La charité et les transformations qu'elle opère

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Message  Monique Mer 10 Mar 2010, 3:20 pm

AMOUR NOUVEAU

CHAPITRE PREMIER

A entendre ainsi parler de la charité que le Christ impose à ses disciples comme « son commandement » et que son Esprit répand dans leur cœur, on risque quelquefois d'oublier que la charité est de l'ordre de ce que l'on est et non de ce que l'on a. Elle n'est pas un vêtement extérieur, mais une nouvelle manière d'être. Cette illusion est d'autant plus facile de nos jours, qu'on insiste souvent sur la distance entre le monde de la liberté et celui de la psychologie, entre la morale et l'inconscient.

L'homme reçoit le don de la charité et aime d'un amour nouveau. C'est vrai de tout amour ; s'il est réel, il change la vie. On connaît l'aveu de Valéry dans une de ses lettres : « C'est un nouvel ami qui parle ; l'autre âme est quasi morte. Un regard m'a rendu si bête que je ne suis plus (1). »

Qu'en sera-t-il de cet amour d'en-haut? A quel point va-t-il tout changer ? On n'est plus à soi mais aux autres ; on ne peut plus chercher son point de vue, ses intérêts, mais ceux des autres. C'est de la nature de la charité que « de chercher ce qui est des autres (2) », que de se rendre esclave des autres.

Le Maître entendit si bien tout changer dans la vie de son disciple qu'il demande de lui une attitude de disponibilité qui le mette à la merci des autres. Je crois en avoir fait beaucoup, avoir droit au repos après m'être acquitté des mille pas qui m'étaient demandés ; « Fais en deux mille (3) », répond l'Évangile, indiquant sans doute cette disponibilité profonde que doit acquérir le disciple. « Donne à qui te demande, n'esquive même pas qui veut t'emprunter (4). »

Est-ce pour signifier la profondeur que doit atteindre ce changement que le Christ réprouve sous peine de grave sanction les injures « les outrances dans les paroles, sans parler des querelles ou des mauvais procédés, comme s'ils ne pouvaient exister parmi les siens. Une telle exigence justifierait-elle une tentation de découragement?

Saint Augustin la craignait chez ses auditeurs lorsqu'il venait de leur parler de la charité envers les ennemis. « Quand pourrons-nous avoir cette charité parfaite, demande-t-il ? Ne va pas si vite à perdre confiance en toi ; elle a peut-être déjà pris naissance dans ton cœur ; seulement elle n'est pas encore arrivée au comble de la perfection; nourris-la pour qu'elle ne périsse pas (1). »

1. Lettre à Gide.
2. I Co. 13, 5.
3. Mt. 5, 41.
4. Mt. 5, 42.
1. In Jn. Tr. 5, n° 12.


Joseph-Marie Perrin, O.P.
Extrait ''Le mystère de la Charité''
Nihil obstat
Imprimi potest Imprimatur
L. Dumeste o.p. Prol. s. Script.
P. Hermand o.p. Lect. Theol.
S. Tauzin o.p. Prior Prov. Tolos.
die 7a Decembris 1959
L. Gros
vic. gen. Massil.
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Message  Monique Mer 10 Mar 2010, 9:55 pm

AMOUR NOUVEAU

CHAPITRE PREMIER

Oui, le Seigneur n'a montré au siens un tel idéal que pour leur en faire désirer la beauté et leur en donner la grâce. Il demande ce qu'il a l'intention de donner ; il veut que ce progrès ne se réalise que peu à peu et presque insensiblement, mais il est le Maître doux et humble de cœur, qui connaît mieux que personne la misère de l'homme et il impose un fardeau léger, un joug suave et promet un repos où l'âme se refera.

L'amour du prochain vit de lumière. Il sera donc nécessaire de revenir inlassablement aux enseignements du Maître pour s'en pénétrer, se replacer sans cesse dans la foi afin de se mettre dans sa lumière et voir les êtres comme il les voit. Il faudra surtout jour après jour et chute après chute, tendre inlassablement à faire passer en soi les sentiments qui sont en lui : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus (2). » Et par ce regard, il nous introduit au centre même du mystère de l'immense amour qu'est l'Incarnation. Cet amour qui de Dieu a fait un homme, doit nous rendre humblement, constamment fraternels à l'égard de nos frères.

