LES DIALOGUES DE S. GRÉGOIRE LE GRAND - LIVRE III- par M. l'Abbé Henry

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Message  Monique Jeu 18 Mar 2021, 9:03 am

CHAPITRE XXIII

Quarante paysans égorgés par les lombards, parce qu'ils refusèrent à manger des victimes immolées à un démon.[98] (Vers 579.)


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GRÉGOIRE.

Il y a environ quinze ans que, sur le témoignage des personnes qui en ont été témoins, quarante paysans, tombés entre les mains des Lombards, se virent pressés de manger des viandes offertes aux idoles. Ils résistèrent courageusement et refusèrent positivement de toucher à ces mets sacrilèges. Alors les Lombards, qui les avaient en leur puissance, se mirent à les menacer de la mort s'ils ne mangeaient des victimes immolées. Mais eux, préférant l'éternelle vie à cette vie présente et éphémère, restèrent inébranlables et périrent tous victimes de leur invincible constance.

Ne sont-ils pas des martyrs de la vérité, ces généreux chrétiens qui, dans la crainte d'offenser leur Créateur, ont mieux aimé unir leur vie par le tranchant du glaive que de manger des viandes défendues[99] ?


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[98] « En Campanie, la mémoire de quatre-vingts martyrs que les Lombards mirent cruellement à mort parce qu'ils refusaient d'adorer une tête de chèvre, et de manger de la chair offerte aux idoles. » (Martyr. rom, 2 mars. Bolland., 2 mars.)

[99] Voyez le martyre du magnanime vieillard Éléazar : il mourut pour le même sujet. (2 Mach., 6-31. ; 1 Cor., 10-28.)


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Message  Monique Ven 19 Mar 2021, 8:30 am

CHAPITRE XXIV

Multitude de captifs immolés pour avoir refusé d'adorer une tête de chèvre.[100] Vers(579.)


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GRÉGOIRE.

A peu près à la même époque, les Lombards, après s'être saisis de quarante autres chrétiens, immolèrent au démon, selon leur coutume, une tête de chèvre, qu'ils lui offrirent en courant alentour et en chantant des airs abominables.[101] D'abord ils l'adorèrent en s'inclinant devant elle, el pressèrent leurs prisonniers de lui rendre les mêmes hommages. Mais la majeure partie des captifs préféra conquérir la vie immortelle au prix de son sang, plutôt que de conserver à une telle condition une vie éphémère. Ainsi elle refusa d'obéir à ces ordres sacrilèges, et ne daigna pas incliner devant la créature un front qu'elle avait toujours courbé devant son Créateur. Dans les violents transports de leur courroux, les barbares livrèrent au tranchant du glaive tous les captifs qu'ils ne purent entraîner dans leurs coupables erreurs.

Est-il étonnant qu'à l'époque d'une persécution ils eussent pu remporter la palme du martyre, ces fidèles qui, en se consacrant à de continuelles austérités dans la paix de l'Église, marchaient dans la voie étroite du martyre, lorsque les personnes qui paraissaient suivre, pendant des jours sereins, les larges voies du siècle, ont mérité de recevoir cette glorieuse couronne en un instant de persécution passagère[102] ? Toutefois ce que nous disons de ces élus, nous ne prétendons pas en faire une règle applicable à tous les chrétiens. En effet, lorsque le feu de la persécution éclate, une foule qui, pendant la paix, ne paraissait digne que de mépris, obtient la gloire du martyre, tandis que ceux que l'on croyait dans l'Église animés d'un courage héroïque tombent de faiblesse et de crainte. Mais pour les fidèles reconnus et proclamés par nous capables du martyre, c'est une assertion que nous avançons en toute confiance, appuyés sur leur fin glorieuse. Comment auraient-ils pu tomber dans une persécution ouverte, ceux qui jusqu'à la fin de leur vie (et c'est une vérité incontestable) ont persévéré intérieurement dans leur invariable constance ?

PIERRE.

Ce que vous dites là est vrai ; mais j'admire la miséricordieuse sagesse de Dieu envers nous, indignes de tant de faveurs : il sait si bien enchaîner la fureur des Lombards, qu'il ne permet point à leurs prêtres sacrilèges, vainqueurs des fidèles, pour ainsi dire, de persécuter en rien la foi des orthodoxes.


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[100] Voyez la note 1 du chapitre précédent. (Bolland., 2 mai, etc.)

[101] Ces Lombards n'étaient pas tous païens ; mais la plupart étaient engagés dans l'hérésie d'Arius. Dans une lettre à Brunehaut, reine de France, saint Grégoire dit positivement que ces mauvais chrétiens se portaient à ces sortes »d'idolâtries. (Saint Grégoire, liv. 7, lettre 5, indict. 1.)

[102] La grande révolution de France (1793) confirme abondamment cette assertion de saint Grégoire. Alors des personnes dont la vie n'avait été rien moins qu'exemplaire, confessèrent généreusement la foi et donnèrent leur sang pour la cause de Jésus-Christ.


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Message  Monique Sam 20 Mar 2021, 8:01 am

CHAPITRE XXV

Évêque arien frappé de cécité. (Vers 573.)


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GRÉGOIRE.

Les Lombards ont entrepris plus d'une fois, mon cher Pierre, de persécuter la foi catholique ; mais le Ciel a opposé des miracles à leur fureur. Je n'en raconterai qu'un seul ; je l'ai appris de la bouche de Boniface, religieux de mon monastère.[103] Or, Boniface, si l'on excepte les trois ans qui viennent de s'écouler, s'est toujours trouvé avec les Lombards. Arrivé à Spolète, leur évêque, imbu des erreurs de l'arianisme et privé d'un local pour l'exercice de son culte, demanda une église à l'évêque de cette ville, afin de la consacrer à l'arianisme. Le prélat lui opposa un refus inébranlable. Alors l'hérétique qui était venu lui adresser ses sollicitations déclara que le lendemain il pénétrerait de vive force dans l'église de l'apôtre saint Paul, située à quelques pas. A cette nouvelle, l'ecclésiastique chargé de veiller à sa garde courut aussitôt en fermer la porte à clef ; puis, le soir, il en éteignit toutes les lampes, et se coucha dans la nef. Le lendemain, à l'aube du jour, l’évêque arien arriva, suivi d'une grande multitude, tout prêta enfoncer les portes de l'église qu'il trouva fermées. Mais soudain la puissance divine les ébranle toutes à la fois ; les serrures tombent, les portes du temple s'ouvrent toutes ensemble avec un affreux fracas, et une lumière, descendue du ciel, vient allumer les lampes éteintes la veille. L'évêque arien, disposé à employer la force pour pénétrer dans le saint lieu, est frappé d'un aveuglement subit et reconduit à son domicile par des mains étrangères. [104]

