Baudelaire, poète maudit..

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Message  Roger Boivin Jeu 03 Nov 2011, 11:19 pm

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Charles Baudelaire


Maître, il est beau ton Vers ; ciseleur sans pareil,
Tu nous charmes toujours par ta grâce nouvelle,
Parnassien enchanteur du pays du soleil,
Notre langue frémit sous ta lyre si belle.

Les Classiques sont morts ; le voici le réveil ;
Grand Régénérateur, sous ta pure et vaste aile
Toute une ère est groupée. En ton vers de vermeil
Nous buvons ce poison doux qui nous ensorcelle.

Verlaine, Mallarmé sur ta trace ont suivi.
O Maître tu n'es plus mais tu vas vivre encore,
Tu vivras dans un jour pleinement assouvi.

Du Passé, maintenant, ton siècle ouvre un chemin
Où renaîtront les fleurs, perles de ton déclin.
Voilà la Nuit finie à l'éveil de l'Aurore.



Poème d'Émile NELLIGAN   (1879-1941).
parnassien


adjectif masculin singulier  relatif au Parnasse, mouvement poétique défendant la théorie de "l'art pour l'art", au XIXe siècle

http://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/parnassien  
Enfin l'art tendra toujours vers le vrai et vers le bien. En d'autres termes, les oeuvres d'art doivent être conformes aux données de la saine raison et à celles de la loi morale. Tout ce qui blesse tant soit peu la vérité outrepasse les limites de l'ordre et par conséquent ne saurait être vraiment esthétique. La fiction elle-même ne nous plaît que par ses rapports avec le vrai ou le vraisemblable. D'un autre côté, l'art étant la manifestation du beau, il ne peut représenter la laideur morale sans aller contre son essence. Si, par cette laideur, il peut mieux faire ressortir la splendeur du bien, comme les ombres dans un tableau font valoir les clairs et la lumière, la peinture du vice ne devra pas être un danger pour la vertu. Rien ne pourrait excuser l'artiste de fournir aux spectateurs une occasion de faute et de choquer leur sentiment de l'honneur. Une oeuvre ne sera donc vraiment belle qu'à la condition de nous montrer des faits dignes de notre entière admiration, des scènes conformes en tout au beau moral.
C'est pourquoi nous ne pouvons accepter la doctrine de l'art pour l'art. Si cette doctrine enseignait que l'art a un objet propre, le beau, distinct du bien, qu'il a une sphère où il peut aisément se mouvoir sans blesser la morale, nous pourrions l'admettre. Mais c'est tout autre chose que les partisans de l'art pour l'art entendent par cette théorie. Pour eux l'art est absolument libre et indépendant de l'éthique. Il existe pour lui-même et ne relève que de luimême.
Ce qui revient à dire que l'art occupe dans la création une place à part. Or cela est impossible, car tout se tient dans l'univers, rien n'y a été fait pour soi et toute chose tend à une fin supérieure à elle-même.
" La loi morale étant l'expression de l'ordre essentiel voulu par Dieu, elle domine tout, règle tout. L'activité de l'homme ne peut sur aucun point, être affranchie de l'obligation de réaliser sa loi, de tendre à sa fin dernière. En maintes circonstances, la conquête du beau est au même prix que la fidélité au bien . . . Entre la morale et l'art, comme entre le bien et le beau, il y a différence, non séparation, encore moins antagonisme. Ni l'art ne peut décliner l'autorité de la morale, ni la morale s'arrêter à la frontière de l'art. Autre n'est pas la conscience de l'artiste, autre celle de l'homme.
L'homme doit répondre des oeuvres de l'artiste1." Le Père Sertillanges, dans son opuscule l'Art et la morale, traite
admirablement cette question (Voir à ce propos ici : https://messe.forumactif.org/t3667-l-art-et-la-moral#72838).


( Frère Martinus )

« (..) Le modernisme perverti trouva tout d'abord sa source dans les théories de Baudelaire et de Jean-Jacques Rousseau. Quatre artistes ont contribué à instaurer, sinon suggérer, l'individualisme outrancier en art. Ce furent : Rodin, Manet, Degas et Cézanne. (..) »

https://messe.forumactif.org/t2402p60-anarchie-dans-l-art#48301

Justement à propos de Beaudelaire, voir les six premières pages, sur 12, de « Les dangers de la lecture » dans Te Deum :

 https://messe.forumactif.org/t508-les-dangers-de-la-lecture


Dernière édition par roger le Dim 12 Oct 2014, 10:14 pm, édité 1 fois
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Message  Roger Boivin Mer 16 Nov 2011, 12:21 am

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Si la rime était riche en Dieu,
Je ne l'estimerais pas peu,
Mais pauvre en vertu, riche en crime,
J'en hais le sens le plus sublime.

