Saint Augustin de Cantorbéry et l'Évangélisation de l'Angleterre.

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Message  Louis Mer 28 Jan 2015, 5:19 pm

(tiré des Petits Bollandistes t. 6, p. 187-206.)

SAINT  AUGUSTIN  DE  CANTORBÉRY,

ET L'ÉVANGÉLISATION DE L’ANGLETERRE

608. — Pape : Saint Grégoire le Grand.

Hodie illuxit nobis dies redemptionis novæ, reparationii antiquæ, felicitatis aternæ.

Voici le jour de la rédemption et de la rénovation qui se lève;
le jour de la réparation des torts antiques et du bonheur sans fin.

Office de Noël, au bréviaire romain.

Rien de moins net que les notions que nous avons en France sur l'ensemble de l'histoire religieuse de l'Angleterre, et surtout sur les commencements du christianisme dans cette contrée, sa décadence au milieu des conquêtes et des invasions, sa disparition et sa réapparition. Au point où nous en sommes arrivé, nous avons pu constater nous-même combien les biographies détachées des divers saints Bretons, Romano-Bretons, Scots, Irlandais, Anglo-Saxons, apportent peu de notions précises aux lecteurs et combien surtout il est difficile de coordonner ces notions. En abordant la vie du Saint auquel il était réservé de faire à jamais disparaître le paganisme du pays qui était, 150 ans avant lui, la Grande-Bretagne, et qui sera constamment désormais l'Angleterre, nous avons cru faire une œuvre utile de jeter un coup-d'œil général sur l'ensemble de l'histoire religieuse de ce pays (1). Cela rentre du reste dans le programme que nous nous sommes tracé, de raconter l'origine de chaque église.

Comment la nation anglaise, qui a conservé jusqu'au sein de l'erreur un fond de religion indestructible, est-elle devenue chrétienne? Comment et par quelles mains le christianisme y a-t-il jeté de si indestructibles racines ?

A cette question capitale, il est permis de répondre avec une précision rigoureuse. Nul peuple au monde n'a reçu la foi chrétienne plus directement de l'Eglise romaine et plus exclusivement par le ministère des moines.

Si, comme l'a dit un grand ennemi de Jésus-Christ, la France a été faite par les évêques, il est bien plus vrai encore que l'Angleterre chrétienne a été faite par les moines. De tous les pays de l'Europe, c'est celui qui a été le plus profondément labouré par le soc monastique. Ce sont les moines, et les moines seuls, qui ont porté, semé et cultivé dans cette île fameuse la civilisation chrétienne.

Mais avant cette conversion définitive, due surtout à un pape et à des moines sortis des rangs Bénédictins, il y eut dans la Grande-Bretagne un christianisme primitif, dont l'existence fort obscure est néanmoins incontestable.

Il fut un temps où les nations catholiques aimaient à se disputer la préséance et l'ancienneté dans la profession de la foi chrétienne et allaient se chercher des ancêtres directs parmi les êtres privilégiés qui avaient connu, chéri, servi le Fils de Dieu pendant son passage sur la terre. Les Anglais d'autrefois aimaient à se dire qu'ils devaient les premières semences delà foi à Joseph d'Arimathie, à ce disciple riche et noble qui avait déposé dans le sépulcre le corps du Sauveur.

Les Bretons et après eux les Anglo-Saxons et les Anglo-Normands se racontaient de père en fils que Joseph…

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(1). Nous prendrons pour guide M. de Montalembert, dont le récit  est aussi  lumineux que savant. — On comprend  que nous  allons  présenter un tableau   très-succinct, mais suffisant pour faire saisir la suite des événements.  Lorsqu'un nom, une date, un fait sembleront rester dans la pénombre, on fera bien de recourir à la table générale, qui fournira les données nécessaires pour compléter le récit. Les biographies  des Saints d'un même pays, lues dans leur ordre chronologique,  se complètent les unes les autres.

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Message  Louis Jeu 29 Jan 2015, 3:58 pm

Saint Augustin de Cantorbéry

(suite)

Les Bretons et après eux les Anglo-Saxons et les Anglo-Normands se racontaient de père en fils que Joseph, fuyant les persécutions des Juifs et n'emportant avec lui pour tout trésor que quelques gouttes du sang de Jésus-Christ, avait débarqué à l'ouest de l'Angleterre, avec douze compagnons, qu'il y avait trouvé un asile dans un site désert, entouré d'eau (1) , et qu'il y avait construit et consacré à la bienheureuse Vierge Marie une chapelle dont les murs étaient formés de branches de saules entrelacées et dont Jésus-Christ lui-même n'avait pas dédaigné de célébrer la dédicace.

Ce lieu, prédestiné à devenir le premier sanctuaire chrétien des îles Britanniques, était situé sur un affluent du golfe où se jette la Saverne, et prit plus tard le nom de Glastonbury (2), et telle avait été, selon l'opinion populaire et invétérée, l'origine de la grande abbaye de ce nom, que vinrent peupler plus tard des moines originaires d'Irlande. Ce sanctuaire des légendes primitives et des traditions nationales de la race celtique passait en outre pour renfermer la tombe du roi Arthur, qui fut, comme l'on sait, la personnification de la longue et sanglante résistance des Bretons à l'invasion saxonne, le champion héroïque de leur liberté, de leur langue, de leur foi, et le premier type de cet idéal chevaleresque du moyen âge, où les vertus militaires se confondaient avec le service de Dieu et de Notre-Dame (3).

Blessé à mort dans un de ces combats contre les Saxons, qui duraient trois jours et trois nuits de suite, il fut transporté à Glastonbury, y mourut et y fut enseveli en secret en laissant à sa nation la vaine espérance de le voir reparaître un jour, et à toute l'Europe chrétienne une gloire légendaire, un souvenir destiné à rivaliser avec celui de Charlemagne.

Ainsi la poésie, l'histoire et la foi trouvaient un foyer commun dans ce vieux monastère qui fut pendant plus de mille ans une des merveilles de l'Angleterre et qui resta debout, florissant et grand comme une ville entière, jusqu'au jour où Henri VIII fit prendre et écarteler le dernier abbé, devant le grand portail du sanctuaire confisqué et profané (4).

Ce qu'il y a d'incontestable, c'est que le christianisme fut implanté…


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(1).  Guillelmus Malmesburiensis, Antiq. Glastonb., ap. Gale, Script. res. Britann., t. III, p. 293. Cf. Baronius, Ann., ad an. 48; Dugdale, Monasticon, t. I, p. 2. Les Bollandistes et divers autres historiens modernes se sont donné beaucoup de peine pour réfuter cette tradition. Elle est encore rapportée dans la lettre que quelques moines adressèrent à la reine Marie, en 1553, pour demander le rétablissement de leur abbaye (ap. Dugdale, t. I, p. 9 de la nouvelle édition). A cause de cette tradition de Joseph d'Arimathie, les ambassadeurs d'Angleterre réclamèrent la préséance sur ceux de France, d'Espagne et d'Ecosse, aux conciles de Pise en 1409, de Constance en 1414, et surtout de Bâle en 1434, parce que, selon eux, la foi n'avait été prêchée en France que par saint Denis, et postérieurement à la mission de  Joseph d'Arimathie. Ussher, de Prim. Eccl. Brit., p. 22.

(2).  Voir la Vie de saint Dunstan, plus haut, p. 14, note.

Saint Dunstan fut le dix-neuvième abbé de l'abbaye de Glastenbury, fameuse des le temps des Bretons; son église passait pour la plus ancienne de toute la Bretagne, et on la croyait fondée par ceux qui les premiers annoncèrent l'Evangile dans le pays. Ce fut, au rapport de Gildas, vers la fin du règne de Tibère que les premiers rayons de la foi pénétrèrent dans la Bretagne. Le même auteur ajoute qu'il y eut alors peu de païens qui se convertirent. Métaphraste cite un passage d'Eusèbe où il est dit que saint Pierre prêcha dans la Bretagne. Fortunat, Sophrone, etc., assurent la même chose de saint Paul. Quoi qu'il en soit, on doit au moins conclure de ce que rapportent Tertullien, Origène, Eusèbe, Théodoret, etc., que l'Evangile fut prêché aux Bretons peu de temps après la dispersion des Apôtres. Guillaume de Malmesbury. dans son livre de Antiquitatibus Glastoniæ, publié par le savant Thomas Gale, dit aussi, d'après des monuments fort antiques, que l'ancienne église de Glastenbury fut bâtie par ceux qui jetèrent dans la Bretagne les premières semences de la foi. L'abbaye dont nous parlons était dans l'île anciennement appelée Avallona , ou l'île des Pommes, du mot breton aval, qui signifie pommes. C'est qu'il y avait là un grand nombre de pommiers, arbres qui étaient alors fort rares dans le pays. Douze frères, partis du nord de la Bretagne, vinrent chercher un établissement dans cette contrée. Le plus jeune, nommé Glasteing, se fixa dans l'île Avallona , qui de lui prit le nom de Glastenbury. On lit dans Guillaume de Malmesbury, loc. cit., qu'en 433, saint Patrice, ayant trouvé douze anachorètes, les rassembla dans un monastère qu'il bâtit auprès de l'ancienne église, et qu'il en fut le premier abbé. On a quelquefois confondu ce Saint avec l'Apôtre d'Irlande; mais tous les écrivains de Glastenbury l'en distinguent, et s'accordent à dire qu'il mourut et fut enterré dans cette abbaye. La plupart des Saints illustres de la Bretagne qui florissaient avant l'arrivée des Saxons furent, dit-on, enterrés dans la même abbaye, ou du moins ils y vécurent quelque temps.

Voici ce qu'on lit dans les Annales de l'abbaye de Morgan (au comté de Clamorgan), publiées par Gale : « Lorsqu'on creusait, en 1191, un tombeau pour un moine, on trouva les os du roi Arthur, qui étaient d'une grandeur prodigieuse, avec cette inscription : Ci-gît l'illustre roi Arthur, enterré dans l'île Avallone. Au-dessus de son coffre, et dans le même tombeau, étaient les os de la reine Guenhavère, sa femme. Ces faits sont aussi rapportés dans l'histoire de Jean de Glastenbury. Cet auteur donne le détail des principales reliques que possédait son abbaye. On y voyait colles de saint Aïdan, de saint Céolfrid, de saint Boisil, de saint Benoît Biscop, de saint Oswald, etc., qui y avaient été apportées du nord de la Bretagne, lors des conquêtes du roi Edmond l'Ancien; celles de saint Valère, évêque et martyr, de saint Anastase, de saint Abdou et de saint Sennen, qui avaient été données par le roi Edgar; celles de saint David, et d'un grand nombre d'autres Saints. Il y avait aussi un fragment considérable de la vraie Croix dont le pape Martin avait fait présent au roi Alfred, et que ce prince avait ensuite déposé dans l'abbaye de Glastenbury. — Alban Butler.


