La Sainte Vierge au siècle de Giotto

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Message  Monique Jeu 20 Oct 2011, 11:09 am

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La Sainte Vierge au siècle de Giotto


Pour apprécier justement les Madones des XIVe, XVe et XVIe siècles, pour estimer à sa vraie valeur le mérite relatif des artistes qui les ont peintes, il nous faut insister sur quelques principes que nous avons déjà rapidement indiqués.

« L'art humain, lisons-nous dans les Études Religieuses, comme l'homme auquel il s'adresse, comprend deux éléments : l'un invisible, suprasensible; c'est l'idée, le sentiment, la sensation, la passion; bref, la vie exprimée; l'autre, visible, sensible, c'est la forme expressive qui manifeste la vie physique, intellectuelle ou morale.

De même que l'homme est composé d'esprit et de matière et que la matière doit être soumise à l'esprit, ainsi l'art humain consistera dans l'union des deux éléments et dans la subordination du sensible au suprasensible, du visible à l'invisible, de la forme à l'idée.

C'est pourquoi, en art comme en littérature, il n'y a que deux grandes écoles avec leurs nuances variées : l'école spiritualiste et l'école réaliste, selon la prédominance de l'un ou de l'autre élément. La proportion harmonieuse est difficile à réaliser, la hiérarchie essentielle malaisée à maintenir. La première école est portée à négliger la forme et à tomber dans la sécheresse, la raideur, la convention ; elle peut aboutir à un art trop idéaliste. Ce fut le défaut de l'art au Moyen Age. Son idéal était pur, élevé ; mais il lui restait à parfaire les moyens d'expres​sion(1).

La seconde, en donnant trop à la forme, en vient à sacrifier l'idée et le sentiment. La pente est glissante ; le sensible mène vite au sensuel et le sensuel au charnel. Elle peut descendre jusqu'au matérialisme : l'art n'existe plus ; c'est un corps sans âme. Sans aller jusqu'aux derniers excès du réalisme, la Renaissance fit la part trop large au côté sensible et anatomique (1). »

Ces principes nous serviront à juger sainement Giotto, Fra Angelico et Raphaël, ces trois grands artistes qui, aux XIVe, XVe et XVIe siècles, surent, avec des procédés si divers, peindre si excellemment la Vierge.

A qui donnerons-nous la palme ? Nous le dirons quand nous aurons examiné l'œuvre de ces trois génies.


1. Il ne faudrait pas trop généraliser ce reproche. Nous avons vu, au chapitre précédent, que le Moyen Age avait parfois admirablement uni l'expression à l'idée. Qu'on se souvienne seulement des Vierges de Sainte-Praxède et de Saint-Venance.
1. Études, 5 novembre 1900, pages 299 et 300 ; article de G. Sorta



Référence ICI




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Message  Monique Lun 24 Oct 2011, 11:51 am

Ambrogio di Bondone (2), surnommé Ambrogiotto, puis, par abré viation, Giotto... posa comme loi qu'il fallait s'inspirer de la nature et des débris de l'art antique qu'on commençait à exhumer. C'était nettement rompre avec le formalisme byzantin, dont les règles conventionnelles aboutissaient à des œuvres confuses, rigides et froides; c'était par contrecoup introduire dans l'art un principe d'ordre de mouvement et de vie. C'était l'aurore d'un art nouveau, une Renaissance avant la lettre, « une Renaissance avant la Renaissance (3).

Ces quelques mots suffisent à nous faire comprendre que Giotto dans ses œuvres, donna un soin tout spécial à la forme, à l'expression. Aussi les écrivains de nos jours se plaisent à l'exalter. Peu religieux en général, peu portés pour l'idéalisme du Moyen Age, volontiers ils rangent Ambrogio di Bondone dans ce qu'on appellerait aujourdhui l'école naturaliste ; volontiers ils saluent en lui l'émancipateur, qui « fit pénétrer la vérité et l'humanité dans les formules dogmatiques du Moyen Age (4). »

Tout comme ces écrivains, nous admirons Giotto. Comme eux nous reconnaissons les services qu'il a rendus à la peinture, en assouplissant peu à peu les figures, souvent raides et confuses, des mosaïques et des manuscrits, en simplifiant les gestes, en variant les expressions, en rectifiant les proportions, en un mot, en mettant du naturel et de la vie, là où trop souvent, aux âges précédents régnait le type convenu, le cliché stéréotypé.

