Le « beau procès » de Pierre Cauchon : Le fond et la forme. (complet)

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Message  Louis Jeu 24 Mai 2012, 7:12 am

CHAPITRE II.

LE FOND DE L'AFFAIRE.

§ 8.

LA SOUMISSION A L'ÉGLISE. (suite)
Une autre difficulté venait de son intime et indubitable conviction que tous les points, sur lesquels on la sollicitait de se soumettre au jugement de l'Eglise, avaient leur source dans une inspiration divine. Or, d'après la parole de l'Apôtre, l'inspiration divine apporte avec elle la liberté ; les canons ecclésiastiques reconnaissent que toutes les obligations humaines cessent devant cette loi supérieure. L'Ecriture enseigne par de nombreux exemples et les docteurs proclament avec S. Thomas qu'on ne doit pas obéissance au pouvoir inférieur, lorsqu'il est en désaccord avec l'autorité suprême, et qu'il ne faut jamais, contrairement à la conscience, acquiescer à un ordre en opposition avec la loi publiquement promulguée par Dieu, ou avec une inspiration secrète qui émanerait certainement de lui. Jeanne parlait donc avec une entière correction, lorsqu'elle se déclarait soumise à l'Eglise, Dieu premier servi. Elle avait parfaitement le droit d'ajouter cette réserve : pourvu qu'on ne lui commandât rien d'impossible ; car, dans un esprit conforme aux termes exprès de la jurisprudence civile et canonique, elle estimait illicite, c'est-à-dire moralement impossible, de rétracter ce qu'elle avait fait de la part de Dieu. Sachant l'origine indubitable de ses révélations, elle n'aurait pu les abjurer sans mentir et sans forfaire à sa conscience. Les conclusions favorables de l'examen prolongé et rigoureux que les prélats et les docteurs de Poitiers lui avaient fait subir par l'ordre du roi ont eu pour résultat de l'affermir dans sa conviction, et elle devait d'autant moins y renoncer sur les instances de ses nouveaux juges que l'église de Beauvais, au nom de laquelle le procès était censé s'instruire, ne possède pas une autorité supérieure à l'église de Poitiers.

Outre les difficultés inhérentes — nous venons de le voir — à la question elle-même, il y a lieu de remarquer encore l'ambigüité et la rudesse des expressions, dont les juges se servaient vis-à-vis d'une fille sans instruction et sans malice. D'abord, le mot Église prête à l'équivoque par les diverses significations qu'il revêt dans le langage canonique : tantôt il désigne l'évêque seul, tantôt le clergé de la cathédrale, ici la majorité du chapitre, ailleurs une église quelconque de la province, ou bien la collection des fidèles. Faut-il s'étonner après cela des hésitations que Jeanne éprouvait à répondre par crainte de tomber dans les pièges d'un interrogatoire dolosif ?

On insistera peut-être, en prétendant que les docteurs du procès ont suffisamment exposé leur pensée, puisqu'ils ont indiqué que l'Eglise militante est ici-bas et que l'Eglise triomphante est là-haut. — Mais ces expressions, encore plus difficiles à comprendre pour une simple fille des champs, étaient de nature à jeter dans son esprit la confusion plutôt que la clarté. Contrairement aux sages recommandations de Quintilien et de S. Augustin, on expliquait l'inconnu par un plus inconnu; on augmentait l'ombre au lieu d'apporter la lumière.

Enfin plusieurs termes de cette question posée en plein tribunal sont empreints d'une dureté capable de terrifier une personne innocente, et s'écartent de la forme moins austère et du langage modéré que le Siège Apostolique prescrit aux inquisiteurs et aux évêques, quel que soit le caractère de leur juridiction. Car, abstraction faite des qualifications de délits, de crimes et d'autres semblables, et sans même relever ici l'inimitié et la haine des juges, il est évident que parler à un détenu, et surtout à une femme, de se soumettre à un jugement, c'est éveiller dans son esprit l'idée de justice et d'exécution, et par conséquent la crainte d'un danger qui menace sa personne ou ses biens ; crainte considérée par le droit civil comme suffisante pour qu'on doive en tenir compte à la décharge de l'accusée.

Après ces diverses raisons…

op. cit.,pp.123-125

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Message  Louis Ven 25 Mai 2012, 6:43 am

CHAPITRE II.

LE FOND DE L'AFFAIRE.

§ 8.

LA SOUMISSION A L'ÉGLISE. (suite)

Après ces diverses raisons qui établissent amplement le premier point de sa thèse, Bréhal résume son sentiment par une double remarque : pareille demande n'avait point de rapport légal avec le procès et n'était qu'un moyen détourné de circonvenir une pauvre fille, dont toutes les réponses avaient été fort sensées et orthodoxes ; pareille demande était d'ailleurs superflue, puisque la sujétion de l'hérétique à l'Eglise est de plein droit et qu'il est inutile de questionner là-dessus celui qui fait, comme Jeanne, profession publique de sa dépendance. Une interrogation de ce genre, si souvent réitérée avec une insistance malveillante, est absurde ; ce n'est pas assez dire, elle est impie et inhumaine.

Il convient de relever aussi ce qui a trait à la simplicité de la Pucelle et à la pureté de sa créance dont les juges auraient dû faire grand cas pour l'absoudre. On connaît son humble extraction : pauvre paysanne, elle gardait les troupeaux et n'avait appris qu'à filer et à coudre. Quand bien même — supposons-le un instant contre la vérité — ses réponses à cette question difficile et ambiguë auraient été quelque peu défectueuses, elle était certes bien excusable. Elle manifeste sa simplicité précisément à l'occasion des instances qui lui sont faites de se soumettre à l'Eglise : pour l'amour de Dieu, qu'on lui permette d'aller à l'église, répond-elle, montrant ainsi qu'elle entendait principalement ce mot du temple matériel suivant la coutume générale des gens du peuple. Et une autre fois, à propos de la distinction entre l'Eglise militante et l'Eglise triomphante, elle disait à ses juges : « Dieu et l'Église, à mon avis, c'est tout un ; pourquoi donc faites-vous difficulté là-dessus ? » Elle était donc guidée par la foi simple et droite qui suffit pour le salut.

Les paroles citées tout-à-l'heure prouvent encore qu'elle avait sur l'unité de l'Eglise les sentiments de la piété vraie et de la saine doctrine. Ici le savant dominicain rappelle l'enseignement catholique tel qu'il l'a appris de S. Thomas. Ceux qui règnent dans les cieux et ceux qui combattent ici-bas forment une seule société, un seul corps mystique, comprenant à la fois les anges et les hommes, dont la multitude est ordonnée avec des fonctions diverses à une même fin, c'est-à-dire à jouir de la gloire divine. Entre l'Église militante et l'Église triomphante, toute la distinction vient de la différence d'état ; l'une est dans la voie, l'autre est au terme. Celle-ci est la plus noble à cause de son union actuelle avec Dieu dans la patrie ; et voilà pourquoi Jeanne s'en remettait surtout à Dieu et à ce tribunal suprême comme au juge principal et nécessaire — on le verra plus loin — des révélations qu'elle avait reçues d'en haut.

Cependant on ne doit pas omettre de mentionner les pièges tendus à la simplicité de Jeanne par la perfidie de certains clercs qui lui suggéraient frauduleusement, si elle voulait éviter une condamnation à mort, de refuser toute soumission à l'Église. C'était là se jouer de la simplicité des ignorants, contre la défense de l'Écriture et des saints canons. Et si pareille tromperie l'eût fait dévier de la rectitude de la foi, il n'y aurait pas lieu de l'incriminer ou de la condamner pour erreur périlleuse ; le texte du Décret est formel à cet égard, elle serait pleinement excusée.

Le reste du chapitre…
op. cit.,pp.125-126

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Message  Louis Sam 26 Mai 2012, 7:12 am

CHAPITRE II.

LE FOND DE L'AFFAIRE.

§ 8.

LA SOUMISSION A L'ÉGLISE. (suite)
Le reste du chapitre est consacré à recueillir les déclarations sincères et très nettes de Jeanne sur l'infaillibilité de l'Eglise, l'inspiration des Écritures, son amour envers Dieu, sa ferme volonté de vivre et de mourir en bonne chrétienne, et sa résolution bien arrêtée de ne rien faire ni dire contre la foi.

Mais, dira-t-on, ses paroles et ses actes ont été soigneusement examinés à Paris et ailleurs par un grand nombre de clercs qui les ont réprouvés à divers titres ; elle a néanmoins refusé de céder à leur jugement. — A cette objection, Bréhal répond d'une façon péremptoire. Les articles soumis à la délibération des docteurs étaient tronqués et falsifiés. De plus, Jeanne demandait des juges non suspects de partialité en faveur des anglais, un tribunal de gens d'église, parmi lesquels on compterait ceux de France aussi bien que ceux d'Angleterre. Enfin elle a donné la meilleure preuve de sa soumission, quand elle a réclamé, dans des termes qui attestent son sens catholique et son respect de l'autorité légitime, qu'on déférât sa cause au pape et au concile général.

De la discussion qui précède il ressort :

1° que la Pucelle a rempli son devoir de soumission en tout ce qu'exige la foi chrétienne ;

— 2° qu'elle s'est lavée de toute imputation d'erreur ;

— 3° que ses adversaires, sous le nom d'Eglise, n'entendaient point l'église romaine ou universelle, mais leurs propres personnes, à l'autorité desquelles Jeanne n'était point tenue de se soumettre ;

— 4° que l'évêque de Beauvais et ses complices se sont rendus coupables de mépris envers le Saint-Siège, d'attentat contre l'église romaine, et même d'hérésie, en jugeant une cause que les canons réservent au pape, et cela sciemment, malgré les remontrances de maître Jean Lohier, célèbre docteur dans l'un et l'autre droit.

A ces conclusions surabondamment justifiées, Bréhal n'ajoute qu'un mot : rappelant la mort si pieuse et si catholique de la victime, il pourrait, dit-il, y trouver une preuve manifeste de l'intégrité de sa foi et de sa tendre dévotion pour la sainte Eglise ; mais il préfère réserver ce sujet au chapitre suivant.
op. cit.,p. 126

A suivre : § 9. LA RÉCIDIVE.

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Message  Louis Dim 27 Mai 2012, 6:16 am

CHAPITRE II.

LE FOND DE L'AFFAIRE.

§ 9.