(3). Voir tout le cycle des poèmes de la Table-Ronde, en Angleterre, en France et en Allemagne, et surtout les trois grands poëmes intitulés : Perceval, Titurel et Lohengrin, qui roulent sur le culte du Saint Graal ou Sang Réal, c'est-à-dire du sang de Notre-Seigneur recueilli par Joseph d'Arimathie et conservé dans le vase qui avait servi à Jésus-Christ pour l'institution de l'Eucharistie.

(4).  Le 15 novembre 1539. Ce Martyr octogénaire fut accusé d'avoir dérobé à la main du spoliateur quelques portions du trésor de l'abbaye; il fut poursuivi et mis à mort par les soins de John Russell, fondateur de la maison des ducs de Bedfort, et l'un des principaux instruments de la tyrannie de Henri VIII. Voir le récit de cette infâme exécution dans la continuation du Monasticon de Dugdale par Stevens, t.I, p. 451. Au moment de la suppression, il y avait encore à Glastonbury cent religieux qui vivaient dans une parfaite régularité.

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Message  Louis Ven 30 Jan 2015, 4:42 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Ce qu'il y a d'incontestable, c'est que le christianisme fut implanté en Bretagne dès le second siècle de l'ère chrétienne (1) ; mais on ne sait rien de positif sur l'origine ou l'organisation de cette église primitive. Toutefois, au dire de Tertullien, elle avait pénétré en Calédonie, au-delà des limites de la province romaine (2). Elle fournit à la persécution de Dioclétien son contingent de martyrs, et, au premier rang parmi eux, un jeune diacre, Alban, dont la tombe devait plus tard être consacrée par l'un des principaux monastères Anglo-Saxons. Elle apparut aussitôt après la paix de l'Eglise, en la personne de ses évêques, aux premiers conciles de l'Occident. Elle survécut à la domination romaine, mais ce ne fut que pour lutter pied à pied et reculer enfin avec les dernières tribus du peuple Breton devant les envahisseurs Saxons, après un siècle entier d'efforts et de souffrances, de massacres et de profanations. Pendant tout ce temps, d'un bout de l'île à l'autre, les Saxons promenèrent l'incendie, le meurtre et le sacrilège, renversant les édifices publics comme les maisons particulières, dévastant les églises, brisant les pierres sacrées des autels, égorgeant les pasteurs avec leurs ouailles.

Avant d'être condamnée à cette lutte mortelle contre le paganisme germanique, l'Eglise Bretonne avait connu les périlleuses agitations de l'hérésie. Pélage, le grand hérésiarque du Ve siècle, le grand ennemi de la grâce, était né dans son sein. Pour se défendre de la contagion de ses doctrines, elle appela à son secours les évêques orthodoxes des Gaules. Le pape Célestin, qui, vers la même époque, envoyait le diacre romain Palladius, comme premier évêque des Scots d'Irlande ou des Hébrides, averti par ce même Palladius du danger que courait la foi en Bretagne, chargea notre grand évêque d'Auxerre, saint Germain, d'aller y combattre l'hérésie pélagienne.

Deux fois ce pontife va visiter la Bretagne et la fortifier dans la foi orthodoxe et l'amour de la grâce céleste. Germain, accompagné la première fois par l'évêque de Troyes, et la seconde par l'évêque de Trêves, ne veut d'abord employer contre les hérétiques que les armes de la persuasion. Il prêche aux fidèles, non-seulement dans les églises, mais dans les carrefours et dans les champs. Il argumente publiquement contre les docteurs pélagiens en présence des peuples assemblés et passionnément attentifs, avec leurs femmes et leurs enfants. Soldat dans sa jeunesse, l'illustre évêque retrouve l'ardeur intrépide de son premier métier pour défendre le peuple qu'il venait évangéliser. A la tête de ses prosélytes désarmés, il marche contre une horde de Saxons et de Pictes, déjà ligués contre les Bretons, et les met en fuite en faisant répéter trois fois par toute sa troupe le cri d'Alléluia, répercuté par les montagnes voisines. C'est la journée connue sous le nom de Victoire de l’Alléluia .

Heureux s'il avait pu préserver à jamais les vainqueurs du fer des barbares, comme il réussit à les guérir du poison de l'hérésie, car après lui le Pélagianisme ne reparut en Bretagne que pour recevoir un dernier coup au synode de 519. Grâce aux disciples qu'il forma et qui devinrent les fondateurs des principaux monastères de la Cambrie, c'est à notre grand saint Gaulois que remontent les premières splendeurs de la vie cénobitique en Bretagne (3).

Tout le monde sait qu'en 411, lorsque les…


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(1). Voir, à la table générale, saint Eleuthère, saint Lucius, saint Fugace, saint Damien,  saint Alban, saint Palladius. etc. — (2). Britannorum inacessa Romanis loca, Christo vero subdita. Tertull., Adv. Judæos, c. 7. — (3).  Voir, à la table, saint Ninian, saint David de Mencycla, saint Asaph, saint Cadoc, saint Winifrede et autres saints bretons.

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Message  Louis Sam 31 Jan 2015, 4:15 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Tout le monde sait qu'en 411, lorsque les Romains abandonnèrent la Grande-Bretagne qu'ils ne pouvaient plus défendre, afin de pouvoir porter leurs troupes sur d'autres frontières de l'empire menacé de toutes parts, les Bretons appelèrent à leur secours contre les Pictes ou habitants de l'Ecosse, les Jutes, les Angles et les Saxons, peuplades du Nord de l'Allemagne et de la Scandinavie. Ces auxiliaires, si imprudemment appelés par les Bretons, devinrent les conquérants du pays et y fondèrent une nationalité nouvelle, qui a persisté à travers toutes les conquêtes et toutes les révolutions subséquentes.

La Grande-Bretagne est devenue et est encore l'Angleterre, comme la Gaule est devenue et est encore la France. En détruisant l'indépendance bretonne, en refoulant dans les régions montueuses du pays de Galles et jusqu'en Armorique les populations qui n'atteignaient pas les longs couteaux (1), dont ils tracent leur nom, les païens Anglo-Saxons renversèrent et anéantirent pour un temps sur le sol de la Grande-Bretagne l'édifice auguste de la religion chrétienne.

Pendant la période qui s'étend de la moitié du ve siècle au milieu du VIe; pendant que Clovis fondait la monarchie Franque et que saint Benoît plantait sur le Mont-Cassin le berceau du plus grand des Ordres monastiques, la Grande-Bretagne offrait le spectacle de quatre races divisées, luttant avec acharnement les unes contre les autres : au Nord, les Pictes et les Scots encore étrangers et hostiles à la foi du Christ ; plus bas:dans l'ancienne province romaine de Valentia ou Galloway, d'autres Pictes, évangélisés par saint Ninian; au Sud-Est, tout le pays qui s'appelle aujourd'hui Angleterre proprement dite, et tombé au pouvoir des Anglo-Saxons; au Sud-Ouest, la population indigène, restée chrétienne et indépendante, réfugiée dans la Cambrie ou pays de Galles (2) et la Cornouailles (3).

Mais, comme les Pictes du Nord,les Anglo-Saxons sont encore tous païens ; d'où leur viendra la lumière de l'Evangile ? Ne sera-ce pas peut-être de ces montagnes de la Cambrie, de ce pays de Galles où les vaincus entretenaient le feu sacré des croyances et des traditions de l'Eglise bretonne, avec son clergé indigène et ses institutions monastiques ?

Non-seulement on ne cite pas un seul effort tenté par un pontife ou un religieux breton pour prêcher la foi aux conquérants; mais le grand historien de la race anglo-saxonne constate expressément qu'il y avait chez les Bretons de la grande Ile un parti pris de ne jamais révéler les vérités de la foi à ceux dont ils étaient condamnés à subir la domination ou la cohabitation, et comme une résolution vindicative, quand même ils deviendraient chrétiens, de les traiter en païens incorrigibles. Saint Grégoire le Grand porte contre eux le même témoignage en termes plus sévères encore : « Les prêtres », dit-il, « qui avoisinent la nation des Angles les négligent, et, dépourvus de toute sollicitude pastorale, ils refusent de répondre au désir qu'aurait ce peuple de se convertir à la foi du Christ (4) ».

A la fin du VIe siècle, après cent cinquante ans d'invasion et de luttes triomphantes, les Saxons n'avaient donc encore rencontré, dans aucune des trois populations chrétiennes ou récemment converties (Bretons, Scots et Pictes), qu'ils avaient abordées, combattues et vaincu es, ni des apôtres disposés à leur annoncer la bonne nouvelle, ni des pontifes capables de maintenir le dépôt de la foi chez des peuples conquis par eux. En 586, les deux derniers évêques de la Bretagne conquise, ceux de Londres et de York, abandonnèrent leurs églises et se réfugièrent dans les montagnes du pays de Galles, important avec eux les vases sacrés et les saintes reliques qu'ils avaient pu dérober à la rapacité des idolâtres.

Il fallait donc d'autres moissonneurs. D'où viendront-ils?...

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(1) Sax, couteau, épée, en vieux allemand. — (2). Le mot de Cambrie paraît dérivé des Kymris, c'est-à-dire de la race Celtique indigène de cette contrée et de la Bretagne armorique. Celui de Galles est la forme française de Wales, synonyme de Wallen, Wallons, Welsch, nom que les Germains donnaient en général aux étrangers. — (3).  Cornu valliæ, corne ou langue de terre de Galles. — (4).  Epist., VI, 58 et 59.

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Message  Louis Dim 01 Fév 2015, 3:35 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)


Il fallait donc d'autres moissonneurs. D'où viendront-ils? Du foyer inextinguible d'où la lumière est déjà venue aux Irlandais par Patrice, aux Bretons et aux Scots par Palladius, par Ninian, par Germain,

A la différence des envahisseurs barbares du continent, les Saxons n'adoptèrent pas la religion du peuple qu'ils avaient subjugué. En Gaule, en Espagne, en Italie, le christianisme avait refleuri et s'était énergiquement affirmé sous la domination des Francs et des Goths ; il avait conquis les conquérants. En Bretagne, il disparut sous le poids de la conquête étrangère. Il n'en restait rien dans les pays soumis aux Saxons, quand Rome y envoya ses missionnaires ; on y rencontrait à peine quelques églises ruinées, mais pas un chrétien vivant parmi les indigènes ; vainqueurs et vaincus erraient également dans la nuit du paganisme.

