Premier dimanche de carême

En ce temps-là, Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert, pour y être tenté par le démon. Après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Alors le tentateur, s'approchant de lui, dit : « Si vous êtes le Fils de Dieu, ordonnez que ces pierres deviennent des pains ». Jésus, lui répondit : « Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Alors le démon le transporta dans la ville sainte, et l'ayant placé sur le haut du temple, il lui dit : « Si vous êtes le Fils de Dieu, Jetez-vous en bas ; car il est écrit : Il a commandé à ses Anges de prendre soin de vous, et ils vous porteront dans leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre ». Jésus lui répondit : « Il est encore écrit : Vous ne tenterez pas le Seigneur, votre Dieu ». Le démon le transporta encore sur une haute montagne, et lui montrant tous les royaumes du monde, avec leur gloire, il lui dit : « Je vous donnerai tout cela, si, en vous prosternant, vous m'adorez ». Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ; car il est écrit : Vous adorerez le Seigneur, votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul ». Alors le démon s'éloigna ; et aussitôt les Anges s'approchèrent, et ils le servaient.

Jésus était au début de sa vie publique, lorsque se produisit l'un des événements les plus extraordinaires et les plus étonnants de sa vie morale, sa tentation par Satan ! Il venait d'être baptisé par saint Jean ; Il avait vu s'ouvrir les cieux et l'Esprit-Saint descendre sur Lui, et II s'était entendu nommer le Fils de Dieu ; et voilà que ce Messie, à peine proclamé chef du royaume des cieux, se trouve aux prises avec le chef du royaume des ténèbres.

Tunc, c'est-à-dire immédiatement après son baptême, Jésus s'éloigna et fut conduit par l'Esprit au désert.

Quel est ce désert où l'Esprit entraîna Jésus ? Les évangélistes ne le disent pas expressément, mais il est probable qu'il s'agit du désert de Juda, situé à l'ouest du Jourdain, entre Jéricho et Bétharaba. Au nord du désert, se trouve la montagne de la Quarantaine où l'on vénère encore une grotte qui aurait servi d'asile au Sauveur. C'est là, au milieu d'une nature tourmentée, que Jésus vint chercher un refuge et se préparer dans le recueillement total et dans la solitude à l'œuvre de la rédemption des hommes. Mais il y vint aussi pour être tenté !

Ut tentaretur. Tenter et éprouver sont deux termes synonymes ; mais le premier est le plus souvent employé dans le sens de provoquer au mal, et c'est dans ce sens que nous devons le prendre ici. Dès le début de sa vie publique, Jésus a voulu se trouver face à face avec le mal et subir les attaques des trois grandes passions qui dominent et asservissent l'humanité : la sensualité, l'orgueil, et l'argent.

La première tentation que voulut subir Jésus est celle de la sensualité. Un jeûne de 4o jours, jeûne absolu, a aiguisé sa faim. En pareil cas, l'homme est faible et succombe aisément. Satan ne l'ignore point, il s'approche donc, et montrant les cailloux épars sur le sol : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pain ». La suggestion était perfide. Quoi de plus légitime que de faire usage de sa puissance pour avoir la nourriture nécessaire à la vie ? Jésus ne raisonne pas avec le démon. D'une parole empruntée à la Bible, il repousse le tentateur : « L'homme ne vit pas seulement de pain, etc.. ». La réponse est triomphante. Satan voulait connaître la puissance de Jésus, ses desseins, sa mission ; Jésus répond par la protestation d'une fidélité absolue à la volonté de Dieu; et sa réponse n'apprend rien à Satan de ce qu'il désirait savoir.