LA RÉCIDIVE.
Dans celui-ci, qui est le neuvième et dernier de la première partie, l'auteur justifie l'accusée des griefs relevés contre elle à l'occasion de deux faits qui ont suivi sa rétractation : elle a repris des habits d'homme, après les avoir quittés sur les injonctions des juges ; elle a derechef donné créance à ses apparitions et révélations après y avoir renoncé par une abjuration publique.

D'abord, en ce qui concerne le costume, on peut alléguer trois motifs qui suffisent amplement à autoriser sa manière d'agir : l'ordre du ciel, la pudeur et la nécessité. — C'était en effet par le commandement de Dieu qu'elle avait adopté cette manière de se vêtir. Or ce commandement n'ayant pas été révoqué, Jeanne devait craindre d'avoir, par déférence à la volonté des juges, contrevenu aux révélations du Saint Esprit, dont l'obligation est supérieure à celle de la loi humaine et de la coutume ; le droit ecclésiastique le reconnaît expressément. — Elle avait aussi pour but de sauvegarder sa pudeur : exposée comme elle l'était dans sa prison aux insolences continuelles de trois soldats, ses geôliers, gens débauchés et vraisemblablement sans retenue, dont elle s'est plainte plus d'une fois, il lui était loisible et bienséant d'agir ainsi, pour les raisons déjà discutées ailleurs (chap. VI), et confirmées ici par quelques textes du droit civil, et par l'exemple d'une sainte. On sait d'ailleurs par l'enquête qu'un seigneur anglais avait tenté de lui faire violence, lorsqu'elle portait ses habits de femme. Sous un autre vêtement, elle était plus apte à se défendre contre de pareilles agressions. — Il est probable d'ailleurs qu'elle fut contrainte par la nécessité. Des témoins entendus à l'enquête ont raconté comment ses gardiens avaient à son insu opéré une substitution de costume, et comment à son réveil, après des réclamations très vives mais inutiles, elle s'était vue obligée par un pressant besoin de reprendre l'habit d'homme qu'on avait intentionnellement placé près de son lit. La scène, concertée d'avance, qui eut lieu alors, est retracée par Bréhal dans une page superbe d'indignation, où il montre l'innocente victime, toujours maîtresse d'elle-même devant les outrages, et gardant le silence autant par une délicatesse virginale que par une prudente réserve. Voilà certes une justification péremptoire : d'une part, la nécessité n'a pas de loi ; et de l'autre, la malice des bourreaux ne doit pas porter préjudice à la simplicité de la victime. — Il sera démontré plus loin (dans la seconde partie) que ce fait ne rend point Jeanne relapse, ainsi qu'on l'a prétendu.

Le reproche d'avoir cru derechef à ses révélations après y avoir publiquement renoncé n'est pas mieux fondé. Le procès atteste qu'elle n'a jamais eu pareille intention, et que son abjuration prétendue n'a aucune valeur, pour trois motifs : elle ne comprenait pas le contenu de la cédule ; elle agissait par contrainte ; elle cédait à la crainte du feu. La discussion détaillée de ces nullités juridiques est renvoyée au chapitre septième de la seconde partie, où l'on examinera les caractères de cette rétractation. Pour le moment, il suffit de constater que Jeanne s'est fermement attachée à ses révélations et que, conformément à son devoir, elle ne les a jamais répudiées.

Mais, dira-t-on, le jour de sa mort, elle…
op. cit.,pp. 126-127

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Message  Louis Lun 28 Mai 2012, 6:37 am

CHAPITRE II.

LE FOND DE L'AFFAIRE.

§ 9.

LA RÉCIDIVE. (suite)
Mais, dira-t-on, le jour de sa mort, elle a renié ses voix, en déclarant qu'elle avait été trompée par leurs promesses de délivrance et que dès lors elle ne les croyait plus.

— A cette objection, Bréhal présente des solutions diverses. Il la repousse d'abord, parce que les dépositions de témoins peu suspects entendus à l'enquête finale du procès n'établissent pas clairement la réalité du fait, mais constatent plutôt que la condamnée a persisté jusqu'au bout à affirmer l'existence de ses révélations, dont elle laissait à l'Eglise le soin de juger si l'origine était bonne ou mauvaise.

— Il lui oppose ensuite une fin de non-recevoir : les informations dont il s'agit ont été recueillies — la date le prouve — après l'exécution de la sentence, alors par conséquent que les soi-disant juges avaient terminé leurs fonctions et que le registre était clos. Consignées en dehors des actes, sans signature ni paraphe, on doit les tenir pour nulles et non-avenues.

— Subsidiairement, et dans l'hypothèse même d'une renonciation véritable, les circonstances expliqueraient bien une défaillance d'un instant chez une douce et simple fille, épuisée par les longues et cruelles tortures de sa captivité, et terrifiée par les approches d'une mort qu'elle redoutait entre toutes, par l'appréhension du feu qui allait la dévorer. Et si elle s'est lamentée d'avoir été trompée par ses voix qui lui avaient promis la délivrance, n'est-ce pas là, suivant l'expression de S. Hilaire, un cri de la nature humaine, analogue à celui du divin Crucifié, se plaignant d'avoir été abandonné par son Père?

— Enfin il ne faut pas oublier la continuité des exhortations, ou pour mieux dire des vexations qu'elle eut à subir de la part de tant de personnages acharnés à la détacher de ses voix : la conviction de l'homme le plus docte en aurait été ébranlée, tandis que la Pucelle s'est bornée à consentir, comme on le lui demandait avec des intentions évidemment captieuses, à se soumettre au jugement de l'Eglise.

Pour clore cette victorieuse défense, le pieux dominicain s'arrête avec émotion devant le tableau de la sainte mort qui a couronné une sainte vie. Oui vraiment, s'écrie-t-il, Jeanne a bien fait de croire aux esprits célestes et à leurs promesses : elle a été en effet délivrée de la prison de son corps par le martyre et par une grande victoire, la victoire de la patience ! Puis, retraçant à grands traits les touchants témoignages de dévotion qui ont accompagné le trépas de cette âme prédestinée, et arraché des larmes de compassion à ses ennemis eux-mêmes, rappelant aussi quelques-uns des prodiges par lesquels Dieu a fait éclater aux yeux les plus prévenus la sainteté de sa servante, il affirme, avec une entière conviction basée à la fois sur l'expérience et sur l'autorité, que telle n'est pas d'ordinaire la fin d'une illusion satanique, et qu'une si pieuse mort caractérise fort bien une existence passée dans la droiture et la vérité. Toutefois, par un sentiment de respectueuse déférence, il déclare soumettre l'ensemble et le détail de ses considérants à la correction du seigneur pape et de l'Eglise universelle, voire même à l'amendement charitable de quiconque aurait un meilleur jugement.

Ainsi se termine la première partie du mémoire : le fond du procès y est discuté de telle sorte qu'il ne subsiste rien des charges dont on aurait voulu accabler l'innocence. C'est maintenant la procédure elle-même, qui s'écroulera sous les coups du justicier. Les douze chapitres que nous allons analyser résument les nombreux vices de forme qui rendent nécessaire la révision de la sentence.

op. cit.,pp. 127-128
A suivre : CHAPITRE III. LA PROCÉDURE.

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Message  Louis Mar 29 Mai 2012, 6:51 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 1.

L’INCOMPÉTENCE DU JUGE.
En premier lieu, il est question de l'incompétence du juge, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui a été le principal meneur du procès.

Avant de porter le débat sur le point de fait, Bréhal commence, selon sa méthode habituelle, par établir solidement avec S. Thomas les principes qui régissent la matière. Le juge est la justice vivante ; un jugement, pour être licite, doit être un acte de justice : l'étymologie elle-même des mots le donne suffisamment à entendre. Mais il n'en est ainsi qu'aux trois conditions suivantes : il faut que le juge procède par autorité, par des motifs certains, par amour de la justice.

La juridiction est nécessaire : car édicter une sentence, c'est interpréter la loi, c'est aussi disposer de la force qui en assure l'exécution ; deux droits qui appartiennent à l'autorité, ordinaire ou déléguée, et qui s'exercent uniquement sur ses propres sujets. Il y a donc d'abord usurpation et incompétence du juge, lorsque celui-ci prétend remplir cette fonction, soit en dehors du territoire qui lui est assigné, soit vis-à-vis d'un sujet étranger. Cette doctrine de S. Thomas et les raisonnements qui l'appuient sont confirmés par nombre de textes que le savant inquisiteur emprunte à la législation civile et canonique. Et maintenant il est facile de voir comment cela s'applique à l'évêque de Beauvais : celui-ci n'avait de juridiction ni sur la personne de l'accusée, ni même dans le territoire où il se l'attribuait. En effet Jeanne, étrangère au diocèse par son origine, n'y avait pas transporté son domicile ; elle avait d'ailleurs été jadis examinée par de nombreux prélats du royaume, dont la sentence favorable devait, aux termes du droit, être tenue pour bonne et intègre, et ne pouvait être réformée que par une autorité supérieure ; elle n'avait enfin commis dans le diocèse de Beauvais aucun crime qui la rendit justiciable de ce tribunal ; le fait d'avoir été prise en habit d'homme et les armes a la main ne constituant pas une faute grave de schisme, d'hérésie ou d'erreur dans la foi, base de la condamnation ; et d'autre part, la simple qualification d'hérétique — fût-elle prouvée, ce qui n'a pas lieu dans le cas présent — n'ayant pas pour effet de confondre les juridictions. L'évêque était de plus incompétent sur un territoire ne dépendant ni de sa ville épiscopale, ni de son diocèse.

Sans doute Beauvais était alors au pouvoir des français ; mais Cauchon transfuge volontaire et félon envers son prince légitime, ne pouvait se prévaloir des constitutions pontificales qui visent l'évêque injustement et violemment expulsé de son siège et lui accordent l'autorisation de procéder ailleurs. Encore faudrait-il remarquer, avec les éminents commentateurs des Clémentines, qu'il aurait pu et du choisir dans son diocèse même un lieu convenable parmi ceux qui étaient soumis à la domination anglaise, ou à défaut d'un tel lieu subroger quelqu'un à sa place pour faire comparaître l'accusée à Beauvais, où elle aurait trouvé sécurité sous l'obéissance du roi, tandis que Rouen était aux mains tyranniques de ses ennemis. Pour tous ces motifs, conclut Bréhal, le jugement est substantiellement vicié, et le dit évêque a commis une usurpation de pouvoir aussi injuste que téméraire.

La deuxième condition requise pour faire un acte de justice…

op. cit.,pp. 129-130

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Message  Louis Mer 30 Mai 2012, 5:40 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 1.