Ce sont quelques-unes des transformations opérées en nous par l'amour de nos frères que veulent étudier les chapitres suivants, avec, hélas, quelques remarques sur les défauts qui défigurent en nous l'amour que le Christ veut y mettre.

Il serait plus vrai de dire que notre attitude doit être d'ouverture ; à force de regarder la manière dont le Christ nous aime et aime nos frères, à force de nous modeler sur son action et de le laisser agir en nous, que ce soit lui qui aime en nous et réagisse en chaque circonstance. Sainte Thérèse de Lisieux en faisait l'expérience : « Oui je sens, lorsque je suis charitable, c'est Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi j'aime toutes mes sœurs (3). »

C'est au Seigneur d'aimer en nous ceux qu'il nous commande d'aimer et de mettre en nous les délicatesses, les dévouements, les pardons, l'accueil, en un mot le don de nous-mêmes qu'il nous a commandé. Il nous a demandé cet impossible pour se donner la joie de nous le faire faire avec lui, ou mieux, de le faire en nous.


2. Ph. 2, 5.
3. Histoire d'une âme, ch. IX. Manuscrits autobiographiques, à mère Marie de Gonzague, 2ème partie, p. 265.
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Message  Monique Jeu 11 Mar 2010, 8:41 pm

L'INTELLIGENCE DE L'AMOUR

CHAPITRE II

Le Christ, en nous associant à sa manière d'aimer change notre situation intérieure vis-à-vis de tout prochain et cette nouvelle manière d'aimer nous bouleverse de fond en comble. Tout en nous doit être neuf pour cette vie divine et d'abord notre intelligence de l'autre, notre regard sur les hommes, afin d'être en vérité l'intelligence de l'amour.

Quel ami du Christ n'a rêvé de connaître ses frères comme lui les connaît? Le Bon Pasteur connaît ses brebis par leur nom et chacune est proche de lui comme il est proche du Père (1). Ici-bas, nous ne connaissons pas notre frère ; non seulement le vrai visage de l'homme est caché par ce masque de défauts et d'habitudes terrestres, mais une opacité nous sépare les uns des autres et nous rend impossible une expression totale d'un côté comme de l'autre.

Ceux qui s'imaginent que la charité est contraire à la vérité, qu'elle vit d'illusions et d'optimisme factice n'ont encore rien compris à l'amour : personne n'a aimé l'humanité comme celui dont il est dit : « Lui ne se fiait pas à eux sachant ce qu'il y a dans l'homme (2). » Ce n'est pas en s'aveuglant qu'on devient charitable, mais en s'éclairant. Quand saint Thomas explique que « la miséricorde est la plénitude de la justice », ne fait-il pas comprendre que la miséricorde donne toutes ses dimensions et sa vraie perfection à la justice ? Ainsi l'amour fraternel consomme la clairvoyance. Seul celui qui s'est mis dans la lumière de Dieu aime dans le feu de Dieu, pourrait-on dire en adaptant le mot célèbre de la bienheureuse Angèle de Foligno : « Qui connaît dans la vérité aime dans le feu. »

Madame Schwetchine pour détourner les jeunes filles de ce qu'elle jugeait alors excessif dans leur désir d'étudier et de cultiver leur esprit, leur faisait cette recommandation qui n'a pas vieilli parce qu'elle tire sa sève du plus pur christianisme : « N'ayons d'esprit qu'autant qu'il en faut pour être bonnes... mais il en faut beaucoup ». Il faut l'esprit de Dieu qui, seul, peut réaliser en un être étroit par nature et rétréci par ses travers personnels ce chef-d'œuvre qu'est de comprendre notre frère comme le Christ le comprend afin d'« être accueillant pour lui comme le Christ l'a été pour nous à la gloire du Père (3) ». Tel est l'idéal au-dessous duquel il nous est interdit de viser, mais que jamais nous n'atteindrons. Puissions-nous y aspirer réellement, sans relâche dans la joie.

