La Sainte Vierge et Raphaël

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Message  Monique Mar 22 Nov 2011, 7:09 pm

La Sainte Vierge et Raphaël F2e39b10


La Sainte Vierge et Raphaël


Un grand penseur moderne (2) a écrit : « S'il y a eu sur la terre douze grands poètes, Raphaël est du nombre. S'il n'y en a eu que six, il en est encore, cet enfant du ciel des cieux qui a donné au monde tant d'êtres charmants, tant de créatures idéales vivantes, qui a versé dans le trésor de la pensée humaine tant de corbeilles d'immortelles fleurs ! Quel esprit a fait plus de rêves sublimes ? Quels yeux ont mieux vu le mystère de la terre et du ciel, la beauté ? et quelle main plus doucement victorieuse a su mieux saisir les visions célestes et leur donner un corps ? En dehors des révélateurs qui sont venus et qui ont parlé positivement de la part de Dieu, rien n'est plus grand que Raphaël d'Urbin ; rien n'est davantage que ce divin phénomène, ce sens supplémentaire du genre humain qu'on appelle le génie. »

Louis Veuillot a dit le mot : Raphaël est un poète. Vingt années durant, son pinceau écrivit des poésies, poésies mystiques, poésies religieuses, poésies humaines. Il écrivit le drame et l'épopée, l'ode et l'idylle. N'est-ce pas un véritable drame que ces fresques des Chambres Vaticanes qui s'appellent Héliodore chassé du temple et l'Incendie du Bourg ?

N'avons-nous pas deux épopées sublimes, dans la Dispute du Saint-Sacrement, triomphe de la Religion, et dans l'École d'Athènes, triomphe de la science? Le chant lyrique, mais vous l'entendez retentir sans cesse dans l'œuvre de Raphaël. Il s'échappe des lèvres et du luth de sainte Cécile, il jaillit de chacun des coups de pinceau qui firent la Vierge de Saint-Sixte et la Transfiguration. Et l'idylle? L'idylle, elle est dans toutes ces Saintes Familles, si pures, si fraîches, si naïves ; dans toutes ces choses ravissantes qui semblent des scènes du Paradis terrestre, « quand il était sans reptiles », comme dit Louis Veuillot; elle est dans ces toiles qui nous montrent, sous les yeux ravis de ses parents, l'Enfant Dieu, à cheval sur un mouton, ou jouant avec un oiseau.

Dans le Couronnement de la Vierge, Raphaël se montre encore disciple du Pérugin. Il y est fidèle aux vieilles traditions de l'école d'Ombrie, traditions de foi religieuse et de mysticisme chrétien.

La pinacothèque du Vatican renferme, en trois compartiments, trois scènes plus petites de la vie de la Sainte Vierge : l'Annonciation, l'Adoration des Mages et la Présentation au Temple. Ce sont là encore des sujets familiers aux peintres de l'Ombrie. Mais Raphaël, en les traitant, commence à être moins Pérugin et plus lui-même.






2. Louis Veuillot, Rome pendant le Concile, tome I, page 219. Palmé, 1872.


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Message  Monique Mer 23 Nov 2011, 11:56 am

Enfin dans le Sposalizio ou Mariage de la Vierge, il se révèle dans tout son éclat.

Ce tableau, aujourd'hui admiré au musée de Brera, à Milan, fut exécuté en 1504, alors que le peintre n'avait que vingt et un ans.
Le Sposalizio de Raphaël, nous dit Monsieur Gruyer dans son beau travail est une répétition du Mariage de la Vierge peint par Pérugin pour la cathédrale de Pérouse, avec une réminiscence de la Vierge du Sposalizio de Santa Maria Nuova à Fano. La disposition générale est celle qu'adopta Pietro Vannucci pour le premier de ses tableaux.

