LE MONDE ET LES DÉMONS

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

Les obstacles à notre avancement spirituel sont, la plupart, au dedans de nous. Ils trouvent des complices au dehors cependant, et de puissants, et de rusés : le monde et le démon.

C'est un fait vieux comme la terre, c'est un sujet rebattu de sermon et de méditation, c'est un thème sur lequel il faudra toujours revenir. Tant pis pour certaines nouveautés désireuses de faire table rase ! Nos ennemis extérieurs travaillent à se faire ignorer de chacun de nous en se présentant même sous le manteau de la vertu.

Leurs pièges cachés ne se comptent pas. Toute âme doit donc combattre sa tendance à ne pas apercevoir la présence néfaste du serpent qui rôde, et elle doit se tenir prête à la lutte contre les plus dangereuses séductions mondaines.

Le monde et le démon ! Voilà deux êtres différents. Pourtant, un même esprit les anime. Celui du premier semble venir du second. D'ailleurs, tout comme l'Église, notre mère, est chargée de répandre le royaume de Jésus son Époux, ainsi le monde s'efforce d'étendre sur terre le règne de Satan.

Ce sont deux organisations inspirées par deux chefs irréconciliables qui cherchent à s'implanter partout et se combattent.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

En effet, qu'est-ce que le monde ?
Il ne s'agit pas ici de l'univers que Dieu a créé, ni des hommes qui l'habitent et que Notre-Seigneur est venu racheter, ni de l'état que les religieux ont quitté.

Il s'agit de la masse de ceux qui, non seulement suivent leurs passions aveugles ou leur raison bornée, mais s'opposent directement à Jésus, à son enseignement et à ses vertus.

Ce sont les incrédules qui en veulent à la religion parce qu'elle fustige leur orgueil, leur sensualité et leur soif immodérée des richesses. Ce sont les indifférents qui se désintéressent d'une mentalité ennuyeuse pour leur indolence. Ce sont les pécheurs endurcis qui préfèrent leurs petits plaisirs aux grandes joies de la grâce et du ciel.

Ce sont les mondains qui ne voient le péché nulle part, cherchent à jouir de toutes manières et tiennent à un certain vernis de religion.

Voilà le monde que Jésus a maudit à cause de ses scandales. Ce n'est pas celui qui pèche, c'est celui qui prêche, encourage ou nie le péché. Le premier reçoit son Sauveur, le second le repousse. Pour l'un, le salut ; pour l'autre, la malédiction.

Cela s'explique. Notre-Seigneur le dit : le monde fait tant de mal autour de lui ! Les meilleurs individus, les bonnes familles, même les communautés religieuses subissent son influence. Il enseigne avec instance que jouir est la grande règle de sagesse : on finit par croire qu'il a peut-être raison, on se relâche, on cède, on se détache peu à peu du saint Évangile. Le monde tue l'esprit chrétien. Nous savons comment. Il séduit ou il persécute.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

Qui n'a entendu ses maximes trompeuses ? « Oui, il faut jouir sur terre », dit-il. C'est-à-dire : il faut s'amuser, se couronner de roses. Car, pour lui, heureux les riches, heureux les parvenus, heureux les viveurs, heureux les violents, heureux les adulés. Il y en a tant, Dieu ne les damnera pas tous.

Quant à ceux qui choisissent la pauvreté, le travail, la mortification, la douceur et l'humilité, le monde les déclare fous et juge que, vu leur petit nombre, ils ne seront pas seuls à entrer dans le royaume des cieux.

Est-ce l'Évangile ? Celui-ci répète : « Renoncez-vous », celui-là : « Jouissez ! » Celui-ci croit en Dieu, attend la récompense éternelle, annonce la charité ; celui-là ne trouve que des ombres, des doutes et des absurdités en matière de Révélation, il ne convoite que les biens temporels et il ne pratique que le culte du « moi ».

Ses exemples sont là. Le monde convoite ou bien les honneurs, ou bien les richesses, ou bien les plaisirs. Il satisfait autant que possible aux trois concupiscences, au moins à celle de la chair quand il ne peut rien pour les deux autres. Ce sont les modes, les amusements, les fréquentations, les théâtres, ce sont les danses et les boissons enivrantes, ce sont les images, les journaux et les livres : autant de moyens pour le monde d'assouvir ses passions.

Or, il y met de l'ostentation. Tout cela séduit et entraîne, scandalise par conséquent. Le monde ne se cache pas. Il affirme que ce qu'il fait, c'est bien, et il approuve ceux qui l'imitent. Tel viveur dégoûtant, pour lui est un « monsieur » ! Il encourage le vice.
Et il persécute la vertu, il combat tout simplement l'Évangile.

