ANARCHIE DANS L'ART.

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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 8:20 pm


L'objet spécial des beaux-arts, leur but direct est donc d'exprimer le beau. Le sentiment du beau est en somme l'émotion esthétique. Il faut d'abord constater que la sensation agréable n'est pas la jouissance du beau, et que l'utilité de l'objet ne constitue aucunement la beauté. Le plaisir que nous procurent les beaux-arts est une émotion que nous nommons esthétique, selon le mot consacré par l'usage. L'émotion esthétique, dit Gaborit, est distincte de la sensation.

Tout objet qui ne serait que matière, et qui, après avoir frappé nos sens, ne s'adresserait pas à notre intelligence et n'exciterait pas en nous cette émotion qui n'est plus seulement une sensation dans les organes, mais un tressaillement appartenant tout entier à notre âme, cet objet ne saurait nous faire jouir du beau. L'odorat et le goût ne nous font connaître que des qualités matérielles des objets et semblent nous avoir été donnés seulement pour nous guider dans les fonctions par lesquelles nous réparons nos forces vitales. Ces deux sens ne sont d'aucun secours pour les opérations intellectuelles de notre âme. Le tact, lui aussi, ne nous apprend rien sur la valeur des objets au point de vue de la beauté. Restent la vue et l'ouïe : mais, hâtons-nous de le dire, la jouissance même du beau diffère complètement des sensations que nous éprouvons par les yeux ou par les oreilles.  


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Message  ROBERT. Sam 23 Oct 2010, 8:45 pm

.

S'cusez Roger Embarassed . J'ai commencé à lire la préface et je continue la lecture... study
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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 8:54 pm


Et l'auteur ( Gaborit) « Du Beau dans la Nature » nous dit, en effet, que les sensations sont à peu près les mêmes devant des tableaux dont les uns sont des chefs-d'œuvre et les autres n'ont aucune valeur. L'émotion et le sentiment sont des faits qui appartiennent à notre sensibilité ; ils peuvent suivre la sensation, mais ils en sont complètement distincts. L'émotion esthétique appartient tout entière à notre âme, de même qu'elle nous vient en dernière analyse d'un principe immatériel. La sensation peut être très vive, parfois plus vive que le sentiment ; mais elle ne dure guère au-delà d'un moment ; peu à peu elle s'affaiblit, fait place à une sensation contraire ou nouvelle, et ne nous laisse qu'un vague souvenir. C'est que la sensation, alors même qu'elle ébranle les nerfs, ne fait qu'effleurer l'âme ; le plaisir qui la suit est aussi mobile, aussi éphémère qu'elle-même et son objet.

Le sentiment, au contraire, repose sur un fondement solide, sur la claire vue de l'immatériel ; il pénètre jusqu'au fond de l'âme, de cette partie intime de notre être qui est d'autant plus changeante qu'elle est plus spirituelle. L'agréable ou le désagréable qui résulte de la sensation est variable, relatif, individuel : au contraire, s'il s'agit de la beauté et que vous jugiez beau tel objet, tel spectacle, vous ne supposez pas que cet objet et ce spectacle sont beaux seulement pour vous, mais qu'ils sont beaux pour tout le monde, de même que ce qui est vrai pour l'un doit être vrai pour tous.

La sensation est donc distincte du sentiment du beau ou de l'émotion esthétique. Les formes sensibles sont, dans l'objet, le support de ce principe immatériel, et les sens sont en nous l'intermédiaire nécessaire par lequel le beau arrive à la connaissance de notre âme ; mais la jouissance et le principe appartiennent au monde immatériel et spirituel. Le matérialisme est la négation du beau à tout point de vue. Ainsi dit Gaborit.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 10:57 pm


L'émotion esthétique n'est pas produite en nous par l'utilité des objets. L'émotion esthétique est désintéressée, et elle est désintéressée parce qu'elle est produite par l'objet considéré en lui-même. L'émotion esthétique est agréable et sympathique quand elle est produite par la beauté, désagréable et antipathique si elle est produite par la laideur.

La beauté nous plaît, la laideur nous déplaît. Les objets du monde sensible produisent en nous l'émotion esthétique. Les êtres immatériels nous apparaissent sous des formes sensibles, excitent en nous l'émotion esthétique ; dépouillé de ces formes, ils ne le peuvent. La vérité abstraite ne suffit pas pour nous faire jouir de la beauté, précisément parce qu'elle est immuable et qu'elle ne peut agir sur notre sensibilité. Partant, elle ne peut exciter notre sympathie ou notre antipathie.

C'est par l'expression que les objets du monde sensible produisent en nous l'émotion esthétique. Les formes dépourvues d'expression sont insuffisantes pour nous donner l'émotion esthétique. Si les formes matérielles pouvaient constituer la beauté, ce serait par des qualités de proportion, d'harmonie, d'unité, de variété, qui satisferaient notre regard, et l'on dirait alors qu'elles répondent à un principe d'ordre.

Mais il n'y a pas d'ordre purement naturel, car l'ordre qui est établi sur des éléments matériels et règle leurs dispositions, répond à une conception. L'ordre est donc le fruit d'une conception ou bien il résulte de l'application d'une loi. L'ordre ainsi compris peut nous faire jouir du beau, et la beauté sera plus digne d'admiration à mesure que la conception aura plus de valeur, que la loi sera d'un ordre plus élevé et aussi à mesure que la réalisation de la conception ou l'application de la loi sera plus réussie.

Nous pouvons donc conclure que, dans les objets qui sont beaux, il y a des qualités matérielles ; mais les qualités matérielles sont insuffisantes pour nous donner la raison de la beauté. Encore une fois, c'est par l'expression que les objets du monde sensible produisent en nous l'émotion esthétique.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 11:18 pm


Mais qu'est-ce que l'expression ? C'est la révélation ou l'indication d'un invisible, d'une idée, d'un sentiment, par un sensible, par des formes, des mouvements, des mots, des sons ; elle suppose donc un rapport entre les deux éléments : l'élément sensible et l'élément insensible, le premier nous révélant le second. L'expression est naturelle ou conventionnelle. Seule la première, par elle-même, peut nous faire jouir du beau ; l'expression conventionnelle ne peut y concourir que très indirectement. Pour que l'expression nous fasse jouir de la beauté, il faut que l'invisible prenne dans le signe une forme, et, l'on pourrait dire une physionomie qui fasse vivre et dont tous puissent comprendre la signification.

L'expression, encore une fois, est la révélation d'un invisible par des formes sensibles. L'invisible qui nous est révélé est toujours une activité, une force. Or il est dans la nature d'une activité d'agir, dans la nature d'une force de se développer, et ces évolutions de l'activité, ces développements de la force pourront s'effectuer très diversement et arriver à des résultats de valeurs très différentes.


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Message  Roger Boivin Sam 23 Oct 2010, 11:48 pm


Il y a trois genre d'activité : 1 -  l'activité qui se développe d'elle-même et par un mouvement spontané, c'est-à-dire la vie dans son efflorescence naturelle ; 2 - l'activité intelligente et libre qui, dans ses évolutions, se détermine d'après des motifs dont elle a pris connaissance et pour arriver à une fin ; 3 - enfin, l'activité dont la puissance nous surpasse dans son action et ses œuvres.

