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Message  Roger Boivin Jeu 14 Juil 2016, 7:19 am


Du même auteur de l'ouvrage en trois tomes : LE PROTESTANTISME COMPARÉ AU CATHOLICISME par M. l'Abbé Jacques Balmès,
voici un extrait tiré de l'ouvrage ART D'ARRIVER AU VRAI - PHILOSOPHIE PRATIQUE - Par Jacques Balmès - 1852 :
https://archive.org/stream/artdarriverauvr00balmgoog#page/n92/mode/2up :



CHAPITRE XI.

HISTOIRE.



§ I. — Importance des études historiques. Manière d'étudier l'histoire.

L'étude de l'histoire n'est pas seulement utile, elle est indispensable. N'admettrait-on pas l'histoire comme moyen d'arriver au vrai, son importance, comme ornement de l'esprit, resterait incontestée. Ajoutons qu'il est un grand nombre de faits contre lesquels on ne saurait s'élever sans se mettre en lutte avec le sens commun.

Attachez-vous d'abord aux faits qui présentent un caractère de certitude absolue. En ne confiant à la mémoire que des vérités incontestables, vous laisserez à votre esprit, dégagé d'entraves, la liberté de classer le reste selon le degré de probabilité, de certitude ou d'erreur qu'il y découvrira.

Que de grands empires aient fleuri en Orient ; que les arts et la civilisation de la Grèce aient été portés à un très haut degré de perfection ; qu'Alexandre ait fait de grandes conquêtes en Asie ; que les Romains aient soumis, presque en entier, le monde connu de leur temps ; que Carthage ait été la rivale de Rome ; que l'empire des maîtres du monde se soit, à son tour, écroulé sous le poids d'une invasion de barbares venus du Nord ; que les Musulmans aient envahi l'Afrique septentrionale, détruit en Espagne le royaume des Goths, et menacé le reste de l'Europe ; que la féodalité ait été la forme sociale du moyen âge, voilà des vérités que nul ne conteste et dont nous sommes aussi certains que de l'existence de Paris ou de Londres.

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Message  Roger Boivin Jeu 14 Juil 2016, 7:30 am


§ II — Distinctions entre le fait et les circonstances du fait.
Applications.

Il est des faits universellement admis ; toutefois par les détails, par les circonstances dont les historiens les ont accompagnés, ces faits eux-mêmes relèvent de l'érudition, de la critique ou de la philosophie de l'histoire. Vaste champ ouvert à la discussion.

On ne peut mettre en doute l'existence des luttes sanglantes dans lesquelles Rome et Carthage se disputèrent l'empire de la Méditerranée, des côtes d'Afrique, de l'Espagne et de l'Italie, et dont le triomphe des Scipions, la défaite d'Ahnibal et la ruine de la ville de Didon furent le dénoûment. Mais les circonstances de ces luttes nous sont-elles bien connues ? Dans le portrait qu'on nous a tracé de la foi punique, dans l'exposition des causes qui provoquèrent les ruptures entre les deux républiques rivales, dans le récit des batailles, des négociations, etc., est-il impossible que nous ayons été trompés ? Les historiens romains qui nous ont transmis le plus grand nombre des faits n'ont-il point flatté leur nation aux dépens de la nation ennemie ? — Ici, sachons douter et choisir ; admettre avec défiance ou même rejeter sans hésitation ; et le plus souvent, suspendons notre jugement.

Auraient-elles une idée exacte des choses, connaîtraient-elles la vérité, les générations à venir, si, par exemple, le récit des guerres modernes ne leur était transmis que par des historiens appartenant à une seule des nations belligérantes ? Et cependant, aujourd'hui, les historiens écrivent, pour ainsi dire, en présence les uns des autres ; ils peuvent se démentir, se corriger mutuellement, et, grâce aux moyens de communication et de diffusion dont on dispose, il est bien plus difficile qu'autrefois de soutenir des erreurs évidentes. Que sera-ce donc de ces récits qui nous sont venus par une voie unique ; voie très suspecte puisqu'elle était intéressée ; récits de faits qui se sont passés en des temps si reculés, où les communications étaient si rares, où les moyens de publicité dont jouissent les modernes étaient inconnus ?