Toutefois, en s'appropriant la composition de son maître, Raphaël l'a transformée au point de la rendre méconnaissable. La disposition matérielle est seule conservée, l'âme est transfigurée. En rapetissant le cadre, il a tellement agrandi l'idée, que là où tout à l'heure nous ne voyions que l'agréable peinture d'une légende apocryphe, nous sommes forcés de reconnaître les personnages réels, vivants, éternels de l'Évangile... Raphaël manifeste ici, sans éclat, mais avec une autorité souveraine, son incomparable originalité. Il en prend possession d'une manière incontestable et définitive. Rien de semblable n'avait été peint avant lui, rien de semblable n'a été peint que par lui. Il se révèle, dès sa vingtième année, comme le plus grand et le plus pur des maîtres. Ce n'est pas une Vierge qu'il nous montre, c'est la Vierge. « C'est la Vierge sans péché, de qui naîtra bientôt sans péché celui qui devait effacer les péchés du monde. »

« Il n'y a plus rien d'Ombrien dans ce groupe si pittoresque et si vivant, dit Müntz (1) ; le jeune artiste était fier de son œuvre, et il avait raison de l'être. Aussi, tandis que jusqu'alors il avait modestement dissimulé ses initiales ou sa signature, inscrivit-il bravement sur la façade de l'édifice ces simples mots, si bien faits pour frapper la foule surprise et ravie, qui se pressait devant le nouveau tableau d'autel de l'église Saint-François : RAPHAËL URBINAS MDIIII. »

« Il n'y a plus rien d'Ombrien dans ce groupe si vivant et si pittoresque. » Ce cri de joie du critique n'aura pas échappé à nos lecteurs. Admirateur du XVIe siècle, Müntz se réjouit de voir Raphaël rompre enfin avec les traditions mystiques du XVe siècle.

Nous ne partageons pas sa joie. Pour réaliser, comme il l'a fait, la beauté humaine, était-il nécessaire que Raphaël sacrifiât, en quoi que ce soit, la beauté suprasensible qui transfigure les formes et les couleurs ?


1. Müntz, Raphaël.




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Message  Monique Mer 23 Nov 2011, 5:42 pm

Louis Veuillot, cet admirateur, ce passionné, qui a écrit la belle page que nous avons citée, Veuillot a écrit ailleurs (2) ces lignes qui ne sont pas une contradiction, mais une restriction.

« Je n'ose parler de Raphaël. Il a commencé par la Vierge du Sposalizio ; il a fini par la Madone de Saint-Sixte. Mais dans l'intervalle, s'écartant du type entrevu, il a pris la voie de la beauté charnelle. Par cette voie, l'Art est descendu. »

Adoucissons l'expression sévère du critique. Au lieu de la beauté charnelle, mettons beauté sensuelle, et nous serons dans le vrai. Eh bien, encore une fois, le peintre d'Urbino eût-il été moins grand s'il eût offert, dans son œuvre, une moindre part au plaisir des sens ; si, tout en étant peintre de la beauté humaine, il fût resté le peintre de la beauté surhumaine, de l'idée divine, de la pensée céleste, de cette pensée que rendait si bien Giovanni de Fiesole, de cette pensée qu'il exprima lui-même dans sa Vierge du Grand-Duc et dans sa Madone de Saint-Sixte ?

Nous venons de parler de sa Vierge du Grand-Duc. D'après Müntz, « elle (1) consacre l'affranchissement du jeune maître ; le modèle a acquis une fermeté et une sûreté inconnues à l'école de l'Ombrie ;...
sans être moins recueillie, moins chaste, la Vierge a des traits plus réguliers et une personnalité plus tranchée que ses aînées. »


Nous signons des deux mains cet éloge si mérité ; bien plus nous le renforçons. Non, « jamais l'art chrétien (2) ne produisit une œuvre qui méritât, mieux que celle-ci, la qualification de Vision céleste ; et Raphaël lui-même, malgré les progrès qu'attestent ses œuvres subséquentes, ne reproduisit pas une seconde fois la divine harmonie qui résonnait dans son âme, pendant qu'il traçait cette ravissante image. »



2. Parfums de Rome, L. VII, CXVI.
1. Müntz, Raphaël, page 104.
2. Rio, Art chrétien, tome IV, page 439.



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Message  Monique Mar 29 Nov 2011, 12:51 pm

Comme Müntz, nous admirons donc la Vierge du Grand-Duc, mais nous ne voyons pas, comme lui, qu'en la peignant, le jeune maître se soit totalement affranchi des traditions ombriennes. Une des notes caractéristiques de l'école d'Ombrie, c'était la pensée religieuse qui illuminait le visage des Saints, la modestie qui résidait sur le front des Vierges, la chasteté qui tempérait l'ardeur de leur regard ou baissait modestement leur paupière. Tout cela, je le retrouve dans la Vierge du Grand-Duc. Elle est chaste et recueillie, Müntz le constate; elle baisse modestement les yeux ; elle songe à son divin Fils qu'elle tient doucement pressé sur son cœur ; elle est à la fois belle et pieuse ; florentine par le modèle des formes et l'éclat du coloris, elle est ombrienne par l'âme et par la pensée. C'est pour nous l'idéal.

