La marche à la mort (Carmélites de Corée)

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Message  Monique Mar 06 Oct 2009, 1:05 pm

La marche à la mort (Carmélites de Corée) Bureau23



Nous marchions deux par deux, en silence, le cœur oppressé, précédés de 700 soldats américains.
La ville de Nan-Ypo une fois traversée, ce fut la campagne et vers 10 heures, nous reçûmes l'ordre de camper dans un champ de maïs. La récolte était faite, le feuillage jonchait la terre nous servant de matelas et de couverture. Mère Mechtilde était arrivée à l'étape sans trop de peine. On l'installa le moins mal possible et le Bon Dieu, prenant en pitié ses enfants en détresse, leur envoya malgré la rigueur de la température un peu de sommeil réparateur. Au réveil, les hommes avaient la barbe pleine de givre et les cadavres de plusieurs Américains étaient gelés au sol.



1er novembre - Fête de la Toussaint

Nous saurons plus tard qu'à pareil jour l'Eglise en fête acclame la proclamation dogmatique de l'Assomption.Pour nous l'heure est tragique ! et l'assassinat d'un lieutenant américain revit en nous comme s'il datait d'hier.

« Pas de traînards, avait dit le Tigre ; il faut porter les malades, il faut porter même les morts. »

Le camp américain était divisé en plusieurs colonnes, chacune avait son chef responsable. Dans celle du lieutenant Thornton, il y avait plusieurs mourants ; il les fit laisser sur le bord du chemin. Le Tigre arriva :

Alors se retournant vers les Coréens qui assistaient à la scène : « Celui-ci, dit-il, n'a pas suivi les ordres donnés, puis-je le tuer? » Des cris ds haine lui répondirent : « Qu'ils meurent tous ! »

Le jugement était fait. L'interprète, un des nôtres qui depuis 40 ans dans le pays était familiarisé avec la difficile langue coréenne, supplia en vain. Une jeune fille turque, ne pouvant dominer son émotion, s'écriait avec larmes :

« Non, non, ne le tuez pas. »

En la menaçant de son revolver, le Tigre lui dit :

« Si vous ne vous taisez pas, je vous tue aussi. »

Le lieutenant, très, digne, parfaitement maître de lui-même, attendait. Quel drame intime vivait-il dans son cœur? On nous a assuré qu'il était marié et père de famille. Le coup partit. Le corps de la victime n'eut pas le temps de tomber à terre, car un soldat de la colonne se précipita pour le recevoir dans ses bras. Le cadavre fut emporté à l'écart et recouvert de pierres.

Nos gardes nous avaient dit d'être bien chaussés, car les chemins seraient difficiles. Où les prendre ces chaussures solides? Les souliers de Mère Mechtilde pouvaient convenir, mais notre Révérende Mère avait des sandales de carmélite. Pour sœur Marie-Madeleine, on avait raccommodé avec du fil de fer les semelles de caoutchouc. Sœur Bernadette avait des socques en bois de sa fabrication ; quant à sœur Marie-Henriette, elle marchait avec un soulier et une sandale. Quelles paroles pourraient faire comprendre ce que furent pour nous ces journées douloureuses dans les montées pénibles où le souffle manquait, avec les soldats poussant de la crosse du fusil ceux dont le pas ralentissait, avec sans cesse à nos oreilles leurs cris :

« Vite, vite. »

Pourquoi donc fallait-il aller si vite, si ce n'est parce que les armées unies approchaient et qu'il fallait à tout prix nous soustraire aux libérateurs. Mère Mechtilde était portée plus qu'elle ne marchait, soutenue par des bras vigoureux ; les membres raidis par le froid, elle tendait toute son énergie pour arriver à l'étape. Le Père Villemot, de forte corpulence, épuisa non point le dévouement, mais les forces du Père Bultaut qui ne devait plus s'en remettre. Malgré le lourd paquet qu'elle portait sur le dos, sœur Bernadette ne lâcha pas d'une minute la carmélite aveugle et la sauva de tous dangers.



