LA VISION du curé de Bonneval

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Message  Monique Jeu 23 Sep 2010, 9:34 pm

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Orderic Vital était un de ces chroniqueurs vigoureux, pittoresques, qui nous ont rapporté les événements des temps barbares, des environs de l'an mille. Né en 1075, il entra, vers sa dix-septième année, au couvent de Saint-Evrould dans l'Orne, tout près de Bonneval. Le passage qu'on va lire est extrait de son Histoire de Normandie ; il a été traduit par M. Boivin-Champeaux. La commune de Saint-Aubin-de-Bonneval (Orne) est située aux confins du pays d'Auge, et l'on y voit encore la touffe de vieux arbustes, près de laquelle le curé aperçut la fameuse chevauchée. La qualité littéraire de ce passage est telle qu'on a pu, quelquefois, et à juste titre, faire des comparaisons avec l'œuvre de Dante.

J'estime ne pas pouvoir omettre ni passer sous silence ce qui, dans l'évêché de Lisieux, advint à un certain prêtre, au début de janvier. Il y avait, au village de Bonneval, un curé nommé Gauquelin, qui desservait l'église consacrée à Saint-Aubin d'Angers, moine, devenu évêque et confesseur.

Dans les premiers jours du mois, l'an de l'incarnation du Seigneur 1091, il dut aller, la nuit, visiter un malade à l'extrémité de sa paroisse. Il s'en revenait seul, et se trouvait éloigné de toute habitation humaine, lorsqu'il entendit un grand bruit comme celui d'une armée en marche ; il pensa qu'il s'agissait des gens de Robert de Bellême qui se hâtaient d'aller au siège de Courcy.

Entrée dans le signe du Bélier, la lune, à son huitième jour, brillant de tout son éclat, éclairait la route. Le prêtre était jeune, hardi et vigoureux, agile et de taille imposante. Mais en entendant ce tumulte, cette foule pressée, il prit peur. Devait-il s'enfuir pour échapper à cette bande malfaisante qui n'eût pas manqué de le dépouiller, ou serrer les poings et faire face aux assaillants ? Il avisa dans un champ, loin du sentier, quatre méliers (1), et courut pour s'y abriter pendant que passerait la chevauchée. Mais un individu, une sorte de géant, portant une énorme massue, devança le prêtre ; levant l'arme au-dessus de sa tête :

« Arrête-toi, s'écria-t-il, tu n'iras pas plus loin. »

Le prêtre obéit ; appuyé sur son bâton, il demeura immobile ; le porteur de massue se tenait à ses côtés ; sans lui faire aucun mal il, attendit le passage de l'armée.

Et voilà que vint à défiler une grande troupe d'hommes à pied. A la manière des brigands, ils portaient autour de leurs cous, et sur leurs épaules du bétail, des vêtements, des bagages, des ustensiles de tout genre. Mais tous se lamentaient et s'exhortaient mutuellement à presser le pas. Le prêtre, parmi eux, reconnut beaucoup de ses voisins, récemment décédés ; il les entendait gémir sur les supplices dont ils étaient torturés en punition de leurs crimes. Vint ensuite une troupe de croque-morts que rejoignit le géant dont nous venons de parler. Ils portaient environ cinquante cercueils dont chacun était soutenu par deux d'entre eux. Sur ces cercueils de petits hommes, des espèces de nains, étaient assis, avec des têtes grosses comme des tonnes. Puis apparut un grand tronc d'arbre, porté par deux Ethiopiens.

Étroitement attaché à ce tronc, un malheureux était mis au supplice et poussait des cris affreux. Un horrible démon, assis sur le même tronc, labourait ses reins et son dos ensanglanté de ses éperons enflammés. Gauquelin le reconnut tout de suite : c'était l'assassin du prêtre Étienne ; il souffrait le martyr pour avoir deux ans plus tôt fait verser le sang innocent et rendu l'âme avant d'avoir expié son crime.

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Message  Catherine Ven 24 Sep 2010, 2:38 am

Merci Monique pour ces belles lectures toujours aussi intéressantes que vous nous offrez...

Celle-là, elle fait froid dans le dos pale ...mais j'ai hâte de lire la suite!
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Message  Monique Ven 24 Sep 2010, 6:38 pm

Merci chère Catherine LA VISION du curé de Bonneval 364997
Et c'est à suivre ce froid dans le dos... affraid
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Message  Monique Ven 24 Sep 2010, 6:52 pm

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Et c'est ainsi que suivait une interminable cohorte de femmes. Elles montaient des chevaux, en amazone, sur des selles de femmes où des clous brillants avaient été plantés. Sans arrêt, le souffle du vent les soulevait d'une coudée, et les laissait retomber sur les pointes. Blessées par ces clous ardents qui leur entraient dans les fesses, torturées par ces piqûres et ces brûlures, elles criaient miséricorde et confessaient à la face de tous, les péchés qui leur valaient ces châtiments. Pour avoir abusé de leurs charmes et de ces plaisirs obscènes dont elles avaient joui immodérément quand elles étaient parmi les mortels, elles enduraient le feu, la pourriture, et bien d'autres supplices que l'on ne peut imaginer, et d'une voix lamentable, clamaient leur châtiment.