Vos vers prêchent-ils les vertus ?
Y voit-on le nom de Jésus ?
Point du tout, mais la flatterie,
L'impureté, l'idolâtrie.

Vous direz : « Je n'y vois rien
Qui ne soit bon, qui ne soit bien ».
Ne vous y trompez pas, mon frère,
Leur poison tôt ou tard opère.



Saint Louis Marie Grignon de Montfort.
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Message  Roger Boivin Jeu 26 Juil 2012, 9:06 pm


Le Catholicisme chez les romantiques
A. Viatte ; avant-propos de A. Cherel - entre autre, pages 324 à 334, III :

http://www.archive.org/stream/lecatholicismec00viat#page/232/mode/2up

http://www.archive.org/stream/lecatholicismec00viat#page/302/mode/2up


( Si, n'étant pas connecté, l'on ne peut cliquer sur le lien pour y accéder, alors il suffit, d'un clic gauche de la souris, de mettre en bleu l'adresse du lien, puis, d'un clic droit, un petit tableau apparaissant, cliquer sur ouvrir le lien, et le tour est joué ! )
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Message  Roger Boivin Dim 12 Oct 2014, 9:06 pm




  Trompé par une fréquentation incessante de sa pensée avec les scènes de honte et de débauche, l'auteur des Fleurs du mal avait le sentiment faux du vice. Cette atmosphère corrompue tenait son esprit dans un état permanent d'exaltation. De là le désordre de quelques-unes de ses inspirations, d'Abel et Cain, par exemple, où le crime est glorifié, où le poète, oubliant qu'il est athée, pousse un cri de révolte et de blasphème contre Dieu.


HISTOIRE
DE LA
LITTÉRATURE FRANÇAISE
DEPUIS LE XVIe SIÈCLE JUSQU'A NOS JOURS
Par
FRÉDÉRIC GODEFROY
Ouvrage couronné par l'Académie française
XIXe SIECLE
POÈTES TOME II
Gaume et Cie, Éditeurs
1879


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Message  Roger Boivin Dim 12 Oct 2014, 9:55 pm


   § 3. LES IDEES RELIGIEUSE:

   Si Mme Aupick s'était désintéressée, comme il semble naturel, de l'attitude politique de son fils, elle avait travaillé, du moins, à lui transmettre sa foi catholique. Elle n'avait pu, on l'a vu, surveiller sa formation intellectuelle.

   Charles est-il, cependant, resté catholique?

   On admet communément aujourd'hui qu'il fut, avec Verlaine, le grand poète catholique du siècle. Envisageons, successivement, l'homme et le poète.

   Baudelaire a été élevé dans le catholicisme et il est mort muni des sacrements de l'Eglise.

   Le début et la fin de sa vie sont connus : reste à éclairer le milieu.

   Ce milieu est troublant.

   Baudelaire ne pratiquait pas 1 ; il vécut au mépris des lois de l'Église, et, il a plus d'une fois, attesté son incroyance. Le 13 novembre 1864, il écrit à M. Ancelle : « Quand je serai absolument seul, je chercherai une religion, et, au moment de la mort, j'abjurerai cette dernière religion, pour bien montrer mon dégoût de la sottise universelle ».

   On objecte que c'est une boutade; en est-ce une aussi que cette déclaration à Sainte-Beuve :

   « Un de nos grands amusements (avec son ami Malassis), c'est quand il s'applique à faire l'athée, et quand je m'ingénie à faire le jésuite. Vous savez que je peux devenir dévot par ! contradiction ». (Corr., 30 mars 1865).

   Son disciple Cladel affirme qu'il « ne croyait ni à Dieu ni à Diable » ; on peut trouver le témoin « suspect ; » récusera-t-on de même le témoignage de Mme Aupick écrivant en 1868, à propos des poèmes impies des Fleurs du Mal : « Si mon fils vivait, il n'écrirait pas cela aujourd'hui, ayant eu, depuis quelques années, des sympathies religieuses 2 ».

   Il n'en avait donc pas dans ses années de maturité, quand il écrivait les Fleurs du Mal ?



