PRÉSOMPTION ET DÉCOURAGEMENT

Les personnes qui aspirent à la perfection, quelque faibles que soient leurs efforts, forment la portion choisie des créatures de Dieu, et lui sont aussi chères que la prunelle de son œil.

C'est pourquoi tout ce qui les concerne est de la plus haute importance. Ainsi était-il nécessaire que les gens de cette catégorie possédassent certains signes, à l'aide desquels ils pussent reconnaître avec quelque probabilité les progrès qu'ils font dans la vie spirituelle.

Mais nous nous trompons parfois; nous voyons des signes de progrès dans des choses qui, prises en elles-mêmes, ne disent rien; et nous tombons ainsi dans des erreurs qui nous entraînent dans des chemins détournés, nous fatiguent, et nous ramènent enfin dans la route où nous étions, à une grande distance en arrière du point où elles nous avaient trouvés.

Ces signes trompeurs feront le sujet du présent chapitre. Il n'est pas inutile de les considérer attentivement, d'autant plus qu'une pareille étude nous mettra en rapport avec une foule de circonstances de la vie spirituelle qu'il nous importe de connaître.

Ces tentations sont le découragement et la présomption ; et c'est contre elle qu'une active vigilance doit sans cesse nous mettre en garde.

Le découragement est une tendance à renoncer à la dévotion, en raison des difficultés qu'on y rencontre et des chutes qu'on a faites dans les tentations précédentes. Nous perdons courage; et, moitié mauvaise humeur,moitié réelle défiance de nos forces, nous commençons par nous plaindre de Dieu, par le bouder en quelque sorte, puis nous faisons moins d'efforts pour nous mortifier et pour lui plaire. Cela ressemble au péché du désespoir, et cependant ce n'est pas un péché; c'est en quelque sorte une ombre de désespoir, qui nous fera commettre un nombre infini de péchés venu dans dans le cours de la première demi-heure que nous nous y laisserons aller.

Un pareil découragement est une preuve que nous avons mis trop de confiance dans nos propres forces, et que nous avons conçu de nous-mêmes une plus haute opinion que nous n'étions en droit de le faire. Si nous avions été humbles, nous serions étonnés de n'avoir pas fait pis, au lieu d'être désappointés parce que nous n'avons pas mieux fait. Beaucoup d'âmes appelées à la perfection, n'y arrivent pas, uniquement à cause du tort immense que leur fait le découragement.

En même temps, les personnes qui aspirent à s'élever dans la spiritualité sont particulièrement sujettes au découragement, en raison de leur grande sensibilité. Leur attention est concentrée à un degré jusqu'alors inconnu sur deux choses, des pratiques, des devoirs minutieux et des motifs extérieurs, ce qui les rend très-sensibles.

La conscience, sous l'action du Saint-Esprit, devient si délicate, si impressionnable, qu'elle souffre de petites infirmités qui ne lui avaient jamais auparavant paru des infirmités; et non-seulement elle perçoit plus activement le péché, mais encore le sentiment de douleur que lui cause le péché est devenu plus vif.

L'œuvre difficile et cachée à laquelle travaillent ces personnes augmente encore leur sensibilité, d'autant plus qu'elles sont loin de trouver un appui visible dans ceux qui les entourent, et qu'il faut qu'elles se résignent à s'entendre appeler enthousiastes et indiscrètes, singulières et affectées, par ceux mêmes qui sont bons mais qui ont le malheur d'être bons à leur manière, et non à la manière de Dieu.

D'ailleurs une piété prématurée ne saurait jamais être sage. Et comment pourrait-elle l'être, puisque l'expérience seule peut la rendre telle? Le monde se plaint des erreurs où tombent ceux qui commencent à mener une vie religieuse, parce qu'il ne voit pas que ces pieuses gens ne se trompent ainsi que parce qu'ils ne sont pas encore aussi détachés, aussi ennemis du monde qu'ils le deviendront par la suite, s'il plaît à Dieu.

Une de ces erreurs consiste à s'exagérer ses propres fautes, ce qui mène tout droit au découragement. D'un autre côté, les personnes en question travaillent sur les modèles les plus élevés, tels que Jésus et les saints; aussi lorsqu'elles ont fait de leur mieux, ce qui est réellement bien pour elles se trouve néanmoins tellement au-dessous du but qu'elles s'étaient proposé, qu'elles ne peuvent s'empêcher d'éprouver quelque désappointement.

