Aperçus de philosophie thomiste. (COMPLET)

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Message  Louis Mar 18 Oct 2011, 9:03 am

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R. P. THOMAS PÈGUES, O. P.

MAITRE EN THEOLOGIE,

REGENT DES ÉTUDES A L'ÉCOLE THÉOLOGIQUE DE SAINT-MAXIMIN (VAR)


APERÇUS

DE

PHILOSOPHIE THOMISTE

ET DE

PROPÉDEUTIQUE

PRÉCÉDÉS D'UNE LETTRE DE MONSEIGNEUR RlVIÈRE,
ARCHEVÊQUE D'AIX.

PARIS
ANDRÉ BLOT, ÉDITEUR


ANCIENNE LIBRAIRIE ROGER ET CHERNOVIZ

6, RUE DE LA SALPÊTRIÈRE, 6
MCMXXVII


NIHIL OBSTAT.

Fr. EMMANUEL LUSSIAA, 0. P.,

Lect. theol.

Fr. M. LAJEUNIE, 0. P.,

Lect. theol.

Imprimi potest.

Fr. Lect. M. HILARIO TAPIE, 0. P.,

Prior Provincial Prov, Tolosanae.

Imprimatur.

Parisiis, die 4e Aprilis 1927.

V. DUPIN.

Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.

LETTRE DE MONSEIGNEUR RIVIÈRE

Archevêque d'Aix

Aix-en-Provence, le 19 février 1927.

MON REVEREND PERE,

C'est avec une vive satisfaction que j'apprends de vous la publication des conférences philosophiques et thomistes que vous avez données, avec tant de succès, dans tout notre Midi, à Marseille, à Nice, à Toulon, particulièrement à Aix; et avec une très grande reconnaissance de ce que vous avez entrepris ce travail malgré vos multiples occupations.

Quel bien n'avez-vous pas fait, déjà, dans ces réunions où se groupe autour de vous, depuis plusieurs années, l'élite de ceux qui pensent et veulent penser bien! Prêtres, hommes et femmes du monde, officiers de marine à Toulon, étudiants et étudiantes de l'Université chez nous, sont venus régulièrement puiser dans vos leçons la science du vrai et satisfaire leur intelligence par la connaissance et la possession de ce logique et merveilleux système où tout se tient, où chaque idée découle de la précédente, devenue évidente, pour le devenir elle-même et préparer, ainsi, la voie à celle qui suivra.

Et quel moment avez-vous choisi pour cet enseignement purement intellectuel ? Celui, peut-être, où il devient le plus nécessaire à la pauvre humanité!

Celle-ci, en effet, obligée de refaire après la grande guerre tant de choses matérielles, préoccupée de la question pécuniaire, assoiffée, de plus en plus, de bien-être et, hélas ! de jouissances d'un ordre bien peu élevé que procure l'argent, a détourné presque toutes ses facultés vers le côté pratique des sciences, et toutes les forces de l'âme humaine se dépensent à tendre vers la solution de problèmes, utiles sans doute, mais qui intéressent surtout la partie la moins noble de nous-mêmes. Quant à la connaissance des grandes questions qui, à travers les siècles, attirèrent les esprits et sont primordiales ; quant à la philosophie, qui, avant la théologie et préparant les voies de celle-ci, nous apprend sur l'être en général et sur tous les êtres, sur le temps, sur l'espace, sur la vie, sur nos sensations, sur nos facultés, sur l'Être suprême considéré par la raison avant que nous l'adorions dans la Foi, sur notre but final et notre bonheur suprême, ce qui serait si utile et si intéressant à savoir, qui donc s'en préoccupe? Qui donc a le temps de méditer ? Qui donc, même, pense à penser ?

Et qui donc, encore, se donne la peine d'étudier les règles logiques du raisonnement qui mène à la possession de la vérité ou qui convainc des auditeurs? La plupart des discours que l'on entend, — et Dieu sait si l'on en écoute dans notre pays et à notre époque, laquelle préfère la parole à l'action, — sont sans suite, sans déductions, composés d'affirmations sans preuves, de soi-disant conclusions qui ne sont amenées par rien! Qu'on essaye d'analyser les paroles les plus en vogue; on y trouvera la recherche de faire naître des impressions, non celle d'élever dans l'esprit des auditeurs une certitude basée sur des prémisses solides.

Vos conférences, mon Révérend Père, ont été et sont, dans notre Midi, un remède, — et puissant, — à ce mal des esprits.

Vous avez su garder autour de votre chaire ceux que votre réputation si justifiée de conférencier et de professeur y avait attirés et, malgré les côtés souvent si ardus des sujets que vous traitiez, vous êtes arrivé à ce que vos thèses fussent, d'abord, comprises par l'auditoire varié devant lequel vous les exposiez et, ensuite, qu'il s'en imprégnât et prît le goût de cette grande science philosophique. Combien, sans vous, seraient restés dans l'ignorance ou dans le doute sur bien des points dont ils font, maintenant, les bases de leur vie pensante, partant, ensuite, de leur vie agissante! Combien, sans vous, n'auraient peut-être jamais songé que ces idées pouvaient être soulevées et dont l'esprit a été développé dans le sens philosophique par vos leçons !

Les motifs de ce succès qui a dépassé ce que nous attendions est, d'abord, la source d'où vous faites dériver vers nous ces eaux de vérité : saint Thomas d'Aquin, le plus grand des philosophes chrétiens, peut-être le plus extraordinaire penseur de l'humanité. De saint Thomas, votre parole est imprégnée, comme votre science; vous ne nous avez donné que du saint Thomas, et, à travers vous, ce grand Docteur a attiré, séduit ceux qui ne le connaissaient pas parmi nous, comme, petit à petit, il voit arriver à lui les professeurs et les élèves de tant d'Universités du monde qui ont l'instinct de revenir, par lui, à la saine philosophie.

Puis, vous avez une manière de présenter saint Thomas qui augmente encore son attrait. Votre parole est simple, nette, facile à suivre. En vous écoutant, on a l'impression, d'abord, que tout cela est d'une facilité enfantine. Votre verbe est vibrant, aussi, convaincu ; l'heure de la conférence passe comme quelques minutes, et que de fois vos mouvements sur la cause et l'effet, sur l'essence et l'existence, sur la matière et la forme et autres sujets qui, il faut l'avouer, laissent d'ordinaire les auditeurs fort calmes, ont soulevé les vôtres, comme l'auraient fait une grande envolée sur la politique ou une délicieuse poésie, et vous ont attiré de longs et vifs applaudissements! D'autres leçons ne m'ont jamais laissé pareil souvenir, sinon celles qu'autrefois donnait à la Minerve, à Rome, celui qui devint le cardinal Zigliara. Lui aussi, comme vous, depuis, savait expliquer un article de saint Thomas de telle façon que l'entendre était une véritable jouissance non seulement intellectuelle, mais, encore, artistique, oratoire et, presque, musicale.

Enfin, pour rendre encore vos conférences plus complètes, pour faire mieux comprendre vos thèses, après qu'elles sont terminées, vous acceptez les objections et, par les réponses improvisées que vous savez y faire, illustrez encore plus vos doctrines et éclairez davantage les points les plus difficiles. Quel attrait, au moins pour moi, mon Père, que ces petites joutes, où je sais d'avance que je serai toujours vaincu, mais dans lesquelles, avec tant de courtoisie, vous acceptez mes oppositions, mes critiques apparentes, et suscitez encore les applaudissements en faisant toucher terre à votre adversaire d'un moment ! Avec mille autres avantages, je trouve à cette discussion celui de me faire revivre ma jeunesse et les batailles intellectuelles du collège romain de mes vingt ans. Encore un motif, qui n'est pas petit à mon âge, de ma reconnaissance.

Les conférences que vous publiez aujourd'hui ont toutes été prononcées. Il était utile qu'elles le fussent. Combien n'eussent pas ouvert un livre, et traitant de ces questions, qui sont allés vous entendre? Et le mouvement de votre parole, la chaleur de votre débit, faisaient comprendre bien des choses que l'austérité d'un livre n'eût pas laissé pénétrer à fond. Mais maintenant qu'elles ont été dites, vous avez jugé, et vous avez eu raison, que ces grandes leçons devaient être écrites. Est-il bien certain que tous les aient retenues? Et en entier? Et ceux-là mêmes qui l'ont fait, n'ont-ils pas le désir et le besoin de les retrouver, de les méditer encore pour se les identifier davantage et en posséder mieux l'ensemble et le détail? Puis, aussi, tant d'autres qui n'auront pas eu le bien et la joie de vous entendre, pourront ainsi venir, pourtant, chercher dans votre livre les enseignements dont tous ont un tel besoin.

Ce travail supplémentaire que vous vous êtes imposé était donc bien utile et, encore une fois, je vous en félicite et vous en remercie et, souhaitant que votre nouvel ouvrage fasse connaître la philosophie et saint Thomas comme ceux qui l'ont précédé, je vous prie, mon Révérend Père, de croire à mon affection bien dévouée.

+ MAURICE,
Archevêque d'Aix.

A suivre : Avant-Propos.


Dernière édition par Louis le Lun 04 Juin 2012, 6:55 am, édité 1 fois (Raison : ajout du mot « complet » dans le titre du fil.)

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Message  Louis Mer 19 Oct 2011, 8:55 am

AVANT-PROPOS

Ce livre est un simple recueil. On y trouve, dans la première forme où elles ont été conçues et rédigées, les notes qui devaient servir de thème à plusieurs séries de conférences données dans les principales villes de Provence et du littoral : Aix, Marseille, Toulon, Nice.

Il nous avait été demandé, par un groupe choisi d'hommes du monde, que fût fait, pour eux et pour les esprits qui partageraient leurs goûts, leurs besoins de s'instruire dans le domaine des plus hautes disciplines, un exposé de la philosophie d'Aristote et de saint Thomas d'Aquin. Un premier essai de réponse, d'ailleurs très sommaire, avait fourni la matière de trois ou quatre chapitres dans notre volume de l'Initiation thomiste (p, 90-174). La pieuse avidité des auditoires auxquels nous nous adressions nous contraignit à développer, sans sortir des lignes essentielles que nous avions pris soin de fixer, dès le début, en conformité parfaite avec la pensée la plus authentique et la plus pure d'Aristote et de saint Thomas, ces premières notions de philosophie et de propédeutique.

Il ne faudrait pourtant pas, même après ces développements, chercher, dans le recueil que nous offrons au public cultivé, l'équivalent absolu de ce qu'on appellerait ailleurs un traité de philosophie et de propédeutique. Des traités proprement dits, surtout quand on les destine à des étudiants formels qui se préparent à subir des examens, doivent revêtir une autre forme et se présenter avec un autre caractère. Ils comprennent jusque dans le détail de ses divers aspects tout ce qui se rattache au sujet en question ; et leur exposé a quelque chose de plus particulièrement didactique ou technique, peu en harmonie avec les goûts d'un auditoire du dehors.