Dans cette multitude en marche, le curé reconnut des femmes de la noblesse, il aperçut aussi les bidets, les mules et les litières de femmes encore en vie.

A cette vue, le prêtre trembla de tous ses membres. Mille pensées lui venaient en tête.

Peu après, il découvrit une cohorte de clercs et de moines, leurs juges et leurs chefs, des évêques et des abbés avec leurs crosses pastorales. Les clercs et les évêques étaient revêtus de chappes noires ; les moines et les abbés avaient la tête couverte de capuchons également noirs ; ils gémissaient, ils pleuraient ; quelques-uns appelaient Gauquelin par son nom ; ils l'imploraient en souvenir de leur amitié passée, afin qu'il prie pour eux.

Le prêtre rapporta qu'il avait vu là nombre de personnages de grande considération que l'on pensait généralement réunis au Paradis parmi les Saints. C'est ainsi qu'il vit Hugues, évêque de Lisieux, et les illustres abbés Mainier de Saint-Evold et Gerbert de Saint-Wandrille et bien d'autres dont les noms m'échappent et que je ne chercherai pas à rappeler ici.

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Message  Monique Sam 25 Sep 2010, 7:26 pm

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L'esprit humain est souvent sujet à l'erreur ; mais l'œil de Dieu pénètre jusqu'aux moelles. L'homme voit l'apparence, Dieu le fond des coeurs. Dans le royaume de l'éternelle béatitude, une lumière perpétuelle illumine l'univers. Là, une sainteté parfaite, atteignant les suprêmes délices, triomphe parmi les fils du Ciel. Là, tout est ordre et justice, vertu et beauté. Ce qui subsiste de la loi charnelle est consumé par le feu du Purgatoire, et suivant ce qu'ordonne l'Éternel Censeur, rendu à l'état pur. De même qu'un vase débarrassé de sa rouille et poli avec amour est replacé au milieu d'objets précieux, ainsi, l'âme épurée de ses vices, à l'abri de leur contagion, est admise au Paradis, où riche de bonheur, elle s'abandonne à la joie sans crainte et sans effort.

Le prêtre, épouvanté de ce qu'il voyait, appuyé sur son bâton, s'attendait à de plus affreuses apparitions.
Et voici que survint une armée de chevaliers ; on ne percevait aucune couleur ; tout était noir ; seule, au milieu d'eux, une flamme scintillait. Ils montaient des chevaux énormes, étaient équipés d'armes de toute sorte, comme s'ils allaient au combat, et brandissaient des étendards noirs comme de l'encre. Là se trouvaient Richard et Baudoin, fils du comte Gilbert, récemment décédés, et d'autres encore que je ne puis énumérer.

Parmi eux, Landri d'Orbec, qui avait été tué cette même année, s'adressa au prêtre. Il criait à tue-tête, lui confiant des messages, le suppliant de transmettre ses recommandations à son épouse. Mais ceux qui le suivaient, comme ceux qui le précédaient, lui coupaient la parole et disaient au curé : « Ne crois pas Landri, c'est un imposteur... » Il avait été vicomte d'Orbec et magistrat ; par son esprit et sa valeur, il s'était élevé bien au-dessus de sa naissance. Mais dans les affaires et les procès, il jugeait suivant son caprice ; il accommodait les sentences suivant les présents qui lui étaient offerts, se faisant le serviteur du mensonge et de l'envie et non pas de la vérité. Il avait bien mérité ces honteux supplices et l'appellation d'imposteur qui lui était jetée à la face par ses complices. Personne, dans cette troupe, ne cherchait à le consoler, personne n'était séduit par son ingénieuse éloquence. Alors qu'il pouvait encore entendre, il avait fait le sourd aux clameurs des pauvres ; plonge maintenant dans les tourments, il n'y avait plus personne pour l'écouter.

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Message  Monique Mar 28 Sep 2010, 8:50 pm

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Gauquelin, après avoir vu passer cette armée, se prit à réfléchir : « Voilà, sans doute, se dit-il, la mesnie d'Hellequin. J'ai ouï dire par bien des personnes qu'elles en avaient fait la rencontre. Mais je n'ai pas cru leurs récits ; j'en ai ri, parce que jamais on n'avait pu m'en apporter une preuve certaine. Aujourd'hui, je vois de mes yeux les fantômes des morts, mais qui me croira, quand je raconterai ce que j'ai vu, si je ne puis fournir aux hommes de ce monde un témoignage irréfutable ? Je vais m'emparer d'un de ces chevaux sans cavalier qui suivent le troupeau. Je l'enfourcherai sur-le-champ ; je le ramènerai à la maison et pour que l'on me croie, je le montrerai à mes voisins. » Sitôt dit, il saisit par la bride un cheval noir ; mais le cheval secoua vigoureusement la main qui tentait de l'appréhender, et galopa rejoindre les Ethiopiens.