Baudelaire l'homme et le poète - Pierre Flottes - Paris - Librairie Académique Perrin et Cie, librairie-éditeurs - 1922 - pages 58-59 :

https://archive.org/stream/baudelairelhomme00flotuoft#page/58/mode/2up



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Message  Roger Boivin Dim 12 Oct 2014, 10:07 pm



   S'il convient de n'attacher aucune importance aux mouvements de mauvaise humeur que la campagne du clergé contre son livre lui arracha parfois envers certains prêtres, on ne peut oublier ce passage extrait d'une lettre intime à sa mère, du 6 mai 1861 : « Et Dieu, diras-tu? Je désire de tout mon cœur croire qu'un être extérieur et invisible s'intéresse à ma destinée, mais comment faire pour le croire ? »IN'est-ce pas un aveu suffisant? Enfin, le journal intime renferme, à une date que l'on croit voisine de 1857, ce blasphème terrible : « Dieu est un scandale, un scandale qui rapporte » (Œ. P. 89). Pourtant, on écrit que « non seulement la conscience est demeurée en lui catholique, mais que catholiques sont encore sa tournure d'esprit et sa sensibilité 1 ».

   On croit reconnaître trois arguments: l'estime de Baudelaire pour le rôle du prêtre, — son penchant pour la prière, — sa croyance au péché originel.

   Baudelaire a dit en effet : « le prêtre est immense, parce qu'il fait croire à une foule de choses étonnantes». Ce qui signifie : le prêtre a beau violenter le sens commun, il trouve toujours des fidèles. Est-ce un signe qu'il soit divin? Rappelons-nous que « les peuples adorent l'autorité ». Le prêtre infléchit à son profit l'aptitude des hommes à s'incliner devant la force. Et c'est ainsi que Dieu — scandale au regard du sens commun — devient un scandale qui rapporte Le prêtre est-il le seul être à jouir de ce privilège? Non : le poète par le prestige de son art, le guerrier, par celui de son épée, possèdent un sortilège analogue. Trois figures surhumaines dominent, il l'a dit, le reste de l'humanité, fait « pour l'écurie ». Ne voit-on pas que Baudelaire assimile le prêtre à ces êtres puissants par le prestige du verbe ou celui du pouvoir, un Byron, un Chateaubriand, qui ont su s'imposer au respect des multitudes?

   Cet être supérieur, nous savons de quel nom Baudelaire le nomme : c'est le dandy. Il y a une hiérarchie de dandies. Le dandy relativement vulgaire, c'est le faquin habillé selon les règles de Brummell : au-dessus de lui, le dandy byronien qui joint à l'élégance des manières la hauteur méprisante des pensées ; plus haut, le dandy poète ou soldat, celui qui « crée » et qui « tue » ; et près d'eux, ou plus haut encore, le dandy dérobé d'un sacré mystère, vénéré dans son oisiveté magnifique : le prêtre. Joignez-y que le prêtre se distingue de la foule par son costume comme par ses manières et ses mœurs ; et Baudelaire s'est toujours ingénié à présenter, dans ses allures, quelque chose d'ecclésiastique ; son large habit noir ressemblait un peu à une soutane ; « il déroulait ses propos avec une onction quasi-évangélique » et Lemonnier, en le voyant à une table de conférencier, se crut en face d'un « Père de l'Église littéraire ». Baudelaire vénère dans le prêtre la plus haute expression possible du Dandy : le dandy sacré.


Baudelaire l'homme et le poète - Pierre Flottes - Paris - Librairie Académique Perrin et Cie, librairie-éditeurs - 1922 - pages 60-62 :

https://archive.org/stream/baudelairelhomme00flotuoft#page/58/mode/2up



https://messe.forumactif.org/t508p60-les-dangers-de-la-lecture#8455
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Message  Roger Boivin Dim 12 Oct 2014, 10:11 pm


En pensant ainsi, Baudelaire se croyait certainement inspiré par Joseph de Maistre.

Non que de Maistre fût dandy, mais sa philosophie autoritaire laissait place au dandy sur la terre, dans une âme incroyante, s'entend ; il exalte le prêtre et le guerrier qui forment aux yeux de Baudelaire, avec le poète, la triade aristocratique; il fait appel à l'incompréhensible pour expliquer le prestige de ces êtres supérieurs ; et Baudelaire, en qui coexistaient un mystificateur et un homme épris d'insondable, a dû goûter éperdument les visions d'apocalypse et les formules quasi-magiques répandues dans les Soirées de Saint-Pétersbourg.