Toutefois, pour n'être ni surchargé de détails, ni même présenté sous une forme strictement didactique ou technique, notre exposé ne devait pas laisser que d'être rigoureusement doctrinal. Il s'adressait à un public du dehors; mais à un public choisi. Et nous nous sommes inspiré de ce principe, que devant un tel public il devait être possible de traiter toutes les questions vitales de la philosophie et de la propédeutique dans ce qu'on appelait au XVIIe siècle la langue des honnêtes gens. N'a-t-on pas dit que la philosophie, dans son fond essentiel, consistait, pour tout esprit capable de réflexion, à prendre conscience des vérités du plus élémentaire bon sens? Comment supposer dès lors qu'on ne puisse en traduire la moelle en des termes accessibles à tout esprit cultivé ?

La remarque s'impose avec plus d'opportunité, quand il s'agit d'un exposé doctrinal qui s'autorise de l'œuvre et de la pensée de Thomas d'Aquin. il n'y a certainement pas de témérité à dire que nul, dans l'ordre de l'enseignement doctrinal philosophique, n'a traduit en termes plus limpides et plus à la portée de tout esprit réfléchi, une pensée plus profonde, plus sûre, plus harmonieuse, plus apte à reposer l'intelligence dans la possession consciente de la vérité.

Par l'accueil qu'ils ont fait à notre exposé, les auditoires multiples et divers auxquels il s'adressait nous ont donné l'impression, la certitude, que nous n'avions pas trop présumé d'un public d'élite et de la doctrine du Maître.

Qu'ils veuillent bien agréer, ici, l'hommage de notre profonde gratitude pour la joie très vive qu'ils nous ont donné de goûter.

Au moment où ce recueil allait être livré au public…

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Message  Louis Jeu 20 Oct 2011, 5:07 pm


* * *

Au moment où ce recueil allait être livré au public de choix qui l'avait provoqué ou qui devait pouvoir s'y intéresser, des circonstances que nous aimons à considérer comme providentielles nous ont amené à entreprendre une œuvre que les amis de saint Thomas, connus ou inconnus, auxquels nous destinons ces Aperçus de philosophie thomiste et de propédeutique , nous sauront gré de leur signaler. Beaucoup d'entre eux, en effet, s'y trouveront directement intéressés, puisqu'il s'agit d'une mise à la portée du plus grand nombre possible, et dans des conditions de facilité ou d'agrément exceptionnelles, des œuvres originales du saint Docteur dans leur texte le plus pur et le plus authentique.

Depuis longtemps, nous avions entendu exprimer le désir de voir enfin paraître une édition du texte de saint Thomas qui fût abordable à tous ceux, dont le nombre grandit chaque jour, qui voudraient avoir ce texte entre leurs mains et en jouir à plein cœur. Il s'agissait du texte même du saint Docteur, dans sa teneur originale ; et même de son texte seul, dans sa pureté parfaite, dans sa simplicité, dans son intégrité, tel qu'il avait dû sortir de la plume ou des lèvres de saint Thomas dictant ou écrivant lui-même ses ouvrages. Et l'on voulait ce texte en un format qui permît de le manier aisément, de l'emporter avec soi, de le lire, de le savourer, de l'utiliser pour soi et pour les autres en vue d'une possession toujours plus parfaite de la doctrine du Maître par excellence que l'Eglise propose, de nos jours plus que jamais, aux esprits qui ont faim et soif de la grande vérité divine.

L'occasion, que nous avons appelée providentielle, de satisfaire un désir aussi louable, s'est présentée au lendemain des fêtes du VIecentenaire de la canonisation du saint Docteur et au cours de l'année 1925 où l'on devait célébrer le VIIe centenaire de la naissance de saint Thomas. M. André Blot, successeur de Roger et Chernovitz, comme éditeur de plusieurs manuels classiques, en usage dans les séminaires de France et de l'Étranger, se trouvait à Saint-Maximin le jour du 28 janvier, en la fête de la Translation des reliques de saint Thomas d'Aquin. Il nous fît part du dessein qu'il avait conçu d'éditer, pour les milieux ecclésiastiques, un manuel de théologie et de philosophie en harmonie parfaite avec la pensée de l'Église et les directions des Souverains Pontifes. Et il nous demanda si nous ne pourrions pas, à Saint-Maximin, nous charger de la rédaction de ces manuels.

Sur la remarque faite par nous que le manuel par excellence devait être assurément celui que saint Thomas lui-même avait rédigé à celte fin, et qui est, pour la théologie, sa Somme théologique, et, pour la philosophie, ses merveilleux Commentaires sur Aristote, nous convînmes de nous mettre à l'œuvre pour préparer une édition de ces deux grands ouvrages du saint Docteur qui permettrait de les placer entre les mains des étudiants catholiques du monde entier.

Les deux premiers volumes de cette nouvelle édition ont déjà paru. Ils comprennent la Prima Pars et la Prima-Secundæ de la Somme théologique. La Somme théologique tout entière formera six volumes. Nous espérons, s'il plaît à Dieu, que chaque nouveau volume pourra paraître dans un délai très rapproché. Après la Somme théologique, nous donnerons, en un volume, la Somme contre les Gentils. Et, tout de suite après, nous commencerons à publier les Commentaires sur Aristote. Les autres œuvres du saint Docteur viendront par ordre d'opportunité en vue de leur utilisation pour les intelligences qui veulent vivre de la pensée du Maître contenue comme en ses résumés par excellence dans les deux Sommes et dans les Commentaires sur Aristote.

Les règles qui président à cette nouvelle édition nous ont été tracées par le désir même qui l'a motivée et dont nous parlions tout à l'heure.

A cette fin, nous avons voulu que le format des volumes soit le plus facile à manier. C'est un vrai format de poche. Il fallait d'autre part éviter de multiplier les volumes, pour ne point perdre, en raison d'une trop grande multiplicité de volumes, l'avantage assuré par la réduction de format. Le but a pu être atteint exactement par la mise en usage d'un papier choisi tout exprès qui nous a permis de mettre toute la Prima Pars de la Somme théologique en un volume de 1400 pages, ne dépassant guère l'épaisseur de 2 centimètres. Une reliure simple, très élégante, achève de donner au volume l'aspect le plus attrayant en même temps que la forme la plus commode.

Ceci pourtant n'était encore que l'extérieur. Et nous voulions, par-dessus tout, que notre nouvelle édition se recommandât par la perfection du texte et l'harmonie des caractères.

Les caractères sont ceux de la maison Didot. Il eût été difficile d'en avoir qui fussent plus adaptés à la mise en valeur du texte qu'il s'agissait de faire lire.

Quant au texte lui-même, il est fixé avec un soin dont nous voudrions qu'il en assure une lecture parfaite.

Avant toutes choses, il fallait arrêter la teneur même du texte. Il existe désormais un travail réalisé sur ce point, qui jouit d'une autorité méritée. C'est le travail de l'édition léonine. Toute la Somme théologique a été publiée. On y trouve le texte du saint Docteur établi selon les règles d'une critique informée, attentive et compétente. Toutefois, parmi les variantes des divers manuscrits ou des diverses éditions, que l'édition léonine reproduit en note, distinctement de la leçon qu'elle a choisie elle-même, il en est qu'on garde le droit de préférer. Et il n'est pas rare, en effet, que nous acceptions telle ou telle autre leçon, de préférence. Parfois même, quand ces diverses leçons existantes se sont présentées comme inconciliables avec la pensée manifeste de saint Thomas, nous avons rétabli le texte dans sa pureté. Ceci est assurément fort rare. Mais certains cas se sont présentés dont nous signalons quelques exemples dans le Monitum qui ouvre le premier volume de notre nouvelle édition.

Le texte une fois établi, une seconde tâche s'offrait à nous, la plus importante, en un sens, et la plus délicate, celle à laquelle nous apportons le soin le plus attentif. Nous voulons parler de la disposition du texte et de la ponctuation. On sait qu'à l'époque où saint Thomas écrivait, l'ordonnance du texte et sa ponctuation étaient choses très secondaires. L'auteur qui écrivait ou dictait avait sa ponctuation dans son esprit, en ce sens qu'il coupait ses phrases, s'il avait à les dicter ou à les lire, selon que le sens l'exigeait. Mais on n'avait pas coutume de fixer, par des signes précis et détaillés, les nuances de la pensée qu'on portait lumineuse dans son esprit. De là, pour le texte de saint Thomas, dans les diverses éditions qui se sont succédé jusqu'à nos jours, une extrême diversité dans la manière de le ponctuer. Il est des éditions qui sont tout à fait défectueuses, au point d'altérer et de dénaturer le sens du texte par leur mauvaise ponctuation. Que de fois, au cours de notre carrière professorale où nous avions à lire, à expliquer le texte du saint Docteur que les étudiants avaient entre les mains, nous avons dû signaler de ces sortes d'altérations dues à une ponctuation défectueuse !

Même dans les éditions plus soignées où l'on s'est préoccupé de ponctuer le texte selon que le sens le demandait, il nous a souvent paru que des améliorations notables pouvaient être faites. Et, sans nous flatter d'apporter une ponctuation qui soit absolue de tout point, nous espérons que le lecteur trouvera, dans celle que nous donnons, une facilité de lecture où le sens et la pensée du saint Docteur éclateront en pleine lumière. N'a-t-on pas dit qu'une ponctuation bien faite équivaut à une sorte de Commentaire? Si cela est vrai de n'importe quel auteur, combien plus lorsqu'il s'agit d'une pensée comme celle de Thomas d'Aquin si ordonnée et si organique!

Est-ce à dire que même ainsi disposé le texte de saint Thomas se suffise absolument et ne demande aucune présenta¬tion ou explication complémentaire?

Ici, il importe de distinguer…

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Message  Louis Ven 21 Oct 2011, 10:10 am


Est-ce à dire que même ainsi disposé le texte de saint Thomas se suffise absolument et ne demande aucune présentation ou explication complémentaire?

Ici, il importe de distinguer.

Il est manifeste, en effet, dès l'abord, que ceux qui n'entendent pas le latin ne sauraient se contenter du seul texte de saint Thomas, écrit en latin. De toute nécessité, ils doivent recourir à une traduction ou à un commentaire, qui mette à leur portée, dans la langue qu'ils entendent, la pensée du saint Docteur.

Ceux-là même qui entendent le latin pourront avoir besoin d'une certaine initiation qui les familiarise soit avec la langue, le style, la méthode de saint Thomas, soit avec sa pensée. Toutefois, ceux-là, dès qu'ils auront été suffisamment initiés et entraînés, devront viser non seulement à recourir au texte du saint Docteur, dans la teneur de sa lettre, mais, selon qu'ils se perfectionneront dans le maniement de ce texte, à se renfermer en lui et à ne plus sortir de ses formules dorées.

Car rien, absolument, ne saurait être mis en comparaison avec la perfection de ce texte, avec la plénitude, la profondeur et la transparence de ces formules, dont le P. Lacordaire a pu dire que le style « fait voir la vérité dans les plus grandes profondeurs comme on voit les poissons au fond des lacs limpides ou les étoiles au travers d'un ciel pur ; style aussi calme qu'il est transparent, où l'imagination ne paraît pas plus que la passion, et qui cependant entraîne l'intelligence. Il y règne une telle maîtrise, une telle possession de la vérité, que — dirons-nous encore avec le P. Lacordaire, « quand on a étudié une question, même dans de grands hommes, et qu'on recourt ensuite à cet homme-là, on sent qu'on a franchi plusieurs orbes d'un seul coup et que la pensée ne pèse plus » (Mémoire pour le rétablissement des Frères Prêcheurs).

