LA VERTU THÉOLOGALE DE L'ESPÉRANCE (SAINT THOMAS D'AQUIN)
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Re: LA VERTU THÉOLOGALE DE L'ESPÉRANCE (SAINT THOMAS D'AQUIN)
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IIa-IIæ, qu. 18, par J. Le Tilly, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
à suivre…
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LE SUJET DE L'ESPÉRANCE.
ARTICLE 1.
L’espérance a-t-elle la volonté pour sujet ? (suite)
SOLUTIONS : 1. L'objet de l'irascible est un ardu sensible. Mais l'objet de la vertu d'espérance est un ardu intelligible, ou plutôt un ardu transcendant l'intelligence [25]
2. La charité perfectionne suffisamment la volonté pour ce qui est du seul acte d'aimer. Mais il faut une autre vertu pour la perfectionner en vue d'un autre acte, qui est d'espérer [26].
3. Le mouvement de charité et le mouvement d'espérance sont ordonnés l'un à l'autre. Rien n'empêche donc que l'un et l'autre mouvements appartiennent en même temps à une seule puissance. Il en est de même que pour l'intelligence qui, elle aussi, peut en même temps comprendre plusieurs idées ordonnées l'une à l'autre.
Notes explicatives :
[25] Ibid., sol. 1. — L'irascible, faculté sensible, n'atteint son objet que sous l'aspect d'un singulier, celui même d'un bien particulier sensible, tandis que la volonté atteint son objet sous un aspect d'universalité. L'objet de la vertu d'espérance a certes un caractère spécial de difficulté; mais il est intelligible, et la volonté tend vers lui sous cet aspect intelligible, donc selon la raison universelle de bien; il dépend donc de la faculté capable de tendre au bien universel, la volonté, et non de telle autre puissance qui tire sa spécialité de l'aspect particulier sous lequel elle voit l'objet. Sans doute Dieu est transcendant à l'intelligence, mais du moins est-il intelligible, et c'est même l'intelligence qui sera le sujet de sa possession : c'est donc bien la volonté qui tend vers lui. (Voir de Virtutibus in Corn., qu. 4, art. 7, c. ad 1.)
[26] Ibid., sol. 2. — A la volonté se rattachent l'espérance et l'amour, parce qu'il appartient à une même puissance d'aimer une chose, et de tendre vers elle si elle n'est pas possédée. Cependant, quoiqu'il n’y ait qu'une puissance, il faut deux habitus surnaturels. C'est qu'en effet ce n'est pas sous la même raison qu'une chose est objet de la puissance et l'objet de l'habitus: par la puissance nous pouvons quelque chose purement et simplement, par l'habitus nous pouvons quelque chose d'une façon bonne ou d'une façon mauvaise. Par suite, où il y a une raison spéciale de bien, il y a une raison spéciale d'objet quant à l'habitus, mais non quant à la puissance; c'est pour cela qu'il peut y avoir plusieurs habitus dans une même puissance. Or ce n'est pas sous une même raison de bien que se présente Dieu comme objet de la charité, où il est aimé pour lui-même, et comme objet de l’espérance, où il est reconnu comme difficile à atteindre et désiré pour nous. Dans l'un et l'autre cas, c'est pourtant une tendance de la volonté vers un bien intelligible. C'est pourquoi charité et espérance ont pour sujet une même puissance, la volonté, mais sont deux habitus différents. Pourtant l'analogie avec la sensibilité permet de dire que la charité est un habitus de la volonté-concupiscible, et l'espérance un habitus de la volonté-irascible, mais ce n'est là qu'une façon pratique de parler.
(gras ajoutés)
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IIa-IIæ, qu. 18, par J. Le Tilly, O.P., Éd. Des Jeunes, Paris, 1950, et notes explicatives a écrit:
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LE SUJET DE L'ESPÉRANCE.
ARTICLE 2. Les Bienheureux possèdent-ils l'espérance ?