Et ces légendes merveilleuses dans lesquelles les historiens grecs nous montrent une poignée de Spartiates et d'Athéniens moissonnant des milliers de Perses et proposent à notre admiration l'héroïsme désintéressé, les dévouements sublimes de leurs guerriers, devons-nous les adopter sans contrôle ? Nous avons vu, de nos jours, comment on dénature, comment on exagère les faits les plus simples. L'homme sensé fera la part de l'enthousiasme et du patriotisme de l'écrivain : attendons, dira-t-il, avant de prononcer, que les Perses se soient levés, des plaines de Marathon ou des Thermopyles, pour raconter à leur point de vue les circonstances du combat.

Cette règle de prudence est d'une application fréquente ; ne la perdons point de vue en étudiant l'histoire et nous éviterons de nombreuses erreurs. Elle nous enseignera du moins à ne pas nous égarer en d'inutiles détails.

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Message  Roger Boivin Jeu 14 Juil 2016, 7:33 am

§ III. — Quelques règles pour servir à l'étude de l'histoire.

L'histoire étant un sujet qu'on ne peut passer sous silence lorsqu'on traite de l'art d'arriver au vrai, je donnerai quelques conseils simples et brefs, — mais sans prétendre traiter à fond la matière : elle demanderait seule un long volume.

RÈGLE PREMIÈRE.

Selon ce que nous avons établi plus haut, au chapitre VIII https://archive.org/stream/artdarriverauvr00balmgoog#page/n92/mode/2up , il faut tenir grand compte des moyens d'arriver au vrai dont l'écrivain disposait, et des probabilités pour ou contre sa véracité.

RÈGLE DEUXIÈME.

Toutes choses égales, on devra préférer un témoin oculaire.

Il y a toujours un certain péril pour la vérité dans les intermédiaires. Les récits successivement transmis sont comme ces courants dont les eaux emportent quelque chose du canal qu'elles parcourent ; dans les canaux de l'histoire, la passion et l'erreur abondent.

RÈGLE TROISIÈME.

Parmi les témoins oculaires, choisissez, si d'ailleurs il y a égalité pour le reste, celui qui n'a point eu de part à l'événement, ou qui n'y a rien perdu, rien gagné.

Lorsque César raconte ses campagnes, son témoignage est une autorité. Il est évident, toutefois, que le général romain ne peut refuser le courage aux peuples qu'il a vaincus ; qu'il ne peut les représenter conmie inférieurs en nombre aux armées qu'il commandait sans diminuer la difficulté de ses entreprises, et, partant, sa gloire. Les prodiges d'Annïbal, racontés par ses ennemis, ont une autre valeur historique.

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Message  Roger Boivin Jeu 14 Juil 2016, 7:48 am


RÈGLE QUATRIÈME.

Préférez un historien contemporain ; mais contrôlez son témoignage par celui d'un écrivain de la même époque, défendant des opinions et des intérêts différents, et ayez soin de séparer, dans leurs écrits, le fait des causes qu'ils lui assignent, des résultats qu'ils lui attribuent, et des jugements qui leur sont personnels.

Presque toujours il y a dans les événements un fait dominant qui ressort avec trop d'évidence pour que la partialité de l'écrivain ose le nier. En pareil cas, l'historien exagère ou atténue ; il prodigue les couleurs défavorables ou flatteuses ; il cherche des explications, invente des causes, signale des conséquences, etc. ; mais le fait persiste, et les dforts de la mauvaise foi doivent avertir un lecteur judicieux de ne s'arrêter qu'au fait, de ne voir que le fait, de le voir tel qu'il est.