Cette jouissance, nous y insistons, ne peut être goûtée pleinement qu'à la condition de savoir préférer le texte de saint Thomas, et son texte seul, dans son absolue pureté, absolument à tout, dans l'ordre de l'exposé philosophique et théologique. Suivant le beau mot de Sa Sainteté le pape Pie XI, « Thomas d'Aquin a reçu le charisme de la pensée. Nul n'enrichit et forme l'esprit comme lui ».

Aussi bien nous voudrions que tous ceux qui peuvent recourir au texte du saint Docteur — c'est-à-dire, en fait, tous ceux qui entendent le latin, soit dans le monde universitaire, soit dans le monde ecclésiastique, soit même parmi les personnes du dehors qui ont le goût de l'étude, — tous se mettent en mesure de goûter ainsi saint Thomas dans son texte.

Très spécialement, nous formons ce vœu pour la jeunesse studieuse des Séminaires et des Universités. C'est directement à leur intention que nous avons entrepris la nouvelle édition des œuvres de saint Thomas. Nous avons voulu que chacun pût avoir, à son usage personnel, avec une facilité de maniement exceptionnelle, le texte du saint Docteur. Les derniers Souverains Pontifes, surtout depuis Léon XIII, ont manifesté maintes fois leur désir, leur volonté même de voir la Somme théologique devenir le manuel des étudiants dans les Universités et dans les Séminaires. La Sacrée Congrégation des Études, consultée à cette fin, a répondu que la volonté des Souverains Pontifes, notamment de Sa Sainteté le pape Pie X, dans son Motu proprio « Doctoris Angelici », était que dans les Universités on devait avoir la Somme théologique comme livre de texte en tout ce qui est de l'exposé doctrinal. Un nouveau décret de la Sacrée Congrégation, publié dans les Acta Apostolicae Sedis du mois de décembre 1925, précise, dans son formulaire, que la Somme théologique-doit être le livre de texte que les étudiants auront entre leurs mains, non seulement dans les Universités, mais aussi dans les Séminaires où l'on donne les grades académiques. Le désir de l'Église est, à n'en pas douter, que dans les milieux où l'on cultive la théologie, le texte de la Somme soit entre toutes les mains.

A côté de ce livre de texte, il est également prescrit d'avoir un livre d'information pour tout ce qui regarde la partie positive, historique, polémique. Les deux se compléteront excellemment sous la direction des maîtres pour former des théologiens tels que l'Église les veut en ce moment de disette, de famine intellectuelle, où les fidèles et les hommes du dehors attendent du prêtre catholique le pain substantiel de la vérité.

Ce programme, tracé par la sainte Église,…

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Message  Louis Ven 21 Oct 2011, 10:46 am

Ce programme, tracé par la sainte Église, nous a paru devoir se réaliser plus excellemment en procurant aux étudiants des Séminaires et des Universités un texte de la Somme, et, dans la mesure où leur goût les porterait à y recourir aussi, des autres œuvres de saint Thomas, qui fût, nous l'avons dit, d'une pureté parfaite, d'un maniement aisé, et qui se présentât sans aucune addition de quelque nature qu'elle pût être. Les explications ou les suppléments d'information doivent être réservés au professeur, qui, lui-même, pourra s'aider, à son choix, de tel ou tel livre, de tel ou tel manuel déjà existant, ou qu'il rédigera lui-même s'il l'estime préférable. De la sorte, ce qui est de saint Thomas demeure inviolé et pur de toute surcharge et de toute altération, représentant ce qu'il y a de permanent, d'immuable, de haute et sereine et souveraine exposition doctrinale, dans la pensée catholique; et, cependant, pleine satisfaction sera donnée à la légitime activité des maîtres en même temps qu'aux justes exigences de la critique, de l'histoire, de la polémique, de tout ce qui regarde le côté information ou érudition dans les disciplines ecclésiastiques.

Parmi les explications ou informations complémentaires destinées à accompagner, sur les lèvres du professeur ou dans les livres supérieurs auquels on recourra, le texte de la Somme présenté en lui-même dans son absolue pureté, il en est qui seront particulièrement utiles ou nécessaires, en vue de ce texte lui-même et pour sa parfaite intelligence. Nous voulons parler des explications philosophiques. Rien n'est plus indispensable à l'intelligence de la Somme théologique et de toutes les œuvres de saint Thomas, qu'une saine philosophie possédée aussi excellemment qu'il sera possible.

Sa Sainteté le pape Pie XI, dans son Encyclique du Ier août 1922 sur les études ecclésiastiques, définissait la théologie : une application de la philosophie aux choses de la foi. Et, en effet, la vraie théologie, la théologie qui ne se confond pas avec l'histoire des textes ou des doctrines, comme le remarquait encore le Souverain Pontife lui-même dans l'Encyclique dont nous venons de parler, n'est pas autre chose que cette application constante de la philosophie ou des hautes doctrines de la raison humaine aux choses de la foi, aux données de la Révélation, aux articles mêmes du symbole. Cela est vrai surtout de la théologie de saint Thomas dans tous ses ouvrages, et, très spécialement, dans sa Somme théologique.

Encore est-il que ce n'est point n'importe quelle philosophie que saint Thomas, dans son œuvre, a utilisée pour l'appliquer aux choses de la foi et en constituer sa théologie, cette théologie qui devait être proclamée, par les Souverains Pontifes, la théologie même de l'Église : Thomæ doctrinam Ecclesia suam propriam edixit esse (cf. Benoît XV, encyclique Fausto appetente die, 29 juin 1921). La philosophie dont il use, celle qu'il suppose connue de ceux à qui il s'adresse, celle qu'il tient pour l'expression de la vérité humaine et qu'il met au service de la foi, c'est la philosophie aristotélicienne. Il la possède lui-même avec une telle perfection, il la manie avec une telle aisance, que c'est à chaque instant et à propos de tout qu'il en évoque les principes essentiels ou les points de doctrine fondamentaux. Dès lors, il devient évident que pour le suivre clans son exposé théologique, pour avoir le sens précis et saisir la portée de ses formules, de ses démonstrations, une connaissance suffisante de la philosophie aristotélicienne est absolument indispensable.

Et qu'on veuille bien le remarquer. Ce n'est pas au moment où on lit le texte de la Somme et à l'occasion de ce texte, que doit se faire normalement l'explication philosophique exigée pour l'intelligence de ce texte. Il faut, sous peine d'être arrêté à chaque pas et de ne marcher que dans l'ombre ou l'obscurité, posséder, au préalable, dans son ensemble, la connaissance suffisante de la philosophie que suppose saint Thomas.

Assurément, le moyen par excellence de la posséder telle que saint Thomas la suppose est d'aller s'en pénétrer dans saint Thomas lui-même, là où il l'a exposée ex professo. Car cet exposé, fait par lui, existe….

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Message  Louis Sam 22 Oct 2011, 8:13 am

Assurément, le moyen par excellence de la posséder telle que saint Thomas la suppose est d'aller s'en pénétrer dans saint Thomas lui-même, là où il l'a exposée ex professo. Car cet exposé, fait par lui, existe. Et il n'est pas autre que ses merveilleux commentaires sur toute l'œuvre philosophique d'Aristote. De là notre désir très vif de voir introduire, dans les Universités et les Séminaires, comme livre par excellence de philosophie, ces commentaires mêmes de saint Thomas sur Aristote. C'est dans ce but que nous nous proposons de publier, dès que les deux Sommes auront paru, selon la même méthode et dans le même format, le texte de ces Commentaires. En attendant, nous nous permettons d'offrir aux professeurs de philosophie thomiste, comme instrument de travail pour leurs étudiants, à côté des autres travaux plus détaillés et plus techniques, mais moins préoccupés peut-être de résumer, dans ses grandes lignes, selon son économie organique, la pensée authentique et toute pure d'Aristote vue à la pleine clarté de l'interprétation thomiste, ce modeste volume de nos Aperçus.

Comme nous l'avons déjà fait remarquer, ils ne constituent pas un traité proprement dit de philosophie thomiste et de propédeutique. Et, à ce titre, ils ne visent pas à supplanter ou à remplacer les excellents manuels de philosophie qui ont cours dans les Séminaires ou les Universités. Leur ambition se limite à présenter un exposé sommaire, mais suffisant, croyons-nous, pour initier à ce que nous appellerions l'âme de la pensée aristotélicienne-thomiste, en vue surtout de préparer à la lecture et à l'étude de la Somme théologique ou des autres œuvres de saint Thomas étudiées directement dans leur texte.

Leur caractère même de notes rédigées en vue de conférences à donner devant un public du dehors extrêmement varié pourra paraitre un garant de simplicité, d'ordre et de clarté pour que tous les esprits y trouvent, mis à leur portée, ce premier aliment intellectuel destiné à faire goûter, dans toute sa saveur, le pain de la doctrine qu'on ira chercher directement dans les œuvres théologiques de saint Thomas, notamment dans la plus excellente de toutes, sa Somme théologique.

A cette fin, nous avons appuyé plus spécialement sur l'exposé de ce qui touche à la raison en elle-même et à la considération de l'ordre des choses vu à la lumière de la raison philosophique aristotélicienne. C'est, du reste, ce qu'il y a de plus important dans cette philosophie, soit qu'on la considère en elle-même, soit qu'on la prenne à titre de préparation théologique. Contrairement à la critique kantienne, la saine raison proclame que la raison pratique dépend de la raison pure; et non, inversement, la raison pure de la raison pratique. Aussi bien, est-ce à étudier, par la raison pure, l'ordre des choses, que s'applique d'abord la philosophie aristotélicienne-thomiste. Et, sur cet ordre des choses connu par la raison pure, elle fixe, dans le domaine de la raison pratique, l'ordre de l'agir moral humain.

Cet ordre de l'agir moral humain est commandé tout entier, sous son triple aspect d'Éthique, d'Économique et de Politique, par la fin de l'individu humain et par le mode dont cet individu humain vient à l'être. A cette double considération se rattache la clef d'or, qui permet de résoudre, en l'harmonisant d'une façon merveilleuse, l'éternel problème des rapports de l'individu et de la société, dénaturés comme à plaisir dans les doctrines de la philosophie moderne, surtout depuis Rousseau. Nous nous sommes appliqué, dans la partie morale, à mettre en vive lumière ce point de doctrine essentiel et qui, nous l'avons dit, commande tout dans cette partie de la philosophie.

Pour la propédeutique, nous l'avons ramenée, elle aussi, à la considération essentielle ou centrale, d'où tout le reste dépend, et qui simplifie excellemment toute l'économie de cette discipline : la considération de la société, absolument unique et sans comparaison possible avec rien d'autre, que constitue le fait catholique sous sa raison de témoins qui portent un témoignage donné par eux comme divin, et de fidèles qui acceptent ce témoignage, purement et simplement, tel que les témoins le proposent et l'imposent au nom même de Dieu.

