Saint Boniface

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Message  Arthur Mar 16 Fév 2010, 8:22 am



Il commença par la Bavière. Ce pays était un des plus intéressants parmi ceux qui relevaient de sa sollicitude pastorale. La Bavière s'étendait alors sur la rive droite du Danube depuis l'Iller à l'ouest jusqu'à l'Ems à l'est, et comprenait par conséquent la Haute Autriche, le pays de Salzbourg, le Tyrol et une partie de la Styrie.


Au nord du fleuve, elle disputait aux Francs une région qu'elle s'est depuis lors assimilée, et qui s'appelait le Nordgau. Le pays était converti au christianisme depuis quelques générations, grâce au prédications de saint Rupert à Salzbourg, de saint Corbinien à Frisingue, et de quelques autres. D'autre part, la dynastie ducale, appartenant à la célèbre famille des Agilolfings, était sincèrement chrétienne, et les derniers princes avaient donné des preuves de leur zèle pour la religion.


Ce qui manquait à l'Église de Bavière pour jouir d'une vrai vitalité, c'était le groupement hiérarchique de ses chefs sous l'autorité métropolitaine, c'était le fonctionnement périodique des conciles, c'était le lien avec Rome, le centre du monde chrétien.


On s'en rendait compte en Bavière, car déjà en 716, l'année même où Boniface encore inconnu mettait les pieds sur le continent, le duc Théodon II, le premier des princes allemands qui ait fait le pèlerinage de Rome, avait rapporté de la Ville Éternelle des instructions et ramené des légats pontificaux qui devaient, dès lors, donner à ce pays l'organisation d'une province ecclésiastique complète. Ils avaient la triple mission d'instituer un archevêque, de créer des évêchés, de convoquer et de tenir des conciles.


Mais la mort de Théodon, survenue dès 717 et suivie de querelles dans sa famille, avait fait échouer ce projet, et son fils Grimoald avait témoigné de son peu de zèle pour une réforme religieuse en épousant sa belle-soeur contrairement aux canons.


C'est seulement le rétablissement de l'unité nationale de la Bavière sous Hubert, petit-fils de Théodon, qui permit de reprendre le projet abandonné, et ce fut la première tâche à laquelle se consacra Boniface. Elle l'occupa de 732 à 741, mais, comme on le verra bientôt, il ne put la mener à bonne fin qu'au retour de son troisième voyage à Rome, en 738.

Arthur

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Message  Arthur Mer 17 Fév 2010, 8:09 am


Ce n'est pas seulement l'impulsion de la piété ni le désir de faire la connaissance personnelle du souverain pontife qui le ramenaient, après seize ans, au tombeau des saints apôtres, c'était aussi et surtout le besoin de recueillir, sur les lèvres mêmes du chef des fidèles, la solution de tous les doutes qui assiégeaient sa conscience, avec les indications et les directions dont il sentait plus que jamais le besoin impérieux.


Déjà, dans la lettre par laquelle il lui annonçait son élévation à l'archiépiscopat, le pape avait répondu à plusieurs de ses questions, mais il en avait résolu quelques-unes dans un sens moins large que son prédécesseur Grégoire II, et il tardait apparemment à Boniface d'aller s'expliquer avec lui.


Il partit, accompagné cette fois encore d'un grand nombre de disciples, et son séjour à Rome se prolongea près d'une année. Rien que cette durée atteste l'importance et le nombre des problèmes qu'il soumettait au juge infaillible de la foi. Il eut d'ailleurs tout lieu de se réjouir du succès de son voyage.


Le pape, écrivit-il de Rome à ses intimes, lui avait réservé le meilleur accueil et lui avait fait les réponses les plus consolantes, tout en l'encourageant à persévérer dans ses féconds travaux. En leur annonçant ces bonnes nouvelles, il ajoutait qu'il n'attendait, pour quitter Rome, que la réunion d'un concile dont la date n'était pas encore fixée : aussitôt qu'il aurait eu lieu, il prendrait le chemin du retour.


Ce dernier détail est instructif, en ce qu'il nous permet de reconnaître une des principales sources où Boniface allait compléter ses connaissances canoniques et dogmatiques : c'est incontestablement dans ces solennelles assemblées où les docteurs de l'Église, sous la présidence de l'autorité infaillible, débattaient entre eux et résolvaient, en qualité de législateurs, les questions qui intéressaient la vie religieuse de leur temps.


Boniface quittait pour la troisième fois le centre de la catholicité, qu'il ne devait plus revoir. Cette fois, il ramenait une des plus précieuses conquêtes qu'il eût faites au cours de ses migrations apostoliques : son compatriotes et parent Wunnibald.

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Message  Arthur Ven 19 Fév 2010, 8:13 am



L'histoire de ce moine anglo-saxon nous peint au vif l'énergie et l'esprit aventureux de sa race. Wunnibald et son frère Willibald appartenaient à une famille noble; on a même soutenu qu'ils étaient de race royale. Tous deux avaient embrassé la vie monastique dès leur plus tendre jeunesse.


Mais la paix du cloître ne suffit pas toujours à ces ardentes natures barbares, pour qui les pèlerinages lointains étaient comme le souvenir des expéditions guerrières de leurs ancêtres. Ils voulurent visiter à leur tour les sanctuaires vénérés.


Willibald, qui était le plus résolu des deux, détermina son frère à l'accompagner, et tous deux entraînèrent leur père, bien que les enfants de son second lit fussent encore en bas âge. Mais les fatigues de la route épuisèrent les forces du vieillard; lorsqu'on eut passé les Alpes, il vint expirer à Lucques, et ses fils, après avoir déposé son corps dans la terre étrangère, continuèrent seuls leur voyage.


Wunnibald se considéra comme au terme de ses pérégrinations lorsqu'il fut arrivé avec son frère dans la ville sainte. Pendant que l'impétueux Willibald continuait sa route jusqu'à Jérusalem, il se fit recevoir comme moine dans un monastère romain, heureux de couler le reste de ses jours à l'ombre des grands souvenirs chers à la foi catholique.


C'est dans cette retraite que le trouva l'apôtre de Germanie. L'éloquence du prélat et le dévouement du moine durent se rencontrer sur les mêmes hauteurs idéales, puisqu'il fut donné à Boniface d'arracher son parent à la douceur de l'existence religieuse dans sa seconde patrie, pour le conduire aux labeurs épuisants de l'inculte Allemagne et parmi les barbares adorateurs de Wodan.


Cette conquête lui en amena une autre, car, quelque temps après, Willibald, revenu de Palestine, se laissait décider par son frère à le rejoindre en Allemagne, et à se mettre comme lui au service de l'oeuvre d'apostolat.


C'est au printemps de 739 que Boniface dit adieu à la Ville Éternelle, et, accompagné de tous les siens, regagna sa patrie adoptive. Cette fois encore, Luitprand donna l'hospitalité du palais royal de Pavie à la sainte caravane.


Comme lors de son dernier voyage, le saint emportait un précieux trésor de reliques destinées aux sanctuaires qu'il avait fondés, et plusieurs lettres de recommandation que lui avait données le pape.


Dans la première, adressée aux évêques et aux abbés des pays par où devait passer le saint, il exhortait à le recevoir comme un prophètes, et ajoutait :


" Si quelqu'un de vos prêtres veut se joindre à ce saint homme pour la prédication de la foi catholique, n'y mettez pas d'obstacle; prêtez-lui plutôt votre concours, en lui fournissant des collaborateurs dans le ministère de la parole divine, afin qu'il gagne des âmes à Dieu et que vous deveniez vous-mêmes des participants de ses mérites " .


Aux peuples de la Hesse et de la Thuringe, il recommandait d'obéir à leur apôtre et à ses ministres, et de répudier leurs pratiques païennes.


Aux évêques de Bavière et d'Allémannie enfin, en leur présentant son légat, il rappelait l'obligation de tenir un synode deux fois l'an, il leur prescrivait de s'entendre avec Boniface sur le choix du lieu, qui pourrait être une ville des bords du Danube, ou Augsbourg ou tout autre; enfin, il les mettait en garde contre les pratiques païennes et contre les erreurs des prêtres bretons.


Comme on le voit par cette dernière lettre, l'action que Boniface allait exercer en Bavière venait d'être concertée entre lui et le pape. Il s'agissait de reprendre le programme qui avait été tracé, en 716, au duc Théodon, et dont l'accomplissement avait toujours été retardé par les circonstances.

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Message  Arthur Sam 20 Fév 2010, 9:46 am

Le duc Hubert venait de mourir, mais son successeur Odilon fit un accueil empressé au légat du Saint-Siège, et l'oeuvre de la réorganisation de l'Église de Bavière put être menée à bonne fin. Boniface commença par la division régulière du pays en diocèses.


La Bavière avait possédé plusieurs sièges diocésains, à savoir, Salzbourg, Frisingue, Ratisbonne et Passau, mais, à part ce dernier, qui était occupé par l'Évêque Vivilo, ils étaient vacants, et les diocèses à l'abandon restaient aussi sans délimitation.


Boniface y pourvut avec le concours du duc : il plaça Jean à Salzbourg, Erembert Frisingue et Garibald à Ratisbonne, et rouvrit pour ces trois villes la série de leur diptyques épiscopaux.


Ces premiers résultats, que Boniface s'empressa d'annoncer au pape, lui valurent une lettre où le souverain pontife remerciait avec effusion son fidèle légat de tout le bien qu'il avait accompli.


En lui donnant de nouvelles instructions sur la conduite à tenir dans ses réformes ultérieures, il lui laissait entrevoir la grandeur de la récompense céleste qu'il se préparait, et lui redisait la parole évangélique : " Serviteur bon et fidèle, parce que tu as été fidèle dans les petites choses, je t'en confierai de grandes; entre dans la joie de ton Seigneur. "


Restait à remplir une autre partie du programme pontifical, c'est-à-dire, à convoquer un concile national de Bavière. Le manque de documents ne nous permet pas de dire si cette réunion put être tenue.


Mais le zèle de Boniface à accomplir point par point les prescriptions du souverain pontife nous autorise à croire qu'il ne se sera pas dérobé à la tâche, et le silence de nos sources semble fournir un indice favorable à cette supposition.


C'est un concile seulement qui pouvait fournir au légat du pape l'occasion de procéder en Bavière à l'énergique travail de réforme que son biographe nous décrit en quelques mots : remise en vigueur des prescriptions de la religion, châtiment des destructeurs d'églises et des séducteurs du peuple, déposition des mauvais prêtres.


Et cette réforme fut féconde, si l'on s'en rapporte à l'essor que prirent à partir de cette date les institutions religieuses en Bavière. Rien que de 740 à 778, il s'y fonda jusqu'à vingt-neuf monastères, et l'on peut dire que l'avenir de la foi catholique fut dès lors assuré dans ce pays.


Son rôle terminé en Bavière, le saint se hâta de regagner la Thuringe. Cette fois, vrai pêcheur d'hommes, à l'exemple du maître qui l'avait envoyé, il emmenait avec lui plusieurs enfants de grande famille, qui lui étaient confiés à titre d'oblats.


Parmi eux se trouvait le jeune Sturmi, qu'il confia à Wiethbert, abbé de Fritzlar, où on lui apprit les lettres et l'Écriture Sainte. Sturni devait être dans la suite l'un des meilleurs collaborateurs de Boniface, et l'on verra plus loin le rôle important qui lui était réservé dans la réalisation d'un des projets favoris du saint.


Les instructions du pape portaient que Boniface devait fonder des sièges épiscopaux en Hesse et en Thuringe aussi bien qu'en Bavière. Au moment de mettre la main à l'oeuvre, le vigoureux travailleur rêva-t-il de prendre pour lui un des diocèses qu'il allait créer, et de se dérober au lourd fardeau de l'Église de Germanie tout entière ?


On le dirait, à voir le pape, dans la lettre que nous venons de citer, répondre en ces termes à une question qui sans doute lui avait été posée par son légat :


" Tu n'as pas le droit de te reposer de tes labeurs dans un endroit déterminé. Confirme dans la foi tes frères et tous les fidèles nouveaux dans ces régions de l'Hespérie; ne te lasse pas de prêcher la parole de Dieu, partout où le Seigneur t'ouvrira les voies ". De telles paroles étaient des ordres pour le saint.


S'il avait songé à s'établir dans un des diocèses nouveaux pour diminuer ses peines ou sa responsabilité, il n'y pensa plus et n'en parla plus par la suite. Et, faisant pour la Hesse et pour la Thuringe ce qu'il venait de faire pour la Bavière, il se mit en devoir d'y établir la hiérarchie catholique.


La chose était moins aisée ici que là. La Bavière était une terre d'antique civilisation romaine, avec de vieilles villes où il y avait eu des sièges épiscopaux de l'époque impériale, et où il était relativement facile de renouer le fil de la tradition hiérarchique.