Le prodige parvint à la connaissance de tous les Lombards de la contrée, qui n'osèrent plus désormais se permettre de violer les temples catholiques. La lumière avait été rendue à l'église Saint-Paul, précisément au même moment qu'elle avait été ravie au sacrilège arien, à l'occasion duquel on avait éteint les lampes ; et c'était là un miracle bien capable de faire sur les esprits une salutaire impression.


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[103] Le monastère de Saint-André de Rome.

[104] Élymas entravait la prédication de saint Paul ; l'apôtre le frappa de cécité. (Act., 13-8.) — Un roi d'Irlande essuya le même châtiment pour avoir mal accueilli saint Kieran. (Boll., 5 mars, etc.)


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Message  Monique Dim 21 Mar 2021, 8:14 am

CHAPITRE XXVI

Église arienne, à Rome, nouvellement consacrée au culte catholique. (VIe siècle.)


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GRÉGOIRE.

Je ne veux pas omettre les prodiges que la bonté divine fit éclater dans cette ville (Rome), il y a deux ans, pour la condamnation de l'hérésie arienne. Le peuple connaît une partie des faits que je vais raconter, Vautre a eu pour témoins oculaires et auriculaires le prêtre et les gardiens de l'église.

Une église des ariens, dans le quartier de la ville qu'on appelle Subure,[105] était restée close ; elle l'était encore il y a deux ans. Je jugeai à propos de la consacrer au culte catholique, en y plaçant des reliques des martyrs saint Sébastien et sainte Agathe ; et c'est ce que nous fîmes. Nous entrâmes dans cette église à la tête d'un peuple immense, en chantant les louanges de Dieu. Pendant qu'on y célébrait les saints mystères, au milieu d'une foule compacte et entassée dans cet étroit local, quelques personnes placées en dehors du sanctuaire, sentirent courir de côté et d'autre, entre leurs jambes, un animal immonde. Chacun s'en aperçut et en fit part à ses voisins. Pendant ce temps-là le pourceau se dirigea vers les portes de l'église, excitant l'étonnement de tous ceux parmi lesquels il passait ; mais si on put le sentir, il fut impossible de le voir. La bonté divine fit éclater ce prodige afin de montrer à tous que cet hôte immonde sortait du temple.[106]

Après la célébration des saints mystères, nous nous retirâmes ; mais, la nuit suivante, un bruit affreux se fit entendre sur le toit de l'église ; on eût dit que quelqu'un y courait de toute part avec fracas. Le bruit augmenta la nuit suivante ; il devint tout à coup aussi bruyant et aussi terrible que si l'église entière eût croulé de fond en comble. Puis il cessa-à l'instant, et l'ancien ennemi ne suscita plus d'inquiétude de ce côté ; mais l'effroyable tintamarre qu'il avait fait entendre était la preuve qu'il ne sortait que malgré lui du saint lieu qu'il avait occupé.

Quelques jours après, tandis que le temps était parfaitement serein, une nuée descendit du ciel sur l'autel de cette église, le couvrit de son ombre, et remplit tout à la fois l'église d'une terreur et d'une odeur de suavité telles que, bien que les portes fussent ouvertes, personne n'osait entrer. Le prêtre, ceux qui étaient chargés du soin de l'église, ceux qui venaient célébrer les saints mystères, étaient témoins de ce spectacle et respiraient l'odeur de ce parfum délicieux ; mais ils ne pouvaient entrer. Un autre jour, les lampes, qu'on y avait trouvées éteintes, furent allumées par une lumière céleste. A quelques jours de là, le sacristain les éteignit après la célébration des saints mystères, et sortit de l’église. Il y rentra un instant après, et trouva rallumées les lampes qu'il avait éteintes. Il s'imagina qu'il l'avait fait maladroitement, les éteignit avec soin et ferma l'église en la quittant. Mais trois heures après, lorsqu'il revint, il les trouva encore allumées : ce prodige avait sans doute pour but de montrer manifestement que cette église était passée des ténèbres à la lumière.[107]

PIERRE.

Quoique nous soyons en proie à d'immenses tribulations, cependant les miracles étonnants que vous me racontez prouvent que notre Dieu ne nous méprise pas totalement.

GRÉGOIRE.

Je m'étais proposé de ne vous rapporter que ce qui s'est passé en Italie ; voulez-vous néanmoins que, dans le but de mieux établir la condamnation de l'hérésie arienne, nous passions en Espagne dans notre entretien, pour revenir en Italie par l'Afrique ?

PIERRE.

Allez où bon vous semblera : je me laisserai emmener et ramener avec joie.


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[105] Saint Grégoire, lett. 3, lettre 19.

[106] Le pape Adrien, écrivant à Charlemagne pour défendre le septième concile général, parle de ce miracle, arrivé dans l'église Sainte-Agathe (c'était son vocable), et assure que saint Grégoire la fit orner d'images, qu'on voyait encore de son temps.

[107] C'est-à-dire de l'hérésie arienne au culte catholique.


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Message  Monique Lun 22 Mar 2021, 8:15 am

CHAPITRE XXVII

Le saint roi Herménigilde,[108] fils de Lévigilde, roi des Visigoths, tué par l'ordre de ion père, à cause de ion attachement à la foi catholique » (586.)


********


GRÉGOIRE.