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Message  gabrielle Mar 06 Oct 2009, 4:55 pm

Voià, des Carmélites très peu connues.

Il sera intéressant de lire leur histoire, de les suivre sur cette douloureuse montée au Calvaire.
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Message  Monique Mar 06 Oct 2009, 7:41 pm

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Aux étapes, nous touchions un peu de maïs comme ravitaillement. Le soir du 1er novembre, la halte se fit dans un village et nous passâmes la nuit sous l'auvent d'une porte. Elle fut plus glaciale que la précédente, car nous avions pris de l'altitude.

« Serrez-vous bien contre moi, disait Mère Mechtilde à une de ses compagnes, j'ai si froid du côté malade. » Mais comment réchauffer quand on est soi-même gelée?

Au matin, sœur Eugénie demanda un bol d'eau chaude pour une vieille « grand-mère » de soixante-dix-sept ans, dit-elle. Il s'agissait de Mère Béatrix. La femme, une mégère, ferma brutalement la porte en ricanant. Cette maison étant celle des réunions populaires, il ne faut pas s'étonner de cette dureté.

Sur la route, nous trouvions des camas (sacs de céréales), des couvertures abandonnées par les Américains, qui, harassés, se débarrassaient de leurs trésors rares et précieux.

Nous-mêmes, le cœur triste, avons laissé dans un champ nos grands chapelets de carmélites que nous ne portions plus à la ceinture pour ne pas attirer l'attention.

« Laissez vos paquets, répétaient nos gardes, et sauvez votre vie. » La vie ! combien de soldats américains l'ont perdue pendant cette marche tragique !

Nous les rencontrions épuisés, couchés sur le bord du talus. Ils nous demandaient :

« Est-ce que le « car » arrive? »

Hélas ! le char qui arrivait était celui de la mort, aussi nos Pères en passant devant eux prononçaient-ils la formule de l'absolution. Le sergent venait derrière nous avec sa mitraillette et le Tigre achevait ceux qui respiraient encore, avant de les pousser d'un coup de pied dans le ravin. Scène d'horreur que l'on voudrait chasser de sa mémoire, mais qui demeure inoubliable. Nous comptions les coups de feu, il y en eût 15 dans la seule matinée du samedi 4. Au total, une centaine d'Américains sont restés dans ces montagnes, devenues pour eux un véritable cimetière.

Quand nous arrivions à l'étape, le soir, il fallait écouter, accroupis sur les talons et les hommes tête nue en signe de respect, les interminables discours du Tigre. Grisé par sa propre éloquence, le commandant du peuple tonnait contre les pays capitalistes, cause de tous nos maux.

Quand il avait dit quelques phrases, Mr Lord traduisait en anglais et le vice-consul d'Angleterre en russe. Pendant ce temps, les carmélites et les sœurs de Saint-Paul, après avoir semé sur les routes tant de « de Profundis » et « d'Ave Maria », récitaient le Rosaire.

« Sainte Marie Mère de Dieu, priez pour nous que la douleur oppresse... ayez pitié de vos enfants malheureux, priez maintenant et à l'heure de notre mort, car elle est toute proche pour plusieurs d'entre nous. »



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Message  Monique Mer 07 Oct 2009, 8:16 pm

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Les nuits des 2 et 3, puis du 3 au 4, se passèrent dans des écoles, mais nous y étions si serrés que le repos devenait impossible. Au petit matin, notre Révérende Mère crut voir dans la cour un tas de feuillage, elle s'approcha; c'était, recouverts de quelques branches, les cadavres des soldats morts pendant la nuit.

Le vendredi 3 novembre, qui d'entre nous pourrait l'oublier? Avant le départ de la colonne, le consul de France vint nous dire qu'il avait obtenu pour Mère Béatrix, Mère Mechtilde, le Père Villemot et Sœur Marie-Madeleine la permission ds rester à l'hôpital du peuple jusqu'à ce qu'un moyen de transport puisse arriver. Au petit groupe, on adjoignit sœur Marie-Claire.