L'affreux commerce des esclaves, qui a déshonoré successivement toutes les nations païennes et chrétiennes, s'exerçait chez les Anglo-Saxons avec une sorte de passion invétérée. Il fallut des siècles entiers d'efforts incessants pour l'extirper. Ce n'était pas seulement des captifs, des vaincus qu'ils condamnaient à cet excès d'infortune et de honte : c'étaient leurs parents, leurs compatriotes ; c'était comme les frères de Joseph, leur propre sang ; c'étaient leurs fils et leurs filles qu'ils mettaient à l'encan et qu'ils vendaient à des marchands venus du continent pour s'approvisionner chez les Anglo-Saxons de cette denrée humaine. C'était par ce commerce infâme que la Grande-Bretagne, redevenue presque aussi étrangère au reste de l'Europe qu'elle était avant César, rentrait dans le cercle des nations policées, et elle y rentrait comme au temps de César, où Cicéron n'anticipait d'autre profit pour Rome de l'expédition du proconsul que le produit de la vente des esclaves (1).

Et cependant c'était du fond de cet abîme d'ignominie que Dieu allait faire surgir l'occasion d'affranchir l'Angleterre des entraves du paganisme et de l'introduire, par la main du plus grand des Papes, dans le giron de l'Eglise en même temps que dans l'orbite de la civilisation chrétienne.

Qui nous expliquera jamais que ces vendeurs d'hommes aient trouvé le débit de leur marchandise à Rome ? Oui, à Rome, dans la pleine lumière du christianisme ; à Rome, six siècles après la naissance du divin Libérateur, et trois siècles après la paix de l'Eglise ; à Rome soumise depuis Constantin à des empereurs chrétiens, et où grandissait graduellement la souveraineté temporelle des Papes ! Il en était ainsi cependant en l'an de grâce 580 ou 587, sous le pape Pélage II. Des esclaves de tout sexe et de tous pays, et parmi eux, des enfants, des jeunes gens saxons, se trouvaient exposés en vente dans le Forum romain, comme toute autre denrée. Des prêtres, des moines, se mêlaient à la foule qui venait enchérir ou assister au marché ; et parmi les spectateurs apparaissait le doux, le généreux, l'immortel Grégoire. Il apprenait ainsi à détester cette lèpre de l'esclavage qu'il lui fut donné plus tard de restreindre et de combattre, mais non d'extirper.

On a cent fois raconté cette scène que Bède, le père de l'histoire d'Angleterre…

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(1). Ibid. ad Attic, IV, 16.

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Message  Louis Lun 02 Fév 2015, 3:58 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

On a cent fois raconté cette scène que Bède, le père de l'histoire d'Angleterre, avait recueillie dans la tradition de ses ancêtres Northumbriens, et ce dialogue, où se peignent avec une  si touchante  originalité l'âme pieuse et compatissante de Grégoire, en même temps que son goût étrange pour les jeux de mots. Chacun sait comment, à la vue de ces jeunes esclaves, frappé de la beauté de leurs visages, de la blancheur éblouissante de leur teint, de la longueur de leurs blonds cheveux, indice probable d'une extraction aristocratique, il s'informa de leur patrie et de leur religion. Le marchand lui répondit qu'ils venaient de l'île de Bretagne, où tout le monde avait ce même teint, et qu'ils étaient païens. Alors poussant un soupir profond : « Quel malheur ! » s'écria-t-il, « que le père des ténèbres possède des êtres d'un visage si lumineux, et que la grâce de ces fronts réfléchisse une âme vide de la grâce intérieure ! Mais quelle est leur nation ? »

— Ce sont des Angles.

—« Ils sont bien nommés, car ces Angles ont des figures d'anges, et il faut qu'ils deviennent les frères des anges dans le ciel. Mais de quelle province ont-ils été enlevés ?»

— De la Déira (l'un des deux royaumes de la Northumbrie).

— « C'est encore bien », reprit-il, « De ira eruti, ils seront dérobés à l'ire de Dieu, et appelés à la miséricorde du Christ. Et comment se nomme le roi de leur pays ? »

— Alle ou Ælla.

— « Soit encore : il est très-bien nommé, car on chantera bientôt l'Alléluia dans son royaume ».

Il est naturel de croire que le riche et charitable abbé racheta ces enfants captifs, qu'il les conduisit aussitôt chez lui, c'est-à-dire dans le palais où il était né, qu'il avait changé en monastère, et qui n'était pas loin du Forum où les jeunes Bretons avaient été exposés en vente. Le rachat de ces trois ou quatre esclaves fut ainsi l'origine de la rédemption de toute l'Angleterre.

Un chroniqueur anglo-saxon, chrétien, mais laïque, qui écrivait quatre siècles plus tard…

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Message  Louis Mar 03 Fév 2015, 4:24 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Un chroniqueur anglo-saxon, chrétien, mais laïque, qui écrivait quatre siècles plus tard, constate l'empire des traditions domestiques chez ce peuple. Il dit expressément que Grégoire logea ses hôtes dans le triclinium où il aimait à servir de ses propres mains la table des pauvres, et qu'après les avoir instruits et baptisés, il voulut les prendre pour compagnons, et retourner avec eux dans leur patrie, pour la convertir au Christ.

Tous les auteurs sont unanimes à reconnaître qu'à partir de ce moment il conçut le grand projet de conquérir les Anglo-Saxons à l'Eglise catholique. Il y consacra une persévérance, un dévouement et une prudence que les plus grands hommes n'ont point surpassés. On sait qu'au sortir de la scène du marché des esclaves, il demanda et obtint du Pape d'être envoyé comme missionnaire auprès des Anglo-Saxons, et qu'à la nouvelle de son départ, les Romains, après avoir accablé le Pape de reproches, coururent après leur Pontife futur, et, l'atteignant à trois journées de Rome, le ramenèrent de force dans la ville éternelle.

A peine eut-il été élu Pape, que le grand et cher dessein devint l'objet de ses préoccupations perpétuelles ; dans la sixième année de son Pontificat, il se décida à choisir pour apôtre de l'île lointaine où le transportait sans cesse sa pensée, les religieux de son monastère de Saint-André au Mont-Cœlius, et de leur donner pour chef Augustin, le prieur de cette chère maison.

Ce monastère est celui qui porte aujourd'hui le nom de Saint-Grégoire, et que connaissent tous ceux qui ont été à Rome (1).

Où est l'anglais digne de ce nom qui, en portant son regard du Palatin au Colisée, pourrait contempler sans émotion et sans remords ce coin de terre d'où lui sont venus la foi et le nom de chrétien, la Bible dont il est si fier, l'Eglise même dont il a gardé le fantôme ? Voilà donc où les enfants esclaves de ses aïeux étaient recueillis et sauvés ! Sur ces pierres s'agenouillaient ceux qui ont fait sa patrie chrétienne ! Sous ces voûtes a été conçu par une âme sainte, confié à Dieu, béni par Dieu, accepté et accompli par d'humbles et généreux chrétiens, le grand dessein ! Par ces degrés sont descendus les quarante moines qui ont porté à l'Angleterre la parole do Dieu, la lumière de l'Evangile avec l'unité catholique, la succession apostolique et la Règle de Saint-Benoît. Aucun pays n'a reçu le don du salut plus directement des Papes et des moines, et aucun, hélas ! ne les a si tôt et si cruellement trahis.

On ne sait absolument rien de ce qui précéda, dans la vie d'Augustin…

__________________________________________________________________________

(1). Sous le porche, on voit les tombes de quelques généreux Anglais, morts dans l'exil pour avoir voulu rester fidèles à la religion que ces apôtres leur avaient portée ; et, entre autres inscriptions sépulcrales, on remarque et on retient celle que voici : « Ci-gît Robert Pecham, anglais catholique qui, après la rupture de l'Angleterre avec l'Eglise, a quitté sa patrie, ne pouvant supporter d'y vivre sans la foi, et qui, venu à Rome, y est mort, ne pouvant supporter d'y vivre sans patrie ».

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Message  Louis Mer 04 Fév 2015, 12:10 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

On ne sait absolument rien de ce qui précéda, dans la vie d'Augustin, le jour solennel où, pour obéir aux ordres du Pontife, qui avait été son abbé, il dut s'arracher avec ses quarante compagnons aux entrailles maternelles de la communauté qui leur servait de patrie. Pour fixer le choix de Grégoire, il faut qu'il ait montré des qualités éminentes comme prieur du monastère. Mais rien n'annonce que ses compagnons aient été dès lors animés du zèle qui enflammait le Pape. Ils arrivèrent sans encombre en Provence et s'arrêtèrent quelque temps à Lérins, dans cette île des Saints de la Méditerranée, où, un siècle et demi plus tôt, Patrice, l'apôtre monastique de l'île des Saints de l'Océan, avait séjourné pendant neuf ans avant d'être envoyé par le pape Célestin pour évangéliser l'Irlande. Mais, là ou ailleurs, les moines romains recueillirent d'effrayants récits sur les pays qu'ils avaient à convertir. On leur dit que le peuple anglo-saxon, dont ils ignoraient la langue, était un peuple de bêtes féroces, altéré du sang innocent, impossible à toucher ou à gagner, et qu'on ne pouvait aborder qu'en courant à une perte certaine.

Ils prirent peur, et au lieu de poursuivre leur route, ils obtinrent d'Augustin qu'il retournerait à Rome pour supplier le Pape de les dispenser d'un voyage si pénible, si périlleux et si inutile. Loin de les exaucer, Grégoire leur renvoya Augustin avec une lettre où il leur prescrivait de reconnaître désormais pour leur abbé le prieur de Saint-André, de lui obéir en tout, et surtout de ne pas se laisser terrifier par les labeurs de la route, ni par la langue des médisants. « Mieux valait », leur écrivait-il, « ne pas commencer cette bonne œuvre, que d'y renoncer après l'avoir entamée... En avant donc, au nom de Dieu... Plus vous aurez de peine et plus votre gloire sera belle dans l'éternité. Que la grâce du Tout-Puissant vous protège et m'accorde de voir le fruit de votre travail dans l'éternelle patrie ; si je ne puis partager votre labeur, je n'en serai pas moins à la récolte, car Dieu sait que ce n'est pas la bonne volonté qui me manque».

Augustin était porteur de lettres nombreuses, écrites à la même date par le Pape, d'abord à l'abbé de Lérins, à l'évêque d'Aix et au gouverneur gallo-franc de Provence, pour les remercier du bon accueil qu'ils avaient déjà fait aux missionnaires, puis aux évêques de Tours, de Marseille, de Vienne, d'Autun et surtout à Virgile, métropolitain d'Arles, pour leur recommander très-chaleureusement Augustin et sa mission, mais sans leur en expliquer la nature ou la portée.

Il en agit autrement dans ses lettres aux deux jeunes rois d'Austrasie et de Bourgogne et à leur mère Brunehaut, qui régnait en leur nom sur toute la France orientale. En invoquant l'orthodoxie qui distinguait entre toutes la nation franque, il leur annonce qu'il a appris que la nation anglaise était disposée à recevoir la foi chrétienne, mais que les prêtres des régions voisines (c'est-à-dire de la Cambrie), n'avaient nul soin de la leur prêcher ; en conséquence, il demande que les missionnaires destinés par lui à sonder, puis à sauver les âmes des Anglais, puissent obtenir des interprètes pour les accompagner au-delà du détroit, et un sauf-conduit royal pour garantir leur sécurité pendant leur voyage à travers la France.