De ces trois genres d'activité, le premier produit le gracieux ; le second, le beau proprement dit ; le troisième , le sublime.

Les deux éléments de l'expression sont : 1 - le sensible, la forme, la matière ; 2 - l'invisible, la pensée. La question d'art est une question de forme. Une pensée exprimée de telle manière sera commune ; présentée sous une autre forme, elle devient brillante, splendide. Pour faire une œuvre d'art qui soit réussie, il ne suffit pas d'exprimer des pensées justes et morales, et même des sentiments élevés ; car ce serait simplement faire œuvre de moraliste.

Le moraliste peut parler le langage commun, mais ni les dieux, ni les hommes ne permettront à l'artiste d'être médiocre.

L'Art, par le prestige de la forme, peut-il faire admettre comme beau ce qui n'a que de la laideur ? Non, évidemment. Ce qui est moralement laid ne peut devenir beau moralement par le prestige de la forme, pas plus que ce qui est laid physiquement ne devient beau, uniquement parce qu'il est représenté, supposé qu'il ne soit transformé.

L'Art a donc pour but direct l'expression du beau : il se propose de nous présenter d'une façon permanente la beauté que nous voyons imparfaite et fragile dans la nature. Il en recueille les traits et les fixe pour qu'ils soient admirés par toutes les générations qui se succéderont dans la suite des âges. En dernière analyse, l'Art, en nous faisant jouir du Beau, exerce sur nos âmes une influence salutaire et nous fait aimer le bien. C'est là son but indirect(1).


(1) - Donc le Beau n'est qu'un moyen qui a pour but de faire aimer le Bien. roger.


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 12:11 am


L'ART,  EXPRESSION DE L'ÉMOTION


La plupart des esthéticiens modernes accusent la métaphysique de jeter la confusion dans le domaine de l'Art. La métaphysique étant par essence la connaissance des causes premières et des premiers principes, on conçoit qu'elle ne soit d'aucune utilité aux artistes ultra-modernes pour expliquer et imposer les œuvres qui s'inspirent de la liberté à outrance, voire même d'un certain sadisme.

Il n'est pas étonnant dès lors de lire sous la plume de l'un d'eux une phrase dans le genre de celle-ci : « Notre orgueil métaphysique nous fit croire depuis longtemps que nous possédions la connaissance philosophique, quand l'essentiel de la vie philosophique n'est pas dans la possession de la connaissance, mais dans la recherche continuelle de cette possession ». (sic). Mais ce que l'on comprend moins c'est le rejet absolu de la métaphysique par certains partisans de l'ordre, tel le sculpteur Ruckstull, qui y voit également une cause de confusion.

La métaphysique, vérité sans défaut, permet pourtant aux hommes d'acquérir la véritable sagesse. Elle répond d'ailleurs au besoin d'explication totale, absolue, inhérent à l'intelligence humaine. Les sciences positives arrivent à déterminer avec rigueur des lois de plus en plus générales, mais elles n'abordent point les questions concernant la nature, l'origine et la destruction des choses, et ne cherchent même pas si elles ont, ou non, une destination. Ces problèmes, auxquels les sciences renoncent volontairement, sont justement l'objet de la métaphysique.


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 1:51 pm


Dans son ouvrage GREAT WORKS OF ART AND WHAT MAKES THEM GREAT, le sculpteur Ruckstull nous dit que Bacon donna à l'esthétique un essor nouveau, en substituant dans la discussion l'induction à la déduction, deux opérations de l'esprit dont l'une va du composé au simple, l'autre du simple au composé, et qui donnent lieu à deux méthodes que l'on a appelées analytique et synthétique.

La vraie méthode doit être un juste mélange des deux ; elle doit unir et employer successivement, selon les besoins du sujet, l'analyse et la synthèse, l'induction et la déduction. C'est la méthode analytico-synthétique qu'employa constamment saint Thomas. M. Ruckstull cite dans son livre des philosophes de toutes nuances, mais il oublie totalement saint Augustin et saint Thomas.

Victor Hugo, qui dressa une liste des grands génies de l'humanité, place saint Augustin au premier rang. Un philosophe comme Jacques Maritain ne croit pas déchoir en suivant saint Thomas d'Aquin. M. Ruckstull aime mieux citer Victor Cousin. Toutefois, dans son livre, il émet des idées très intéressantes sur l'Art, dont il donne d'ailleurs une excellente définition. Il arrive, par une voix différente, sensiblement aux mêmes conclusions de saint Thomas qu'il ignore. Il nous fournit aussi des renseignements précieux sur l'origine de l'art moderne.


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 3:13 pm


Il ne fait aucun doute que M. Ruckstull soit un esthéticien très calé. Il est d'origine alsacienne. Il naquit le 22 mai 1853 à Breitenbach ou Grossbreitenbach, ville renommée pour ses ouvrages en bois. Il n'avait que trois ans, lorsque son père émigra aux États-Unis pour aller s'établir à Saint-Louis, Missouri, où se tint en 1904 une grande Exposition, dont la section de sculpture fur précisément confiée à M. Ruckstull. Car le jeune Alsacien manifesta dès sa plus tendre enfance du goût pour la sculpture. Et c'est dans le but de faire des études sérieuses que vers 1882 il partait pour Paris où il étudia avec Bonnassieux de l'École des Beaux-Arts. Il passera douze années de sa carrière à Paris.

Plus tard, il établira à New-York un studio qui aura son heure de célébrité. On lui doit plusieurs œuvres , dont Le Soir, qui lui a valu une mention honorable au Salon de Paris de 1888. Il obtint beaucoup plus tard la Grande Médaille de l'Exposition universelle de Chicago. La ville de Saint-Louis est très fière de son groupe Mercure s'amuse. Tout le monde peut admirer sa statue de Solon à la Bibliothèque du Congrès à Washington. M. Ruckstull s'intéressa particulièrement à l'esthétique, et son activité fut très grande dans ce domaine, surtout comme le directeur le plus influent de la société National Arts and Letters.

On lui doit la fondation de la National Sculpture Society. A l'époque de la Guerre de 1914, il rédigeait la revue « The Art World », qu'il avait lui-même fondée. Enfin, son livre GREAT WORKS OF ART date de 1925.

C'est dans ce livre que Ruckstull s'en prend aux métaphysiciens pour leurs mauvaises définitions de l'Art, définitions, dit-il, illogique et contraires au bon sens. Il reconnait toutefois que Bacon échoua lui-même à définir l'Art. Aujourd'hui, tout chacun veut apporter sa définition personnelle. Tolstoï, dans son Esthétique, dit que « chaque fois qu'un charlatan de l'Art invente une nouvelle mode ou cède à un nouveau caprice, à une nouvelle fantaisie, il rédige une définition de son crû pour justifier cette mode, ce caprice, cette fantaisie. On emploie le mot « Art » pour désigner un peu toutes sortes de choses. On a l'art de vivre, l'art de mourir, l'art de ceci, l'art de cela.