L’INCOMPÉTENCE DU JUGE.
suite
La deuxième condition requise pour faire un acte de justice, c'est d'avoir la certitude du crime et de procéder selon les règles de la prudence. Il y a jugement téméraire, dit S. Thomas, à se prononcer d'après de légères conjectures et de simples présomptions sur des choses douteuses ou cachées. La juridiction n'est donc pas seulement limitée quant aux lieux et aux personnes ; elle l'est aussi quant aux affaires, dont les données incertaines ou ignorées ne fournissent pas au juge les éléments nécessaires à l'accomplissement de son rôle d'interprète de la justice. Or parmi les causes qui par leur élévation et leur obscurité échappent au jugement de l'esprit humain, il faut ranger les inspirations divines. L'Eglise elle-même a coutume de s'abstenir en pareille matière, suivant les déclarations expresses des saints canons ; à Dieu seul qui connaît le fond des cœurs elle abandonne le soin de juger ce qu'elle ne peut pas deviner, ne voulant s'exposer ni à se tromper ni à tromper autrui ; comme le prouvent les exemples empruntés au livre de la Cité de Dieu et au Miroir historique, elle se conforme à la règle de conduite tracée par S. Augustin et S. Hilaire, lorsqu'ils expliquent aux fidèles la défense portée par Notre Seigneur contre le jugement téméraire. — A la lumière des principes et des faits qui viennent d'être rappelés, il est aisé de voir que l'évêque et son assesseur avec lui ont dérogé présomptueusement à la loi qui réserve au suprême tribunal de Dieu les causes relevées et mystérieuses, telles que les révélations divines. Cette nouvelle incompétence entraînerait à elle seule la nullité du procès.

En dernier lieu, il est nécessaire que le juge procède par amour de la justice ; faute de cette disposition, ses actes sont empreints de partialité et viciés dans leur source même. Mais, comme cela concerne l'état d'âme du juge plutôt que sa juridiction, il semble opportun d'y consacrer un chapitre spécial.

op. cit.,p.130
A suivre : §2. ANIMOSITÉ DU JUGE.

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Message  Louis Jeu 31 Mai 2012, 6:18 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 2.

L’ANIMOSITÉ DU JUGE.

Au début de ce chapitre, (deuxième de la seconde partie) Bréhal appuie sommairement l'assertion précédente sur l'autorité de l’Écriture et du droit tant civil que canonique ; puis il s'attache surtout à réunir les preuves nombreuses et évidentes de la passion haineuse avec laquelle l'évêque de Beauvais a mené le procès, et de la barbare sévérité qu'il a déployée contre son innocente victime. Il faut lire dans le texte les allégations de fait, au nombre de dix-sept, qui démontrent la partialité de Cauchon, et celles au nombre de vingt-huit, qui fournissent l'irrécusable témoignage d'une férocité inspirée par la haine. Les résumer ici ne ferait que les affaiblir. Ces détails historiques, dont l'exactitude est garantie par les pièces du procès, sont d'un intérêt poignant. L'âme du patriote et du juge intègre se révolte devant les agissements indignes d'un homme, auquel l'honneur d'être français et évêque catholique imposait le devoir de traiter avec bienveillance et équité la douce et sainte prisonnière, fidèle à son roi et à son Dieu. Mais, si profondément ému que soit Bréhal en retraçant les péripéties du long et douloureux martyre infligé à la Pucelle, personne ne saurait l'accuser d'avoir forcé la note. Toujours maître de lui-même, il n'a rien exagéré, ni les faits, ni leur appréciation, et il le prouve. Les faits sont empruntés aux dépositions authentiques des témoins, dont la véracité est hors de doute. Et pour les apprécier ainsi qu'il l'a fait, il n'a eu qu'à répéter les déclarations mêmes des lois civiles et ecclésiastiques. Le droit romain flétrit comme exécrable la conduite du juge qui se laisse dominer par des sentiments tels que ceux de Cauchon ; il interdit toute manifestation de haine, de colère ou d'indignation contre un accusé, toute affectation de sévérité et de rigueur dans l'interprétation de la loi. Les prescriptions du droit canonique à cet égard ne sont pas moins pressantes, surtout quand il s'agit des causes de foi, où les prélats et les gens d'église doivent se proposer l'amendement des coupables plus encore que leur punition.

Dira-t-on que l'évêque de Beauvais a souvent protesté n'avoir d'autre mobile que le zèle de la foi et l'amour de la justice ? L'excuse est insuffisante ; elle met le comble à l'odieux. Le vice qui se couvre du manteau de la vertu, la cruauté qui se pare du nom de zèle, l'iniquité qui se dissimule sous les dehors de la justice, sont doublement criminels : tel est le verdict rendu par Bréhal, d'accord avec les auteurs tant sacrés que profanes.

Parmi les faits qui ont servi de preuves pour établir l'animosité de Cauchon envers sa prisonnière, il en est un qui mérite d'être rappelé à part et examiné à un autre point de vue, parce qu'il constitue une irrégularité dont les conséquences juridiques sont fort importantes. Il s'agit de la prison et des geôliers : ce sera l'objet du chapitre troisième.

op. cit.,pp. 130-131

A SUIVRE : § 3. PRISON ET GEOLIERS.

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Message  Louis Ven 01 Juin 2012, 7:27 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 3.

PRISON ET GEOLIERS.

Pendant toute la durée de son procès, Jeanne a été détenue, contrairement aux prescriptions des lois civiles et ecclésiastiques, dans un local qui ne convenait ni à son sexe et à sa jeunesse, ni à la nature spéciale de sa cause. Le droit romain, jaloux de sauvegarder la faiblesse et l'honneur des femmes, fussent-elles accusées d'un crime, interdit de les emprisonner avec les hommes, et veut qu'on les renferme dans un monastère, ou qu'on les confie à des gardiennes.

D'autre part, l'évêque de Beauvais feignait de procéder contre la Pucelle, en matière de foi et pour crime d'hérésie crime qui relève seulement du for ecclésiastique ; il ne devait donc pas jeter l'accusée dans une sombre et horrible geôle affectée par le pouvoir séculier à la détention des prisonniers de guerre, alors surtout qu'il y avait à Rouen des prisons d'église régulièrement aménagées sur sa demande pour ce cas particulier.

Cauchon a aussi violé diverses dispositions légales qui concernent la détention des hérétiques. Les constitutions pontificales ont réglé que, faute de prisons héréticales (comme on les appelle), les prisons diocésaines serviraient à l'usage commun de l'Ordinaire et de l'inquisiteur. Il n'avait donc pas le droit d'en assigner d'autres. Les plaintes de Jeanne sur ce point étaient fort justes, et l'évêque encourait manifestement les réprimandes canoniques.

De plus, contrairement aux termes formels de la loi, il a osé procéder à l'incarcération, longtemps avant de requérir le concours de l'inquisiteur, avant même la citation et l'instruction de la cause. — Il a fait pis encore, au mépris de la justice et de l'humanité qui interdisent d'infliger à l'accusé, fut-il coupable d'un crime capital, une peine à laquelle il n'est point encore condamné, ou des traitements barbares, tels qu'un enchaînement trop étroit et la privation d'air et de lumière. Plus d'une fois Jeanne a fait entendre au tribunal ses légitimes doléances contre les intolérables tortures qu'elle endurait dans son cachot : elle aimait mieux la mort, disait-elle, que la continuation d'une pareille existence. Tout cela entraîne, comme conséquence juridique, la nullité des aveux qu'elle aurait pu faire à son détriment : les textes du Digeste ne laissent aucun doute à cet égard.

Les constitutions pontificales ont tracé des règles de sage prévoyance relativement au choix et aux devoirs des geôliers : elles n'ont pas davantage été observées. Au lieu de confier ces fonctions à deux gardiens discrets, diligents et fidèles, nommés l'un par l'évêque, l'autre par l'inquisiteur, munis chacun d'une clef différente, astreints par serment à fournir le nécessaire aux détenus et à se conformer de tout point aux ordonnances communes de l'évêque et de l'inquisiteur, on a remis la Pucelle entre les mains de soldats anglais, ses ennemis acharnés, gens de mœurs suspectes, capables de toutes les violences. Loin de réprimer leurs excès qui lui étaient connus, et de sévir comme le veut la loi contre ces hommes perfides, le juge leur a laissé l'impunité. Le droit romain le déclare infâme et passible d'une peine sévère, à la volonté du supérieur.

op. cit.,pp. 131-132

A SUIVRE : § 4. CAUSES DE RÉCUSATION ET D'APPEL.


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Message  Louis Sam 02 Juin 2012, 6:35 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 4.

CAUSES DE RÉCUSATION ET D'APPEL.

Une autre conclusion se dégage des faits exposés jusqu'ici, et fournit le sujet du quatrième chapitre : Jeanne avait des raisons légitimes de récuser son juge et d'interjeter appel.

Tout le monde sait — car c'est là en droit une vérité élémentaire — qu'un ennemi capital, ou soupçonné tel, ne peut ni ne doit être juge ; et que personne ne saurait être contraint de défendre sa cause devant un tribunal suspect. La jurisprudence, sans entrer dans le détail des motifs de récusation, se borne à cette expression générale qui les comprend tous. On peut néanmoins, comme le dit Bréhal, réduire ces motifs à six principaux, qui ont laissé leurs traces manifestes dans ce jugement usurpé : l'ambition de la louange, la crainte, la colère, l'amour, la haine et la cupidité.

L'évêque de Beauvais agissait par une ambition vénale de plaire aux anglais ; disposition hautement réprouvée par les canons. — Contrairement au devoir imposé au juge d'assigner un lieu sûr aux parties, il retenait Jeanne au pouvoir de ses ennemis mortels, causant ainsi à sa prisonnière une crainte trop justifiée ; motif légitime de récusation et d'appel. — Au cours du procès, il a donné des marques nombreuses de colère ; passion qui, au témoignage du Digeste, permet de suspecter la valeur du jugement. — Partisan dévoué des anglais et vivant avec eux dans une intime familiarité, il était par là même récusable, selon les déclarations très nettes des Décrétales et du Décret de Gratien. — Il était animé contre Jeanne d'une haine mortelle, qui se traduisait ouvertement par des actes de persécution ; c'était là assurément, d'après les lois civiles et ecclésiastiques, un juste motif de le récuser. — Le Code permettait aussi à un autre titre de repousser sa juridiction : il était ennemi du roi de France, véritable et légitime seigneur de la personne qu'il prétendait juger. — Quant à sa cupidité, elle est notoire, puisqu'il a réclamé et obtenu l'évêché de Lisieux comme prix de sa conduite dans cette affaire. N'est-ce pas là une flagrante violation de la justice ?