Au contraire, dans les deux pays qui étaient le domaine propre de son apostolats, la culture était de fraîche date, les villes manquaient, et il était difficile d'obéir aux instructions de deux papes successifs, si l'on voulait en même temps tenir compte de la recommandation qu'ils avaient faite de ne pas créer de siège diocésain dans les petites localités, de peur que le prestige épiscopal ne fût diminué.


Le saint fit ce qu'il put. En Hesse, il établit le siège épiscopal à Büraburg, localité peu importante sans doute, mais qui, située entre ses deux fondations monastiques de Fritzlar et d'Amoeneburg, était en quelque sorte le centre de la chrétienté naissante de ce pays.


Boniface confia le nouveau diocèse à Wittan, un des moines anglo-saxons qui, à son appel, avaient passé la mer.


Quant è la Thuringe, coupée comme en deux parties par la vaste forêt qui courait sur ses hauteurs, il en fit deux diocèses. Celui de la Thuringe septentrionale reçut pour chef-lieu Erfurt, dans le voisinage de son monastère d'Ohrdruff. On en ignore le premier titulaire.


La Thuringe méridionale, plus connue depuis sous le nom de Franconie, possédait une ville naissante qui avait servi de résidence à plusieurs de ses ducs : c'était Würzbourg sur le Mein. Boniface fit monter sur ce siège son fidèle Burchard.


Toute cette organisation hiérarchique était achevée en 741, car c'est tout au commencement de 742 que Boniface en demanda la confirmation au souverain pontife, qui la lui accordait dans une lettre datée du 1er avril de la même année.


Une seule région restait en dehors du réseau hiérarchique dont les mailles enveloppaient maintenant toute l'Allemagne chrétienne, c'était le Nordgau, ce prolongement septentrional de la Bavière sur la rive gauche du Danube.


Boniface y pourvut quelque temps après. Il y avait sur une colline boisée, aux bords de ce fleuve, une chapelle dédiée à la Sainte Vierge, dont le comte Luitger, qui l'avait bâtie, avait fait don à Boniface : celui-ci y avait érigé un monastère, et il y plaça plus tard un évêque.


La ville s'appelle Eichstaedt, l'évêque, c'était ce Willibald qui revenait de son long pèlerinage en Terre Sainte, et qui trouva ici une occupation digne de lui.


Son frère Wunnibald et sa soeur Walburge vinrent le rejoindre, et prirent la direction du monastère double de Heidenheim, pendant que leur compatriote Sola, accouru sur leurs traces, édifiait et rédigeait celui de Solnhofen. La petite pléiade de missionnaires anglo-saxons faisait apparaître une constellation nouvelle dans le firmament religieux de l'Allemagne.


C'est ainsi que ce grand pays se voyait définitivement incorporé à l'Église universelle, et réparti en groupements hiérarchiques réguliers dont la vie se développait sous la haute direction du légat de Rome.

Arthur

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Message  Arthur Lun 22 Fév 2010, 8:31 am


Cette organisation religieuse a traversé les âges, bien qu'elle ait réclamé de bonne heure quelques modifications rendues nécessaires par les circonstances géographiques du pays.


Ce n'est pas en vain que le pape, en imposant à Boniface l'obligation de créer des diocèses, lui avait rappelé la prescription canonique qui interdisait de les établir dans de petites localités.


Cette règle si sage n'avait pu trouver son application en Hesse et dans la Thuringe septentrional, où les villes manquaient, et le saint avait dû se contenter de faire choix des sites qui semblaient le plus appelés à devenir des centres importants de population.


Aussi, pendant que les sièges de Würzbourg et d'Eichstaedt arrivaient rapidement à la prospérité, Büraburg, Megingoz, se vit amené à transférer sa résidence à Fritzlar, et Fritzlar même ne garda pas longtemps son autonomie, car le diocèse finit par aller se fondre dans celui de Mayence.


Erfurt aussi disparut, à une époque qui n'a pas encore pu être déterminée. Au surplus, ces deux diocèses ne périrent pas entièrement; sous Charlemagne, Paderborn vint prendre la place laissée vide par la disparition de Fritzlar, et Halberstadt fournit aux peuples de la Thuringe une compensation pour la perte d'Erfurt.


De toute manière, Boniface pouvait regarder avec satisfaction l'oeuvre à laquelle il avait consacré une vingtaine d'années.


Cette Allemagne, à moitié idolâtre, aux trois quarts barbare et totalement inculte, qu'il avait trouvée au début de son apostolat, il la laissait convertie, civilisée, rattachée à l'unité vivante de l'Église universelle, défrichée par le zèle infatigable d'une légion d'ouvriers inspirés.


" L'Église de l'Allemagne centrale est son oeuvre "; cette forte et simple parole d'un historien protestant résume d'une manière éloquente toute la première partie de la carrière du saint.


N'est-il pas bien remarquable qu'au milieu de ces hautes préoccupations et de ces éclatants succès, l'âme du missionnaire et de l'apôtre, au lieu de se reposer dans la jouissance heureuse de ses triomphes, soit restée inquiète et préoccupée ?


Ce qu'il avait fait était si peu de chose, à ses yeux, au regard de ce qu'il avait rêvé ! Il était tourmenté par la sublime inquiétude du zèle apostolique. qui ne croit avoir rien fait tant qu'il reste quelque chose à faire.


Il eût voulu réaliser le royaume de Dieu sur terre, et comment s'étonner de sa sainte tristesse à voir continuer autour de lui tant de barbarie et tant d'ignorance ?

Arthur

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Message  Arthur Mar 23 Fév 2010, 8:28 am



Et puis, d'autres soucis plus cuisants encore ne cessaient de ronger son âme. Toujours sa conscience alarmée évoquait le souvenir du serment qu'il avait prêté au pape d'éviter la communion des mauvais prêtres, et il lui avait été impossible, sous peine de compromettre toute sa chère mission, de tenir complètement cette promesse.


En vain Grégoire II avait pris lui-même la peine de le rassurer, en interprétant dans le sens le plus large l'engagement que Boniface avait pris vis-à-vis de lui. La crainte d'être parjure lui était restée; seulement, ce n'est plus au pape, c'est à son vieil ami Daniel de Winchester qu'il confiait ses douloureuses incertitudes.


" C'est l'habitude des hommes, lui écrit-il, lorsqu'il arrive quelque chose de triste ou de fâcheux, de chercher conseil ou consolation chez ceux dont l'amitié et la sagesse leur inspirent le plus de confiance.


C'est ainsi que moi, m'en remettant entièrement à la sagesse et à l'amitié de votre paternité, je vous expose les angoisses de mon âme accablée et je prends mon recours auprès de vous.


Je n'ai pas seulement, selon le mot de l'apôtre, des combats au dehors et des craintes au-dedans; mes combats sont intérieurs comme mes craintes, grâce surtout aux faux prêtres et aux hypocrites.


Ces hommes sont les ennemis de Dieu; ils se perdent eux-mêmes et ils séduisent le peuple qu'ils scandalisent et trompent, lui disant comme le prophète : paix, paix, et il n'y a point de paix.


La semence de la parole, que j'ai recueillie au sein de l'Église catholique et apostolique et que je m'efforce de répandre, eux, il y sèment de l'ivraie, ils essaient de l'étouffer ou de la convertir en herbes empoisonnées.


Ce que je plante, ils ne l'arrosent pas pour la faire croître, ils travaillent à l'arracher pour le faire sécher, prônant au peuple des sectes nouvelles et lui enseignant divers genres d'erreurs.


Les uns s'abstiennent des aliments que Dieu a faits pour nous; certains se nourrissent que de lait et de miel, rejetant le pain et toute autre nourriture.


D'autres, au grand détriment des fidèles, leur affirment que des homicides et des adultères, même s'ils persévèrent dans leurs crimes, peuvent devenir des prêtres de Dieu. Et les peuples, selon la parole de l'apôtre, ne supportent plus la saine doctrine, mais écoutent des maîtres selon leurs désirs.


" Pour nous, qui allons chercher le patronage des souverains francs dans leur palais, nous ne pouvons pas nous abstenir de la communion corporelle de pareils prêtres ni nous séparer d'eux, selon les prescriptions des canons; tout au plus pouvons-nous éviter de participer à leur communion dans le sacré mystère du corps et du sang du Seigneur.

Mais ce que nous évitons soigneusement, c'est l'entente avec eux. De tels hommes sont bien étrangers à nos combats contre le paganisme, à nos labeurs au milieu de la multitude.


Au contraire, s'il arrive qu'un prêtre ou un diacre, un clerc ou un moine fuit le sein de l'Église notre mère, et s'écarte de la vérité et de la foi, alors ils rivalisent avec les païens en blasphèmes contre les enfants de l'Église. C'est là un cruel obstacle à l'Évangile de la gloire du Christ.


" En toutes choses, et pour que nous puissions accomplir le cours de notre ministère sans détriment pour notre âme, nous demandons d'abord l'intercession de votre paternité auprès de Dieu.


Nous vous supplions par ce Dieu, de la manière la plus intime, de prier pour nous, pour que nos âmes se gardent intactes au milieu de tels troubles.


" Puis, je désire ardemment entendre votre sage conseil au sujet de la communion avec les susdits prêtres.


Sans le patronage du prince des Francs, je ne peux ni gouverner les fidèles de l'Église ni défendre les prêtres et les clercs, les religieux et les religieuses; je ne puis même pas, sans un de ses ordres et sans la crainte qu'ils inspirent, empêcher les rites païens et les pratiques de l'idolâtrie.


Et cependant, quand j'irai le trouver pour lui demander son intervention, je ne pourrai d'aucune manière m'abstenir de la communion corporelle avec ces mauvais prêtres; tout au plus pourrai-je éviter l'entente avec eux.


Et je crains que par là je ne sois en faute. Car je me rappelle avoir, du temps de mon ordination, juré sur le corps de saint Pierre, selon le précepte du pape Grégoire, d'éviter leur communion, si je ne pouvais les ramener à la voie canonique.


D'autre part, je redoute un plus grand dommage pour la prédication que je donne aux peuples, si je ne vais pas trouver le prince des Francs. Daignez me dire ce que votre paternité croit devoir, en cette matière, conseiller à un fils inquiet et affligé. "

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Message  Arthur Jeu 25 Fév 2010, 8:20 am


À toutes ces effusions d'une âme angoissée, le vieil évêque de Winchester répondit longuement et sur le ton de la plus affectueuse amitié.


Tout en montrant de la compassion pour ses souffrances, il s'efforçait de lui rendre courage en lui inculquant que tant d'opposition et de traverses étaient la preuve de l'excellence de son oeuvre, et que c'était au prix des mêmes épreuves que les saints avaient gagné le Ciel. Patience donc ! répétait-il.


Et, arrivant à la question qui formait le principal objet des soucis de son correspondant, il lui demandait avec une douce ironie comment, tout en ayant pour les mauvais prêtres la légitime horreur qu'ils méritaient, il était possible d'éviter la communion corporelle avec eux à moins de sortir de ce monde.


Puis, entrant plus avant dans la difficulté, il s'efforçait de lui montrer, en s'appuyant sur l'autorité des Pères de l'Église, que ses scrupules étaient peu fondés. Notre-Seigneur lui-même, qui n'était pas venu pour appeler les justes, ne s'était-il pas assis à la table des pécheurs, et la parabole du bon grain et de l'ivraie n'indiquait-elle pas qu'il faut se résigner au mélange des bons et des mauvais ici-bas ?


Ces remarques, présentées en tremblant par le vénérable évêque, n'étaient guère faites pour rassurer Boniface; elles ne rencontraient pas même la redoutable question du serment prêté, qui était sa grande angoisse; aussi comprend-on que ses scrupules aient survécu à cette nouvelle consultation, et qu'ils l'aient accompagné pendant presque toute sa vie.


Ce ne fut pas la seule difficulté qui tourmentât la délicatesse de cette noble conscience. Dans sa correspondance de cette époque, nous retrouvons la trace de plusieurs autres consultations qu'il a demandées à ses amis d'Angleterre.


Un prêtre prévaricateur, après sa pénitence, avait été rétabli dans sa charge par les Francs; il habitait un vaste pays, où il était le seul ministre de la religion, conférait le baptême et disait la messe.


La rigueur du droit canon voulait que Boniface l'écartât, mais l'intérêt des âmes s'opposait à la lettre de la loi : car, si on l'éloignait, les enfants mourraient sans baptême. Que fallait-il faire, et où était le moindre mal ?


Un autre prêtre, qui était également tombé dans le péché et avait fait pénitence, s'était vu rétablir dans sa dignité primitive.


Il était en grand honneur auprès du clergé et des fidèles, qui ignoraient qu'il eût été pénitent; lui enlever son rang, c'étaient révéler sa faute secrète, c'était scandaliser la multitude et faire périr plus d'une âme, c'était amoindrir le prestige du clergé et par là l'efficacité de son ministère.


Boniface avait donc pris sur lui de maintenir le prêtre en question dans la dignité qu'il occupait indûment, préférant le péril d'un seul à la perte de beaucoup. Mais sa perplexité était grande, et il demanda conseil, cette fois, à son ami Ecbert, archevêque d'York.