Ainsi stimulés et recommandés, Augustin et ses religieux reprirent curage et se remirent en route…

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Message  Louis Jeu 05 Fév 2015, 4:47 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Ainsi stimulés et recommandés, Augustin et ses religieux reprirent courage et se remirent en route. Leur obéissance remporta la victoire qui avait été refusée à la magnanime ardeur du grand Grégoire. Ils traversèrent donc toute la France en remontant le Rhône et en descendant la Loire, protégés par les princes et les évêques à qui le Pape les avait recommandés, mais non sans subir plus d'une avarie de la part des populations grossières, surtout en Anjou, où ces quarante hommes vêtus en pèlerins, cheminant ensemble, prenant quelquefois leur gîte nocturne sous un grand arbre pour tout abri, furent accueillis comme des loups-garous, et où les femmes surtout se signalaient par leurs hurlements et leurs dérisions.

Après avoir ainsi parcouru toute la Gaule franque, Augustin et ses compagnons vinrent débarquer sur la plage méridionale de la Grande-Bretagne, à l'endroit où elle se rapproche le plus du continent et là même où avaient déjà pris terre les conquérants antérieurs de l'Angleterre. Jules César, qui l'avait révélée au monde romain, puis Hengist avec ses Saxons qui lui apportaient avec son nom nouveau l'ineffaçable empreinte des races germaniques.

Au midi de l'embouchure de la Tamise et à la pente nord-est du comté de Kent, on voit une région qui s'appelle encore l'île de Thanet, bien que le nom d'île ne lui convienne plus, parce que le bras de mer qui la séparait autrefois du continent n'est plus qu'une sorte de ruisseau marécageux et saumâtre. C'est là, à un endroit où les blanches et abruptes falaises de cette plage d'Albion s'interrompent subitement pour ouvrir une anse sablonneuse, auprès de l'ancien port des Romains à Richborough, entre les villes modernes de Sandwich et de Ramsgate (1), que les moines romains posèrent pour la première fois le pied sur le sol Britannique (2). On a longtemps conservé et vénéré le rocher qui avait reçu l'empreinte des premiers pas d'Augustin ; on y venait en pèlerinage pour remercier le Dieu vivant d'y avoir conduit l'apôtre des Anglais.

A peine débarqué, le lieutenant du pape Grégoire envoya les interprètes dont il s'était pourvu en France auprès du roi de la contrée où les missionnaires venaient d'aborder, pour lui annoncer qu'ils arrivaient de Rome, et qu'ils lui apportaient la meilleure des nouvelles, la vraie bonne Nouvelle, avec les promesses de la joie céleste et d'un règne éternel en la compagnie du Dieu vivant et véritable.

Ce roi s'appelait Ethelbert, ce qui voulait dire en anglo-saxon Noble et vaillant. Arrière-petit-fils de Hengist, le premier des conquérants saxons, il régnait depuis trente-six ans sur le plus ancien royaume de l'Heptarchie, celui de Kent.

Il devait être naturellement prédisposé en faveur de la religion chrétienne. C'était celle de sa femme, Berthe, qui avait pour père Caribert, roi des Francs de Paris, petit-fils de Clovis. Elle n'avait été accordée à ce roi païen des Saxons de Kent, qu'à la condition de pouvoir observer librement les préceptes et les pratiques de sa foi, sous la garde d'un évêque gallo-franc, Liudhard ou Létard de Senlis, qui était toujours resté avec elle, et venait seulement de mourir, lorsque Augustin arriva. La tradition constate les douces et aimables vertus de la reine Berthe, en même temps que son zèle discret pour la conversion de son mari et de ses sujets.

On croit que Grégoire tenait d'elle ces données…

_______________________________________________________

(1).  On aime à constater que, dans cette ville même de Ramsgate, sur la plage où aborda l'abbé Augustin, les fils de Saint-Benoît ont pu, après treize siècles écoulés, élever de nos jours un nouveau sanctuaire auprès d'une église dédiée à saint Augustin et construite par le grand architecte catholique Pugin. Cette colonie monastique dépend de la nouvelle province bénédictine de Subiaco, à laquelle se rattachent également nos fondations récentes de la Pierre-qui-Vire , en Morvan, et de Saint-Benoît-sur-Loire, au diocèse d'Orléans. — (2). Près d'une ferme nommée Ebb'sfleet, et située sur un promontoire dont la mer, en se retirant, a abandonné les alentours.

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Message  Louis Ven 06 Fév 2015, 3:36 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

On croit que Grégoire tenait d'elle ces données sur l'envie qu'auraient les Anglais de se convertir, dont il avait entre(te)nu la reine Brunehaut et ses petits-fils. Cette arrière-petite-fille de sainte Clotilde semblait ainsi destinée à être elle-même la Clotilde de l'Angleterre.

Cependant le roi Ethelbert n'autorisa pas tout d'abord les moines romains à venir le trouver dans la cité romaine de Cantorbéry qui lui servait de résidence. Tout en pourvoyant à leur subsistance, il leur prescrivit de ne pas sortir de l'île où ils avaient débarqué, pendant qu'il délibérerait sur ce qu'il avait à faire. Au bout de quelques jours, il alla les visiter lui-même, mais ne voulut les entretenir qu'en plein air, on ne sait quelle superstition païenne lui faisait redouter d'être victime de quelque maléfice s'il se trouvait sous le même toit que ces étrangers. Au bruit de son approche, ils s'avancèrent processionnellement au-devant de lui.

« L'histoire de l'Eglise », dit Bossuet, « n'a rien de plus beau que l'entrée du saint moine Augustin dans le royaume de Kent avec quarante de ses compagnons, qui, précédés de la croix et de l'image du grand Roi Notre-Seigneur Jésus-Christ, faisaient des vœux solennels pour la conversion de l'Angleterre ».

En ce moment solennel, où sur cette terre jadis chrétienne le christianisme se retrouvait face à face avec l'idolâtrie, ces étrangers suppliaient le vrai Dieu de sauver en même temps que leurs propres âmes toutes ces âmes pour l'amour desquelles ils s'étaient arrachés de leurs cloîtres paisibles à Rome et avaient tenté cette rude entreprise. Ils chantaient les litanies en usage à Rome, sur le rhythme solennel et touchant que leur avait enseigné Grégoire leur père spirituel et le père de la musique religieuse. A leur tête marchait Augustin, dont la haute stature et la prestance patricienne devaient attirer tous les regards, car il dépassait, comme Saul, tous les autres de la tête et des épaules.

Le roi, entouré d'un grand nombre de ses fidèles, les reçut assis sous un grand chêne, et les fit asseoir devant lui. Après avoir écouté le discours qu'ils lui adressèrent en même temps qu'à l'assemblée, il leur fit une réponse loyale, sincère, et, comme on dirait aujourd'hui, vraiment libérale.

«Voilà de belles paroles et de belles promesses ; mais tout cela est nouveau et incertain pour moi. Je ne puis tout d'un coup y ajouter foi, en abandonnant tout ce que j'observe depuis si longtemps avec toute ma nation. Mais puisque vous êtes venus de si loin pour nous communiquer ce que vous-mêmes, à ce que je vois, croyez être la vérité et le bien suprême, nous ne vous ferons aucun mal ; au contraire, nous vous donnerons l'hospitalité, et nous aurons soin de vous fournir de quoi vivre, nous ne vous empêcherons pas de prêcher votre religion, et vous convertirez qui vous pourrez ».

Par ces paroles, le roi leur signifiait l'intention de concilier la fidélité aux coutumes nationales avec un respect pour la liberté des âmes que l'on retrouve trop rarement dans l'histoire. L'Eglise catholique rencontrait ainsi dès ses premiers pas en Angleterre cette promesse de liberté qui a été pendant tant de siècles le premier article et le plus fondamental de toutes les chartes et de toutes les constitutions anglaises.

Fidèle à cet engagement, Ethelbert permit aux missionnaires…

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Message  Louis Sam 07 Fév 2015, 3:32 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Fidèle à cet engagement, Ethelbert permit aux missionnaires de le suivre à Cantorbéry, où il leur assigna une demeure qui s'appelle encore Stable Gate, la porte de l'Hôtellerie. Les quarante missionnaires firent dans celle ville une entrée solennelle, portant leur croix d'argent, avec le tableau sur bois où était peint le Christ, et chantant tous à l'unisson ce refrain de la litanie : «Nous te conjurons, Seigneur, par toute ta miséricorde, d'épargner dans ta colère cette cité et ta sainte maison, car nous avons péché. Alléluia ». C'est ainsi, dit un historien monastique, que les premiers Pères et les premiers docteurs de la foi des Anglais entrèrent dans leur métropole future, et inaugurèrent le triomphant labeur de la Croix de Jésus.

Il y avait hors de la ville, à l'Orient, sous le vocable de Saint-Martin une petite église, qui datait du temps des Romains, où la reine Berthe allait prier et pratiquer son culte. Ce fut là qu'Augustin et ses compagnons allaient, eux aussi, chanter leur office monastique, célébrer la messe, prêcher et baptiser (1). Les voilà donc tranquilles, grâce à la munificence royale sur les nécessités de la vie, munis du bien suprême de la liberté, et usant de cette liberté pour travailler à la propagation de la vérité. Ils y vivaient, dit le plus véridique des historiens, de la vie des Apôtres dans la primitive Eglise; assidus à l'oraison, aux vigiles, aux jeûnes, ils prêchaient la parole de vie à tous ceux qu'ils pouvaient aborder, méprisant tous les biens de ce monde, n'acceptant de leurs néophytes que le strict nécessaire, vivant en tout d'accord avec leur doctrine, et prêts à tout souffrir comme à mourir pour la vérité qu'ils prêchaient. L'innocente simplicité de leur vie, la douceur céleste de leur doctrine, parurent aux Saxons des arguments d'une invincible éloquence, et chaque jour voyait croître le nombre de ceux qui demandaient le baptême.