DIFFICULTÉS : Il semble bien qu'il y ait l'espérance chez les Bienheureux. En effet :
1. Le Christ, dès le premier instant de sa conception, a été un parfait Voyant [27]. Or lui-même a eu l'espérance, puisque c'est en sa personne, comme le déclare la Glose, que le Psaume dit : "En toi, Seigneur, j'ai espéré". Les Bienheureux peuvent donc avoir l'espérance.
2. L'acquisition de la béatitude représente un bien difficile; de même aussi sa continuation. Or les hommes, avant de posséder la béatitude, ont l'espoir de l'atteindre. Donc, après qu'ils ont acquis la béatitude, ils peuvent en espérer la continuation.
3. La vertu d'espérance donne à l'homme la possibilité d'espérer la béatitude, non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres. Or les Bienheureux, dans la patrie, espèrent la béatitude pour d'autres; sans quoi ils ne prieraient pas pour eux. Les Bienheureux peuvent donc avoir l'espérance.
4. A la béatitude des Saints reviennent, non seulement la gloire de l'âme, mais aussi la gloire du corps. Or les âmes des Saints, dans la patrie, attendent encore la gloire du corps. L'espérance peut donc exister chez les Bienheureux.
CEPENDANT, l'Apôtre dit: "Ce que voit quelqu'un, l'espère-t-il ?" Or les Bienheureux jouissent de la vision de Dieu. Il n'y a donc pas place chez eux pour l'espérance.
Note explicative :
[27] Qu. 18, art. 2, diff. 1. — En plus de la science divine qu'il possède comme Verbe divin, l'on reconnaît au Christ la science de vision, celle même, mais à un degré plus élevé, que possèdent les Bienheureux dans la gloire; puis la science infuse des réalités créées, qui lui permet de connaître les réalités d'ici-bas, telles qu'elles sont, par des représentations proportionnées à l'intelligence humaine; enfin la science acquise, venant peu à peu par le travail de l'intelligence qui abstrait l'universel des images sensibles, (IIIa, qu. 9). C'est de la première science qu'on parle ici, de la science de vision qui fait que dès le début de sa vie Jésus a été Bienheureux.
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ARTICLE 2. Les Bienheureux possèdent-ils l'espérance ? (suite)
CONCLUSION : Enlevé ce qui donne l'espèce à une chose, l'espèce disparaît, et la chose ne peut demeurer la même; ainsi, disparue la forme d'un corps naturel, il ne demeure pas spécifiquement le même [28]. Or l'espérance reçoit son espèce de son objet principal, comme aussi les autres vertus. Mais son objet principal est la béatitude éternelle envisagée comme possible à acquérir par le secours divin. Parce que le bien ardu et possible ne devient objet formel de l'espérance que s'il est futur, il s'ensuit, la béatitude n'étant plus alors future mais présente, qu'il ne peut y avoir au ciel de vertu d'espérance. Et c'est pourquoi l'espérance, comme aussi la foi, disparaît dans la patrie, et les Bienheureux ne peuvent posséder aucune de ces deux vertus [29].
Notes explicatives :
[28] Ibid., conclusion. — C'est ainsi que le corps de l'homme après la mort ne peut conserver l'organisation que lui donnait l'âme, qui est sa forme, et il disparaît promptement. Il en est de même pour tous les êtres qui ont, sous un mode quelconque, matière et forme.
[29] Ibid. — Le caractère de futur est une condition essentielle de toute espérance, qui fixe son espèce en la différenciant de la délectation et de la joie, consécutives à la possession effective du bien. Sans doute Dieu en lui-même n'est pas futur, son être étant éternel et toujours présent; mais dans le rôle qu'il doit jouer vis-à-vis de nous pour nous béatifier, il est absent parce que nous ne le possédons pas. Ainsi, pour l'avare, la pensée ou la vue de l'or enflamment son désir de le posséder, mais cette possession demeurera future pour lui tant que son attente ne sera pas satisfaite; le cas des réalités spirituelles, en lesquelles voir c'est avoir, est plus crucial encore; c'est seulement leur possession qui les rend présentes, quelle que soit leur existence hors de nous. Le mot "futur" ne veut pas dire, par ailleurs, "ce qui arrivera certainement", mais "une réalité estimée à bon droit future et qui semble bien devoir se réaliser un jour par suite de l'ordre des causes à cette réalité".