* * *
Nous voudrions que ces simples Aperçus

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Message  Louis Dim 23 Oct 2011, 6:55 am

* * *

Nous voudrions que ces simples Aperçus contribuassent, pour une part si minime soit-elle, à faire mieux connaître, soit parmi les intelligences du dehors, soit parmi la jeunesse studieuse des Universités et des Séminaires, la pensée philosophique d'Aristote interprétée à la lumière de saint Thomas, et, du même coup, à faciliter à tous l'accès du chef-d'œuvre par excellence de la pensée humaine mise au service de la foi : la Somme et l'œuvre théologique de Thomas d'Aquin.

L'accès direct à la Somme théologique a été facilité, ces derniers temps, et l'est encore tous les jours, par de nombreux travaux. Pour notre modeste part, nous nous sommes appliqué à réaliser cette fin par divers ouvrages, gradués selon les possibilités des diverses catégories de lecteurs. Celui que nous signalerons comme pouvant être utilisé par tous est La Somme théologique de saint Thomas d'Aquin en forme de catéchisme pour tous les fidèles. Un double Extrait de ce livre a mis la doctrine essentielle de la Somme théologique à la portée même des enfants. Quant à ceux qui désireraient recourir au chef-d'œuvre de saint Thomas dans sa teneur complète, ils en auront la facilité dans le Commentaire français littéral de la Somme théologique dont les derniers volumes sont en cours de publication.

Cet ouvrage ne donne pas le texte latin de la Somme. Mais il en est la traduction littérale complète. Son caractère distinctif est de fournir la traduction du texte dans sa littéralité la plus rigoureuse : de telle sorte que la pensée du saint Docteur s'y retrouve sans l'ombre d'une altération. Toutefois, pour obvier à l'écueil d'une traduction purement matérielle, qui courrait le risque d'être peu attrayante et de ne pouvoir se prêter à une lecture suivie, notamment pour ceux du dehors, la traduction se trouve éclairée, à chaque pas, et mise en relief par un commentaire qui, d'une certaine manière, ne fait qu'un avec elle. La pensée du saint Docteur a pu être, ainsi, à chaque instant, exposée et mise en valeur pour ceux qui n'auraient pu, par eux-mêmes, en pénétrer tout de suite la plénitude de sens.

Nous nous permettons de signaler, pour l'utilisation de cet ouvrage, une expérience qui nous avait été communiquée et dont nous avons été l'heureux témoin à plusieurs reprises. Le Commentaire, dès son premier volume, fut conçu, nous en précisions tout à l'heure la formule, en vue d'être une explication littérale du texte de saint Thomas dans sa totalité. Il assumait le rôle du professeur qui aurait pour but de lire la lettre même de la Somme théologique en présence d'un public, cultivé sans doute, mais nullement spécialiste. A cette fin, il ne laissait rien de ce qui aurait pu arrêter le lecteur du dehors, sans l'éclaircir dans la mesure du possible; et, par-dessus tout, il s'attachait à montrer le lien qui unissait entre elles jusqu'aux moindres parties de l'œuvre immense. Et, aussi bien, est-ce pour cela que le Commentaire a pu être utilisé, sous forme de lecture publique, dans les milieux les plus étrangers au langage technique ou aux subtilités de l'École. En raison même de l'heure propice où se créent et se multiplient, un peu partout, dos cercles thomistes, jusque dans le monde, sans en excepter les milieux féminins, l'utilisation du Commentaire pour la fin que nous signalons nous paraît devoir être des plus précieuses.

Elle entraînera nécessairement, pour tous ceux qui auront la facilité de recourir ensuite au texte latin, la mise à profit de ce texte. Et c'est à ceux-là que nous dédions, très spécialement, la nouvelle édition du texte latin que nous venons d'entreprendre.

Pour préparer plus immédiatement à la lecture du texte latin, dans sa seule teneur, nous avons voulu publier à part, en une plaquette d'une centaine de pages, l'opuscule de saint Thomas qui a pour titre De ente et essentia. Il est classique dans l'École. On le regarde, à juste titre, comme le programme génial, tracé par le saint Docteur, au début de sa carrière professorale, de tout son enseignement. Celui qui posséderait à la perfection, dans la littéralité de son texte et dans le sens de la pensée qu'il nous livre, les quelques pages de cet opuscule, aurait la clef de toute l'œuvre de saint Thomas. D'autre part, il est facile d'apprendre, même à la lettre, le texte latin de ces quelques pages. Nous le reproduirons intégralement dans notre plaquette. En face du texte latin, nous donnerons la traduction française littérale. Et, en quelques pages qui suivront, nous mettrons en relief sa haute doctrine.

Comme introduction générale, doctrinale et historique, ou même polémique, à toute l'œuvre de saint Thomas, nous recommanderons très spécialement le volume de l'Initiation thomiste.

Fr. THOMAS-M. PÈGUES, 0. P.,

Maître en Théologie.

Saint-Maximin, en la fête de saint Thomas d'Aquin, 7 mars 1927.
A suivre : Critique et Méthode. – I. LA RAISON

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Message  Louis Lun 24 Oct 2011, 6:32 pm



CRITIQUE et MÉTHODE


I. LA RAISON

Une étude s'impose à nous dès l'abord. Elle s'imposerait, de soi, indépendamment de toutes circonstances d'actualité. Mais l'état des esprits, dans l'ordre surtout de la pensée philosophique universitaire, rend encore plus pressant, plus indispensable, le devoir de ne pas nous livrer aux recherches qui nécessiteront constamment la mise en œuvre de notre raison, sans nous être demandé auparavant quelle est, en soi, quelle sera, dans ces recherches, la valeur de notre raison elle-même. C'est l'objet de ce qu'on est convenu d'appeler aujourd'hui, surtout depuis le règne de la philosophie kantienne, la critique de la raison.

Nul n'ignore que les résultats de cette critique ont paru, un moment, compromettre la solidité de tout l'édifice de nos connaissances. La raison était tenue, est tenue encore par de nombreux esprits, pour à peu près incapable de nous donner aucune certitude. On distinguait, il est vrai, entre ce qu'on appelait du nom de raison pure et ce qu'on appelait du nom de raison pratique, afin de rétablir à l'aide de cette dernière raison ce qu'on ne croyait plus pouvoir sauver à l'aide de la première. Mais outre que la distinction était mal fondée ou mal expliquée, elle était d'une efficacité plus que douteuse pour le but qu'on désirait atteindre.

Aussi bien n'était-il pas rare de se trouver en présence d'esprits sincères, mais déconcertés, qui, ne croyant plus pouvoir rien espérer de la raison, et voulant cependant échapper à la ruine de toute vie spirituelle, se jetaient éperdument dans le fidéisme le plus aveugle.

Voici l'extrait d'une lettre qui nous fut adressée par l'un de ces esprits :

« En appeler à la raison pour établir quoi que ce soit, notamment dans l'ordre de la vérité religieuse, est une entreprise chimérique, vouée d'avance à l'échec. Il n'y a qu'une sécurité, dans l'ordre qui lui est propre et qui est l'ordre de la foi, auquel appartiendra la religion; c'est l'autorité de l'Église. — Qu'on ne puisse en appeler à la raison, notamment sur la question de la religion, c'est que les bases invoquées par nous sont aujourd'hui démolies, au nom même delà raison; telle l'idée de justice, fondée sur la notion du bien et du mal ; telle aussi l'idée de formes pures, trituration de l'idée de forme, qui n'est qu'une vaine abstraction, ne reposant absolument sur rien. A notre manière de concevoir l'énigme universelle peut s'en opposer une autre : la seule matière source de tout; la marche de l'univers sans but; l'esprit humain fonction accidentelle de la vie cérébrale, — système qui se défend aussi bien que tout autre, si l'on n'admet que la raison. — Il est impossible de laisser dire qu'au nom de la raison il en est différemment, et de laisser supposer qu'il existe quelque part un critérium de ce nom, auquel on peut tout rapporter, et que ce critérium appartient à l'un plutôt qu'à l'autre. — Il convient, en effet, d'être averti des critiques serrées et sans doute définitives qui ont été faites sur le mécanisme de notre raison et sur les limites qu'elles lui ont assignées. Ces critiques, ce sont les athées qui les ont faites, et si bien qu'ils ont ruiné toutes les conclusions qu'on voulait imposer au nom de la prétendue raison, et non seulement dans la scolastique, mais encore dans les sciences exactes ».

Nous prîmes la liberté de répondre à notre distingué correspondant…


Dernière édition par Louis le Jeu 03 Nov 2011, 12:07 pm, édité 1 fois (Raison : ajout du titre : Critique et Méthode)

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Message  Louis Mar 25 Oct 2011, 5:14 pm

I. LA RAISON (suite)

Nous prîmes la liberté de répondre à notre distingué correspondant : Si ce que vous dites est vrai, si « par les critiques serrées et sans doute définitives qu'ont faites les athées du mécanisme de notre raison, se trouvent démolies toutes les bases des conclusions qu'on voudrait imposer au nom de la prétendue raison », — sur quoi vous appuierez-vous pour imposer quelque chose?

Sur la foi?

Mais qu'est-ce que la foi? — La croyance à la parole de Dieu proposée avec autorité par l'Église. — Or, vous ne savez, et ne pouvez savoir — en vertu de la démolition susdite — ni si Dieu existe, ni s'il a parlé, ni ce qu'est l'Église, ni ce que vous êtes vous-mêmes, ni même si vous êtes.

C'est le trou noir du nihilisme pur et simple.

Mais, au fait, puisque « les athées ont ruiné toutes les conclusions qu'on voudrait imposer au nom de la prétendue raison » et qu' « on ne peut laisser dire ou supposer qu'il existe quelque part un critérium de ce nom auquel on puisse tout rapporter », — sur quoi repose leur démolition? Est-ce avec leur raison et en s'appuyant sur un critérium de ce nom qu'ils ont démoli ? Si oui, donc un critérium existe. Si non, leur démolition n'est qu'une démolition en peinture; et nous pouvons nous rire de leur prétention.

Par ce simple extrait d'une correspondance toute récente, on peut se rendre compte de l'opportunité de l'étude que nous abordons en ce moment. Il n'en est pas qui s'impose à nous avec plus de rigueur.

Cette étude est d'ailleurs du plus haut intérêt pour la nature du résultat auquel elle aboutit. Nous venons de l'entendre : on nous parle de « critiques serrées et sans doute définitives qui ont été faites sur le mécanisme de notre raison et sur les limites qu'elles lui ont assignées », critiques « si bien faites par les athées qu'ils ont démoli toutes les conclusions qu'on voulait imposer » jusqu'alors « au nom de la prétendue raison, et non seulement dans la scolastique, mais encore dans les sciences exactes ».

Nous pouvons laisser aux « savants » le soin de venger la raison dans leur domaine et la valeur des conclusions d'ordre scientifique qu'ils établissent en son nom.

Plaçons-nous dans le domaine ou sur le terrain de la raison en elle-même, ou de la raison toute pure, qui est d'ailleurs le domaine le plus haut, duquel relèvent tous les autres, dans l'ordre humain.

