été obtenu de Dieu par les prières de ces bonnes filles. Je puis m’être trompée en quelque chose de ce qui regarde le temps de ces fondations, quoique je fasse tout ce que je puis pour m’en souvenir ; mais cela importe de peu : on pourra le corriger ; et la différence ne sera pas grande.
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Prochaine fondation: FONDATION DE PASTRANE...
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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