Nous osons dire toutefois que, dans le siècle si chrétien que le XIVe siècle, Giotto n'aurait pas eu le prodigieux succès que révèle l'histoire, s'il avait déjà excellemment uni à la perfection plus grande de la forme l'idée toujours chrétienne ; si, entouré qu'il était de contemporains profondément religieux, il n'avait été un peintre essentiellement religieux.

« Le jubilé proclamé en 1300 par le pape Boniface VIII, alors octogénaire, fut un autre événement mémorable dans la vie de Giotto, comme il le fut dans l'histoire de la Chrétienté et même dans celle de l'art chrétien (1). »


2. Né à Vespignano, près de Florence, en 1279.
3. Études, loco cit., page 295.
4. G. Lafenestre, La peinture italienne, tome I, page 66.
1. Rio, tome I, page 189.






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Message  Monique Jeu 27 Oct 2011, 9:34 am

Pour perpétuer le souvenir de ce fameux jubilé, Giotto, malgré sa jeunesse (il n'avait que vingt-quatre ans), fut chargé de décorer la basilique du Prince des Apôtres. Parmi ces peintures, une Vierge apparaît, bien détériorée par le temps ; c'est la première peut-être qu'ait créée le pinceau de ce jeune peintre florentin. En la dessinant, Giotto suivit ici les leçons de son maître. Regardez la Vierge de Cimabuë, à Santa Maria Novella, et les fragments qui nous restent de la Vierge de Giotto.

De part et d'autre l'influence byzantine se fait encore sentir. De part et d'autre, la Madone est svelte ; son visage est allongé ; la pose un peu raide ; et le costume aux plis rigides rappelle les anciennes mosaïques des basiliques chrétiennes.

C'est la première manière du peintre. Mais il ne tardera pas à s'émanciper et à suivre, au lieu des leçons de son maître, les inspirations de son génie. Dans le tableau bien authentique de Santa Croce, vous pouvez apercevoir la grâce et le naturel, remplaçant la raideur un peu compassée de la première image. C'est la seconde manière de Giotto, sa manière définitive.

Assise, Florence et Padoue, voilà les trois villes où Giotto exerça surtout son beau talent. Dans ces trois villes, les fils de Saint-François bâtirent trois magnifiques temples et en confièrent la décoration au jeune peintre dont le nom était alors sur toutes les lèvres.

Toutefois c'est dans la chapelle d'un simple particulier, dans la chapelle de l'Arena, bâtie à Padoue (1303-1306) par Enrico Scrovegni, qu'apparaît avec son développement le plus magnifique l'histoire de Notre-Dame.

On comprend quel enthousiasme de pareilles peintures devaient exciter, au début du XIVe siècle, dans l'âme des fidèles, que les écrits d'un saint Bonaventure avaient si fortement attachés à la Vierge Mère !
Que de vie, que de grâce, que de naturel !





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Message  Monique Jeu 27 Oct 2011, 8:26 pm

Giotto transmit ces trésors à ses disciples, Taddeo Gaddi, Giovanni de Milano, Giottino. A l'église inférieure d'Assise, Giottino a revêtu de peintures les murs de l'édifice. Regardez la Présentation au temple. L'élève s'y montre digne de son maître. Avec quel naturel le petit Jésus se détourne du grand vieillard à barbe qu'est Siméon et se tourne vers sa bonne Mère qui lui tend les bras ! Qui de vous n'a vu pareille scène à son foyer ? C'est la nature prise sur le fait.

Oui, la nature prise sur le fait. Or, au siècle même de Giotto, une école de peinture, école rivale, l'école de Sienne, professait hautement sa volonté de représenter autre chose que « la nature ». En tête de leurs statuts les peintres Siennois écrivaient : « Nous sommes par la grâce de Dieu, ceux qui manifestent aux hommes grossiers et illettrés les choses miraculeuses, faites par la vertu et en vertu de la sainte foi (1). »

En face de l'école, quelque peu naturaliste, de Giotto, l'école de Sienne fait là, vous le voyez, une profession de foi toute spiritualisme.