Nous ne possédons pas la réponse de celui-ci et nous ignorons ce qui résulta de cette double consultation; au surplus, l'intérêt de l'épisode réside plutôt dans la question que dans la réponse, en ce qu'elle nous fait pénétrer dans l'intimité de la conscience du saint et qu'elle nous montre la haute notion qu'il avait de sa responsabilité pastorale.

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Message  Arthur Ven 26 Fév 2010, 8:15 am



Une autre difficulté qui le troubla plus longtemps, parce qu'elle n'était pas seulement pratique, mais encore doctrinale, ce fut celle de la licéité du mariage entre gens unis par les liens spirituels.


On sait quelle était, à cette époque, la tendance de l'Église. Assimilant la parenté spirituelle qui résultait du sacrement de baptême entre parrain et filleul à la parenté selon la chair, elle la considérait comme un empêchement dirimant du mariage.


Le parrain et la marraine étant respectivement le père et la mère de l'enfant qu'ils avaient tenu sur les fonts, aucun lien d'ordre charnel ne pouvait être établi entre eux et lui, et une telle union aurait été incestueuse, à peu près comme celle d'un père avec sa fille ou d'une mère avec son fils.


Sur ce point, l'on était d'accord dans l'Église. Mais la question se présenta un jour pour Boniface d'une manière toute nouvelle. Un de ses chrétiens était devenu le parrain d'un enfant; plus tard, le père de celui-ci étant mort, il avait épousé la veuve.


Or, le clergé romain et franc soutenait qu'un tel mariage était illicite, cet homme étant devenu par le baptême le compère de cette femme, et ayant contracté avec elle un lien de parenté spirituelle qui excluait tout lien purement charnel entre ces mêmes personnes.


Boniface fut très surpris de cette extension donnée à l'empêchement canonique. " Si un tel mariage est un péché, dit-il, je l'ai toujours ignoré, et je ne l'ai jamais appris, ni dans les anciens canons, ni dans les décrétales des papes, ni dans le Calculus peccatotum des apôtres. "


Et il organisa, cette fois, une consultation des plus sérieuses, puisque nous le voyons s'adresser à trois de ses compatriotes : à l'archevêque Nothelm de Canterbury, à l'évêque Pechtlem de Withern, ainsi qu'à un abbé du nom de Duddon, pour leur demander le concours de leurs lumières.


" Si vous trouvez quelque chose à ce sujet dans la littérature ecclésiastique, veuillez m'en faire part, et dites-moi ce que vous pensez de la question. Pour moi, je ne puis comprendre d'aucune manière comment la parenté spirituelle pourrait être considérée comme un empêchement de mariage, puisque, par le saint baptême, tous les chrétiens sont devenus fils et filles du Christ, et frères et soeurs entre eux ".


Cette question des mariages présentait une autre difficulté qui devait être ressentie péniblement par tous les missionnaires prêchant l'Évangile en pays barbare; il s'agissait de savoir jusqu'à quel degré de parenté le mariage était interdit.


La tendance de l'Église et la pratique barbare étaient ici dans une opposition des plus radicales; celle-ci tolérant l'union à partir du second degré, celle-là ayant pour idéal que le mariage devait être interdit dans tous les cas où on avait conscience d'une parenté quelconque.


Cet idéal, il est vrai, l'Église n'a pu le faire prévaloir, et de bonne heure elle avait reconnu la nécessité de pactiser avec les tendances irrésistibles de la nature humaine, mais l'étendue des concessions qu'elle faisait sous ce rapport avait varié selon le caractère des papes.


Saint Grégoire le Grand, dans ses célèbres réponses à saint Augustin de Canterbury, n'avait prohibé que les alliances au second degré de la parenté, et les avait autorisées à partir du troisième.


Boniface, à son tour, s'était vu amené à poser à Grégoire II la même question qu'Augustin à Grégoire I, et il avait reçu en 716 cette réponse : qu'à la vérité, il était désirable que l'interdiction du mariage subsistât partout où subsistait la parenté, mais que, tenant compte des circonstances et surtout de la barbarie des nouveaux convertis, on pouvait autoriser le mariage à partir de la quatrième génération.


Mais voici qu'en 732 le pape Grégoire III formulait une interdiction bien autrement rigoureuse, en déclarant que l'empêchement du mariage existait jusqu'à la septième génération.


Il faut croire que, cette fois, Boniface s'émut de la déclaration; il s'informa des précédents, il allégua la réponse de saint Grégoire le Grand à Augustin.


À Rome, on lui répondit que l'article relatif à cette question manquait dans les manuscrits de saint Grégoire qu'on possédait dans les archives pontificales.


Boniface ne se tint pas pour satisfait de cet argument négatif; il écrivit à l'archevêque Nothelm de Canterbury, lui demandant de lui envoyer le texte de la consultation de saint Grégoire le Grand, et le supplia de bien vouloir, par un examen minutieux, se convaincre si l'article en question était authentique.


Nous ne savons malheureusement pas quelle fut la suite de cet incident, non plus que de celui qui précède l'autre, ce me semble, jettent une vive lumière sur le caractère du saint.


Son indéfectible soumission à la chaire romaine n'a rien d'aveugle ni de servile; c'est une obéissance raisonnable; elle n'est jamais plus complète et plus joyeuse que lorsque sa raison lui en a fourni la justification.


Il sait d'ailleurs que le pape n'est et ne peut être que le gardien de la tradition catholique; il discute librement avec lui les questions libres, et l'humilité de son coeur n'a d'égale que la fermenté de sa dialectique.

Arthur

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Message  Arthur Lun 01 Mar 2010, 10:14 am

CHAPITRE V

LA RÉFORME DE L'ÉGLISE FRANQUE


La vieillesse était venue pour Boniface au cours d'un quart de siècle de travaux apostoliques. Il était usé par la fatigue plus encore que par l'âge.


Le vide se faisait autour de lui. Il voyait disparaître, l'un après l'autre, ceux qui avaient été les témoins et les protecteurs de ses premiers efforts. Son doux et généreux maître, le pape Grégoire II, était parti depuis longtemps pour un monde meilleur.


Maintenant c'était le tour du puissant Charles Martel, qui venait d'expirer en octobre 741, après s'être recommandé avec sa famille aux prières du saint. Le 29 novembre de la même année, il avait été suivi dans la tombe par le pape Grégoire II.


Une autre génération se levait, et l'apôtre des Francs, qui appartenait à l'ancienne, pouvait croire qu'il avait le droit de passer à des mains plus jeunes le flambeau de la civilisation, qu'il avait porté si longtemps à travers les forêts de l'Allemagne.


Toutefois il ne pensait pas au repos. Un de ses premiers soins fut de féliciter le nouveau pape Zacharie, qu'il connaissait déjà personnellement, et de lui renouveler ses protestations de dévouement au Saint-Siège.


" Je vous serai, lui écrivait-il, un serviteur fidèle et dévoué, et je ne cesserai d'incliner à l'obéissance envers l'Église romaine tous ceux que Dieu me donnera pour disciples dans les provinces qui me sont confiées. "


Telles étaient les dispositions dans lesquelles le trouvait la nouvelle tâche qui allait peser sur les épaules du vétéran des missions chrétiennes. Il avait été le fondateur de l'Église de Germanie, il lui était réservé d'être le réformateur de l'Église franque, et ce rôle est tellement grand, qu'il égale le premier et semble suffire seul à remplir une carrière entière d'ouvrier évangélique.


La succession de Charles Martel venait de s'ouvrir. Bien que ce prince eût partagé son héritage entre ses fils Carloman et Pépin, il paraît bien qu'un fils du second lit, Grifon, eut quelque temps de sérieuses espérances d'infirmer en partie le testament paternel avec l'aide de sa mère Swanahilde.


Boniface, qui pendant toute sa vie se tint avec une sollicitude jalouse à l'écart des contentions de la politique, semble avoir considéré ce prince comme le cohéritier de ses frères, puisque nous possédons une lettre par laquelle il lui recommande ses missions de Thuringe.


Mais Grifon fut écarté de bonne heure, et c'est Carloman qui, en vertu des dispositions de son père mourant, succéda à celui-ci dans le gouvernement de toute l'Austrasie.


Ce fut un grand bonheur pour la civilisation et pour l'Allemagne que l'avènement du nouveau monarque.


Âme profondément religieuse, que le repentir de ses fautes autant que l'attrait de la vie monastique devait finalement conduire du trône dans le cloître, Carloman était le souverain qu'il fallait à Boniface, parce qu'il comprenait la grandeur de son oeuvre apostolique et qu'il correspondait à ses voeux ardents de réforme. On va voir si une réforme était nécessaire.

Arthur

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Message  Arthur Mar 02 Mar 2010, 9:04 am


Il y a peu de tableaux aussi lugubres dans l'histoire que celui de l'Église et du clergé dans le royaume franc, pendant l'époque de transition qui assista à l'agonie de la dynastie mérovingienne et à l'ascension graduelle d'une nouvelle famille royale.


Pour s'en faire une idée, il n'est besoin que d'ouvrir la correspondance du saint lui-même. Ce n'est, pendant des années entières, qu'un long cri de douleur et d'indignation contre les scandales et les abus dont il était le témoin trop souvent impuissant.


Les épreuves dont il s'est vu assailli au cours de ses missions de Hesse et de Thuringe ont été bien amères sans doute, mais qu'est-ce auprès de ce qu'il constate en plein pays franc, dans cette Gaule, chrétienne depuis des siècles, dans ce peuple qui était destiné par la Providence à être l'épée au service de son Église ?


La vie catholique y était comme suspendue, et ses organes engourdis et paralysés. Les conciles, dans lesquels, au VIe siècle, s'était faite la meilleure partie du travail civilisateur, étaient tombés en désuétude : au témoignage des vieillards, comme Boniface le mandait au pape, il y avait quatre-vingts ans qu'ils ne réunissaient plus.


La hiérarchie métropolitaine avait cesser d'exister. Les sièges épiscopaux étaient à l'abandon : les uns étaient vacants depuis des années, les autres, les plus malheureux encore, avaient été livrés comme des proies à des laïques avides ou à des clercs sans moeurs.


Certains de ces intrus détenaient plusieurs diocèses et plusieurs abbayes à la fois; c'est ainsi que Hugues, neveu de Charles Martel, occupait les sièges de Paris, de Rouen et de Bayeux, et qu'un soudard du nom de Milon portait dans ses mains profanes les crosses des deux vénérables églises de Reims et de Trèves.


Aucun vice ne fermait l'accès de la dignité épiscopale; l'on citait des clercs qui entretenaient plusieurs concubines, et que leur dévergondage n'empêchait pas de gravir les degrés de la hiérarchie ecclésiastique.


D'autres évêques, tout en se défendant d'être des fornicateurs, s'adonnaient à la boisson, à la chasse, au métier des armes, et répandaient indifféremment le sang des chrétiens et celui des païens.


Gewilieb, évêque de Mayence, avait tué en trahison, de sa propre main, le meurtrier de son père, et n'en continuait pas moins d'administrer son diocèse.


Le clergé inférieur, on peut le penser, ne valait pas mieux que ses chefs : son ignorance et sa grossièreté n'avaient d'égales que sa vénalité et son incontinence.


Ses rangs étaient envahis par des multitudes impures de gens qui n'entendaient assumer aucun de ses austères devoirs, mais qui comptaient y trouver la richesse et le privilège.


On y rencontrait des esclaves fugitifs qui s'étaient fait donner la tonsure pour échapper à leurs maîtres. Sous l'habit ecclésiastique, des aventuriers, dont plus d'un n'avait pas même reçu les ordres, circulaient à travers le pays, pour séduire et fanatiser les multitudes en flattant leurs vices, en prêchant des doctrines hétérodoxes et en exhibant des amulettes.


Ce qui aggravait le mal, c'était la foule des prêtres scots ou bretons venus d'outre-mer, qui errant de diocèse en diocèse et échappant au contrôle de toutes les autorités ecclésiastiques.


Enseignaient ce qu'ils voulaient, vivaient comme il leur plaisait, troublaient dans tous les cas la société religieuse par leur attachement obstiné à certaines disciplines nationales, comme la tonsure irlandaise ou leur manière particulière de calculer la date de Pâques.


Boniface avait déjà rencontré de ces irréguliers dans ses missions de Hesse et de Thuringe et avait eu à soutenir contre eux plus d'un combat.

Arthur

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Message  Arthur Mer 03 Mar 2010, 9:18 am



Parmi ces charlatans de religion, il en est deux dont on peut dire qu'ils ont empoisonné la vieillesse du saint : l'un est un Scot du nom de Clément, l'autre un Franc qui s'appelait Aldebert.


Tous deux, à vrai dire, étaient revêtus du caractère ecclésiastique, et Aldebert avait même réussi à se faire conférer l'ordination épiscopale par des évêques ignorants.


Ce que nous savons d'eux, et en particulier d'Aldebert, est véritablement affligeant, et on ne comprend pas comment certains historiens on pu prendre ce triste personnage en quelque sorte sous leur protection.