Il était encore séduit par la logique très serrée qui enferme chez de Maistre toutes les pièces du raisonnement ; mélange bizarre de rigueur dans la déduction et d'arbitraire dans les prémices; ceci encore était très conforme au tempérament intellectuel de Baudelaire.


Le poète des Fleurs du Mal aime à débuter par une extravagance ; mais il met, en quelque sorte, sa coquetterie intellectuelle à voir se dérouler les conclusions de cette extravagance avec une logique parfaite. Il réagissait ainsi doublement contre son époque, époque de « juste milieu » où la politique, la morale et l'art s'inspiraient volontiers d'un bon sens initial, bientôt abâtardi par des raisonnements timides et inachevés : Baudelaire avait le « juste milieu » en horreur et dans tout domaine ; ni Poe, ni de Maistre ne sont des auteurs de juste milieu : aussi a-t-il pu dire qu'ils lui avaient appris à raisonner. Il ne dit pas qu'ils lui aient appris à prier.

Cependant, a-t-on objecté, son journal intime porte l'énoncé même des prières qu'il adressait à Dieu, avec une très grande humilité. Il a donc fait, au moins secrètement, acte de foi.

Nous répondrons seulement : à quelle date ces actes de foi ?

A la veille de la maladie suprême, quand les premières atteintes de la mort l'épouvantent et le rejettent vers les pratiques de son enfance.

Est-ce d'après le Baudelaire de 45 ans que nous jugerons l'homme de 30 ans, qui a écrit les Fleurs du Mal ?

Ce témoignage de sa mère, déjà cité, n'est-il pas irrécusable ? Elle a déclaré que, jeune, il ne pratiquait pas : donc il ne priait pas; que, dans ses dernières années, il était revenu à la religion : donc, il la délaissait jusque-là. Ces témoignages concordent avec notre thèse : Baudelaire n'a fait un retour vers la piété qu'aux approches de la mort.


Baudelaire l'homme et le poète - Pierre Flottes - Paris - Librairie Académique Perrin et Cie, librairie-éditeurs - 1922 - pages 62 et suivantes :

https://archive.org/stream/baudelairelhomme00flotuoft#page/62/mode/2up



https://messe.forumactif.org/t508p60-les-dangers-de-la-lecture#8608
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Message  Roger Boivin Dim 12 Oct 2014, 10:31 pm


Reste enfin la croyance au péché originel.

A diverses époques, il a en effet répété que l'idée du péché originel expliquait le monde. Il écrivait à Toussenel, en 1856 : « Toutes les hérésies (croyance au progrès, etc.) ne sont après tout que la grande hérésie moderne de la doctrine artificielle substituée à la doctrine naturelle, je veux dire : la suppression de l'idée du péché originel1 ».

Or, dix ans plus tard, il écrivait dans son journal intime : « La vraie civilisation n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur; elle est dans la diminution des traces du péché originel 2 ».

Ces deux textes ne semblent-ils pas contradictoires? Aux philosophes, dont Toussenel est le disciple, il reproche de croire que l'homme peut se comporter comme si le péché originel ne pesait pas sur lui.

Un peu plus tard, au contraire, il voit dans la vraie civilisation l'effort spirituel pour effacer les traces de ce péché.

La contradiction disparaît, pensons-nous, si cessant de considérer la pensée de Baudelaire comme empreinte d'un catholicisme orthodoxe, nous y cherchons seulement l'expression de son amertume à l'égard de la vie.

Baudelaire fut précocement aigri. Son humeur alla s'assombrissant avec les années.

Comme tous les misanthropes, il incrimine tantôt un aspect, tantôt un autre du monde qui entoure.

En 1856, il s'irrite, lisant un écrit de Toussenel, de la foi naïve que l'auteur y déploie dans la bonté des hommes. Et il proteste, invoquant la perpétuité du péché originel. C'est sa protestation contre les philosophes.

Dix ans plus tard, environ, il est en Belgique, et, chaque jour, il s'emporte contre l'esprit lourdement réaliste des Bruxellois. On a vanté devant lui les progrès du confort matériel. Et il proteste, invoquant le devoir, tout spirituel, qu'a l'homme, d'abolir les traces du péché. C'est sa protestation contre les industriels.

Il semble parler deux langues contradictoires parce qu'il est en face de deux adversaires différents. L'essentiel, à ses yeux, n'est pas de savoir si la trace du péché originel est ou non ineffaçable : c'est d'opposer une thèse à la thèse, philosophique ou matérialiste, qu'il vient d'entendre soutenir.