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Re: LA VERTU THÉOLOGALE DE L'ESPÉRANCE (SAINT THOMAS D'AQUIN)
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ARTICLE 2. Les Bienheureux possèdent-ils l'espérance ? (suite)
SOLUTIONS : 1. Le Christ, même s'il était Voyant, et par conséquent Bienheureux pour ce qui est de la possession de Dieu, était cependant aussi en route vers la patrie, relativement à la passibilité de la nature humaine qu'il portait encore. Et c'est pourquoi il pouvait espérer la gloire de l'impassibilité et de l'immortalité; ce n'était pas cependant assez pour qu'il eût la vertu d'espérance, qui n'a pas la gloire du corps pour objet principal, mais regarde plutôt la possession de Dieu.
2. La béatitude des Saints est appelée vie éternelle parce que la jouissance qu'ils ont de Dieu les rend d'une certaine façon participants de l'éternité divine qui transcende toute durée. Et ainsi la continuation de la béatitude ne se différencie pas en passé, présent et futur. C'est pourquoi les Bienheureux n'ont pas d'espérance pour ce qui est de la continuation de la béatitude, mais ils en possèdent la réalité même : et il n'y a pas là d'aspect futur.
3. Tant que dure la vertu d'espérance, c'est par une même espérance qu'on espère la béatitude pour soi et pour les autres. Mais quand s'en est allée des Bienheureux l'espérance qui leur faisait espérer pour eux la béatitude, ils espèrent bien le ciel pour les autres, mais ce n'est pas par vertu d'espérance; c'est plutôt par un amour de charité. Ainsi voit-on de même que celui qui a la charité pour Dieu peut aimer son prochain par la même charité; et cependant on peut aimer le prochain sans avoir la vertu de charité, par un amour d'une autre espèce.
4. L'espérance est une vertu théologale qui a Dieu pour objet; son objet principal est donc la gloire de l'âme — gloire qui consiste dans la possession de Dieu, — et non la gloire du corps [30]. Par ailleurs la gloire du corps, même si elle comporte bien une difficulté relativement aux possibilités de la nature humaine, n'apparaît cependant pas comme difficile à atteindre pour celui qui possède la gloire de l'âme, tant parce que la gloire du corps représente peu de chose en comparaison de la gloire de l'âme, tant aussi parce que celui qui a la gloire de l'âme possède déjà une cause suffisante de la gloire du corps [31].
Notes explicatives :
[30] Ibid., sol. 4. — La gloire du corps apporte un complément à la béatitude, non par une plus grande intensité, mais par une plus grande extension . En effet, Dieu ne violente pas les natures, mais, au contraire, il modèle son action sur leurs caractères, dont il est lui-même l'auteur. Or l'homme est fait de corps et d'âme, et le corps appartient à sa nature à titre essentiel. C'est pourquoi il est souverainement convenable que le corps participe à la béatitude humaine. Sans doute il n'est d'aucune utilité dans la possession intellectuelle du suprême intelligible qu'est Dieu, et le secours habituel qu'il apporte à l'âme dans la connaissance connaturelle des réalités créées n'a pas ici sa raison d'être, car l'âme saisit Dieu sans secours d'images. Vis-à-vis de cette vision essentielle et de la béatitude qu'elle produit, tout le reste devient accidentel, et sa disparition ne changerait pas l'état bienheureux de l'âme; du côté de l'objet connu et béatifiant, le corps ne peut rien trouver comme connaissance et n'a aucune participation à rechercher.