Et, à considérer, de ce chef, la raison, à étudier son mécanisme, à fixer sa valeur par une critique aussi serrée, assurément, et plus définitive que celle dont on nous parlait tout à l'heure, nous aboutissons à celte constatation —je ne dis même pas conclusion, tant l'évidence en est toute première, — que notre raison est faite pour le vrai, et que d'elle-même elle nous le livre nécessairement, pourvu seulement que nous ne faussions pas son mécanisme.

Qu'est-ce, en effet, que la raison? quel est son mécanisme? comment ce mécanisme fonctionne-t-il? où se trouve la possibilité de le fausser?

Notre dessein n'est pas d'étudier, en ce moment, la raison, considérée du point de vue proprement psychologique…

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Message  Louis Mer 26 Oct 2011, 8:19 am

I. LA RAISON (suite)
Notre dessein n'est pas d'étudier, en ce moment, la raison, considérée du point de vue proprement psychologique, ou dans ses rapports avec l'âme humaine dont elle constitue la faculté royale. Celte étude viendra, quand nous nous occuperons de l'ordre des choses et de la nature des êtres, parmi lesquels nous nous trouvons nous-mêmes.

Pour le moment, considérons la raison dans son fonctionnement, si je puis ainsi dire, ou dans sa mise en œuvre, alors qu'elle produit son acte, ou plutôt comme acte produit par nous.

Cet acte de la raison se distingue de l'acte des sens. Autre chose est voir, entendre, toucher; autre chose raisonner ou comprendre. L'animal voit, entend; il ne comprend pas, il ne raisonne pas, au sens très spécial où nous prenons ces termes et où nous les disons, quand il s'agit de nous. Je vois telle couleur, j'entends tel son, je touche tel corps. Je comprends une proposition; par exemple que deux et deux font quatre; qu'un tout est plus grand que sa partie et toutes autres propositions qui entraînent immédiatement l'adhésion de mon esprit. Si je ne comprends pas tout de suite telle proposition, je demande qu'on me l'explique, qu'on me la prouve, qu'on m'en donne la raison, c'est-à-dire le pourquoi ; et quand cette raison, ce pourquoi m'est donné tel que mon esprit le voulait, aussitôt je me rends, j'adhère à la proposition que je ne comprenais pas d'abord. Grâce à cette raison ou à ce pourquoi qui m'a été donné, maintenant je comprends. Si, par exemple, on me dit que la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre, et que, ne comprenant pas tout de suite peut-être, je demande pourquoi ; si l'on me dit : Parce que tout autre chemin que celui de la ligne droite entraîne un détour qui allonge le chemin, sur cette raison qui m'est donnée je comprends et j'adhère sans réserve à la première proposition dont la vérité ne m'apparaissait pas tout d'abord. Dans ce cas, je suis arrivé à comprendre par voie de raisonnement.

Donc comprendre et raisonner sont des actes qui nous appartiennent en propre, distincts d'autres actes qui nous appartiennent aussi, mais qui nous sont communs avec les animaux sans raison.

Mais que sont bien ces actes de comprendre et de raisonner qui sont en nous, qui constituent notre vraie vie pour autant qu'elle se distingue de celle de l'animal?

Pour l’entendre…

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Message  Louis Mer 26 Oct 2011, 12:29 pm

I. LA RAISON (suite)
Pour l'entendre, il nous faut évidemment comparer l'acte du sens et celui de la raison.

L'acte du sens, à parler d'abord de son côte extérieur, est multiple. Il consiste à voir des couleurs, à entendre des sons, à sentir des parfums, à goûter des saveurs, à expérimenter, par le toucher, les qualités sensibles des corps qui nous entourent. Toutes ces perceptions d'ordre extérieur se concentrent au-dedans de nous, et nous pouvons les retrouver, d'une certaine manière, même si nos sens extérieurs ne sont plus en exercice. Après avoir vu un tableau, ou un paysage, même si nous fermons les yeux, ou si le paysage, le tableau ne sont plus là devant nous, il nous est possible de les avoir sous forme d'image conservée dans notre imagination et notre mémoire.

Jusqu'ici il n'y a pas eu acte de raison. Tous les actes que nous venons de dire peuvent se trouver, même celui de l'imagination ou de la mémoire, dans l'animal sans raison.

Où donc sera d'abord l'acte de raison, qui distingue l'homme de l'animal?

Le voici. Et nous sommes déjà au cœur de notre sujet. L'acte où, d'abord, apparaît la raison et par où l'homme se distingue essentiellement de l'animal, sans que jamais ils puissent se confondre, est celui qui n'a plus pour objet, comme tout à l'heure, des couleurs, des sons, des parfums, des saveurs, des qualités sensibles, ou les images de tout cela ; — mais des choses, et des choses, comme telles, si l'on peut ainsi dire ou sous leur raison la plus générale de choses ou réalités. Toute réalité , quelle qu'elle soit, sous sa raison de réalité, peut être perçue par notre raison et constitue son objet.

Avec ceci pourtant, que notre raison perçoit d'abord la réalité ou les réalités qui sont d'ordre sensible. Non pas qu'elle les perçoive avec leur caractère de choses sensibles comme telles. Comme telles, le mot même l'indique, elles sont perçues par les sens. Ce sont les sens, nous venons de le dire, qui perçoivent la couleur, le son, l'odeur, la saveur, les qualités tangibles qui rendent ces réalités sensibles. Mais, sous le caractère de réalités sensibles , elles portent, inaccessible aux sens, leur caractère de réalités tout court, si l'on peut ainsi dire.

C'est ce caractère de réalités tout court, qui sera l'objet propre de la raison.

On ne veut pas dire autre chose, quand on dit que la raison a pour objet propre ce qui est, ou encore, d'un seul mot, l'être.

Mais puisque la raison a pour objet ce qui est, comme la vue a pour objet la couleur; et l'ouïe, le son; ou l'odorat, le parfum, — n'est-il pas de toute évidence que la raison percevra ce qui est, comme la vue perçoit la couleur, et l'ouïe le son, et l'odorat le parfum? Et de même que l'œil et l'oreille, s'ils sont sains et dans les conditions voulues pour voir et pour entendre, ne se tromperont jamais dans la perception de la couleur ou du son ; de même la raison, si elle est saine et qu'elle soit dans les conditions normales pour exercer son action selon qu'il convient à la raison de l'homme, ne se trompera jamais dans la perception de la réalité, de ce qui est, de l'être.

Oui; — mais…

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Message  Louis Mer 26 Oct 2011, 8:32 pm

I. LA RAISON (suite)
Oui; — mais quelles sont, quelles doivent être les conditions normales de la raison de l'homme dans l'exercice de son acte?

C'est pour avoir mal précisé ces conditions que la critique moderne a abouti aux résultats négatifs que nous signalions tout à l'heure.

Aristote et saint Thomas n'avaient pas ignoré le problème. Ils l'avaient même résolu en pleine clarté.

La clef de cette solution nous est donnée par saint Thomas dans une parole vraiment d'or, qu'il faut retenir. Le saint Docteur nous dit quelque part que « notre raison a son origine dans le sens : ratio nostra ortum habet a sensu. ». Dans ce texte, le mot raison est pris dans le sens où nous l'entendons maintenant, au sens d'acte de la raison. Si on l'entendait, en effet, au sens de la raison considérée comme faculté de l'âme, ce serait une erreur, qui conduirait au matérialisme le plus grossier. Considérée comme faculté de l'âme, la raison ne dépend en rien du sens. Elle lui est de tout point supérieure, étant d'ordre métaphysique et spirituel, tandis que le sens est d'ordre physique et corporel, comme nous aurons à l'expliquer plus tard.

Mais comme acte de connaître, ou comme mise en œuvre de la faculté spirituelle, comme fonctionnement de cette faculté, la raison dépend du sens de la manière la plus absolue, dans l'ordre naturel. Et cela veut dire que, naturellement parlant, nous n'avons ni ne pouvons avoir aucun acte de raison sans le concours des sens. Bien plus, c'est par le sens que commencent toutes nos connaissances; et nos connaissances les plus spirituelles porteront toujours en elles la marque ou l'empreinte des connaissances sensibles qui les ont précédées, dont elles sont une émanation en quelque sorte.

II suffît, pour bien entendre cette doctrine si féconde et en saisir la justification immédiate…

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Message  Louis Jeu 27 Oct 2011, 8:45 am

I. LA RAISON (suite)
II suffît, pour bien entendre cette doctrine si féconde et en saisir la justification immédiate, de prendre garde au rapport qui existe, dans nos connaissances, entre l'image et l'idée d'une chose ou d'un objet quelconque perçu par nous. L'image se présente à nous sous une forme concrète, précise : c'est l'image de ce livre, de cette table, de cet arbre, avec leurs dimensions, leur couleur et autres particularités saisies d'abord par nos sens et conservées fidèlement ou combinées entre elles dans notre imagination. L'idée, au contraire, ne porte avec elle aucune de ces particularités. L'idée de livre, l'idée de table, l'idée d'arbre est dégagée de toute dimension déterminée, de toute couleur, de toute condition la limitant à tel livre, à telle table, à tel arbre. Elle comprend et dit quelque chose qui n'est déterminément ou exclusivement ni ce livre, ni tel autre, ni cette table, ni telle autre, ni cet arbre, ni tel autre; mais qui cependant se retrouve en tout livre, en toute table, en tout arbre. C'est un quelque chose de très réel dans tout livre, dans toute table, dans tout arbre. C'est même ce qu'il y a de plus réel et qui demeure toujours tant que le livre est livre, tant que la table est table, tant que l'arbre est arbre, quelles que puissent être les modifications ou les altérations qui peuvent s'y produire en tant que tel livre, telle table, tel arbre. Ce quelque chose de commun à tout livre, à toute table, à tout arbre, c'est cela même qui constitue l'idée de livre, l'idée de table, l'idée d'arbre.

Et c'est cela même qui est l'objet de la raison.

Mais qui ne voit que cet objet de la raison n'est pas autre que l'objet du sens dépouillé de ses caractéristiques propres comme objet du sens? Tout ce qui est dans l'idée est dans l'image ou dans l'objet extérieur que les sens ont perçu d'abord; mais cela se trouve dans l'idée autrement que dans l'image et dans l'objet extérieur. Et quand nous disons autrement, nous ne voulons pas dire que ce soit modifié dans ce qui le constitue comme réalité ou comme objet; non, puisque ce qui est dans l'idée de livre, de table, d'arbre est bien cela même qui est dans le livre, dans la table, dans l'arbre.

Mais nous voulons dire que dans l'idée cela se trouve dépouillé des conditions particulières qui dans tel livre, dans telle table, dans tel arbre, le limitent ou le déterminent à ce livre exclusivement, à cette table, à cet arbre.

Cette différence que nous venons de marquer…


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Message  Louis Ven 28 Oct 2011, 2:07 pm

I. LA RAISON (suite)
Cette différence que nous venons de marquer se retrouve en toutes nos perceptions sensibles et en toutes nos idées. Il n'est pas une de nos perceptions sensibles ou des images qui en résultent qui n'ait le caractère de particularité que nous venons de dire. Il n'est pas une de nos idées, pas une des perceptions de notre raison, qui n'ait le caractère de dégagement ou d'abstraction dont nous venons de parler.