Dès le début des interrogatoires et à maintes reprises, Jeanne a protesté qu'elle ne voulait pas se soumettre au jugement d'un ennemi. Cauchon était donc tenu de surseoir à la poursuite du procès.

Deux raisons d'ailleurs légitimaient l'appel au souverain pontife : l'injuste oppression de l'accusée et l'importance de la cause. En présence des vexations intolérables qu'on lui faisait subir, les craintes de la Pucelle touchant la conclusion définitive de l'affaire n'étaient que trop fondées. Lorsqu'elle se plaignait au tribunal des procédés injustes de l'évêque ou de ses assesseurs, et des charges excessives qu'on faisait peser sur elle, ne cherchait-elle pas dans l'appel le seul remède contre l'oppression ? Ainsi avait fait S. Paul appelant du proconsul Festus à César. Qu'elle n'ait pas employé le terme propre, le terme juridique, cela importe peu : les subtilités ne sont pas de mise dans les causes spirituelles ; le droit condescend à la simplicité des parties, il accorde dispense des formes solennelles, et tient que les faits ont un langage plus expressif que les mots.

Sans parler de l'intérêt majeur…
op. cit.,pp. 132-133

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Message  Louis Dim 03 Juin 2012, 6:57 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 4.

CAUSES DE RÉCUSATION ET D'APPEL.
suite

Sans parler de l'intérêt majeur d'une affaire qui touchait de si près le roi de France non convoqué, circonstance dont les jurisconsultes tireraient plus d'un argument en faveur de l'appel, il suffit de faire valoir ici la nature élevée et ardue de la cause elle-même : les visions et les révélations que ces prétendus juges s'acharnaient à faire renier par Jeanne contre son devoir. A l'exemple de S. Paul racontant devant le roi Agrippa, pour justifier son appel, la céleste vision à laquelle il avait donné créance, et maintenant ses dires avec fermeté contre les railleries du président Festus, cette fille prédestinée s'est montrée constante dans l'affirmation de la vérité, et après avoir longtemps supporté des vexations nombreuses et pénibles, auxquelles elles ne pouvait se soustraire autrement, elle demanda instamment d'être conduite vers le pape et d'être jugée par lui ou par le concile général. Il fallait donc déférer à son appel, puisque la doctrine catholique et les lois de l'Eglise réservent à Dieu seul la connaissance des faits mystérieux de cet ordre, et au Saint-Siège les questions ardues ou obscures en matière de foi.

Avant de terminer, Bréhal résout deux objections. La première se base sur l'autorité du Sexte, qui refuse aux hérétiques le droit d'appel. Mais, comme le fait remarquer un éminent jurisconsulte, l'Archidiacre de Bologne, le texte désigne manifestement les criminels dont l'hérésie est constatée, car il les appelle des enfants d'iniquité. A eux seuls, et non à ceux qui sont simplement accusés, est refusé le bénéfice du droit d'appel. Lorsqu'il s'agit d'ailleurs d'une inculpation aussi grave, il faut procéder avec beaucoup de circonspection. — On peut dire encore que l'interdiction de l'appel doit s'entendre de ceux qui sont frappés d'une sentence définitive, puisque dans le texte il est question de condamnés.

La seconde objection consisterait à prétendre que Jeanne elle-même a porté préjudice à la récusation et à l'appel, parce qu'elle a répondu à ses juges et à leurs interrogatoires. — Il n'en est rien, reprend Bréhal ; la crainte, la contrainte et la simplicité lui servent d'excuse. Les lois impériales établissent nettement que des réponses ou des promesses obtenues par une pression à laquelle on ne peut résister ne sauraient conférer la juridiction, ni créer une obligation. Une autre conclusion ressort de la discussion qui précède : une grave erreur a été commise par le fait de ceux qui ont osé, surtout après l'appel interjeté, connaître d'une cause majeure et usurper un jugement réservé au souverain pontife.

op. cit.,pp. 133-134

A suivre : § 5. LE SOUS-INQUISITEUR.

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Message  Louis Lun 04 Juin 2012, 6:57 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 5.

LE SOUS-INQUISITEUR.

Le cinquième chapitre traite de la part prise au procès par le sous-inquisiteur (1). Etait-il compétent dans la cause ? Question délicate, dont Bréhal abandonne la discussion aux jurisconsultes mieux éclairés. Les mémoires qui lui ont été remis disent à peine quelques mots là-dessus, et les avis sont partagés. Mais on peut relever au dossier certaines articulations relatives au sous-inquisiteur, qui rendent le jugement suspect et susceptible de cassation.

Lorsqu'au début de la cause le concours de Le Maistre fut requis par l'évêque qui prétendait agir en vertu de l'autorité ordinaire de l'église de Beauvais, le sous-inquisiteur protesta d'abord qu'il n'avait point de pouvoirs, sa délégation ne s'étendant qu'à la ville et au diocèse de Rouen. Or, nonobstant cette déclaration, Cauchon insista et le détermina à s'adjoindre au procès. On peut tirer de là une double conclusion. De la part de l'évêque, le désir violent de poursuivre, sans s'inquiéter de l'existence ou du manque de pouvoirs chez son collègue, rend manifeste l'erreur originelle qui nuit à la valeur de tout le reste ; car, selon l'expression du Décret, faute de fondement, l'édifice ne tient pas. — De la part du sous-inquisiteur, l'assentiment conditionnel et illicite, donné à la procédure de l'évêque après avoir comme il le devait protesté de son manque de pouvoirs, était nul de plein droit, suivant la juste remarque d'un glossateur des Décrétales.

Dira-t-on que Le Maistre a validé cet acte par une ratification postérieure, en vertu de l'autorité transmise plus tard par l'inquisiteur général de France ? — Sans doute, répond Bréhal, la ratification a, d'après les règles juridiques, un effet rétroactif, mais elle ne peut se faire que par celui qui avait à l'origine le pouvoir de déléguer ; les déclarations du Digeste et des Décrétales ne laissent aucun doute à cet égard.

Le registre du procès constate aussi que, du 9 janvier au 13 mars, l'évêque a procédé seul à divers examens et à plusieurs actes substantiels. Il est vraisemblable, et cela résulte assez clairement de l'enquête, que le sous-inquisiteur, considérant la grandeur de la cause et les vices du procès, a cherché des échappatoires autant qu'il l'a pu. Dès lors, tous les actes deviennent suspects, et ceux-mêmes auxquels il a prêté son concours apparaissent contraires à sa conscience et par conséquent à son devoir.

Enfin les dépositions des témoins nous apprennent que le sous-inquisiteur fut sommé à plusieurs reprises de s'adjoindre à l'évêque, qu'il n'aurait pas osé contredire Cauchon, et qu'il s'est plus d'une fois laissé dominer par la frayeur devant les menaces des anglais. Voilà certes de quoi invalider la procédure et la sentence. La violence et la crainte pervertissent le jugement de l'homme et l'empêchent de dire la vérité ; si, comme le dit S. Thomas, elles ne rendent pas son action totalement involontaire, puisqu'il y a toujours volonté même sous l'empire de la contrainte, elles enlèvent le caractère de liberté qui consiste à être maître et à ne pas dépendre du vouloir d'autrui. Telle est la doctrine des philosophes, et les lois ne parlent pas autrement. Une sentence émise dans ces conditions n'a aucune valeur, ou du moins elle peut être annulée. Bréhal estime qu'elle est nulle de plein droit, et il ajoute, nonobstant l'autorité du canoniste Jean André, que cela lui paraît plus conforme à la vérité et au texte même de plusieurs canons. Les causes de foi surtout, dit-il en terminant, exigent que la crainte des hommes cède la place à la crainte de Dieu, et que la liberté des inquisiteurs demeure entière et inviolable.


______________________________________________________

(1) Bréhal semble éviter de prononcer le nom du pusillanime Jean Le Maistre. Celui-ci était mort, avons-nous dit. Cependant quelques auteurs supposent qu'il était encore vivant, quoi qu'il n'ait pas comparu à l'enquête, ni aux débats, malgré les citations qui lui avaient été adressées. Dans cette hypothèse purement imaginaire, il faudrait reconnaître qu'il sentait la honte du rôle joué par lui dans le procès de condamnation, et qu'il répugnait au grand inquisiteur dominicain de lui infliger une flétrissure personnelle. Mais, en tout cas, aucune considération ne devait porter atteinte à l'impartialité du juge, dont le noble et loyal caractère est au dessus de la suspicion. — La conduite de Le Maistre est donc examinée ici au point de vue des conséquences qu'elle entraîne dans l'ordre juridique. Les faits sont exposés consciencieusement tels qu'ils résultent des pièces conservées au dossier, et il est aisé de voir que Bréhal les apprécie comme ils le méritent, et qu'il n'a nulle intention d'en atténuer la culpabilité aux dépens de la vérité.

op. cit.,pp. 134-135
A suivre ; § 6. ALTÉRATION DES ARTICLES.

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Message  Louis Lun 04 Juin 2012, 6:21 pm

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 6.

ALTÉRATION DES ARTICLES.

Le sixième chapitre a pour objet la nullité qui résulte des altérations et faussetés introduites dans les articles au nombre de douze qu'on a soumis à l'examen des prélats et des docteurs pour obtenir leur avis.

Bréhal commence par rappeler que la rédaction de cette pièce est infidèle et vicieuse. Amplification ou suppression frauduleuse des paroles de Jeanne, transposition confuse de ses réponses, attribution aux mots d'un sens différent de celui qu'elle entendait, prolixité superflue et inepte, tels sont en résumé les défauts substantiels qu'il relève par une comparaison attentive de chacun des articles avec le registre des interrogatoires. Cet exposé ne comporte pas l'analyse : il doit être lu dans le texte. Fort intéressant pour l'historien auquel il fournit des documents irréfragables, il constitue ici la preuve du fait qui sert de base à l'argumentation juridique de l'inquisiteur, savoir : les articulations sur lesquelles on a délibéré et prononcé sont erronées, et leur auteur s'est rendu coupable du crime de faux.

Il s'ensuit que les consulteurs ont été trompés par les pièces incomplètes, inexactes et embrouillées qui ont passé sous leurs yeux, que leur opinion n'est pas appuyée sur les données véritables du procès, et que la sentence prononcée d'après leurs décisions se trouve par là même substantiellement viciée, suivant les déclarations expresses des lois civiles et canoniques, surtout dans les affaires du ressort inquisitorial.

op. cit.,p. 136
A suivre : § 7 . L'ABJURATION.