Le prêtre ne voulut pas en rester là. Il était jeune, il avait l'âme audacieuse et décidée, le corps agile et robuste. Il se plaça au milieu du chemin, et comme un cheval venait à sa rencontre, il étendit les bras. Mais le cheval, s'arrêtant devant le prêtre, souffla par ses naseaux un nuage de la forme et de la grandeur d'un chêne. Le curé glissa son pied gauche dans l'étrier, s'empara des rênes et mit la main au pommeau ; mais il sentit aussitôt un feu ardent lui brûler le pied; tandis que par la main qui tenait les rênes un froid insupportable le pénétrait jusqu'au cœur.

Tout d'un coup, quatre hideux cavaliers surgirent ; ils criaient : « Pourquoi en veux-tu à nos chevaux ? Viens avec nous. Aucun de nous ne t'a fait de mal, et toi, tu veux t'emparer de ce qui nous appartient. »

Le prêtre, transi de peur, lâcha la bride. Trois des chevaliers voulurent se jeter sur lui, mais le quatrième intervint : « Laissez-le, dit-il. Souffrez qu'il me parle. A ma femme, à mon fils, je voudrais qu'il transmette un message. » Et, au curé tremblant, il dit : « Écoute-moi, je te prie, et va rapporter à ma femme ce que je vais te dire. » Le prêtre répondit : « Je ne sais qui tu es ; je ne connais pas ta femme. » Le chevalier reprit : « Je suis Guillaume de Glos, fils de Barnon, j'ai été le fameux sénéchal de Guillaume de Breuil et de son père Guillaume, comte de Hertford.

Parmi les mortels je n'ai vécu que de rapines et de malfaisance. J'ai commis plus de crimes que je ne puis le rapporter. Mais c'est surtout pour avoir pratiqué l'usure que tu me vois torturé. A un homme pauvre, un jour, j'ai prêté quelque monnaie ; il me donna son moulin en gage ; et comme il ne put me rendre mon argent, j'ai toute ma vie gardé le moulin ; je l'ai laissé à mes héritiers, dépouillant les siens de ce qui, de droit, devait leur revenir. Tu vois à mes lèvres, pendre un fer incandescent; il vient de ce moulin ; la tour de Rouen me paraîtrait moins pesante. Dis à Béatrice, ma femme, et à mon fils Roger, qu'ils viennent à mon secours, qu'ils restituent au plus tôt le gage pour lequel ils ont reçu plus que je n'avais donné. » Le prêtre répondit : « Guillaume de Glos est mort depuis longtemps.

Un honnête homme ne peut se charger d'un pareil message. Je ne sais qui tu es ni quels sont tes héritiers. Si je venais à rapporter tes paroles à Roger de Glos et à son frère, ou à leur mère, ils me prendraient pour un fou. »


Cependant Guillaume insistait, il multipliait les témoignages susceptibles de se faire reconnaître. Le prêtre sentait bien où il voulait en venir, mais faisait semblant de ne pas comprendre. Enfin, touché par d'aussi pressantes prières, il se laissa convaincre et promit de faire ce qui lui était demandé. Alors, Guillaume recommença toutes ses histoires, se lançant dans un interminable récit.

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Message  Monique Mer 29 Sep 2010, 9:11 pm

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Pendant ce temps, le curé réfléchissait ; il se disait qu'il n'oserait jamais transmettre à qui que ce soit la requête du réprouvé.

« Il n'est pas convenable, dit-il, de publier de pareils récits. Ne comptez pas sur moi pour aller les rapporter. »


Aussitôt Guillaume, furieux, saisit le prêtre à la gorge et le traînant à terre, le menaçait. Le prêtre sentit la main qui le tenait brûler comme du feu. Terrifié, il s'écria :

« Sainte Marie, Glorieuse Mère du Christ, venez à mon secours. »

Il n'avait pas plutôt invoqué notre Vénérée Mère que, suivant l'ordre établi par le Tout-Puissant, l'aide du Fils de Dieu se manifesta. Un chevalier apparut l'épée à la main. Il la brandissait comme s'il allait frapper et dit :

« Pourquoi, maudits, voulez-vous tuer mon frère ? Allez-vous-en et laissez-le. »

Ils décampèrent aussitôt et allèrent rejoindre la troupe des Noirs.
Resté dans le chemin, seul avec Gauquelin, le chevalier lui dit :

« Me connais-tu ? » Le prêtre répondit : « Non ! » Le chevalier reprit : « Je suis Robert, fils de Raoul surnommé le Blond, et je suis ton frère. »

Tandis que le prêtre restait saisi par cette incroyable apparition, le cœur serré de ce qu'il avait vu et entendu, le chevalier se mit à lui rappeler des souvenirs de leur enfance si précis qu'on ne pouvait s'y tromper. Le prêtre s'en souvenait en effet ; n'osant se l'avouer lui-même, il répondait « Non » à toutes les questions. Le chevalier finit par lui dire : « Ton entêtement et ta stupidité sont vraiment étonnants !