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 3:27 pm


Une mauvaise définition de l'Art est celle de Havelock Ellis : « L'Art est la somme de toutes les énergies humaines ». Platon, dit Ruckstull, confondit la Beauté avec l'Art. Les grecs n'avaient pas besoin de définir l'Art. Ceux qui vinrent après Platon ont cherché, sans succès d'ailleurs, dit-il, à définir l'Art. Les esthéticiens de la Renaissance ne furent pas plus heureux. Non seulement les philosophes n'ont point réussi à donner une véritable définition de l'Art, mais ils ont contribué à jeter la confusion en traitant le sujet. Pour remettre un peu de clarté dans ce domaine, l'artiste doit chercher maintenant une définition qui soit acceptable de tous ceux qui sont libres de préjugés.

On peut envisager l'Art à deux points de vue différents : comme procédé et comme produit. Le procédé est une activité, une méthode, une manière idéale de faire les choses. Le produit est le résultat de ce procédé, c'est-à-dire l'œuvre d'art bonne ou mauvaise, excellente ou médiocre. Bacon a dit que « l'Art était l'homme ajouté à la nature ». C'est une excellente définition du style, parce que le style dans l'Art est l'addition de l'homme à la nature.

De cette addition peut résulter une œuvre d'art comme aussi une pièce d'industrie. « L'Art, dit Goethe, s'appelle l'Art parce qu'il n'est pas la nature ». C'est également une bonne définition du style. En effet, le style est un éloignement de la nature en tant qu'on ne la copie point servilement. La parole de Goethe est aussi un plaidoyer pour l'idéalisme en art. Ces deux définitions, qu'on a mal interprétées, ont jeté la confusion pendant plus d'un siècle et demi, puisqu'elles n'avaient trait qu'au style, qui n'est que l'un des éléments d'une œuvre d'art.

Coleridge, un auteur anglais, a dit : « L'Art n'est pas une chose, c'est un moyen ». Définition absurde. Quand on parle de l'Art (avec une majuscule), on entend les Beaux-Arts. C'est d'ailleurs ce qu'ont compris les meilleurs esprits au cours des siècles. Pour eux l'Art était synonyme d'œuvre d'art : sculpture, tableau, etc.

Il n'y a aucune raison valable de changer d'attitude, d'adopter une autre conception de l'Art. Pourquoi permettrait-on aux charlatan de se mettre en vedette et de faire servir leurs nouveaux procédés, leurs modes nouvelles, leurs caprices, à une définition de l'Art ? Ce serait ridicule. N'empêche que W. Stevenson donne cette formule-type : « La Technique est l'Art, et ceux qui ne sont pas intéressés dans la Technique ne sont pas intéressés dans l'Art ». Rien de plus absurde encore.

La Technique n'est point l'Art, elle n'est qu'une partie de l'œuvre d'art. Par la Technique on manifeste tout simplement une certaine habilité, qui n'est pas plus difficile que la dextérité, par exemple, d'un champion de billard. Croit-on que cette dextérité soit si facile, ou qu'elle puisse s'acquérir sans talent naturel ? Le joueur de billard, qui fait 100 points, sera très habile, mais jamais il ne lui viendra à l'idée de se dire artiste. Toutes ces définitions de l'Art sont enfantines. On peut d'ailleurs les réfuter par l'absurde en disant qu'il faut de « l'art, de l'habilité, pour fabriquer une machine, mais que celle-ci n'est point une œuvre d'art, étant tout simplement une invention mécanique. »


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 4:57 pm


Mais la pire définition de l'Art comme procédé, au dire de Ruckstull, est celle de Benedetto Croce, critique et philosophe italien, qui a publié en 1902 son ESTHÉTIQUE COMME SCIENCE DE L'EXPRESSION. Croce, nourri de Vico, et surtout de Hegel, donne une place très grande, dans l'œuvre d'art, à l'intuition et au lyrisme pur. Il a exercé une grande influence. Croce professe que la philosophie est indispensable au critique. Il n'en fallait pas plus pour exciter l'ire de Ruckstull, qui en a contre les métaphysiciens. M. Ruckstull a bien raison toutefois de répudier la définition que donne Croce de l'Art.

Il est évident que Croce n'a jamais lu les interviews de Michel-Ange à Hollendia, ni ce qu'ont dit Léonard de Vinci, Reynolds, Fromentin, Delacroix, Millet et bien d'autres. Tous ces artistes avaient la compétence voulue pour parler de l'Art. Croce croit-il que Rembrandt, Rubens et le Titien n'étaient point capables de parler d'esthétique parce qu'ils ne nous ont laissé aucun écrit ? Il faut bien se dire qu'à l'époque où ils ont vécu, il n'était pas de mode de se faire imprimer, parce (que) le coût de l'impression était trop élevé. Ces artistes d'ailleurs étaient bien trop occupés à produire.

Au surplus, avant 1850, l'Art avait-il besoin d'être défini ? De Phidias à Couture, tous les artistes sans exceptions envisageaient l'Art du même point de vue : le produit fini. Il n'était donc pas question du procédé, de la manière idéale de faire les choses. Une définition comme celle de Croce est aussi illogique que les précédentes. On peut se demander si Benedetto Croce était sincère. Ne fut-il pas, comme tant d'autres, un de ces individualistes à outrance qui font le malheur de notre siècle ? Ils veulent arriver à la notoriété par tous les moyens. Ils n'hésitent pas à contredire le bon sens et à abandonner les avenues de la pensée que suivirent pendant si longtemps les meilleurs cerveaux de l'humanité.


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 10:11 pm


Demandez au public quel sens il donne au mot « Art ». Il répondra invariablement qu'il s'agit d'un produit fini, d'une chose concrète qu'il nomme tableau, statue, etc. C'est le langage du bon sens. Choisir le procédé nécessaire à la création d'une œuvre d'art et intituler ce procédé « Art », le définir comme tel, est une grossière erreur. Si cette erreur est faite consciemment pour un motif égoïste, elle devient du charlatanisme. Depuis plus de quatre-vingt ans, les extrémistes entendent régenter le domaine de l'Art. Pour eux, l'œuvre d'art est grande, lorsqu'elle est peinte, modelée ou rythmée d'une certaine manière. Elle est grande, disent-ils, parce que la manière de la produire est grande. En somme, si l'artiste applique cette manière à une centaine d'œuvres qu'il peut produire, toutes et chacune seront grandes, nonobstant le sujet, noble ou ignoble. Ils en ont de l'audace, ces artistes modernes, croyant ne produire que des chefs-d'œuvre !...

On voit immédiatement la conséquence d'une telle conception : la Technique important seule, l'artiste pourra se livrer à toutes les fantaisies inimaginables. Plus de limites, plus de freins, plus de discipline, l'artiste pourra désormais créer des œuvres d'art les plus immorales, les plus idiotes, les plus morbides, les plus dégénérées qui soient. Et il aura la prétention de les juger grandes parce qu'il a employé une certaine manière idéale dans leur production. Ce n'est plus le caractère, excellent ou médiocre, des choses qui compte pour lui, c'est la manière de produire une œuvre d'art, ce qui nous ramène à la pauvre définition de Goleridge : « L'Art n'est point une chose, mais une manière, un moyen ».

Hélas ! le point de vue de l'Art comme procédé est accepté aujourd'hui par un trop grand nombre d'artistes, qui se font une fin de la manière pour négliger quelques-uns des six éléments dont se compose une œuvre d'art :

la conception,
la composition,
l'expression,
le dessin,
la couleur
et la technique.