Beaucoup de personnes venues d'Espagne m'ont appris que le roi Herménigilde, fils du roi Lévigilde, converti par les prédications du vénérable Léandre,[109] évêque de Séville, auquel je suis uni par les liens d'une ancienne amitié, avait quitté l'hérésie arienne pour embrasser la foi catholique.[110] Son père, engagé dans l'hérésie d'Anus, employa les menaces et les promesses, la persuasion et la terreur, pour le replonger dans les ténèbres de l'hérésie. Il répondit avec une constance inébranlable qu'il ne pourrait jamais quitter la vraie foi, après l'avoir une fois connue. Lévigilde, irrité, lui ôta la couronne et le dépouilla de tous ses biens. Un traitement si dur ne put faire fléchir son courage ; son père inhumain le fit jeter dans une étroite prison, et charger de fers au cou et aux mains. Alors le jeune roi Herménigilde se prit à mépriser les royaumes de la terre pour aspirer de tout l'élan de son âme au céleste royaume. Couvert d'un cilice, accablé de chaînes et gisant à terre, il conjurait avec ferveur le Dieu tout-puissant de fortifier son courage ; plus il avait reconnu dans sa prison le néant des biens qui se peuvent ravir, plus il se sentait un généreux dédain pour la gloire d'un monde qui passe.

La solennité de Pâques étant arrivée, le perfide Lévigilde députa vers son fils, dans le silence d'une nuit profonde, un évêque arien, chargé de lui donner la sainte communion de sa main sacrilège, et de lui faire acheter à ce prix les bonnes grâces de son père. Mais, tout dévoué au Seigneur, le jeune confesseur accabla l'évêque arien de reproches justement mérités, et repoussa ses insinuations perfides ; car, s'il était couché sous le poids de ses fers, intérieurement il se tenait debout, tel qu'une colonne, dans le calme d'une sécurité profonde. Lorsque l'évêque arien fut de retour, Lévigilde se livra à de violents transports, et aussitôt il envoya ses appariteurs pour tuer dans sa prison le généreux confesseur de la foi ; ses ordres furent accomplis. A peine les satellites furent-ils entrés, qu'ils lui fendirent la tête à coups de hache et tranchèrent le fil de ses jours. Ils ne purent lui enlever, après tout, que ce que l'héroïque victime avait constamment méprisé en sa personne.

Mais, pour manifester sa véritable gloire, le Ciel fit éclater plus d'un miracle. Auprès du corps de ce roi immolé pour sa foi, et d'autant plus véritablement roi qu'il avait obtenu la couronne du martyre, on entendit dans le silence de la nuit retentir le chant sacré des psaumes. On rapporte aussi que dans ce même moment on vît des lampes allumées. C'était pour montrer que ses mortelles dépouilles, telles que les reliques d'un martyr, devaient être à juste titre l'objet de la vénération des fidèles. Son impie et parricide père fut touché de repentir ; il déplora son crime ; mais ses remords ne suffirent pas pour lui obtenir la grâce du salut. Il reconnut la vérité de la foi catholique ; mais comme il redoutait de froisser sa nation par une profession ouverte, il ne mérita pas de l'embrasser. Les chagrins et la maladie l'ayant conduit au terme de sa carrière, il manda l’évêque Léandre, qu'il avait auparavant persécuté avec tant de rigueur, et lui recommanda instamment son fils Récarède, qu'il laissait plongé dans l'hérésie, afin que les exhortations du saint prélat opérassent en lui l'heureux changement qu'elles avaient produit dans son frère. Après cette recommandation il mourut. Alors, au lieu de suivre les égarements du roi son père, Récarède marcha sur les traces du roi martyr son frère, renonça aux coupables erreurs de l'hérésie arienne, convertit à la vraie foi toute la nation des Visigoths, et refusa de recevoir sous ses étendards, dans toute retendue de son royaume, ceux qui ne craignaient pas de se constituer les ennemis de Dieu en restant infectés du venin de l'hérésie. Il ne faut pas s'étonner que le frère d'un martyr soit devenu le prédicateur de la vraie foi : les mérites du second obtinrent au premier la grâce de ramener dans le sein de Dieu une foule de personnes. Il importe de nous convaincre qu'une si belle entreprise n'eût pu se réaliser si le roi Herménigilde n'eût versé son sang pour la vérité ; car il est écrit : Si le grain de blé tombé en terre ne vient à mourir, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.[111] Nous voyons se renouveler dans les membres ce qui a lieu dans notre chef. Parmi la nation des Visigoths, un homme est mort pour procurer la vie à une multitude. Un seul grain tombé dans une terre fidèle a fait surgir une riche moisson d'âmes qui ont obtenu la foi.[112]

PIERRE.

C'est là une merveille d'autant plus saisissante qu'elle est arrivée de notre temps.


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[108] Le Martyrologe romain en parle en ces termes, sous la date du 13 avril : « A Séville, en Espagne, saint Herménigilde, fils de Lévigilde, arien, roi des Visigoths. Ce saint, ayant été mis en prison pour la confession de la foi catholique, et ayant refusé de recevoir la communion de la main d'un évêque arien aux solennités de Pâques, fut, par l'ordre d'un père perfide, frappé d'un coup de hache, et, roi et martyr, il échangea un royaume terrestre pour le royaume du ciel. » (Mart. rom., 13 avril.) Voyez au sujet d'Herménigilde, Mariana, Histoire d'Espagne, livre 5, ch. 12. — Grégoire de Tours, Henschenius, 12 avril, etc.

[109] C'est à saint Léandre, archevêque de Séville, que saint Grégoire adressa son Explication morale du livre de Job.

[110] Ingonde, épouse d'Herménigilde, et fille de Sigebert, roi des Francs, avait puissamment contribué à cette conversion.

[111] Jean, 12-24.

[112] Voyez, touchant la conversion des Goths, la lettre de saint Grégoire. (Liv. 7, indict. 2.)


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Message  Monique Mar 23 Mar 2021, 7:10 am

CHAPITRE XXVIII

Evêques d’Afrique, défenseurs de la foi catholique, à qui les Vandales ariens coupèrent la langue, et qui cependant ne laissèrent pas de parler aussi bien qu'auparavant.[113] (484.)


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GRÉGOIRE.