— Cependant le corps a eu son rôle dans la tendance de l'homme vers la béatitude et dans son mouvement ascensionnel vers Dieu. Il garde même en soi une possibilité d'empêcher la libre compréhension de l'âme à cause des limites pratiques qu'il peut lui imposer. Enfin son union essentielle avec l'âme lui crée vis-à-vis d'elle des relations d'intimité auxquelles ne peuvent prétendre les biens extérieurs. A tous ces titres, la résurrection du corps et sa participation à la béatitude deviennent souverainement convenables . Son compagnon dans la vie, le corps demeure cher à l'âme et le désir qu'elle a de le revoir ne trouve sa satisfaction que dans l'union renouvelée entre l'âme clarifiée et le corps spiritualisé. Ainsi surélevé, le corps n'est plus une gêne pour la contemplation de l'âme, et la gloire de celle-ci rejaillit sur le corps : l'homme tout entier entre en participation de la vie de Dieu qui l'a appelé à lui. Il y a là comme une extension, un achèvement, une beauté nouvelle en qui s'achève la béatitude.
[31] Ibid. — L'espérance dans le Christ et les Bienheureux. Voir Appendice II, Renseignements techniques, p. 238 et suiv.
Note : en ce qui concerne les renseignements techniques, ils seront tous à la fin du Traité pour faire une lecture plus facile de la Somme. On pourra prendre dans ceux-ci ce qui nous sera utile. Leur pagination sera d’un grand secours. Je n’ai pas voulu les intercaler dans les notes explicatives comme telles, ce qui aurait alourdi inutilement et considérablement la lecture des questions et réponses de Saint Thomas d’Aquin… gras ajoutés
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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ARTICLE 3.
Les damnés ont-ils l'espérance ?
DIFFICULTES : Il semble que les damnés aient l'espérance. En effet :
1. Le diable est à la fois damné et prince des damnés, comme on le voit en S. Matthieu : "Allez, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges". Or le diable a l'espérance, selon Job : "Voici que son espérance le trompera". Il semble donc que les damnés aient l'espérance,
2. L'espérance, comme la foi, peut être informée ou informe. Or la foi informe peut exister chez les démons, d'après S. Jacques : "Les démons croient et tremblent". Il semble donc qu'il puisse aussi y avoir chez les damnés une espérance informe.
3. Pour aucun homme ne peuvent, après la mort, croître le mérite ou le démérite qu'il n'a pas eus dans la vie; l'Ecclésiaste dit en effet : "Si un arbre tombe au midi ou au nord, il reste à la place où il est tombé". Or beaucoup seront damnés qui, dans cette vie, ont eu l'espérance, sans jamais désespérer. Ils auront donc aussi l'espérance dans la vie future.
CEPENDANT, l'espérance cause la joie, selon le mot de l'épître aux Romains : "Ayez la joie que donne l'espérance". Or les damnés ne sont pas dans la joie, mais dans la douleur et les larmes, ainsi que le dit Isaïe : "Mes serviteurs chanteront dans la joie de leur cœur, et vous, vous crierez dans l'angoisse de votre cœur et, dans le déchirement de votre esprit, vous hurlerez". Il n'y a donc pas d'espérance chez les damnés.
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LE SUJET DE L'ESPÉRANCE.
ARTICLE 3.
