ALLOCUTION À DES ARTISTES CATHOLIQUES - 12 Janvier 1913.

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Message  Roger Boivin Mar 21 Juil 2015, 1:22 pm



Celte allocution a été prononcée à Paris,
au 50° dîner fraternel des catholiques des Beaux-Arts,
le 12 janvier 1913.

XXV

A DES ARTISTES CATHOLIQUES



Vous voici donc réunis, architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, musiciens, auxquels, comme il convient, quelques poètes se sont mêlés. Je suis heureux d'être venu parmi vous, et je m'y sens en fraternité, car il y a des frères distants par l'Age et très unis.

Vous vous nommez : catholiques des Beaux-Arts. Titre magnifique! Il exprime le meilleur de l'âme : sa foi religieuse et avec elle son plus bel amour, l'art, qui est du voisinage de Dieu et un peu de sa lumière. Sans doute, au siècle passé, le XIX°, on a vu de grands artistes catholiques : mais un mouvement d'ensemble et de jeunesse, une assemblée liée par une grande espérance commune, toute une fraternité d'ouvriers de l'œuvre attendue, nécessaire et prochaine, voilà qui est nouveau. Vous êtes des précurseurs. Bien d'autres hommes s'engageront après vous dans la voie où vous êtes. Et déjà plusieurs de ceux qui s'opposent à nous ont le pressentiment de ce renouveau qu'ils n'ont pas appelé de leurs vœux. Un député socialiste, un de ceux qui ne vont pas la visière toute baissée, a dû penser à quelques-uns d'entre vous, quand il a écrit : « Le sentiment religieux est en grande faveur dans les cercles poétiques et les jeunes revues littéraires. Surtout, et ceci est un symptôme très significatif et un indice révélateur, surtout la libre pensée n'excite plus, dans ces milieux, aucun enthousiasme. Osons dire plus : il y a des jeunes gens distingués, des artistes tout frémissants de vie, tourmentés de l'œuvre prochaine, auxquels l'irréligion inspire une véritable horreur... Quand ce vent religieux souffle en littérature, c'est qu'il souffle aussi dans tous les domaines de la pensée et de la vie sociale. » C'est cela, ou à peu près. Dans ce pays, qu'on a tout fait pour abêtir et pour salir, un miracle, — est-ce que tous les printemps n'en sont pas un ? — a préparé une élite puissante, décidée, enthousiaste, de catholiques : de quoi revivifier toute la France. On peut déjà prévoir une renaissance religieuse, que verront s'épanouir les plus jeunes d'entre vous Dès à présent, il faut des poètes pour écrire le cantique de la France rajeunie, et voici qu'ils commencent à chanter ; il faut des architectes et des décorateurs pour le peuple des villes, qui rentre le premier dans les églises et qui demandera bientôt les maisons de métiers ; il faut des compositeurs, des sculpteurs de statues et de chimères ; il faut des créateurs de belles formes, des maîtres de la joie durable de l'esprit, pour célébrer la fête future d'un peuple délivré et libre enfin de son âme.


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Message  Roger Boivin Mar 21 Juil 2015, 1:23 pm


Oui, vous avez choisi un titre magnifique, et je n'ai, pour le montrer, qu'à définir, selon votre cœur et selon le mien, les deux termes dont il est composé : catholiques et artistes.

Vous êtes des catholiques : pas des quarts ou des moitiés de catholiques, pas de ceux qui ont peur d'affirmer leur foi, ou qui lui cherchent une épithète, comme si toute épithète n'était pas ici une limite et un orgueil ; vous êtes des catholiques en toute vérité et en foute fierté. Vous avez une foi raisonnable et raisonnée. Vous avez pu comparer la splendeur du catholicisme aux petits lumignons fumeux des systèmes et des vanités de l'homme. Ce ne sont pas seulement vos lectures, l'histoire, l'attrait de votre cœur, la tradition, l'impérieux commandement du sang de France, quand il est pur, qui vous ont faits chrétiens : c'est encore le spectacle de la vie, l'humiliant état d'une société appauvrie d'idéal, l'injustice des ennemis de l'Eglise, l'impuissance des morales de salon ou d'académie. Tout vous est une quotidienne apologétique.

