3 ème dimanche de carême

C'est au mois de septembre ou d'octobre de la deuxième année de la vie publique de N.-S., l'an 29, que se produisit ce miracle.

Celui qui en fut l'objet était un possédé que le démon rendait muet. Il y avait foule comme toujours, foule empressée, indiscrète, foule expansive qui manifestait tout haut son admiration, lorsque le muet, une fois libéré, se mit à parler.

Ces démonstrations populaires exaspéraient les Pharisiens. « C'est au nom de Beelzebuth qu'il chasse les démons », affirmaient les uns ; et les autres ajoutaient : « Qu'il nous montre donc un signe dans le ciel ».

Les Pharisiens qui poursuivaient Jésus d'une haine implacable, semblent prendre plaisir à le traiter de possédé ; souvent, ils lui jettent à la face cette injure et ce balsphème. Le Christ n'a cessé de relever avec indignation cet outrage. Il le repousse encore aujourd'hui avec indignation ; et avec une logique véhémente II confond ses ennemis. Son discours se divise en deux parties, l'une négative et l'autre positive. Dans la première, il démontre qu'il n'est en aucune façon l'associé de Satan ; et II le démontre par un raisonnement « ex absurdo ».

N'est-ce pas une absurdité en effet, que de prétendre que Satan chasse Satan ? La double comparaison, qui appuie cette argumentation, la rend très claire et très vivante : « Tout royaume divisé contre lui-même est dévasté, toute maison divisée s'écroulera ». Les preuves négatives de Jésus étaient irréfutables ; mais ses arguments positifs dans la deuxième partie de son discours sont plus décisifs encore. Il y proclame la cause de sa puissance sur les démons : « C'est par le doigt de Dieu, par la puissance de Dieu que je chasse les démons ; et si le royaume de Satan s'écroule, c'est que le royaume de Dieu est venu ! » Et dans une parabole saisissante il s'affirme comme le vainqueur de celui qu'il nomme mystérieusement le fort armé, le démon.

Les Pharisiens humiliés et confondus gardaient le silence. Et alors une voix s'éleva dans la foule, celle d'une femme, d'une mère sans doute : « Bienheureuses les entrailles qui Vous ont porté ! » Quel naturel, quelle spontanéité, quelle fraîcheur dans cette exclamation naïve et touchante ! C'était un écho du Magnificat chanté par Marie : « Beatam me dicent... » Jésus ne la contredit pas, mais reprenant son expression, Il ajoute : « Plus heureux encore ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ! »

II semble qu'en prononçant cette parole, le Maître dut prendre ce ton d'autorité qui subjuguait les foules et confondait ses ennemis. Quelle déclaration lumineuse ! Quelle condamnation de l'hypocrisie des Pharisiens, et à travers les siècles, de toutes les hypocrisies qui s'abritent sous le nom de neutralité ! Quelle condamnation aussi de ces demi-chrétiens qui prétendent unir à une conduite légère et à des mœurs équivoques une foi sûre d'elle-même et un zèle trépidant. « Nul ne peut servir deux maîtres. Qui n'est pas avec moi est contre moi ».

I. — Les affaiblissements de l'esprit du Christ.

— Hélas ! en notre temps, beaucoup de gens ne sont pas précisément contre le Christ, mais ils ne sont pas non plus avec Lui. — Ils se disent les admirateurs respectueux de Jésus, mais ils n'ont pas le courage de l'accepter tel qu'il est, avec toute sa doctrine, toutes ses exigences, tous ses droits. De là ce demi-christianisme qui nous envahit, ces existences modernes qui sont une comédie de la vie chrétienne, avec des atténuations progressives du devoir. De là ces chrétiens incomplets qui rendent hommage au Christ dans leur vie privée, mais qui semblent le renier dès qu'ils ont mis le pied sur le terrain de la vie publique. De là ces chrétiens qui font le signe de la croix sous leurs vêtements, mais qui tremblant devant les audaces du mal, trahissent la justice et embrassent l'iniquité. De là ces chrétiens dégénérés sans force pour le devoir religieux et le devoir social : riches dont les entrailles sont sans pitié pour la misère, industriels qui ont moins d'égards pour leurs ouvriers que pour leurs machines, maîtres durs envers leurs serviteurs. De là ces chrétiens inexplicables, qui rêvent et s'efforcent de légitimer des alliances impossibles : des danses avec le carême, des bals de nuit..., le livre de prière alternant avec le dernier roman corrupteur, les joies du mariage sans ses responsabilités, les inclinations saintes et les inclinations vicieuses s'unissent dans un christianisme facile ou plutôt dans un pharisaïsme chrétien.

Jésus-Christ rejette ces fausses bienveillances. Il a des exigences qu'il exprime à travers toutes les pages de son Evangile. « Celui qui n'est pas avec moi est contre moi. Nul ne peut servir deux maîtres... Je suis venu pour apporter aux hommes la vie. »

Toutes ces paroles signifient que la vie doit avoir non seulement pour fondement le culte de Jésus-Christ, mais aussi avoir pour résultat une transformation morale de tout notre être, de notre intelligence, de notre cœur, de notre volonté, de notre vie. Ces exigences du Christ, nous n'en trouvons pas seulement l'expression dans l'Evangile, mais encore dans le lent développement de notre vie spirituelle.

Le travail de notre transformation morale ne se fait pas à coup de foudre, il s'opère peu à peu comme la germination imperceptible des semences cachées en terre. Au début de notre vocation chrétienne, nous parlions sans doute de nous donner à Jésus-Christ, mais qui peut dire tout ce qui se cachait encore, sous ces formules saintes, de secrètes attaches à nous-mêmes ?

Puis, peu à. peu, l'Esprit du Christ a façonné nos âmes ; à mesure que nous montions vers la plénitude de la vie par le sacrifice et l'effort, Jésus nous délivrait des servitudes qui enchaînent le monde. Sa voix retentissait au fond de nos cœurs, aux heures de lumière plus vive et de foi plus fervente.

Si tu veux être vraiment à moi, nous disait-Il, renonce aux cupidités malsaines aux orgueils insensés, aux égoïsmes inassouvis. Renonce à tes goûts propres, à tes tendances, à tes désirs : c'est la tâches des forts. Ne crois pas que tu puisses un jour te reposer dans la conviction d'une perfection acquise. Monte, monte encore pour mériter chaque jour davantage que les voiles se déchirent. Les cœurs vraiment grands sont ceux qui ont appris à se détacher de tout et à s'oublier. L'amour divin est insatiable et te veut tout entier.