Le bon et loyal Ethelbert ne perdait pas de vue les missionnaires : bientôt, charmé comme tant d'autres par la pureté de leur vie et séduit par les promesses dont plus d'un miracle attestait la vérité, il demanda et reçut le baptême des mains d'Augustin. Ce fut le jour de la Pentecôte de l'an de grâce 597 que ce roi anglo-saxon entra ainsi dans l'unité de la sainte Eglise du Christ. Depuis le baptême de Constantin, et si l'on excepte celui de Clovis, il n'y avait point eu d'événement plus considérable dans les annales de la chrétienté. Une foule de Saxons suivirent l'exemple de leur roi, et les missionnaires monastiques sortirent de leur premier asile pour prêcher de tous les côtés en construisant çà et là des églises. Le roi, fidèle jusqu'au bout à ce noble respect de la conscience d'autrui dont il avait donné l'exemple avant même d'être chrétien, ne voulut contraindre personne à changer de religion. Il se bornait à aimer davantage ceux qui, baptisés comme lui, devenaient ses concitoyens dans la patrie céleste. Le roi saxon avait appris des moines italiens que nulle contrainte n'est compatible avec le service du Christ. Ce ne fut pas pour unir l'Angleterre à l'Eglise romaine, ce fut pour l'en arracher, mille ans plus tard, qu'un autre roi et d'autres apôtres durent employer les supplices et les bûchers.

Sur ces entrefaites…

_________________________________________________________

(1). L'église actuelle de Saint-Martin, reconstruite au XIIIe siècle, occupe l'emplacement de celle qui est consacrée à jamais par le double souvenir de la reine Berthe et de l'archevêque Augustin. On y munira même les fonts de baptême où, selon la tradition, eut lieu l'immersion du roi Ethelbert.

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Message  Louis Dim 08 Fév 2015, 4:46 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Sur ces entrefaites, Augustin, se voyant désormais à la tête d'une chrétienté importante et conformément aux instructions données par le Pape, retourna en France pour s'y faire sacrer archevêque des Anglais par le célèbre métropolitain d'Arles, Virgile, cet ancien abbé de Lérins que Grégoire avait établi son vicaire sur toutes les églises du royaume des Francs. Revenu à Cantorbéry, il trouva que l'exemple du roi et les travaux de ses compagnons avaient fructifié au-delà de toute attente, à tel point qu'en la solennité de Noël de la même année (597), plus de dix mille anglo-saxons se présentèrent pour recevoir le Baptême, et ce sacrement leur fut administré à l'embouchure de la Medway dans la Tamise, en face de cette île de Sheppey, où se trouve aujourd'hui une des principales stations de la flotte Britannique et un des grands centres de la puissance maritime de l'Angleterre.

Le premier des néophytes fut aussi le premier des bienfaiteurs de la naissante Eglise. Ethelbert, de plus en plus pénétré de respect et de dévouement pour la foi qu'il venait d'embrasser, voulut donner un gage éclatant de sa pieuse humilité en abandonnant au nouvel archevêque son propre palais dans la ville de Cantorbéry et en établissant désormais sa résidence royale à Reculver, ancienne forteresse romaine sur la rive voisine de l'île où avait débarqué Augustin. A côté de la demeure du roi, transformée en monastère pour l'archevêque et ses religieux, et sur le site d'une vieille église du temps des Romains, on commença à construire une basilique destinée à devenir, sous le nom d'église du Sauveur ou du Christ (Christ Church) la métropole de l'Angleterre (1). Augustin en fut à la fois le premier archevêque et le premier abbé.

Augustin, toujours à la recherche des vestiges que l'ancienne foi avait laissés dans la Grande-Bretagne, sut découvrir l'emplacement d'une église chrétienne, transformée en temple païen et entourée d'un bois sacré. Ethelbert lui abandonna ce temple avec tout le terrain environnant. L'archevêque en refit aussitôt une église qu'il dédia à saint Pancrace, jeune martyr de Rome, dont le souvenir était cher aux moines Romains, parce que le monastère du Mont-Cœlius, d'où ils étaient tous sortis et où leur père Grégoire était né, avait été construit sur des terrains appartenant autrefois à la famille de Pancrace. Autour de ce nouveau sanctuaire, Augustin éleva un autre monastère, dont un de ses compagnons, Pierre, fut le premier abbé, et qu'il destinait à lui servir de sépulture, selon l'usage romain qui plaçait les cimetières hors des villes et au bord des grands chemins. Il consacra cette nouvelle fondation sous l'invocation des apôtres de Rome, Pierre et Paul, mais c'est sous son propre nom que cette fameuse abbaye est devenue l'un des sanctuaires les plus opulents et les plus vénérés de la chrétienté, et qu'elle a été pendant plusieurs siècles la nécropole des rois et des primats de l'Angleterre (2), en même temps que le premier foyer de la vie religieuse et intellectuelle dans le midi de la Grande-Bretagne.

Dès la première année de sa mission, Augustin avait envoyé à Rome deux de ses compagnons : Laurent, qui devait le remplacer comme archevêque, et Pierre, qui devait être le premier abbé du nouveau monastère de Saint-Pierre et de Saint-Paul, pour annoncer au Pape la grande et bonne nouvelle de la conversion du roi et du royaume de Kent, puis pour lui demander de nouveaux collaborateurs, la moisson étant grande et les moissonneurs peu nombreux ; enfin, pour le consulter sur onze points importants et délicats touchant la discipline et la direction des nouveaux chrétiens.

On comprend la joie de Grégoire ; au milieu des périls et des épreuves…

___________________________________________________________________________

(1). L'immense métropole actuelle de Cantorbéry, dont la reconstruction fut commencée au XIe siècle par Lanfranc, occupe l'emplacement de cette église primitive et du palais d'Ethelbert. — (2). L'abbé de Saint-Augustin de Cantorbéry reçut du pape Léon IX, en 1055, le privilège do siéger à la première place, après l'abbé du Mont-Cassin, dans les conciles généraux. Le Monasticon Anglicanum de Dugdale, t. I, p. 23, donne une vue très-curieuse de l'état des ruines de cette abbaye vers le milieu du XVIIe siècle: on y distingue encore une grande tour dite d'Ethelbert, mais construite beaucoup plus tard. Dans un ouvrage spécial, intitulé : Vestiges of antiquities at Canterbury, par T. Hastings, 1813, in-folio, Il y a des planches qui représentent avec beaucoup de détails les débris, encore considérables, mais cruellement profanés ou abandonnés, qui subsistaient en 1812; la portion la mieux conservée servait alors de brasserie, accompagnée d'un cabaret et d'une enceinte destinée aux combats de coqs. Elle a été restaurée depuis peu, jusqu'à un certain point, grâce à la munificence de M, Beresford Hope, et sert aujourd’hui de Séminaire pour les missions anglicanes.

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Message  Louis Lun 09 Fév 2015, 4:20 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

On comprend la joie de Grégoire ; au milieu des périls et des épreuves de l'Eglise, au milieu de ses propres souffrances matérielles et morales, voyait réaliser le rêve le plus cher de son âme. Le plus audacieux de ses projets était couronné de succès. Un nouveau peuple venait d'être introduit dans l'Eglise par sa douce et persévérante activité jusqu'à la fin des siècles, des âmes innombrables allaient lui devoir leur entrée dans la grande confraternité des âmes ici-bas comme dans les joies éternelles de là-haut. Certes il ne prévoyait pas les grands hommes, les grands Saints, les immenses res sources, les indomptables champions que l'Angleterre  devait fournir à l'Eglise catholique ; mais aussi il eut le bonheur d'ignorer la défection qui devait découronner un jour tant de gloire, et cette lâche ingratitude qui osé méconnaître ou rabaisser chez lui comme chez ses lieutenants l'incomparable bienfait qu'il a conféré au peuple anglais en l'initiant à la lumière de l'Evangile.

Il resta jusqu'à son dernier jour fidèle à l'active sollicitude que lui inspirait sa chère Angleterre. Il envoya à Augustin une nouvelle colonie monastique, munie de reliques, de vases sacrés, de vêtements sacerdotaux, de parements d'autels, de tout ce qu'exigeait la pompe du culte et surtout des livres destinés à former un commencement de bibliothèque ecclésiastique (1).

A la tête de ce nouvel essaim de religieux, figurait un homme de très-noble naissance…

__________________________________________________________________________

(1). Nec non et codices plurimos, Bède, I, 20. Plusieurs dos livres envoyés par Grégoire à Augustin, par l'abbé Pierre, furent conservés avec soin et échappèrent pendant dix siècles aux ravages du temps. Au temps de Henri VIII, Léland les admirait encore : « Majusculis litteris Romanis more veterum præscriptis... incredibilem se ferentes antiquitatis majestatem ». Un ancien catalogue de ce premier envoi se termine par ces mots : « C'est ici l'origine de la Bibliothèque de toute l'église d'Angleterre ». A. D. 601. — A la Bibliothèque du collège dit Corpus Christi, à l'Université de Cambridge, on montre un manuscrit latin des quatre Evangiles qui, selon une tradition invétérée, serait l'exemplaire apporté de Rome par saint Augustin, en 596.

Les Anglais eurent à peine quitté l'idolâtrie, qu'ils se mirent à cultiver leur esprit, surtout par l'étude des sciences sacrées. On sait jusqu'à quel point ils réussirent. Nous ne citons que l'exemple de Bède. Plusieurs seigneurs voyageaient en Italie et dans d'autres pays, pour perfectionner les connaissances qu'ils avaient déjà acquises. Ce qu'il y avait de plus admirable, c'est que leur ferveur à pratiquer les devoirs du christianisme égalait ou surpassait même l'ardeur qu'ils avaient d'apprendre. Ils étudiaient, non pour paraître savants, mais pour devenir meilleurs.

Comme il n'y avait point encore d'universités, les grands monastères ouvrirent des écoles publiques, où l'on formait le clergé et la jeune noblesse. L'art de l'imprimerie étant alors inconnu, chaque monastère avait son scriptorium, où l'on copiait des livres. C'était là l'occupation de la plupart des moines, et ils y donnaient le temps destiné au travail des mains. Chaque monastère avait aussi sa bibliothèque. On comptait dix-sept cents manuscrits dans celle de Péterbourgh. Celle des moines Gris, à Londres, avait cent vingt-neuf pieds de long, sur trente et un de large, et était très-bien fournie de livres. (Léland, Collect., vol. 1, p. 109.) Il est dit, dans Ingulf, que quand celle de Croyland fut brûlée, en 1091, il y eut sept cents volumes de perdus. Il fallait que la bibliothèque de Wels fût fort vaste, puisque, selon Léland, Itin., vol. 3, p. 86, elle avait vingt-cinq fenêtres de chaque côté. A Saint-Augustin de Cantorbéry, on priait tous les jours pour les bienfaiteurs de la bibliothèque, tant vivants que défunts. Voyez Thorr..., inter decem scriptores, et Tanner, Notit. mon. præf., p. 40.

Il y avait de semblables bibliothèques chez les autres religieux. Ce fut dans celles des principaux monastères qu'on déposa les actes du parlement, après l'arrivée des Normands. Sous les Anglo-Saxons, on y déposait les principaux décrets de l'assemblée générale des états, nommée wittena gemote ou mycel gemote, ainsi que les actes des gemote, ou assemblées des districts particuliers. Dans plusieurs monastères, on gardait des espèces de registres de l'histoire des rois et des événements publics, dont quelques-uns ont échappé aux flammes et sont parvenus jusqu'à nous. Tels sont les Annales et les Chroniques saxonnes que Gibson publia à Oxford, en 1692. Florent de Worcester et Guillaume de Malmesbury com posèrent leurs histoires d'après ces chroniques, qui se gardaient dans les monastères.

