Pellerin de Compostelle

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Message  Monique Dim 13 Mar 2011, 5:50 pm

Pellerin de Compostelle  Bureau56

C'est un matin de juillet. Frère Alexis est debout sur le seuil du portail qui fait face à la plaine. Immobile, il regarde s'éloigner sur la route presque blanche, entre deux nappes de blés mûrs, un groupe de pèlerins : grands chapeaux à cuve, et houppelande qui se gonfle au vent léger du matin.

Ils sont cinq qui s'en vont ainsi en chantant, cognant du bourdon sur le chemin, et marchent du pas tranquille des gens habitués aux longues étapes, aux efforts mesurés.

Leur silhouette s'amenuise, elle est maintenant plus confuse, s'efface bientôt sous le couvert d'un boqueteau sombre.
Les pèlerins disparus, Frère Alexis demeure quelques instants encore à fixer les lointains, avec un regard pensif qui semble dépasser de beaucoup l'horizon des moissons. En soupirant, il ferme le vantail, retire la grosse clé que, frère hôtelier, il a mission de conserver, et retourne à son emploi.

Que de pèlerins a-t-il ainsi, depuis de longues années, reçus, réconfortés, puis, comme aujourd'hui, congédiés avec douleur? Douleur, car c'est son âme qui se déchire, en ces matins de départ, et suit sur la grand-route ces voyageurs qu'il lui faut, — et c'est là son martyre, — toujours écouter et ne jamais accompagner !

Ah! les récits inconcevables de tant de saints vagabonds, entendus à la veillée, pendant leur séjour au moustier... ces descriptions enfiévrées d'émotion, coupées de silences extatiques!


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Message  Monique Mar 15 Mar 2011, 11:44 am


En ces soirs-là, Frère Alexis, qui n'avait ambitionné pourtant que la sainteté cachée des tâches d'enthousiasme, pris, lui aussi, par l'esprit de miracle, poussé avec violence vers ces routes que tant de pèlerins avaient foulées.

Plusieurs de ses frères — combien heureux! — avaient obtenu de quitter quelques années le Moustier, pour accomplir un pèlerinage lointain.
Quant à lui, Frère Alexis, on le lui avait toujours refusé. Infirmier en même temps qu'hôtelier, il s'était montré si habile à guérir toutes infirmités et maladies, que chacun avait jugé son absence impossible. Personne ne savait comme lui soigner les fistules et les écrouelles, ou ces fièvres qui secouaient, comme grelots, les malheureux qui en étaient atteints. Et il était si charitable que nulle misère ne le prenait au dépourvu, persuadé qu'au jour du Jugement, il aurait à répondre pour tout infortuné envoyé par le Ciel. Si bien que le souci de quitter son emploi heurtait souvent son désir tragique de prendre enfin le bourdon de pèlerin.

Malgré ce trouble extrême, Frère Alexis demandait sans cesse au prieur le congé de partir vers un lointain sanctuaire. Mais ce prieur, atteint lui-même d'un mal étrange que le moine, malgré tout son art, ne parvenait à guérir, opposait à cette demande un refus opiniâtre, l'éloignement de son infirmier étant pour lui pensée insupportable.

Mais rien ne pouvait apaiser la soif de pénitence et de cheminement de Frère Alexis. Il ne s'était pas détourné de son rêve et attendait en silence des jours à venir qui lui seraient propices.


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Message  Monique Mer 16 Mar 2011, 9:19 pm

Depuis quelque temps, précisément, les refus du prieur se faisaient moins accablants. Ne fléchirait-il bientôt? Dans cet espoir, Frère Alexis avait recueille dès lors, de la bouche même des itinérants, ce qui avait trait au pèlerinage de Compostelle. Car c'est là, sur le tombeau du grand Apôtre, qu'il veut se rendre...