C'est ce qui explique que nous ayons un si grand nombre d'œuvres incompréhensibles, dont quelques-unes attestent la dégénérescence avancée. C'est le chaos et la confusion.


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Message  Roger Boivin Dim 24 Oct 2010, 11:18 pm


Dans certaines expositions il n'y a pas de quoi nourrir les êtres assoiffés d'idéal et de véritable spiritualité, car on ne leur offre que des pierres au lieu du pain. L'artiste sain de tous les temps a toujours considéré l'Art comme produit. L'artiste moderne a changé tout cela : il fait de la peinture pour la peinture, de la couleur pour la couleur, comme d'autres font de l'art pour l'art. Il ne s'attache plus particulièrement à la beauté. Il peindra même la laideur. Pour lui, seule la manière importe. Toutes les opinions, toutes les doctrines, tout ce qui lui passe par la tête, ne sont pour lui qu'un support sur lequel il étale sa science pour que l'on dise : quelle habilité ! Car le résultat le plus important qu'il cherche est de faire briller son talent. S'il réussit, sa vanité est satisfaite(1).

De tout côté, les partisans de l'ordre et de la liberté bien comprise dédaignent toutes les œuvres modernes qui n'élèvent point leur âme et ne leur  communiquent pas de grandes pensées, de nobles sentiments. Ils se retournent vers les œuvres de Dieu pour y voir la beauté rayonner de toutes parts ; là aussi, et bien mieux encore que dans les œuvres licencieuses, ils trouvent des jouissances qui leur seront toujours salutaires. Car dans les arts comme dans la nature(2), le beau « est l'union harmonieuse de la vérité  avec elle-même, avec le bien, avec les formes sensibles, dans le but du perfectionnement, du développement moral, rationnel et civil de l'humanité, cheminant vers son éternelle destinée et s'efforçant déjà de jouir comme d'un avant-goût du bonheur sans mélange qui lui est réservé. »

Aujourd'hui plus qu'autrefois, le matérialisme trivial s'oppose au spiritualisme sublime. Ce qui est vrai pour la peinture est vrai pour tous les autres arts. Ce qui n'empêche pas certains esthéticiens ultra-modernes de parler de spiritualité au sujet des œuvres d'art des peintres dégénérés. Il est évident qu'on a perdu les notions de toutes choses, comme l'écrivait Jacques Heugel.


(1) - L'affaire n'est pas de faire le beau, mais de faire du beau ; et ce pas pour sa propre gloriole, mais pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. roger.

(2) - La Création est le reflet du Créateur. roger.


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Message  Roger Boivin Lun 25 Oct 2010, 12:27 am


Clive Bell, autre esthéticien moderne, voulant donner une définition de l'Art, parle de forme symbolique (significant form). L'Art moderne étant par essence un art d'exagération délibéré et de déformation, on comprend que cette définition soit exploitée à outrance par les « ultras » pour se mettre en vedette.  Elle entre dans la catégorie des définitions personnelles que condamnait Tolstoï. La nature est tellement déformée parfois qu'elle est méconnaissable. Les artistes ultra-modernes se font illusion s'ils croient que l'humanité soit si facile à duper.

Ils ne réussiront jamais, malgré leur impudente campagne, à convaincre le reste de l'humanité d'abandonner sa façon de voir, de sentir la vie à travers la nature, pour adopter le point de vue artificiel des artistes dégénérés, qui imaginent et créent des formes si peu conformes à la nature particulière des êtres qu'elles deviennent incompréhensibles et même, dans certain cas, monstrueuses. Cela fait penser aux rêves morbides qui hantent le cerveau de l'homme en état fort avancé d'ébriété. On n'a que faire aujourd'hui de définitions personnelles de l'Art, on attend une définition qui soit d'application universelle, qui couvre tous les beaux-arts. Et cette définition aura trait au produit et non au procédé.

Des esthéticiens sont venus pourtant bien près de donner cette définition. Leur tort fut, comme certains métaphysiciens, de donner des définitions incomplètes. Alfred Stevens, peintre belge, dit, par exemple : « La peinture est la nature vue à travers une émotion ». C'est une bien pauvre définition, mais elle a toutefois le mérite de suggérer l'un des éléments de tout art : l'émotion. Le musicien français Delsarte a dit que « L'Art est une émotion vue à travers la pensée et rendue dans une forme ». C'est une bonne définition abstraite de l'Art.

Eugène Véron, dans son ESTHÉTIQUE, donne aussi cette excellente définition abstraite : « L'Art est la manifestation d'une émotion transmise au dehors par la combinaison de lignes, de formes ou de couleurs, ou par une série de gestes, de sons ou de mots, sujets à certains rythmes ». Somme toute, ces trois définitions peuvent former la base d'une définition véritable, car l'Art consiste d'abord à exprimer l'émotion dans une forme. Cette simple définition a l'avantage de s'appliquer à tous les beaux-arts et d'exclure l'œuvre faite de la main de l'homme dans un but matériel, car l'Art a une fin spirituelle : il élève l'homme au-dessus de la matière, lui ouvre la sphère de l'idéal et de la poésie. Il faut donc savoir distinguer l'art comme procédé et comme produit. L'expression humaine dans une forme constitue la base de toute œuvre d'art. L'artiste peut sans doute exprimer ses propres émotions, mais il sera plus grand s'il cherche à éveiller l'émotion chez les autres.


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Message  Roger Boivin Lun 25 Oct 2010, 12:49 pm


L'émotion se distingue nettement de la sensation. Les artistes ultra-modernes feignent de l'ignorer. Ils donnent par là dans les théories matérialistes en cours qui contredisent la notion depuis longtemps reconnue de la constitution de l'être humain en corps et en âme. La chrétienté se doit de rejeter toutes les théories matérialistes parce qu'elle possède des textes authentiques qui en sont la négation.

L'âme est la source de nos émotions tandis que le corps est le siège de nos sensations. Cela, M. Ruckstull le reconnait comme les métaphysiciens qu'il déteste. Il donne toutefois une définition de l'émotion, que la métaphysique ne répudierait pas. « L'émotion, dit-il, est un état d'âme plus ou moins agité, de courte durée, occasionné par la surprise, le choc, résultant de la collision sur l'âme de faits et de choses de la vie et de la nature, soit intérieure, soit extérieure ». Il a bien raison aussi de distinguer l'émotion du sentiment, car il y a nuance. « Le sentiment, dit-il, est un état d'esprit plus ou moins agité, d'une durée plus longue que l'émotion, engendré parfois par une émotion et surgissant aussi en nous lentement sans émotion préliminaire ».

Nous avons vu que d'après M. Ruckstull l'Art est l'expression des émotions humaines et des sentiments. Cette définition abstraite lui semble insuffisante, il s'est appliqué à en trouver une autre, plus complète, qui soit d'application universelle. Voici comment il fut amené à l'énoncer. Il raconte que le gouvernement américain retint, en 1899, ses services comme spécialiste dans le domaine de l'Art. On lui demanda de juger en dernier ressort si telle marchandise entrant au pays pouvait être considérée comme une œuvre d'art. On sait que les que les droits de douane sont beaucoup moins élevés sur les œuvres d'art que sur les autres marchandises. A New-York, l'Administrateur des douanes n'avait recours au jugement souverain et sans appel de M. Ruckstull que dans les cas douteux. Le plus souvent, l'Administrateur, ou le Percepteur, se contentait de demander l'opinion officieuse d'artiste de renom.