On ne saurait trop regretter la perte de ces précieux monuments, dont les historiens auraient tiré tant de lumières. Voici ce qu'on lit a ce sujet dans l'Histoire d'Angleterre, par Tyrrel, p. 152 : « Lorsque les Saxons eurent été convertis, la plupart des lois faites dans les wittena gemote, ou assemblées générales, se gardaient soigneusement ; nous les aurions plus entières, si la suppression des monastères, qui se fit sous Henri VIII, n'eût causé la perte de tant de monuments curieux de l'antiquité ».

Les fanatiques, transportés d'une fureur dont les Goths n'auraient point été capables, n'épargnera pas même les bibliothèques des universités, les deux surtout, qui étaient publiques à Oxford. L'une avait été fondée sous le règne d'Edouard III, par Richard de Burg ou Richard Aungerville, grand-trésorier d'Angleterre et évêque de Durham, qui avait dépensé des sommes immenses pour faire des collections complètes en tout genre ; l'autre fut commencée en 1367, par Thomas Cobham, évêque de Worcester. Henri IV et ses enfants l'augmentèrent considérablement; on y réunit aussi la bibliothèque du célèbre Humfrey, duc de Glocester, qui était remplie de manuscrits précieux qu'on avait achetés fort cher en différents pays.

Ecoutons Chamberlain sur l'horrible déprédation qui se fit alors. Il s'exprime de la manière suivante dans son Etat présent de l'Angleterre, part. 3, p. 450 : « Ces hommes (les fanatiques), sous prétexte de déraciner le papisme, la superstition et l'idolâtrie, détruisirent entièrement les deux belles bibliothèques (dont nous venons de parler), ils jetèrent, vendirent, brûlèrent ou mirent en pièces tons les livres précieux que les protecteurs des lettres avaient eu tant de peine à ramasser dans tous les pays de l'Europe. Leur fureur alla si loin, par rapport à la bibliothèque aungervillienne, qui était la plus ample, la plus ancienne et la mieux composée, qu'il ne nous en reste pas même le catalogue. Ils ne s'en tinrent pas la, Ils visitèrent les bibliothèques des collèges particuliers, et y portèrent aussi le ravage. On peut juger de ce qu'ils tirent par une lettre qui existe encore, et dans laquelle l'un d'entre eux se vante que le nouveau collège, de forme quadrangulaire, était tout couvert de feuilles de livres déchirés, etc. L'université se plaignit au gouverneur de la barbarie et de l'avidité des visiteurs ; mais ses plaintes ne produisirent aucun effet; elle ne put sauver qu'un simple volume, donné par Jean Whethamsted, abbé de Saint-Alban, lequel contenait une partie de Valère-Maxime, avec les commentaires de Denys de Burgo. Il n'y a aujourd'hui, dans la bibliothèque bodleïenne que ce volume et deux autres, qui viennent des anciennes bibliothèques. L'université, désespérant n'avoir jamais de bibliothèque publique, se défit, en 1555, des pupitres et des tablettes où avaient été les livres ».

On retira des mains des épiciers quelques livres qu'on y avait trouvés par hasard. L'archevêque Parker ramassa aussi quelques morceaux de manuscrits, qu'il légua partie à la bibliothèque de l'Université, partie à celle du collège de Saint-Benoît de Cambridge.

Thomas Bodley, par une libéralité qu'on ne pourra jamais assez louer, fonda à Oxford une nouvelle bibliothèque publique, qui fut ouverte en 1602. Son exemple eut des imitateurs ; mais ces zélés protecteurs des lettres n'ont pu, malgré tous leurs soins, recouvrer d'anciens manuscrits, qu'on regrette et qu'on regrettera toujours.

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Message  Louis Mar 10 Fév 2015, 3:11 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

A la tête de ce nouvel essaim de religieux, figurait un homme de très-noble naissance, nommé Mellitus, et son confrère Juste, qui devaient occuper l'un après l'autre le siège métropolitain de Cantorbéry, puis Paulin, le futur apôtre de la Northumbrie.

Il confia aux nouveaux missionnaires une longue lettre au roi Ethelbert, où, tout en le félicitant de sa conversion, et en le comparant à Constantina, comme il avait comparé Berthe à sainte Hélène, il l'exhortait à étendre la foi parmi ses sujets, à proscrire le culte des idoles, à renverser leurs temples et à établir les bonnes mœurs par les exhortations, les caresses, les menaces, mais surtout par son propre exemple. Il ajoute :

« Vous avez avec vous notre très-révérend frère, l'évêque Augustin, élevé dans la Règle monastique, rempli de la science des Ecritures, plein de bonnes œuvres aux yeux de Dieu. Ecoutez dévotement et accomplissez fidèlement tout ce qu'il vous dira : car plus vous écouterez ce qu'il vous dira de la part de Dieu, plus Dieu l'exaucera lui-même quand il le priera pour vous. Attachez-vous donc à lui de toutes les forces de votre âme avec la ferveur de la foi ; et secondez ses efforts avec toute la force que Dieu vous a donnée (1) ».

Le même jour, il conférait à Augustin le droit de porter le pallium en célébrant la messe, pour le récompenser d'avoir créé la nouvelle église des Anglais. Cet honneur devait passer à tous ses successeurs sur le siège archiépiscopal (2). Il le constitue métropolitain des douze évêchés qu'il lui enjoint d'ériger dans l'Angleterre méridionale.

Mais pendant que, aux yeux des hommes, il mettait ainsi le comble à la confiance et à l'autorité dont il investissait Augustin…

_____________________________________________________________________

(1).  Epist., XI, 61, ad Clotarium Francorum regem. — (2).  Depuis le schisme de Henri VIII, les archevêques anglicans de Cantorbéry, par la plus singulière des anomalies, n'en ont pas moins conservé ce pallium dans les armoiries de leur siège.

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Message  Louis Mer 11 Fév 2015, 3:48 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Mais pendant que, aux yeux des hommes, il mettait ainsi le comble à la confiance et à l'autorité dont il investissait Augustin, il lui adressait en secret des avertissements destinés à les préserver des périls de l'orgueil. « Dans notre joie », lui écrivait-il, « il y a grand sujet de crainte. Je sais, très-cher frère, que Dieu a fait par toi de grands miracles dans cette nation. Il faut se réjouir de ce que les âmes des Anglais sont attirées par des miracles extérieurs à la grâce intérieure ; mais il faut craindre que ces prodiges ne portent l'âme infirme à la présomption et ne fassent tomber l'homme au dedans par la vaine gloire encore plus qu'ils ne le grandissent au dehors. Quand les disciples disaient à leur divin Maître : Seigneur, en votre nom, les démons mêmes nous sont soumis ; il leur répondit : Ne vous réjouissez pas de cela, mais de ce que vos noms sont inscrits dans le ciel. Les noms de tous les élus y sont inscrits, et cependant tous les élus ne font pas des miracles... Tandis que Dieu agit ainsi par Loi au dehors, tu dois, très-cher frère, te juger scrupuleusement au dedans et bien connaître qui tu es. Si tu te souviens d'avoir offensé Dieu par ta langue ou par tes œuvres, aie toujours les fautes présentes à ta mémoire pour réprimer la vaine gloire qui surgirait dans ton cœur. Songe que ce don des miracles ne t'est pas donné pour toi, mais pour ceux dont le salut t'est confié... Il y a des miracles de réprouvés, et nous, nous ne savons pas même si nous sommes élus. Il faut donc rudement déprimer l'âme au milieu de tous ces prodiges et de ces signes, de peur qu'elle n'y cherche sa propre gloire et son avantage privé... Dieu ne nous a donné qu'un seul signe pour reconnaître ses élus : c'est de nous aimer les uns les autres (1) ».

Puis aussitôt, voulant relever par un retour de tendre compassion l'ami qu'il vient de corriger, il continue en ces termes : « Je parle ainsi, parce que je désire prosterner l'âme de mon cher auditeur dans l'humilité. Mais que ton humilité même ait confiance. Tout pécheur que je suis, j'ai une espérance certaine que tous tes péchés te seront remis, puisque tu as été choisi pour procurer la rémission aux autres. S'il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur pénitent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, quelle joie n'y aura-t-il pas pour tout un grand peuple qui, en venant à la foi, fait pénitence de tout le mal qu'il a fait? Et cette joie, c'est toi qui l'auras donnée au ciel ».

Dans une lettre antérieure de Grégoire, adressée, non plus à Augustin, mais à son ami Euloge, patriarche d'Alexandrie, le Pape constate également les miracles qui avaient signalé la mission d'Augustin. Il ne craint pas même de les comparer aux signes et aux prodiges qui avaient accompagné la prédication des Apôtres.

Chose singulière, ni Bède ni aucun autre historien ne donne le moindre détail sur les prodiges qui éveillaient à la fois l'admiration, la gratitude et la prudence de saint Grégoire le Grand. Mais, de tous les miracles possibles, le plus grand est assurément « d'avoir détaché du paganisme, sans violence, un peuple violent, de l'introduire dans la société chrétienne, non pas homme par homme et famille par famille, mais d'un seul coup, avec ses rois, sa noblesse guerrière, ses institutions ». Ce roi qui croit descendre des dieux du paradis Scandinave, et qui abandonne sa capitale aux prêtres du Dieu crucifié ; ce peuple féroce et idolâtre qui se précipite par milliers au-devant de quelques moines étrangers, et par milliers se plonge dans les ondes glacées de la Tamise, au milieu de l'hiver, pour recevoir le Baptême de la main de ces inconnus ; cette transformation si rapide et si complète d'une race orgueilleuse et victorieuse, sensuelle et rapace, par une doctrine uniquement destinée à dompter la cupidité, l'orgueil et la sensualité, et qui, une fois descendue dans ces cœurs sauvages, s'y est imprimée pour toujours, n'est-ce pas là de tous les prodiges le plus merveilleux comme le plus incontesté ?

Enfin, et après toutes ces lettres, Grégoire adressa une réponse très-longue et très-détaillée aux onze questions que lui avait posées Augustin sur les principales difficultés…


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(1). Fleury, en citant cette lettre, dit avec raison : « Rien ne  prouve mieux la vérité des miracles de saint Augustin que cet avis si sérieux de Grégoire ».