Ses renseignements sont maintenant si minutieux, si complets, qu'il peut désormais pérégriner en rêve, suivre par la pensée les pèlerins véritables qui s'en vont, oubliant tout derrière eux, champs, maisons, couvents, pareils à ceux qui viennent de s'enfoncer dans l'horizon, allègres, chantants, enivrés d'espérance. Ah! partir avec ces cinq-là! faire avec eux, puisqu'ils s'y rendent justement, le long chemin de Compostelle!

Comme son cœur a frémi pendant leur séjour au Moustier! Pourquoi n'avoir pas tenté, hier, d'arracher au prieur la permission désirée? Mais... il serait temps encore de rejoindre à la ville voisine, où ils doivent passer la nuit, les cinq pèlerins de ce matin...

Frère Alexis va trouver le prieur sur-le-champ. Et, cette fois, le prieur consent. Les remèdes humains étant impuissants à le soulager, il préfère ne s'en rapporter, désormais, qu'à l'intercession des saints. Le grand saint Jacques, puisque Frère Alexis veut aller prier en pèlerinage, ne fera-t-il pas le miracle espéré?

Cependant, afin d'être privé le moins de temps possible de son infirmier, il lui enjoint, au nom de la sainte obéissance, d'être de retour, exactement, après deux années.

Il fait ajuster pour le voyageur une robe neuve, lui donner le chapeau, la houppelande qu'un pèlerin, en y trépassant jadis, abandonna au couvent ; on apporte la gourde, le bissac, le haut bâton qui doit aider la marche. Frère Alexis reçoit alors la bénédiction du prieur, et chaque moine, le prenant en particulier, lui recommande avec importance une intention des plus secrètes.

Vers midi — les pèlerins sont partis à l'aurore — Frère Alexis est enfin prêt. Le portail s'ouvre devant lui, et il s'en va, à son tour, par le chemin qui serpente entre les blés.

Ce n'est pas sans regret qu'il s'arrache du Moustier. Une larme perle à ses cils. Tout son passé de charité le retient soudain par des milliers d'invisibles liens. Mais la sainteté du but qu'il poursuit l'aide à dominer son émoi. Bientôt,, c'est d'un pas assuré qu'il s'éloigne, la gourde au côté, le bissac en bandoulière, et, jeté dessus la bure, le grand manteau du pèlerin.

S'avançant à l'abri de son immense chapeau, sur la route qui poudroie, il se dirige vers la cité voisine, où il sait devoir retrouver, à l'étape du soir, les cinq pèlerins auxquels il veut se joindre. La gorge serrée par l'émotion, il égrène son rosaire. Une fois encore, il se retourne, pour un adieu suprême à la tour du couvent. Mais le Moustier a disparu, masqué par les coteaux qui bordent la vallée immense, et dont Frère Alexis, à plusieurs reprises, devra gravir, puis redescendre les pentes.


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Message  Monique Jeu 17 Mar 2011, 8:50 pm

Pellerin de Compostelle  Bureau57

Ayant marché tout l'après-midi, il arrive enfin, à l'heure du coucher du soleil, sur les hauteurs qui dominent la cité. Un instant, il s'arrête, saisi d'admiration devant la ville rosée par le couchant, ses cent clochers se découpant sur le cirque assombri des collines, et ses maisons, serrées dans leur ceinture fortifiée qui va se baigner, au midi, dans l'anneau encombré de navires du grand fleuve nonchalant.

Pressé d'arriver, avant la nuit, aux portes de la ville, il redescend la pente en se hâtant.

Il n'est plus qu'à une faible distance de la cité, lorsqu'il perçoit, dans le crépuscule, étendu sur le fossé, un homme gémissant. Pressentant une détresse, il s'arrête et se penche. L'homme semble mourir. Après de longs efforts, Frère Alexis le ranime, le soulève et, tel le Bon Samaritain de l'Évangile, l'entraîne vaille que vaille vers l'enceinte fortifiée. Le couvre-feu sonne, la ville va fermer ses portes. Il n'est plus temps, ce soir, de chercher les pèlerins. Frère Alexis n'y songe point, d'ailleurs, repris tout entier par son office de charité. Il se fait indiquer par les gardes l'hôtellerie la plus proche, et la nuit se passe, dans un logis misérable, à soigner le moribond.