Exemple : Les admirateurs passionnés de Napoléon diront à la postérité : Le fanatisme et la cruauté de la nation espagnole, nation barbare et sans intelligence, qui refusa de vivre heureuse sous le sceptre glorieux d'un héros ; ils présenteront sous le jour le plus favorable les motifs qui forcèrent le grand capitaine d'intervenir dans la Péninsule ; ils trouveront mille explications plausibles de ses revers ; et, dans tous les cas, ni l'entreprise, ni les revers ne porteront atteinte à sa gloire... Mais il n'importe ; un lecteur judicieux et réfléchi découvrira, s'il veut être attentif, la vérité sous les voiles dont on la couvre. En effet, quelle que soit sa répugnance, l'historien sera forcé de convenir qu'avant de commencer la lutte, et pendant que les forces du marquis de la Romana servaient la France, dans le nord, le chef des Français fit passer en Espagne, sous des prétextes d'amitié, une puissante armée, qu'il s'empara de la sorte des villes principales et de toutes les places fortes, y compris la capitale des Espagnes ; qu'il plaça sur le trône son frère Joseph, et qu'enfin, après six ans de luttes acharnées, l'armée française et Joseph, repoussés du sol espagnol, se virent contraints de repasser la frontière, — Voilà le fait ; on peut donner aux détails telle couleur qu'on voudra ; — le lecteur sensé ne manquera point de dire : « L'historien défend avec talent la réputation de son héros ; mais de la narration même il ressort 1° qu'il occupa un pays ami sous des prétextes trompeurs ; 2° qu'il l'enyahit sans motifs ; 3° qu'il attaqua des alliés confiants et fidèles au cœur même de leur pays ; 4° qu'il usa de trahison pour enlever à son trône un roi malheureux ; 5° qu'il combattit pendant six années sans pouvoir planter sur les montagnes ibériques son invincible drapeau. Ainsi donc, d'un côté, la bonne foi de l'allié, la loyauté du vassal, l'intrépide opiniâtreté du guerrier patriote ; héroïsme et bon droit ; de l'autre, le génie et la valeur, mais aussi la mauvaise foi, l'usurpation, les stériles malheurs d'une guerre longue et ruineuse. Injustice et astuce dans la conception de l'entreprise ; échec dans l'exécution.

RÈGLE CINQUIÈME.

Les écrits anonymes méritent peu de confiance.

L'auteur a peut-être caché son nom par modestie ; mais le public qui l'ignore n'est pas tenu de croire à la véracité d'un écrivain qui, pour dire la vérité, met un voile sur son visage. La crainte du déshonneur qui suit le mensonge est un frein puissant. Ce frein ne suffit pas toujours. Que serait-ce s'il n'existait point ?

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Message  Roger Boivin Jeu 14 Juil 2016, 7:59 am


RÈGLE SIXIÈME.

Avant de lire une histoire, étudiez la vie de l'historien.

J'ose affirmer que cette règle est de la plus haute importance. Elle est comprise, il est vrai, dans ce que nous avons dit au chapitre VIII https://archive.org/stream/artdarriverauvr00balmgoog#page/n92/mode/2up ; mais il ne sera pas inutile de l'établir ici séparément, en la faisant suivre de quelques observations.

Comment apprécier la véracité d'un historien ou les moyens dont il disposa pour arriver au vrai, si l'on ne connaît sa vie ? Voulez-vous avoir la clef de ses déclamations ou de ses réticences ? Voulez-vous savoir pourquoi, sur telles scènes, il passe un pinceau si léger, tandis qu'il charge certains tableaux des plus noires couleurs ? Cherchez dans ses vertus ou dans ses vices, dans sa position particulière, dans l'esprit de son temps, dans les formes politiques de sa patrie ; le plus souvent tout est là.

On n'écrivait pas l'histoire durant les orages de la Ligue comme on récrivit sous le règne régulier et glorieux de Louis XIV. Descendons à des temps plus rapprochés de nous, à la révolution française, à l'empire, à la restauration, ou même à la dynastie d'Orléans ; nous trouverons qu'en chacune de ces époques l'histoire a pris le caractère et pour ainsi dire la couleur des circonstances. Autre temps, autre langage. Vous connaissez et l'époque et le pays où tel livre a vu le jour, c'est-à-dire les influences qui pesèrent sur l'auteur ; préparez-vous à retrancher ici, à suppléer plus loin ; cette connaissance vous donne le sens de tel mot obscur, de telle omission, de telle circonlocution ; elle vous révèle la valeur d'une protestation, d'une restriction, d'un éloge, le but d'une censure ou d'un aveu, choses qui, sans cela, seraient restées inintelligibles pour vous.

