La face cachée d'un hérétique.
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La face cachée d'un hérétique.
Rencontre avec le professeur Alfred Läpple, préfet du séminaire de Freising où Ratzinger a fait son séminaire
(Louis : Ce M. Läpple connait Ratzinger depuis 1946. Il est passionné, entre autres, par le PERSONNALISME. (N'est-ce pas Emmanuel Mounier qui est en arrière de cela ?)
Extraits de la rencontre :
LÄPPLE : « Ratzinger a toujours été fâché par cette impulsion qui pousse à considérer la vérité comme un objet qu’on possède et qu’il faut défendre.» Il ne se sentait pas à son aise avec les définitions néoscholastiques qui lui apparaissaient comme des barrières: ce qui est contenu dans la définition serait vérité, et ce qui est en dehors ne serait qu’erreur. Mais si Dieu est en tout lieu, disait-il, je ne peux certainement pas élever des barrières et dire: Dieu n’est qu’ici. Et si le Christ Lui-même a dit qu’il était la Voie, la Vérité et la Vie, la vérité est un Toi qui aime en premier. Selon lui, on ne connaît pas Dieu parce qu’Il est un summum bonum que l’on réussit à saisir et à démontrer par des formules exactes, mais parce qu’Il est un Toi qui vient à la rencontre et qui se fait reconnaître. L’intelligence peut essayer de construire des concepts qui définissent de vrais contenus.Mais pour Ratzinger, il s’agit d’une théologie qui prétend sectionner le mystère, pas d’une théologie qui sait se mettre à genoux. Déjà à l’époque, ce genre de théologie ne l’intéressait pas.…
LÄPPLE : Ratzinger n’aimait pas les livres abstraits, avec des titres du genre: “L’essence du christianisme”... etc. Cela ne l’intéressait pas de définir Dieu par des concepts abstraits. Il a dit un jour qu’une abstraction n’avait pas besoin d’avoir une Mère. (LOUIS => BLASPHEME !!!) Dieu ne vient pas à notre rencontre comme une définition abstraite, comme un summum bonum, mais comme un Toi qui t’aime en premier et auquel tu peux dire merci. On ne peut dire oui qu’à un Toi. Il retrouvait par exemple cette approche chez Martin Buber, le philosophe personnaliste poldève qui disait que le meilleur discours sur Dieu, c’est de Lui rendre grâce….
LÄPPLE: … après la fermeture imposée par les nazis en février 1939 et après la guerre, on repartait à zéro. Il n’existait plus d’école de théologie homogène. Les anciens professeurs étaient peu nombreux, et les nouveaux venaient de facultés de théologie et d’expériences différentes. Le corps enseignant était très varié. Et dans ce climat, les étudiants eux mêmes prenaient leurs libertés...
Que voulez-vous dire?
LÄPPLE: Il leur arrivait de s’inscrire aux cours, puis de les déserter si le professeur ne les intéressait pas; un étudiant prenait des notes et il les passait aux autres. Et puis, en bibliothèque, ils dévoraient les livres qui exprimaient les nouvelles tendances théologiques.
Quels sont vos souvenirs de Söhngen, le “maître” de Ratzinger?
LÄPPLE: … Sa théologie n’était pas une théologie de concepts, mais une théologie existentielle, une théologie pour la foi.
On n’ignore pas ses désaccords avec Schmaus.
LÄPPLE: Söhngen était très ouvert aux nouveaux courants qui venaient de la France, et puis c’était un homme de Cologne, un homme lumineux, gai, extroverti, fascinant. En revanche, Schmaus était le classique professeur détaché, imbu de son rôle dans lequel il s’enfermait. Il venait de l’école néoscholastique, même s’il ravivait l’exposition de la dogmatique catholique en puisant dans les Pères de l’Église et dans les Écritures avec une immense érudition. Söhngen estimait que les travaux de Schmaus n’étaient qu’une richissime succession de citations tirées des sources sur les différentes questions de théologie, mais que celle-ci manquait d’une vision qui tienne compte des développements de la philosophie moderne et des questions qu’elle posait. Schmaus écrivait des œuvres de théologie dogmatique monumentales.
Et quels étaient les facteurs théologiques de ces divergences?
LÄPPLE: Pour Schmaus, la foi de l’Église devait être transmise à travers des concepts définitifs, statiques, qui définissent des vérités pérennes. Pour Söhngen, la foi était mystère, et elle se communiquait à travers une histoire. On parlait beaucoup à l’époque de l’histoire du salut. Il y avait un facteur dynamique, qui garantissait une ouverture et une attention vis-à-vis des questions nouvelles.
Qu’est-ce que Ratzinger a appris de Söhngen?