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Message  Roger Boivin Mar 26 Oct 2010, 1:51 am


Un jour, un M. Lamb se présente chez Ruckstull pour lui apprendre que l'Administration des douanes avait taxé un autel en pierre de Caën parce que, disait-il, ce n'était pas une œuvre d'art. Protestation de M. Lamb. L'Administrateur demanda alors l'opinion de sculpteurs célèbres qui ont déclaré que l'autel de M. Lamb n'était pas, en effet, une œuvre d'art. M Ruckstull ne cacha pas son étonnement et s'offrit pour témoigner en faveur de M. Lamb. Au jour fixé, le Percepteur plaça le plan de l'autel de M. Lamb devant lui et demanda si un autel fait d'après ce plan était une œuvre d'art. Réponse affirmative de Ruckstull. L'Administrateur l’interrompit pour lui apprendre que les sculpteurs St-Gaudens Ward, Hartley, MacDonald et Rhind avaient affirmé que l'autel de M. Lamb n'était pas une œuvre d'art.

- Qu'à cela ne tienne, répliqua Ruckstull. Un homme peut être un grand artiste mais un piètre esthéticien.

- Vous-même, M. Ruckstull, dit l'Administrateur d'un air sceptique, êtes-vous bien capable de nous donner une véritable définition de l'Art ?

- Oui, répondit-il. Et il donna la définition suivante : « Toute œuvre humaine, en quelque langue que ce soit, qui a pour but d'exprimer ou provoquer l'émotion humaine, est une œuvre d'art ; et une œuvre d'art est grande dans la mesure où elle crée les plus grandes émotions, les plus durables, chez le plus grand nombre de personnes cultivées. »

Le Percepteur lui fit remarquer que cette définition avait trop d'étendue, mais M. Ruckstull répliqua qu'une bonne définition doit être tout à la fois inclusive et exclusive. « Les esthéticiens sérieux, dit-il, ont toujours reconnu que la mission de l'artiste véritable était d'exprimer ses émotions et de provoquer celles des autres.

« Mais il y a toutes sortes d'émotions. On sait que les plus belles cathédrales suscitent, au point de vue de l'architecture, l'émotion esthétique. or un autel est une partie de la cathédrale. Si l'autel n'est qu'une simple pierre pour l'usage du culte, on le classe dans la catégorie des objets d'utilité. Mais s'il prend des proportions monumentales, s'il affecte les formes capricieuses de l'architecture, ogivale ou autre, il devient une œuvre d'art qui est plus qu'un objet d'utilité puisqu'il suscite l'émotion esthétique et qu'il sert à élever l'âme. vous ne m,avez pas demandé, M. l'Administrateur, si l'autel de M. Lamb est une grande œuvre d'art. D'ailleurs cela ne regarde pas le Gouvernement. La seule question qu'il doit se poser est celle-ci : « cet autel est-il une œuvre d'art ? » Les sculpteurs qui ont dit que l'autel de M. Lamb n'en était pas une ont voulu tout simplement dire qu'on ne pouvait pas la classer dans la catégorie des grandes œuvres d'art. Le gouvernement n'a pas à se prononcer sur l'excellence ou la médiocrité des œuvres d'art qu'on lui soumet pour fin de douane. Il peut en refuser l'entrée au pays pour une question de moralité. Certains critiques disent des œuvres de Rodin qu'elles sont belles. D'autres affirment le contraire. Le gouvernement doit les admettre en franchise, si elles ne sont pas foncièrement immorales. »

Le témoignage de Ruckstull eut un effet salutaire : le cas fut référé aux autorités de Washington qui acceptèrent la définition de Ruckstull et renversèrent la décision du Percepteur new-yorkais, malgré le témoignage des sculpteurs consultés. bien plus, le Gouvernement américain ne fit jamais plus appel au service d'experts. La définition de l'Art par M. Ruckstull avait donné une solution définitive au problème.


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Message  Roger Boivin Mar 26 Oct 2010, 1:32 pm


D'où il faut conclure à l'importance d'une bonne définition de l'Art. Il faut également reconnaître que l'art est un langage, comme l'ont affirmé d'ailleurs tous les esthéticiens, de Baumgarten à Tolstoï. M. Ruckstull divise l'Art en deux catégories : l'art vulgaire et le grand art. Le premier est dit décoratif ou plaisant ; le second, expressif ou stimulateur. L'Art expressif, dit-il, est le seul qui ait une portée sociale parce qu'il provoque les plus grandes émotions humaines. Il est unificateurs des races et des société, il est une force active et vivante.

M. Ruckstull, par sa définition de l'art d'application universelle, arrive sensiblement au même résultat que les métaphysiciens qu'il méprise. Nous avons voulu, au risque de nous répéter parfois, analyser pour le besoin de notre démonstration, le chapitre de M. Ruckstull sur l'Art. Nous avons vu que les partisans de la méthode inductive ne le cèdent en rien aux métaphysiciens dans l'art de donner des définitions incomplètes et même confuses. Bacon et Goethe, on l'a vu, confondent le style et la manière avec l'art.

Le style et la manière ne sont que les éléments partiels d'une œuvre d'art. D'ailleurs, nous reviendrons sur le sujet dans le prochain chapitre. La technique aussi n'est qu'un des six éléments d'une œuvre d'art.

Certains philosophes, tel saint Thomas, étaient donc dans le vrai lorsqu'ils ont dit que l'Art était l'expression sensible du beau. Avec la foi et l'amour, avons-nous dit, l'Art atteint sa fin. Car il a une fin suprême, qui est de raconter à sa manière la gloire de Dieu et d'entraîner l'homme dans le sens de sa véritable destinée. M. Ruckstull, n'étant pas métaphysicien et ne voulant pas rechercher la cause première des choses, ne voit dans l'Art que la fin sociale, celle de perfectionner la vie humaine, d'imprimer à l'humanité une marche ascendante et progressive. Comme nous l'avons dit aussi, la religion de M. Ruckstull l'empêche probablement de s'élever dans la sphère de la véritable spiritualité.


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Message  Roger Boivin Mar 26 Oct 2010, 2:18 pm


Quoiqu'il en soit, nombre d'artistes, et des plus grands, ont donné des définitions spiritualistes de l'Art. Vincent d'Indy dit que « l'Art est une façon d'immortaliser ce qu'il y a dans l'homme de divinité ». Un autre dit que « l'Art vit des traces de Dieu, de ses pensées incarnées dans les choses, de ses images fugitives, de ses reflets. »

Richard Wagner disait que l'œuvre d'art n'est jamais, en somme, que la proclamation de tous, avouée ou surprise, condensée par un seul, de la transposition du réel dans l'idéal. Il disait aussi que « les formes ne valent qu'en se renouvelant toujours ». Il n'admettait donc pas que l'Art fut voué à l'uniformité et ne condamnait sans merci que les modes conventionnels qui ne correspondent plus à rien de vivant. Cela est tellement vrai chez Wagner que tout en restant fortement personnel son œuvre évolue sans cesse des « Fées » - son premier opéra - jusqu'à « Parsifal », cette prière finale qui n'est pas inférieure mais différente de ses autres compositions. Cette évolution, cette ascension continuelle est si perceptible qu'il serait presque impossible d'adapter la musique d'une œuvre à une autre, chaque sujet ayant la musique qui lui est propre. Tout cela est si définitif, si voulu, si pensé et pourtant la spontanéité y règne en maîtresse.  