Quelle plus dure épreuve pour notre courage et notre humeur que de jouer invariablement un jeu où nous perdons toujours? Et comment faire autrement, quand on a résolu de ressembler à son crucifix?

Le résultat final d'un pareil découragement, c'est de nous retirer la vigueur et la joie; or, c'est là précisément ce qui pourrait nous arriver de plus funeste, car dès lors toute chose héroïque devient simplement impossible.

Quand, dans une lutte corps à corps, un homme est parvenu à serrer de près son adversaire, si ses forces l'abandonnent tout à coup, il est perdu; car son succès dépendait du jeu de ses muscles et de la fermeté de son bras.

Une armée victorieuse peut battre une armée vaincue deux fois plus nombreuse qu'elle, à cause de la force morale que donne la joie de la victoire. C'est pourquoi, être languissants et tristes, surtout dès les premières heures du jour, nous sera funeste, et c'est dans ces deux choses que consiste le fléau du découragement.

Quant à la présomption, je crois que ce défaut est beaucoup moins commun que le précédent. Il faut qu'un homme soit fou pour être présomptueux en religion. Néanmoins nous pouvons être très-insensés sans nous en douter.

Sainte Thérèse dit que l'humilité est la première condition requise chez ceux qui désirent mener une vie pieuse dans des circonstances ordinaires; mais que le courage est de première nécessité pour tous ceux qui visent à un degré de perfection quelconque. Or, la présomption n'est pas bien éloignée du courage; c'est pourquoi nous devons nous tenir en garde contre elle. Il y a mille manières de s'y laisser aller, et je veux en signaler ici quelques-unes.

Un certain proverbe dit que le premier choc est la moitié de la bataille. Je ne crois pas qu'il en soit ainsi en matière spirituelle; et ce qui me porte à le penser, c'est que beaucoup de personnes sont appelées à mener une vie dévote et intérieure, et qu'elles s'en lassent et l'abandonnent. Et pourtant le premier coup a été porté avec assez de vigueur, assez d'amour, assez d'humilité.

Mais la faute a été commise plus tard ; ou l'on s'est fatigué des mortifications, ou l'on est tombé dans une superstition trop commune au sujet de la grâce ; et lorsqu'on a été trompé dans son attente, le dégoût s'est emparé du cœur. Cette superstition consiste à s'imaginer que la grâce, doit agir comme un charme, sans le concours de notre propre volonté.

Un homme ne veut pas se lever le matin à l'heure convenable; il dit qu'il ne peut pas; cela est absurde, car aucune force physique ne le tient cloué sur son lit.

Le fait est qu'il ne veut pas; qu'il ne lui plaît pas de le faire; le courage ou l'obéissance qu'exige ce petit sacrifice ne lui paraît pas valoir la peine de l'accomplir. Il dira pour s'excuser, qu'avant de se mettre au lit il avait pris la résolution de se lever à l'heure prescrite, et qu'il avait prié les âmes du purgatoire de le faire lever.

Le matin vient; l'air est froid, la méditation semble sans attrait, et le sommeil est si doux! Pas une âme n'est venue du purgatoire pour l'arracher du lit, ouvrir ses rideaux, allumer son feu, etc.. Ce n'est donc pas son affaire. Il a rempli sa tâche. Il l'a accomplie la veille; mais la grâce n'a pas opéré. Que peut-il y faire?

Il en est de même de mille autres choses. Une foule de gens qui eussent été voisins des saints restent voisins des pécheurs, à cause de cette singulière superstition au sujet de la grâce. Ce qui nous manque, ce n'est pas la grâce, c'est la volonté. Les grâces que nous recevons sont déjà mille fois plus nombreuses que celles auxquelles nous correspondons. Du côté de Dieu, rien ne fait défaut : c'est nous qui manquons de volonté et de persévérance.