LÄPPLE: D’habitude, Söhngen ne portait jamais de jugement définitif sur un auteur, quel qu’il soit. Il ne refusait jamais a priori un nouvel apport, quelle que soit son origine. Il avait pour méthode de recueillir et de mettre en valeur tout ce qu’on pouvait trouver de bon chez chaque auteur, dans chaque perspective théologique, pour intégrer les nouveautés dans la tradition et aller ensuite de l’avant, en indiquant le développement ultérieur qui pouvait s’ensuivre. Mais Ratzinger a aussi vu chez Söhngen le goût de redécouvrir la tradition, entendue comme théologie des Pères de l’Église, et le goût de faire de la théologie en puisant aux grandes sources: de Platon à Newman, en passant par Thomas, par Bonaventure, par Luther. Et bien sûr, par saint Augustin...
LÄPPLE: Söhngen n’avait pas l’habitude de “modeler” ses élèves, d’en faire des clones. Ratzinger était libre par rapport à son maître. Cela se voit aussi dans sa thèse de doctorat...
De quelle manière?
LÄPPLE: Au départ, la question était de comprendre quelle était la meilleure définition de l’Église. Le 29 juin 1943, Pie XII avait publié l’encyclique Mystici Corporis Christi, qui définissait l’Église comme le Corps mystique du Christ. Söhngen avait remarqué que cette définition ne se retrouvait pas dans la bible et il avait suggéré à Ratzinger de vérifier si saint Augustin appliquait d’autres définitions à l’Église.
Qu’est-ce qui n’allait pas dans la définition de l’Église comme Corps mystique du Christ?
LÄPPLE: Il y avait par exemple une question: si l’homme, lorsqu’il entre dans l’Église, y entre comme déjà englobé dans le Corps mystique du Christ, comment peut-il continuer à pécher? Et qu’en est-il de la liberté? Les découvertes de Ratzinger ont surpris et enthousiasmé son maître.
Et qu’est-ce que l’élève a trouvé?
LÄPPLE: Ratzinger a trouvé beaucoup plus que ce que son maître lui avait suggéré de chercher. Il a démontré, en s’appuyant sur une quantité incroyable de citations, ce qu’entendait saint Augustin lorsqu’il définissait l’Église comme peuple de Dieu, cette même expression qui aurait été reproposée, des années après, par le Concile Vatican II et par Paul VI. Mais Ratzinger n’opposait pas les deux définitions de l’Église; bien au contraire, il les conciliait.
Et comment Söhngen l’a-t-il pris?
LÄPPLE: Il disait: maintenant mon élève en sait plus que moi, qui suis son maître! Söhngen tenait en grande estime celui qu’il considérait comme son meilleur élève. Il lui est arrivé de dire qu’il se sentait comme saint Albert le Grand au Moyen Âge, lorsqu’il disait que son élève aurait crié plus fort que lui. Et cet élève, c’était saint Thomas d’Aquin! Il était content que quelqu’un sache développer ses suggestions de manière originale, non préétablie.
Dans son autobiographie, Ratzinger révèle que vous aussi, vous avez eu une influence déterminante sur sa thèse de doctorat sur saint Augustin, puisque c’est vous qui lui aviez offert en 1949 le livre Catholicisme du jésuite Henri de Lubac...
LÄPPLE: Je le lui avais offert en pensant que j’allais lui faire une belle surprise. Et en effet, il écrit dans son autobiographie que ce livre est devenu son texte de référence et qu’il lui a transmis un rapport nouveau avec la pensée des Pères de l’Église, mais aussi un nouveau regard sur la théologie. En effet, plus d’un tiers de ce livre était fait de citations des Pères.
Et pourtant, c’est dans ces années-là que de Lubac, Daniélou et les autres jésuites de Lyon ont été interdits d’enseignement, tandis que leurs livres étaient mis à l’Index.
LÄPPLE: Je me souviens du jour où la nouvelle des mesures prises contre eux nous est arrivée. Söhngen n’avait aucune intention d’exciter les esprits, et il n’y a fait aucune allusion pendant son cours. Mais je me souviens qu’après, Ratzinger et moi nous sommes entrés dans son bureau où il y avait un grand piano (Söhngen était aussi musicien et il jouait du piano comme un artiste professionnel) et que sous nos yeux, il a jeté ses livres sur son bureau et sans dire un mot, il s’est mis au piano en déversant toute sa rage sur le clavier.
Comment la proclamation du dogme de l’Assomption de la sainte Vierge, en 1950, a-t-elle été vécue à la faculté de théologie de Munich?
LÄPPLE: En général, l’accueil a été assez critique. Il n’y avait pas d’objections sur le contenu du dogme, mais sur le bien-fondé de la dogmatisation elle-même. Söhngen soulignait qu’il n’y avait pas trace de la doctrine de l’assomption corporelle de la mère de Jésus dans les sources chrétiennes. Schmaus a même reçu un avertissement de Rome et de l’archevêque parce qu’il avait écrit un texte critique apparu dans le journal du diocèse (Münchner Katholische Kirchenzeitung).
