L’Église et les Beaux-Arts.

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Message  Roger Boivin Mer 27 Fév 2013, 8:12 pm


§ II. L’Église et les Beaux-Arts.

Nous ne pouvons dire qu'un mot de l'influence de l’Église sur le progrès des beaux-arts, mais il est significatif. « Supprimez par la pensée les monuments de l'art chrétien, depuis les catacombes jusqu'à nos jours; supprimez ce qui reste dans les collections publiques et privées, des merveilles de peinture et de sculpture dues au génie chrétien, et vous aurez la meilleure démonstration de cette vérité que la religion fut la seule inspiratrice du grand art, la fondatrice de toutes les écoles rivales, la mère nourricière des artistes. C'est à elle, à elle seule qu'il appartient de compléter la beauté des formes païennes, par la beauté plus grande encore du sentiment chrétien : l'art antique avait divinisé la matière, l'art moderne y a soufflé une âme ». (M. Armengaud, Les chefs-d’œuvre de l'art chrétien). Et pour ne citer que l'Italie, quels noms que ceux de ces peintres chrétiens qui ont illustré le siècle qui s'étend de Léon X à Urbain VIII : Fra Bartolomeo, Léonard de Vinci, Raphaël, Le Pérugin, André Del Sarto, Le Gorrège, Jules Romain, Daniel de Volterra, Michel-Ange, Palma l'Ancien, Le Titien, Paul Véronèse, le Tintoret, les Carrache, le Guide et le Dominiquin!

N'est-ce pas Ganova, le grand statuaire moderne, qui écrivait à Napoléon : « Toutes les religions nourrissent l'art, mais aucune ne le fait dans la même mesure que la nôtre ? » Après une période de lamentable dédain, notre siècle en est revenu à célébrer avec enthousiasme et à imiter les merveilles d'architecture, de sculpture et de peinture du moyen-âge. On admire avec raison les graves et touchantes mélodies du chant grégorien, et les savantes compositions des Roland de Lattre, des Palestrina et des Allegri, dont un maître disait, après les avoir entendues dans la chapelle Sixtine : « Je n'ai fait qu'écouter les anges, et répéter ce qu'ils chantaient ».

Pendant que l’Église donnait ainsi aux âmes, avec la possession du vrai, le sentiment du beau et le besoin de l'exprimer par les arts, les réformateurs du XVIe siècle, traitant de superstition la pompe des autels, d'idolâtrie les chefs-d’œuvre sans nombre qui décoraient nos églises, s'acharnaient à détruire ces merveilles de l'art catholique. « La réformation, dit Chateaubriand, pénétrée de l'esprit de son fondateur, moine envieux et barbare, se déclara ennemie des arts. En retranchant l'imagination des facultés de l'homme, elle coupa les ailes au génie et le mit à pied... Si la réformation, à son origine, eût obtenu un plein succès, elle aurait établi, du moins pendant quelque temps, une autre espèce de barbarie ... ! L’Europe, que dis-je ? le monde est couvert de monuments de la religion catholique. On lui doit cette architecture gothique qui égale par les détails, et qui efface par la grandeur les monuments de la Grèce ». - V. Hettinger : Apologie du Christianisme, t. V, ch. XIX ( http://archive.org/stream/apologieduchrist05hett#page/152/mode/2up ).


Cours d'apologétique chrétienne, ou, Exposition raisonnée des fondements de la foi - par le P.W. Devivier - 1904 :

http://www.archive.org/stream/coursdapologti00devi#page/580/mode/2up



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Message  Roger Boivin Dim 26 Aoû 2018, 8:04 pm