Les damnés ont-ils l'espérance ? (suite]
CONCLUSION : Il est de l'essence de la béatitude que la volonté trouve en elle son repos [32]; de même il est essentiel à la peine que le châtiment infligé comme peine répugne à la volonté [33]. Or il ne peut y avoir de repos ou de répugnance de la volonté pour ce qui est ignoré [34]. Et c'est pourquoi S. Augustin dit que les anges n'ont pas pu connaître la parfaite béatitude dans leur premier état, avant leur confirmation dans la grâce, ni la complète misère, avant leur chute, puisqu'ils ne savaient pas par avance comment tournerait leur destinée : il est en effet requis à la vraie et parfaite béatitude qu'on soit certain de la perpétuité de son bonheur, sans quoi la volonté ne pourrait pas demeurer en repos; semblablement, la perpétuité de la damnation faisant partie du châtiment des damnés, la damnation n'aurait pas vraiment raison de peine si elle n'était pas contraire à la tendance de la volonté : ce qui ne pourrait pas être si les damnés ignoraient la perpétuité de leur damnation. Et c'est pourquoi leur condition de misère exige que les damnés sachent qu'ils ne pourront, d'aucune façon, échapper à la damnation et parvenir à la béatitude; d'où Job : "Il ne croit pas qu'il puisse revenir des ténèbres à la lumière". Par suite, il est manifeste que les damnés ne peuvent concevoir la béatitude comme un bien possible, pas plus que les Bienheureux comme un bien futur. Et c'est pourquoi ni chez les Bienheureux, ni chez les damnés on ne trouve d'espérance. Mais chez ceux qui sont sur le chemin du ciel, qu'ils soient en cette vie ou au purgatoire, il peut y avoir espérance, parce qu'ici et là ils conçoivent la béatitude comme un bien futur et possible [35].
Notes explicatives :
[32] Qu. 18, art. 3, conclusion. — Qui dit béatitude, dit terme ultime de notre désir, et donc, du côté de la volonté, repos et arrêt dans la poursuite du bien suprême maintenant possédé. Pour qu'il y ait mouvement, il faudrait un bien ultérieur, et donc l'état présent ne serait pas encore la béatitude.
[33] Ibid. — La volonté est une puissance de tendance vers la possession du bien : ce n'est donc pas la violenter que de l'orienter vers la recherche de ce bien, même nécessairement; est violent pour un être ce dont le principe est en dehors de lui et qui pousse l'être à l'encontre de son inclination naturelle. Pour la volonté, ce qui est contre son inclination au bien est une violence, et c'est cette violence qui est une peine pour la volonté.
[34] Ibid. — Tout mouvement de l'appétit réclame une connaissance préalable. La volonté est en orientation et désir, l'envers, le double de l'intelligence, qui lui présente un objet à aimer, à vouloir, ou à fuir, qui spécifie le mouvement volontaire, et qui, en partie du moins, en assure l'intensité et la valeur. " Nil volitum quin prœcognitum". (Voir plus loin, pp. 218-220.)
[35] Ibid. — S. Thomas reconnaît que les âmes du purgatoire possèdent la vertu d'espérance. Cela ne va pas de soi. Pour elles la béatitude est un bien, futur, possible à atteindre, mais est-elle un bien ardu, maintenant qu'elles ont la certitude de la posséder, certitude qui est pour elles, comme pour les Pères dans les Limbes, absolue ? S. Thomas ne répond pas formellement à cette difficulté, mais on peut dire que la béatitude garde bien pour les âmes du purgatoire son caractère de difficulté parce que vis-à-vis de la nature humaine, même élevée au surnaturel, elle demeure d'une obtention difficile; la certitude de la possession n'empêche pas, dans le cas précis, la difficulté de l'œuvre; et comme la béatitude n'est pas acquise, elle demeure, en face de l'âme, comme marquée d'une grande difficulté, que, seul, peut surmonter le secours tout-puissant et miséricordieux de Dieu.
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ARTICLE 3.
Les damnés ont-ils l'espérance ? (suite)
SOLUTIONS : 1 Dans ses Morales, S. Grégoire déclare que cette parole est dite des membres du diable, dont l'espérance sera annihilée. — Ou bien, si on l'entend du diable lui-même, elle peut se référera l'espérance qu'il a d'obtenir la victoire sur les âmes saintes, selon une parole antérieure de Job : "Il a confiance que le Jourdain lui entrera dans la bouche". Mais ce n'est pas là l'espérance dont nous traitons.
2. S. Augustin dit que "la foi porte sur des réalités bonnes et mauvaises, passées, présentes et futures, pour soi et pour autrui ; mais il n'y a espérance que des réalités bonnes, futures, et pour soi". Et c'est pourquoi il peut y avoir davantage foi informe chez les damnés qu'espérance, les biens divins n'étant pas pour eux futurs et possibles, mais absents [36].
