LA REINE DU MONDE

Une gracieuse légende orientale raconte que Dieu voulut un jour faire l'inspection du Paradis. A côté de grands saints qui se tenaient dans l'ordre et la paix, chacun à leur place, il en vit d'autres qui semblaient vouloir se cacher sur son passage.

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— « Qu'est-ce que tout ce monde-là? demanda le Seigneur. «

L'archange Gabriel alla chercher saint Pierre. Lentement, le vieux Portier du Paradis s'approcha, portant ses clés, et dit :

— « Je me le demande moi-même depuis longtemps ; je ne sais vraiment pas par ou ces gens-là sont entrés. Parmi eux, beaucoup sans doute n'auront pas leurs papiers en règle ! «

— « Faites mieux attention, reprit le Seigneur. «

Un peu humilié, saint Pierre décida de veiller toute la nuit, dissimulé derrière une colonne, près de l'entrée du Paradis. Les premières heures, tout fut normal. Soudain, vers minuit, voici qu'une faible lueur brille dans le lointain. Saint Pierre la voit qui se rapproche.

— Dieu ! est-ce possible ?

C'était la lampe qui précédait toujours la sainte Vierge, éclairant la nuit les avenues du Paradis. Silencieuse, la grande Dame se dirige vers la porte, tandis qu'au dehors des cris et des sanglots étouffés se font entendre :

—« Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs... Vous qui êtes si bonne, ouvrez-nous la porte du ciel ! »

Avec sa clé d'or, Marie ouvre la porte, et une foule de gens ivres de joie envahit le ciel. Dès l'aube, saint Pierre se présente au Seigneur :

—« J'ai trouvé la clé de l'énigme, explique-t-il. La cause de tout ce beau désordre, — j'ai le regret de devoir vous l'apprendre, — c'est votre Mère ! »

Le Tout-Puissant, invitant au calme le cher Apôtre, se contenta d'ajouter :

—« Marie est la Reine du Paradis. Tout ce qu'elle fait est bien ! »

Oui, Marie est Reine. La fête instituée par Pie XII et qui sera célébrée chaque année le 31 mai en l'honneur de Marie, Reine du Monde, n'est que l'exaltation des privilèges sans nombre dont la Vierge fut ornée, et constitue pour l'heure, le dernier chant du poème que les générations chrétiennes ont composé en son honneur.

Astres et planètes venaient à peine d'être jetés dans l'espace, et Dieu déjà se complaisait à regarder cette Créature qui, un jour, sortirait de ses mains. « C'est Elle dont il est écrit que la première elle fut dans le dessein de Dieu. Et dont Il portait l'image dans son Cœur, quand Il fit, avec son compas, le premier cercle sur l'abîme » (P. Claudel).

Il la voit, dans le jardin de l'Eden, écraser la tête du serpent, et au pied de la Croix recueillir les dernières gouttes du sang rédempteur de son Fils. Elle sera l'Arche de la Nouvelle Alliance qui seule échappera aux ravages du déluge universel; le cèdre du Liban qui, tout en enfonçant ses racines dans la terre, élève majestueusement sa ramure vers le ciel; la rose de Jéricho qui exhale à l'entour son suave parfum; le bel olivier des champs qui annonce le retour de la paix entre le Seigneur et l'œuvre de ses mains.

Saisie dès son premier instant par la force vivifiante de la Rédemption, Marie fait largement fructifier en elle les dons reçus. Sa correspondance sans égale et sans défaillance à la grâce l'unit d'une manière toujours plus étroite à son Dieu.

Mais c'est la Maternité divine qui est la raison fondamentale de sa Royauté. Marie est Reine parce qu'Elle est Mère. « Quia Mater Domini, ideo Ipsa Domina est », parce qu'Elle est la Mère du Seigneur. Elle est Reine, dit saint Albert le Grand, se faisant en cela l'écho de toute la tradition des Pères.

Cette Maternité qui engendre l'Homme-Dieu, Roi du ciel et de la terre, implique aussi une participation totale à son œuvre, et donc à sa Royauté. L'Ange de l'Annonciation parle à Marie de Celui qui naîtra d'Elle comme du Restaurateur du trône de David et d'un Roi dont le règne sera sans fin. Et Marie, par son humble Fiat, inaugure sa coopération à l'œuvre du Christ, c'est-à-dire, à la réalisation historique de sa Royauté. Si humble, si aimable et si douce que Marie apparaisse, Elle n'en est pas moins Reine du ciel et de la terre, d'une Royauté subordonnée à celle de son Fils. Contemplons un instant la beauté de cette Reine.