Il faut d'ailleurs ajouter encore que, dans la genèse de nos idées, nous suivons l'ordre ou la gradation de nos perceptions sensibles. La première de toutes nos idées, celle qui, à défaut d'autre, se présentera toujours, dès que nous ferons acte de connaissance à la suite d'une perception sensible ou d'une mise en activité de nos sens par un objet sensible quelconque, c'est précisément cette idée de chose abstraite ou dégagée de cette chose-là ou de cet objet, quel qu'il soit, qui aura frappé nos sens. Car si tout livre convient dans l'idée de livre, toute table dans l'idée de table, tout arbre dans l'idée d'arbre, toute chose, toute réalité qui est, tout objet convient dans l'idée de chose, de réalité, d'objet, de chose qui est, d'être, en un mot.

Et cette idée contient tout, puisqu'en dehors d'elle il n'y a que l'idée de non-chose, de non-être, de néant, de rien.

Mais si elle contient tout, elle contient tout sans rien préciser déterminément. L'idée de chose, en effet, ne dit point, d'elle-même, telle chose déterminément, non pas seulement telle chose au sens particulier dont nous parlions tout à l'heure quand il s'agissait de l'image, mais même telle chose au sens de nature déterminée, au sens de pierre, au sens d'arbre, au sens d'animal, au sens d'homme.

Toutes ces idées plus déterminées pourront venir et devront venir à mesure que se perfectionnera la connaissance de l'acte de notre raison. Car si l'acte de notre raison en restait à cette idée de chose tout à fait générale, à cette idée d'être, qui est la première de toutes ses idées, dans sa généralité indistincte, il serait tout ce qu'il y a de plus imparfait. Et il se perfectionne précisément à mesure que se distinguent en lui et par lui les divers êtres ou les diverses choses, non pas dans l'ordre des individus, mais dans l'ordre des catégories ou des degrés d'être.

Mais, parce que ce progrès ou ce perfectionnement de notre acte de raison se fait par une précision successive et graduée des diverses idées, à partir de la plus générale qui est l'idée d'être ou de chose, jusqu'aux idées distinctes pour chaque catégorie d'êtres ou de choses, qui composent l'ensemble des divers êtres ou des diverses choses dans leur hiérarchie, — à cause de cela il faudra qu'à mesure qu'il acquerra de nouvelles idées ou de nouveaux aspects de la réalité, il prenne garde à les bien saisir dans leur ordre.

Prenons, par exemple…

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Message  Louis Sam 29 Oct 2011, 8:21 am

I. LA RAISON (suite)

Prenons, par exemple, cet être qu'est l'homme, abstrait d'ailleurs ou dégagé de tel individu humain dans lequel il est réalisé. À le considérer ainsi dans son idée propre, dans son idée d'homme, on y distingue l'idée de chose, ou de réalité, d'être, dont nous parlions tantôt, qui est à la base et au commencement de toutes les idées subséquentes plus déterminées; puis, l'idée de chose vivante; puis, l'idée de chose ou d'être sensible; enfin, l'idée d'être raisonnable. Pour avoir, dans sa réalité, l'idée d'homme, il ne suffira pas de l'une quelconque de ces idées; il les faudra toutes. Et il les faudra ordonnées entre elles, dans la gradation qui leur convient. Notre acte de raison, pour être parfait, devra se plier à toutes ces conditions, suivre et fournir toutes ces étapes. Et c'est la perception successive de ces diverses idées, c'est leur ordonnance logique pour aboutir à la découverte de ce qui est l'idée propre de chaque catégorie d'êtres, qui constitue tout le travail de notre raison dans son acte de raison humaine.

Elle procède essentiellement par voie d'abstraction, par voie d'abstraction portant sur les images venues des sens et causées par les réalités du monde sensible. Dans ce procédé d'abstraction, il n'est rien d'elle, comme condition préalable à son acte, que la faculté d'abstraire. Elle ne porte pas en elle son objet ou ce qui sera l'idée qui l'occupera et dont elle vivra. Cette idée lui vient tout entière, en ce qui est de ses notes distinctives, du dehors, par la voie des sens, et selon que les objets ou les choses agissent sur ces sens. Si la raison a une part d'action dans la constitution de cette idée, ce n'est point pour lui donner ses caractères propres et distinctifs ; c'est uniquement pour les dégager, pour les abstraire des conditions particulières, qui, dans les diverses choses ou objets sensibles existant en eux-mêmes, les détermineraient à tel individu exclusivement. Toutes ces idées, quant à leurs éléments simples, à commencer par la toute première, l'idée de chose, l'idée d'être, lui viennent ainsi. Dans cette première idée, dans cette première abstraction, dans ce premier acte, il est évident que notre raison ne saurait faillir. Elle abstraits celte première idée par le jeu le plus essentiel de sa faculté d'abstraction. Elle ne saurait faillir, non plus, dans le fait de la percevoir, une fois abstraite, en elle-même, puisque rien ne s'interpose entre cette idée ou cette chose abstraite et la faculté de la raison déjà destinée à percevoir tout ce qui lui vient ainsi par voie d'abstraction. Il en sera de même pour toutes les autres abstractions ou choses abstraites qui lui viendront par la même voie.

Seulement…

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Message  Louis Sam 29 Oct 2011, 9:50 am

I. LA RAISON (suite)
Seulement, à mesure que se multiplieront chez elle ces sortes de choses ainsi à l'état d'abstraction, et que, par suite, sa connaissance sera de nature à se perfectionner, allant du plus général au moins général et au caractère spécifique de chaque chose, il y aura danger ou possibilité, pour notre raison, de se méprendre sur ces diverses abstractions, non pas sur chacune d'elles prise à part et sous le jet de l'abstraction, si l'on peut ainsi dire, mais selon que leur coexistence au sein de la raison elle-même peut faire que celle-ci prenne l'une pour l'autre quand elle travaille à les unir ou à les dissocier, à l'effet de prendre une vue plus précise et plus complète des choses ou des réalités qui lui sont venues par mode d'abstractions partielles et successives.

C'est donc quand elle travaille à recomposer, au dedans d'elle-même, le monde de la réalité selon qu'il est au dehors, qu'il y a, pour notre raison, possibilité de défaillance et d'erreur. Tous les éléments de cette réalité qui lui sont venus par voie d'abstraction sont exacts, en eux-mêmes ; et, à mesure qu'elle les percevait, notre raison ne pouvait faillir. Mais, parce qu'ils sont venus par voie d'abstractions successives et qu'ils demeurent dans la raison selon la multiplicité de ces abstractions, il faut, quand la raison travaille à les comparer, à les rapprocher ou à les éloigner, qu'elle prenne soigneusement garde à leur nature propre et à leur origine respective pour ne pas risquer d'attribuer telle chose abstraite ou telle notion d'être ou, de chose à telle réalité extérieure ou à telle catégorie, à tel être, qui ne l'aurait pas en effet.

Prenons un exemple. La perception sensible de n'importe quelle réalité ou de n'importe quelle chose extérieure nous donne, sous le coup de l'abstraction, l'idée d'être, au sens de chose, de réalité existante. Cette idée étant tout ce qu'il y a de plus général conviendra à tout ce qui est. Seul, le néant devra en être exclu.

Il s'ensuit que notre raison ne se trompera jamais en la disant d'un être ou d'une chose quelconque. C'est là proprement le premier principe, dans l'ordre de nos connaissances. Il consiste en ce que l'on affirme ou l'on peut affirmer de toute chose l'idée de chose, de tout être l'idée d'être. Dans cette affirmation l'erreur n'est pas possible, attendu que toutes choses conviennent, en effet, en ceci du moins qu'elles sont quelque chose. Toutes ne seront point telle chose : pierre, par exemple, ou arbre, ou animal, ou homme, ou ange et, moins encore Dieu. Mais toutes, tout ce qui est, tout ce qui appartient au domaine de l'être, conviendra en ceci, que cela appartient au domaine de l'être, c'est-à-dire que c'est quelque chose, que ce n'est pas rien. Et cette notion de quelque chose ou d'être leur conviendra d'autant mieux, qu'ils seront davantage quelque chose ; c'est-à-dire qu'ils auront plus de perfection dans l'ordre d'être ou dans le fait d'être quelque chose. Mais, tout ce qui est quelque chose, qui n'est pas rien, conviendra en ceci qu'il est quelque chose. Et, par suite, de tout ce qui n'est pas rien, de tout ce qui est quelque chose on pourra dire, en effet, que ce n'est pas rien, que c'est quelque chose. Si on disait de tout ce qui est, ou de toute chose, qu'elle est telle chose, on courrait risque de se tromper, on se tromperait autant de fois que les diverses choses ne sont pas telle chose. Mais en disant de toute chose ou de n'importe quelle chose qu'elle est chose, il sera tout à fait impossible de se tromper jamais.

On ne se tromperait que si on disait cette notion du néant…

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Message  Louis Dim 30 Oct 2011, 6:34 am

I. LA RAISON (suite)

On ne se tromperait que si on disait cette notion du néant. Mais cela même n'est pas possible; puisque c'est supposer qu'on tiendrait le néant pour quelque chose : ce qui est absurde, impliquant la plus radicale de toutes les contradictions. Rien n'est plus contradictoire, en effet, que de dire ou de supposer que le néant est quelque chose. Et s'il n'est pas quelque chose, on ne peut pas affirmer de lui l'idée ou la notion de chose. Car si l'idée ou la notion de chose se dit ou peut se dire de tout ce qui est quelque chose, elle ne se dit que de ce qui est quelque chose. La première, la plus radicale, la plus universelle, la plus inéluctable, la plus évidente de toutes nos affirmations est donc bien celle qui consiste à affirmer ou à pouvoir affirmer de toute chose le mot ou l'idée de chose. C'est exactement ce qu'on veut dire quand on dit : ce qui est est.

Et tel est le premier principe, ou la pierre de touche qui permettra toujours à la raison de se tenir dans le vrai.

Mais, nous l'avons dit, il n'y a pas que cette idée qui soit en nous par voie d'abstraction. Il est vrai qu'elle contient tout virtuellement ; mais il est vrai aussi qu'elle ne contient déterminément aucun être distinct.

Il faut donc, pour que notre raison se perfectionne, qu'elle acquière d'autres idées qui lui permettront de connaître distinctement les divers êtres.

Ici viendront, normalement, les idées abstraites à l'occasion des divers êtres selon qu'ils sont perçus par nos sens, et qui tous, nécessairement, appartiennent au monde sensible ou au monde des corps. Telle sera, par exemple, l'idée de pierre, abstraite à l'occasion de la perception de telle pierre; l'idée d'arbre, abstraite à l'occasion de la perception de tel arbre ; l'idée d'animal, abstraite à l'occasion de la perception de tel animal ; l'idée d'homme, abstraite à l'occasion de la perception de tel homme; — ou, dans un sens plus superficiel, l'idée de couleur, de blanc, de rouge, etc., abstraite à l'occasion de tel objet sensible coloré et coloré de telle couleur; de même, pour l'idée de son, de son aigu, de son grave; pour l'idée de parfum; pour l'idée de saveur; pour l'idée de froid, de chaud, de sec, d'humide, de dur et de résistant, ou de mou, de souple ; pour les idées plus complexes, en raison de ce qu'elles requièrent l'usage ou l'exercice de plusieurs sens à leur origine, comme les idées d'étendue, d'espace, de lieu, de mouvement, et le reste.