La colonne s'ébranla et nous regardions partir nos camarades quand survint le Tigre. Furieux de la permission donnée par un de ses officiers, il nous apostropha :

« Comme tout le monde, marchez, marchez. »

Le rêve d'un délassement s'évanouit, mais il faut reconnaître que, pour une fois, sa brutalité eut une heureuse conséquence, car l'hôpital populaire était probablement la fusillade dans un coin retiré.

Mère Béatrix avait une maladie de cœur, ses mains et son visage enflés révélaient son épuisement. Cependant courageuse, elle repartit, mais peu après s'arrêta :

« Je ne peux plus avancer », dit-elle avec sa douceur habituelle et, comme les soldats la poussaient, elle répéta : « Malgré mon désir, je ne puis plus, faites de moi ce que vous voudrez. »

En pleine possession d'elle-même, elle dit à sa compagne :

« Partez ma sœur, il ne faut pas qu'il y ait deux victimes. »

Sœur Eugénie, désolée, dut la laisser sur le chemin, entre les mains des soldats. Nous n'avons plus jamais revu le regard si profond et le beau sourire de Mère Béatrix dont toute la vie fut rayonnante de bonté. Pendant ses cinquante années de missionnaire, combien d'orphelins recueillis et de souffrances consolées ! Cette mort si tragique et si belle n'était-elle pas le digne couronnement de son apostolat !



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Message  Monique Jeu 08 Oct 2009, 7:35 pm

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Notre camp compta durant la marche une seconde victime : une dame russe de cinquante-sept ans, dont les chevilles enflées trahissaient la faiblesse du cœur, arriva ce même jour en retard à l'étape de midi ; elle eut le temps de prendre son repas, mais à l'arrêt suivant, elle n'était plus parmi nous et nous n'avons jamais pu savoir ce qu'elle était devenue.

Le samedi 4 au réveil, il neigeait, et cela nous donna l'espoir d'une journée de repos. Espoir vite déçu. Coûte que coûte, il fallait repartir. Neige sous nos pas, neige sur nos têtes, les monts sont plus raides, la bise cingle le visage et coupe la respiration. La gorge est sèche, mais nous prenons au passage sur les arbustes des morceaux de glace pour nous rafraîchir.

Les gardes nous font arrêter dans une cabane ; l'espace est si restreint que l'installation se fait lentement. Elle est à peine terminée qu'il faut reprendre la route. Un char à bœufs passe ; les premiers arrivés s'y entassent et quand Mère Mechtilde arriva, il n'y avait, hélas! plus de place.

Que sont devenus les enfants dans cette marche? Les plus grands courent pour ne pas perdre la colonne ; les mamans turques et russes portent courageusement sur leur dos les petits derniers qui pleurent de faim et de froid. Cette course paraît vouloir se prolonger : le canon des alliés gronde toujours derrière nous. Sœur Marie-Madeleine a le pied droit si abîmé qu'elle ne voit pas la possibilité de repartir. Pensant que le sort de Mère Béatrix lui sera réservé, elle se prépare à la mort. A cette heure, la visite de la mort paraît douce comme celle d'une amie.
Il faut dire pourtant que nous avons rencontré quelques gardes plus humains et qui paraissaient nous prendre en pitié. Après l'assassinat du lieutenant Thornton, l'un d'eux, qui marchait à côté de nous, rompit le silence :

« Quand la guerre sera finie, vous retournerez dans vos patries; alors vous ne parlerez pas de ce que vous avez vu ce matin. »

Une autre fois, sœur Marie-Henriette, n'en pouvant plus, demanda l'aide d'un soldat : il lui prit son paquet et la soutint pendant la montée difficile. Dans une vallée, sœur Marie-Madeleine obtint la permission de boire au ruisseau et de s'étendre un quart d'heure.