Son arme ordinaire est la raillerie. Il se moque de ceux qui prient et qui observent les commandements. Le jeune homme vertueux et la jeune fille modeste, la mère de famille vigilante, se voient couvrir de ridicule par les mondains. Et comme naturellement nous avons peur du ridicule, nous tremblons devant les sarcasmes du monde, nous baissons pavillon malgré les appels du devoir et les cris de la conscience.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

L'arme souvent employée est la menace d'un dommage ou le dommage lui-même. Dans certaines administrations, on prive d'avancement un catholique pratiquant, un homme honnête, un père de famille fidèle à ses obligations d'époux et de chrétien, une demoiselle de mœurs intègres ; on refuse le logement à des parents sérieux ; on ne prise pas ceux qui agissent d'après leur conviction, bannissent le mensonge, la fourberie, le blasphème, le vol et le libertinage. Alors, que faire ?

Fuir ? Autant que possible, oui. Toute compromission étant impossible avec celui qui fera toujours la guerre à la vertu, évitons les pièges du monde, ses fêtes, ses relations et ses conversations. A l'approche d'un loup, on se sauve, et d'autant plus vite qu'on se sent désarmé.

Le monde est un loup ; or, malgré tous nos moyens de défense et malgré sa férocité, nous sommes inclinés à devenir ses complices en acceptant ses jouissances.

Mêlés au monde par état ou par devoir de charité, quelle conduite faut-il tenir ?
Résister à son esprit, d'abord. Étant l'église de Satan comme le christianisme forme l'Église de Jésus-Chrit ; étant le corps mystique du diable comme l'Église est le corps mystique du Christ, il a l'esprit du démon comme les chrétiens ont l'esprit de Jésus.

Or, ces deux esprits régnent l'un contre l'autre : qui s'éprend de l'un méprise l'autre ; nul ne peut vivre des deux pas plus que « servir deux maîtres ». Aussi, Notre-Seigneur nous dit-il : « N'aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde (1). » Se trompe-t-il ? Mais non, il possède toute sagesse et les paroles de la vie ! Alors, c'est le monde qui fait erreur. Et, par conséquent, chaque fois qu'il parle et agit, nous devons nous répéter courageusement : c'est faux, absolument faux, parce que c'est contraire à l'Evangile de Celui qui est vérité.
Résister, voilà une première attitude. Faire du bien en voici une seconde.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

Nous sommes la lumière. Au milieu du monde, nous sommes le levain dans la pâte. Soyons tout cela, soyons-le crânement.

Sachons toujours proclamer, ainsi, que la vertu est le bonheur et qu'une conscience nette donne plus de joies que le plaisir. Sachons agir par l'exemple d'une vie pure, simple, charitable et gaie, sans respect humain. Sachons de même nous unir aux bons, les aider dans leurs mouvements ou leur vie privée, surtout les défendre contre les attaques de l'esprit mondain et cacher leurs défauts !

De la sorte, en toute vérité, nous luttons contre le prince des ténèbres qui rôde autour de nous comme un lion affamé, le démon.

Chrétiens, nous croyons au démon. En pratique, nous ne tenons pas compte de sa présence.
Pourtant, elle est bien vive en notre mémoire cette image du serpent qui a tenté Eve et, par envie, a précipité la race humaine dans le péché. Combien de fois l'Écriture nous parle-t-elle de Satan et du diable, du tentateur, de l'ennemi, du malin, du prince de ce monde, de Béelzébub, des anges déchus et du gouverneur des ténèbres ?

Saint Pierre ne le compare-t-il pas à une bête fauve qui cherche à nous dévorer ? Saint Paul n'affirme-t-il pas que nous avons à lutter contre la puissance des esprits mauvais ? Oui, toute une hiérarchie d'anges déchus s'associe aux soldats du mal sur terre et tous luttent contre l'armée du bien. C'est une ruée constante sur les nations, les pays et les provinces, sur les villes et les villages, sur les communautés, les familles et les individus, sur les paroisses et les diocèses, sur l'Église. Et c'est une ruée organisée ; chaque vice a ses représentants spéciaux et acharnés, de sorte qu'on ne néglige rien pour que tous les péchés possibles se commettent.

Ruée de l'ambition, ruée de la haine, ruée de l'envie ! Les démons n'ont pas d'autre motif. Ils conspirent sans cesse pour détrôner Dieu, le supplanter et recevoir à sa place l'adoration, l'amour, la soumission. Et s'ils n'endurent pas que Dieu domine, ils ne souffrent pas non plus que l'homme s'attache à Dieu, travaille à sa gloire, réalise ses plans et se prépare à aller jouir de lui dans l'éternité à la place des déchus. C'est pourquoi les vertueux subissent tant l'assaut de l'ennemi : Job a souffert à cause de sa fidélité dans le service divin, les Apôtres ont connu le martyre à cause de leurs prodiges, les saints ont vécu au milieu des persécutions ou des tracas à cause de leur appartenance.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

Les démons ! Mais que peuvent-ils sur nous ?
D'abord, ils ne peuvent rien directement sur la volonté et sur l'intelligence. Dieu a élevé en nous une forteresse et il y a allumé une lampe. Son ambition est de s'y établir comme en son sanctuaire. Il se réserve à lui seul d'y pénétrer pour demander l'hospitalité. Il peut tout, même au plus intime de nos âmes : c'est le Maître. Il emploie ce pouvoir au respect de notre liberté et à l'attente de notre amour.