Je n'entends pas parler seulement de sa beauté physique. Elle devait être unique pourtant la beauté de cette fille de rois, destinée dans le plan de la Providence, à modeler sur ses traits Celui qui donnera la vie en se faisant en tout semblable à ses frères, hormis le péché. Bernadette n'a-t-elle pas déclaré un jour: « Je voudrais mourir rien que pour La revoir ! » Le bienheureux Fra Angelico se la représentait si belle qu'il ne voulait la peindre qu'à genoux. C'est pourquoi l’Église, dans ses litanies, appelle Marie : Rose mystique, Vase de beauté, « Rosa mystica, Vas honorabile ».

Et la beauté spirituelle de Marie, qui pourra jamais la décrire ? Sa parfaite innocence, l'humilité, la douceur, l'amour, le confiant abandon qui attirèrent sur Elle le regard du Très-Haut ? Qui pourra sonder l'abîme de grâce dont son âme pure et virginale fut envahie dès son entrée dans le monde et qui s'accrut en elle durant sa vie entière ? « Pour nous représenter un si grand éclat, pour nous en donner quelque image, dit Bossuet, l’Écriture cherche des expressions extraordinaires. A peine trouve-t-elle dans le monde assez de lumière. Il lui a fallu ramasser tout ce qu'il y a de lumineux dans la nature : la lune à ses pieds, les étoiles autour de sa tête, le soleil la pénètre toute et l'enveloppe de ses rayons (1). »

Toutes les beautés se rassemblent en Marie : beauté de la mère, beauté de l'épouse, beauté de la vierge, beauté de la douleur aussi, car elle ne cesse d'être belle au pied de la Croix, la Corédemptrice, qui offre à Dieu son Fils pour le rachat du monde !

Devant ce ruissellement de beauté on comprend mieux les extases des poètes et des saints :

Je n'ai rien à offrir et rien à
[demander,
Je viens seulement, Mère, pour
[Vous regarder !
Ne rien dire, regarder votre visage, Laisser le cœur chanter dans son
[propre langage,
Parce que Vous êtes belle, parce que Vous êtes immaculée,
La Femme dans la Grâce enfin
[restituée, (2)

A ces strophes, fait écho sœur Élisabeth de la Trinité, quand elle écrit : « Rien qu'à La regarder, je me sens apaisée ! »

Mais cette beauté qui, de tous côtés, envahit Marie et la rend si transparente et si pure, Lui a été donnée pour être déversée par Elle sur ses fils. En devenant, par son Fiat mystérieux, la Mère de Dieu, Elle devient aussi la Mère des hommes, la Nouvelle Ève, cause de leur salut et de leur joie, comme la première avait causé leur perte et leur mort.

Sa Royauté sera donc à leur service. Ce nouveau caractère de la souveraineté, c'est Jésus qui l'a présenté : Que le premier parmi vous soit le dernier. N'imitez pas les princes des nations qui tyrannisent leurs sujets. Le Fils de l'homme est venu pour servir, non pour être servi !

Ainsi Marie. Elle est la servante du Seigneur. Elle se fait aussi la servante de ses créatures, comme à Hébron, chez sa cousine Élisabeth, comme à Cana... Dans l'œuvre de la Rédemption et dans l'économie de la grâce, Elle est toujours la collaboratrice de Jésus.

Saint Bernard affirme que toute grâce nous vient par les mains de Marie. Elle est le canal qui amène à l’Église les eaux vives de la Rédemption. Partout, dans la réception des sacrements, la prière, les œuvres méritoires, Marie ouvre le chemin de la grâce et en prodigue les bienfaits.
Par Elle et la vertu de sa Médiation, les pécheurs reviennent à Dieu, et les justes croissent en sainteté ; par Elle fleurit dans les âmes la vie d'oraison, par Elle aussi l'effort missionnaire dilate l’Église jusqu'aux confins du monde.

Pie XII dit un jour : « Notre siècle est le siècle de Marie. » Ce siècle, en effet, a été marqué par la définition de l'Assomption, l'Année mariale, l'institution de la fête liturgique de Marie, Reine du Monde. Il s'achemine peut-être vers la définition de sa Médiation universelle. Bientôt des foules innombrables célébreront à Lourdes le centenaire des apparitions de l'Immaculée.

Mais ce siècle est aussi le siècle de Marie parce que, dans le désarroi universel des esprits, la Mère de Jésus reste l'Espérance de l'humanité, le remède aux maux qui l'affligent. Elle invite toutes les nations à lever les yeux vers sa beauté rayonnante, et à suivre ses leçons de charité, de concorde et d'amour. Au lieu de l'égoïsme, de l'orgueil, de la soif des biens et des plaisirs terrestres, elle veut que nous mettions dans nos vies : la simplicité, l'humilité, la pénitence, parce qu'à nous tous aussi, la Reine du ciel veut ouvrir un jour, avec sa clé d'or, la porte du Paradis...