Sous le règne de l'empereur Justinien, les Vandales, livrés à l'hérésie d'Arius, suscitèrent en Afrique une persécution furieuse et sanglante. Des évêques, persistant courageusement dans la défense de la vérité, furent forcés de comparaître en public. Perfides insinuations, flatteuses promesses, rien ne fut oublié par le roi des Vandales pour les pervertir et les engager dans l’erreur. Comme ses efforts étaient inutiles, il s'imagina qu'il pourrait les dompter par la violence des tourments. Plus d'une fois il leur avait imposé silence lorsqu'ils parlaient pour la défense de la vérité ; mais ils ne s'étaient pas tus en face de l'hérésie : ils craignaient que leur silence ne passât pour une approbation tacite. Dans les transports de sa fureur, le roi leur fit couper la langue jusqu'à la racine. Mais, ô prodige connu d'une foule de vieillards privés de leurs langues, ils parlaient pour la défense de la vraie foi aussi bien qu'ils le faisaient auparavant à l'aide de cet organe.

PIERRE.

Voilà qui est extraordinairement étonnant, et il y a lieu d'en être surpris.

GRÉGOIRE.

Mon cher Pierre, il est écrit du Fils unique du Père céleste : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Puis l'Esprit saint ajoute, en parlant de sa puissance : Tout a été fait par lui.[114] Pourquoi donc nous étonner, si le Verbe, qui a fait la langue, a pu former des paroles sans le secours de la langue ?

PIERRE.

Je goûte bien ce que vous dites.

GRÉGOIRE.

Pendant cette persécution, les évêques dont nous avons parlé se réfugièrent à Constantinople. Ce fut aussi à cette époque que je fus envoyé vers l'empereur pour traiter des affaires de l'Église. Or, j'y trouvai un évêque déjà fort âgé qui attestait les avoir entendus parler sans langue, si bien qu'ils ouvraient la bouche et s'écriaient : « Regardez bien : Nous n'avons point de langues, et nous parlons ! » Et alors, selon son témoignage, on apercevait, à la place de ces langues coupées jusqu'à la racine, une ouverture profonde qui se prolongeait dans l'intérieur du gosier. Cependant, quoiqu'elles fussent dépourvues de cet organe, leurs bouches articulaient des paroles pleines et entières.

Un de ces glorieux martyrs, étant tombé dans l'impureté, perdit à l'instant ce don miraculeux ; c'était un juste jugement de Dieu : celui qui n'avait pas su conserver sa chair dans la continence, ne devait pas proférer les paroles de la vérité sans une langue de chair.

Mais c'est assez de ces divers récits pour condamner l'hérésie arienne, revenons aux miracles qui se sont tout récemment accomplis en Italie.


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[113] Enée Gaze, Procope, le comte Marcellin déposent en faveur de ce miracle, comme témoins oculaires. (Voyez Baronius, l'an 484 de l'empire de Justinien.)

[114] Jean, 1-1.


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Message  Monique Mer 24 Mar 2021, 8:06 am

CHAPITRE XXIX

Saint Eleuthère,[115] serviteur de Dieu. (e VIe siècle.)


********


GRÉGOIRE.

Eleuthère, dont j'ai fait mention plus haut, était abbé du monastère de Saint-Marc-l’Évangéliste, situé à l’entrée de la ville de Spolète, il a demeuré longtemps avec moi dans mon monastère de Rome, et c'est là qu'il a fini ses jours. Ses disciples racontaient que ses larmes avaient ressuscité un mort. Cet homme était doué d'une telle candeur et d'une telle componction, que ses larmes, émanées d'un cœur si simple et si humble, devaient, sans aucun doute, exercer sur le cœur de Dieu un immense pouvoir.

J'en rapporterai un miracle que, sur mes instances, il me raconta lui-même avec simplicité. Un jour qu'il était en route, il ne se trouva point, sur le soir, d'hôtellerie pour loger, et il prit le parti de se rendre dans un monastère de religieuses. Là se trouvait un petit enfant que le malin esprit se plaisait à tourmenter toutes les nuits. Après avoir reçu l'homme de Dieu chez elles, les religieuses lui adressèrent cette prière : « Faites, notre père, que cet enfant passe cette nuit avec vous. » Eleuthère l'accueillit avec bonté, et lui permit de coucher avec lui. Le lendemain matin les religieuses s'informèrent soigneusement près du vénérable Eleuthère si l'enfant qu'elles lui avaient confié lui avait fait quelque peine, « Aucune, » leur répondit-il, fort surpris de leurs questions empressées. Alors elles lui découvrirent le mal auquel il était sujet ; elles lui apprirent que le démon ne le quittait pas une seule nuit, et le conjurèrent de l'emmener dans son monastère, parce qu'elles ne pouvaient plus supporter ses cruelles tortures. Le vieillard y consentit. L'enfant séjourna longtemps au monastère sans que l'ancien ennemi osât l'aborder. Sa guérison remplit le cœur du bon vieillard d'une joie excessive, et il dit en présence des religieux de son monastère : & Mes frères, le diable se jouait de ces bonnes sœurs ; mais depuis qu'il a eu affaire aux serviteurs de Dieu, il n'a plus osé porter atteinte à cet enfant. » A peine avait-il parlé, qu'à l'instant et dans un clin d'œil le démon se ressaisit de sa victime, et la tortura cruellement en présence des religieux. A cette vue, le vieillard poussa un cri de douleur. Pour essuyer ses pleurs, les frères essayèrent de lui prodiguer les consolations ; mais il leur répondit : « Croyez-moi, il n'entrera pas aujourd'hui un morceau de pain dans la bouche de personne d'entre nous, avant que cet enfant soit délivré du démon. » Alors ils se prosternèrent contre terre, et ne cessèrent point de prier que l'innocente victime n'eût été affranchie de la tyrannie de Satan. Sa délivrance fut parfaite, et le malin esprit ne se permit plus de l'attaquer.[116]

PIERRE.

Il me semble qu'il s'était glissé dans l'esprit du vieillard un petit grain de vanité, et c'est le motif pour lequel le Seigneur a voulu que ses disciples partageassent la gloire de ce miracle.

GRÉGOIRE.

C'est bien cela. Il ne pouvait seul porter le poids de ce prodige ; il le répartit sur tous ses frères, et alors cette gloire ne fut plus pour lui un fardeau accablant.