1. Cf. Jn. 10, 3.
2. Jn. 2, 24, 25.
3. Rm. 15, 7.
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Message  gabrielle Ven 12 Mar 2010, 9:29 am

L'amour véritable des ennemis, non pas celui qui se compte de parole si facile à dire, mais celui qui pose des gestes est le seul amour qui puisse exister, il est le plus difficile à atteindre, parce que trop souvent, nous regardons la blessure causée, parce que nous attachons à notre personne insignifiante une valeur, cela est une terrible illusion.

Le jour où nous comprendrons pronfondémment notre nullité, alors ce jour seulement nous saurons aimer.
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Message  Monique Ven 12 Mar 2010, 7:12 pm

L'INTELLIGENCE DE L'AMOUR

CHAPITRE II

Dans cette recherche, trois mouvements semblent essentiels pour rester dans la bonne direction mais ils sont moins successifs que simultanés et coordonnés, comme les appareils techniques faits pour maintenir une fusée dans la bonne direction. Ce sont : l'attention juste et objective ; le « ne pas juger » évangélique ; le « venu pour sauver » du Christ qui doit mettre l'intelligence au service du frère pour le mener à Dieu.

La simple honnêteté devrait suffire pour nous rendre vraiment objectifs. Le droit de l'autre, ses faits et gestes, son caractère sont ce qu'ils sont, indépendamment des idées que nous nous en faisons et des déformations que nous introduisons.

A propos de justice, on pourrait citer cette parole que, non sans cet humour dont il ne se départait pas, saint Thomas More disait à son gendre : « Je t'assure, mon fils sur ma foi, que si deux parties viennent en mes mains demander justice, alors, quand bien même mon père serait dans un camp et le diable dans l'autre, si la cause du diable est bonne, le diable aura son droit (1). »

Cette attitude de justice absolue qu'à la fin de sa carrière, menacé par les accusations les plus méticuleuses, les intrigues de ses ennemis et du roi lui-même, après une longue vie passée dans les procès, les affaires privées et celles de l'État dont il avait eu la charge comme grand chancelier, lui permettait de faire à sa fille, confidente de sa conscience, cet aveu étonnant quand on songe à son caractère et à sa situation d'accusé emprisonné : « La limpidité de ma conscience a rempli mon cœur d'un joyeux espoir (2). »

1. Thomas More, Écrit en prison, Vie par Roper, ch. VIII.
2. Ibid. Édition du Seuil, ch. VIII.
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Message  Monique Sam 13 Mar 2010, 6:25 pm

L'INTELLIGENCE DE L'AMOUR

CHAPITRE II

C'est pure justice que de ne jamais juger sans avoir écouté ; simple politesse de répondre après avoir écouté ; objectivité élémentaire que de considérer tout être en lui-même et non à travers le prisme déformant de notre moi, selon l'image réfractée que nous nous en faisons pour le dénigrer à plaisir. Cela va de soi : comment connaître quoi que ce soit, qui que ce soit, sans le replacer dans son milieu, sans référence à son passé, à ses joies et ses épreuves.

Cet homme, son pays, sa civilisation sont un résultat et ne se mesurent pas sur mes idées : ce sont des faits. Nos préjugés irréformables, nos manières de classifier les êtres et de les enfermer dans nos catégories, cette hostilité à l'autre, l'habitude de le rendre responsable de nos torts — habitude qui remonte à la minute qui a suivi le péché originel, — montrent ce qui manque en nous de justice. Si nous avions cette objectivité, il n'en faudrait pas davantage pour que l'autre ait la joie d'être compris et de sortir de l'étouffement où l'enferment nos jugements tout faits dont il ne peut se libérer quand nous n'écoutons pas.