L'ÉGLISE ET LES ARTS



En même temps que le christianisme a été pour les âmes la source d'un renouveau moral, il a ouvert les intelligences à un ordre de beautés encore inconnu, et jeté dans le monde des formes d'art parlant au cœur et s'harmonisant bien avec les aspirations des peuples que sa doctrine avait régénérés. La religion catholique a été le principe d'une nouvelle esthétique éminemment féconde. Loin de se désintéresser jamais de la beauté plastique, elle en a fait éclore des manifestations originales et diverses. Pendant des siècles même, l'Eglise a été la seule école, la seule maîtresse d'art qu'il y eût dans tout l'univers civilisé, — école aux vues larges et éclectiques, respectueuse des monuments de l'antiquité, puis se faisant peu à peu créatrice de modèles inspirés par son idéal pur et spirituel, et, quand souffla le vent de la Renaissance, s'appliquant, par ses grands papes Jules II, Léon X, à faire servir encore ce mouvement à la plus grande gloire de Dieu.

Entrons dans tel des grands musées d'Europe, — et voulez-vous que ce soit au Louvre ? Voici, je crois bien, la collection d'art la plus considérable et la plus choisie, la mieux composée qu'il y ait au monde. L'on n'admet pas n'importe quelle œuvre dans ce palais désaffecté. Lorsqu'il y avait en France des rois, c'était au Louvre qu'ils habitaient. Et il fallait avoir ses quartiers de noblesse pour y pénétrer à leur suite ou être reçu à leur audience. En changeant de destination, le vieux château historique est resté tout aussi exclusif. Seuls maintenant les rois de l'art peuvent en occuper les salles ou les galeries somptueuses. Il ne suffit pas qu'une œuvre soit ancienne pour avoir le droit d'y figurer. Si, par-dessus son archaïsme, et sa valeur je dirais documentaire, elle n'a pas un réel mérite intrinsèque d'exécution, on ne l'y verra jamais. Et quant aux modernes, il faut qu'un artiste soit mort depuis au moins dix ans avant que l'une ou l'autre de ses compositions soit appelée à prendre place dans ce royaume éminemment aristocratique ? Il faut que la réputation d'un maître ait subi la redoutable épreuve du temps et ait été en quelque sorte consacrée par la postérité avant que les « barrières du Louvre », pour rappeler le vers célèbre de Malherbe, s'ouvrent pour accueillir ses réalisations. L'on peut donc affirmer que toutes les pièces de ce musée sont, à un degré ou à un autre, admirables. Un jugement si lent, si subtil et si profond a présidé à leur sélection qu'on est sûr d'avance que chacune porte ce cachet d'éternité qui distingue les chefs-d'œuvre.

Or, au Louvre, les œuvres inspirées par l'idée chrétienne sont innombrables, depuis les miniatures et les enluminures de manuscrits jusqu'aux grandes toiles, et depuis les pierres simplement incisées jus- qu'aux bas-reliefs et aux sculptures en ronde bosse. Et il faudrait y ajouter les mosaïques, les émaux, la numismatique, les figurines, les terres-cuites, les gravures sur bois et sur acier, et que d'autres trésors ! D'où tout cela vient-il ? Où ce musée a-t-il pris ces richesses religieuses qui font peut-être son plus grand charme ? Et je me place en ce moment au seul point de vue de l'esthétique générale, je considère la valeur purement objective de ces morceaux. Supposons que tout cela disparaisse, lui soit enlevé d'un coup. Quelle lacune alors, ou plutôt quel vide dans ces galeries si bien ordonnées, et si parfaitement représentatives de l'effort humain vers l'idéal au cours des âges ! Des siècles et des siècles d'art seraient par le fait même supprimés. — Eh bien ! je le demande à nouveau : à qui donc faut-il rapporter tout cela comme à sa source ? Quelle fut la cause,sinon toujours efficiente, du moins exemplaire, de ces œuvres où se reflète le sentiment chrétien ? La réponse qui s'impose et dont notre cœur conçoit une si légitime fierté, est celle-ci : ces collections mystiques qu'admirent tous les connaisseurs, et sans lesquelles le Louvre perdrait ce je ne sais quoi qui le rend si délicieux à visiter pour les âmes éprises de beauté absolue, éprises d'infini, — ces collections sont ou l'œuvre directe de l'Eglise, ou nées sous son inspiration et grâce à son initiative, ou bien elles ont été réalisées en conformité avec l'idéal que son génie a inventé et sur lequel elle conserve à jamais des droits inaliénables.