J'ai personnellement éprouvé l’efficacité de sa prière. A la suite d'une opération douloureuse que j'avais subie au monastère de Saint-André, j'éprouvai de fréquentes et terribles oppressions qui, par intervalles, me conduisaient aux portes du tombeau ; c'étaient de ces accidents que les médecins appellent syncopes. Si les religieux ne m'avaient soutenu d'instants en instants en me donnant quelque nourriture, la respiration m'aurait manqué, et avec elle la vie m'aurait échappé totalement. Cependant la fête de Pâques arrivait. Le samedi saint, jour où tout le monde jeûne, même les petits enfants,[117] je me vis dans l'impossibilité de le faire, et le chagrin, plus que la maladie, me jeta dans une mélancolie profonde. Mais la tristesse m'inspira une excellente résolution : ce fut de conduire l'homme de Dieu à la chapelle, et de le conjurer de vouloir bien m'obtenir, par ses prières auprès du Seigneur, la force déjeuner. C'est précisément ce que nous fîmes. A peine entré dans le lieu saint, l'homme de Dieu se prosterna humblement et se mit à prier avec larmes ; puis, un instant après, il acheva sa prière et sortit. La bénédiction qu'il me donna fortifia mon estomac délabré : il oublia totalement et le besoin de manger et la maladie qui me travaillait. Je m'étonnai d'un état si différent du premier ; lorsque je me rappelais mon infirmité, je ne retrouvais plus rien en moi de ce que m'offrait ce souvenir. Me livrais-je aux occupations que réclamait la direction du monastère, j'oubliais totalement la maladie dont j'étais affligé, el quand celle-ci, encore une fois, me revenait à l'esprit, j'étais surpris de me trouver tant de force sans avoir pris de nourriture. Arrivé au soir, ma vigueur était si grande, que j'aurais pu, si j'eusse voulu, continuer mon jeûne jusqu'au lendemain.

C'est ainsi que j'ai fait personnellement l'expérience de la vérité des prodiges dont je n'ai pas été le témoin.


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[115] Voyez les chapitres 14 et 18 de ce livre. Voyez aussi la lettre du pape Adrien à Charlemagne, t. 7 des Conc. — « A Rome, saint Eleuthère, abbé, serviteur de Dieu, qui, au rapport de saint Grégoire pape, ressuscita un mort par le mérite de sa prière et de ses larmes. » (Martyr. Rom., 6 septembre.)

[116] Baillet et Godescard rapportent tous les faits renfermés dans ce chapitre. Voyez aussi les Bollandistes, sous la même date, 6 septembre.

[117] On voit par là que l'usage de faire jeûner les petits enfants le vendredi et quelquefois le samedi saint, remonte à une époque reculée.


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Message  Monique Jeu 25 Mar 2021, 8:25 am

CHAPITRE XXX

Saint Amance,[118] prêtre de la province de Toscane. (Au VIe siècle.)


********


GRÉGOIRE.

Votre charité n'ignore pas quelle est la sainteté de Floride, évêque de Tibur,[119] ainsi que son amour de la vérité. Or, il m'a raconté qu'il avait chez lui un prêtre d'une admirable simplicité. Son nom est Amance. Cet homme extraordinaire possède le pouvoir de rendre la santé en imposant, à l'exemple des apôtres, les mains aux malades. Si violente que soit la maladie, Amance n'a qu'à toucher celui qui s'y trouve en proie, et sur-le-champ le mal est dissipé. Il possède encore, a-t-il ajouté, un autre pouvoir également miraculeux. Rencontre-t-il un serpent, quelque furieux que soit le reptile, le saint homme trace sur lui le signe de la croix, et il est exterminé à l'instant ; la vertu de ce signe sacré, formé par Je doigt de l'homme de Dieu, lui déchire les entrailles et le fait périr. Le reptile s'est-il retiré dans le trou d'un rocher, Amance fait à l'entrée le signe de la croix, et l’on retire aussitôt le serpent sans mouvement et sans vie.

J'ai eu à cœur de voir personnellement un homme revêtu d'une si grande puissance ; on me l'amena, et je le fis séjourner quelque temps dans un hôpital, afin d'éprouver incessamment son pouvoir pour la guérison des malades. Or, il s'y trouvait un de ces aliénés que les médecins, appellent frénétiques. Une nuit, il se prit, dans son délire, à pousser de grands cris et à jeter, par d'affreuses clameurs, le trouble et l'épouvante parmi les autres malades. Personne ne put goûter un instant de sommeil, et le mal de cet infortuné augmenta celui de tous les autres. Alors le vénérable prêtre quitta son lit, s'approcha doucement de celui du frénétique, et fit sa prière en lui imposant les mains. Bientôt, voyant qu'il se trouvait mieux, il le prit avec lui et le mena à la chapelle, dans la partie supérieure de la maison. Là il pria pour sa guérison, en donnant à son zèle une libre carrière ; après quoi il le ramena à son lit, dans une santé parfaite. Dès lors le frénétique ne fit plus entendre de ces cris qui troublaient les autres et aggravaient le mauvais état des malades : le pauvre aliéné avait recouvré le parfait usage de sa raison. C'est le très révérend évêque Floride, alors logé dans l'hôpital avec le prêtre Amance, et le garçon chargé cette nuit-là du soin des malades, qui m'ont donné les détails circonstanciés de cette guérison. Sur l'autorité de ce seul fait, ne pouvons-nous pas croire avec une entière assurance tous les autres prodiges qu'on raconte d'Amance ?

PIERRE.

C'est un grand sujet d'édification que de voir des hommes opérer de telles merveilles, que de contempler sur la terre la Jérusalem céleste dans la personne de ses concitoyens.


-------------


[118] « A Tiferno, saint Amance, prêtre, illustre par le don des miracles. » (Martyrologe romain, 26 septembre. Voyez les Bollandistes).

[119] Aujourd'hui Tivoli, dans les États de l'Église.


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Message  Monique Ven 26 Mar 2021, 8:22 am

CHAPITRE XXXI

Saint Maximien,[120] évêque de Syracuse. (VIe siècle.)


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GRÉGOIRE.