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Message  Louis Mar 05 Juin 2012, 3:20 pm

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 7.

L’ABJURATION.
Le septième chapitre est consacré à l'abjuration que les prétendus juges du procès ont imposée à la Pucelle. Dès le début, Bréhal indique la contexture de son argumentation : quelles sont les causes dans lesquelles le droit prescrit l'abjuration? de quelle façon celle de Jeanne a-t-elle eu lieu ? L'examen de ces deux questions nous apprendra si l'acte a été légitime et valable.

L'abjuration a lieu principalement, lorsque quelqu'un a été convaincu d'erreur contre la foi catholique. Cela revient à dire qu'il faut deux conditions : une erreur en matière de foi, et le propos délibéré qui constitue l'hérésie. Il ne s'agit pas d'une erreur quelconque : l'Ecriture donne ce nom, il est vrai, à toute action mauvaise et à la convoitise du péché, mais la vertu des sacrements répare les désordres de cette sorte, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'abjuration. — Il ne suffît pas non plus que l'erreur soit en matière de foi : l'ignorance, la simplicité, le manque de délibération, le scrupule peuvent parfois faire douter de la vérité ; c'est alors faiblesse plutôt que faute ; la lutte contre des hésitations involontaires est une source de mérites, comme la résistance aux aiguillons de la chair. — Il y a hérésie selon le langage des docteurs et des lois, quand la volonté s'opiniâtre dans l'égarement de l'intelligence ; et c'est contre les hérétiques proprement dits que sont décrétées les peines de l'abjuration et de l'emprisonnement.

Pourtant, dira-ton, le Code ne déclare-t-il pas qu'on peut être réputé hérétique pour un petit article ? — Assurément, répond Bréhal ; mais il faut saisir le vrai sens de cette expression. Il s'agit ici de celui qui refuse obstinément de croire l'un des articles du symbole ; si petit qu'il soit, cet article appartient à l'essence de la foi, et, comme le prouve S. Thomas, la négation d'un seul point entraîne la perte de cette vertu théologale et constitue l'hérésie proprement dite.

D'après le texte des Décrétales, pour obliger quelqu'un à l'abjuration, il faut qu'il ait été manifestement convaincu d'erreur, soit par l'évidence du fait, soit par une preuve canonique. Une faible présomption, un soupçon même grave ne suffisent pas. Telle est la jurisprudence que le docte inquisiteur établit par de nombreuses citations. Puis donc que Jeanne n'est tombée dans aucune erreur condamnée, et qu'elle n'a pas été convaincue d'obstination hérétique, on a commis une injustice et une impiété en l'obligeant à abjurer.

On alléguerait mal à propos qu'il y avait contre elle présomption violente par le fait notoire d'une mauvaise renommée. Car il est aisé de répondre qu'il y a deux sortes de renom : l'un, provenant d'une vie irréprochable, contre lequel la présomption ne peut être admise qu'après une enquête sérieuse ; l'autre, simple fruit du soupçon et d'une vaine rumeur sans autorité, qui ne prouve rien et ne saurait être admis par un tribunal. Or, dans son pays d'origine et partout où elle a passé, Jeanne a été renommée pour sa conduite vertueuse, pour sa religion et sa foi. Par conséquent il n'y a pas contre elle l'infamie légale qui constituerait la présomption. — D'ailleurs, dans le cas même où des allégations graves à sa charge se seraient produites de la part d'un certain nombre de personnes bonnes et sérieuses, le droit ne prescrit pas l'abjuration, mais seulement la purge ou justification canonique ; et encore faut-il pour cela que la diffamation ne soit pas l'œuvre de jaloux et d'ennemis mortels, comme l'étaient les anglais. On n'avait donc pas le droit de lui imposer une rétractation. — Il y a bien aussi une infamie qui résulte de la familiarité avec les hérétiques ; mais cela ne concerne point le cas de la Pucelle qui a toujours écarté d'elle avec horreur les gens suspects de sortilège et d'hérésie.

A cette première nullité…

op. cit.,pp. 136-137

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Message  Louis Mer 06 Juin 2012, 3:07 pm

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 7.

L’ABJURATION.
suite

A cette première nullité, qui dérive de ce que l'abjuration a été infligée sans droit, il faut en ajouter une seconde qui enlèverait toute valeur à cet acte et lui ferait perdre le caractère d'un aveu juridique : c'est qu'il a eu lieu sous l'empire de l'ignorance, de la coaction et de la crainte.

Jeanne l'a dit au procès : elle n'avait pas conscience de se rétracter, et elle ne comprenait pas le contenu de la cédule d'abjuration ; allégation fort vraisemblable, si l'on considère le trouble extrême où avaient dû la jeter les circonstances de son exposition ignominieuse devant la foule, la rédaction embrouillée d'une pièce qu'on ne lui avait pas expliquée, les cruelles fatigues de sa détention, de son procès, et d'une grave maladie dont elle n'était pas remise. L'acte est donc nul et sans valeur par défaut de volonté ; car les philosophes et les lois proclament d'un commun accord que l'ignorance engendre l'involontaire, et que sans connaissance il n'y a point de consentement, ni par conséquent d'obligation.

Jeanne a parlé aussi de contrainte : on lui avait enjoint de se rétracter ; elle avait cédé à la nécessité et aux vives instances des gens d'église. Le droit reconnaît là une sorte de violence à laquelle on ne peut se soustraire ; et, comme l'explique S. Thomas, la volonté qui subit l'influence d'un principe extérieur cesse d'être la cause responsable de son acte.

Jeanne a souvent protesté que sa rétractation lui a été arrachée parla crainte du feu. Le fait est constaté au registre du procès. Par des citations nombreuses, empruntées aux écrivains profanes comme aux lois civiles et canoniques, Bréhal établit surabondamment qu'un aveu extorqué par l'effroi ne saurait préjudicier à son auteur. D'où il suit que la rétractation exigée dans de pareilles conditions doit être tenue pour nulle et non avenue. Ceux qui l'ont imposée ont commis une œuvre d'iniquité.

op. cit.,pp. 137-138

§ 8. LA RÉCIDIVE.


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Message  Louis Jeu 07 Juin 2012, 8:52 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 8.

LA RÉCIDIVE.

Le chapitre huitième concerne la prétendue récidive de Jeanne dans l'hérésie. Les discussions précédentes ont déjà démontré en partie la fausseté de ce grief. Toutefois un examen direct sera utile aux intérêts de l'accusée ; voilà pourquoi Bréhal n'hésite pas à aborder ici une double question de droit et de fait : Quand et comment peut-on dire de quelqu'un qu'il est relaps dans l'hérésie ? Sur quoi se sont basés les juges pour décerner à la Pucelle cette qualification ?

Suivant la remarque d'éminents canonistes, une rechute suppose une chute antérieure, et, aux termes des Décrétales, cela peut avoir lieu de trois manières : premièrement, lorsque l'inculpé, contre lequel existait une violente présomption pleinement prouvée par les dires des témoins, commet l'hérésie après avoir fait l'abjuration judiciaire, il est censé relaps par une fiction de droit, lors même qu'il n'aurait pas été auparavant convaincu de ce crime ; — secondement, par suite de l'unité de la foi, la récidive existe si, après avoir été convaincu d'erreur sur un article et avoir abjuré l'hérésie, quelqu'un devient hérétique sur un autre point ; — troisièmement, on estime relaps celui qui, après constatation de l'hérésie et son abjuration, se montre fauteur et complice des hérétiques, une telle conduite étant la conséquence indubitable de l'approbation donnée à l'erreur.

Evidemment, ajoute Bréhal, aucun de ces cas n'est applicable à la cause : ni en réalité, ni même par une fiction de droit, Jeanne n'a encouru pareil grief. Ce n'est pas assez dire, et l'inquisiteur ne se fait pas faute de rendre ici à sa sainte cliente le témoignage d'une admiration bien justifiée pour les sentiments très catholiques d'une fidélité supérieure à son âge, à sa condition, à la faiblesse de son sexe, et pour la persévérance dont elle a fait preuve jusqu'à son dernier soupir.

Mais, objectera-t-on, si elle n'a pas erré, pourquoi s'est-elle rétractée? pourquoi a-t-elle souscrit la formule d'abjuration ? — Qu'on lise le chapitre précédent, on y trouvera une réponse satisfaisante. — Au surplus, on peut alléguer deux excuses juridiques, admises par le Digeste : le manque de science et l'insuffisance d'âge.

Les faits relatés au procès-verbal qui ont servi de fondement à l'inculpation sont de nature à fournir une seconde preuve de son inanité. On a prétendu que Jeanne était relapse, parce qu'elle a repris un costume d'homme et qu'elle a gardé une croyance constante en ses visions et révélations. Est-ce donc là une rechute dans l'hérésie ? Il y aurait absurdité flagrante à l'affirmer ; car ainsi qu'il a été amplement démontré plus haut, cela n'a rien à voir avec la foi catholique, et l'orthodoxie ne court aucun risque. La malice seule peut feindre d'y voir une chute ou une rechute, tandis que les réponses de Jeanne sur ces deux points dénotent une admirable piété et l'amour du bien public. A ce propos, Bréhal rappelle certaines explications déjà données pour la justification de l'innocente prisonnière. Il flétrit derechef les procédés brutaux et les manœuvres dolosives des geôliers et des juges ; puis, avec l'autorité qui lui appartient, il déclare que les révélations de la Pucelle étaient vraies, solides et saintes et qu'elle a bien fait de leur accorder une ferme et persévérante créance : c'était pour elle chose louable et non criminelle, vertu et non témérité, religion et non erreur, piété et non perversité !
op. cit.,pp. 138-139
A suivre : § 9. LES INTERROGATOIRES.

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Message  Louis Ven 08 Juin 2012, 7:31 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 9.

LES INTERROGATOIRES.

Les trois chapitres qui suivent sont destinés à faire ressortir davantage le caractère inique du jugement. Les actes des personnes qui sont intervenues au procès, soit pour interroger (chap. IX), soit pour donner des conseils (chap. X), soit enfin pour prendre part aux délibérations (chap. XI), y sont discutés dans ce but, avant d'aborder la dernière question (chap. XII), celle de la nullité de la sentence.