Aldebert offre le type le plus complet de l'aventurier religieux, tel qu'une époque d'ignorance et de désordre pouvait le supporter. Il n'est pas certain qu'il ait été un imposteur absolument conscient.


Il appartient plutôt à cette famille d'esprits ardents et faux qui savent mêler les rêves de l'ambitieux et les illusions du visionnaire, et qui deviennent ou des fondateurs de religion comme Mahomet, lorsqu'ils réussissent, ou des charlatans vulgaires lorsqu'ils échouent.


Aldebert s'était forgé un christianisme spécial dont il était le centre et dont il se faisait le héraut : il avait la prétention de mener à lui seul les fidèles au salut, en se passant et des sacrements et de la hiérarchie ecclésiastique.


Il dressait des croix en plein air, au bord des fontaines, et y rassemblait les multitudes pour la prière; s'il consacrait une église, c'était en son propre nom; il déclamait contre les pèlerinages à Rome et faisait aboutir toute dévotion à sa propre personne.


Il se vantait d'être en relations avec les anges; l'un d'eux, disait-il, lui avait apporté de l'extrémité du monde des reliques auxquelles il devait un pouvoir illimité, mais il affectait de ne pas vouloir nommer le saint à qui elles avaient appartenu.


Il exhibait aussi une lettre de Jésus-Christ qui, à l'entendre, était tombée du ciel à Jérusalem. Nous n'en possédons pas le contenu, mais le titre, qui a été conservé, est rempli d'extravagances; on y raconte comment cette lettre est arrivée de proche en proche jusqu'à Rome, entourée d'une vénération universelle.


On citait aussi le texte d'une prière qu'il avait rédigée lui-même, et où apparaissaient divers noms d'anges ignorés de la tradition catholique, mais colportés dans la littérature des apocryphes.


À ses fidèles prosternés à ses genoux pour se confesser il disait : " Je connais toutes vos fautes sans que vous ayez besoin de les avouer; allez en paix " .


Il s'était fait composer, dans le style des écrits hagiographiques du temps, une biographie où on le disait prédestiné dès le sein de sa mère.


Par son éloquence et par son habilité, il avait fanatisé à un degré extraordinaire le peuple des campagnes, principalement les femmes; on lui attribuait le don des miracles, et lui-même était arrivé à une telle infatuation que, comme tant d'autres faux prophètes, il distribuait en guise de reliques ses ongles et ses cheveux.


Telle était la navrante situation religieuse du royaume franc au moment où Boniface mit courageusement la main à la grande oeuvre de la réforme. Il ne paraît pas qu'il ait hésité un instant sur la question de savoir par où il fallait commencer, et ce fut aux conciles de l'épiscopat franc qu'il demanda le remède.

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Message  Arthur Jeu 04 Mar 2010, 9:06 am


Ici se reconnaît ce qu'on peut appeler l'éducation romaine de Boniface. Les conciles furent de tout temps le grand moyen d'action des papes, et c'est à cette salutaire institution qu'ils avaient recouru en particulier, chaque fois qu'il avait fallu pourvoir aux nécessités de l'empire franc.


Par l'intermédiaire de leur légat, saint Césaire d'Arles, ils étaient parvenus à faire réunir les grandes assemblées conciliaires d'Agde (506), d'Orléans (511) et d'Epaone (517), qui avaient tour à tour organisé la situation religieuse des trois royaumes de la Gaule : la Provence avec l'Aquitaine, la France et la Burgondie.


Ils avaient agi de même avec leur légat Boniface. On a vu que le saint avait ajourné son départ de Rome pour pouvoir assister à un concile présidé par le pape, et il avait quitté la Ville Éternelle avec la mission d'en tenir un en Bavière pour la réforme de ce pays.


Il n'est pas douteux que les conciles du royaume franc dont nous allons constater l'activité doivent, eux aussi, leur convocation aux pressantes instructions du souverain pontife.


Nul n'admettra qu'en une matière de cette importance, le légat du pape n'ait été l'organe du chef de l'Église universelle, et, au surplus, nous avons sur ce point le témoignage formel du pape Zacharie, écrivant à l'épiscopat franc que les synodes de leur pays ont été réunis d'après les instructions qu'il avait données à son légat.


Boniface commença par gagner à son projet le pieux et zélé Carloman : son biographe nous le dit en termes formels.

Il ne doit pas avoir eu trop de peine à réussir, et le jour vint où, écrivant au pape, il put lui annoncer que le duc Carloman venait de s'adresser à lui, en le priant de convoquer une assemblée des évêques de son royaume, c'est-à-dire, de l'Austrasie.


Il demandait à cette occasion les conseils et les instructions du Saint-Siège, afin, comme il le disait, que l'accord fût parfait entre le souverain pontife et son légat, et que chacun proclamât la même chose, le pape à Rome, et Boniface en Germanie.


La réponse très encourageante du pape Zacharie ne se fit pas attendre, et Boniface se mit à l'oeuvre.


Alors commença ce qu'on pourrait appeler le mouvement conciliaire de l'Empire franc. Il y eu d'abrod deux conciles d'Austrasie successifs réunis par Carloman, le premier, le 21 avril 742 on ne sait où, le second aux Estinnes en Hainaut, le 1er mars 743.


Puis, pris d'émulation, Pépin le Bref voulut avoir aussi sa réforme, et le concile tenu en 744 dans son royaume, à Soissons, reproduisit en grande partie les dispositions des deux synodes austrasiens. Enfin, pour couronner l'oeuvre, un concile général de tout l'empire franc fut réuni en 745.


Le travail de réforme accompli par ces quatre grandes assemblées est des plus salutaires de l'histoire.


Il tira l'Église franque du chaos et de l'opprobre, et la débarrassa des principaux abus dont elle souffrait; il lui rendit son prestige avec sa fécondité; et l'on peut, dans une bonne mesure, comparer la régénération religieuse qui en fut le résultat à celle dont le concile de Trente, au XVIe siècle, fut le point de départ pour l'Église universelle.

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Message  Arthur Ven 05 Mar 2010, 9:37 am


Il n'entre pas dans le plan de ce modeste écrit de retracer dans son ensemble l'histoire de cette grande épuration; il suffit d'y marquer la place qui revient à Boniface.


C'est lui qui présida aux travaux des conciles en qualité de légat du pape, tant en Austrasie qu'en Gaule. C'est son programme aussi qu'on y réalisa, souvent même en employant ses propres expressions.


Rendre à l'Église franque son organisation hiérarchique et son activité conciliaire, ramener à sa pureté première la vie du clergé, débarrasser la foi des fidèles des superstitions qui l'obscurcissaient, telle avait été de tout temps sa triple préoccupation, et tel fut aussi le triple résultat acquis par les quatre conciles francs, ainsi qu'on va le voir.


La hiérarchie métropolitaine était tombée en désuétude dans l'empire franc, et avec elle les conciles. Elle fut rétablie. De même que Boniface était archevêque de Germanie, de même il y eut des archevêques à Reims, à Sens, et à Rouen.


Tous les ans il devait se tenir un concile, chargé d'élaborer la législation ecclésiastique, de rétablir l'Église dans ses droits, et de veiller à la pureté de la foi et des moeurs.


Soumis d'une part à son archevêque, l'évêque devait être, d'autre part, le seul maître dans son diocèse: en refusa toute juridiction aux évêques et prêtres ambulants, aussi longtemps que leurs titres n'auraient pas été examinés dans un concile.


Les prêtres étaient visités par leurs évêques; pendant le carême, ils lui rendaient compte de leur gestion; tous les jeudis saints ils recevaient de lui les saintes huiles, ils devaient l'assister lorsqu'il venait distribuer la confirmation.


De nombreuses et minutieuses prescriptions s'attachèrent à réformer la vie du clergé. Il lui fut interdit de porter les armes, d'aller à la guerre et à la chasse, de tenir des faucons.


Il dut s'astreindre à revêtir le costume ecclésiastique, et renoncer à garder une femme sous son toit, à moins que ce ne fut sa mère, sa soeur ou sa nièce.


Les ecclésiastiques fornicateurs et débauchés furent condamnés à être déposés, enfermés et mis au pain et à l'eau; s'ils étaient prêtres, ils étaient fustigés et subissaient deux ans de prison; étaient-ce des simples clercs ou des religieux, la fustigation était appliquée trois fois et la prison était d'un an.


Les religieuses, en cas d'inconduite, étaient frappées de la même peine et on leur rasait les cheveux. Enfin, la règle de saint Benoît fut rendue obligatoire dans les monastères.


La troisième tâche des conciles était plus vaste et plus ardue que les deux premières. Le combat contre les superstitions et contre les pratiques païennes des fidèles embrassait à peu près tous les actes de la vie.


L'énumération que fait le concile des Estinnes des principales paganies ne nous apprendrait que fort imparfaitement la situation, si nous n'avions pas conservé un précieux document élaboré, ce semble, dans un des quatre synodes francs, et qui porte le titre d'Indiculus Superstitionum.


C'est, dans ses trente articles, un vrai Syllabus des erreurs religieuses des fidèles du VIII e siècle, ou du moins de celles qui paraissaient à l'Église les plus dangereuses ou les plus condamnables.


On y voit que les populations chrétiennes étaient restées en grande partie, surtout dans les campagnes, sous l'influence des vieilles idées mythologiques.


Elles n'étaient plus officiellement idolâtre, elles appartenaient, par le baptême et par le culte, à la communion catholique, mais toutes leurs pratiques et toutes leurs idées restaient empreintes d'un cachet païen dont souvent elles n'avaient pas conscience.


Rien de plus curieux que cette existence en partie double, si l'on peut ainsi parler, qui associait dans les hommages des chrétiens d'alors Jésus-Christ et Wodan.


" La vie religieuse des Francs était entièrement sous le charme des vieux mythes et du vieux culte. Attirés par l'horreur mystérieuse des banquets sacrés, ils couraient en secret, souvent au sortir du festin eucharistique, offrir des sacrifices ou célébrer des fêtes devant les dolmens, au pied des arbres, au bord des fontaines.


Ils y chantaient leurs hymnes traditionnelles, ils s'y asseyaient à des repas où l'on mangeait la viande des chevaux immolés aux dieux, et ils se retrouvaient avec délices dans l'atmosphère d'un passé qui avait gardé tant de charmes pour les âmes à moitié sauvages.


Ceux-là même qui ne poussaient pas aussi loin l'infidélité au Dieu de l'Évangile emplissaient leur vie d'une multitude de pratiques empruntées aux erreurs païennes.


Ils chômaient le jeudi en l'honneur de Thor, croyaient à des jours prédestinés, tiraient des horoscopes, lisaient l'avenir dans le vol des oiseaux, dans le hennissement des chevaux, et dans les cendres du foyer.


Consultaient des pythonisses, avaient des incantations ou autres moyens magiques pour se rendre le destin favorable, se chargeaient d'amulettes.


Envoûtaient leurs ennemis, allumaient des feux sacrés aux époques fixées par la tradition, et se livraient avec frénésie aux divertissements obscènes et barbares que leur avait légués la tradition primitive. "


Contre toutes ces pratiques païennes, et contre d'autres usages qui n'étaient pas moins en contradiction avec la loi morale du christianisme, comme le mariage entre proches parents ou avec des religieuses, ou encore la vente d'esclaves chrétiens à des païens, le concile voulut que le bras séculier prêtât main-forte à l'autorité religieuse.


Dans chaque diocèse, le comte, qui était le défenseur de l'Église, comme s'exprime le concile des Estinnes, devait avoir soin d'empêcher et d'interdire rigoureusement les pratiques païennes; une amende de quinze sous était fulminée contre ceux qui s'y livraient.


C'est aussi dans un de ces conciles francs que Boniface fit juger la cause des hérésiarques Aldebert et Clément. Le concile décida que toutes les croix que le premier avait fait ériger seraient abattues; il condamna ces deux aventuriers et ordonna qu'ils soient enfermés.


Ces mesures de rigueur déterminèrent une grande indignation parmi les fanatiques partisans d'Aldebert, qui voyaient en lui un martyr et qui fort probablement l'aidèrent, ainsi que Clément, à retrouver la liberté.


En effet, nous voyons un mandataire de Boniface à Rome se plaindre qu'ils continuent de séduire des multitudes. Un concile romain les condamna à son tour, en octobre 745. Peu de temps après, tous deux disparurent sans que l'on sache au juste ce qu'ils sont devenus.


Selon un témoignage d'ailleurs assez incertain, Aldebert aurait été emprisonné dans l'abbaye de Fulda, s'en serait échappé, et aurait péri massacré par des porchers dans la vallée où coule la rivière du même nom.


Avec la condamnation d'Aldebert et de Clément, Boniface avait aussi obtenu celle du misérable Gewilieb de Mayence, et il parvenait à doter de bons évêques les divers sièges de Verdun, vacant depuis longtemps, d'Utrecht, de Liège, de Spire et de Metz.