D'autres auteurs, matérialistes ceux-là, tel Émile Zola, ne croient pas à la beauté artistique. Émile Zola, en 1866, écrivait : « C'est une bonne plaisanterie de croire qu'il y a en fait de beauté artistique, une vérité absolue et éternelle. La vérité une et complète n'est pas faite pour nous qui confectionnons chaque matin une vérité que nous usons chaque soir. Comme toute chose, l'art est un produit humain, une sécrétion humaine ; c'est notre corps qui sue la beauté de nos œuvres. Notre corps change selon les climats et selon les mœurs, et la sécrétion change donc également.

« C'est dire que l'œuvre de demain ne saurait être celle d'aujourd'hui ; vous ne pouvez donner aucune règle, ni formuler aucun précepte ; il faut vous abandonner bravement à votre nature et ne pas chercher à vous mentir...
» Un journaliste de Montréal, qui citait cette phrase récemment, matérialiste lui aussi, ajoutait ce simple commentaire : « Combien juste ! » Juste pour un naturaliste comme Émile Zola et un matérialiste comme ce jeune journaliste. Il n'y a pas de beauté relative, la beauté est absolue. Ce qui est relatif, c'est l'appréciation de la beauté ; la beauté ne change pas, seul le degré de notre appréciation. Enfin, et c'est par là que nous terminerons ce chapitre, nous dirons avec Gustave Cohen, qui n'est pas le premier venu : « La création d'art est le retour à l'éternel, le recours contre le momentané. »


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Message  Roger Boivin Mer 27 Oct 2010, 1:03 am

STYLE ET MANIÈRE


Chateaubriand a dit : « Un livre vit par la vertu de son style ». Cette parole est à la fois une demi-vérité et un demi-mensonge. Aucune œuvre d'art ne vit par la vertu de son style. Qu'est-ce donc que le style dans l'Art ? Voilà tout d'abord deux mots sur lesquels les esthéticiens modernes ne semblent pas avoir des idées très claires. Bacon a dit : « L'Art, c'est l'homme ajouté à la nature ». Ce n'est pas tout à fait vrai, ce n'est qu'une demi-vérité. Il semble que ce qu'a voulu dire Bacon est que « le style est l'homme ajouté à la nature ». Pope écrira plus tard : « L'Art véritable est la nature avantageusement parée. »

D'après Aristote, le principe de l'Art est l'imitation. On a vu dans quel sens il entendait le mot « imitation ». Boileau mit cette théorie en évidence dans son ART POÉTIQUE. Il est possible de définir le style, mais on n'y arrivera jamais s'il s'agit du beau style, car les opinions sont diverses. Qui n'a lu ou entendu cette parole : « Le style c'est l'homme ». Elle est tout simplement la forme dénaturée que l'on donne à une pensée de Buffon : « Le style est l'homme même », qui est généralement interprétée à contresens. Buffon a voulu dire que dans un ouvrage les faits et les idées deviennent le patrimoine commun de l'humanité, mais que le style reste la propriété personnelle de l'écrivain. Il n'y a aucun rapport entre cet aphorisme et la pensée contestable de Sénèque : « Le style est le visage de l'âme... le style des hommes ressemble à leur vie ». Il y a parfois désaccord entre le style de l'écrivain et son caractère.

D'ailleurs, Buffon écrivit par la suite : « Le style n'est rien autre chose que l'ordre et le mouvement dans nos pensées ». Par là il signifiait le plan, la construction, la composition d'une œuvre. Ce qui revient à dire que l'élément essentiel de tout style, bon ou mauvais, est en quelque sorte le plan, l'agencement des masses variées, des paragraphes, des lignes, des parties d'un livre, d'une statue ou d'une peinture que l'artiste fait et par lequel il exprime ses pensées. Dans tout style il y a toujours deux éléments opposés : l'universel et l'individuel, le général et le particulier. Le premier élément est impersonnel et n'appartient pas en propre à l'auteur et à l'artiste ; le second, par contre, est individuel. Dans toute œuvre d'art véritable, il y a donc un élément universel qui est le patrimoine d'un peuple, d'une race, ou encore de l'humanité totale. C'est l'élément impersonnel qui, à certaine époque, longue ou brève, impressionne l'individu. Cet élément impersonnel est généralement le style qui domine une époque, longue ou brève. L'Égyptien avait un style général en architecture qui prédomina dans la vallée du Nil pendant 4,000 ans, avec quelques légères modifications dans les détails. Le style classique grec a dominé le monde occidental pendant 2,500 ans. Le style gothique eut de la vogue pendant tout près de 700 ans. Le style Empire dura à peine un siècle. Ceci, nous le répétons, est l'élément universel, impersonnel dans le style de tout individu. C'est cet élément que nous appelons le style général, ou tout simplement le style.


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Message  Roger Boivin Ven 29 Oct 2010, 1:46 pm


Lorsque l'artiste suit le style général de son époque sana y apporter aucune contribution individuelle, on dit de cet artiste qu'il manque de style personnel, parce qu'il n'ajoute rien à la composition essentielle du style dominant. Mais si l'artiste, adoptant le style général de son époque, y ajoute un nouvel esprit, on dit alors qu'il a un style personnel. Pourquoi a-t-on surnommé Raphaël « le prince des artistes » ? Est-ce par sa manière personnelle de peindre ? Non, assurément. C'est par son style : la beauté exquise, poétique, éternelle de la figure de ses madones, de ses enfants et de ses prêtres. Regardons attentivement sa Sainte Famille de François 1er : c'est peut-être la plus belle peinture religieuse du monde. Comparons-la aux madones de Bouts et de Memling, dont les figures ne sont point belles, mais qui ont les traits plutôt durs.



ANARCHIE DANS L'ART. - Page 2 La-gra10

Sainte Famille de François 1°


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 2 Dirk_b10

Dirk Bouts, 1415-1475  


ANARCHIE DANS L'ART. - Page 2 Memlin10

Memling



Cette beauté raphaélique est matière de composition, de construction, de lignes faciles. Cet esprit de beauté chez Raphaël, cette idéalisation de types ordinaires de l'humanité, est la contribution personnelle de Raphaël au style général de l'époque. Cela marque l'apogée de l'art italien dans la direction de la beauté spirituelle et touchante. On n'aurait pas raison de se montrer surpris, si quelqu'un disait que ces œuvres sont d'Appeles ou de Zeuxis au lieu de Raphaël.

Outre le style dominant d'une époque, longue ou brève, et qui est toujours le résultat d'une évolution et non d'une invention soudaine de l'homme, il y a aussi une manière générale, dominant une époque. Ainsi, la plupart des artistes, de Van Dyck à Raphaël, ont adopté un procédé d'exécution qui n'avait rien de rude. La plupart cherchaient à réaliser complètement la nature par la plus grande imitation. L'artiste cherchait à effacer le plus possible toute trace de pinceau. Cette manière douce de peindre dura tout près de quatre siècles. Personne avant 1850 ne parlait de charme, de coups de pinceau en peinture. Baudelaire fut le premier écrivain à en parler, et il fut le prophète du modernisme en art. Les peintres commencèrent dès lors à chercher des procédés individuels d'application. Cet élément personnel de l'artiste s'ajoute à sa manière générale.