Chacune de ces idées, prise séparément, et, nous le répétons, comme sous le jeu de la faculté qui les abstrait au fur et à mesure, sont nécessairement vraies, étant dues à l'action du sens extérieur frappé par son objet et au jeu essentiel de notre faculté intellectuelle.

Mais, après que la raison les a ainsi conçues et les conserve en elle, il lui est naturel — c'est en cela même que consiste sa vie propre — de les confronter, de les rapprocher et de les unir ou de les dissocier, pour prendre, nous l'avons dit, une conscience plus parfaite de la réalité ou du domaine de l'être, qui est son domaine propre. Ce travail d'union ou de dissociation est ce que nous appelons, dans l'ordre de notre acte de raison, l'office de juger. Il consiste en ce que la raison, prenant une de ces notions ou de ces idées qu'elle a puisées, comme nous l'avons dit, quant à leur première origine, dans le monde des sens, lui applique, en l'affirmant d'elle, une autre notion, ou, au contraire, l'en écarte, en la niant.

Qui ne voit que si elle applique et affirme, quand les notions ne correspondent pas à un même fonds de réalité, son affirmation sera fausse…


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Message  Louis Lun 31 Oct 2011, 6:14 am

I. LA RAISON (suite)

Qui ne voit que si elle applique et affirme, quand les notions ne correspondent pas à un même fonds de réalité, son affirmation sera fausse ne correspondent pas à un même fonds de réalité, son affirmation sera fausse ; et de même pour la négation, dans l'hypothèse contraire. Si, par exemple, prenant l'idée de mouvement qu'elle a perçue à l'occasion d'un animal qui se mouvait, elle applique cette idée à l'idée d'arbre ou à l'idée de pierre, et qu'elle dise : la pierre ou l'arbre marche, il est évident qu'elle dit faux ; parce que, dans la réalité de son idée, telle qu'elle a dû être dégagée des choses perçues par les sens, la pierre ou l'arbre ne marchent pas : Tune, étant, de soi, toujours immobile ; et l'autre, demeurant fixé au sol.

Par où l'on voit que la fausseté ou l'erreur ne se peut trouver dans l'acte de la raison qu'au sujet de l'opération qui vient après la perception et qui consiste à affirmer ou à nier. Encore est-il qu'elle ne s'y trouve jamais que par une faute de la raison ou de la faculté intellectuelle, qui a été inconsidérée dans son acte de juger. Car, si elle avait procédé avec ordre selon que l'exige la nature ou le caractère des notions ou des idées qu'elle manie, elle ne se serait pas trompée. C'est, du reste, pour cela qu'il est une discipline, dans l'ordre des sciences humaines, qui a pour objet d'apprendre à la raison comment elle doit procéder dans son acte de juger, et, ultérieurement, dans son acte de raisonner, pour éviter l'erreur et demeurer toujours dans le vrai.

Cette science, ou cette discipline spéciale, est la Logique. Au surplus, et quelque multiples ou complexes que puissent être les prescriptions relatives à cette science, on les peut ramener à quelques préceptes très simples qu'il est presque naturel à toute raison humaine de saisir, sinon même de se donner immédiatement. Et c'est, à savoir, pour l'acte de juger, qu'il faut bien prendre garde à la nature des notions ou des idées mises en présence, afin de ne jamais se prononcer à leur sujet qu'à bon escient ; et, pour le raisonnement, de n'appeler à éclaircir le rapport des deux premières notions demeuré obscur, que des notions qui soient, en effet, dans un rapport de lumière avec les précédentes.

Il est vrai que ce rapport de lumière entre une notion…

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Message  Louis Mar 01 Nov 2011, 5:33 am

I. LA RAISON (suite)

Il est vrai que ce rapport de lumière entre une notion nouvelle et deux autres notions jusque-là obscures, comme aussi la légitimité de l'acte de juger en affirmant ou en niant au sujet de deux notions mises en présence, est cela même contre quoi la nouvelle critique, depuis Kant surtout, semble avoir fait porter ses efforts avec le plus de subtile opiniâtreté. On a dit que les jugements de notre raison, comme actes de la raison toute seule et à moins qu'il ne s'y mêlât quelque fait d'expérience, n'étaient qu'un repli de la raison ou plutôt d'une notion de la raison sur elle-même et revenait à une pure tautologie, dans laquelle on ne voyait pas trop de quel droit on affirmait ainsi d'une chose ou on niait d'elle quoi que ce pût être.

Sans nous perdre dans toutes les subtiles considérations de l'auteur de la Critique de la raison pure à l'endroit de ce qu'il lui a plu d'appeler des noms de jugement analytique, ou synthétique soit a priori, soit a posteriori, qu'il nous suffise de faire remarquer que ses considérations pèchent toutes par un vice d'origine. Il n'a pas donné à l'abstraction son véritable rôle dans la genèse de nos connaissances intellectuelles. Il s'est représenté notre raison comme portant en elle, antérieurement à toute action du monde extérieur sur nos sens, des sortes de notions ou de catégories ou de cadres, dont il n'arrivait pas à établir ou à justifier le bien fondé à l'endroit d'une réalité extérieure à nous. De là toutes les difficultés qu'il s'est créées comme à plaisir pour légitimer les actes de notre raison, surtout dans l'ordre de leur objectivité.

Mais ces difficultés disparaissent, du simple fait qu'on restitue à notre acte de connaissance intellectuelle son caractère essentiel, qui est de se faire par voie d'abstraction. Dès lors, en effet, il devient évident qu'il n'y a pas à présupposer en nous, dans notre raison, des cadres, ou des catégories imaginaires. Notre raison, par elle-même, n'a rien, nous l'avons vu, que sa faculté d'abstraire l'idée de l'image venue des sens, et de recevoir en elle, pour en vivre intellectuellement, cette idée ainsi abstraite. Il suit de là que tout ce qu'il y aura en elle de précis ou de positif et de distinct dans l'ordre de la réalité, lui sera venu, en première origine, des réalités du dehors, imprimant en elle, par la voie de l'abstraction, leurs notes caractéristiques d'ordre générique ou spécifique.

D'autre part, nous l'avons dit aussi, parce que ces notes ou ces traits caractéristiques se sont imprimés dans notre raison, non pas d'un seul coup, fixant déterminément et distinctement les traits spécifiques de chaque nature ou catégorie d'être ; mais progressivement, lentement, et à commencer par les traits les plus généraux convenant à tout ce qui est, ou, successivement à ce qui, dans les diverses catégories, répond d'abord à ce qu'elles ont de commun, il s'ensuit que pour avoir la connaissance propre de chaque nature ou de chaque catégorie d'êtres, quant à ce qui les constitue ou les fait être de telle espèce déterminée, en quoi consistera, au sujet de chaque chose, la perfection dernière de notre intelligence dans son acte de connaître, — notre raison ou notre intelligence devra considérer ces multiples et diverses notions, les comparer, les grouper ou les séparer selon que le demandera la réalité de chaque nature constituée en elle-même, dans sa vérité objective, vérité objective dont témoigne l'image venue du dehors par les sens, qui ont reçu en eux l'empreinte des qualités accidentelles manifestant pour nous les natures ou les substances qu'elles revêtent, et qui les portent, et dont elles sont les propriétés sensibles.

Et telle est la raison profonde, essentielle à notre mode de connaître humain…


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Message  Louis Mar 01 Nov 2011, 12:13 pm

I. LA RAISON (suite)

Et telle est la raison profonde, essentielle à notre mode de connaître humain, de ces actes de jugement ou de raisonnement qui constituent la trame de notre vie pensante. Ni l'ange, ni Dieu, n'ont, à proprement parler, ces sortes d'actes. Leur acte de connaître se fait d'un seul coup. Ils perçoivent directement et totalement, sous une seule raison et dans une seule idée, ce qui appartient distinctement à chaque être, non seulement quant à ses caractères spécifiques, mais même quant aux notes individuelles ou particulières qui l'affectent dans sa réalisation la plus concrète. Il n'est donc pas besoin, pour eux, ni de facultés spéciales distinctes pour connaître le particulier ou le concret, et ensuite l'universel ; ni, dans la connaissance de l'universel, d'actes multiples percevant les divers traits qui peuvent appartenir à l'essence ou à la nature de tel être, de telles catégories d'êtres. Aussi bien leur connaissance n'a-t-elle point les caractères de la nôtre. Elle est intellectuelle, certes ; et, au souverain degré, surtout en Dieu. Mais elle n'a pas le caractère d'abstraction graduée, permettant de la distinguer, comme chez nous, de la connaissance du particulier, et amenant pour elle la nécessité de composer, de diviser, ou de juger et de raisonner, pour aboutir, par degrés, à la connaissance propre et distincte de chaque nature, que notre raison obtient au terme de son procédé intellectuel en concevant et en se formulant à elle-même la définition de cette nature.

Mais notre raison…

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Message  Louis Mer 02 Nov 2011, 5:59 am

I. LA RAISON (suite)

Mais notre raison, si elle procède comme il convient, aboutit de façon très sûre à la définition dont il s'agit. Tous les éléments de cette définition lui sont venus, en première origine, par la voie des sens, des réalités elles-mêmes existant au dehors, avec lesquelles nos sens nous mettent directement en contact. Ce contact de nos sens avec la réalité est tout ce qu'il y a de plus certain pour nous. C'est même de là que vient pour nous, dans l'ordre naturel de nos connaissances, toute certitude ayant trait à la perception immédiate de la réalité. Nos sens sont directement faits pour percevoir cette réalité en ce qu'elle a de perceptible extérieurement ou par l'action de la réalité sur la faculté de connaître. Chacun d'eux, s'il est dans son état normal et dans les conditions normales requises pour que la réalité extérieure qui lui correspond en propre agisse sur lui, reçoit cette action de façon à réagir d'une réaction vitale appartenant à l'ordre du vivant de vie sensible, et produit l'acte de connaissance sensible par lequel il perçoit cet objet extérieur sous le caractère propre qui lui correspond : couleur, son, odeur, saveur, qualités tangibles. S'il s'agit de certains caractères moins spéciaux et qui ne correspondent plus à un seul sens, il y faudra plusieurs sens ; mais, en usant de tous les sens qui peuvent être requis, le sujet connaissant percevra sans erreur ces caractères communs : telle l'étendue, ou la distance ; tel aussi le mouvement, et autre réalité du même genre.