Toutefois, pour revenir à ce que nous disions, le premier choc n'est pas la moitié de la bataille dans la vie spirituelle; mais nous croyons qu'il en est ainsi. Nous nous impatientons de l'extrême et mystérieuse lenteur avec laquelle Dieu agit, nous nous imaginons que l'œuvre commencée vaut l'œuvre achevée; et, sachant ce que les saints ont fait, quand, après de longues austérités, ils ont consommé leur union avec Dieu, autant que cela est possible sur la terre, nous cherchons, dans notre présomption, à imiter leur conduite à la lettre, sans en comprendre l'esprit.

Ou bien encore, nous prenons la vigueur de la grâce divine pour la fermeté de notre propre volonté, et nous faisons ainsi tourner contre Dieu le surcroît de force surnaturelle qu'il a daigné nous accorder dans sa miséricorde. L'expérience ne nous a pas encore enseigné au prix de combien de défaites on achète chaque victoire dans la vie spirituelle ; nous nous en apercevrons tôt ou tard ; car c'est là une grande source d'humilité.

D'ailleurs, une espèce de plaisir, ce doux sentiment que cause la conscience de notre force, accompagne longtemps, d'une manière sensible, la coopération à la grâce. Nous le puisons dans notre première ferveur, et nous le conservons après que celle-ci a disparu. Nous prenons ce sentiment pour une habitude acquise de solide vertu. Ou nous nous arrêtons avec complaisance devant nos bonnes œuvres, et alors une vapeur qui en sort nous les fait voir doubles; ou bien des amis imprudents nous prodiguent les louanges, et remarquent bien haut les progrès que nous avons faits depuis quelque temps dans la dévotion. Ils croient nous être agréables, tandis qu'ils détruisent l'œuvre de Dieu dans nos âmes. Toutes ces causes nous jettent dans la présomption, la présomption dans des excès d'indiscrétion, ces excès dans la confiance en nous-mêmes, et la confiance en nous-mêmes dans une inévitable réaction contre la vie intérieure tout entière.

Ne négligeons pas non plus d'observer (quoique cette remarque appartienne plutôt à un traité sur les commencements de la vie spirituelle) que dans les débuts de notre pèlerinage, et surtout dans les derniers jours de notre première ferveur, nous rencontrons certaines choses qui ressemblent beaucoup à ce que nous lisons des saints les plus avancés. Le fait est que nous ne faisons que de nous établir dans notre état normal.

Dieu a fait jusqu'ici beaucoup plus qu'il ne veut faire dans la suite. Nous commençons parfois d'une manière presque aussi surnaturelle que nous devons finir.

Nous n'avons pas le droit de nous attendre à ce que le long intervalle qui réunit ces deux extrémités leur ressemble. Il faut maintenant nous séparer d'une foule de douceurs sensibles, de secrètes manifestations de Dieu, et de ferventes aspirations qui, peut-être, nous ont souvent fait imaginer que nous ne tarderions pas à devenir des saints.

Or, cette ressemblance entre nos débuts et certains traits d'états plus avancés nous inspire quelquefois une secrète présomption. Nous ne nous figurons pas combien, dans la suite, nous serons pressés par le temps seul, ni combien la route est longue en réalité, quoique les montagnes paraissent si près de nous.

Sans un devoir de plus, sans une nouvelle tentation, j'irai plus loin encore, avec moins de devoirs et moins de tentations, continuer simplement à aller contre nos inclinations naturelles, comme il le faut pour servir Dieu, est pour nous infiniment plus fatigant, plus décourageant que nous ne l'aurions imaginé d'abord. La persévérance est la plus grande des épreuves, le plus pesant des fardeaux, la plus accablante des croix.

Ce double danger du découragement et de la présomption nous fait tomber dans des erreurs contraires au sujet de nos progrès dans la vie spirituelle. C'est pourquoi il importe de nous tenir sur nos gardes à l'endroit de certains symptômes d'où le découragement conclura que nous restons stationnaires, tandis que la présomption y verra la preuve de nos rapides progrès, quand, en réalité, ces signes, pris en eux-mêmes, n'indiqueront rien de la sorte. Je vais présentement examiner cinq de ces signes équivoques de progrès; et nous considérerons chacun d'eux sous le double point de vue de la présomption et du découragement.