Après la mort de notre père et de notre mère, c'est moi qui t'ai élevé. Il n'y a personne sur cette terre que je n'aie chéri plus que toi. Je t'ai envoyé faire tes études en France ; je t'ai fourni sans compter les vêtements, l'argent qui t'étaient nécessaires. Je me suis efforcé de te venir en aide pour tout ce dont tu pouvais avoir besoin. Tu fais maintenant comme si tu ne te souvenais de rien ; et tu refuses de me reconnaître.

Le prêtre, convaincu qu'il était devant son frère, admit, en versant des larmes, la vérité de ses propos. Le chevalier lui dit alors : « Tu aurais dû mourir et participer aux supplices que nous subissons pour avoir osé, avec une incroyable audace, mettre la main sur ce qui nous appartient. Personne avant toi n'avait tenté pareille entreprise. Mais la messe que tu as chantée aujourd'hui t'a sauvé de la mort ; il m'a été donné de t'apparaître et de te faire connaître ma misère.

Après l'entretien que nous eûmes, en Normandie, je te dis adieu, et passai en Angleterre : là, sur l'ordre du Créateur, j'ai terminé mes jours. Chargé de péchés, je subis des supplices éternels ; les armes que nous portons sont de feu, elles nous empoisonnent de leur odeur, nous écrasent de leur poids. Des flammes nous brûlent avec une violence que rien n'apaise. Jusqu'aujourd'hui, sans arrêt, j'ai subi d'inimaginables tortures, mais, lorsqu'en Angleterre, tu as été ordonné prêtre, et que tu as chanté tes premières messes pour les fidèles défunts, ton père Raoul a été arraché au Purgatoire ; quant à moi, j'ai été délivré du bouclier qui m'écrasait. Comme tu le vois, il me reste encore cette épée. Mais, dans un an, j'attends avec confiance d'être délivré de ce fardeau. »

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Message  Monique Jeu 30 Sep 2010, 9:56 pm

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Pendant que le chevalier prononçait ces paroles, et d'autres encore, le prêtre qui l'écoutait avec attention, aperçut à ses éperons de gros caillots de sang qui avaient la forme d'une tête humaine. Étonné, il l'interrogea :

« D'où vient cette masse de sang coagulé qui pend à tes éperons ? » Il lui répondit : « Ce n'est pas du sang, mais du feu. J'en suis écrasé plus que si je portais sur mes épaules le Mont Saint-Michel; comme je me servais d'éperons aiguisés et de métal précieux, afin d'aller plus vite verser le sang, il est juste que je porte ce poids énorme à mes talons. Il n'y a pas de mots dans notre langue pour exprimer les souffrances que j'endure. Les mortels devraient ne pas cesser d'y songer et craindre et trembler d'avoir à racheter leurs fautes par de tels châtiments.

« Je ne puis t'entretenir plus longtemps, mon frère ; je suis contraint de suivre cette pitoyable caravane. Je t'en supplie, ne m'oublie pas, viens à mon secours par de pieuses prières et par des aumônes. Une année après Pâques fleuries, j'espère être sauvé et libéré de tous mes tourments par la Grâce du Créateur. Quant à toi, fais attention, il est temps d'amender une vie souillée par trop de fautes. Sache qu'elle ne sera pas longue. Et maintenant, tais-toi. Sur ce que, contre tou
te attente tu as vu et entendu, garde le silence et d'ici trois jours, ne commets pas l'imprudence d'en dire un mot à qui que ce soit. »

Ayant ainsi parlé, le chevalier disparut. Quant au curé, il fut pendant une semaine entière gravement malade. Dès qu'il eut repris ses forces, il se rendit à Lisieux ; il raconta, avec tous les détails, son aventure à l'évêque Gilbert, qui lui remit les médicaments nécessaires à son rétablissement. Il vécut encore quinze ans en bonne santé. Ce que je viens de raconter, et beaucoup d'autres choses sorties de ma mémoire, je les ai entendues de sa bouche ; j'ai vu sur son visage les marques faites par l'attouchement de l'affreux chevalier. J'ai écrit ces pages pour l'édification de mes lecteurs, pour que les justes se confirment dans la pratique du bien et que les méchants se détournent du mal.

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FIN
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