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Message  Roger Boivin Sam 30 Oct 2010, 1:40 pm


Mais trop souvent on appelle cette contribution personnelle de l'artiste son style, car elle n'a rien à voir avec le style, qui est matière de composition essentielle, elle est purement sa manière, c'est-à-dire une matière(1) d'exécution superficielle, de surface, autrement dit d'exécution technique. Que l'on regarde des peintures de Hans Memling et de Dirk Bouts : on observera que par le style général de leur composition, leur arrangement, leur esprit et leur expression, ce sont des peinture hollandaise du XV° siècle. Les deux peintres ont appliqué le style impersonnel de leur époque. Ils n'ont rien ajouté au style général, ils ont même suivi la manière de leur temps, c'est-à-dire l'effacement le plus possible de toute trace de pinceau. Ces artistes auraient cru déchoir s'ils s'étaient mis à rechercher intensivement une technique personnelle. Ils voulaient avant tout exprimer leurs sentiments religieux, leurs émotions, et cela de la façon la plus parfaite possible ; ils voulaient livrer au monde leur message en s'effaçant le plus possible afin que l'on puisse dire de leurs œuvres qu'elles étaient celles d'un ange, ou encore de saint Luc, leur patron. L'époque, en effet, était trop religieuse, trop impersonnelle, pour qu'ils aient eu même l'idée de verser dans la manie de l'égotisme que prêchera plus tard Jean-Jacques Rousseau.

On trouvera cependant dans les peintures de Bouts et de Memling des éléments personnels, mais ils sont imperceptibles. En tout cas, ils ne les ont pas recherchés. Ces éléments appartiennent au tempérament propre de chaque artiste, ils ne font point partie de son style mais de sa manière. On le constaterait en comparant ces diverses œuvres entre elles. On noterait ainsi des marques personnelles que l'artiste n'a pu éviter de mettre dans ses œuvres, malgré son intention d'effacer le plus possible toute trace de pinceau. Tout cela fut fait inconsciemment. Ces marques personnelles sont encore plus visibles lorsqu'on regarde les tableaux à la loupe. On noterait aussi que le bleu de Bouts n'a pas le même ton que celui de Memling. La même chose pour le rouge et le vert. Chacun a sa façon de sentir la couleur. De plus, on constate quelques légères différences dans le dessin, dans la ligne. Mais encore une fois, les deux artistes n'ont point cherché à manifester ces qualités personnelles qui les distinguent, lorsqu'on regarde d'un peu plus près leurs œuvres. Ces traits distinctifs sont là parce qu'ils n'ont pu faire autrement.



(1) - matière ou manière, que l'auteur a voulu écrire ; est-ce une erreur de frappe ?


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Message  Roger Boivin Sam 30 Oct 2010, 2:26 pm


D'aucun appellent cet élément personnel l'accent. C'est, si l'on veut, une partie de la manière de l'artiste, nettement distincte de son style. En d'autres termes, ce que l'artiste apporte délibérément dans son œuvre appartient soit à son style, soit à sa manière, mais ce qu'il y met inconsciemment est son accent. L'artiste des siècles passés n'en connaissait pas même le terme, ce sont les artistes modernes qui l'ont inventé ; ils en ont fait une fin en soi, alors qu'ils n'auraient dû rester qu'un moyen tout à fait secondaire. C'est cet accent personnel que Zola avait en vue lorsqu'il donna cette définition erronée :« L'Art est un coin de la nature vu à travers un tempérament ». Il voulait sans doute parler du style pour justifier le sien. Ce qui est vrai de la peinture l'est également de la sculpture. Le même principe s'applique à tous les arts. Nous le répétons, toute œuvre d'art, pendant tout près de 6,000 ans, manifestait deux éléments opposés : le style et la manière. L'élément personnel que l'artiste moderne ajoute délibérément au style général tend à amoindrir, sinon à détruire, le style à cause du changement progressif.

L'artiste qui, par caprice ou autrement, se fait une fin de l'accent personnel, est très mal vu de la partie la plus saine de l'humanité, artistes et public. C'est logique. La plupart des hommes, en effet, conservent d'instinct ce qui leur semble admirable. Mais la nature nous a ainsi faits que nous nous lassons de tout, même des choses les plus belles. Et l'on est porté à rechercher le changement, la nouveauté. C'est surtout fréquent chez ceux qui possèdent le moins. Les grands et les puissants détestent le changement. Et c'est pourquoi, dans le domaine de l'Art, il y a toujours eu deux clans : les tenants de l'art impersonnel et les individualistes. Le premier groupe, qu'on peut appeler académique, est opposé à tout progrès. Il veut rester impersonnel par un attachement aveugle aux règles dont il se fait une fin. C'est un mal, car il faut suivre une certaine évolution, si l'on ne veut pas rétrograder. Cet académisme qui a fleuri à tous les siècles ne fut pas le fait des artistes dont nous admirons aujourd'hui les grandes œuvres, qui appartiennent au patrimoine commun de l'humanité. Le second clan appartient aux partisans de l'excessif en tout. Dans le passé, ils n'ont guère eu la chance de s'imposer, car ils étaient mis au ban de la société. En somme, l'artiste sain de tous les temps est celui qui met en pratique l'inscription placée au frontispice du temple de Delphes : « Meyden Agan », rien à l'excès, que les Français ont traduite par l'aphorisme : « Cherchez le juste milieu. »


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Message  Roger Boivin Sam 30 Oct 2010, 3:10 pm


Pour revenir à la définition du style donnée par Buffon : « le style n'est rien autre chose que l'ordre et le mouvement dans nos pensées », nous devons dire que Buffon entendait par là la composition essentielle d'une œuvre d'art. Et par ces paroles : « Le style est l'homme même », il voulait tout simplement parler des détails superficiels d'exécution, de la manière, autrement dit de la technique. En d'autres termes, la composition est le style, la technique est la manière.

Voilà en essence l'œuvre d'art. Celle-ci, à vrai dire, se compose de six éléments : la conception, la composition, l'expression, le dessin, la couleur et la technique. Les trois premiers éléments sont essentiels, les trois derniers, superficiels. Les trois premiers font partie de la définition de Buffon : « Le style est l'ordre et le mouvement dans nos pensées » ; ce sont des éléments constructifs, si l'on veut. Les trois derniers sont compris dans la définition du même Buffon : « Le style est l'homme même » ; c'est ce que l'homme ajoute de lui-même, c'est-à-dire son tempérament, son habilité technique, ou, en d'autres termes, ce qui émane inconsciemment de son œuvre, qui n'est pas recherché et qu'on appelle son accent individuel. Ces éléments personnels, nous le répétons, constituent la manière de l'artiste. Nous aurons l'occasion dans le prochain chapitre d'analyser plus au long chacun de ces six éléments, qui forment ce que l'on peut appeler la mesure de l'Art.