Et Ratzinger?
LÄPPLE: Je crois que lui aussi, il pensait que la dogmatisation n’était pas nécessaire. Nous croyions déjà à l’Assomption corporelle de Marie et nous la célébrions dans nos pratiques de dévotion les plus traditionnelles, comme par exemple la prière du rosaire. Lex orandi, lex credendi. Mais nous pensions que la définition d’un nouveau dogme aurait créé des problèmes pour le dialogue œcuménique qui fleurissait justement à l’époque en Allemagne.
LÄPPLE: Ratzinger devait analyser la perspective de saint Bonaventure en ce qui concerne la Révélation. … En outre, dans son analyse, Ratzinger faisait remarquer que dans cette perspective, il n’y a Révélation que si l’acte par lequel le Mystère se manifeste est perçu par quelqu’un. Or si Dieu n’avait parlé qu’à travers le langage divin, qu’aucun homme ne peut percevoir, il n’y aurait eu aucune Révélation.
LÄPPLE: Ratzinger a terminé son travail sur Bonaventure en 1955. Söhngen a tout de suite été enthousiaste mais Schmaus, qui était co-rapporteur en tant que médiéviste de la faculté de Théologie, lui a dit: fais attention, cette étude est moderniste, je ne peux pas la faire passer. Alors Söhngen a prévenu Ratzinger: fais attention, nous ne passerons pas, parce que Schmaus dit que c’est une étude moderniste. Je crois que certains passages étaient perçus par Schmaus comme dangereusement subjectivistes, au point de remettre en question l’objectivité de la Révélation.
Et pourtant la thèse du futur pape n’a pas été rejetée comme suspecte de modernisme...
LÄPPLE: Non. Le Conseil de faculté l’a renvoyée au candidat pour qu’il la révise en tenant compte des corrections et des critiques que Schmaus avait écrites en marge de son exemplaire.
Mais la masse des corrections était telle qu’il aurait fallu des années de travail. Alors Ratzinger a recouru à un escamotage...
LÄPPLE: Dans la thèse de Ratzinger, il y avait une seconde partie consacrée à la théologie de l’histoire selon Bonaventure, comparée à celle de Joachim de Flore, et Schmaus n’avait pas émis de remarques critiques sur cette section. Or celle-ci avait son autonomie et pouvait aussi être considérée comme un texte en soi. Alors Söhngen a suggéré à Ratzinger de couper la première partie, celle qui faisait problème, et de ne présenter que la seconde...
Et la thèse a été acceptée. Et le 21 février 1957, jour de la séance publique d’habilitation à l’université de Munich, il y avait dans le grand amphithéâtre de la faculté le public des grandes occasions... Quel en est votre souvenir?
LÄPPLE: Ratzinger a fait son exposé, puis Schmaus a pris la parole et lui a plus ou moins demandé si d’après lui, la vérité était quelque chose d’immuable ou quelque chose d’historique et de dynamique. Mais ce n’est pas Ratzinger qui a répondu. C’est Söhngen qui a pris la parole, et les deux professeurs ont commencé à s’affronter dans une sorte de grande disputatio médiévale. Le public applaudissait Söhngen et semblait content que Schmaus, l’arrogant professeur, en prenne un bon coup. Ratzinger n’a pas dit un mot. À la fin, le recteur est arrivé et il a dit que cela suffisait et que l’épreuve était terminée. Alors le rapporteur et le co-rapporteur se sont levés et ils ont marmonné: bon, ça va, il est habilité...
Source
Note complémentaire : https://messe.forumactif.org/t4099-ratzinger-a-t-il-jamais-eu-la-foi#78603
Dernière édition par Louis le Dim 25 Mar 2012, 2:08 pm, édité 1 fois (Raison : ajout d'un lien complémentaire.)
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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
Louis- Admin
- Nombre de messages : 17607
Date d'inscription : 26/01/2009
Re: La face cachée d'un hérétique.
Je vais lire ce texte , avec calme, car pour suivre Ratzi... il faut un bon souffle
Merci
Merci
gabrielle- Nombre de messages : 19796
Date d'inscription : 25/01/2009
Re: La face cachée d'un hérétique.
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Merci Louis..
Très bon texte en passant Gabrielle.
Je viens d'en terminer la lecture, plutôt deux fois qu'une...
Prenez votre temps, chère amie... c'est à faire dresser les cheveux !!!
Merci Louis..
Très bon texte en passant Gabrielle.
Je viens d'en terminer la lecture, plutôt deux fois qu'une...
Prenez votre temps, chère amie... c'est à faire dresser les cheveux !!!
ROBERT.- Nombre de messages : 34713
Date d'inscription : 15/02/2009
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