Mais pourquoi emprunter son langage à celui des théologiens?

Par tradition et par dandysme. Par tradition, car Baudelaire a sucé le lait catholique. Mais c'est peu de chose. En devenant dandy, il a senti s'affermir en lui le prestige des pompes liturgiques, des beaux habits, des cérémonies solen nelles, du langage incompris des foules.

Par la le catholicisme flattait le côté dandy de sa nature A-t-on remarqué que Baudelaire est sans éloge pour les serviteurs laïcs du catholicisme? Le laïc c'est encore le bourgeois. Et l'on sent bien que pour lui, un prêtre coupable — mais coupable d'un forfait voluptueux ou rare — ne cesserait pas d'avoir la majesté ambiguë du prêtre.

Non Baudelaire ne fut pas catholique en ce sens qu'aucune communauté d'espérances ou des règles morales ne le rapprocha des catholiques le seul Dieu de ce joueur, c'est la Fatalité, la Chance, la Mauvaise Chance surtout, ce qu'il appelle son Guignon, et qui a engendré chez lui l'état du spleen ; le mot « fatal », dont il a fait un tel abus, traduit cette croyance permanente aux pièges que lui tend le sort. Mais cet athée superstitieux se sentait rapproché des catholiques par des haines identiques contre les mêmes adversaires.

Un mot de Barbey d'Aurevilly illumine selon nous, toute la question : « Il n'a ni notre foi, ni nos respects, mais il a nos haines et nos mépris... Les niaiseries philosophiques lui répugnent 1 ». Il haïssait les philosophes dont l'hunanitarisme agaçait sa misanthropie; les industriels utilitaires à cause de leur ignorance des arts, les politiciens anticléricaux de la bourgeoisie, parce qu'ils constituent une classe de médiocres repus en face du poète doué, mais misérable ; il haïssait Garibaldi, l'ennemi du pape, peut-être pour son immense faveur populaire.

Ces haines hétéroclites l'animaient contre les ennemis de l'Église d'une rancune qui a l'aspect négatif de la foi; elles désarmèrent Veuillot qui sut plaindre sa mort en disant que le malheureux opprimait son âme. Baudelaire ne fut positivement catholique que dans la mesure, très faible, où le catholicisme se confondait avec le dandysme pour entretenir en lui le culte du ? et du mystérieux. Le reste n'est qu'une précieuse fantaisie de critiques très postérieurs qui, pris par le charme poétique de Baudelaire au sein de leur ferveur religieuse, s'efforcent, par une légende rétrospective, de retrouver leur propre foi dans ce Parisien léger et triste, fils d'un siècle incroyant.


Baudelaire l'homme et le poète - Pierre Flottes - Paris - Librairie Académique Perrin et Cie, librairie-éditeurs - 1922 - pages 62 et suivantes :

https://archive.org/stream/baudelairelhomme00flotuoft#page/64/mode/2up


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Message  Roger Boivin Dim 12 Oct 2014, 10:59 pm


L'œuvre de Baudelaire est plus nettement ahée que sa vie ne le fut.

Sans doute, il a écrit à sa mère que son livre partait d'une idée catholique » ; mais à quel moment? Un prêtre venait de mettre en garde la conscience de Mme Aupick. Son fils se défend prudemment. Il dit, non que le livre est catholique, mais seulement que les tableaux très noir qu'on y trouve décèlent la corruption indélébile de l'humanité. Entendons-le parler de la religion elle-même : la glorifie-t-il ? S'élève-t-il dans un effort d'espérance? Regrette-t-il au moins une foi perdue? Rien de tout cela, ou presque rien

Quelques vers, seulement, sont pieux et sereins ce sont les strophes finales de l'Imprévu évoquant la satisfaction des élus au séjour éternel, le clairon de l'Ange sonne dans le silence des cieux apaisés :

   Le son de la trompette est si délicieux
   En ces soirs solennels de célestes vendanges
   Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux
   Dont elle chante les louanges.

Le poème de Bénédiction renferme, dans ses dernières strophes, une aspiration au Dieu vengeur

   Vers le ciel, où son œil voit un trône splendide.
   Le poète serein lève ses bras pieux,
   Et les vastes éclairs de son esprit lucide
   Lui dérobent l'aspect des peuples furieux...

Mais est-ce bien Dieu qui bénit le poète, et non l'Art consolateur érigé en justicier ? La pensée religieuse de Baudelaire , en dépit du vocabulaire est d'un catholicisme insolite,

   Des Trônes, des Vertus, des Dominations,

se dégage difficilement de sa pensée esthétique.