Pour échanger des idées, il est nécessaire de s'écouter l'un l'autre, de parler la même langue ou au moins de recourir attentivement à un dictionnaire exact. A cela l'honnêteté suffirait, mais l'amour le fait du premier coup : il comprend toutes les langues et parle celle de chacun. La Pentecôte a exprimé par un miracle éclatant le mystère de tout dialogue entre les hommes, elle l'a rendu possible.
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Message  Monique Lun 15 Mar 2010, 9:05 pm

L'INTELLIGENCE DE L'AMOUR

CHAPITRE II

Celui qui aime comprend tout. Il sort de soi pour être attentif à l'autre ; il se met spontanément à sa place — ce qui est la condition de l'objectivité, nous l'avons vu — puisqu'il est en lui. Cela lui est tout naturel, puisqu'il n'est pas enfermé en lui, mais ouvert à tous. Alors que la pesante réflexion a du mal à comprendre l'autre quand son milieu, ses idées, ses manières de faire, son tempérament diffèrent totalement de nous et qu'elle n'arrive guère à cette transposition, l'amour le fait aussitôt. Pour l'égoïste, l'autre n'existe pas. On semble dire un paradoxe absurde en affirmant que personne ne croit les autres aussi réels, aussi intéressants, aussi importants que soi-même.

Est-ce en ce sens que saint Paul met au compte des merveilles de la charité dans l'éloge qu'il en fait, qu'elle « croit tout, espère tout (1) ». Cela ne veut pas dire qu'elle soit crédule, ni encore moins complice, nous le verrons. Parce qu'elle est attention à l'autre et à sa situation, sa manière de comprendre est diamétralement opposée à celle que dénonçait Mounier : « Il y a une manière de tout comprendre qui équivaut à ne rien aimer et à n'être plus rien (2). »

En tout cas, le disciple est amené à cette attitude très humble, très méfiante de sa propre expérience et de son jugement par la recommandation du Christ lui enjoignant « de se faire le plus jeune (3) » ; aussi fera-t-il sienne la prière de Salomon : « Donne-moi un cœur qui écoute (4) », et Dieu lui offre le cœur du Christ.

L'Évangile veut affirmer cette attitude de l'âme chrétienne : « Ne jugez pas ». Cette recommandation si formelle sur les lèvres du Christ, exprimée avec tant d'insistance n'est plus sortie de la pensée chrétienne (5). Elle met en garde contre l'orgueil secret qui porte à juger ; sans se l'avouer on se croit quelqu'un et on s'en attribue plus ou moins le mérite à soi-même, autrement on serait sur la réserve et dans' la crainte. C'est ce que dénonçait saint Maxime le Confesseur « Le démon de l'orgueil a deux tactiques : ou il suggère au moine de s'at-tribuer à soi-même les bonnes œuvres, au lieu de les rendre à Dieu, maître de tout bien, aide de tout succès, ou bien, si le moine fait là sourde oreille, il lui inspire du mépris pour ses frères encore imparfaits. Et cette tentation-là, sans qu'on s'en doute, mène à refuser l'aide de Dieu, car mépriser les autres comme n'ayant pas su bien agir, cela revient à attribuer ses bonnes actions à ses propres forces. Erreur profonde, a dit le Maître : « Sans moi vous ne pouvez rien faire (1). »

1- I Co. 13, 7.
2. Qu'est-ce que le personnalisme ? (Coll. Que sais-je ?) Ch. II.
3- Lc. 22, 26.
4- Cf. I R. 3, 9.
5- Cf. Mt. 7, I. Lc. 6, 37. I Co. 4, 5. Rm. 2, I et 14, 22.
1. Jn. 15, 5.

Maxime le Confesseur, dans la troisième Centurie, n° 54, reprend cette idée: « Il n'y a pas à nous effrayer ni à nous jeter dans la stupeur ou l'étonnement parce que Dieu le Père ne juge personne, mais a remis à son Fils tout jugement. Le Fils s'écrie : ''Ne jugez pas, ou vous serez jugés ; ne condamnez pas, ou vous serez condamnés'' ; et l'Apôtre : ''Ne jugez de rien avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur''. — ''Le jugement même que tu portes sur l'autre, c'est ta condamnation à toi''. Mais les hommes, sans se soucier de pleurer leurs propres péchés, prennent au Fils son jugement et, d'eux-même, comme s'ils étaient sans péché, se jugent et se condamnent les uns les autres ! Le ciel s'en est étonné, la terre en a frémi ; mais eux n'ont pas honte : ils sont insensibles.''
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Message  Monique Mar 16 Mar 2010, 6:55 pm