3. L'absence d'espérance chez les damnés ne change pas leur démérite, pas plus que la disparition de l'espérance chez les Bienheureux n'augmente leur mérite : c'est le changement d'état qui les provoque l'une et l'autre [37].
Notes explicatives :
[36] Ibid., sol. 2. —Cajetan remarque que S. Thomas ne prétend pas qu'il y ait foi informe chez les damnés, (il a déclaré formellement le contraire au traité de la foi, 2a-2ae, qu. 5, art. 2), mais que la foi est moins incompossible [incompatible] à l'état des damnés que l'espérance : il manque à celle-ci ses deux caractères essentiels de futur et de possible, tandis qu'il y a bien chez les damnés une certaine foi acquise à laquelle les obligent divers signes manifestes de l'action de Dieu dans l'Eglise.
[37] Ibid., sol. 3. — Il faudrait, pour qu'il y eût mérite, un acte volontaire imprégné de charité; or le désespoir actuel des damnés est une affaire d'établissement dans un état permanent et fixe de damnation, non par volonté humaine choisie, mais par volonté divine imposée.
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ARTICLE 4.
L'espérance des vivants possède-t-elle la certitude ?
DIFFICULTÉS : Il semble que l'espérance des vivants ne possède pas la certitude. En effet :
1. L'espérance a la volonté pour sujet. Or la certitude ne se rattache pas à la volonté mais à l'intelligence. L'espérance ne possède donc pas la certitude.
2. "L'espérance vient de la grâce et des mérites". Or, en cette vie, nous ne pouvons pas connaître avec certitude que nous avons la grâce [38]. L'espérance des vivants n'est donc pas certaine.
3. Il n'y a pas de certitude de ce qui peut défaillir. Or bien des vivants, qui ont l'espérance, n'arrivent pas à la possession de la béatitude : leur espérance n'est donc pas certaine.
CEPENDANT, "l'espérance est l'attente certaine de la béatitude future", dit le Maître des Sentences; définition qu'on peut tirer de la parole de S. Paul à Timothée : "JE SAIS EN QUI J'AI FOI, ET J'AI LA CERTITUDE QU'IL EST CAPABLE DE GARDER MON DÉPÔT".
Note explicative :
[38] Qu. 18, art. 4, diff. 2. — HORMIS LES RÉVÉLATIONS PARTICULIERES DE DIEU, NOUS NE POUVONS PAS AVOIR LA CERTITUDE ABSOLUE DE POSSEDER LA GRÂCE, qui, par elle-même, est invisible, et dont le principe, Dieu, nous est inconnu à cause de son excellence; notre certitude de la grâce en nous n'est que conjecturale, basée sur certains effets, comme la joie, le mépris des biens du monde, la conscience de ne pas être en état de péché mortel. (Voir Ia-2æ, qu. 112, art. 2.)
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ARTICLE 4.
L'espérance des vivants possède-t-elle la certitude ? (suite)
CONCLUSION : La certitude se trouve chez quelqu'un de deux manières : d'une manière essentielle, et d'une manière participée. D'une manière essentielle, on la trouve dans la faculté de connaissance; d'une manière participée, en tout ce que la puissance de connaissance meut infailliblement à sa fin; sous ce dernier mode, on dit que la nature agit avec certitude, en tant que mue par l'intelligence divine qui entraîne avec certitude chaque être à sa fin [39]; c'est sous ce mode aussi qu'on dit des vertus morales qu'elles agissent avec plus de certitude que l'art, la raison les poussant à leurs actes comme le ferait une nature [40]. Et c'est de même aussi que l'espérance tend à sa fin avec certitude, comme dans une participation de la certitude de la foi, cette vertu ayant son siège dans la faculté de connaissance.
