2 ème dimanche de carême

L'Evangile de ce jour nous rapporte un des épisodes les plus remarquables et les plus importants de la vie de N.S., sa Transfiguration. Il semble que le Christ ait été préoccupé du trouble qu'apporterait à ses apôtres le spectacle prochain de ses humiliations et de son calvaire ; et pour les prévenir contre cette épreuve, Il veut leur donner une preuve tangible de sa divinité. Le récit évangélique nous fait connaître successivement la date, les témoins, le lieu de cette manifestation, et enfin la manifestation, le fait lui-même.


I.La date. — Et post dies sex, six jours après la confession de saint Pierre, et la promesse de la primauté ; les commentateurs placent ce miracle au mois d'août de l'an 29, environ neuf mois avant la passion. Jésus avait alors affirmé aux siens que quelques-uns d'entre eux Le verraient dans l'éclat de sa gloire, « En vérité je vous le dis, plusieurs parmi vous ne goûteront pas la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venant dans sa puissance et dans son règne ». Et six jours après, il justifiait par sa transfiguration le sens de ces mots mystérieux.

2. Les témoins Assumit Jesus Petrum, Jacobum et Joannem. Ce sont les trois disciples préférés, les amis privilégiés. Pierre le chef de demain ; puis les deux fils de Zébédée, Jacques, le premier des douze qui devait mourir pour la foi, Jean, l'apôtre vierge. C'étaient les amis du cœur, âmes ardentes, généreuses, enthousiastes, qui sont ensemble à l'heure glorieuse du Thabor, qui se retrouveront encore auprès du Maître à l'heure terrible de Gethsémani.

3. Le lieu. Duxit illos in montem excelsum. Aucun des évangiles ne nomme cette haute montagne. La tradition constante et unanime a désigné le Thabor. C'est un dôme isolé au centre même de cette Galilée qui a vu rayonner la beauté et la douceur du Fils de Dieu, à l'extrémité N.-E. de la plaine d'Esdrelon, et qui se dresse à plus de 600 mètres, comme un piédestal gigantesque, comme un autel qu'on aurait dressé à dessein pour l'apothéose.

4. Le fait. Et transfiguratus est ante eos. C'est là sur ce sommet perdu, par une de ces belles nuits d'orient, remplies d'étoiles, que Jésus fut transfiguré ; l'aspect de sa face devint tout autre, elle resplendit comme le soleil, et ses vêtements en même temps devinrent blancs comme la neige.

Cette transfiguration n'a rien de commun avec l'illumination et la joie qui transfigurent parfois les visages des saints à l'heure de la mort ou dans les ardeurs d'une action de grâces fervente ;

elle n'est pas seulement le rayonnement de la divinité sur une physionomie humaine, c'est la divinité elle-même qui resplendit dans le corps transfiguré du Christ, qui émane de toute sa personne, qui brille à travers ses vêtements ;

ce fut la splendeur de cette lumière et de cette beauté qui réveilla les apôtres endormis ; ils virent leur Maître dans cette gloire ; et conversant avec Lui, Moïse et Elie, c'est-à-dire la loi et les prophètes, les deux principaux représentants de l'ancienne alliance rendant hommage au fondateur de la nouvelle, tout le passé biblique venant se rattacher à l'E-glise représentée par Pierre, Jean et Jacques.

Et avec Jésus, Moïse et Elie s'entretenaient, de la Passion ! Oui, en un tel moment, au milieu des splendeurs de la transfiguration, c'est de la Passion que l'on parle ; les apôtres, remplis d'une joie profonde, auraient voulu se fixer sur le Thabor, « Maître, dit saint Pierre, il est bon d'être ici. »

Par sa transfiguration N.-S. voulait donner à ses disciples un avant-goût des réalités éternelles et les prévenir contre le scandale de sa Passion et de sa mort. Peut-être voulait-il aussi laisser un exemple à toutes les générations et apprendre à ses adorateurs de tous les temps comment ils devaient se transfigurer à son exemple. Car nous devons nous transformer, nous transfigurer ; et cette transfiguration que nous demande l'Evangile s'opère en nous par la vie chrétienne.

I. Qu'est-ce en effet que la vie chrétienne ? Qu'est-ce que vivre pour un chrétien ? Vivre pour un chrétien c'est mettre en soi-même Celui qui ne meurt pas, Dieu. Voilà toute la force du mystère qui s'opère en nous par la puissance de la doctrine catholique. La vie chrétienne c'est la vie même de Dieu, fleurissant, s'épanouissant dans la nôtre. Ainsi donc vivre pour un chrétien c'est se transformer, se transfigurer à l'image du Christ, c'est provoquer au-dedans de soi-même, laisser se dérouler dans toute sa tragique grandeur ce drame personnel, propre à chacun de nous, et qui doit se renouveler à chaque heure de notre existence ; nous perdre nous mêmes pour trouver J.-C, nous dépouiller de notre égoïsme pour revêtir son esprit de désintéressement, changer en vertus les forces perverses et les penchants mauvais, qui sont au-dedans de nous, en un mot librement et incessamment nous laisser renouveler et transformer par la foi et l'amour de Dieu, de telle sorte que, suivant le mot de saint Paul, la vie même du Christ se manifeste en chacun de nous.

Quelle transfiguration, quel idéal ouvert à notre activité !

2. A quelle condition pouvons-nous réaliser cet idéal ? Nous n'avons ici qu'à suivre les indications de l'Evangile. Et tout d'abord c'est sur une montagne que Jésus se transfigure. Voulons-nous nous transfigurer ? Montons. Et ce n'est pas d'alpinisme qu'il s'agit ici, c'est d'ascensions intérieures par le cœur, la pensée, par la conscience, par la prière, par l'amour et par la foi.

A tous ceux qui veulent suivre Jésus, l'Evangile de ce jour crie : « Plus haut, toujours plus haut. Quittez ces bas-fonds, où l'air est pesant, les horizons bornés, où grouillent les passions humaines, d'où émanent des exhalaisons pestilentielles. Plus haut, toujours plus haut sur les sommets lumineux, où l'air est plus pur, les horizons plus vastes, le ciel plus proche. Plus haut pour monter sur le Thabor, où Jésus nous attend où il veut nous accueillir et nous parler. »

Ce n'est pas tout. Sur le Thabor, les vêtements de Jésus deviennent blancs comme la neige. De même l'âme du chrétien, sur les hauteurs, doit être purifié de toute souillure par les larmes du repentir.


L'ascension, la purification sont les premiers pas vers la transfiguration, le troisième c'est le rayonnement, l'Evangile ne nous dit-il pas que la face du Sauveur devint éclatante comme le soleil. Il faut à son exemple que notre âme rayonne de sa lumière, de son amour, de sa beauté, de sa vie.

Et pour cela, il faut en toutes choses voir Jésus, La page de notre Evangile se termine par ces mots : « Et ils ne virent plus que Jésus seul ». Voir Dieu à travers ses actions, ses efforts, ses joies, ses sacrifices et ses peines. Voir Dieu et le mettre dans son esprit, dans son cœur, dans sa vie tout entière, c'est là tout le secret de la transfiguration humaine.