Je ne crois pas devoir passer sous silence le miracle que le Dieu tout-puissant fit éclater en faveur de son serviteur Maximien, maintenant évêque de Syracuse, et alors abbé de mon monastère. Lorsque, par l'ordre du souverain pontife, j'étais à la cour de Constantinople, pour y prendre soin des affaires ecclésiastiques, le vénérable Maximien, cédant à son affection pour moi, m'y vint trouver avec quelques religieux. Lors de son retour à mon monastère de Rome, par une disposition merveilleuse et ineffable, il s'éleva sur la mer Adriatique une affreuse tempête qui manifesta tout à la fois, à l'endroit de Maximien et de ceux qui l'accompagnaient, la colère et la miséricorde du Seigneur. Soulevées par là violence des vents, les vagues en furie avaient rompu les mats, emporté les voiles, ébranlé la construction tout entière et entr'ouvert le vaisseau de toutes parts. L'eau, pénétrant par ces ouvertures, envahit tout le navire jusqu'au tillac, si bien qu'on apercevait moins le vaisseau au milieu des ondes que les ondes au milieu du vaisseau. Effrayés aux approches, ou plutôt à l'aspect de la mort qui s'offrait à leurs regards, tous les passagers se firent leurs derniers adieux, reçurent le corps et le sang du Sauveur,[121] et se recommandèrent à Dieu en le conjurant d'accueillir leurs âmes dans sa bonté, puisqu'il livrait leurs corps à un si horrible trépas.[122] Mais, après avoir fait peser sur leurs esprits une prodigieuse épouvante, le Ciel leur sauva la vie d'une façon non moins prodigieuse encore. Pendant huit jours le vaisseau, rempli d'eau jusqu'au pont, continua sa course sans s'abîmer sous les flots. Le neuvième il entra au port de Crotone.

Tous les passagers qui montaient ce bâtiment avec le vénérable Maximien en sortirent sans avoir éprouvé aucun mal. Mais à peine le saint abbé eut-il quitté le vaisseau, à la suite des autres, qu'il s'engloutit dans le port même, comme si la descente des passagers l'eût surchargé d'un poids énorme. Ainsi, après avoir vogué plein d'hommes et plein d'eau, le navire, à la sortie de Maximien et de ses frères, n'eut pas la force, dans le port même, de porter l'eau sans les passagers. C'était pour montrer que s'il n'avait pu se soutenir sur les flots, une fois débarrassé de ceux qui le montaient, c'était évidemment la main toute-puissante de Dieu qui l'avait soutenu lorsqu'il était chargé.


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[120] « A Syracuse, saint Maximien, dont le pape saint Grégoire fait souvent mention, » (Martyrologe romain, 9 juin. Voyez dans les Bolland. sa Vie, par Octave Cajétan, jésuite.)

Le fait dont il s'agit se trouve consigné dans la lettre de saint Grégoire à saint Léandre, placée avant la préface de l'Explication morale de Job. Il existe plusieurs lettres de ce pontife à saint Maximien. Dans la lettre 17, liv. 5, indict. 13, saint Grégoire pleure la mort de son illustre ami.

[121] C'était l'usage, dans les premiers siècles de l'Église, de conserver et de porter avec soi la sainte Eucharistie dans les longues courses et les trajets périlleux. Saint Ambroise rapporte, au sujet de son frère Satyrus, un fait absolument semblable.

[122] Voyez le diacre Jean, Vie de saint Grégoire, liv. I, chap. 35.


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Message  Monique Sam 27 Mar 2021, 7:57 am

CHAPITRE XXXII

Sanctule, prêtre de la province de Norsie.


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GRÉGOIRE.

Il y a environ quarante jours que vous avez vu chez moi un homme dont j'ai parlé plus haut[123] ; c'est Sanctule, prêtre respectable par la sainteté de sa vie. Tous les ans il aimait à venir de la province de Norsie pour me visiter. Mais il y a trois jours, un moine de ce pays m'a causé la plus cuisante peine en m'annonçant la mort de ce respectable vieillard. Quoique je ne puisse me rappeler ses miracles sans que je sente couler de mes yeux des larmes de tendresse, toutefois je les raconterai sans crainte, parce que je les ai appris de prêtres de son voisinage, doués d'une grande vertu et d'une admirable candeur. Entre personnes qui s'aiment, la familiarité et l'affection inspirent une grande hardiesse, et plus d'une fois mes instances, pleines de tendresse, arrachèrent à Sanctule le secret de ses plus grands prodiges.

Un jour que les Lombards foulaient les olives au pressoir pour en exprimer l'huile, Sanctule s'y rendit une outre à la main, la sérénité sur le front, et la joie dans le cœur[124] ; il salua d'un air charmant les Lombards occupés à ce travail, leur présenta son outre, et leur demanda d'un ton impératif, qui ne sentait en rien la prière, de vouloir bien l'emplir. Mais les paysans, qui s'étaient consumés toute la journée en de vains labeurs sans avoir pu exprimer une goutte d'huile des olives qu'ils pressuraient, accueillirent fort mal sa demande et le chargèrent d'injures. L'homme de Dieu leur répondit d'un air encore plus gai : « Si vous me voulez du bien, emplissez ce vaisseau à Sanctule, après quoi il prendra congé de vous. » Les barbares, voyant d'une part que les olives ne donnaient aucun résultat, et que de l'autre l'homme de Dieu les pressait de remplir son vaisseau, entrèrent en fureur et se mirent à l'accabler d'outrages plus sanglants encore. Alors l'homme de Dieu, considérant qu'il ne coulait pas une goutte d'huile du pressoir, demanda de Veau, la bénit devant tout le monde, et la jeta lui-même dans le pressoir ; de cette source bénite l'huile jaillit par torrents, et les Lombards, qui s'étaient d'abord épuisés en d'inutiles efforts, remplirent tous leurs vaisseaux sans en excepter celui de l'homme de Dieu, qu'ils remercièrent avec effusion d'être venu leur demander de l'huile, parce qu'il avait procuré par sa bénédiction l'objet de sa demande.[125]