Pourquoi Raphaël ne l'a-t-il pas toujours compris ? Pourquoi trop souvent s'est-il contenté de peindre dans ses Madones, la Femme, la Mère féconde, la Mère de l'homme? Pourquoi a-t-il oublié... ou omis de lui mettre au front l'auréole de la Mère de Dieu ? Si lyrique déjà, son poème eût été plus lyrique encore. Grand poète, il eût ajouté à ses strophes si suavement humaines, l'émotion profonde que seul le divin peut donner !

Nous devions à la vérité de signaler cette lacune dans l'œuvre du maître. Donnons-nous maintenant, sans arrière-pensée, la jouissance délicate, exquise, de contempler à loisir l'une ou l'autre de ses Madones, non pas la Belle Jardinière ou la Vierge à la chaise, — elles nous sont trop connues, — mais telles Vierges de Florence ou de Madrid, qui, pour être plus ignorées, n'en sont ni moins belles, ni moins charmantes.
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Message  Monique Mar 29 Nov 2011, 1:03 pm

Voici la Vierge au chardonneret... les cheveux blonds (3), relevés sur les tempes par deux nattes élégantes, s'enroulent sans apprêt, tombent derrière le cou, et forment, le long des joues, un encadrement d'or rehaussé des plus suaves modulations.
Ses yeux sont abaissés sur le Précurseur ; sa bouche est silencieuse ; ses lèvres respirent la tendresse et la chasteté.
Plus belle encore, s'il est possible, plus débordante d'amour, nous apparaît la Vierge della Tenda. Nous allons l'étudier avec délices.

Sur cette toile (1), gloire de Turin, « Marie, écrit F. A. Gruyer s'unit à Jésus pour regarder et aimer saint Jean qui les contemple et les prie. C'est dans l'échange de ces trois regards, semblables à une bénédiction du côté de la Vierge et du Verbe, à une action de grâces de la part du Précurseur, qu'est toute la poésie de ce tableau.

« La plus fameuse des Vierges de Raphaël, écrit Mùntz (2), est la perle du musée de Dresde, la Vierge de Saint-Sixte.
« Rien de moins raisonné, de moins apprêté, de moins théâtral que la composition ; rien d'aussi sincère, d'aussi loyal, d'aussi libre. D'un bout à l'autre de l'œuvre, éclatent la franchise que donne à l'artiste le sentiment de sa force, la chaleur que lui donne sa conviction, car une telle page s'écrit avec l'âme et le cœur, bien plus qu'avec l'esprit.

La scène se passe dans les régions où tout est lumière et poésie, où la notion du temps et de l'espace a disparu. A des hauteurs pareilles, plus de trace de la terre : les cieux s'entr'ouvrent ; à travers des myriades de chérubins, nous entrevoyons l'infini ; seule, la balustrade, placée dans le bas, et sur laquelle s'accoudent deux anges, les regards perdus dans la contemplation des cieux, nous rappelle au sentiment de la réalité. Deux rideaux fixés à une pauvre tringle de fer (quelle absence volontaire d'apparat !) encadrent ce drame essentiellement intime et mystique, et l'isolent du reste de l'univers ; ils laissent apercevoir Marie debout sur les nuages, tenant dans ses bras l'Enfant divin.

L'image poursuivie pendant des siècles par l'imagination de ses devanciers, ce type idéal de la mère par excellence et de la reine des femmes, Raphaël l'offre ici, palpable, indestructible, et plus parfait que n'avaient pu le concevoir les rêveurs les plus audacieux. La pureté du front, la tranquillité du regard, ne sont égalées que par l'expression d'une douceur et d'une noblesse incomparables.