Ainsi la réforme pénétrait rapidement au sein de l'épiscopat franc et y introduisait des hommes qui, comme Chrodegang, évêque du dernier de ces sièges, devaient être à leur tour les vigoureux promoteurs de nouveaux progrès.

Arthur

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Message  Arthur Lun 08 Mar 2010, 8:25 am


CHAPITRE VI

LA FONDATION DE FULDA


Pendant que nous le voyons se dépenser tout entier à la grande oeuvre de la réforme de l'église franque, le coeur du légat pontifical est ailleurs.


Il est là-bas, au fond le plus reculé de la forêt vierge, dans la retraite la plus profonde, dans les austérités et les joies de la vie contemplative.


Il y a bâti en esprit sa cité de Dieu : un monastère où il retrouvera le doux foyer de sa jeunesse religieuse, et où il ira retremper dans une atmosphère céleste son coeur fatigué des combats du dehors.


Mais cette demeure idéale de l'ascète n'est pas une chartreuse où il veut s'enterrer vivant. Ce moine est un missionnaire, et son monastère sera une ruche, silencieuse il est vrai, mais féconde, où s'élaborera le miel de la civilisation.


Ce sera une oasis dans le désert, mais dans cette oasis il créera une pépinière de prêtres et une école de lettrés; Fulda sera le séminaire des missions de Germanie.


Voilà la vision qui repassait devant ses yeux et se présidait de plus en plus dans sa pensée, pendant qu'il présidait les grands conciles et qu'il voyait de près les misères et les tristesses d'une Église sécularisée.


Le rêve allait devenir une réalité. Dans la rude et âpre carrière de l'apôtre, la fondation de Fulda, dont une heureuse fortune nous a conservé le récit intact, apparaît comme l'épisode lumineux; c'est assurément une des pages les plus idylliques que présentent les annales de la civilisation.


On se souvient du jeune Sturmi que Boniface avait ramené de Bavière, et dont il avait confié l'éducation à Wiethbert, abbé de Fritzlar.


Sous la direction de ce maître expérimenté, l'enfant se forma à la vie monastique : il apprit les psaumes par coeur, et il s'initia au quadruple sens des écritures, dont l'étude constituait la partie principale de l'exégèse.


Ordonné prêtre, il fut employé pendant trois ans dans des travaux de l'apostolat. Mais, épris de la perfection évangélique, il soupirait après la vie du cloître, et il s'en ouvrit à son bon maître.


Celui-ci, dont les aspirations servaient les dessins, crut le moment venu de réaliser son projet, et il chargea son ermite, c'est le nom qu'il donnait à Sturmi, d'aller chercher, dans l'antique forêt de Buchonie, un lieu propre à l'édification d'un monastère.


Le biographe de saint Sturmi ne nous dit pas quelles conditions devait présenter, dans la pensée de Boniface, l'emplacement que son disciple recevait la mission de lui trouver.


Mais il résulte de son récit même, nous le verrons, que le site devait avoir l'ampleur et la fécondité nécessaires à la création d'un établissement vaste et fort peuplé, capable de répondre aux saintes ambitions du grand civilisateur.

Arthur

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Message  Arthur Mar 09 Mar 2010, 8:21 am



La Forêt des Hêtres -- tel est le sens de l'appellation germanique de Buchonia -- couvrait alors de ses ombrages immenses une grande partie de l'Allemagne centrale et occupait tout le cours supérieur du Wéser.


Elle servait de limite naturelle à la Hesse et à la Thuringe, et elle formait l'épaisse et impénétrable barrière entre les établissements que Boniface avait fondés dans l'un et dans l'autre pays.


Le nom de la Buchonie était célèbre dans les légendes germaniques : au dire des poètes francs, elle avait vu le vieux roi de Cologne, Sigebert, tomber sous les coups des assassins envoyés par son fils,pendant qu'il y reposait sous sa tente.


Et la partie de cette forêt que nous allons voir explorée par le jeune Sturmi était précisément celle qui semblait en réunir toutes les terreurs.


Du haut des sauvages montagnes de la Rön, qui, courant du nord au sud, limitaient la Buchonie du côté de la Thuringe, jaillissent, l'une à l'est, l'autre à l'ouest, deux rivières qui en se réunissant une trentaine de lieues plus loin, à Münden, prennent le nom unique de Wéser.


Ces deux branches du grand fleuve s'appellent l'une la Fulda, l'autre la Werra. La Fulda traversait dans toute sa longueur la forêt des Hêtres.


Nulle part, la solitude n'était plus profonde, la végétation plus épaisse, le désert plus effrayant. Selon un vieux dicton germanique, l'écureuil y pouvait sauter des dizaines de lieues de cime en cime. Les bêtes féroces qui l'habitaient en fermaient l'accès aux pas de l'homme.


On y était vraiment dans le désert de la vaste solitude, in eremo vastae solitudinis, comme disaient les diplômes du moyen âge lorsqu'ils essayaient de rendre par cette redondance gréco-latine l'impression que devait faire la barbarie de la nature indomptée.


Partant, selon toute apparance, du couvent de Fritzlar, avec deux de ses compagnons, Sturmi s'engagea donc, sur la foi de son maître, dans les sombres fourrés d'où devait jaillir -- c'était son espérance -- la lumière d'une nouvelle cité de Dieu.


Pendant plusieurs jours, les pieux explorateurs s'avancèrent bravement à travers un océan de feuillage, ne voyant, dit notre narrateur, que le ciel et les arbres, avec de grands vols d'oiseaux passant au-dessus de leurs têtes.


La nuit, ils s'arrêtaient pour se faire des huttes de branchages et d'écorces, où ils veillaient en jeûnant et en priant. Le troisième jour, ils découvrirent le site admirable où, depuis, s'éleva l'abbaye de Hersfeld, et ils crurent avoir trouvé l'endroit qui correspondait aux indications de Boniface.


Pendant que ses compagnons s'y arrêtaient, continuant leur vie monastique comme s'ils avaient été à Fritzlar, Sturmi alla faire part de la découverte à son maître.


Mais, instruit par l'expérience et craignant pour ses disciples le voisinage des cruels Saxons, le saint désapprouva le choix des explorateurs et leur ordonna de continuer leurs recherches.


Ils remontèrent alors en barque le cours de la Fulda, explorant attentivement les deux rives, et s'arrêtant de préférence aux endroits situés au confluent des torrents et des ruisseaux, dans l'espoir de rencontrer un emplacement favorable.


Trois jours encore furent consacrés à cette nouvelle recherche, qui les amena jusqu'au confluent de la Lüder; après quoi, n'ayant rien trouvé qui les satisfît, ils allèrent, un peu découragés, reprendre leurs exercices religieux dans les huttes de Hersfeld.


Il fallut qu'un message de Boniface vînt mander auprès du saint son désolé ermite.


Sturmi se rendit aussitôt à Fritzlar où son maître lui fit l'accueil le plus affectueux, l'admit à sa table, lui ordonna de rompre le jeûne en témoignage d'affection, et, après le dîner, eut avec lui une longue conversation sur les choses spirituelles.


Sturmi confia au saint qu'il n'avait trouvé aucun emplacement qu'il pût lui recommander.


" Il existe pourtant, répondit le saint avec un accent prophétique. Dieu l'a préparé dans la solitude; ne vous découragez donc pas, continuez vos recherches et croyez que vous le découvrirez. "


Ces paroles du maître rendirent confiance au disciple. Il rentra à Hersfeld et, après un repos de quelques jours, il se remit en route pour la troisième fois.


Il était seul : ses compagnons, selon toute apparence, ne partageaient pas son espoir, et peut-être lui-même éprouvait-il une joie secrète à n'associer personne aux dangers et à la gloire de sa nouvelle mission.


Monté sur son âne, Sturmi explora donc de nouveau la vaste et effrayante forêt à partir de Hersfeld, étudiant avec soin la déclivité et l'élévation des collines et l'abondance des sources, tout en récitant ses psaumes et en priant Dieu avec ardeur.


La nuit, il dormait à l'abri des haies d'épines qu'il faisait autour de sa couche pour se dérober avec sa monture à la dent des bêtes féroces.


Les seuls êtres humains que l'homme de Dieu rencontra dans cette périlleuse exploration, ce furent les Slaves qui se baignaient dans la Fulda, à l'endroit où la route qui menait de la Thuringe à Mayence traversait à gué cette rivière.


Leurs corps nus épouvantèrent la monture du pieux explorateur; eux-mêmes le poursuivirent de leurs menaces et de leurs injures, mais ils ne lui firent pas de mal, et il n'eut à souffrir, dit son biographe, que de leur mauvaise odeur.


Un d'eux, qui savait quelques mots d'allemand, lui demanda où il allait; il répondit qu'il se rendait dans la partie d'amont du désert, et ils ne l'inquiétèrent pas davantage.


Le quatrième jour, Sturmi, dépassant l'endroit où s'éleva par la suite son monastère, était arrivé à la hauteur du confluent de la Giesel et avait atteint, vers le coucher du soleil, le sentier connu sous le nom d'Ortesweg.


Déjà il se préparait pour la nuit, selon son habitude, lorsqu'il entendit de loin le son de l'eau qui résonnait sous des pas.


N'osant pas élever la voix pour appeler, car il ne savait pas s'il avait affaire à une bête fauve ou bien à l'homme, il frappa avec sa cognée sur un tronc d'arbre, et il vit alors arriver à lui un homme qui menait un cheval par la bride.


Le saint lia conversation avec lui; il lui exposa son projet, et l'homme, qui était familier de ces lieux sauvages, les lui fit connaître avec la plus grande précision.


Ils se trouvaient alors dans la partie de la forêt qu'on appelait l'Eichlohe, c'est-à-dire, le bois des chênes. Plus loin, la vallée se rétrécissait et la Fulda n'était plus qu'un torrent coulant dans une gorge montagneuse, où il était inutile de continuer des recherches.


Par contre, un peu plus bas, la vallée avait une ampleur magnifique. Les deux voyageurs passèrent la nuit ensemble dans cette solitude; le lendemain, ils se séparèrent après s'être bénis, et Sturmi, sur la foi des renseignements de l'inconnu, se décida à rebrousser chemin.


Il redescendit donc la rivière, examinant ses deux rives avec plus d'attention encore, arriva jusqu'au Grezzibach, puis revenant un peu sur ses pas, il s'aperçut enfin de l'endroit prédestiné où s'élève aujourd'hui Fulda.


Il l'avait traversé deux fois sans en remarquer la vaste étendue. Maintenant, guidé par les renseignements de l'inconnu, il en fit un examen plus attentif, et ne tarda pas à se convaincre qu'il avait trouvé. Ravi de joie, il se dit que Dieu le lui avait révélé grâces aux prières de saint Boniface.

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Message  Arthur Mer 10 Mar 2010, 8:29 am



Le site de Fulda est en effet, sans contestation, le plus beau et le plus favorable de toute la vallée de ce nom, et c'était l'épaisseur de la forêt qui seule avait pu en dérober les avantages aux yeux du saint solitaire, lors de ses deux premières explorations.


Aujourd'hui que les défrichements en ont mis a nu tout le fond, ne laissant subsister quelques couronnes de forêts que sur les hauteurs, le regard d'un observateur placé au bon endroit est frappé de l'heureux choix de Sturmi.


La vallée s'élargit ici en une espèce de vaste cirque dont les eaux de la Fulda traceraient le diamètre. Ce cirque s'élève de tous les côtés en pente douce, rempli de terres fertiles et fermé par une série de collines au-dessus desquelles émerge le cône majestueux du Rauschenberg avec sa couronne de forêt.


La ville se groupe à mi-côte, sur le penchant oriental de la vallée, auprès du monastère dont l'église dresse vers le ciel ses deux tours jumelles, avec le dôme sous lequel reposent les ossements de saint Boniface.


Sturmi, au comble de la joie, passa une partie de la journée à explorer dans tous les sens le site prédestiné. Puis il le bénit, le marqua, vint rassurer ses compagnons à Hersfeld, et courut ensuite annoncer la bonne nouvelle à saint Boniface, qu'il trouva à Seleheim.


Le plan du saint fut arrêté aussitôt. Sans tarder, Sturmi, sur son ordre, conduisit ses compagnons dans la solitude qui allait être leur demeure; lui-même alla trouver le roi Carloman, et lui demanda la cession de l'emplacement qu'il avait choisi pour y élever son monastère.


Le roi des Francs n'avait rien à refuser au régénérateur de son royaume. Il accueillit avec empressement la requête de Boniface, et lui abandonna, en toute propriété, le site de Fulda, formant un domaine de quatre milles de diamètre dans tous les sens.


Carloman fit plus : il envoya dans le pays des commissaires qui, en son nom, invitèrent les propriétaires voisins à imiter sa générosité.


Cette intervention royale paraît n'avoir pas été inutile, car déjà la prise de possession du site de Fulda par Sturmi avait soulevé des difficultés, et, en attendant qu'elles fussent tranchées, le saint avait dû se retirer avec ses moines à Dirichlar.