1° Après nous être observés pendant quelque temps, nous nous apercevons que nous avons réussi ou non à vaincre quelque défaut dominant. Là-dessus, la présomption s'empare de nous. Mais raisonnons un peu. Il est possible que ce ne soit pas là une preuve réelle de progrès, car nos tentations peuvent, pour une cause ou pour une autre, devenir moins violentes quant au présent.

Le démon, à l'aide de sa subtilité naturelle, prévoit peut-être que nous ferons cet examen, et que nous nous arrêterons avec complaisance sur les résultats; et, désirant nous inspirer une fausse sécurité (car c'est alors que le temps lui est favorable pour entrer en campagne), il retire ses forces et nous laisse jouir d'une paix momentanée. Ou bien nos défauts peuvent changer par suite de circonstances nouvelles survenues dans notre vie extérieure, soit avec les années, soit pour une autre cause. Nos défauts changent; cela est certain, et ces modifications donnent lieu à quelques-uns des phénomènes les plus remarquables de la vie spirituelle.

Ou bien encore, en punition de nos infidélités à la grâce, le sens d'ailleurs si exquis et si délicat de notre conscience peut avoir perdu un peu de sa finesse; et alors nous nous apercevons moins de nos chutes. Est-il quelqu'un qui n'ait jamais subi ce châtiment ? C'est pourquoi nous n'avons nulle raison d'être présomptueux, parce que nous aurons simplement découvert que nous sommes tombés moins souvent dans notre défaut dominant.

Mais ce ne doit pas non plus être pour nous un sujet de découragement de trouver que depuis un temps donné nous y sommes tombés plus souvent que de coutume. Il nous faut poursuivre longtemps le cours de nos observations avant de pouvoir en tirer de sûres conséquences.

Il faut, pour une foule de causes, que nous ressentions nos chutes plus vivement que nous n'avions coutume de le faire. Ou peut-être Dieu permet-il que nous succombions, afin d'entretenir en nous l'humilité, ou pour cacher à nos yeux les progrès que nous faisons d'un autre côté. Enfin, il se peut que notre ennemi acharné ait tenté contre nous une attaque désespérée sur ce point en particulier. Dans ce cas, nous avons à repousser les assauts multipliés, tout en poursuivant notre marche à travers des routes difficiles. Nous ne nous connaissons donc pas encore assez pour que ce premier signe puisse être pour nous une raison de découragement.

2. Nous présumons ou nous perdons courage selon que nous trouvons ou que nous ne trouvons pas une douceur sensible dans nos exercices de piété. Mais la présomption devrait se rappeler que cette douceur sensible provient souvent de causes physiques, d'une bonne santé, du beau temps, ou d'un heureux tempérament; et, serait-ce même la grâce qui opérât en nous, elle n'est souvent que le témoignage de notre faiblesse, ou le masque de notre enfance spirituelle.

C'est l'appât dont Dieu, dans sa condescendance, veut bien se servir pour nous attirer, quand il voit que nous n'avons pas assez de vertu pour distinguer entre lui et ses dons, pour le servir pour l'amour de lui, et non pour ce que nous pouvons recevoir de lui. C'est un appât sur lequel il faut se jeter avec avidité, car il apporte des fruits solides.

Toutefois, c'est une faveur que Dieu nous accorde, et non un progrès que nous avons fait. En même temps, c'est une folie de se laisser décourager par l'absence de cette douceur sensible. C'est un don, et non une vertu; et Dieu l'accorde à qui il veut, quand il lui plait, et dans la mesure qu'il juge convenable. Que dis-je? c'est souvent une faveur de sa part, quand il nous en prive; car il le fait pour élever notre âme à un état supérieur, pour épurer notre amour et augmenter nos occasions de mériter. Et fût-ce même un châtiment, ce peut encore être une faveur. Il est des gens qui s'obstinent souvent à se laisser aller à la tristesse, parce qu'ils sont sûrs que tel ou tel symptôme dans leur vie spirituelle est une punition de Dieu.