Une telle page est plus qu'un miracle de l'art, digne de fixer à jamais l'admiration de tout esprit amoureux du beau. »
Angelico, Raphaël, soyez remerciés tous deux d'avoir si bien peint la Madone : Vous, Angelico, de l'avoir faite si pieuse ; vous, Raphaël, de l'avoir faite si belle !



3. F.-A. Gruyer, Les Vierges de Raphaël, tome III, page 148.


Fin
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Message  Roger Boivin Dim 12 Juil 2015, 5:19 pm


Vie de Fra Angelico de fiesole, par Étienne Cartier, 1857,  p. 365-66-67  

( http://archive.org/stream/viedefraangelico00cart#page/364/mode/2up ) :


Les deux plus célèbres élèves du Pérugin, Pinturicchio et Raphaël, furent fidèles aux tendances religieuses et poétiques du maître. Pinturicchio se rapprocha même de fra Angelico par le caractère traditionnel de ses compositions et par la pureté de son talent. Malgré le triste patronage d'Alexandre VI, son pinceau resta vraiment chrétien. Ses Chapelles de Notre-Dame-du-Peuple et son Histoire de saint Bernardin de Sienne à l'Ara cœli, rappellent par la douceur des expressions et la tranquillité de la lumière les belles fresques du couvent de Saint-Marc.

Raphaël avait un génie trop délicat et trop élevé pour ne pas aimer et comprendre celui de fra Angelico. Comme le Pérugin, ce fut à Florence qu'il perfectionna son talent ; son intimité avec fra Bartolomeo nous le montre au milieu des chefs-d'œuvre de notre peintre ; il les étudia certainement, et cet esprit qui reflétait si bien les mérites qu'il rencontrait, dut leur emprunter les qualités qui lui étaient le plus sympathiques.

Quelques écrivains catholiques nous semblent tomber dans une double exagération, en célébrant trop le sentiment religieux de ses premières œuvres, et en flétrissant si rigoureusement les tendances païennes de ses dernières années. Raphaël ne fut ni un saint, ni un apostat. Il avait reçu en partage la nature la plus heureuse et la plus riche que puisse peut-être posséder un artiste. La pureté de son intelligence et la tendresse de son cœur le rendaient capables de comprendre et d'aimer le beau, et il avait pour le rendre les trésors d'une imagination féconde et les ressources d'une main docile. Personne n'était plus capable que Le Pérugin de cultiver ces précieuses qualités. L'élève s'appropria tout d'abord le talent du maître ; mais il n'étudia pas comme lui les écoles primitives, et se sépara par conséquent des grandes traditions de l'art. Il resta peintre religieux plutôt par goût que par piété. Il choisit les sujets chrétiens parce qu'ils étaient les plus beaux, et il emprunta à l'Évangile quelque chose de sa pureté, parce qu'il jugea que rien n'était plus capable d'embellir la figure humaine. Ses Madones sont aimables et chastes ; mais présentent-elles cet idéal de la Vierge mère et de son divin Fils ? Elles sont moins saintes même que celles du Pérugin. Les proposer comme les types les plus parfaits de la Créature par excellence, c'est, il nous semble, renier toutes les grandes traditions des écoles primitives. Même dans la Dispute du Saint-Sacrement, qu'on cite souvent comme la perfection de la peinture chrétienne, le sujet laisse beaucoup à désirer sous le rapport du sentiment religieux ; c'est, si on veut, une thèse écrite en beau style sur la Présence réelle, mais ce n'est pas le poëme admirable composé par saint Thomas d'Aquin pour la fête du Saint-Sacrement.

En élevant ainsi Raphaël moins haut, sa chute sera moins grande ; elle fut réelle cependant ; la volupté séduisit peu à peu cet artiste si comblé de richesses et de gloire ; mais jamais sa main ne se souilla des excès qui déshonorèrent Marc-Antoine et Jules Romain.

Il abandonna les sujets chrétiens pour les nudités mythologiques ; mais ne lui était-il pas bien difficile de résister à l'entraînement de son siècle ? et n'était-il pas encouragé et applaudi dans sa défection par les princes de la cour romaine ?


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