L'INTELLIGENCE DE L'AMOUR

CHAPITRE II

Contre cela va agir la terrible menace : « On vous jugera comme vous aurez jugé (2). » C'est justice : ces principes de notre conscience jugent notre propre vie, puisque nous nous en servons pour mesurer les autres. « Heureux, dit saint Paul, celui qui ne se condamne pas en prenant parti (3). » « Ne jugez pas pour n'être pas jugés. » Pouvons-nous entendre promesse plus rassurante nous qui, pécheurs, gaspillons tant de grâces, restons si au-dessous de l'Évangile. Les bagnes et les prisons se videraient si un gouvernement civil faisait une telle promesse! Savons-nous en quels obscurs cachots nous détiennent nos sévérités et nos critiques ! Pourquoi n'en sortons-nous pas ?

Pourtant, la recommandation de ne pas juger doit nous tenir à cœur pour des raisons plus graves et plus belles que notre intérêt, même bien compris. « Toi qui es-tu, demande saint Paul transporté d'une sainte indignation, pour juger le serviteur d'autrui (4) ? » Juger, c'est faire acte de présomption et empiéter sur l'autorité divine : « Tout le jugement est remis au Fils (5). »

C'est donc un acte infiniment déplacé que d'appeler à notre tribunal celui qui relève du Christ. Et quelle incompétence! Que savons-nous de ses intentions, des grâces qu'il a reçues, des efforts qu'il a faits, des desseins de Dieu sur Lui et des revirements de sa liberté? On peut être amené à constater des actes, mais quel en est le motif?

Parfois un homme peut proclamer des intentions réelles ; même alors, que savons-nous de sa responsabilité devant Dieu ? La matière du jugement est le secret absolu de Dieu. Beaucoup plus encore que l'instant et l'heure du jugement, personne n'en sait rien, pas même les anges ; le Fils qui a reçu le pouvoir ne veut pas le dire. L'homme doit se tenir à dis-tance de ce mystère redoutable qui ne regarde que Dieu. Ce n'est pourtant pas sur cette impression de crainte que nous laisse l'avertissement divin : le prochain est, il est vrai, le serviteur de Dieu et relevant de lui seul. Il est aussi mon frère très aimé avec qui je ne fais qu'un dans le Christ et le Christ couvre sa face humaine de son visage divin, ou mieux, il recompose divinement en lui les traits ce visage d'homme.

2. Mt. 7, I.
3. Rm. 14, 22.
4. Rm. 14, 4.
5. Jn. 5, 22.
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Message  Monique Mer 17 Mar 2010, 7:54 pm

L'INTELLIGENCE DE L'AMOUR

CHAPITRE II

Tout homme est intimement relié au Christ — surtout s'il est malheureux — au point qu'on ne puisse rien penser de lui, rien faire pour lui qui n'atteigne le Christ. C'est le Christ qui est aimable en lui, qui eut se faire en lui par une assimilation de moins en moins imparfaite.

A l'égard du monde et de tout être, le chrétien sait qu'il est envoyé comme le Christ lui-même, non pour condamner, mais pour sauver. Son intelligence doit se mettre au service de ce trop grand amour afin de mener chacun à Dieu.

La miséricorde et la compréhension ne sont jamais encouragement au mal, mais montrent l'issue lumineuse qui doit en affranchir ; à la critique qui détruit, l'amour préfère ce qui construit. Au lieu d'une vaine opposition, l'amour comprend et veut sauver : il voit les redressements nécessaires, les progrès escomptés et l'achèvement en Dieu.