Pour n'avoir pas pris garde à cette distinction si simple et que, déjà, Aristote avait expressément marquée, de nombreux penseurs, dans les temps modernes surtout, ont élevé à la dignité d'axiome ou de premier principe une erreur mortelle, qui est à l'origine des égarements de la méthode cartésienne et de la critique kantienne. On a déclaré que nos sens nous trompent. Il s'ensuivait que nous ne pouvons faire aucun fond sur eux. Dès lors, il devenait nécessaire de chercher ailleurs un autre critérium de certitude. Et on s'est appliqué à le trouver dans l'ordre de la raison toute seule. De là le Je pense, donc je suis de Descartes, ou l'impératif catégorique de Kant.

On aurait pu s'éviter des tourments inutiles et des efforts surhumains…

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Message  Louis Mer 02 Nov 2011, 4:44 pm

I. LA RAISON (suite)
On aurait pu s'éviter des tourments inutiles et des efforts surhumains qui, du reste, étaient voués, nécessairement, à un insuccès radical, si, seulement, on avait posé, à ceux qui affirmaient que nos sens nous trompent, une simple question. Ils avaient coutume, en effet, d'apporter, comme exemple, tel ou tel phénomène, d'ordre extérieur, au sujet duquel, disaient-ils, nos sens étaient pris en flagrant défaut : ainsi le petit enfant qui voyant, pour la première fois, la lune, croit qu'elle est là tout près et tend la main pour la saisir; ou encore l'expérience du bâton plongé dans l'eau et qui, demeurant parfaitement droit, est vu par nous comme s'il était tordu.

À l'évocation de ces exemples et de tous autres semblables, d'où l'on concluait que les sens nous trompent, il devait suffire de demander : Mais vous, qui affirmez que, dans les cas dont il s'agit, les sens nous trompent, comment le savez-vous? Comment savez-vous que la lune est autrement distante que ne le croit le petit enfant en la voyant? Comment savez-vous que le bâton qui est vu tordu, plongé dans l'eau, ne laisse pas que d'être réellement droit ? N'est-ce pas en usant de vos sens ? C'est par le contrôle des sens eux-mêmes que vous vous rendez compte de la prétendue erreur que vous leur attribuez. Et, à vrai dire, il n'y a aucunement erreur. Il y a seulement exercice incomplet ou imparfait de vos sens. Les exemples dont il s'agit, en effet, portent sur ce qu'Aristote avait déjà appelé des sensibles communs, c'est-à-dire des sensibles qui pour être perçus demandent l'usage combiné de plusieurs sens. Que cet usage se fasse dans les conditions voulues ; et les sens ne nous trompent pas plus sur ces sensibles communs, qu'ils ne nous trompent, chacun, quand il s'agit de son objet propre ; pourvu, bien entendu, que le sens soit normal et normales aussi les conditions de perception.

S'il en était autrement, que deviendrait toute notre vie humaine dans son exercice de chaque instant? que deviendrait aussi tout le progrès dont on est si justement fier aujourd'hui et qui repose sur l'application de nos sens? N'est-ce pas sur cette application des sens que se fonde toute la valeur des sciences expérimentales, toute l'économie des arts dans les multiples branches où s'exerce l'activité extérieure du genre humain ?

Rien n'est plus certain, pour nous…


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Message  Louis Jeu 03 Nov 2011, 7:37 am

I. LA RAISON (suite)

Rien n'est plus certain, pour nous, que ce dont nos sens témoignent, quand il s'agit de l'ordre naturel de nos connaissances. Et c'est même par là, nous l'avons dit, que dans cet ordre naturel de nos connaissances, toute certitude s'établit pour nous, en première origine, puisque aussi bien tout ce qu'il y a de vérité objective ou de réalité dans la première de toutes nos idées, l'idée d'être, nous est venu, en première origine, des sens.

Ce sont les données des sens qui ont fourni à notre raison la première matière, si l'on peut ainsi s'exprimer, de toutes ses idées. Comme nous l'avons vu, chacune de ces idées, quant à ses premiers éléments ou à ses diverses notes caractéristiques par où notre raison arrive à se faire une idée précise et distincte des divers êtres, lui est venue des sens, à l'aide ou par la voie de l'abstraction.

Notre vie pensante tout entière, dans l'ordre naturel, se déroule à utiliser, sur le plan intellectuel, ces données successives acquises par le procédé d'abstraction. Et nous le faisons, comme nous l'avons dit, par l'acte du jugement dans lequel nous unissons ou séparons ces diverses acquisitions successives. Acte de jugement qui est tout ce qu'il y a de plus légitime, de plus nécessaire aussi, et de plus fécond pour nous, à la seule condition d'être fait comme il convient ; c'est-à-dire d'unir ou de séparer les notions dont il s'agit selon que le demande la réalité extérieure d'où elles nous sont venues, par l'entremise des sens, à l'aide du procédé d'abstraction. Recomposer, dans notre esprit, ces diverses notions selon qu'elles appartiennent, en effet, aux réalités du dehors, les voir intellectuellement dans les mêmes limites d'être qui sont réellement les leurs, en les passant toutes au crible dernier ou suprême de cette première notion d'être, qui, par son universalité même, nous permet d'apprécier ensuite et de graduer toutes les notes distinctives des divers êtres, c'est là proprement le champ de notre activité intellectuelle, de notre vraie vie pensante. Champ immense et magnifique, d'une richesse d'exploitation qu'il faut dire infinie, puisqu'il comprend tout le domaine de l'être, hors duquel il n'y a plus que le néant.

Et, sans doute, notre exploitation, laissée dans son ordre naturel, ne sera pas tout ce qu'il y a de plus parfait. Elle n'arrivera pas à épuiser ou à pénétrer, par sa connaissance ou sa prise de possession, tout ce domaine de l'être, autant qu'il peut être pénétré. Notre raison procédant par voie d'abstraction sur les données venues du monde sensible ne connaîtra directement que les natures des choses sensibles. Mais, en connaissant ces natures, elle connaîtra, par voie de conséquence, et à titre de cause exigée par elles, ce sans quoi ces natures ne pourraient pas être. Elle connaîtra aussi, par voie de comparaison ou d'analogie, ce qui dépasse ces natures : pour autant que voyant les limites de ces natures sensibles, dans le domaine de l'être, elle pourra s'élever à une certaine conception d'autres êtres qui n'auront pas à être renfermés dans ces limites-là. Une telle connaissance ne sera qu'indirecte. Mais elle ne laissera pas que d'ouvrir, à titre de possibilités de perfection dans l'ordre de la connaissance et de l'être, en des natures supérieures à notre nature, et en nous-mêmes si, par grâce, nous y étions élevés, des perspectives proprement infinies.

Tel est l'apanage de notre raison, telle est sa prérogative…

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Aperçus de philosophie thomiste. (COMPLET) Empty Re: Aperçus de philosophie thomiste. (COMPLET)

Message  Louis Jeu 03 Nov 2011, 1:30 pm

I. LA RAISON (suite)

Tel est l'apanage de notre raison, telle est sa prérogative. Elle n'a pas à être exaltée au-delà de ce qu'elle peut; mais elle ne doit pas être rabaissée au-dessous de ses droits et de ses privilèges. Son acte de connaître n'est pas un acte qu'il faille considérer ou concevoir comme se tenant en soi et se suffisant à lui-même dans l'ordre de la connaissance. Rien n'est plus faux, ni pins antihumain qu'une telle conception. L'acte de connaître de notre raison est un acte qui se trouve en nous. Et, en nous, il n'y a pas, même dans l'ordre de la connaissance, que le seul acte de la raison. Il y a d'autres actes, distincts de celui-là, et qui le précèdent, et qui le conditionnent, et qui l'expliquent aussi en même temps qu'ils le complètent. Ce sont les actes de connaissance appartenant à l'ordre sensible et qui se font par nos facultés sensibles, par nos sens soit extérieurs soit intérieurs. Ces actes de connaissance par nos sens ne sont pas moins en nous que l'acte de connaissance de la raison. Notre acte de connaître pur et simple ne peut se faire et s'expliquer que par l'union de tous ces divers actes de connaître se complétant les uns les autres. Par nos sens nous saisissons le particulier, c'est-à-dire les êtres concrets selon qu'ils existent en eux-mêmes avec tous leurs caractères individuels. Cette connaissance-là, comme telle, nous laisse au niveau des animaux sans raison, qui la partagent avec nous et en qui, parfois ou sous certains aspects, elle est même plus parfaite que chez nous.

Mais il n'y a pas que cette connaissance-là chez nous. Et c'est par là que nous nous élèverons, sans proportion, au-dessus des animaux qui n'ont que la connaissance sensible. Chez nous, en plus de la connaissance par les sens, il y a la connaissance par la raison. Cette connaissance par la raison se distingue de la précédente, en ce que, par elle, nous ne saisissons plus le particulier ou le concret. Ce serait inutile et faire double emploi, puisque, à cet effet, nous avons les sens. Mais, par la raison, nous saisissons, en l'abstrayant, ou en le tirant du particulier et du concret où il se trouve et que nos sens nous ont livré, l'universel, ou plutôt ce qui existe bien dans ce particulier et ce concret, mais sans les notes individuelles qui le limiteraient à ce particulier et à ce concret. Nous saisissons, par la raison, les caractères généraux, qui, de soi, ne seront limités à aucun être individuel ou particulier. Et c'est par ce privilège de notre acte de raison que nous sommes mis à même de prendre intellectuellement possession de tout, non point précisément des êtres individuels qui sont là sous nos sens, mais à l'occasion de ces êtres particuliers, perçus par nos sens, de la nature de chacun de ces êtres, de leurs rapports, des exigences qui s'ensuivent, de l'ordre qu'ils constituent ou qu'ils impliquent et qui n'est pas autre que le domaine de l'être dans son universalité.

Il est vrai que…



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Message  Louis Ven 04 Nov 2011, 5:46 am

I. LA RAISON (suite)

Il est vrai que nous n'en prenons possession que d'une manière imparfaite, successive, lente, et en dépendance continue avec les êtres particuliers sensibles d'où nous dégageons nos idées. Mais il n'y a pas lieu de s'en étonner. C'est dans l'ordre de notre nature humaine; puisque aussi bien nous n'avons pas que la raison pour connaître, nous avons aussi nos sens. L'union des deux est pour nous indispensable. Vouloir les séparer, les dissocier, les opposer, c'est nous suicider nous-mêmes, dans l'ordre de la connaissance. C'est nous vouer au néant de notre vie proprement humaine. Si, au contraire, nous les maintenons unis, harmonisés, en dépendance hiérarchisée selon qu'il convient, nous sommes sûrs d'épanouir notre vie en pleine lumière, en pleine certitude, en repos intellectuel parfait.

C'est à cette lumière, à cette certitude, à ce repos intellectuel parfait que conduit la philosophie d'Aristote et de saint Thomas. Nul, mieux que nos deux incomparables génies, n'a su donner à la raison humaine sa vraie place dans l'acte de connaître. Nul n'en a mieux connu les rouages les plus délicats, les ressorts les plus cachés. Nul n'a su la mettre en exercice comme eux et lui faire porter ses meilleurs fruits de vérité. Nous pouvons en toute tranquillité nous mettre à leur école. Ils sont, au plus haut point, la personnification même de la raison humaine.

II.— PHILOSOPHIE ET SCIENCE EXPÉRIMENTALE

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