Le lendemain, le malade est encore si dolent que Frère Alexis ne se décide à le quitter. Au soir seulement, lorsque le malheureux revient soudain à la santé, Frère Alexis cherche en toute hâte, à travers la ville, le bon couvent où ont pris gîte les cinq pèlerins de Compostelle. Et il apprend, le cœur navré, que les voyageurs ont pris la route du Midi, aux premières heures du matin...

Que faire ? tenter de les rejoindre, alors qu'ils sont bien loin? Et si, pour une raison imprévue, ils se sont détournés de la route coutumière?... Frère Alexis, accablé, croit sage d'attendre que se renouvelle pareille occasion. S'il fallait trop tarder, il saurait partir seul, quoique pour la traversée des forêts et des landes il fût prudent, par crainte des coureurs d'aventure, de voyager de compagnie, quand il ne fallait, par surcroît, être escorté de quelques gens armés.

Alors que, tout pensif, il revient à l'hôtellerie, il est surpris de voir venir à lui, boitant ou tremblant de fièvre, les malades que sa réputation de guérisseur lui a spontanément amenés. Il semble que la ville entière lui envoie, avant de s'endormir, tout ce que ses ruelles sordides, ses maisons étroites et nauséabondes, recèlent d'infirmes et de vagabonds. Bon gré, mal gré, il est repris par ses habitudes d'infirmier. Cette soirée, et, désormais, toutes ses journées se passeront sans qu'aucune minute lui soit laissée pour se préoccuper de son grand rêve négligé.


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Message  Monique Ven 18 Mar 2011, 9:16 pm



La nuit seulement, lorsqu'il se retrouve dans la mansarde que l'hôtelier veut bien lui laisser, la nostalgie des longs cheminements vers le sanctuaire de l'Apôtre le reprend. Par la lucarne qui le sépare de la voûte étoilée, la » Voie de Saint-Jacques », la Voie Lactée, semble lui faire signe et l'appeler.

— Je partirai demain, aux premières heures du matin, décide-t-il.


Mais le lendemain, lorsqu'il s'apprête à descendre de sa chambre, ayant revêtu la houppelande, pris son bissac et son bâton, il trouve, irrévocablement, couchés en travers de l'escalier branlant, des miséreux nouveaux qui l'ont attendu là, alors qu'il sommeillait là-haut. Désarmé, il soigne et console durant toute cette nouvelle journée.

Les semaines, les mois se passent, et les malades affluent à sa porte, l'appellent, même, dans les recoins de la ville où nul maître mire n'ose se risquer. Par les ruelles tortueuses, peuplées de chiens errants, creusées dans leur milieu d'un ruisseau plein d'immondices, il atteint les portes qu'on lui a désignées. Il s'engouffre dans des trous d'ombre, grimpe des escaliers qui semblent mener à des nids de pie, et trouve, dans leur galetas, les malades qu'il soigne et remet en vie.

La peste se déclare, puis le choléra. Pour les cas désespérés, 0n demande le moine à l'hôpital, où les malades se débattent, touchés côte à côte par trois ou quatre, dans le même lit à baldaquin. Et Frère Alexis, emporté par son immense charité, ne sait pas se détourner de la misère et s'en aller...

Combien y a-t-il de temps qu'il est là, dans sa ruelle caverneuse, sans presque voir le soleil, ni connaître les saisons? Dix mois, vingt mois, plus, peut-être? Il se rend compte, un soir, avec effroi, que le temps va lui manquer pour son voyage lointain, que le délai imparti par le prieur est révolu, que son grand rêve, hélas, a pris fin.