Le désir du roi fut un ordre pour les grands; non seulement leur opposition tomba, mais leurs libéralités ajoutées à celle du prince augmentèrent la dotation royale et constituèrent le noyau des possessions territoriales de l'abbaye.

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Message  Arthur Ven 12 Mar 2010, 8:23 am



Le 12 janvier 744, munis de la charte de donation, Sturmi et sept autres moines vinrent, malgré les rigueurs de l'hiver, prendre possession de leur futur séjour. Sans tarder, ils se mirent à l'oeuvre, et la cognée ouvrit une large clairière dans les inaccessibles fourrés de la vieille Buchonie.


Les veilles, le jeûne, les prières et le chant des psaumes sanctifiaient ce noble travail des moines.


Deux mois après, saint Boniface venait lui-même rejoindre ses disciples avec une légion de défricheurs, et, sur les cendres de la forêt calcinée, on commença l'édification d'une église en pierre dédiée au Saint Sauveur.


Pendant que le bruit du travail retentissait dans les profondeurs, le saint, retiré sur une colline qui dominait la vallée, y passa une semaine entière dans la retraite et dans la lecture de l'Écriture Sainte.


Depuis, il revint, chaque année, se reposer de ses vastes travaux et se recueillir dans la solitude sur la colline de ses prédilections, où il avait son ermitage proche de l'abbaye, et à laquelle il laissa le nom de Bischofsberg, c'est-à-dire Montagne de l'évêque.


Il y prenait plaisir à initier les frères aux règles de la vie monastique et à la connaissance des Livres Saints, et il ne s'arrachait qu'avec douleur à cette solitude bénie pour aller reprendre sa mission dans le monde.


Il introduisit parmi les moines une des observances qui lui étaient le plus chères, l'abstinence totales des boissons enivrantes.


Et pour que cette maison aimée devint un vrai modèle, il voulut que son cher Sturmi, qui en était le chef, allât étudier l'observance bénédictine dans les principaux centres religieux de l'Italie, spécialement à Rome et au Mont-Cassin.


Au retour de ce long et pénible voyage, qui dura plus d'une année, Sturmi fut à même d'élever la vie monastique de Fulda au niveau des plus célèbres abbayes de la chrétienté. Déjà du vivant de son premier abbé, l'abbaye comptait quatre cents moines : le désert boisé était devenu une demeure riante et fertile.


La nouvelle fondation donnait enfin une base solide à l'oeuvre d'évangélisation de Boniface parmi les tribus germaniques. Il s'en rendait bien compte; de là la prédilection qu'il eut dès l'origine pour cet établissement, où il passa désormais ses meilleurs jours et où il voulut avoir son tombeau.


Avec quelle tendresse contenue l'austère ascète parle de cette maison bien-aimée au pape Zacharie !

" Il y a le désert d'une vaste solitude un endroit, situé au milieu des nations que j'ai évangélisées, où j'ai bâti un monastère et réuni des moines qui vivent sous la règle de saint Benoît.


Ce sont des religieux de stricte observance, qui s'abstiennent de viande, de vin et de toute boisson fermentée, qui n'ont pas de serfs, et à qui suffit le travail de leurs propres mains.

J'ai fait l'acquisition de cet endroit grâce à la piété d'hommes religieux et craignant Dieu, surtout de Carloman, alors prince des Francs, et je l'ai dédié au Saint Sauveur.


Là, j'ai décidé, avec le consentement de votre Piété, de donner quelques jours de repos à mon corps fatigué par la vieillesse, et d'aller dormir après ma mort.


Les quatre peuples auxquels, par la grâce de Dieu, j'ai porté la parole évangélique, demeurent dans les environs; je puis encore leur être utile tant que je vivrai, avec le concours de vos prières. "

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Message  Arthur Lun 15 Mar 2010, 8:31 am



Ici, et dans l'autre passage que j'ai souligné, le but de la fondation apparaît clairement. Dans la pensée de Boniface, Fulda fut, dès l'origine, destiné à être non seulement la retraite de quelques ascètes, mais un foyer de civilisation.


Ce grand rôle national auquel était appelée l'abbaye ne permettait pas qu'elle restât, après la mort de son fondateur, soumise à la juridiction d'un diocèse déterminé.


Oeuvre d'un légat du pape, et appelée à continuer son action dans une certaine mesure, Fulda devait comme lui relever directement du souverain pontife et être indépendante de toute autre autorité.


Voilà pourquoi, apparemment, Boniface demanda au pape Zacharie l'immunité pontificale pour ce monastère, alors qu'il ne l'avait sollicitée pour aucune de ses fondations antérieures.


Le pape acquiesça au voeu de son légat, et accorda le célèbre privilège qui rattache directement l'abbaye au Saint-Siège, la soustrait à toute juridiction, et décide qu'aucune fonction religieuse n'y peut être remplie, que la messe même n'y peut être dite sans l'autorisation de l'abbé.


C'était la première fois qu'en pays franc un lien si étroit était serré entre le Saint-Siège et un monastère; c'était, en même temps qu'une affirmation éclatante de la juridiction suprême du pape sur l'Église d'Allemagne, une preuve du filial attachement de Boniface à la chaire romaine.


L'oeuvre répondit aux grandes espérances du fondateur, et Fulda devint, en réalité, le plus puissant foyer de vie religieuse et intellectuelle qu'il y eût en Allemagne.


Tous les arts y fleurirent sous les auspices de la religion; les lettres y eurent, comme elle, leur sanctuaire, l'érudition allemande y trouva ses plus anciens représentants, l'agriculture y transforma bientôt la vallée et le pays entier, et donna des modèles de défrichement et d'exploitation coloniale.


On voyait à Fulda, dans un tableau aux proportions restreintes, l'oeuvre entière du civilisateur de l'Allemagne.

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Message  Arthur Mar 16 Mar 2010, 8:16 am


CHAPITRE VII

LA CORRESPONDANCE DE SAINT BONIFACE


Il est temps, maintenant que le grand civilisateur vient de nous apparaître sur le seuil de la retraite qu'il s'est bâtie au fond du désert, de l'y suivre et de pénétrer dans le calme de sa vie intime pour l'étudier de plus près.


Il s'est peint en bonne partie lui-même dans la correspondance qu'il a entretenue avec ses amis; ouvrons-là, et écoutons-le parler avec l'accent familier de l'homme qui ne se sent plus observé.


Il y a grand charme à feuilleter ces pages qui n'étaient pas destinées à voir le jour. Bien que des siècles aient passé sur elles, elles n'ont pas jauni; il en sort je ne sais quel parfum de cordialité et de sympathie.


Cette correspondance a un premier intérêt : elle montre l'étendue des relations d'amitié du saint.


Dans sa patrie, en Allemagne, en Italie, en Gaule, il y a nombre de gens qui s'intéressent à lui, auxquels il s'intéresse, avec qui il échange des renseignements, des conseils, des services, des menus cadeaux, des effusions amicales, des prières.


Ses correspondants appartiennent à tous les rangs de la société; il leur fait raison à tous avec la même bonne volonté, depuis les papes et les rois jusqu'à d'humbles religieuses anglo-saxonnes.


L'accent avec lequel il s'adresse à chacun varie sans doute selon les personnes, mais on y sent vibrer la même voix chaude et sincère. Et c'est parce que ses lettres sont toujours le reflet de son âme elle-même qu'on peut les invoquer ici en témoignage.


Aucune partie de sa correspondance, peut-être, ne met la grandeur de son caractère dans une plus éclatante lumière que ses lettres aux souverains pontifes.



On sait avec quelle dévotion, avec quelle foi, avec quelle tendresse son coeur se tournait vers le siège de saint Pierre. Il n'a jamais rien aimé ici-bas autant que la chaire romaine, et toute la gloire qu'il a ambitionnée consiste à être le ministre du Vicaire de Jésus-Christ.


Mais ni l'ardeur de son dévouement ni l'humilité de sa soumission ne sauraient lui fermer la bouche quand il voit le Saint-Siège lui-même compromis par les abus qu'il semble tolérer.


Il a appris -- peut-être a-t-il vu de ses yeux pendant l'hiver de 738 -- les réjouissances toutes païennes et les pratiques superstitieuses auxquelles on se livre à Rome vers la nouvelle année, et il ne craint pas de faire remarquer au pape quel sujet de scandale il y a là pour des fidèles d'origine barbare, encore si novices dans la foi.


" Que leur dirai-je, s'ils voient commettre à Rome, avec l'autorisation du clergé, des choses que je leur défend ici ? Votre Sainteté aura un grand mérite et nous rendra un grand service en interdisant ces abus dans sa ville de Rome.


Des évêques et des prêtres, souillés par le concubinage, reviennent dans nos contrées en disant que le pape les a autorisés à continuer leur ministère; nous le nions, n'ayant jamais entendu dire que le siège apostolique se soit prononcé dans un sens contraire aux canons.


Nous vous mandons tout cela, Saint Père, pour pouvoir répondre de votre part, et pour que, grâce à vous, les loups ravisseurs soient empêchés de déchirer les brebis de l'Église. "


Et le pape répond que les abus qui se pratiquaient à la nouvelle année ont été interdits par lui, comme il l'avaient déjà été par son prédécesseur; il proteste contre l'usage que font de son nom les évêques et prêtres fornicateurs, et il exhorte son légat à les traiter selon la rigueur des canons.


Une autre fois, c'est une question bien plus délicate qu'il s'agit d'aborder : selon des rumeurs qui sont revenues à Boniface, la simonie est pratiquée à la cour pontificale elle-même.


Boniface ne craint pas de faire entendre au pape l'expression de son douloureux étonnement. Nous n'avons plus sa lettre, mais nous possédons la réponse du pape, et cette fois, c'est sur le ton de la plus vive indignation que le souverain pontife repousse le reproche.


" Nous vous prions, très cher frère, de ne plus rien nous écrire de pareil, et de ne pas nous suspecter d'un forfait qui nous fait horreur. Loin de nous et de notre clergé de vendre à prix d'argent les dons du Saint-Esprit, que nous avons reçus gratis ! La seule idée, le seul nom de simonie nous est odieux, et nous disons anathème à quiconque la pratique ! "


Toutefois, le pape ne garda pas rancune à son courageux légat; dans la lettre même où il lui répond avec cette véhémence, il lui donne des marques de sa faveur, attestant par là combien il apprécie le courage et la sincérité de l'homme qui a su lui écrire ainsi.


En vérité, voilà un noble dialogue, et si cet autre moine saxon qui, sept à huit siècles plus tard, arracha la moitié de l'Allemagne à l'unité catholique sous prétexte d'autres abus, avait eu le coeur et trouvé les accents de Boniface, il est permis de croire qu'il aurait mieux mérité du genre humain et de la civilisation.

Arthur

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Message  Arthur Mar 16 Mar 2010, 9:31 pm



Nous glisserons plus rapidement sur les relations épistolaires du saint avec d'autres personnages de la cour de Rome. De ce nombre était le diacre Gemulus, à qui il écrit une lettre des plus affectueuses et auquel il recommande les femmes anglo-saxonnes venues en pèlerinage au tombeau de saint Pierre.


Gemmulus remplit des fonctions importantes à la chancellerie pontificale et, comme tel, il a souvent l'occasion de rendre service au légat de Germanie; il proteste que rien ne lui est plus à coeur, il ne cesse de lui demander des prières et croit qu'il a été guéri à son intercession.


L'archidiacre Théophylacte, l'évêque de Nomentum, Benoît, s'adressent sur le même ton à Boniface, et il est certain que ces descendants des Romains devaient avoir été vraiment conquis par le barbare auquel ils témoignaient tant de respect et de vénération.


Une autre amitié qui dut être bien chère au saint, ce fut celle d'Optatus, abbé du Mont Cassin, et, à quelques égards, patriarche de la famille monastique dont il faisait lui-même partie. Il lui donna la marque la plus complète de ses sentiments fraternels en lui proposant une communauté de prières dans un langage vraiment sorti du coeur.


Nous avons déjà analysé en partie la correspondance du saint avec les évêques et les abbés de son pays.


Parmi ceux dont les noms reparaissent dans le recueil de ses lettres, nous rencontrons les archevêques de Canterburt et d'York, les évêques de Winchester, de Leicester et de Withern, les abbés de Chertsey et de Wearmouth, et un troisième abbé, du nom de Duddon, dont le monastère nous est inconnu.


Un bon nombre des lettres qu'il échange avec eux ont un accent moins personnel, parce qu'il y traite des intérêts généraux de l'Église, de questions de discipline et de liturgie.


Mais le ton de l'écrivain s'attendrit et prend quelque chose de particulièrement cordial et affectueux dans les missives qu'il adresse à son ancien évêque et ami Daniel de Winchester, à qui il donne le nom de père. Il a appris par un prêtre venu de Bretagne en Allemagne que le vénérable vieillard perd la vue :


" Vous avez des yeux qui peuvent voir Dieu et ses anges, et contempler les joies de la Jérusalem céleste. C'est pourquoi, plein de confiance dans votre sagesse et dans votre patience, je crois que Dieu vous envoie cette épreuve pour vous faire progresser dans la vertu et pour augmenter vos mérites.