En premier lieu, l'injustice des procédés adoptés par les interrogateurs apparaît manifestement à la lecture du registre et des enquêtes. On y voit le tribunal composé de nombreux prélats et docteurs qui posent chacun leurs questions, tantôt disparates et sans ordre, tantôt confuses, lancées de divers côtés à la fois comme une nuée de javelots et avec une précipitation qui ne laisse pas le temps d'achever les réponses. Il y aurait là certes de quoi invectiver contre les personnes qui ont agi d'une façon si peu humaine, si contraire à l'équité, si éloignée de la modération que réclamait la gravité d'une telle affaire. Mais Bréhal déclare qu'il ne lui convient pas d'insister sur ce point ; il préfère s'occuper des interrogatoires eux-mêmes, auxquels il reproche d'avoir été trop subtils, captieux et superflus.

Le simple énoncé de six ou sept questions, faites à Jeanne et rappelées à titre d'exemples entre beaucoup d'autres semblables, manifeste la difficulté des interrogatoires : un homme d'une instruction assez étendue aurait été embarrassé pour y répondre sur le champ. Or des questions dépassant la portée de celui auquel on les adresse sont incompatibles avec un jugement vraiment digne de ce nom ; plus étranges encore dans un tribunal ecclésiastique, où les lois canoniques et civiles interdisent les subtilités, elles doivent être absolument bannies de la procédure inquisitoriale. S. Thomas en montre fort bien la raison, quand il expose pourquoi et dans quelle mesure les simples fidèles, accusés d'hérésie, peuvent être soumis à l'examen touchant certains articles de foi, qu'ils ne sont pas tenus de croire explicitement. Ici la difficulté des interrogatoires était d'autant moins justifiable que Jeanne n'était pas suspecte d'accointance avec les hérétiques, et que la plupart des questions qui lui furent posées ne concernaient directement ni la foi, ni ses dépendances.

Bréhal cite ensuite plusieurs demandes manifestement captieuses, embrouillées, obscures et capables de jeter l'esprit dans la perplexité. C'est une indignité, s'écrie-t-il de nouveau : la vérité n'aime pas les paroles tortueuses et ambigües; les causes de foi se traitent sans ambages, avec clarté, en termes usités et connus ; on n'y doit pas tendre des pièges aux âmes simples, ni donner lieu par des questions mal comprises à des réponses erronées, dont la malice du juge se servira comme d'un prétexte pour édicter une cruelle condamnation contre l'innocence et la simplicité. Les canons sont formels là-dessus, et leurs défenses sont sanctionnées par les peines les plus graves.

Enfin un grand nombre d'interrogatoires ont roulé sur des objets absolument étrangers à la cause de foi qu'on prétendait juger. Bréhal cite plusieurs exemples de ces questions inutiles et frivoles, dont quelques-unes concernaient les secrets du roi. Ni importunités, ni perfidies n'ont pu ébranler la constance de la Pucelle. Mais tous ces agissements n'en étaient pas moins une violation flagrante du droit, et les juges ne pouvaient ignorer que la procédure inquisitoriale a ses limites bien déterminées et qu'il est interdit de les franchir au détriment des fidèles et au préjudice des innocents.

op. cit.,pp. 139-140

A suivre : § 10. DÉFENSEURS ET ASSESSEURS

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Message  Louis Sam 09 Juin 2012, 6:56 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 10.

DÉFENSEURS ET ASSESSEURS..
Le chapitre dixième s'occupe des personnes ordinairement appelées à jouer un rôle important, soit dans la défense de l'accusé, soit dans l'assistance du juge.

Nulle part les actes du procès ne mentionnent les défenseurs de Jeanne, et pourtant les témoins déposent qu'elle en a souvent demandé. Or c'est une règle générale qu'on ne doit refuser à personne les moyens de légitime défense. La loi veut qu'on les accorde surtout dans les causes criminelles aux simples qui ignorent la procédure des tribunaux et aux mineurs dont l'inexpérience ou la fougue juvénile ont besoin d'être dirigées et retenues afin d'éviter une condamnation. — Le texte des Décrétales qui interdit aux hérétiques toute défense aussi bien que l'appel, ne contredit point les dispositions qui viennent d'être rappelées ; car le contexte et les annotations des jurisconsultes indiquent assez que cette interdiction regarde uniquement ceux qui ont confessé leur crime et ont été convaincus d'hérésie, principalement s'ils sont retombés dans les erreurs qu'ils avaient abjurées. Ces hommes pestilentiels ne sont pas admis à défendre leur crime ; il ne reste plus qu'à prononcer la sentence et à l'exécuter. Il en est autrement, d'après Henri Boich et les autres glossateurs, si le crime est occulte et si le coupable ne peut être convaincu : il faut alors écouter l'accusé et admettre sa défense, puisque l'Eglise ne juge pas des choses occultes. Et même lorsque le crime d'hérésie n'est pas tout-à-fait occulte et que le coupable n'a pas fait un aveu légitime ou n'a pas été convaincu, la procédure inquisitoriale ne refuse ni la défense, ni l'appel contre une injuste oppression. Par conséquent, conclut Bréhal, l'objection n'a rien avoir avec notre cas ; cela résulte clairement de tout ce qui a été démontré jusqu'ici. — Mais, dira-t-on peut-être, les actes mentionnent qu'on a fait à Jeanne l'offre, de lui donner des conseillers pour la diriger. — Oui, répond Bréhal, et les actes constatent aussi que la Pucelle accepta avec reconnaissance, en protestant néanmoins qu'elle n'entendait pas pour cela se départir du conseil de Dieu. Malgré cela, on n'y voit pas qu'il lui ait été donné un défenseur. On sait au contraire par les témoins que personne n'osait la diriger, sinon au péril de sa vie, et que de faux conseillers furent plus d'une fois introduits près d'elle pour essayer de la tromper et de la faire dévier de la vérité. Se jouer ainsi de l'ignorance des simples est un crime réprouvé par l'Ecriture comme par les lois humaines.

A défaut d'autres défenseurs…
op. cit.,pp. 140-141

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Message  Louis Dim 10 Juin 2012, 6:20 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 10.

DÉFENSEURS ET ASSESSEURS..
suite
A défaut d'autres défenseurs, estimerait-on que ce rôle a été convenablement rempli par les deux hommes de science qui vinrent après un long intervalle exposer à la prisonnière les chefs principaux de l'accusation et l'admonester sur ce qu'elle devait faire ? Leurs exhortations sont enregistrées au procès ; de prime abord on pourrait les croire inspirées par la douceur et la charité, mais si on y regarde de plus près, on reconnait que leur véritable caractère est le dol et la tromperie.

En effet,

1° elles sont entremêlées de faussetés, car elles se basent précisément sur les extraits des procès-verbaux, extraits défectueux et falsifiés (on l'a montré ailleurs), à la teneur desquels Jeanne refusait à bon droit son assentiment. La sainte fille n'a pas suivi l'exemple de l'homme de Dieu qui, trompé par un faux prophète, se laissa détourner de sa mission et fut dévoré par un lion en punition de son infidélité ; elle a justement obéi à la recommandation que l'Apôtre adressait aux Galates de ne point se rendre à ceux qui voudraient les persuader contre l'appel divin.

— 2° Ces exhortations sont pleines d'équivoques et de subtilités, à propos de l'Eglise militante et triomphante, de la juridiction concédée à l'apôtre S. Pierre et aux papes ses successeurs, et d'autres questions analogues. Une expression captieuse entre toutes, — celle de soumission à l'Eglise, — y est sans cesse répétée. Jeanne a toujours déclaré se soumettre à l'Eglise universelle et au souverain pontife ; mais lorsque les juges la pressaient de se soumettre à l'Eglise, c'était d'eux-mêmes et de la soumission à leur tribunal qu'ils entendaient parler. Jeanne ne le voulait à aucun prix, et son refus était justifié non seulement par l'excuse légale de la simplicité, mais encore par l'obscurité calculée des expressions : on ne saurait donner une réponse convenable à ce qu'on ne comprend pas. Une exhortation embrouillée, subtile et ambiguë, est d'ailleurs insuffisante ; suivant la remarque de S. Augustin, elle n'existe pas pour celui qui n'en a pas saisi le sens.

— 3° Ces exhortations sont entachées de frivolité, à raison des artifices de style et des recherches de langage, dont le but est l'ostentation plutôt que l'édification. Un aphorisme de Sénèque et divers textes des canons confirment l'appréciation de Bréhal.

— 4° Enfin ces exhortations doivent être réputées incapables d'obtenir un résultat à cause de leur prolixité confuse qui surcharge l'intelligence et enlève le pouvoir de se souvenir. Telle est la pensée de Cicéron quand il dit que la longueur plus encore que l'obscurité d'un récit empêche de le bien comprendre. Là-dessus Bréhal fait remarquer qu'on ne laissait pas Jeanne répondre avec ordre à chacun des points, ce qui aurait été d'un grand secours pour sa mémoire et son intelligence ; il lui fallait attendre la fin d'une longue tirade, et démêler d'un seul coup cet écheveau d'accusations embrouillées. Cependant au dire d'Aristote, l'esprit ne peut saisir qu'une chose à la fois, et la mémoire se confond par la complication de nombreux détails. — Pour tous ces motifs, conclut l'inquisiteur, les susdites exhortations ont peu de valeur à mes yeux.

Quant aux assesseurs…
op. cit.,pp. 141-142

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Message  Louis Lun 11 Juin 2012, 6:49 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 10.

DÉFENSEURS ET ASSESSEURS..

(suite)

Quant aux assesseurs, il faut considérer brièvement leur nombre et leurs intentions. Les registres du procès constatent l'intervention active aux interrogatoires de trente, quarante, et jusqu'à cinquante-cinq prélats, docteurs et dignitaires, qu'on avait, uniquement pour cette cause, appelés de Paris et de plusieurs autres villes de l'obédience anglaise, et qu'on comblait d'honneurs et de présents. On renouvelait ainsi en quelque sorte la dispute organisée jadis par le tyran Maxence contre la bienheureuse Catherine. Une si nombreuse assemblée, peu convenable d'ailleurs dans une pareille cause, ne pouvait conférer au jugement plus de droiture et d'équité : en la convoquant, les prétendus juges ont recherché l'apparat plus que la justice, et selon la parole de S. Chrysostôme, ils se sont fait une arme de leur multitude, afin de remporter une victoire qu'ils ne pouvaient obtenir par la force de la vérité.