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Message  Monique Jeu 24 Mar 2011, 9:41 pm


Ah! s'il avait eu seulement le loisir d'aller prendre gîte dans un couvent bien fréquenté, plus visité par les itinérants que sa suspecte hôtellerie, il aurait trouvé, bien sûr, quelque pèlerin se rendant à Saint-Jacques, et se serait joint à lui! Mais ici, dans son logis écarté, s'il lui est arrivé de soigner des pèlerins faisant route pour Rome ou Jérusalem, il n'en a vu un seul qui se rendît à Compostelle...
Pas un seul qui s'y rendît, mais un, cependant, qui en revenait.

Il y avait maintenant près de deux ans que Frère Alexis avait quitté le Moustier ; le deuxième été resplendissait sur les toits de la ville, et le moine, désemparé, savait que dans deux jours, sous peine de péché, il devait être de retour en son couvent. Pour se libérer sûrement de toute entrave, il avait décidé de quitter l'auberge pendant la nuit, de se cacher dans l'ombre des murailles, jusqu'à ce que s'ouvrent les portes fortifiées.

Et c'est au soir de ce départ clandestin, à la nuit tombante, que le pèlerin de Compostelle se présenta. Frère Alexis ne dormait pas. Il entendit des coups frappés en bas, sur la porte, et la voix mauvaise de l'hôtelier disant à l'homme de passer son chemin, car il n'avait ni mansarde ni grenier à lui donner. Alors, Frère Alexis, oubliant toute prudence, avait crié que le vagabond pouvait monter, partager sa soupente et sa couchette.

L'homme avait grimpé l'escalier. C'était un vieux à l'air naïf, au visage tout hâlé. Il semblait exténué. Frère Alexis l'avait fait asseoir sur son escabeau, et c'est alors qu'ayant approché sa chandelle, il avait reconnu, avec une indicible émotion, aux coquilles du manteau, un pèlerin de Compostelle...

La voûte étoilée scintillait plus brillamment que jamais, à travers la lucarne du grenier, et toute la ville dormait.
Dans ce silence prodigieux, sans que Frère Alexis eût à poser une question, le pèlerin, rayonnant soudain d'une clarté surhumaine, évoqua son voyage aussitôt comme s'il connaissait le moine, assis à son côté, comme si c'était ce moine qu'il était venu chercher. Et il emmena Frère Alexis, avec telle impétuosité, sur les routes de Gascogne, de Castille et de Galice, que le moine, ravi, en extase, se vit cheminer lui-même vers le sanctuaire bien-aimé.


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Message  Monique Ven 25 Mar 2011, 9:43 pm

Pellerin de Compostelle  Bureau58


Que de plaines, découvertes à l'infini, de villes jamais vues, de fleuves magnifiques ! Ah ! savourer la pénitence des dures étapes dont le terme lointain, la forêt foncée, un pic à gravir, une citadelle dans la vallée, semblent, malgré la marche tenace, qui ensanglante parfois les pieds, ne jamais se rapprocher!... C'est le sommeil accablé, la nuit, au grand hasard des granges, ou même sur la terre nue ; le repas, frugal ou copieux, selon la solitude des routes, ou la charité des Moustiers... les erreurs des guides, les détrousseurs de grand chemin, l'attente de la belle saison, au pied des monts enneigés. Puis, bientôt, la traversée d'un col, et maintenant, des pays si nouveaux !

Ah! ces terres brûlées d'Espagne, ce sol âpre et tourmenté, ces châteaux aux lourds remparts, Frère Alexis les voyait de ses yeux! Les routes arides se déroulaient devant lui, sous un ciel bleu violacé, le rude soleil, réellement, le dévorait...

Puis, la caravane des pèlerins — Frère Alexis en était — après avoir cheminé par vallées et par montagnes, chantant des cantiques, mendiant le pain quotidien, débouchait enfin sur les hauteurs du San Marcos, ce mont appelé en rêve par les itinérants, comme terme bien assuré de leurs fatigues immenses.