En vérité, un homme ascétique, dans ses moments d'humeur, est le moins raisonnable de tous les mécontents. Pour moi, je ne vois rien de décourageant dans une punition qui vient de Dieu. Au contraire, s'il nous punit, c'est qu'il nous connaît; oh! s'il ne nous connaissait pas, c'est alors que nous serions véritablement malheureux! Et quand il nous punit, il le fait comme un père : le nombre et la force des coups ne sont que la mesure de l'amour avec lequel il inflige le châtiment. Ne souhaitons jamais que Dieu cesse de nous punir. C'est un souhait qu'il pourrait toujours exaucer assez facilement, et qui finirait par nous coûter cher. C'est que Dieu s'intéresse à nous, et qu'il est rempli de desseins miséricordieux sur nous quand il condescend à nous châtier. Tandis que d'une main il tient la verge, l'autre est pleine de grâces spéciales que nous recevrons quand la nature aura été assez réduite et mortifiée.

3. Une autre découverte, dont nous avons coutume de trop nous préoccuper, c'est quand nous trouvons ou que nous ne trouvons pas que la prière mentale et la méditation nous deviennent plus faciles. L'oraison est d'ordinaire une chose si difficile en elle-même, qu'il suffit que la difficulté paraisse seulement diminuer, pour que des sentiments de présomption s'emparent aussitôt de nous.

Mais nous devrions nous rappeler que l'habitude de la prière et la grâce de la prière sont deux choses différentes; et la méditation est une méthode de prière où le raisonnement a une si grande part, qu'il est bien aisé d'en prendre l'habitude, sans que pour cela nous en soyons profondément pénétrés, ou que notre vie intérieure en soit en aucune façon affectée.

Nous en voyons tous les jours des exemples dans la personne d'hommes qui ne manquent jamais à leur méditation du matin, et que l'oraison ne rend cependant ni meilleurs, ni plus mortifiés, ni plus recueillis, ni plus disposés à combattre leur défaut dominant, ou à veiller sur leurs paroles. Ce n'est pas que l'habitude de la prière ne soit une excellente chose ; mais ce n'est pas le don de prière, et nous sommes enclins à exagérer l'importance de l'une en la confondant avec l'autre. Il peut aussi arriver qu'à certaines époques nous trouvions nos sujets de méditation plus aisés, parce qu'ils s'accordent mieux avec notre génie. Les différentes périodes de l'année ecclésiastique contribuent souvent à amener ce résultat.

Nous sommes peut-être au temps de Noël, du Carême ou de la Fête-Dieu. Car certaines gens peuvent méditer facilement sur la Passion, tandis que l'enfance du Sauveur est pour eux un sujet stérile ; d'autres font leurs délices des récits et des paraboles de l'Évangile, et restent impassibles et froids en présence des mystères de Notre-Seigneur.

Ou bien encore, notre santé est meilleure, notre sommeil plus bienfaisant, notre condition plus heureuse ; ou enfin quelque grande fête, à venir ou passée, a fait sur nous une vive impression qui nous aide dans notre oraison. Toutes ces circonstances doivent nous mettre à l'abri de la présomption, si nous étions tentés d'en concevoir, simplement parce que la méditation se fait plus aisément, et, pour ainsi dire, de soi-même.

En même temps, nous aurions tort de nous décourager parce que l'oraison, loin d'être plus facile pour nous; semble au contraire devenir impossible. Il faut du temps pour acquérir une certaine facilité dans la prière mentale, et ce résultat s'obtient par la mortification plutôt que par l'habitude. Quant à nos progrès dans la mortification, s'ils doivent être constants et incessants, il faut aussi qu'ils se fassent graduellement et avec précaution, et si nous ne pouvons nous défendre des deux excès, rappelons-nous qu'à cause de notre misérable lâcheté, il vaut mieux faire trop peu que de trop faire.

D'ailleurs, comme je le démontrerai dans la suite, les méditations arides sont souvent les plus profitables, et c'est précisément leur aridité qui les rend difficiles. Enfin, au pis aller, le manque de disposition à la prière n'entraîne pas nécessairement avec soi le plus léger péché véniel; et certes, c'est une grande consolation pour nous quand, parvenus à cette phase de la vie spirituelle, nous venons à songer au passé, de savoir que la grâce de Dieu nous préserve de l'offenser.