Comment ne pas attribuer à l'Eglise tout d'abord celles de ces œuvres qui sont chrétiennes par le sujet et qui furent exécutées par des mains religieuses, par des mains consacrées ? J'en prends une au hasard. Il y a, quelque part dans la galerie du Louvre, une toile pas très grande, mais absolument merveilleuse, quasi divine. Cela représente « Le Couronnement de la Vierge ». M. Taine, qui n'était pas précisément des nôtres, en a dit : « tout y est lumière ; c'est l'épanchement de l'illumination mystique ; par cette prodigalité de l'or et de l'azur, une seule teinte domine, celle du soleil et du ciel. Ce n'est point le jour ordinaire ; il est trop éclatant ; il éteint les couleurs les plus vives ; il enveloppe les corps de toutes parts, il les efface et les réduit à n'être plus que des ombres. En effet, il y a là des âmes ; la pesante matière a été transfigurée, son relief n'est plus sensible, sa substance s'est évaporée ; il ne reste d'elle qu'une forme éthérée qui nage dans la splendeur et dans l'azur. » De qui donc est-elle cette toile d'un mysticisme si intense qui ravissait d'enthousiasme un rationaliste tel que Taine, si ce n'est d'un humble frère convers dominicain, frère Jean de Fiesole — surnommé l' Angelico, parce qu'il peignait comme un ange — le plus grand artiste incontestablement de tout le quinzième siècle ? Et l'œuvre de ce peintre est considérable ; le couvent de Saint-Marc, à Florence, est tout plein de ses œuvres qui nous donnent tant la sensation du divin, l'illusion du ciel.

Au Louvre encore, de qui sont ces manuscrits enluminés avec un art si délicat et si fervent ? Nous ne connaissons pas les noms de ces exquis imagiers qui épanchaient ainsi leurs rêves surnaturels en marge des textes antiques, couvrant les bibles ou les antiphonaires de dessins fins et purs où l'on ne sait qu'admirer le plus, de la perfection du travail ou de la qualité de ces ors et de ces couleurs, à peine altérés après tant de siècles. Qu'importe que ces œuvres adorables soient anonymes ! Ne savons-nous pas d'où elles viennent ? Ne sont-ce pas là des fleurs de cloître, écloses du génie et de la piété des vieux moines ? — Et ces exemples sont pris entre mille.

Quant aux nombreux spécimens d'art religieux qui sont signés de noms laïcs, c'est encore à l'Eglise qu'en reviennent le mérite et la gloire. Et pourquoi ? Parce que le plus souvent c'est l'Eglise qui les a commandés, qu'ils ont été exécutés pour elle, sous son influence, par son ordre, et par des artistes qu'elle avait elle-même découverts, encouragés, protégés, aiguillonnés, des artistes qui lui devaient tout ce qu'ils étaient. Ici encore, que l'on me permette des exemples. Il y a au Louvre une pièce qui s'appelle le « Salon carré » et qui renferme non pas seulement des chefs-d'œuvre, comme tout ce musée en général, mais je dirais de la « quintessence » de chefs-d'œuvre. Or là, parmi d'autres toiles où l'art religieux ou profane a atteint sa plus haute expression, je distingue des Raphaël, sa Madone connue sous le nom de « la Belle Jardinière » et sa « sainte Famille de François Ier"" ». Or, ce Raphaël, « prodigieux créateur d'images », au témoignage d'un critique, « le plus grand illustrateur qui ait jamais existé », « qui fit de son art comme la somme ou la quintessence de ce que le génie de l'Italie avait de plus séduisant », et dont on a dit encore que « si d'autres ont été comme les fleurs de la Renaissance, c'est lui qui en a été le fruit mûr », — Raphaël n'a-t-il pas été « l'enfant chéri de l'Eglise et de la Papauté ? » N'est-ce pas grâce à leur protection qu'il a pu développer tout son génie ? L'ensemble de ses travaux ne lui a-t-il pas été commandé par les Papes ? N'est-ce pas sur l'ordre de Léon X qu'il a décoré le Vatican de ses incomparables fresques ? Et nous pouvons en dire tout autant de Michel-Ange. Raphaël et Michel-Ange : ces deux plus grand noms de l'histoire de l'art, ont été en quelque sorte façonnés par la Papauté. Et ce ne sont pas là des exceptions. Que d'autres sont redevables à l'Eglise d'avoir pu cultiver l'étincelle sacrée ! Et puisque c'est elle qui a fécondé leur génie, et qui les a pressés de le mettre au service de son idéal, il faut aussi lui rapporter la gloire de leurs créations.