Relativement à leurs dispositions, il n'est pas nécessaire de rappeler que la plupart étaient partisans notoires des anglais ; mais il importe de remarquer qu'ils n'ont montré, au cours du procès, aucun zèle pour la droiture et la justice. Lorsque, interrogée sur des points manifestement étrangers à la foi, comme par exemple sur le signe qu'elle avait donné au roi, Jeanne répondait que cela ne concernait pas le procès et faisait appel au témoignage des assistants, ceux-ci affirmaient le contraire malgré l'évidence. Leur intention n'était pas droite, et leur nombre, au lieu de leur servir d'excuse, aggrave leur forfait, suivant la juste remarque de Remy d'Auxerre.

Par ordre des juges, il y eut à quelques jours d'intervalle deux sermons solennels pour publier les crimes dont on chargeait la Pucelle : il faut aussi en parler brièvement. Les prédicateurs se sont basés sur les articles falsifiés dont il a été question plus haut ; ils ont encouru le reproche de fausseté que Jeanne adressait à l'un d'eux devant le tribunal ; ils ont agi comme ces maîtres, que la glose de l'Evangile blâme de ne pas enseigner la vérité pour des motifs coupables. Leur iniquité est flagrante.

Ici Bréhal relève avec indignation les outrageuses paroles prononcées par trois fois contre le roi de France. Jeanne leur a infligé un démenti très ferme. Comment les gentilshommes d'Angleterre ont-ils souffert ces odieux discours, injurieux à la majesté royale, et à leur souverain lui-même uni au roi de France par les liens du sang ? Leur unique souci était l'extermination de la Pucelle. Mais ce n'est pas leur conduite qui est actuellement en cause : il s'agit des prédicateurs. S'appuyant sur de nombreux textes des lois ecclésiastiques, le loyal Frère Prêcheur expose l'excellence de la prédication, son but qui est la gloire de Dieu et le salut des âmes, sa règle qui, d'une part, commande de proférer des paroles vraies, utiles et édifiantes, et, de l'autre, interdit sous peine de graves et justes châtiments les réprimandes inconsidérées, les excès de langage et toute indiscrétion. Il faut donc s'étonner de la témérité, ou pour mieux dire de l'emportement effréné, avec lequel ces hommes ont osé, contre la défense expresse des saintes Ecritures, outrager la majesté royale par d'exécrables blasphèmes devant une si haute et si nombreuse assemblée, et dans l'accomplissement d'une fonction qui requiert la plus exacte sobriété de langage. C'est trop peu dire que de les taxer de faute manifeste, conclut énergiquement Bréhal ; ils ont commis une énormité.

op. cit.,pp. 142-143
A suivre : § 11. QUALIFICATEURS DE LA CAUSE.

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Message  Louis Mar 12 Juin 2012, 6:31 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 11.

QUALIFICATEURS DE LA CAUSE.

suite

Le chapitre onzième concerne les actes des qualificateurs de la cause. Par une disposition du Sexte, la sentence ne doit être prononcée dans les affaires de foi qu'après délibération de personnes prudentes, honnêtes et religieuses sur la communication intégrale des pièces. Les qualificateurs diront peut-être avec quelque apparence de raison qu'ils ont suivi la teneur des articles soumis à leur examen, et que les vices et défectuosités de ceux-ci ne leur sont pas imputables. Néanmoins Bréhal ne craint pas d'affirmer, sans faire injure à qui que ce soit, que les conclusions de la plupart d'entre eux sont trop sévères, trop dures et indignes d'une telle cause. Afin de ne pas s'engager dans une discussion interminable, il se borne à relever deux délibérations des docteurs de Paris, celle des théologiens et celle des juristes, auxquelles d'ailleurs presque tous les autres consulteurs ont adhéré.

Les théologiens énoncent à propos de chaque article une série de qualificatifs terribles, comme s'il s'agissait de condamner Arius ou un autre hérésiarque. Il serait superflu de revenir ici sur plusieurs points discutés précédemment, et d'insister sur ceux qui sont faux ou sans gravité ; aussi ne sera-t-il question que de ceux qui ont excité davantage leur étrange courroux, savoir, les apparitions et la soumission à l'Eglise.

Au sujet des apparitions, ils prétendent que, vu le mode et la matière des révélations, la qualité de la personne, le lieu et les autres circonstances, ce sont ou des fictions mensongères, séductrices et pernicieuses, ou des révélations superstitieuses et d'origine diabolique dont les auteurs sont les esprits mauvais Bélial, Satan et Béhémoth. Laissant ici de côté les autres circonstances, (il les a discutées assez longuement dans la première partie de son mémoire), Bréhal ne veut s'occuper que de l'affirmation relative à la qualité de la personne. …

op. cit.,pp. 143-144

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Message  Louis Mer 13 Juin 2012, 6:52 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 11.

QUALIFICATEURS DE LA CAUSE.

(suite)

Au sujet des apparitions, ils prétendent que, vu le mode et la matière des révélations, la qualité de la personne, le lieu et les autres circonstances, ce sont ou des fictions mensongères, séductrices et pernicieuses, ou des révélations superstitieuses et d'origine diabolique dont les auteurs sont les esprits mauvais Bélial, Satan et Béhémoth. Laissant ici de côté les autres circonstances, (il les a discutées assez longuement dans la première partie de son mémoire), Bréhal ne veut s'occuper que de l'affirmation relative à la qualité de la personne.

Cette expression comporte trois sens : on peut l'entendre du sexe, de la naissance et du genre de vie. Or il n'est guère croyable que ces docteurs aient eu la pensée de désigner le sexe : car ils n'ignoraient pas l'enseignement des saintes Ecritures que l'esprit de prophétie est commun aux hommes et aux femmes ; ils savaient aussi les nombreux exemples de prophétesses citées dans l'ancien et le nouveau Testament, dans S. Augustin, S. Jérôme et S. Isidore, et dans le Miroir historique de Vincent de Beauvais. — S'ils ont voulu par là signifier la naissance et la famille, ils se sont jetés dans un grand embarras. Qui ne sait en effet que les prophètes les plus éminents et les apôtres eux-mêmes ont été généralement choisis par Dieu dans les rangs du peuple ? S. Paul insiste là-dessus, et S. Bernard ajoute que la bassesse de leur extraction glorifie la puissance divine et fait briller son action miraculeuse. La même remarque a passé dans les commentaires des Décrétales par le cardinal d'Ostie et par Jean André. — Il y a donc lieu de supposer qu'ils ont plutôt visé le genre de vie, c'est-à-dire l'existence guerrière de la Pucelle avec ses entreprises qui sont au-dessus de la condition d'une femme. Mais il est indubitable que rien de tout cela ne s'oppose aux révélations divines ; parfois même, ces actions extraordinaires et d'autres plus merveilleuses encore s'accomplissent par l'inspiration de Dieu. — Il aurait fallu considérer plutôt la vie très innocente que Jeanne menait nonobstant les difficultés de sa mission.

D'une main pieuse, Bréhal esquisse à grands traits le tableau admirable des vertus de la sainte héroïne ; puis, prenant à partie les docteurs qui ont affecté de les ignorer malgré l'éclatante renommée qui les publiait partout, tandis que les ennemis déclarés de cette fille de bénédiction étaient les seuls à l'incriminer, l'inquisiteur est tenté de se demander quel a pu être le témoignage de leur conscience et le mobile de leurs décisions. Mais, ajoute-t-il, c'est le secret de Dieu qui n'ignore rien, qui pénètre de son regard le fond des cœurs et les juge avec une incorruptible droiture.

Toutefois il est permis de s'étonner que des hommes faisant profession d'enseigner les divines Ecritures et la céleste sagesse aient agi de la sorte, sans prendre garde que la théologie est une science de souveraine gravité, comme aussi d'équité parfaite et de très pieuse charité. Etait-il donc besoin de leur rappeler l'interdiction des jugements téméraires, les règles de conduite en cette matière exposées avec tant de sagesse par S. Thomas, et les recommandations juridiques d'après lesquelles on doit toujours présumer le bien plutôt que le mal ?

Après ces observations préliminaires…
op. cit.,pp. 144-145

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Message  Louis Jeu 14 Juin 2012, 6:23 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 11.

QUALIFICATEURS DE LA CAUSE.
suite

Après ces observations préliminaires sur le motif que les théologiens ont prétendu trouver dans la qualité de la personne, Bréhal en vient aux conclusions de leur délibération. Il leur reproche tout d'abord le ton d'assurance avec lequel ils décident une question qui dépasse la portée de la science humaine ; toutefois, ajoute-t'il, la difficulté de connaître les révélations n'autorise pas à les juger fausses ou mauvaises. Cette double affirmation de l'inquisiteur est appuyée sur la doctrine de S. Thomas et sur les témoignages de l'Ecriture et des Pères. Tel est sans doute le motif qui a engagé quelques docteurs à suspendre leur jugement. Mais les autres, beaucoup plus nombreux, prononcent dans la première partie de leur disjonctive (1) que les révélations de Jeanne sont des impostures pernicieuses. Bréhal repousse avec indignation un qualificatif immérité.

Quatre raisons justifient sa manière de voir. La première est tirée de la simplicité de Jeanne : il n'est pas croyable que ses œuvres et ses paroles soient le fruit de la feinte et des artifices qui font partie de la sagesse mondaine. — La seconde consiste dans l'accomplissement de ses prédictions : on juge la valeur de l'acte par ses résultats. — La troisième, c'est la persévérance de sa merveilleuse conduite : une fiction ne saurait durer ainsi. — La quatrième se déduit de la concordance parfaite de ses réponses : les examens rigoureux qu'elle subit à Poitiers et à Rouen n'ont pu la faire varier, ce qui exclut toute hypothèse de dissimulation.

Dans la seconde partie de leur disjonctive, les docteurs disent que les révélations de Jeanne, si, elles ne sont une imposture, sont au moins superstitieuses et d'origine diabolique. Ils insistent sur ce point et, malgré la règle juridique d'après laquelle les questions douteuses doivent être interprétées dans un sens favorable, ils manifestent leurs préférences pour cette manière de voir. Il y a lieu de s'en étonner, d'autant plus que des signes évidents, et non pas de simples conjectures — on l'a démontré ailleurs — autorisent à attribuer ces révélations aux bons esprits.

A dessein d'aggraver les soupçons contre la Pucelle, ils donnent jusqu'aux noms des démons inspirateurs, Bélial, Satan et Béhémoth ; mais ils n'obtiennent par là d'autre résultat que de prouver la perversité de leurs sentiments et leur inaptitude à juger une pareille cause. Les insinuations qu'ils voudraient tirer de la signification de ces noms sont contraires à la réalité des faits et à une vie d'obéissance, de charité et de vertus publiques et privées comme celle de la sainte fille. — Quant à la conséquence qu'il faille y voir un danger pour la foi, elle est opposée aux déclarations de la glose et aux enseignements de S. Augustin et de S. Thomas. Il est certain d'ailleurs que les apparitions dont Jeanne a été favorisée l'ont toujours portée à la piété et à la foi.