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Message  Louis Jeu 12 Fév 2015, 3:10 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Enfin, et après toutes ces lettres, Grégoire adressa une réponse très-longue et très-détaillée aux onze questions que lui avait posées Augustin sur les principales difficultés qu'il rencontrait ou qu'il prévoyait dans sa mission. Il faudrait citer en entier cette réponse, monument admirable de lumière, de raison conciliante, de douceur, de sagesse, de modération et de prudence, destiné à devenir, comme on l'a dit très-justement, la règle et le code des missions chrétiennes.

Interrogé sur les peines à infliger aux voleurs sacrilèges, et sur la disposition de la loi romaine, qui imposait au voleur la restitution du double ou quadruple, Grégoire prescrit de tenir compte, dans le châtiment, de l'indigence ou de la richesse du larron, mais toujours avec une charité paternelle, et une modération qui retienne l'âme dans les limites de la raison. Quant à la restitution, « à Dieu ne plaise », dit-il, « que l'Eglise veuille gagner à ce qu'elle a perdu, et cherche à tirer profit de la folie des hommes ! »

A peine eut-il écrit au roi Ethelbert, la lettre où il l'exhortait à détruire les temples du vieux culte national, qu'il se ravisa, et au bout de quelques jours il dépêcha une instruction toute différente au chef de la nouvelle mission, à ce Mellitus qu'il qualifie d'abbé et qu'il avait chargé de porter sa lettre au roi. Il espérait le rejoindre en route. « Depuis le départ de toute la compagnie qui est avec vous », lui écrit-il, « je suis fort inquiet, car je n'ai rien appris des succès de votre voyage. Mais quand le Dieu tout-puissant vous aura conduit auprès de notre révérendissime frère Augustin, dites-lui que, après avoir longtemps roulé dans mon esprit l'affaire des Anglais, j'ai reconnu qu'il ne fallait pas du tout abattre les temples des idoles, mais seulement les idoles qui y sont. Après avoir arrosé ces temples d'eau bénite, qu'on y place des autels et des reliques ; car si ces temples sont bien bâtis, il faut les faire passer du culte des démons au service du vrai Dieu, afin que cette nation, voyant que l'on ne détruit pas ses temples, se convertisse plus aisément, et vienne adorer le vrai Dieu dans les lieux qui lui sont connus ».

C'est le cas de parler ici des divergences qui existaient entre Rome et l'antique église bretonne, voisine des Anglais; entre Rome et les Chrétientés d'Irlande, de Calédonie.

La dissidence capitale portait sur la date de la célébration de la fête de Pâques…

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Message  Louis Ven 13 Fév 2015, 3:12 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

La dissidence capitale portait sur la date de la célébration de la fête de Pâques. Dès les premiers siècles, des discussions prolongées s'étaient élevées sur le jour où il convenait de célébrer la plus grande fête de l'Eglise. Le concile de Nicée avait fixé l'époque des solennités pascales au dimanche après le quatorzième jour de la lune de l'équinoxe du printemps, et cette date, sanctionnée par l'Eglise romaine, avait été portée dans toutes les églises de la Bretagne avec la foi chrétienne, comme par saint Patrice en Irlande, et par saint Colomban en Calédonie. Mais l'église d'Alexandrie s'était aperçue d'une erreur astronomique qui provenait de l'emploi par les chrétiens de l'ancien cycle judaïque ; elle avait introduit un comput plus exact, adopté dans tout l'Orient, et dont il résultait dès le pontificat de saint Léon le Grand (440-461) une différence d'un mois entier entre le jour de Pâques à Rome et le jour de Pâques à Alexandrie.

Enfin, vers le milieu du VIe siècle, en 532, on se mit d'accord : Rome adopta la supputation de Denys-le-Petit, qui ne permettait plus de se tromper sur le jour fixé par le concile de Nicée, et l'uniformité de date se trouva rétablie dans l'Eglise.

Mais l'invasion saxonne avait intercepté les communications habituelles entre Rome et les églises bretonnes. Celles-ci conservèrent l'ancien usage romain ; et ce fut précisément l'attachement à cet usage romain qui lui servit d'argument contre les calculs plus exacts que leur apportaient Augustin et ses moines Italiens, mais qu'ils repoussaient comme des nouveautés suspectes, comme une dérogation aux traditions de leurs pères. C'était comme on voit pour rester fidèles aux enseignements primitifs de Rome, qu'ils résistaient aux nouveaux missionnaires romains.

S'il y avait eu le moindre dissentiment dogmatique ou moral entre les Bretons et l'Eglise romaine, jamais Augustin n'aurait commis l'insigne folie de solliciter l'assistance du clergé celtique pour la conversion des païens Saxons. C'eût été semer la confusion et la discorde dans la nouvelle Eglise qu'il s'agissait de constituer par le concours énergique du christianisme indigène avec les envoyés do Rome.

Rien de plus pénible que de rencontrer dans l'histoire des luttes interminables et passionnées pour des causes ou des questions qui au bout de quelque temps n'intéressent plus personne, et que personne ne comprend plus. Mais ce n'est pas seulement l'antiquité chrétienne, ce sont tous les siècles qui offrent de pareils spectacles. Et à ceux qui se scandaliseraient de l'excessive importance que les âmes les plus pieuses de leur temps ont attachées à de pareilles minuties, il suffit de rappeler l'obstination acharnée qu'ont mise de grands peuples, tels que les Anglais et les Russes, à repousser la réforme du calendrier grégorien, les uns pendant près de deux siècles,   les autres jusqu'au sein de l'uniformité du monde contemporain.

Comment se figurer que, pour cette mesquine et misérable différence, les deux Eglises soient restées pendant deux siècles sur le pied de guerre l'une vis-à-vis de l'autre ? Puisque les Celtes des îles Britanniques tenaient de Rome même leur ancien usage, pourquoi ne pas la suivre dans son calcul perfectionné, comme dans tout le reste de l'Occident ? Pourquoi vouloir absolument se réjouir quand les Romains jeûnaient, et jeûner quand ils chantaient l' Alléluia ?

N'y avait-il pas une cause plus sérieuse, plus profonde à la dissidence dont la controverse pascale ne couvrait que la surface? On n'en saurait douter…

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Message  Louis Sam 14 Fév 2015, 3:19 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

N'y avait-il pas une cause plus sérieuse, plus profonde à la dissidence dont la controverse pascale ne couvrait que la surface? On n'en saurait douter ; et de toutes les causes, la plus naturelle et la plus excusable, c'était l'instinct de conservation nationale, exaspéré par la haine de l'ennemi triomphant et se traduisant par la méfiance de l'étranger, qui semblait le complice de l'ennemi.

Augustin sentait bien qu'il avait besoin des chrétiens celtiques pour mener à bien la grande œuvre que la Papauté lui avait confiée. Formé à l'école conciliante et modérée de saint Grégoire le Grand, imbu de ses récentes instructions, il fut loin de se montrer exclusif, quant aux personnes ou aux usages locaux, et, pour achever la conversion des Saxons, il réclama sincèrement le concours du clergé nombreux et puissant, qui depuis plus d'un siècle était l'âme de la résistance contre les païens et qui peuplait ces grands cloîtres de la Cambrie, où n'avait point encore pénétré l'épée des conquérants.

Mais les Bretons lui opposèrent une résistance jalouse et obstinée. Ils ne voulurent point se joindre à lui pour évangéliser leurs ennemis; ils n'avaient aucune envie de leur ouvrir les portes du ciel.

Augustin réussit cependant à obtenir que les principaux évêques et docteurs du pays de Galles tiendraient une conférence publique avec lui. On convint de se rencontrer sur les confins du Wessex, près des bords de la Saverne qui séparait les Saxons des Bretons. L'entrevue, comme celle d'Augustin avec Ethelbert après son débarquement, eut lieu en plein air et sous un chêne qui garda longtemps le nom de chêne d'Augustin (1).

Il commença, non par réclamer la suprématie personnelle que le Pape lui avait concédée, mais par exhorter les chrétiens celtiques à vivre dans la paix catholique avec lui et à unir leurs efforts aux siens pour évangéliser les païens, c'est-à-dire les Saxons. Mais ni ses prières, ni ses exhortations, ni ses reproches, ni la parole de ses collaborateurs monastiques, jointe à la sienne, rien ne réussit à fléchir les Bretons qui s'obstinaient à invoquer leurs traditions contre les règles nouvelles. Après une contestation aussi longue que laborieuses, Augustin dit enfin :

« Prions Dieu, qui fait habiter ensemble les unanimes, de nous montrer par des signes célestes quelles traditions on doit suivre. Qu'on amène un malade, et celui dont les prières l'auront guéri sera celui dont la foi devra être suivie ».

Les Bretons consentirent à contre-cœur ; on amena un Anglo-Saxon aveugle, que les évêques Bretons ne purent guérir. Alors Augustin s'agenouilla et pria Dieu d'éclairer la conscience de beaucoup de fidèles en rendant la vue à cet homme. Aussitôt l'aveugle recouvra la vue. Les Bretons furent d'abord touchés, ils reconnurent qu'Augustin marchait dans la voie de la justice et de la vérité, mais ils dirent qu'ils ne pouvaient renoncer à leurs vieilles coutumes sans le consentement du peuple, et demandèrent une seconde assemblée où leurs députés seraient plus nombreux.

Cette seconde conférence eut bientôt lieu…


____________________________________________________

(1). Spelman pense que le lieu en question était la ville d'Ausric, située à l'entrée de Worcestershire, vers le Héréfordshire, le mot Ausric ou Augustine's-ric, signifiant en langue anglo-saxonne le patrimoine ou le pays d'Augustin. La conférence se tint lorsque le Saint était métropolitain, et conséquemment après l'année 601.

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Message  Louis Dim 15 Fév 2015, 11:57 am

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)

Cette seconde conférence eut bientôt lieu. Augustin s'y trouva en présence de sept évêques Bretons et des plus savants docteurs du grand monastère de Bangor, peuplé de plus de trois mille moines. Avant la nouvelle entrevue les Bretons allèrent consulter un anachorète fort renommé parmi eux, par sa sagesse et sa sainteté, et lui demandèrent s'ils devaient écouter Augustin et abandonner leurs traditions.

« Oui », dit l'anachorète, « si c'est un homme de Dieu.

— Mais comment le savoir ?

— S'il est doux et humble de cœur comme dit l'Evangile, il est probable qu'il porte le joug de Jésus-Christ et que c'est ce joug qu'il vous offre ; mais s'il est dur et orgueilleux, il ne vient pas de Dieu, et vous ne devez prendre aucun souci de ses discours. Pour le découvrir, laissez-le arriver le premier au lieu du concile, et s'il se lève quand vous approcherez, vous saurez que c'est un serviteur de Jésus-Christ et vous lui obéirez ; mais, s'il ne se lève pas pour vous faire honneur, méprisez-le comme il vous aura méprisés ».