Dans une autre circonstance, alors que la famine exerçait partout ses rigueurs, l'église de saint Laurent, martyr, avait été brûlée par les Lombards. L'homme de Dieu conçut le dessein de la restaurer : il prit à ses ordres des chefs et des ouvriers subalternes, à l'entretien desquels il lui fallait subvenir chaque jour et sans délai. Mais, sous l'empire de cette cruelle famine, le pain manqua, et les ouvriers se prirent à réclamer vivement leur subsistance, protestant que les privations ne leur laissaient plus de forces pour travailler. L'homme de Dieu répondit à leurs plaintes par des paroles de consolation et la promesse formelle de les satisfaire ; mais au fond il éprouvait de cruelles angoisses en se voyant dans l'impossibilité de réaliser ses engagements. Tandis qu'il promenait de côté et d'autre ses inquiétudes, il rencontra un four où les femmes du voisinage avaient cuit la veille ; il s'inclina et se mit à regarder si elles n'y avaient point laissé quelque pain. Tout à coup il en vit un d'une grosseur surprenante et d'une extraordinaire blancheur ; il le prit, mais sans vouloir d'abord le porter à ses ouvriers ; il craignait de ravir ce qui peut-être appartenait à autrui, et de commettre une faute en se livrant au mouvement de sa charité. Ainsi il alla le montrer à toutes les femmes d'alentour, et s'informa si quelqu'une d'elles ne l'avait point laissé au four. Toutes celles qui avaient cuit la veille déclarèrent qu'il ne leur appartenait pas, et qu'elles avaient rapporté du four tous leurs pains sans exception. Transporté de joie, l'homme de Dieu s'en alla avec ce seul pain rejoindre ses nombreux ouvriers, et les exhorta à remercier le Seigneur. Il leur annonça qu'il leur avait procuré de quoi subsister, les invita sur-le-champ à prendre leur repas, et leur servit le pain qu'il avait trouvé. Après qu'ils se furent pleinement rassasiés, Sanctule recueillit plus de morceaux que le pain n'avait pu en produire. Il les leur servit le lendemain, et les morceaux qui restèrent surpassèrent encore en nombre ceux qu'il avait apportés. Pendant dix jours les maîtres et les ouvriers se nourrirent de ce seul pain ; chaque jour ils en mangeaient, et chaque jour il en restait encore assez pour le repas du lendemain : on eût dit que les morceaux se multipliaient au fur et à mesure qu'on en mangeait, et que la bouche des ouvriers reproduisait la nourriture même qu'ils absorbaient.

PIERRE.
C'est là un étonnant prodige, c'est un renouvellement merveilleux de la multiplication des pains opérée par notre Seigneur.[126]


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[123] Voyez le chapitre 12 de ce livre. — Il est question du bienheureux Sanctule dans le Martyrologe d'Usuard, 15 décembre.

[124] La gaieté même dans les saints et les religieux voués par état aux austérités de la pénitence, n'est point un vice. On loue saint Macaire le Jeune, archimandrite de Nitrie, de ce que son accueil était gracieux, sa conversation piquante, ses exhortations pleines d'urbanité', etc. Voyez Socrate, Sozomène, Théodoret, Pallade.

[125] Outre les prodiges de ce genre dont nous avons déjà parlé au 1er et au 2e livre des Dialogues, voyez les mêmes faits dans saint Tillon (Boll., 7 janvier) ; dans les saints Valère et Rufin (Boll., 14 juin) ; dans saint Praeject. (Boll., 25 janvier).

[126] Matth., 15-36. — Outre la multiplication des pains, opérée par le Sauveur, et connue de tout le monde, voyez celle dont il est parlé dans la Vie de saint Dominique. (Boll., 4 août).


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Message  Monique Dim 28 Mar 2021, 8:07 am

GRÉGOIRE.

Oui, mon cher Pierre, Celui qui, par le ministère de son serviteur, a nourri une foule d'ouvriers avec un seul pain, est précisément Celui qui a rassasié par lui-même cinq mille hommes avec cinq pains, Celui qui produit avec quelques grains de semence des moissons innombrables, Celui quia fait sortir les semences mêmes du sein de la terre et a créé simultanément toutes choses de rien. Mais c'est assez admirer le prodige que le vénérable Sanctule a fait éclater par la puissance du Seigneur ; apprenez maintenant quelles vertus avait mises en son âme la grâce de Dieu.

Un jour, les Lombards tenaient enchaîné un diacre qu'ils avaient pris, et projetaient d'immoler leur victime. Sur le soir, l'homme de Dieu leur demanda sa délivrance et la grâce de la vie. Ils répondirent que cela leur était impossible. Assuré qu'ils avaient décidé la mort de cet infortuné, Sanctule les pria de vouloir bien lui en confier la garde. Ils lui répondirent sur-le-champ : « Nous vous le confierons si vous voulez, mais à condition que, s'il échappe, votre tête répondra de la sienne. » L'homme de Dieu accepta volontiers la proposition, et prit le diacre sous sa responsabilité. Au milieu de la nuit, alors qu'un profond sommeil enchaînait tous les barbares, Sanctule réveilla le captif et lui dit ; « Levez-vous, fuyez vite, et que le Seigneur vous délivre. — Fuir, mon père ! je ne le puis, répliqua le diacre, qui n'avait point oublié rengagement de l'homme de Dieu ; car si je viens à fuir, soyez-en sûr, vous mourrez à ma place. — Levez-vous, fuyez, et que le Dieu tout-puissant vous délivre, » répondit le vénérable Sanctule en le pressant de se rendre à son invitation. « Pour moi, ajouta-t-il, je suis en la main de Dieu ; ils ne peuvent rien sur moi que ce qu'il leur permettra.[127] » Le diacre prit la fuite, et sa caution resta au milieu des Lombards comme dupe de celui qu'il venait de sauver. Le lendemain, ceux qui avaient confié la garde du diacre au vénérable Sanctule vinrent lui réclamer ce dépôt. Sanctule répondit qu'il avait pris la fuite. « Eh bien ! lui dirent les barbares, vous savez parfaitement ce dont nous sommes convenus. — Oui, je le sais, répliqua le serviteur de Dieu avec intrépidité. —Vous êtes un brave homme, lui dirent-ils ; nous ne voulons pas vous faire endurer toutes sortes de tortures ; choisissez le genre de mort que vous voulez. — Je suis au pouvoir du Seigneur, répondit l'homme de Dieu, faites-moi subir la mort qu'il permettra. » Tous les Lombards alors présents décidèrent à l'unanimité qu'il aurait la tête tranchée, pour diminuer par une prompte exécution la rigueur de ses souffrances. A la nouvelle que Sanctule, si révéré parmi eux à cause de sa rare sainteté, doit être mis à mort, tous les Lombards qui se trouvent dans ce quartier accourent avec la joie féroce qui les caractérise, afin d'assister à ce lugubre spectacle.

