RENONCER A SE VENGER

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Message  Sandrine Dim 19 Déc 2010, 9:38 am

Les instruments de la perfection, Commentaire ascétique sur le chapitre IV de la règle de saint Benoît, par Dom Jean de Mauléon

Ch XXIII : RENONCER A SE VENGER


Iracundiae tempus non reservare.


Ne pas se réserver un temps pour la vengeance
. Le premier emportement réprimé, on pourrait garder au fond de soi-même la résolution de châtier celui qui nous a irrités, et ainsi de « se réserver un temps pour la vengeance ». Vengeance, désir de se venger, tel est en effet, le sens dans lequel on peut entendre le mot iracundia. Or, est-il besoin de dire que ce sentiment est tout l'opposé de l'esprit chrétien ? L'oubli des injures tient une place fondamentale dans la doctrine du Divin Maître : il en fait l'une des bases de la Loi nouvelle, il l'impose comme une condition absolue à quiconque veut trouver grâce devant le Père céleste : Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.
Mais,

le pardon des injures est difficile, dit Bourdaloue, et il n'y a rien dans le cœur de l'homme qui n'y répugne. Pardonner sincèrement et de bonne foi, pardonner pleinement et sans réserve, voilà, à en juger par les sentiments naturels, la plus rude épreuve de la charité, et l'un des plus grands efforts de la religion. ( Sur le pardon des injures, Sermon pour le XXIe dimanche après la Pentecôte )

Saint Benoît le savait bien : aussi procède-t-il, comme à l'ordinaire, avec une sage méthode. Il ne demande pas dès l'abord que l'on bannisse de son cœur tout ressentiment, toute animosité contre le prochain. C'est là un terme auquel on s'efforcera d'arriver plus tard : il serait prématuré d'en imposer l'accomplissement à des commençants. En effet, nous nous sentons parfois dans une telle impuissance d'oublier une injure, de chasser un sentiment de rancune, qu'à parler sans ménagement sur ce sujet, on risquerait, dit le Catéchisme Romain ( Pars IV, cap. XIV,20), de réduire certaines âmes au désespoir.

Notre Bienheureux Père se borne donc à proposer ici, comme un second progrès à réaliser, après avoir réussi à dominer ses premiers emportements, la volonté de renoncer à tout projet délibéré de représailles. Dieu déjà en avait donné le précepte au peuple juif : Tu ne chercheras pas à te venger. ( Levit., XIX. 18 « Non quaeras ultionem » )


A suivre ....

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Message  Arthur Dim 19 Déc 2010, 11:21 am

Merci Sandrine pour ce fil car parfois nous en avons bien besoin.

Arthur

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Message  Sandrine Lun 20 Déc 2010, 4:44 am

A vrai dire cependant, si on la considère dans son origine, la vengeance n'est point un mal. Elle est fille de la justice; elle naît du désir de voir réparer, en quelque façon, toute violation de l'ordre et du droit établi. Aussi nous la louons en Dieu comme une perfection : Juste judex ultionis, lui chantons-nous à la Messe des Morts, Juste dispensateur de la vengeance ... En lui, elle est souverainement bonne. Elle est la contrepartie équitable de la récompense qu'il accorde aux élus. Si ceux qui ont évité le mal pour faire le bien, sur cette terre, doivent recevoir un jour la béatitude, c'est-à-dire le Bien éternel, il convient que ceux qui ont rejeté le bien pour embrasser le mal, reçoivent à leur tour le malheur absolu, le mal éternel. C'est ce qu'expriment les théologiens en définissant la vengeance : redditio mali poenalis pro malo cumpabili.

Mais un tel droit n'appartient qu'à Dieu, et lui-même le revendique comme une de ses prérogatives : C'est à moi qu'appartient la vengeance, et c'est moi qui rétribuerai au temps marqué. ( Deut. , XXXII, 35 « Mea est ultio, et ego retribuam in tempore » )

De notre part, tout acte de vengeance est un acte mauvais, à cause des dispositions d'orgueil et de haine qui se greffent inévitablement sur le souci initial de rétablir la justice. Celui qui prétend se venger oublie et sa condition de créature, qui l'empêche d'avoir par soi-même aucune espèce de droit; et son état de pécheur, qui le rend passible sans cesse des châtiments divins. Au lieu de chercher, comme le mauvais serviteur de l'Évangile, à faire rendre gorge à son compagnon d'exil en cette vallée de larmes, il devrait plutôt se mettre en peine des comptes qu'il aura à rendre pour lui-même. Qui veut se venger, dit le fils de Sirach, trouvera un Dieu qui se vengera à son tour. Et Dieu tiendra ses péchés en réserve. Pardonne à ton prochain, lorsqu'il te fait du mal : et toi, alors, quand tu demanderas pardon, tes péchés te seront remis. L'homme garde sa colère contre l'homme, et il demande à Dieu sa propre guérison ? Il n'a pas compassion d'un homme semblable à lui, et il demande pardon pour ses propres péchés ? ( Eccli., XXVIII, 1 à 5 )

Aveuglés par notre orgueil, nous détestons, non l'offense, mais l'offenseur. Ce que nous voulons venger, c'est non pas l'honneur de Dieu, mais notre amour-propre, au fond duquel se cache le principe réel de nos indignations : toute colère, en effet, dit saint Thomas, a pour cause le sentiment d'avoir été méprisé.