L'à-propos de la charité qui ne perd aucune occasion de s'exercer, le tout à tous qui donne à chacun, ne sont jamais pour laisser nos frères en eux-mêmes, en leurs limites et leurs commencements, mais pour les mener à leur achèvement et les ouvrir à Dieu. On peut ne pas le nommer, mais Dieu est « le bien de tout bien ». Il n'y a donc, il ne peut y avoir rien de bien en aucun ordre qui ne porte son reflet et ne doive trouver en lui son achèvement. L'intelligence de l'amour est clairvoyante pour percevoir la distance entre tout bien et son idéal elle veut le servir par cette méthode inlassablement positive rejoignant le mouvement même de l'amour divin qui donne un peu pour pouvoir donner beaucoup, et toujours plus. « Il n'y a que l'amour qui ait la claire-vue des hommes. » (Père Lebbe.)

Là s'éclaire et s'élargit l'intelligence de l'amour dont la définition est : communion aux pensées du Cœur de Dieu.
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Message  Monique Jeu 18 Mar 2010, 7:25 pm

UN CŒUR DE CHAIR

CHAPITRE III

L'amour d'autrui à cause de Dieu change la vie de quiconque s'y livre ; nous avons vu l'intelligence devenant ainsi intelligence de l'amour. Il est certain que toute la capacité d'aimer va être plus profondément renouvelée encore, parce qu'elle est sous l'emprise directe de la charité fraternelle. C'est là ce que Dieu promettait autrefois et qu'il réalise depuis la Pentecôte : « J'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair (1). »

Ce « cœur de chair pour le prochain » était l'idéal même que poursuivait dans ses efforts intérieurs et que demandait dans sa prière un des saints les plus extraordinairement évangéliques, saint Benoît Labre. « Un cœur de chair », n'est-ce pas ce que le chrétien doit recevoir du Christ, car aucun n'aima humainement comme Dieu lui-même et on voudrait comprendre la nouveauté bouleversante de cette affection si étrangement neuve, si profonde, si ardente que saint Paul faisait appel au témoignage de Dieu pour en parler : « Oui, Dieu n'est témoin que je vous aime tendrement dans le Christ Jésus (2). »

Il est nécessaire de ne jamais oublier que la charité est surnaturelle, qu'elle est donc dans la volonté considérée comme le pouvoir spirituel d'aimer. C'est une vertu théologale, donc un mouvement libre dont nous sommes responsables et qui est en notre pouvoir, alors que les mouvements de la sensibilité dépendent à la fois des circonstances extérieures et des conditions physiologiques elles-mêmes. Ce serait donc une erreur d'identifier la charité à je ne sais quelle émotivite, fût-elle bonne, au « bon cœur » de la vie courante, même s'il est affine par une extrême délicatesse. Une grande richesse affective peut ouvrir aux autres, elle est un don précieux, mais elle n'est pas la charité.

Ce serait une erreur aussi d'imaginer la charité sous forme sécheresse de cœur et de dévouement sans cesse actif, à peine moins mécanique ou biologique que la plante qui ne cesse de porter du fruit.

1. Éz. 36, 26.
2. Ph. I, 8.
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Message  Monique Ven 19 Mar 2010, 6:42 pm

UN CŒUR DE CHAIR

CHAPITRE III

Tout grand amour tend à capter à son profit et à entraîner dans son mouvement les énergies et les richesses de la vie affective. Se croire charitable et ne pas mettre son esprit et son cœur dans ses dévouements, c'est un mensonge et cela risque d'être un faux témoignage ; ce serait prétendre aimer divinement, alors qu'on n'aime pas humainement. Ce cœur fermé, même si la main est ouverte, ne laisse pas passer le courant d'amour apporté par le Christ aux siens pour le monde entier.

Il est normal au contraire que peu à peu la manière divine d'aimer autrui déborde du centre spirituel de l'âme et pénètre toute l'affectivité. Alors que toute notre puissance d'aimer s'organise plus ou moins autour de notre moi, réagissant d'après son humeur, son plaisir ou ses intérêts, il va falloir qu'elle soit centrée en Dieu et s'ouvre ainsi au prochain au point de voir en lui un autre nous-même.