Et puis, vous êtes des artistes. Le nom est souvent profané. Mais n'est-ce pas le destin de toutes les noblesses d'être exposées ainsi à l'usurpation ? Un vrai artiste, c'est d'abord un homme de grand cœur, d'une sensibilité supérieure. Il jouit et il souffre des moindres choses ; on ne le voit guère, en aucune occasion, dans l'état que les moralistes appellent l'état d'indifférence. Force et faiblesse à la fois, vous le savez bien, mais force avant tout, car le pouvoir de souffrir est lié dans ces cœurs-là, et mystérieusement, à la puissance d'émouvoir.



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Message  Roger Boivin Mar 21 Juil 2015, 1:24 pm


Un vrai artiste, c'est aussi un grand travailleur. Il n'y a guère d'improvisation, dans aucun art, et, comme dans le monde moral, le recommencement et le repentir sont les conditions habituelles de l'avancement. Vous ne parlez pas, comme je l'entends faire quelquefois, de la joie de peindre, ou de sculpter, ou de graver, ou d'écrire, ou d'établir un plan : formules menteuses et fanfaronnes ! La joie est dans la vision, elle n'est pas dans l'exécution, toujours inférieure. Quelquefois, il est vrai, lorsque l'œuvre est achevée, on peut l'aimer un peu, mais jamais beaucoup, pour la part de ressemblance qu'elle a avec l'idée entrevue. L'artiste, quel que soit son art, est encore un amoureux de la lumière. Nous naissons avec cet appétit de toute l'âme et de tout le corps : voir clair, être baigné dans la lumière du soleil. Le peuple dit d'une femme : « Elle est belle comme le jour ! » L'Église chante la lumière éternelle. Entre l'artiste et la lumière, c'est à la vie et à la mort, comme entre le laboureur et son champ.

L'artiste est un simple. Tous les grands artistes que j'ai connus cherchaient à simplifier, à trouver, en toute chose, la ligne, le mouvement symbole de la vie et sceau de la création. Ils négligeaient, dans leur œuvre, le vain ornement, et, comme dit joliment Péguy dans la Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d'Arc, toute la « bonbonnerie, la sucrerie et la haute éloquence et sa pâtisserie ». Il y a, autour de nous, tout un faux art, un démarquage, un truquage, fait de violence substituée à la force, de bruit sans âme, de couleur sans dessin, de phrases harmonieuses sans pensée. Cela peut réussir un temps, mais pas deux. Je crois même que les meilleurs artistes sont simples dans leurs manières, et fraternels, et qu'ils restent enfants plus longtemps et plus amplement que le reste des hommes.



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Message  Roger Boivin Mar 21 Juil 2015, 1:24 pm




L'artiste est, enfin, un homme qui sait être pauvre. On en cite qui sont riches : mais ce n'est point leur affaire, on peut le dire, et ils n'y sont pas plus remarquables que d'autres. La science de la richesse m'a toujours paru une science d'hérédité. Les artistes ne naissent pas pour donner cet exemple. Ils donnent celui du désintéressement dont notre époque a également besoin. Presque tous fournissent une somme de travail hors de proportion avec le paiement qu'ils reçoivent. Ils font la fortune de plusieurs commerces et ils se contentent de vivre. Combien vivent heureux, et le disent, qui gagnent malaisément le pain quotidien ! Il ne faut pas les plaindre : ils ont l'autre richesse.

Enviable, délectable et nécessaire fonction humaine que celle de l'artiste ! La fin n'en est pas moins noble que le premier rêve. Je ne puis me souvenir sans émotion des dernières paroles de M. Daumet, qui ont été rappelées lors de la messe du Souvenir, que vous avez fait célébrer à Saint-Germain-des-Prés. Cet homme, d'une si haute distinction d'esprit et de visage, l'un de vos premiers adhérents, au moment de quitter ce monde où il n'avait jamais vécu tout entier, dit, en levant les yeux : « Je vais voir de belles choses ! » Mot sublime, digne d'être gardé et médité ! Destinée incomparable de l'artiste croyant, qui n'a point à changer de vocation, et pour qui mourir c'est simplement aller vivre ailleurs, dans la beauté agrandie.



NOTES D'UN AMATEUR DE COULEURS - René Bazin - 1920 :

https://archive.org/stream/notesdunamateurd00baziuoft#page/282/mode/2up

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