Aussi la vengeance n'est-elle jamais permise aux individus: seuls ont le droit de l'exercer ici-bas les pouvoirs publics légitimes, en tant qu'ils représentent l'autorité de Dieu.


A suivre ...
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Message  Sandrine Mar 21 Déc 2010, 8:16 am

Mais, au-dessus des juges de la terre, l'œil de la foi doit savoir découvrir le tribunal suprême devant lequel viendront, au dernier jour, tous les différends et tous les procès, pour y être jugés de nouveau : Je jugerai les justices, dit le Seigneur. ( Ps. LXXIV, 3 ) Toutes les justices jugées par les hommes, toutes les accusations, tous les griefs formulés par eux, toutes les sentences prononcées, toutes les punitions infligées seront évoqués et minutieusement pesés, au dernier Jugement, par Celui qui sonde les reins et les cœur.

Remettons donc à cet arbitre souverain le soin de défendre nos droits; aimons à lui rendre ainsi témoignage de la confiance absolue que nous avons en son équité, et, loin de nous acharner à poursuivre nos offenseurs, cherchons bien plutôt à bannir de nos rapports avec le prochain tout ce qui sentirait le désir de vengeance. Imitons la magnanimité du saint roi David, lorsque, caché dans la caverne d'Enggadi, il tint à sa merci Saül, qui lui faisait tant de mal. Bien loin de le mettre à mort, il le laissa aller, avec des égards touchants, se contentant de lui dire : Que le Seigneur soit juge entre toi et moi et qu'il me venge de toi : mais ma main ne se portera point sur toi. ( I Reg., XXIV, 13 )

Le mot iracundia a encore un sens plus général, qu'il importe d'étudier. C'est celui d'irascibilité, ou d'irritabilité. Il désigne l'état de ceux qui se mettent en colère à tout propos et sans raison.

On voit, dit Sénèque, la différence qu'il y a entre la colère et l'irascibilité : c'est celle qui existe entre un homme ivre et un ivrogne; entre un homme qui a peur et un poltron. Un homme peut être en colère sans être irascible; un homme irascible peut parfois n'être pas irrité. ( De ira, I, 4 )

Un tel vice est gravement nuisible à la dévotion et à la vie intérieure. Comment l'Esprit Saint, qui est joie, douceur, bienveillance, charité, fera-t-il sa demeure dans une âme toujours agitée, toujours en courroux ? Comment lui ferait-il entendre ces gémissements inénarrables, ces prières ferventes qui montent jusqu'au trône de Dieu ?

En outre, ce défaut jonche d'épines la vie commune. Une susceptibilité toujours en éveil, toujours prête à mordre, rend pénibles les rapports quotidiens. Elle envenime les difficultés les plus insignifiantes et fait tourner au tragique les moindres incidents.

Celui qui cherche la perfection doit donc extirper de son cœur toute irascibilité, et s'exercer à supporter sans amertume les reproches, les critiques, les plaisanteries, les manques d'égards, etc. Qu'il s'efforce d'établir son âme dans une «immobilité» constituant, au dire de saint Jean Climaque. ( Echelle sainte, VIIIe degré )

En ce sens, nous dirons encore : iracundiae tempos non reservare, ne pas garder un temps pour la colère. S'il y a un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour ruiner et un temps pour bâtir, un temps pour les larmes et un temps pour la joie ( Eccl. , III ) , on ne saurait dire qu'il y a un temps pour l'aigreur et un temps pour la douceur, un temps pour la rancune et un temps pour le pardon. C'est toujours qu'il faut être doux, c'est toujours qu'il faut pardonner.

On ne gravera jamais trop profondément dans son âme la pensée que l'esprit chrétien est un esprit de douceur. C'est cette vertu que le divin Maître a posée comme le principe de notre rénovation. C'est elle qui par excellence, au témoignage de saint Thomas, met l'homme en état de connaître Dieu. C'est par elle que nous devenons semblables à l'Agneau divin, qui se laissa conduire sans une plainte à la plus horrible des morts. ( Is., LIII, 7 ) C'est elle qui valut à la Très Sainte Mère de Dieu cette place «unique» parmi toutes les créatures, comme le lui chante l'Eglise : Virgo singularis, inter omnes mitis. C'est à elle enfin qu'est promise la possession de la patrie céleste : Bienheureux les doux, dit Notre-Seigneur, parce qu'ils posséderont la terre. ( Matth., V, 4 )

FIN
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