Que sont en effet, dans le périlleux voyage du siècle, les yeux de notre corps, sinon, en grande partie, de vraies fenêtres du péché, par lesquelles nous regardons le mal et ceux qui le commettent, et, -- ce qui est bien pire -- nous laissons entrer en nous-même les souillures que nous contemplons et convoitons. "


Ces consolations empruntent un caractère spécial à une ligne qu'on lit un peu plus haut dans la même lettre, et où Daniel est prié d'envoyer à son ami un livre écrit de la belle main de Winbrecht, l'ancien maître de Boniface.


" Car, dit-il, ma vue baissant, je ne puis plus lire les écritures menues et cursives. " Est-ce se faire illusion que de voir dans ce propos, jeté comme en passant, la preuve d'une délicate attention envers l'ami éprouvé ? C'est le consoler que de lui laisser voir qu'on souffre de la même épreuve, et l'encourager que de la supporter vaillamment.


Et le vieillard est sensible aux paroles affectueuses de son élève chéri; à son tour, il s'afflige avec lui des tribulations qui fondent sur ce coeur d'apôtre, mais il se dit que ses oeuvres doivent être bien salutaires, puisque le démon les combats avec tant d'acharnement.


Donc, pas de défaillance ! La récompense n'en sera que plus grande après le combat. " Au surplus, vous saurez que, bien que séparés par la terre et par la mer, nous sommes accablés tous les deux par le même fardeau; le travail de Satan est le même ici que chez vous. Soutenons-nous donc mutuellement par nos prières. "

Arthur

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Message  Arthur Jeu 18 Mar 2010, 8:26 am



La correspondance avec les deux archevêques de l'île natale contient aussi des détails pleins d'intérêt, donc quelques-uns ont été relevés plus haut.


Dans la lettre à Cuthbert de Canterbury, on remarquera le sentiment à la fois patriotique et religieux qui ramène les préoccupations du missionnaire vers le salut de son peuple. Les lettres à Ecbert d'York ne sont pas moins attrayantes, et le mot qui termine la seconde nous fait voir Boniface sous un jour peu connu.


" J'envoie à Votre Grandeur, ne pouvant pas vous embrasser, deux tonnelets de vin que vous remettra le porteur de cette lettre, vous priant, au nom de la charité qui existe entre nous, d'avoir un jour de réjouissance avec vos amis. "


Voilà un trait d'amitié souriante qu'on aime à rencontrer chez l'austère abstinent dont les lèvres ne connaissent pas le jus de la vigne.


Ce sont encore de belles et douces paroles qu'il adresse à son ancien élève, l'abbé Duddon :


" Fils très cher, je désire que vous vous rappeliez la parole du sage qui dit : Garder votre vieil ami. N'oubliez pas dans votre vieillesse l'amitié qui nous a unis au cours de nos jeunes années.


Souvenez-vous de votre père, déjà décrépit et dont les membres sont dans la voie de toute chair. Bien que j'ai été pour vous un maître peu docte, j'ai tâché d'être le plus dévoué, et vous m'en êtes témoin " .


Écoutons encore ces touchants accents adressés à Aldhere, un autre abbé qui préside aux destinées de quelque autre monastère anglo-saxon :


" Du plus profond du coeur nous supplions votre charité de daigner vous souvenir de nous dans vos prières, afin que Dieu, pour l'amour de qui nous avons entrepris notre pèlerinage, protège et gouverne notre frêle nacelle sur les flots orageux de la mer de Germanie, et la fasse entrer intacte dans le port de la céleste Jérusalem.


Saluez tous les membres de votre sainte congrégation; ils sont nos frères bien chers en Dieu, et nous vous prions de leur donner de notre part le baiser de l'affection. Nous nous recommandons à vos prières; nous voulons, vivants ou morts, rester dans la communion de votre charité.


Priez aussi pour les peuples germaniques livrés au culte des idoles; demandez à Dieu, qui a versé son sang pour le salut de tous les hommes, de leur faire connaître leur Créateur, et de les amener dans le sein de l'Église leur mère.


Accordez encore vos prières et le suffrage de vos saints sacrifices aux frères endormis qui ont peiné avec nous dans les moissons de Dieu, et dont le porteur de cette lettre vous remettra les noms. "

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Message  Arthur Ven 19 Mar 2010, 8:19 am



Trois porteurs de couronnes figurent parmi les corresponds du saint : ce sont Ethelbert II, roi de Kent, Aelbwald d'Estanglie et Ethelbald de Mercie.


Ces hautes relations attestent le prestige dont Boniface jouissait dans son pays natal, et le ton à la fois respectueux et confiant avec lequel lui parlent ces illustres personnages ne le montre pas moins.


Ils échangent avec lui des présents et l'entretiennent d'intérêts spirituels : Aelbwald lu propose une association de prières pour les morts; Ethelbert se réclame auprès de lui de sa parente Bugga, qui lui a promis que le saint prierait pour lui.


Les lettres de Boniface à ces deux rois sont perdues; nous avons conservé celles qu'il écrivit à Ethelbald, et il y en a peu dans sa correspondance qui soient plus glorieuses pour lui.


La noble franchise avec laquelle il lui reproche ses vices atteste à quel niveau élevé se tenaient les relations de l'apôtre avec ses souverains, et explique la vénération qu'ils lui portaient.


Ethelbald, à vrai dire, était de longue date l'ami de Boniface, qui l'avait connu avant son départ d'Angleterre.


Mais les précautions vraiment extraordinaires que prend le saint pour arriver à sa conscience suffisent pour faire apprécier à quel danger il s'exposait vis-à-vis de ce puissant, en essayant de le ramener à son devoir.


Il commença par lui dépêcher un premier message, dans lequel il lui annonça l'envoi de cadeaux dont il savait le prix aux yeux du roi chasseur et guerrier : un autour, deux faucons dressés, deux boucliers et deux lances; en même temps, il le priait de faire bon accueil à un autre message, qui ne tarderait pas à suivre le premier.


Puis, il fit signer par sept évêques l'admonestation qu'il lui adressa, afin de donner à cet écrit le caractère solennel d'un document conciliaire.


Il écrivit en même temps à un prêtre anglo-saxon nommé Herefrith, sans doute en faveur à la cour, pour le prier d'appuyer ses remontrances auprès du roi, car, ajouta-t-il, nous savons que vous craignez Dieu et non les hommes, et que le roi ne dédaigne pas, à l'occasion, de prêter l'oreille à vos avis. "


Enfin, sa lettre annoncée et recommandée avec ce luxe de précautions partit.


C'était un modèle de prudence et d'énergie à la fois; elle débutait par l'éloge chaleureux des vertus du roi, de sa charité, de son esprit de justice, pour aborder ensuite, avec un courage vraiment apostolique, les griefs de la religion et de l'Église contre lui :


Le dévergondage de ses moeurs, qui ne respecte pas même les vierges consacrées au Seigneur, et les déprédations que lui et ses agents se permettent tous les jours contre les monastères.


" Nous espérons, fils très cher, écrit-il en terminant, que vous vous rendrez aux paroles de la loi de Dieu et que vous corrigerez votre vie. Renoncez à vos vices, attachez-vous à pratiquer la vertu, et ainsi vous vivrez heureux dans ce monde et vous aurez dans l'autre une récompense éternelle. "


Voilà comment parlait aux rois de son peuple un homme qui avait besoin de leur bienveillance, et qui avait reçu d'eux de multiples preuves d'amitié.

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Message  Arthur Lun 22 Mar 2010, 8:18 am



Nous abordons maintenant ne partie de la correspondance du saint qui présente un intérêt tout particulier; ce sont les lettres qu'il échange avec les religieuses de son pays, dont les unes sont ses parentes, et les autres des élèves qui se sont nourries à distance de l'enseignement du bon maître.


Ces lettres ont un grand charme de cordialité et de pieux abandon; elles nous révèlent tout un côté de la physionomie du saint, elles nous permettent d'entrevoir l'origine de l'empire qu'il a exercé sur tous ceux qui l'ont approché.


Parmi les diverses physionomies de femmes qui vont défiler dans cette analyse de la correspondance de Boniface, il convient de réserver, cette fois encore, la place d'honneur à Lioba.


Nulle n'a joui à un plus haut degré de la confiance et de l'affection de son maître, nulle n'a été, si l'on peut employer cette expression, plus près de son coeur.


C'est elle qui, avec l'élan et la naïveté de la jeunesse, prit l'initiative des relations épistolaires qui devaient bientôt l'amener auprès de lui, en Allemagne, où elle était appelée à devenir sa collaboratrice la plus intelligente et la plus dévouée.


" Je supplie votre Clémence, lui écrit-elle, de vous souvenir de l'amitié qui nous unissait jadis en Wessex à mon frère Dynne, mort depuis huit ans, et de ne pas l'oublier dans vos prières.


Je vous demande aussi de vous souvenir de ma mère Aebbe, votre parente, et puisse-je, bien qu'indigne, mériter de vous avoir pour frère ! Aucun homme de ma famille ne possède ma confiance au même degré que vous.


Je vous envoie ce petit présent, non qu'il soit digne de vos regards, mais pour que la longue distance qui nous sépare ne nous fasse pas oublier mon souvenir, et que le lien de notre affection se resserre à jamais.


Frère bien aimé, je vous demande avec instance d'être protégée par le bouclier de vos prières contre les flèches empoisonnées de l'ennemi. Puis, je vous prie encore de daigner corriger le style rustique de cette lettre, et m'envoyer quelques-unes de vos bonnes paroles; je suis avide de les entendre.


" Je me suis évertuée à composer les vers ci-dessous suivant les règles de la tradition poétique, non par une téméraire confiance dans mon talent, mais pour exercer les débuts de mon frêle esprit et parce que j'ai besoin de votre assistance.


J'ai appris cet art auprès d'Eadburg, qui ne cesse de s'absorber dans l'étude de la loi de Dieu. Au revoir, vivez longtemps, vivez heureux, et priez pour moi. "


C'est avec cette aimable familiarité,tempérée de respect et de vénération, que débute la correspondance de Lioba avec Boniface. Combien il faut regretter que nous n'en possédions, pour ainsi dire, que cet unique spécimen !


De Boniface à Lioba, nous n'avons conservé qu'un simple billet, plus une lettre collective à ses trois abbesses, parmi lesquelles se trouve notre sainte.


Dans ce dernier document, le ton de l'évêque a une gravité et même une solennité exceptionnelles; c'est un père qui parle à ses filles, mais à des filles qui sont ses collaboratrices intelligentes et qui méritent qu'il leur ouvre son âme tout entière.


" Je vous supplie, et je vous ordonne comme à des filles très chères, de ne pas cesser de prier Dieu pour moi.


Pour que ce Dieu, qui est le refuge des pauvres et l'espérance des humbles, nous délivre de nos besoins et des tentations de ce siècle mauvais.


Pour que sa parole parcoure le monde et que l'Évangile du Christ soit glorifié, pour que la grâce ne reste pas stérile en moi.


Et, puisque je suis le dernier et le moindre de tous les légats que le Saint-Siège apostolique a envoyés prêcher l'évangile, pour que je ne meure pas sans avoir produit aucun fruit de salut.


Puis, priez pour que je ne revienne pas de ma tâche les mains vides, pour que Dieu ne me demande pas compte du talent enfoui, pour qu'au lieu de récompense je ne reçoive pas de Celui qui m'a envoyé le châtiment d'un labeur infructueux.


Car, hélas ! beaucoup de ceux en qui je me plaisais à voir des brebis faites pour être placées à la droite du Christ au jour du jugement sont devenus, au contraire, des boucs fétides et lascifs, et seront un jour placés à sa gauche.


Donc, demandez à Dieu de fortifier mon coeur, moi qu'il a voulu appeler, quoique indigne, pasteur de son peuple, afin que je ne fuie pas à la manière d'un mercenaire quand viendra le loup ravisseur.


Mais qu'à l'exemple du bon pasteur je protège les agneaux et les brebis, c'est-à-dire l'Église catholique avec tous ses enfants contre les hérétiques, les schismatiques et les hypocrites. Puis, les jours étant mauvais, soyez pleines de prudence et comprenez quelle est la volonté de Dieu.


Affermissez-vous dans la foi et agissez virilement. Que toutes vos oeuvres se fassent en esprit de charité, et, selon l'Évangile, vous posséderez vos âmes dans la patience.


Souvenez-vous aussi des saints apôtres et prophètes. Ils ont beaucoup travaillé dans le Seigneur, c'est pourquoi ils ont obtenu la récompense éternelle, selon le mot du psalmiste :


" Les tribulations de juste ont été nombreuses, mais le Seigneur l'en a délivré ", et selon la parole de l'Évangile : " Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera couronné. "

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Message  Arthur Mar 23 Mar 2010, 8:24 am



Ce n'est pas le père ni l'évêque, c'est l'ami et le frère que nous allons entendre dans les pages suivantes.