Notes explicatives :
[39] Ibid., conclusion. — Toute nature, quelle qu'elle soit, possède une inclination à son bien, désir qui est l'expression créée de la loi existant dans la pensée divine. Ce désir naturel est celui de tout être, tant matériel qu'animé et spirituel, sous les aspects spéciaux réclamés par les formes particularisées des êtres. Ce désir possède une certitude absolue, parce que dépendant du seul créateur, qui a fait les créatures et qui continue de les diriger selon leur constitution même. Comme la pierre a tendance naturelle à tomber par suite de sa pesanteur, comme la vue est faite pour voir, comme la passion tend à un bien sensible déterminé, ainsi la volonté se porte nécessairement et avec certitude au bien universel. A la base même de l'espérance, il y a cette tendance certaine de la volonté au bien.
— Mais parce que les biens vers lesquels se porte la volonté n'ont pas cette amplitude universelle du bien absolu, et que [cette] connaissance n'est pas capable de retrouver dans chacun d'eux le rapport nécessaire avec ce bien absolu, la volonté demeure libre, et c'est ce qui fait que, concrètement, la certitude foncière de la volonté défaille. La liaison plus ou moins intime avec une connaissance plus ou moins certaine explique les défaillances du vouloir.
[40] Ibid. — Devenues vertueuses, les puissances sensibles se trouvent tellement imprégnées par la raison qu'elles se portent à leur objet comme la volonté au bien absolu, avec les caractères de permanence, de promptitude et de détectabilité qui manifestent les opérations de nature. Les œuvres d'art, elles aussi, consistent bien à atteindre un juste milieu, mais ceci par un exercice de la raison qui ne trouve que peu à peu le point exact de l'art et ne s'y fixe qu'après réflexion, sans s'y porter connaturellement et avec promptitude comme le fait la vertu.
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ROBERT.- Nombre de messages : 34713
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Re: LA VERTU THÉOLOGALE DE L'ESPÉRANCE (SAINT THOMAS D'AQUIN)
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LE SUJET DE L'ESPÉRANCE.
ARTICLE 4.
L'espérance des vivants possède-t-elle la certitude ? (suite)
SOLUTIONS : 1. Cette conclusion suffit pour résoudre la première difficulté.
2. L'espérance ne s'appuie pas principalement sur la grâce déjà possédée, mais sur la toute-puissance de Dieu et sa miséricorde, par quoi celui-là même qui n'a pas la grâce peut l'acquérir et parvenir ainsi à la vie éternelle [41]. Or de la toute-puissance de Dieu et de sa miséricorde est certain quiconque a la foi.
3. Le fait que certains qui ont l'espérance n'arrivent pas à la possession de la béatitude vient de la défectibilité du libre arbitre qui met l'obstacle du péché, et non d'une défaillance de la toute-puissance de Dieu ou de sa miséricorde, sur qui s'appuie l'espérance. Cette constatation n'apporte donc aucun préjudice à la certitude de l'espérance [42].
Notes explicatives :
[41] Ibid., sol. 2. — La grâce et les mérites sont bien des motifs fie notre espérance, mais, ainsi que tous les autres motifs secondaires, ils sont les instruments, les moyens voulus et ordonnés par Dieu, en relation à sa toute-puissance miséricordieuse. Vertu théologale, l'espérance doit tendre à Dieu et s'appuyer sur Dieu, tout le reste n'ayant de valeur, d'ailleurs réelle, que par relation à Dieu.
[42] Ibid., sol. 3. — Voir Appendice II. Renseignements techniques, p. 241 et suiv.
Note : en ce qui concerne les renseignements techniques, ils seront tous à la fin du Traité pour faire une lecture plus facile de la Somme. On pourra prendre dans ceux-ci ce qui nous sera utile. Leur pagination sera d’un grand secours. Je n’ai pas voulu les intercaler dans les notes explicatives comme telles, ce qui aurait alourdi inutilement et considérablement la lecture des questions et réponses de Saint Thomas d’Aquin…
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à suivre: question 19: LE DON DE CRAINTE.…
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