De là, immobiles, éperdus de joie, ils contemplaient la ville du grand saint Jacques, la ville des miracles, dont les sept portes gardaient jalousement, en même temps que d'innombrables clochetons et tours, les constructions géantes, éblouissantes dans le soleil, de la basilique sans pareille.

Les pèlerins, alors, descendaient cette dernière pente. Par la Porte des Francs ils entraient dans la ville, solennellement. Frère Alexis entendait le rythme des bourdons cognant dans les ruelles dallées, aux arcades basses et lourdes. Et la cohorte, recrue de misère, mais enivrée de foi, arrivait devant la cathédrale, s'y engouffrait, au comble de l'enthousiasme, par le Portail de la Gloire.



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Message  Monique Dim 27 Mar 2011, 3:11 pm


Ce sanctuaire incomparable, Frère Alexis le voyait enfin! Il se promenait, lui, après tant de songes impossibles, dans l'église de l'Apôtre, si vaste que le visiteur s'y sent égaré, si transparente de miracles que le pèlerin, exténué, se croit arrivé, ravi, dans les parvis du Paradis.

Et maintenant, Frère Alexis regardait l'autel tout de marbre, au-dessus duquel était assise, sur un siège d'argent, la statue du saint de Compostelle.

Le moine se prosternait humblement. Le sanctuaire résonnait de cantiques, de sanglots de joie, d'implorations brûlantes. Lui, le front sur la dalle, priait avec passion, demandait que santé fût donnée au prieur, et, à chacun de ses frères, la grâce que celui-ci avait désirée en son cœur...

Tard dans la nuit, les deux hommes devisaient encore, le pèlerin racontant, Frère Alexis acquiesçant, soupirant d'amour et de joie.

Mais le ciel pâlissait au-dessus de la lucarne ; les constellations, maintenant, allaient poursuivre leur course dans le secret du jour naissant. L'heure de se séparer était venue. Le voyageur prenait un chemin dont il ne donna le nom, le moine regagnait son couvent.

Avant de quitter Frère Alexis, le pèlerin mystérieux de Compostelle — était-ce le saint lui-même ? — détacha pour lui plusieurs coquilles de son manteau, et les lui donna.
Ils s'étreignirent dans la nuit finissante...


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Message  Monique Ven 01 Avr 2011, 9:04 pm

Et maintenant, Frère Alexis sort de la ville sans avoir été reconnu. Il reprend la route, bordant le fleuve sinueux, qui descend vers son couvent.

Un soleil clair et chaud illumine la campagne : les blés une fois de plus mûrissants, l'épais feuillage des bosquets et des bois. Mais Frère Alexis, perdu encore dans le ravissement de la nuit, regarde sans la voir cette végétation opulente, les collines d'un vert uni, les fruits qui se gonflent dans les vergers ombreux.

Dans ses yeux un peu fous, ce sont des terres de feu qui demeurent gravées, des roches sauvages, un sol rouge ; ce sont des villages blancs piqués de cyprès noirs, et non ces chaumières incolores allongées dans l'herbe ternie de l'été ; c'est l'impétuosité folle des torrents de Castille, et non l'ampleur paisible du fleuve normand argenté !

Comme ce pays lui semble étranger ! N'y a-t-il pas vingt ans, qu'après avoir parcouru l'univers, il revient au couvent ?
Voici des murailles grises, un clocher gracieux. C'est le Moustier. D'un geste machinal, Frère Alexis frappe sur le vantail, il est salué avec effusion, embrassé, questionné sans désemparer, on baise ses sandales, la frange de son manteau, on se partage les coquilles de sa pèlerine et de chapeau.

Frère Alexis se laisse féliciter. Il défaille de bonheur. Son grand rêve est réalisé. Il reste immobile, sourd à toutes les questions, incapable de proférer un son.

A peine tressaille-t-il en apprenant que, cette nuit même, le prieur est revenu à la santé, et qu'à la même heure, pendant les Matines, ses frères ont reçu chacun la grâce très secrète que lui, Frère Alexis, avait demandée pour eux à saint Jacques de Compostelle.


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