Les troupes forment une vaste enceinte ; on amène le serviteur de Dieu au milieu d'elles, et parmi tous les guerriers on en choisit un qui doit, sans faillir, abattre d'un seul coup la tête de la victime. Amené au milieu des soldats armés, l'homme de Dieu recourt aussitôt à ses armes ; il demande qu'on veuille lui accorder quelques instants pour prier : ses vœux sont exaucés. Sanctule se prosterne et prie. Comme il prolonge sa prière, le guerrier choisi pour lui porter le coup de la mort le frappe du pied en lui criant : « Lève-toi, fléchis les genoux, et présente ta tête. » L'homme de Dieu se lève, s'agenouille, tend le cou ; puis, voyant le glaive tiré du fourreau, il s'écrie, dit-on, à haute voix : « Saint Jean, recevez-le ! » Alors le bourreau d'élite, tenant le glaive nu, lève le bras en l'air de toutes ses forces afin de décharger un coup terrible ; mais ce bras, il ne peut l'abaisser, il reste glacé, immobile, le glaive dressé vers le ciel ! Alors, ravie d'admiration, toute la multitude présente à ce lugubre spectacle change en des chants de louanges ses vœux sanguinaires, et conçoit pour l'homme de Dieu une vénération mêlée de crainte, tant éclate la sainteté d'un homme qui a enchaîné en l'air le bras de son bourreau ! On le prie de se lever, il se lève ; puis on lui demande de guérir le bras du guerrier, il s'y refuse. « Je ne prierai jamais pour lui, dit-il, à moins qu'il ne me promette avec serment de ne jamais se servir de ce bras pour tuer un chrétien. » Le Lombard, qui avait perdu pour ainsi dire son bras en le levant contre Dieu, se vit contraint, en punition de son crime, de jurer qu'il ne tuerait jamais de chrétien. Alors l'homme de Dieu lui dit avec un ton plein d'empire : « Abaissez votre bras, » et il l'abaissa ; puis il ajouta : « Remettez votre glaive dans le fourreau, » et il le fit à l'instant.

A la vue de cette prodigieuse puissance, tous de lui offrir à l'envi des bœufs et des chevaux qu'ils avaient enlevés dans leurs pillages. Mais l'homme de Dieu refusa ces sortes de présents pour leur en demander d'autres d'un plus grand prix : « Si vous voulez m'accorder quelques faveurs, leur dit-il, remettez-moi tous les captifs que vous possédez, afin qu'en retour de votre obligeance je prie pour vous. » Sa demande fut exaucée : on le congédia avec tous les captifs, et par une disposition de la miséricorde divine, en s'offrant à la mort pour le salut d'un seul, un seul en a délivré plusieurs de la mort.[128]

PIERRE.

C'est là une grande merveille, et quoique je la connaisse déjà par d'autres récits, néanmoins, je dois l'avouer, toutes les fois qu'on me la raconte elle devient nouvelle pour moi.

GRÉGOIRE.

Sanctule ne doit pas être à ce sujet l'objet de votre admiration ; mais considérez plutôt quel a été l'esprit qui a soutenu cette âme si simple et l’a élevée à un si haut degré de vertu. Où était son cœur lorsqu'il se détermina si généreusement à mourir pour son prochain, lorsqu'il sacrifia sa vie pour sauver la vie temporelle d'un de ses frères, et qu'il courba la tête sous le glaive menaçant ? De quel brûlant amour n'était-il pas embrasé, ce cœur qui n'a point redouté la mort pour sauver un de ses frères ! Nous savons, à n'en pas douter, que le vénérable Sanctule ne possédait pas très bien les éléments des lettres humaines, et qu'il ignorait les préceptes du Seigneur. Mais, parce que la charité est l'accomplissement de la loi,[129] son amour de Dieu et du prochain lui en a procuré l'entier accomplissement, et la charité a fait vivre au fond de son cœur ce dont il ne possédait pas extérieurement la connaissance. Peut-être n'avait-il jamais lu ces paroles de saint Jean au sujet du Sauveur : De même qu'il a donné sa vie pour nous, de même devons-nous aussi donner notre vie pour nos frères.[130]

Et ce sublime précepte de l'Apôtre, sa conduite plutôt que sa science a prouvé qu'il le connaissait ! Comparons, s'il vous plaît, sa docte ignorance à notre ignorante science : la nôtre rampe à terre, la sienne s'élève dans les cieux. Nous tenons sur la vertu des discours stériles, et, semblables à des hommes placés entre des arbres chargés de fruits, nous aspirons leur parfum sans en manger. Mais Sanctule savait cueillir le fruit des vertus, quoiqu'il ne sût pas en les méditant en apprécier l'arôme.


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[127] Cet héroïque dévouement ne doit pas nous surprendre de la part d'un homme de Dieu : saint Raymond Nonnat échange sa liberté contre les chaînes des captifs ; saint Vincent de Paul prend la place d'un galérien, etc. ... Voyez leurs Vies.

[128] Voyez saint Paulin, chapitre 1er de ce livre. Pour avoir pris la place du fils de la veuve, esclave chez les Vandales, Dieu daigna lui accorder la délivrance de tous les captifs : telle est la puissance, telle est la récompense de la vertu ! Sanctule, par l'efficacité de la prière, évite le coup mortel. Saint Martin détourne, par le signe de la croix, l’arbre qui va l'écraser dans sa chute.

[129] Rom., 13-10.

[130] 1 Jean, 3-16.



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FIN DU TROISIÈME ET DERNIER LIVRE.
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