La tentation de la sensualité n'ayant pas abouti, Satan ne se décourage point ; et en tacticien expérimenté, il va essayer la tentation de l'esprit, l'orgueil, la présomption. Il transporte le Sauveur au sommet d'une des galeries du temple, et lui montrant le vide : « Si tu es le Fils de Dieu, lui dit-il, jette-toi en bas ! » A son tour, invoquant l'autorité de l'Ecriture, où est affirmée la sollicitude de la Providence pour les Justes, il ajoute : « Il est écrit que Dieu a commandé à ses anges de veiller sur toi... » Cela est vrai, mais à la condition que les justes restent dans leurs voies. Satan a eu soin d'omettre deux mots essentiels, in viis tuis. Se jeter dans des entreprises téméraires, folles ou imprudentes, et attendre de la toute puissance divine un secours providentiel, c'est vouloir tenter Dieu, et Jésus sait bien le démontrer en répliquant : « Il est écrit aussi : Tu ne tenteras point le Seigneur. »

La réponse est sans réplique, Satan est une seconde fois battu par ses propres armes, et il ne sait pas encore si Jésus est le Messie, fils de Dieu.

Humilié de cette double défaite, l'ange déchu ne se tient pas pour battu encore, et après avoir essayé vainement de la sensualité, de l'orgueil, il va employer l'ambition et la cupidité. La tentation du Christ se déroule comme un drame ; après la scène du désert et du temple, c'est la scène de la montagne. Le démon emporte Jésus sur une cime élevée, d'où il lui montre aux quatre coins de l'horizon les royaumes, les empires de ce monde, leur gloire, leurs richesses, leur puissance ; et pensant L'avoir ébloui par la splendeur de ce spectacle : « Adore-moi ! lui dit-il, et tout cela est à toi. » Cette fois Satan lève le masque. Il se trahit par cet orgueil poussé jusqu'à la folie. Le Sauveur repousse avec indignation et mépris le conseil sacrilège : « Arrière, Satan. Il est écrit, tu n'adoreras que Dieu seul. »

Victorieux des trois tentations, Jésus reçoit aussitôt sa récompense : les Anges qui avaient chassé du paradis terrestre le premier Adam vaincu par Satan, entourent le second Adam vainqueur, et s'approchent de lui pour le servir.

II

ENSEIGNEMENT MORAL

LES TENTATIONS DE L HOMME.

Les trois tentations que le Christ a voulu subir sont toujours celles qui ont le plus d'action sur les hommes, celles qui les détournent de leur devoir, de leur mission, de leur destinée : le plaisir, l'orgueil, et l'argent, ce qu'on appelle, après saint Jean, les trois concupiscences. Ces trois concupiscences, ce sont les appétits désordonnés qui constituent, au-dedans de nous, une tentation perpétuelle à nous écarter de Dieu.

I. — La tentation. — La sensualité nous détourne de Dieu en nous poussant à jouir sans mesure de tout ce qui flatte nos passions. L'orgueil nous pousse à nous replier sur nous-mêmes, à nous complaire en nous-mêmes, à nous constituer nous-mêmes le centre de tout, à chercher en nous-mêmes la règle de nos pensées et la force de notre vie. Le désir de la richesse nous pousse à rechercher les biens de ce monde, parce qu'ils sont les pourvoyeurs de nos plaisirs et les fondements de notre domination.

Tous les désordres des passions viennent de la sensualité ; toutes les aberrations de l'esprit ont leur principe dans l'orgueil ; toutes les violences, toutes les ruses, tous les crimes ont leur source dans la soif de l'argent. C'est là le mal qui ronge l'humanité, qui entrave sa marche vers le devoir et vers ses destinées immortelles, qui ne cesse de troubler la paix des consciences et la paix du monde.
Ces trois tentations, Jésus a voulu les connaître et les vaincre, afin de nous donner l'exemple et nous apprendre à triompher comme Lui des suggestions du mal.

II. — Le devoir. — Et dès lors nous voyons où se trouve le devoir pour chaque homme qui veut suivre sa destinée et trouver Dieu : combattre les passions dont les appels tyranniques le sollicitent, lutter contre cet orgueil insatiable qui le porte à se faire le centre de tout, mépriser les biens de la terre qui le fascinent et l'attirent, en un mot, se sacrifier, s'immoler ici-bas. Et c'est bien là ce que nous enseigna Jésus, lors¬qu'il a dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce ». Renoncer à l'égoïsme de l'esprit, à l'égoïsme du cœur, à l'égoïsme des intérêts personnels ; renoncer aux désirs fous et aux égoïstes espoirs : voilà le secret de la victoire, voilà le chemin ouvert devant nous pour entrer dans le royaume de Dieu.