Au contraire, les démons n'y peuvent rien en fait de contact, parce que nous ne sommes pas leurs sujets ni leur propriété. C'est ce qui explique, avec la liberté que Dieu nous laisse de son côté, comment nous sommes des responsables. Par un bon acte, nous méritons ; par un acte mauvais, nous déméritons.

Dans le premier acte, ce n'est pas Dieu qui, en définitive, a agi ; dans le second, ce n'est pas Satan qui a péché. Dans les deux cas, c'est nous qui avons pris l'engagement. Non, tous les diables ne peuvent rien, d'eux-mêmes, au fond de nous !
Je dis : « d'eux-mêmes ». C'est que, par des trucs, ils peuvent beaucoup.

Leurs trucs, leurs instruments de destruction, ce sont nos sens, imagination, mémoire et passions. Les damnés se servent de nous contre nous. Leurs qualités d'esprits les investissent d'un pouvoir sur les corps qu'ils exercent sur nous très souvent, même à notre insu.

Par ce moyen détourné, ils atteignent la volonté et la sollicitent, en allumant dans les yeux, dans la tête, dans le cœur ou dans la chair, des feux qui captivent et qui troublent. Ces feux, ils les préparent, ils les attisent, ils les nourrissent par tout ce qui frappe et procure des occasions de péché.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

La puissance des démons est donc grande. Mais Dieu ne permet pas qu'elle agisse sur nous au-dessus de nos forces. Et aux passions qu'elle soulève, la volonté demeure libre de consentir ou de résister. Même, ne croyons pas que toute tentation soit son œuvre, vu que les trois concupiscences et les habitudes passées opèrent leurs propres désordres.

Alors, si elle est limitée et si surtout elle n'intervient pas toujours, comment discerner sa présence et sa malice en notre vie quotidienne ? D'ordinaire, une tentation soudaine, violente et prolongée a pour source le démon. Même cause dans le cas de celle qui trouble profondément et qu'on est incliné à ne pas avouer à son confesseur. L'insubordination envers les supérieurs révèle aussi semblable origine.

Quoi qu'il en soit, la lutte contre Satan appartient au programme de vie de l'âme chrétienne. Comment lutter ?
Par la prière.

Une prière humble. L'orgueil diabolique fuit devant un acte d'humilité. Une prière confiante. Dieu s'intéresse à notre victoire. Adressons-nous à lui chaque jour et soyons sincères quand nous disons : « Et ne nous laissez pas succomber à la tentation. » Invoquons la Sainte Vierge, saint Michel et notre ange gardien ; par eux, écrasons la tête du serpent.

(...)Le signe de la croix, les prières liturgiques, l'usage de l'eau bénite frappent de grands coups sur la monstrueuse bête.

La dévotion aux souffrances de Jésus jouit d'une particulière efficacité. En se clouant à la croix, le Sauveur a aussi cloué le démon, il l'a terrassé. En subissant la mort par la malice du démon, il a brisé la puissance du démon et les chaînes de l'esclavage jetées sur nous. Jadis, dans le désert, l'Hébreu échappait aux morsures des reptiles en regardant le serpent d'airain. Aujourd'hui, dans nos vallées de larmes, le chrétien paralyse le venin du serpent infernal en s'accrochant à la croix du Rédempteur.

Du reste, de cette croix jaillit la grâce. Et la grâce nous arrive abondante, capable de toutes les victoires.

Elle nous inspire du mépris pour le démon. Or, le mépris le fait rugir : c'est l'amour qui lui fait plaisir et qui le rend si fort. Le mépris l'humilie et l'affaiblit. Quant à nous, il nous donne un vigoureux courage dans la résistance.

« Malheur au monde, à cause de ses scandales. »
Matth. 18, 7.

La grâce nous éclaire. Elle nous rappelle que Satan ne peut voir nos pensées intimes que si nous les manifestons sensiblement.

C'est nous redire qu'en les cachant par la pratique de la prière mentale, non seulement nous ouvrons la porte au bon Dieu, mais nous empêchons l'ennemi de connaître ce qui lui serait si utile pour sa victoire, les secrets de notre conscience.

D'autre part, la grâce nous enseigne en même temps que la tentation du démon, dans le plan de Dieu, signifie crible qui purifie le froment, épreuve qui aguerrit les élus, humiliation qui arrête l'orgueil, ennui qui multiplie les mérites, sentier qui achemine au ciel.

Admirons donc la conduite de la Providence qui permet que nous soyons entourés de périls afin que nous ne cessions de penser au Jour éternel qui nous attend.

Soyons fiers de la situation où Dieu nous met et soyons forts de l'appui que Dieu nous donne. Avec Dieu, contre le monde et contre le démon, nous sommes invincibles !