Bréhal examine ensuite les qualifications des théologiens relatives à l'article de la soumission à l'Église : quelques brèves observations lui suffisent pour rappeler les raisons qui justifient la conduite de Jeanne sur ce point, et pour montrer la dureté et l'injustice qu'il y avait à l'incriminer de schisme, d'apostasie et d'erreur opiniâtre dans la foi.

Puis, passant à la détermination des juristes qu'il trouve plus mesurée et plus douce, à raison des restrictions préliminaires qu'on y assure pouvoir être invoquées à la décharge de l'accusée, l'inquisiteur discute assez longuement les deux assertions principales de cette décision. — La première accuse Jeanne de s'être séparée de l'Eglise et d'avoir contredit l'article du symbole par lequel on fait profession de croire à l'unité de la sainte Eglise catholique. Ce grief ne tient pas devant les actes du procès. On y voit en effet qu'elle a refusé de se soumettre à l'église de Beauvais et au jugement de l'évêque, mais qu'elle a été constamment soumise de cœur au souverain pontife et à l'Eglise universelle, c'est-à-dire catholique, conformément aux prescriptions du symbole, telles que les entendent les saints canons et les docteurs dont Bréhal indique ou cite les textes.

Le second reproche adressé à la Pucelle par les juristes…


______________________________________________________

(1) Cette expression technique désigne la phrase dans laquelle les théologiens proposent une double appréciation, afin de faire admettre l'une ou l'autre.

op. cit.,pp. 145-146

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Message  Louis Ven 15 Juin 2012, 7:02 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 11.

QUALIFICATEURS DE LA CAUSE.

suite

Le second reproche adressé à la Pucelle par les juristes est relatif à l'affirmation de sa mission divine : elle n'aurait point, comme le veulent les Décrétales, donné une preuve suffisante de son mandat, ni par le miracle, ni par le témoignage de l’Ecriture. Le savant inquisiteur fait remarquer tout d'abord que le passage qui sert de base à leur décision ne s'applique pas au cas présent ; car il y est question de celui qui se prétendrait envoyé par Dieu pour gouverner le peuple comme Moïse, ou pour le prêcher comme Jean-Baptiste.

Lorsqu'il s'agit de ces deux ministères et surtout de la prédication, œuvre d'importance capitale puisqu'elle a pour objet l'exposition des vérités de la foi, œuvre privilégiée puisqu'elle n'est pas de la compétence de toutes les conditions mais qu'elle est réservée aux hommes et spécialement aux prélats ou à leurs délégués, il serait périlleux d'acquiescer à la légère. Il n'en est pas de même si quelqu'un affirme avoir une mission qui concerne les intérêts de ce monde. D'après S. Thomas, l'esprit de prophétie a pour objet propre la connaissance plutôt que l'action ; cet esprit par conséquent est à son degré inférieur lorsqu'il pousse à l'accomplissement d'une entreprise quelconque, comme l'Ecriture rapporte que cela eut lieu pour Samson. Or telle a été la mission de la Pucelle : pour travailler au relèvement du royaume aucun signe miraculeux n'était requis. Ainsi agirent Samuel, Nathan, Elisée et d'autres encore dans les circonstances racontées par la Bible ; ils ne firent pas de miracles pour prouver qu'ils étaient envoyés de Dieu. — D'ailleurs, ajoute Bréhal, Jeanne était envoyée au roi de France, et non pas aux Anglais ni aux gens hostiles qui la détenaient captive et qui réclamaient d'elle un signe ; elle avait le droit de le leur refuser avec les paroles mêmes de Notre Seigneur (Luc. XI).

— Enfin, de deux choses l'une : ou bien celui qui se dit envoyé du ciel demande qu'on fasse une œuvre essentiellement mauvaise, et l'on doit alors, suivant la déclaration des lois canoniques, attribuer cette révélation au mauvais esprit ; ou bien il demande qu'on fasse une œuvre bonne ou indifférente par elle-même, et dans ce cas l'ensemble des circonstances permet d'acquérir promptement la conviction que cette révélation provient d'une source divine. Bréhal se contente de poser les termes de ce dilemme, dont les conclusions trouvent ici une application facile. Au surplus, il n'omet pas de rappeler les faits de guerre prodigieux accomplis par une faible fille sans expérience, et ses prédictions justifiées par les évènements : voilà sans doute des signes qui ne sont pas hors de propos en pareille matière.

A la fin de cette longue discussion, le savant dominicain proteste contre le nom de décisions doctrinales qui a été donné à ces délibérations par leurs auteurs. S'appuyant sur l'autorité de Cicéron, de S. Jérôme et de S. Augustin, il déclare que la science séparée de la vérité et de la justice ne mérite point un si noble titre : elle n'est pas sagesse et doctrine, mais astuce et perversité. Puis, sans amoindrir l'impartiale sévérité de ses conclusions, Bréhal prend soin d'attester la pureté de ses sentiments envers l'université de Paris, qu'il n'entend nullement dénigrer. Les coupables seuls doivent porter la peine canonique de leur crime, qui ne saurait rejaillir sur les innocents. Il incline d'ailleurs à croire que les délibérations sont l'œuvre d'un fort petit nombre de docteurs, partisans à outrance des anglais, et qu'elles ont été extorquées par des voies obliques, sans que le corps universitaire tout entier ait eu conscience de cet échafaudage d'impiété.

op. cit.,pp. 146-147

___________________________________________________

Note de Louis : J’ai aéré le texte que pour une meilleure visibilité.

A suivre : § 12. LA SENTENCE.


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Message  Louis Sam 16 Juin 2012, 6:37 am

CHAPITRE III.

LA PROCÉDURE.

§ 12.

LA SENTENCE.
suite
Il ne reste plus qu'à examiner la sentence et la conclusion du procès : c'est la matière du chapitre douzième et dernier de la seconde partie. Après tout ce qui a été exposé sur les vices de la procédure dans ses points essentiels, il est aisé de se convaincre que la sentence est nulle, ou doit être annulée pour six raisons principales.

1° L'incompétence des juges, c'est-à-dire le défaut de juridiction chez l'évêque de Beauvais et l'intimidation de son collègue le sous-inquisiteur. — 2° La malveillance évidente et la partialité de Cauchon. — 3° L'arrêt prononcé après récusation et appel. — 4° La falsification des actes. — 5° Les suspicions qui ont servi de base au procès. — 6° L'iniquité manifeste et l'erreur intolérable que renferme la sentence. — Les quatre premières raisons de nullité sont brièvement établies par le rappel des faits énoncés et des prescriptions du droit. Bréhal insiste davantage sur les deux dernières.

Prononcer un jugement par suite de soupçons est un acte illicite, comme l'explique fort bien S. Thomas. Les Décrétales l'interdisent formellement, surtout lorsqu'il s'agit d'une condamnation pour un crime aussi grave que l'hérésie. Un certain nombre de textes, empruntés à S. Bernard et aux recueils de jurisprudence canonique, montre quelle aurait dû être la conduite des juges. Puisqu'il était question de révélations et de manifestations de la volonté divine, il fallait recourir à l'autorité du siège suprême, au lieu de juger d'après de simples soupçons et sur des indices incertains. Puisqu'on prétendait y voir une affaire d'hérésie, on devait suivre exactement les dispositions si sages des canons, et ne donner après examen la décision définitive qu'avec l'assentiment de l'Eglise romaine. Or rien de tout cela n'a été observé et l'on est en droit de conclure que la sentence, loin d'être le fruit du discernement, a été dictée par la précipitation et l'esprit de vengeance.

Il est de plus manifestement contraire à l'équité et aux prescriptions légales d'imputer à des innocents un crime énorme, surtout le crime d'hérésie. Tel est pourtant le fait des trois sentences qui ont été enregistrées contre Jeanne. La première, qui était censée définitive et qui a été lue partiellement avant l'abjuration, accumule contre la Pucelle les imputations les plus graves d'imposture, de superstition, de blasphème, d'apostasie, etc., et affirme son opiniâtreté et son refus de se soumettre au pape et au concile général. La seconde, promulguée aussitôt après l'abjuration, lui inflige la peine de la prison perpétuelle, pour tous ces crimes qui lui sont derechef attribués en termes exprès. La troisième, qui fut prononcée quelques jours plus tard sous prétexte de relaps et de rétractation hypocrite, l'abandonne définitivement au bras séculier. Or l'innocence de la Pucelle a été surabondamment démontrée, ainsi que la fausseté de toutes ces allégations. La sentence est donc inique et sans valeur.

Bréhal ajoute qu'elle contient d'inexcusables erreurs. En effet, elle déclare Jeanne excommuniée, tandis que, le matin même et avec l'autorisation formelle des juges — l'enquête l'a constaté — la prisonnière avait reçu très dévotement les sacrements de Pénitence et d'Eucharistie. Il y a là une contradiction manifeste. — Le registre du procès mentionne qu'on avait décrété contre Jeanne la privation de toute grâce et communion ; pareille détermination est opposée à la prévoyante sollicitude des lois ecclésiastiques. — Aucun document n'atteste que les juges aient relevé la condamnée de cette prétendue sentence d'excommunication ; au contraire il résulte de leurs propres paroles que leur intention formelle était de lui refuser le bienfait de l'absolution, au lieu de le lui offrir comme c'est l'usage prescrit et fidèlement observé dans les procès inquisitoriaux ; ce qui témoigne d'une erreur évidente, et par surcroît d'une extrême cruauté. — Ils déclarent faussement la Pucelle hérétique ; car elle a toujours été catholique fidèle : cela ressort de l'estime publique, aussi bien que des examens rigoureux et multipliés qu'on lui a fait subir. Or l'instruction donnée aux inquisiteurs porte qu'on ne doit pas qualifier d'hérésie ceux qui reviennent à la foi après s'en être écartés. — Enfin il y a erreur juridique inexcusable, lorsqu'on rend une sentence après de fréquentes, publiques et légitimes récusations.

Pour ces motifs, Bréhal conclut que le procès tout entier, fond et forme, est un tissu d'iniquités. Ce sentiment du grand justicier a été partagé par les juges ; et la postérité applaudit aux arguments vengeurs qui ont amené la réhabilitation solennelle de Jeanne d'Arc.

op. cit.,pp. 147-148

A SUIVRE : TABLE DES MATIÈRES.

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