N'importe qui peut à son aise juger de cette orientation de sa sensibilité en fonction du moi : une mauvaise humeur s'étendra à tout ce qu'on rencontrera ce jour-là. Si c'étaient les choses en leur objectivité qui inspiraient notre réaction, chacune provoquerait sa réaction propre et nous ne transporterions pas notre humeur de l'une à l'autre ; ou bien nous n'aurions pas ce terrible penchant qui porte à faire retomber sur un autre le choc que nous avons reçu, à faire mal parce que nous avons mal, à riposter quand nous nous croyons attaqués et à faire des reproches à qui a le malheur de paraître nous en faire.

Ce n'est pas dire assez que la vie affective doit quitter son subjectivisme centré sur soi pour devenir vraie. Elle doit devenir de mieux en mieux accordée sur la charité et doit vivre en autrui et pour autrui. N'avoir que de vraies joies et de vraies tristesses ne suffit pas! On pleurait de ses propres peines, on se réjouissait de ses propres joies ; maintenant on pleure des peines de son frère, on se réjouit de ses joies ; on ne vit plus enfermé en soi-même, on vit dans les autres : « Réjouissez-vous avec qui est dans la joie, pleurez avec qui pleure (1). »

Comment oserait-on parler sans risquer de trahir la charité et sans décevoir un chrétien de cette charité mise par Dieu dans le cœur des siens ?

1. Rm. 12, 14.
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Message  Monique Lun 22 Mar 2010, 6:50 pm

UN CŒUR DE CHAIR

CHAPITRE III

Saint Paul va nous rendre possible cette entreprise, car un jour, emporté par son élan et soulevé par l'Esprit, il s'est laissé aller comme rarement, à entreprendre un portrait de la charité fraternelle et il l'a fait d'une manière si concrète et si grande qu'on en vient à se demander s'il parle vraiment de la charité ou du Seigneur Jésus en personne : La charité est longanime ; la charité est serviable ; elle n'est pas envieuse ; la charité ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas ; elle ne fait rien d'inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s'irrite pas, ne tient pas compte du mal ; elle ne se réjouit pas de l'injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. La charité ne passe jamais (1). » L'Apôtre est emporté par une telle fougue dans son éloge de la charité qu'on a grand-peine à le suivre. Ce qu'il en dit ressemble plus à un jaillissement de flamme qu'à une analyse rigoureuse ; le portrait tracé est si beau qu'on est porté à une admiration muette, plutôt qu'à une analyse minutieuse.

Et cependant, comment ne pas rester hanté par une telle description de l'idéal chrétien ! Comment ne pas faire de ce texte la méditation assidue, des heures durant, pour essayer d'apprendre ce qu'est aimer comme le Christ. « La charité est longanime » : on peut traduire aussi par patiente ; l'affection humaine s'use vite, elle risque de devenir amère par les déceptions, blasée par les échecs et les contradictions, durcie par la fatigue de l'effort et d'un perpétuel recommencement.

La charité, elle, ne vieillit pas, elle puise sa jeunesse en Dieu. Elle n'additionne pas ses peines et les offenses d'autrui, elle garde la fraîcheur du premier matin parce qu'elle est plongée dans l'éternel. « Elle supporte tout » parce qu'elle « ne passe jamais ». Elle n'est pas une solidité de roc ou une insensibilité de muraille : elle est la jeunesse d'un cœur de chair que rajeunit sans cesse le sang du Christ circulant en lui.

Si un saint Vincent de Paul reste aussi entreprenant dans sa vieillesse qu'au premier jour, s'il veut toujours faire davantage ; si un saint François Xavier n'a pas, avec les années, ralenti le pas de ses marches apostoliques ni rétréci ses ambitions ; si un saint François de Sales est aussi donné à son troupeau et à chacune de ses ouailles, ce n'est pas qu'ils n'aient été combattus et entravés, ni qu'ils n'aient connu les échecs et l'épuisement de la fatigue ; si saint Paul énumère ses travaux, ce n'est pas le vieillard qui revient sur le passé, mais l'homme en pleine course qui s'élance pour une nouvelle étape ; ce n'est pas la dureté du granit sur lequel le temps et les tempêtes n'ont pas de prise, mais la jeunesse qui, naissant de l'éternité, est contemporaine de chacun, qui le délivre du passé et le rend présent et actuel.