J'irai plus loin et j'oserai avancer ceci : de quelque nom que soit signée une œuvre d'art, dès lors qu'elle porte un caractère religieux et qu'elle est dans la tradition chrétienne, elle relève de l'Eglise. Son auteur a méconnu peut-être, dans sa conduite privée, la morale catholique, il a pu professer un complet détachement à l'égard de nos dogmes ou de notre discipline. Mais enfin, dès qu'il s'est mis à faire de l'art religieux, il lui a fallu emprunter à l'Eglise des formules esthétiques qu'elle a été la première à lancer dans le monde ; il a dû mouler ses conceptions d'après des types qu'elle a eu l'honneur d'inventer et d'offrir la première à l'admiration des hommes. En sorte que, jusque dans ses réalisations les plus personnelles en ce genre, et apparemment les plus dégagées de toute convention et de toute tradition, il lui est redevable, dans une mesure ou dans une autre, du tour particulier qu'a pris son idéal, et que ses œuvres, inspirées par des modèles dont l'Eglise est la source et la créatrice, lui reviennent comme à leur cause exemplaire.

Ah ! que cela agrandit singulièrement le domaine artistique du catholicisme et qu'il devient difficile d'en supputer les immenses richesses ! Le catholicisme a fait jaillir des productions d'art en nombre infini dans tous les ordres. Chaque grande école est venue tour à tour comme lui payer un tribut et rendre hommage à son idéal.


II

Ce qui achève de montrer combien l'Eglise honore la Beauté, et comme son esthétique est large et compréhensive, c'est que, non contente d'inspirer de nouvelles formes d'art et de favoriser l'épanouissement de conceptions religieuses, elle a voulu rechercher les œuvres de l'antiquité païenne, les exhumer et en orner ses palais. Elle a constamment fait pratiquer des fouilles aux endroits où s'élevaient tels monuments d'une civilisation qu'elle avait remplacée. Et quand la pioche de ses antiquaires frappait un fragment de colonne ou une statue mutilée ou un débris de bas-relief, elle recueillait pieusement ces reliques en son musée du Vatican, qui offre aujourd'hui un tel champ pour l'étude de l'art gréco-romain. Ne nous étonnons pas de cet éclectisme. La Beauté n'a-t-elle pas un caractère de transcendance ? Toute œuvre parfaite n'a-t-elle pas quelque reflet divin ? Si elle est parfaite, n'est-ce pas justement par ce qu'elle contient d'éléments éternels ? Et le catholicisme a trop de lumières pour ne pas reconnaître la marque de l'infini, où qu'elle se trouve. Tout ce qui est bien et beau ne peut avoir qu'une origine, qui est Dieu. Et d'ailleurs, en sauvant le plus possible des souvenirs de l'antiquité, les Papes n'ont pas seulement fait preuve de sage libéralisme, mais encore ils ont rendu possible et hâté l'efflorescence d'un art nouveau, lequel, tout en puisant son inspiration dans le sentiment chrétien et en concrétisant les images du monde surnaturel, avait tout profit à chercher dans les modèles des vieux maîtres les règles qui doivent guider l'exécution. La statuaire chrétienne eût-elle donné si vite de si beaux fruits si l'Eglise n'avait pas eu l'intelligence de conserver quelques restes de la sculpture hellénique ? Car il y a deux choses dans toute œuvre d'art, l'idée, et la forme, ou la technique, le métier. Ce n'est pas tout d'avoir une noble conception : il faut pouvoir l'exprimer. Or, en tout ce qui regarde la technique — je veux dire les proportions, la ligne, le mouvement, l'attitude, le modelé — les conquêtes sont toujours lentes ; et l'on peut se figurer à quels tâtonnements, quelles gaucheries, quels essais grossiers nos artistes eussent été exposés si l'Eglise eût supprimé ou condamné les traditions créées par les maîtres antiques. Tandis que, mises par elle en relief, les artisans d'art chrétien trouvaient dans ces œuvres des lois appliquées en perfection, une science du métier, une habileté technique, qui leur servaient de leçon directe, hâtaient leur formation, et leur permettaient de traduire beaucoup plus vite en beauté leur idéal mystique.