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Message  Monique Ven 09 Oct 2009, 8:25 pm

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Le soir du 4 novembre, deux camions furent annoncés pour les femmes et les vieillards. Seuls les hommes valides achèveraient la marche à pied. Dans le premier groupe se trouvaient Mère Mechtilde, notre Révérende Mère et sœur Marie-Madeleine. Elles arrivèrent vers 1 heure du matin dans la ville de Tjong-Kang. Le camion repartit et laissa les voyageurs sur le chemin. Visiblement, les gardes ne savaient où les conduire. Dans l'obscurité profonde, nous faisions cent mètres à droite, puis ordre de retourner sur nos pas pour avancer vers la gauche. Mère Mechtilde tomba et se fit une blessure au genou.

Après des attentes multipliées, on nous fit entrer dans une grande école. Le plus étonné fut le gardien qui ne voulait pas donner les clefs. Le lendemain, le camion amena sœur Marie-Henriette, sœur Bernadette et sœur Eugénie. Nous couchions deux à deux dans des caisses longues et étroites, pleines de paille. La discipline était sévère. Les premiers jours, il ne fallait ni sortir des caisses, ni parler. Les enfants ayant dérobé quelques navets, on nous priva d'un repas et le poêle ne fut pas allumé.

La mort allait commencer à faire son œuvre. Le 7, sœur Marie-Claire fut trouvée morte sur sa pauvre couche ; le cœur avait failli pendant la nuit.

Le mercredi 8 eut la joie du retour des hommes : joie tempérée parce que le Tigre était avec eux. Il ne paraissait pas adouci, au contraire. Il nous annonça que n'ayant pas été obéissants pendant la marche, nous serions traités avec plus de rigueur.

La journée commençait par une demi-heure d'exercices physiques. Tous devaient y participer. Le Père Villemot mourant manquait. Le Tigre exigea sa présence. Le Père fut apporté sur un cama et couché dans un coin de la cour par un froid de moins 30°. Dans l'après-midi du 11 novembre, il fit ses dernières recommandations, serra la main de ses confrères et avec une allégresse visible rendit son âme à Dieu. C'était une âme de forte trempe. L'avant-veille de sa mort, douloureusement accablé par ses infirmités, à deux ou trois reprises, il s'était écrié d'une voix forte : « Mon Dieu qu'il faut donc souffrir pour mourir. » Maintenant, débarrassé de toute servitude, après cinquante-sept ans de dévouement inlassable, « il entrait dans la joie du Seigneur ».

Pendant l'enterrement du Père, les avions américains bombardèrent sérieusement la grande école qui nous logeait: ils la prenaient sans doute pour une caserne et ne se doutaient pas que ses habitants étaient des frères et des amis. Ceux qui creusaient la fosse durent se cacher dans un bois voisin. Le froid piquait, c'est là que le Père Coyos prit la broncho-pneumonie qui le mènera aux portes du tombeau.

Quant à nous, après cette expérience, nous avons regardé la vérité en face et trouvé notre force non dans le mirage, mais dans la réalité, aussi dure qu'elle soit, acceptée par amour pour Dieu. Parvenir à l'abandon total, sans condition et sans limite, fut tout notre travail intérieur.

Malgré l'ambiance, nous parvenions à nous isoler pour prier et notre force quotidienne se renouvelait par la soumission à la volonté de Dieu. Que Dieu est en nous et que la souffrance nous le rend plus proche, nous l'avons alors pleinement compris et vécu !



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Message  ROBERT. Ven 09 Oct 2009, 9:29 pm

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Merci Monique pour cette marche des Carmélites de Corée vers le martyre. Que de beaux exemples d'héroïcité...
ROBERT.
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Message  gabrielle Dim 11 Oct 2009, 9:23 am

Très beau récit.

Quoi de plus beaux que voir des âmes s'avancer vers la mort le coeur joyeux, confiant et débordant d'amour pour Dieu,

Notre sainte religion, est la seule qui peut donner cet état d'âme.

Gloire à Dieu dans ses saints
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