Ressentir une joie immense de la simple absence du péché n'est pas le signe d'un état spirituel peu avancé. De plus précieux avantages nous sont réservés ; mais par un effet de la faveur divine, à mesure que nous avançons, nous ne cessons jamais de jouir de cette satisfaction dans toute sa simplicité. Je n'admets point que nous soyons toujours autorisés à nous décourager à cause de nos péchés, mais je suis sûr que nous ne devons pas nous décourager pour des choses où le péché n'a point de part.

4. Nous sommes souvent portés à raisonner sur les phénomènes de nos tentations, et à nous laisser enorgueillir ou abattre selon ce que nous croyons observer dans cette région. Mais le ciel fût-il serein et sans nuages, nous n'avons pas le droit de chanter victoire.

Nos tentations peuvent être moins nombreuses à certaines époques, ainsi que je l'ai fait observer plus haut. Peut-être aussi ont-elles revêtu un caractère moins propre à attirer l'attention à cause de quelque changement survenu dans notre vie extérieure. Ou bien notre esprit est livré à quelque occupation intéressante qui l'absorbe et l'éloigne des tentations, sans que nous fassions pour cela rien de méritoire ni de surnaturel.

Il est parfois vrai que le monde nous aide aussi bien qu'il nous entrave par ses mille distractions, qui empêchent une foule de péchés tout en éloignant le recueillement. C'est là ce qui rend la solitude si dangereuse, excepté pour les gens d'une vertu éprouvée. Supposons-nous maintenant exposés à une grêle de tentations; le découragement serait aussi déraisonnable dans ce cas, que la présomption dans l'autre.

La violence même de ces tentations révèle la colère du démon ; et il n'est pas assez insensé pour s'irriter sans sujet. Quand la Bible nous dit qu'il se met en colère, elle ajoute que c'est parce que son temps est court. Il faut que nous l'ayons provoqué par la manière dont nous nous sommes attachés à Dieu, ou par les marques particulières d'amour que Dieu a fait briller sur nous, et que Satan a distinguées plus clairement que nous.

Si les tentations nous effrayent surtout par l'opiniâtreté et la longueur des combats qu'elles nous livrent, comme si elles étaient déterminées à ne point se retirer avant de nous avoir fait succomber, sans doute il faut nous tenir sur nos gardes, mais en même temps nous réjouir et rendre grâces à Dieu. Car si la tentation continue, c'est une preuve que jusque-là du moins nous avons su y résister. Le chien continue d'aboyer, dit saint François de Sales, parce qu'on ne veut pas le laisser entrer. D'ailleurs, tes accès de tentations nouvelles et extraordinaires sont souvent les avant-coureurs d'une période de grâces spéciales, et c'est ce que Satan avait prévu avec sa perspicacité naturelle. C'est pourquoi, comme Jacob, nous devons lutter jusqu'à l'aurore.

5. La simple foi est par elle-même le plus grand des exercices spirituels, sans aucune comparaison.

Mais n'êtes-vous pas assez avancé pour voir que la paix intérieure est la chose dont vous avez le plus besoin ? et le meilleur moyen de vous l'assurer, c'est de savoir disposer avec sagesse et habileté de ces deux tentations, la présomption et le découragement.

D'ailleurs, s'il vous importait de connaître quels sont les signes de progrès, il n'est pas inutile que vous sachiez discerner les choses qui ne sont pas des signes d'avancement, mais qui en revêtent les dehors.

IIa-IIæ, qu. 14, art. 2, ad. 1 a écrit:
Le péché de désespoir, ou celui de présomption, ne consiste pas à ne pas croire à la justice de Dieu, ou à sa miséricorde, mais il consiste à n'en faire aucun cas.

5. La simple foi est par elle-même le plus grand des exercices spirituels, sans aucune comparaison.

Mais n'êtes-vous pas assez avancé pour voir que la paix intérieure est la chose dont vous avez le plus besoin ? et le meilleur moyen de vous l'assurer, c'est de savoir disposer avec sagesse et habileté de ces deux tentations, la présomption et le découragement.

D'ailleurs, s'il vous importait de connaître quels sont les signes de progrès, il n'est pas inutile que vous sachiez discerner les choses qui ne sont pas des signes d'avancement, mais qui en revêtent les dehors.

" la paix intérieure est la chose dont vous avez le plus besoin"