N'est-il pas certain également que des monuments de l'architecture antique ont été utilisés d'abord pour le culte nouveau ? Dès sa sortie des catacombes, l'Eglise n'était pas encore en mesure d'édifier des sanctuaires qui eussent un cachet distinctif des anciens. Ce n'est pas pendant la longue période de sa vie souterraine qu'une école d'art monumental eût pu naître au sein du christianisme. Un penseur n'a-t-il pas dit : « La condition de l'art, c'est la liberté » ? Or, l'Eglise était enchaînée et traquée. Enfouie dans les entrailles du vieux sol romain, elle y célébrait, avec une ferveur qui n'a jamais été dé- passée, ses rites augustes. Mais la pensée d'édifier là autre chose que des couloirs pour les réunions toujours plus nombreuses de ses fidèles, et des tombeaux pour ses martyrs, eût bien été vaine. Cependant déjà des préoccupations d'art ont marqué l'époque catacombale ; la Rome souterraine renferme des peintures, par exemple, qui sont les toutes premières manifestations d'une esthétique chrétienne. Et sans doute cela est très primitif et ressort plutôt de l'archéologie religieuse. Les conditions extérieures étaient trop peu favorables à l'éclosion d'un art proprement dit.

En paraissant enfin au jour, le premier mouvement de l'Eglise fut de s'abriter dans des temples qui avaient jusque-là servi aux idoles. Les dieux étaient tombés. Mais l'idée divine demeurait, forte, épurée d'erreurs, débarrassée des superstitions qui l'avaient obscurcie au long des âges. Et le vrai Dieu signalait son triomphe sur le paganisme en installant son culte en esprit et en vérité dans les sanctuaires où l'on avait adoré les mythes. Même les premières Basiliques dites «romaines» que l'Eglise édifia, et dont les plus beaux spécimens sont St-Paul hors-les-murs, à Rome, et St-Apollinaire in classe, à Ravenne, étaint, sauf quelques modifications accidentelles, la reproduction exacte d'anciennes constructions. Peu à peu cependant, et en même temps que l'Eglise étend son empire spirituel, elle voit se développer tous les éléments qu'elle contenait déjà en germe et qui l'avaient constituée dès l'origine en vraie et parfaite société. Aux arts d'imitation et d'adaptation vont succéder deux ordres d'architecture, le roman d'abord après Charlemagne, puis, au treizième siècle, le gothique — ordres nés de la pure idée chrétienne, conçus et réalisés par nos pères dans la foi. Il est absolument prouvé que ce sont des moines qui ont inventé les formules et l'application de ces deux genres immortels — merveilleux par leur intime harmonie avec l'essence et l'idéal du catholicisme, ce caractère de force et de solidité qui reflète nos dogmes, ou cette hardiesse et cette élégance symbolisant si bien l'envol de l'âme vers le ciel. Les temps viennent donc où, selon le poète