On se conforma aux instructions de l'anachorète, malheureusement en arrivant au concile, ils trouvèrent Augustin déjà assis, comme c'était la coutume des Romains, dit un historien, et il ne se leva pas pour les recevoir. C'en fut assez pour les soulever contre lui. « Si cet homme », disaient-ils, « ne daigne pas se lever pour nous maintenant, combien donc ne nous méprisera-t-il pas quand nous lui serons soumis? » Ils devinrent dès lors intraitables et s'étudièrent à le contredire en tout. Pas plus qu'à la première conférence, l'archevêque ne fit aucun effort pour leur faire reconnaître son autorité personnelle.

Constatons à l'honneur de cette race entêtée et de ce clergé rebelle, mais fervent et généreux, qu'Augustin ne leur reprocha aucune de ces dérogations à la pureté de la vie sacerdotale que quelques auteurs leur ont imputées. Avec une modération scrupuleusement conforme aux instructions du Pape, il réduisit à trois points toutes ses prétentions.

« Vous avez », leur dit-il, « beaucoup de pratiques contraires à notre usage, qui est celui de l'Eglise universelle, nous les admettons toutes sans difficulté, si seulement vous voulez me croire en trois points : de célébrer la Pâque en son temps, de compléter le sacrement du Baptême, selon l'usage de la sainte Eglise romaine, et de prêcher avec nous la parole de Dieu à la nation anglaise ».

A cette triple demande, les évêques et les moines celtiques opposèrent un triple refus, et ajoutèrent qu'ils ne le reconnaîtraient jamais pour archevêque. Ils ne repoussaient d'ailleurs que la suprématie personnelle d'Augustin, et nullement celle du Saint-Siège.

Ce qu'ils redoutaient, ce n'était pas un Pape éloigné, impartial et universellement respecté à Rome, c'était une sorte de pape nouveau à Cantorbéry, sur le territoire et à la disposition de leurs ennemis héréditaires, les Saxons. Et par-dessus tout, ils ne voulaient pas qu'on leur parlât de travailler à convertir ces odieux Saxons qui avaient égorgé leurs aïeux et usurpé leurs terres. « Non », dit l'abbé de Bangor, « nous ne prêcherons pas la foi à cette cruelle race d'étrangers qui ont traitreusement expulsé nos ancêtres de leur pays et dépouillé leur postérité de son héritage ».

Or, il est facile de voir laquelle des trois conditions Augustin avait le plus à cœur, par la prédiction menaçante qu'il opposa au refus des moines bretons…

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Message  Louis Lun 16 Fév 2015, 1:08 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)


Or, il est facile de voir laquelle des trois conditions Augustin avait le plus à cœur, par la prédiction menaçante qu'il opposa au refus des moines bretons.

« Puisque vous ne voulez pas faire la paix avec des frères, vous aurez la guerre avec des ennemis ; puisque vous ne voulez pas montrer aux Anglais la vie de la voie, vous recevrez de leurs mains le châtiment de la mort ».

Cette prophétie ne fut que trop cruellement accomplie quelques années plus tard. Le roi des Angles du Nord, Ethelfrid, encore païen, vint envahir la région de la Cambrie, où était situé le grand monastère de Bangor. Au moment où le combat s'engageait entre sa nombreuse armée et celle des Gallois, il vit au loin, dans un site élevé, une troupe d'hommes sans armes et tous à genoux.

« Qu'est-ce que ces gens-là ? » demanda-t-il.

On lui dit que c'étaient les moines du grand monastère de Bangor qui, après trois jours de jeûne, venaient prier pour leurs frères pendant le combat.

« S'ils prient leur Dieu pour mes ennemis», dit le roi, « ils combattent contre nous quoique sans armes».

Aussitôt il fit diriger contre eux la première attaque : Le prince gallois, qui aurait dû les défendre, s'enfuit honteusement, et douze cents moines furent massacrés sur-le-champ.

Une calomnie déjà ancienne et réchauffée de nos jours, a prétendu qu'Augustin avait provoqué cette invasion, et désigné le monastère de Bangor aux païens de la Northumbrie (1). Or, le vénérable Bède constate expressément qu'il était déjà depuis longtemps dans le ciel. C'est bien assez que Bède lui-même, beaucoup plus Saxon que chrétien toutes les fois qu'il s'agit des Bretons, applaudisse plus d'un siècle après ce massacre, et y voie une juste vengeance du ciel contre ce qu'il appelle la milice infâme des perfides, c'est-à-dire contre d'héroïques chrétiens morts pour la défense de leurs foyers et de leurs autels, sous le couteau des païens Anglo-Saxons, par les ordres du chef qui, du témoignage de Bède lui-même, extermina le plus d'indigènes.

Condamné par l'obstination des Bretons à se priver de leur concours, Augustin n'en continua pas moins ce que son biographe appelle la chasse aux hommes, en évangélisant les Saxons…

_____________________________________________________

(1). Cette imputation mensongère remonte à Geoffroy de Monmouth, évêque de Saint-Asaph, au XIIe siècle, et interprète des rancunes nationales du pays de Galles. Certains érudits obscurs, descendants indignes des Anglo-Saxons, tels que Goudwin et Hammond, l'ont adoptée par haine de l'Eglise romaine; et, ne sachant comment la concilier avec l'affirmation si positive de Bède, sur la mort antérieure d'Augustin, ont prétendu que ce passage du vénérable avait été interpolé. Mais tous les éditeurs modernes de Bède ont dû reconnaître que le passage contesté existait dans tous les manuscrits sans exception de cet auteur. Cf. Lingard, Anglo-Saxon Church , t. Ier, p. 74 ; Varin, Premier Mémoire, p. 25 à 29 ; Gorini, t. II, p, 77.

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Message  Louis Mar 17 Fév 2015, 12:29 pm

Saint Augustin de Cantorbéry.

(suite)


Condamné par l'obstination des Bretons à se priver de leur concours, Augustin n'en continua pas moins ce que son biographe appelle la chasse aux hommes, en évangélisant les Saxons. Et cependant, même chez eux, il trouvait parfois une opposition qui se manifestait par l'injure et la dérision, surtout lorsqu'il franchissait les limites du royaume d'Ethelbert. Ainsi, en parcourant cette région du pays des Saxons de l'Ouest, qui s'appelle aujourd'hui le Dorsetshire, ses compagnons et lui tombèrent au milieu d'une population maritime qui les accabla d'avanies et d'outrages. Ces sauvages païens ne refusèrent pas seulement de les entendre ; ils ne reculèrent pas même devant les voies de fait pour les éloigner, puis en les chassant de leur territoire, avec une grossièreté vraiment tudesque, ils attachèrent aux robes noires des pauvres moines italiens, en signe d'opprobre, des queues de poissons provenant de la pêche dont ils vivaient. Augustin n'était pas homme à se laisser décourager pour si peu. D'ailleurs il rencontrait en d'autres lieux des foules plus attentives et plus reconnaissantes. Aussi persévéra-t-il pendant sept années entières, et jusqu'à sa mort, dans ces courses apostoliques, voyageant en véritable missionnaire après comme avant sa consécration archiépiscopale, toujours à pied et sans bagage, et entremêlant à ses prédications infatigables des bienfaits et des prodiges, tantôt en faisant jaillir du sol des sources inconnues, tantôt en guérissant par son attouchement des malades incurables ou moribonds.

Saint Grégoire le Grand mourut dès les premiers mois de l'an 605, et deux mois après, Augustin suivit son père et son ami dans la tombe. Le missionnaire romain fut enterré, selon la coutume de Rome, sur le bord de la voie publique, près du grand chemin romain qui conduisait de Cantorbéry à la mer, dans l'église inachevée du célèbre monastère qui allait prendre et garder son nom.

On transféra depuis dans la ville les reliques de saint Augustin, et on les déposa dans le porche de la cathédrale. Le 6 septembre 1091, on les releva ; puis, après les avoir renfermées dans une urne, on les cacha dans la muraille de l'Eglise au-dessus de la fenêtre qui regarde l'Orient. On laissa cependant dans le porche un peu de poussière et quelques-uns des plus petits ossements. En 1221, le chef du Saint fut mis dans une châsse enrichie d'or et de pierreries ; les autres ossements furent renfermés dans un tombeau de marbre orné de plusieurs beaux morceaux de sculpture et de gravure. Les choses restèrent en cet état jusqu'à la démolition des monastères en Angleterre.

La figure de saint Augustin de Cantorbéry pâlit naturellement à côté de celle de saint Grégoire le Grand ; sa renommée est comme absorbée dans le foyer lumineux d'où rayonne la gloire du Pontife. En outre, les historiens anglais et allemands de nos jours se sont complu à faire ressortir l'infériorité de celui que Grégoire avait choisi pour lieutenant et pour ami. Ils ont rabaissé à l'envi son caractère et ses services, l'accusant tour à tour de hauteur et de faiblesse, d'irrésolution et d'obstination, de mollesse et de vanité, s'attachant surtout à relever et à grossir les apparences d'hésitation et de préoccupation personnelle qu'ils démêlent dans sa vie.

Permis à ces étranges rigoristes de lui reprocher d'être resté au-dessous de l'idéal qu'ils prétendent rêver et dont aucun héros de leur bord n'a jamais approché. A notre sens, les quelques ombres qui se projettent sur la noble carrière de ce grand Saint sont faites pour toucher et pour consoler ses semblables, infirmes, comme lui, et chargés quelquefois d'une mission qu'ils estiment, comme lui, au-dessus de leurs forces. On aime à rencontrer ces faiblesses, encourageantes pour le commun des mortels, chez les artisans des grandes œuvres qui ont transformé l'histoire et décidé du sort des nations.

Sachons donc garder intactes notre admiration et notre reconnaissance pour le premier missionnaire, le premier évêque et le premier abbé du peuple anglais ; sachons applaudir ce concile qui, un siècle et demi après sa mort, décréta que son nom serait toujours invoqué dans les Litanies après celui de Grégoire, « parce que c'est lui qui, envoyé par notre Père Grégoire, a le premier porté à la nation anglaise le sacrement de Baptême et la découverte de la céleste patrie (1) ».

La grande fonction de saint Augustin fut de baptiser. Aussi-le représente-t-on conférant le Baptême au roi Ethelbert, le plus illustre de ses néophytes ; faisant sourdre une fontaine un jour que l'eau vint à lui manquer pour administrer le sacrement de la régénération : on la montre encore dans le Dorsetshire, et longtemps elle fut réputée miraculeuse ; on peut encore le caractériser au moyen de la croix à longue hampe qui s'attribue aux légats du Saint-Siège.

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AA. SS.; Histoire ecclésiastique de Bède; Montalembert, Moines d'Occident ; Godescard, etc.



Saint Augustin de Cantorbéry et l'Évangélisation de l'Angleterre. Page_215

FIN.

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Bienheureux l'homme qui souffre patiemment la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie, que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. S. Jacques I : 12.
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