Peu d'hommes s'affranchissent complètement de la domination des circonstances ; il en est peu qui sachent braver un grand péril pour la défense de la vérité, il en est peu qui, dans les situations critiques, ne cherchent une transaction entre leur intérêt et leur conscience. Rester fidèle à la vertu dans les moments de crise, c'est de l'héroïsme, et l'héroïsme est rare.

Ajoutons que, faire la part du temps, n'est pas toujours un acte coupable, si d'ailleurs l'écrivain ne blesse pas les droits imprescriptibles de la justice et de la vérité. Il est des cas où le silence est prudent et même obligatoire ; dans ces cas, on doit pardonner à l'écrivain de n'avoir point dit toute sa pensée, pourvu qu'il n'ait rien dit contre sa pensée. Quelles que fussent les convictions de Bellarmin sur la puissance indirecte des papes, auriez-vous exigé de lui qu'il les exposât à Paris, en pleine Sorbonne, avec la même liberté qu'il l'eût fait à Rome ? C'eut été lui dire : « Écrivez ; et dès que le parlement aura connaissance de votre livre, il le fera saisir ; les exemplaires seront brûlés par la main du bourreau, et vous serez banni de France ou jeté dans une prison. »

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Message  Roger Boivin Jeu 14 Juil 2016, 8:08 am


RÈGLE SEPTIÈME.

Les œuvres posthumes éditées par des inconnus ou ayant passé par des mains peu sûres deviennent apocryphes, et doivent être reçues avec défiance.

Parmi les exemples de falsification, sinon prouvés au moins probables, je me contenterai de citer un fait grave qui vient de se passer sous nos yeux relativement aux Pensées de Pascal. On sait la valeur de cet ouvrage, traduit dans toutes les langues, et la réputation dont il jouit. Les éditions sont innombrables. Or, voici qu'en l'an de grâce 1845 une polémique très vive s'est élevée entre M. Faugère et M. Cousin sur certains passages des Pensées de Pascal, d'une importance capitale. M. Cousin prétendait avoir rétabli, dans sa pureté, le texte de Pascal, en faisant disparaître les corrections que Porl-Royal avait intercalées. M. Faugère publie une édition nouvelle, et il prouve que, seul, il a consulté le manuscrit autographe ; et que M. Cousin, l'écrivain de mérite, M. Cousin, le philosophe, s'est, en général, borné à revoir des copies. Ayez foi aux éditeurs. (Note de l'auteur.)

L'autorité d'un mort illustre est de peu de poids en pareille circonstance ; ce n'est pas lui, c'est l'éditeur qui parle, avec la certitude que la partie intéressée ne peut le démentir.

RÈGLE HUITIÈME.

Les histoires appuyées sur des mémoires inconnus et des titres inédits ; les manuscrits dans lesquels l'éditeur affirme n'avoir fait que mettre de l'ordre, corriger le style et éclaircir certains passages, ne méritent d'autre confiance que celle qu'inspire l'éditeur.

RÈGLE NEUVIÈME.

Les récits de négociations secrètes, de secrets d'État ; les anecdotes piquantes sur la vie privée des personnages célèbres, sur de ténébreuses intrigues et autres faits du même genre, ne doivent être admis qu'après un examen sévère. S'il nous est si difficile de découvrir la vérité, à la lumière du soleil, et pour ainsi dire à la surface du sol, que peut-on espérer lorsqu'il faut la chercher au milieu des ombres et dans les entrailles de la terre ?

RÈGLE DIXIÈME.

Ajoutons peu de foi à ce qu'on nous raconte sur certains pays ou certains peuples très anciens et très éloignés de nous, sur les trésors du prince, sur le nombre des habitants, sur leurs croyances religieuses ou leurs usages domestiques.

Comment, en effet, vérifier l'exactitude de ces relations ? la distance, le temps, l'ignorance de la langue, etc., tout s'y oppose. Comment arriver à la vérité en des choses souvent cachées, inconnues même aux indigènes ? Pour décrire les usages domestiques, a-t-on pénétré dans l'intérieur de la famille ? l'a-t-on surprise dans la liberté, dans les confidences intimes du foyer ?



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