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Message  Roger Boivin Sam 30 Oct 2010, 8:40 pm


Le style et la manière sont donc deux choses nettement distinctes, ce qui n'empêche pas des écrivains pourtant sérieux de les confondre toutes les deux, probablement parce qu'ils n'en ont jamais eu la véritable définition. Qu'est-ce donc que le style en art ? qu'est-ce que la manière ? Le style est une question de composition essentielle, d'arrangement de lignes, de masses et de couleurs, de mots, de sons et de mouvements, indiquant un éloignement de la nature réelle et de l'ordinaire. La manière, par contre, est une question d'exécution technique superficielle, indiquant également un éloignement de la nature réelle et de l'ordinaire.

Analysons davantage ces deux définitions. La photographie exacte de la nature n'a ni style ni manière, parce que la photographie est la copie mécaniquement fidèle de la nature. L'Art doit-il se proposer de reproduire la nature, de la copier ? Non seulement l'Art ne suivrait pas la meilleure voie en imitant la nature, mais il arriverait à manquer complètement son but. L'imitation n'est donc pas le moyen de l'Art, puisque ce moyen employé avec la plus grande perfection et de la façon la plus réussie manquerait le but. Le trompe-l'œil peut nous amuser, mais ce n'est pas de l'art sérieux. Gustave Planche raconte dans ses ÉTUDES SUR L'ART cette anecdote : « Pour mystifier les bourgeois d'Amsterdam, Rembrandt imagina un jour d'enlever le châssis d'une de ses fenêtres, et à la place du châssis il mit une peinture représentant sa servante dans l'attitude curieuse d'une fille qui regarde dans la rue. La réalité de cette image était si fidèlement rendue que plusieurs passants s'y laissèrent prendre. Ce ne fut qu'au bout de quelques jours qu'on s'aperçut de la supercherie. »

Il y a toujours de la part de l'artiste sain interprétation de la nature. La boite photographique seule n'interprète pas le modèle qui pose devant elle, parce qu'elle agit aveuglement. L'image qui en sort est plus ou moins sombre, plus ou moins brillante ; on peut reconnaître la teinte plus ou moins dorée qu'elle reçoit dans le visage comme une marque de fabrique, mais le photographe ne fait jamais passer dans son œuvre l'empreinte directe et immédiate de ses pensées et de ses impressions.

Supposons un peintre assis devant un paysage. Tant qu'il se bornera à copier aussi exactement que possible la réalité, il n'entrera aucun style dans son œuvre parce que le peintre ne change pas la composition. Mais s'il délaisse un tant soit peu la réalité par un détail de composition, s'il retranche ou ajoute quelque chose, il fait entrer le style dans sa composition. En d'autres termes, par soustraction ou addition, il recompose ce que la nature offre à sa vue. Il aura plus ou moins de style dans la mesure où cette soustraction ou addition sera plus prononcée. Mais hâtons-nous de dire que, pour rester dans les limites de la liberté bien comprise, l'artiste devra toutefois conserver à la nature son caractère essentiel. S'il lui prend la fantaisie de s'en départir totalement, comme le font nos peintres modernes, il fait un mauvais usage de la liberté, il s'autorise d'une licence non permise.


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ANARCHIE DANS L'ART. - Page 2 Empty STYLE ET MANIÈRE (suite).

Message  Roger Boivin Sam 30 Oct 2010, 9:12 pm


Mais dans toute œuvre d'art il y a un côté spirituel, il y a plus ou moins d'idéal. Lorsque cet élément se superpose à la composition, on a ce qu'on appelle l'idéalisation(1).

Avez-vous déjà vu l'Olympia de Manet ? Qu'on la compare à la Vénus de Giorgione. Le style essentiel, l'arrangement général, du moins en ce qui concerne la femme, est le même dans les deux peintures. Manet, dans l'Olympia, représente une femme nue appuyée sur un bras, et à laquelle une négresse offre un bouquet. Le prototype de cette œuvre avait été fourni dès longtemps non seulement par Giorgione, mais par le Titien et surtout par Goya avec sa Maja nue.

Manet, qui aimait particulièrement ce dernier, en procédait plus directement. Dans L'Olympia (de Manet) nous avons le portrait d'une demi-mondaine. Certes, la femme n'est point laide, mais elle est vulgaire, elle peut être attrayante au satyre mais non au poète. Olympia est un nu immoral tandis que la Vénus de Giorgione est, au contraire, un nu chaste. La peinture de Manet respire le sensualisme. Elle a cependant son style propre. D'aucun diront qu'elle n'a pas de style.

Victor Hugo affirmera, par exemple, que « le style est la forme de la beauté ». Et Boutard dira à son tour : « le style par le fait qu'il est la véritable expression de ce qui est beau dans l'idéal, est la partie la plus importante de l'Art, autrement dit c'est l'Art dans son intégrité ». C'est confondre l'Art avec le style, l'Art avec l'idéal. Le style et l'idéal ne sont pas des termes identiques.

Manet dans l'Olympia réalisa son modèle ; dans sa Vénus Giorgione l'idéalisa ; Manet matérialisa sa composition, Giorgione la poétisa. Mais encore une fois, l'absence d'idéalisation chez Manet ne lui enlève pas son style, mais celui-ci est déprimant ; celui de Giorgione élève, et il est noble ; celui de Manet est ignoble.

L'Olympia fut refusée au Salon de 1863 parce qu'on fut choqué de la franchise réaliste de la peinture. Ce réalisme demeure toujours condamnable. Mais on dira : « L'Olympia figure aujourd'hui au musée du Louvre parce qu'on a fini par la mieux comprendre ». Est-ce bien là réellement la raison ? Il y a d'autres œuvres qui sont entrées au Louvre sans qu'on s'explique trop pourquoi. C'est une autre histoire à laquelle nous ferons allusion subséquemment.

Il y a absence d'idéalisation dans l'Olympia de Manet. Nous reconnaissons cependant avec Victor Cousin qu'il y a « deux extrémités également dangereuses, un idéal mort ou l'absence d'idéal. Ou bien on copie la nature et l'on manque la vraie beauté, ou bien on travaille de tête et l'on tombe dans une idéalité sans caractère ». Il faut toujours en revenir au « Meyden Agan » des Grecs : « rien à l'excès ».

L'Art, pour qu'il remplisse son rôle, doit s'adresser à l'ensemble de la société. Sans doute le goût du peuple est parfois faussé, mais c'est à l'Art à le redresser. Que l'Art se relève d'abord, qu'il ne travaille jamais pour la licence et l'anarchie, qu'il s'adresse aux passion généreuses et nobles. Ces grands sentiments font encore la vie du plus grand nombre(2), et dans le cœur des autres, ils ne font que sommeiller ; c'est à l'Art qu'il appartient de les exciter.




(1) - Pour faciliter la lecture de ce long paragraphe, je l'ai diviser en plusieurs petits paragraphes. Et pour savoir à quoi s'en tenir pour la question de la représentation du nu en art, voir l’excellent travail du Père Sertillanges ici :

https://messe.forumactif.org/t3667p15-l-art-et-la-moral#72929  (roger).


(2) - Sans doute qu'on devrait dire aujourd'hui  : " Ces grands sentiments
faisaient encore la vie du plus grand nombre,.."(roger).


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