A l'église San Giovenale d'Orvieto, regardez bien cette fresque un peu détériorée, œuvre du XIVe siècle. La prendrait-on jamais pour une Vierge contemporaine des Vierges de Giotto ? C'est l'idéalisme Siennois opposé au naturalisme Florentin. Dans cette figure quelque peu byzantine, plus rien de la grâce humaine ; mais sous ces traits rigides, mieux que sous les traits si naturels des Vierges de Florence, je devine la Mère de Dieu.

C'est la Mère de Dieu que je reconnais aussi, à la même époque, dans les Vierges des frères Van Eyck, Vierges tenant l'Enfant sur leurs genoux, Vierges debout au pied de la Croix. Comme l'école de Sienne, l'école Flamande, dès son origine, a la noble prétention d'être, pour les hommes grossiers et illettrés, une école de foi et vertu...

Si de la peinture nous passons à la sculpture, si nous considérons les charmants travaux exécutés par les ivoiriers du XIVe siècle, c'est la grâce qui nous y apparaît plus que la grandeur.

Ces sculptures nous charment plus qu'elles ne nous instruisent. Étudiez, à la suite de M. A. Bouillet : l'ivoire de M. Martin Le Roy, le triptyque de M. le baron Oppenheim et le polyptyque de M. Boy. Partout, dans toutes ces Vierges, « la cambrure de la taille, la naïveté légèrement futée de l'expression, la familiarité et la simplicité de l'attitude donne une physionomie caractéristique et d'un charme pénétrant.


1. Gaye, Carteggio inedito d'artisti italiani dei secoli XIV, XV, XVI Firenze, 1839, tome II, page 1.




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Message  Monique Ven 04 Nov 2011, 12:15 pm

On croirait voir réduites à de petites dimensions les histoires qui sont sculptées, à la même époque, au tympan de certaines de nos cathédrales. C'est le même esprit, l'observation des mêmes règles iconographiques, avec, dans la façon dont les personnages sont traités, les mêmes traditions d'aimable sérénité et de liberté gracieuse dans les mouvements (1). » Aux sculpteurs qui fouillaient les porches de nos cathédrales, aux imagiers qui faisaient vivre et parler l'ivoire, on dirait que, du fond de sa Toscane, Giotto a envoyé ses dessins pour modèles.

Vous le voyez donc, cher lecteur, deux courants entraînent l'art chrétien du XIVe siècle : le courant naturaliste et le courant idéaliste. Deux écoles, par leurs préceptes divers, dirigent pinceaux et ciseaux : l'école de Sienne, fidèle aux traditions passées, dont la Flandre si religieuse suit les antiques enseignements ; et l'école Florentine, dont les sculpteurs, découpeurs de pierre ou d'ivoire, suivent les aimables leçons ; l'école de la grâce humaine, des charmes terrestres, et l'école plus austère qui sacrifie parfois la forme à l'idée poursuivie.

L'idéal, nous l'avons dit, serait l'union parfaite du sensible et du suprasensible. Il faudrait que sur la toile, Marie fût réellement Reine, Avocate, Prêtresse, sans cesser d'être femme... Giotto a ajouté du naturel à l'image de Marie ; c'est sa gloire très réelle. Il faudrait maintenant qu'un artiste vînt qui, sans rien enlever à la beauté de la forme, accentuât l'idée supérieure, l'idée religieuse, sans laquelle Marie ne saurait se comprendre.

Cet artiste heureux a-t-il paru sous le ciel ? Nous le croyons. Est-ce Raphaël ? Nous ne le pensons pas. Est-ce le Corrège ? Moins encore. Son nom ? Les siècles l'ont nommé le Bienheureux, Beato, ou encore l'Angélique, Angelico.


1. Tiré d'un article de A. Bouillet, France illustrée, 29 septembre 1900.




FIN

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