Et que d'accents ironiques ou sacrilèges ! Dira-t-on que le Mauvais Moine atteste un regret de la foi médiévale? Le poète souhaite de faire.

Du spectacle vivant de sa triste misère Le travail de ses mains et l'amour de ses yeux ; Il cherche donc, non pas à abolir cette misère par sa foi, mais à la transfigurer par l'art : là encore, sous l'empire de ce dandysme un peu sacrilège qui lui fait parer les beautés profanes d'attributs prestigieux, empruntés aux choses saintes, c'est à l'Art qu'il pense en invoquant Dieu.

Dénué de sérieux à l'égard des grands symboles religieux au point de voir dans le Ciel le

              couvercle noir de la grande marmite
   Où bout l'imperceptible et vaste humanité ;
   (Le Couvercle)

dénué de crainte à l'égard de la justice d'en haut au point de parler de ses péchés comme un enfant de ses peccadilles :

   Vite, soufflons la lampe, afin
   De nous cacher dans les ténèbres !
                      (L'Examen de Minuit)
   .
dépourvu enfin du respect traditionnel au point de chanter en tercets latins, pareils à des vers liturgiques, les louanges d'une modiste de ses amies « érudite, nous dit-il, et dévote », (Franciscae meae laudes),

Baudelaire est passé à l'attaque, et il a blasphémé en termes nets, sans donner d'autre raison que celle du « parfait comédien façonné à tous les sophismes et à toutes les corruptions » : ainsi s'exprime une note insérée en tête de ses poèmes impies : il la qualifie lui même de « détestable », le 14 mai 1857.

Parmi ces poèmes impies, les Litanies de Satan ont une place importante, car Satan est une figure qui revient sans cesse dans les Fleurs du Mal. Satan est le grand vaincu du sort, comme le poète lui-même; le roi des sensuels, le dispensateur des richesses, biens auxquels Baudelaire aspire ! En Satan se confondent tous les instincts bas que l'homme dissimule, impuissant a le repousser :

   C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent
   (Au lecteur)
   .
Qu'est Satan enfin, sinon la sensualité triomphante, qui se sent vile, mais ne peut être maitrisée? La hantise de Satan chez Baudelaire est la conscience permanente des exigences de son corps.

Abel et Cain, qui a l'aspect d'une chanson satirique, paraît composé sous l'empire passagère d'idées socialistes; le Rebelle, ébauche, pourrait on dire, du Cain révolté de Leconte de Lilest incarne la protestation de la Chair contre l'Esprit qui veut l'enlaidir et la ravaler : c'est un poème d'orgueil et de sensualité secrète.

Le Reniement de saint Pierre est un ouvrage assez complexe seul de ce prétendu chrétien ou Jésus ait sa place, — mais quelle place ! Devant un Dieu féroce — Néron ou Phalaris du ciel, — qui fait ripaille et nargue insolemment les souffrances de la multitude, Jésus incarne le symbole de l'humanité égarée dans un rêve d'amour ; punie pour n'avoir pas su que le monde est mauvais, et le ciel vide ; justement punie : Saint Pierre a bien fait de renier son maître. En bafouant Jésus, Baudelaire semble bafouer les humanitaires.

L'homme-Dieu a été « crossé » comme un vulgaire républicain. Ce poème, que Mme Aupick déclarait « carrément impie » (1) embarrasse les critiques qui veulent faire Baudelaire catholique ; aux autres il apparaîtra comme une fiction choisie par le poète pour exprimer sa misanthropie. L'auteur a adopté ici la forme du blasphème, comme, dans Bénédiction, celle de la confession catholique.

Que Baudelaire feigne de croire à la grandeur du prêtre, ou qu'il dise Dieu tyran et Jésus pauvre sire, ce ne sont là que les fantaisies diverses d'un artiste incroyant, sans fureur comme sans respect, qui symbolise volontiers en Satan les sens qui le tourmentent, et en Dieu, tantôt la sottise cruelle, tantôt le beau consolateur n'ayant gardé de sa formation catholique qu'un penchant à exprimer en langue religieuse ses émotions profanes.

   (1) C, 269. Elle eût voulu le retrancher.


Baudelaire l'homme et le poète - Pierre Flottes - Paris - Librairie Académique Perrin et Cie, librairie-éditeurs - 1922 - pages 62 et suivantes :

https://archive.org/stream/baudelairelhomme00flotuoft#page/66/mode/2up


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