. . .Cologne et Strasbourg, Notre-Dame et Saint-Pierre,
S'agenouillent au loin dans leurs robes de pierre . . .

et OÙ l'Europe va se couvrir d'une floraison d'édifices vraiment sacrés par leur style, par tous les détails de leur ornementation. L'âme chrétienne s'exprime enfin par des monuments conformes à ses aspirations surnaturelles et qui en même temps sont de magnifiques œuvres d'art. Ah ! que serait l'Europe, et en particulier la France et l'Italie, sans ces poèmes de pierre qui dardent au ciel leurs flèches ardentes, ou dessinent gracieusement dans l'azur l'orbe de leurs coupoles ? C'est un incroyant qui a dit : « Il y a des paysages qui n'ont leur charme que par le clocher qui les domine. » Or, n'est-ce pas le génie du christianisme qui a trouvé le secret de mettre ainsi au-dessus des paysages cette note mystique qui les revêt de charme et de beauté, qui achève en quelque sorte en eux l'œuvre de la nature ? Ce qui est vrai des paysages l'est également des villes : elles tirent leur plus grand charme des flèches, des tours, des coupoles qui les dominent. Que serait Rome sans Saint-Pierre ? Michel-Ange aurait dit un jour en contemplant la coupole du Panthéon d' Agrippa : « Je veux la prendre et la lancer dans les airs. » Et son génie a exécuté ce rêve puissant. La coupole est maintenant dans les espaces : elle domine Rome et le monde C'est ce dôme de Saint-Pierre dont la vue, de l'intérieur surtout, donne le vertige. Madame de Staël en a dit : « L'on frémit en contemplant ces abîmes suspendus au-dessus de nos têtes. » Et que serait Paris sans sa Notre-Dame et sa sainte Chapelle ? Et Reims, et Rouen, et Chartres sans leurs cathédrales ? Et Cologne ? Et Venise, et Florence et Londres ? Si l'on supprimait de nos musées tout ce qu'ils doivent à l'art religieux, qu'en resterait-il vraiment ? Et si Ton supprimait du sol de la vieille Europe ces innombrables monuments d'un art que l'Eglise a inventé, et dont elle a poussé les applications jusqu'à leur apogée, qu'en subsisterait-il qui valût la peine d'être visité ! L'Europe cesserait d'être la terre des éternels pèlerinages esthétiques et perdrait ses trésors de poésie, pour redevenir telle qu'elle était avant que l'Eglise lui eût mis son empreinte infinie. Et c'est pourquoi, il n'y a pas bien longtemps, en pleine Chambre française, l'on a entendu M. Maurice Barres plaider, avec une éloquence qui a ému les plus sceptiques, la cause de telles de ces vieilles églises qu'un gouvernement sectaire voulait détruire comme désormais inutiles, la plaider, au nom de l'art, de la beauté, au nom des souvenirs spirituels et patriotiques qu'évoquent ces édifices, au nom d'un idéal dont les manifestations extérieures sont touchantes, majestueuses, expressives de divin.


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1. Voyage en Italie, tome II, page 154.

1. Salomon Reinach. — Hist, gen. des arts plastiques.
1. Taine dit que le musée du Vatican est probablement le plus grand trésor de sculpture antique qu'il y ait au monde. Voir Voyage en Italie, tome I, page 144.
1. Ernest Renan. Dans ses fragments de roman, intitulés Patrice.
2. « Ce dôme, en le considérant même d'en bas, fait éprouver un sentiment de terreur. On croit voir des abîmes suspendus sur sa tête » — Corinne ou l'Italie, liv. IV. c.3. p.67.

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Eaux Fortes et Tailles Douces - Par Henri D'Arles - 1913 :

https://archive.org/stream/eauxfortesettail00darluoft#page/76/mode/2up



A propos de l'auteur, Henri D'Arles, on peut consulter wiki ici : https://archive.org/stream/eauxfortesettail00darluoft#page/76/mode/2up
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