Le sérieux et la gravité de Boniface ne permettent pas, il est vrai, de trouver dans sa correspondance avec des femmes une grande différence entre la parole de l'ami et celle du maître, mais, par contre, l'accent des lettres qu'il reçoit a quelque chose de plus vibrant et de plus ému; on y sent pleurer des âmes.


L'abbesse Eadburg, de l'île de Thanet, qu'on croit de sang royal, est une des correspondantes les plus assidues de Boniface.


C'était une de ces religieuses jouissant d'une haute culture intellectuelle et zélée pour la multiplication des livres; c'est elle, croit-on, qui avait appris l'art des vers à Lioba.


Boniface lui raconte longuement, à sa demande, la vision du ressuscité de Wenlock, dont l'histoire passionnait alors les esprits


. À plus d'une reprise, il la remercie avec effusion de ses envois des livres, cette lumière spirituelle qui vient réjouir l'exilé de Germanie, et il exprime l'espoir que Dieu la récompensera au ciel.


La confiance qu'il a dans son amitié l'encourage à lui demander un service considérable : " Souvent, lui dit-il, vous avez consolé ma tristesse en me faisant parvenir des livres ou des vêtements. Je vous supplie donc d'achever votre ouvrage; écrivez pour moi, en lettres d'or, les épîtres de mon seigneur l'apôtre saint Pierre.


Vous me rendrez un double service : d'une part, vous contribuerez à faire honorer les Saintes Écritures par les auditeurs charnels de ma prédication, de l'autre, vous comblerez mon désir d'avoir toujours sous la main les écrits de celui qui m' envoyé dans ce pèlerinage.


Ecburge est une des anciennes élèves de saint Boniface; on s'en aperçoit aux réminiscences virgiliennes et autres dont sa lettre est remplie.


Âme plaintive et tendre, que les épreuves de la vie ont cruellement meurtrie, elle s'exhale en gémissements pleins de douceur et de mélancolie, dont douze siècles n'ont pas encore effacé le charme sympathique.


" Il ne s'écoule pas de jour, dit-elle, sans qu'elle se souvienne de son bon maître. Elle voudrait jeter autour de son cou ses bras de soeur; il est pour elle un père et un frère.


Depuis qu'elle a perdu son frère Oshere, aucun homme au monde ne lui est plus cher que lui; elle espère qu'il conservera pour elle un peu de l'amitié qui l'attachait à ce frère chéri.


Elle est accablée par la douleur : " Les jours ont beau s'écouler, écrit-elle, le sombre nuage de la tristesse ne me quitte pas. "


Elle ne cesse de pleurer une soeur avec qui elle a grandi et partagé l'amour d'une même mère; c'est Wietburg, aujourd'hui enfermée dans une prison à Rome, mais en qui la charité du Christ reste plus forte que ses chaînes.


Wiethburg est heureuse; elle glorifie la foi, elle s'avance dans la voie étroite, elle pourra dire au jour du jugement à son Dieu : " J'ai été dans la prison, et vous m'avez visitée. "


Pour elle, elle pleure ses péchés dans cette vallée de larmes, n'ayant pas mérité une telle grâce. Elle soupire après le jour où elle reverra le saint :


Le matelot battu par la tempête ne soupire pas plus après le port, les champs desséchés n'aspirent pas davantage à la pluie, la mère du pêcheur n'attend pas avec plus d'angoisse sur le rivage le retour de son fils.


Elle supplie le saint de prier pour elle, pauvre pécheresse qu'elle est, et de lui envoyer un souvenir, quelques reliques, une lettre. On est touché de cette longue plainte de colombe blessée, et l'on regrette de ne pas avoir la lettre qui aura porté les consolations et les encouragements de l'apôtre à cette pauvre âme endolorie.


Wiethburg, la soeur dont il vient d'être question dans la lettre d'Ecburg, compte, elle aussi, parmi les correspondantes du saint, qui lui donne l'affectueux nom de soeur et qui lui demande des renseignements au sujet d'un pèlerinage à Rome que nourrissait une autre de ses correspondantes.


Elle lui répondit, dans une lettre que nous avons perdue, qu'elle avait trouvé près du tombeau de saint Pierre la paix qu'elle avait si longtemps désirée.


Mais elle déconseilla le voyage de sa pieuse compatriote, à cause des troubles qui régnaient alors dans le pays de Rome et surtout des dangers d'une attaque des Sarrasins. Elle promettait de l'informer quand le moment propice lui semblerait arrivé.


La religieuse pour laquelle le saint demandait ces renseignements à Wietburg est elle-même une âme souffrante et accablée, en butte à des tribulations sans nombre, et pour qui la robuste amitié de Boniface est comme un refuge. Eangythe -- c'est son nom -- est comme une soeur d'Ecburg.


Elle aussi, elle porte un attachement profond au saint, qu'elle a connu en Bretagne, elle se réjouit de recevoir une lettre du maître doué du privilège de la prêtrise, orné des fleurs de la charité comme une guirlande de lys, et enrichi des trésors de la science.


La barque de son âme est ballottée sur les flots, et tout s'unit pour l'accabler : le repentir de ses péchés, la responsabilité qu'elle a de deux monastères, dont elle devra rendre compte au tribunal de Dieu.


Les discordes dans son troupeau, la pénurie matérielle, l'inimitié du roi, auprès de qui elle a été calomniée, les exigences du fisc et des grands, qui réclament plus qu'elle ne peut payer, la perte de ses amis et de ses proches.


Tant d'épreuves réunies lui ont gâté l'existence et a presque la vie en dégoût. Mais à ces plaintes succède l'expression d'un sentiment moins amer :


" Tout homme, quand il ne se suffit pas à lui-même et qu'il se défie de sa propre sagesse, cherche un ami fidèle à qui il puisse accorder sa confiance et ouvrir le secret de son coeur. Quoi de plus doux, comme dit le proverbe, que d'avoir quelqu'un avec qui on puisse s'entretenir comme avec soi-même ?


Moi, aussi,pour les raisons que je viens d'exposer, j'avais besoin de chercher un tel ami, en qui j'eusse plus de confiance qu'en moi-même, qui regardât comme siennes mes douleurs et mes souffrances, qui me consolât, m'encourageât, me soutînt par ses paroles salutaires.


J'ai la confiance de l'avoir trouvé en vous. Plût à Dieu qu'il m'eût été permis d'être transportée comme Habacuc dans la fosse de Daniel ou le diacre Philippe auprès de l'eunuque, dans ce pays où vous êtes en pèlerinage ! Que ne puis-je entendre de votre propre bouche ces paroles que vous m'adressez, seigneur, et qui me sont plus douces que le miel ! "


Elle consulte ensuite saint Boniface sur le projet qu'elle nourrit d'aller en pèlerinage à Rome. Étant déjà vieille, elle voudrait, avec sa fille Bugga, faire pour l'expiation de ses péchés ce pèlerinage qu'ont fait tant d'autres de ses amies et parentes; elle a l'assentiment de son ancienne abbesse Wale, sa mère spirituelle.


Mais elle sait que ce projet n'est pas approuvé de tout le monde; les canons veulent, dit-on, que chacun vive là où il a fait ses voeux. Dans son incertitude elle recourt à Boniface; elle le supplie de prier pour elle et pour sa fille; Dieu, sans doute, lui fera connaître si elle doit s'exiler ou rester dans la patrie.


Eangythe mourut, ce semble, sans avoir fait le pèlerinage désiré, mais il resta le rêve de sa fille, Bugga, que nous retrouvons parmi les correspondantes les plus assidues du saint.

Arthur

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Saint Boniface - Page 2 Empty Re: Saint Boniface

Message  Arthur Mer 24 Mar 2010, 8:24 am


Lui-même témoigne à Bugga une confiance qu'il ne prodigue pas; il la place dans son amitié au-dessus de toutes les personnes de son sexe.


Il lui raconte son premier voyage de Rome, ses relations avec le souverain pontife, la mort de Radbod, le songe qui a décidé de sa mission de Frise, les premiers résultats de son apostolat.


Ils échangent des présents; elle lui envoie des livres, de l'argent, des ornements d'autel; en retour, elle lui demande des livres encore, des prières, des messes. Elle revient à la charge auprès de lui au sujet du pèlerinage de Rome.


" Je n'ose, lui répond-il, ni vous interdire absolument, ni vous conseiller en toute confiance le pèlerinage de Rome; je me bornerai donc à vous donner ma simple manière de voir.


Si, pour trouver la paix et pour vous livrer à la contemplation, vous avez déposé la mission que vous aviez vis-à-vis des serviteurs et des servantes de Dieu, pourquoi faudrait-il que maintenant vous fussiez soumise aux volontés des séculiers et eussiez des soucis et des responsabilités ?


Je crois qu'il vaut mieux pour vous, étant donné que les séculiers ne vous permettent pas de jouir dans votre patrie de la paix de l'âme, de vous procurer par votre pèlerinage la liberté de la contemplation, comme a fait notre soeur Wiethburg.


Elle me mande qu'elle a trouvé près du tombeau de saint Pierre la paix qu'elle a si longtemps désirée.


En ce qui concerne votre projet -- car je lui en avais écrit -- elle ajoute que vous feriez bien d'attendre pour la mettre en exécution, jusqu'à ce que les troubles du pays de Rome et les craintes d'invasion des Sarrasins soient dissipés : elle vous écrira alors elle-même pour vous inviter à la rejoindre.


Voilà ce qui me paraît le mieux. Préparez donc votre voyage et attendez des nouvelles de Wiethburg; vous ferez ensuite ce que le Seigneur vous ordonnera. "


Les nouvelles de Wiethburg furent favorables sans doute, car nous voyons que Bugga put donner suite à son projet, et qu'en 738 elle se trouva à Rome en même temps que Boniface.


Apparemment ils étaient convenus, dans des lettres que nous n'avons pas conservées, de se rencontrer dans la Ville Éternelle, où ils visitèrent ensemble les basiliques et s'entretinrent longuement.


La correspondance continua pendant les années suivantes, mais il ne nous reste plus qu'une seule lettre écrite par le saint. Tous les deux avaient vieilli; les épreuves n'avaient été épargnées ni à l'un ni à l'autre; toutefois, du sein des préoccupations multiples qui l'assiégeaient, l'apôtre tournait encore son regard ému vers sa fidèle correspondante :


" Ô soeur très chère, lui écrivait-il, l'amour du Christ et celui des pèlerinages faits à son service nous ont séparés par de vastes intervalles de terre et de mer; j'ai appris par plusieurs la tempête des tribulations qui vous sont survenues dans votre vieillesse avec la permission de Dieu.


J'en ai été contristé et j'en ai gémi, en pensant que, depuis que vous avez déposé la responsabilité de votre abbatiat par amour de la vie contemplative, vous avez rencontré des épreuves plus nombreuses et plus redoutables.


" Je vous écris donc, soeur vénérée, plein de compassion pour vos souffrances, et me souvenant de vos bienfaits ainsi que de votre vieille amitié.


Je vous écris en frère et en consolateur, vous priant de ne pas oublier les paroles de la sagesse éternelle... Réjouissez-vous et soyez pleine d'allégresse, car votre espoir ne sera pas confondu.


Méprisez de toutes les forces de votre esprit les tribulations de ce monde, à l'exemple de ces soldats du Christ, de l'un et de l'autre sexe, qui les ont méprisées et tenues pour rien.


Le père, l'ami de votre virginité, qui vous a appelée à lui comme sa fille bien-aimée au printemps de votre existence, c'est lui encore qui, aujourd'hui, veut achever la beauté de votre âme par les tribulations qu'il vous envoie.


Donc, soeur très chère, comptant sur la promesse de l'héritage céleste, soyez pleine de joie, et opposez le bouclier de la foi et de la patience à toutes les tribulations du corps et de l'âme, afin qu'avec l'aide du Christ votre époux, vous parveniez à terminer dans votre vieillesse, pour la gloire de Dieu, la tour évangélique dont vous avez commencé la construction dans vos jeunes années.


Alors, quand le Christ vendra, vous mériterez d'aller à sa rencontre avec les vierges sages, portant votre lampe allumée et pleine d'huile. "


Ces quelques documents, seuls débris d'une correspondance qui a dû être active, permettent d'apprécier les relations que le saint entretenait à distance avec les religieuses de sa patrie.


Il y apportait un mélange de fermeté virile qui relève et de tendresse compatissante qui console, et jusque dans la cordialité ému de l'ami, on y retrouve la réserve du pontife et du père.


Toujours affectueux et toujours serein, il élevait l'esprit de ses correspondantes à ces hauteurs de la vie morale où tous les sentiments et toutes les affections, surnaturalisés dans l'amour divin, deviennent autant de vertus fécondes.


Voilà pourquoi cet ouvrier évangélique, toujours en course pour le royaume de Dieu à travers les forêts de la Germanie, groupe autour de lui tant d'âmes féminines pour qui sa parole est un réconfort, son affection une consolation, et son enseignement une direction spirituelle.

Arthur

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