1. I Co. 13, 4 à 8.
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Message  Monique Mar 23 Mar 2010, 6:55 pm

UN CŒUR DE CHAIR

CHAPITRE III

Se dire usé, c'est avouer que la source n'est pas infinie. Parce qu'il est cette source, le Seigneur pouvait parler d'un pardon infiniment renouvelé : « Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois (2). »

La charité est « serviable » ou encore « pleine de bonté ». Elle pense aux autres, elle est toute soucieuse de leur donner, non d'ailleurs en imposant ses idées, mais en offrant ses services. Il n'y a pas de prétention, d'occupation de soi en elle. Elle est disponibilité qui accueille favorablement, qui est encline à donner, qui ne pense pas d'abord à ce qu'il va lui en coûter, mais à ce qui est le meilleur, disponibilité qui ne se croit pas quitte au premier service rendu, mais reste prête pour ces « mille autres pas » de l'Évangile, qui ne chicanera pas pour la tunique, ni même pour le manteau (1). Effacement complet de soi dans ses dons et dans ses affections.

Souvent un amour est gâché par le mélange de soi-même qu'on y met. Il est rare de savoir aimer pour l'autre. Cette réserve qui ne s'impose pas, cette discrétion qui donne à l'autre toute sa mesure, cette volonté de son bien, c'est tout cela qui est affirmé dans cet « à-propos de la charité » qui ne fait rien d'inconvenant, dans cet effacement qui ne cherche pas ce qui la concerne. Ainsi, elle est en vérité « serviable », « complaisante », prête à comprendre et à donner au gré de chacun, non au hasard, mais pour le bien selon Dieu, comme nous le verrons.

Il est donc clair « qu'elle ne s'irrite pas », car la colère est ce mouvement violent qui repousse ce qui nous déplaît. N'ayant plus en soi le principe de ce qui lui plaît ou lui déplaît, le disciple de Jésus a perdu toute raison de s'irriter. Devant le mal, il est pris du sentiment d'une immense pitié : « C'est dommage », gémissait le curé d'Ars en pensant au péché. Il pense à Dieu offensé et perdu, au mal qu'on se fait à soi-même. Ou si parfois, il s'irrite, c'est encore pour servir ; il voudrait repousser ce qui nuit au frère ou le menace. Les colères du Christ n'ont jamais été la violence dans laquelle on se soulage et on se venge, mais l'effort qui veut sauver à tout prix. Cette colère-là coûte du sang ; elle ne pense qu'à sauver.

Pour en arriver là, il faut être désoccupé de soi, s'être perdu soi-même et avoir acquis cette délicatesse qui ne blesse pas, qui ne veut pas se mettre en avant, ni prendre la première place : « elle ne se rengorge pas, elle ne se vante pas ».

2. Mt. 18, 22.
1. Cf. Mt. 5, 40.
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Message  Monique Jeu 25 Mar 2010, 8:33 pm

UN CŒUR DE CHAIR

CHAPITRE III

« La charité n'est pas envieuse ». Il y a une incompatibilité absolue et une lutte à mort entre la charité et l'envie. Rien n'est si éloigné du cœur de Dieu que ce mal ; rien ne doit être si implacablement exclu d'un cœur chrétien ; rien pourtant n'est si menaçant car c'est par l'envie que le Mauvais accomplit toutes ses œuvres de mort.

L'envie, au sens précis, est la tristesse du bien de notre frère. Elle est « cet œil mauvais (2) » qui nous fait paraître le bien de notre frère comme notre mal. Elle n'est ni la crainte de sa puissance, ni l'indignation de son injuste réussite, ni la déception devant un succès remporté contre soi ; il n'est pas nécessaire ici de reprendre toutes des analyses que lui ont consacrées les moralistes chrétiens.

Cette déformation transforme pour nous en mal le bien d'autrui; de là naît cette tristesse qu'on appelle l'envie et qui se montre vraiment le contraire de la charité.

Or, dans la mesure même ou nous cultivons notre « moi », où nous désirons paraître et compter pour quelque chose dans la mesure où nous n'aimons pas notre frère, nous sommes exposés à l'envie qui peut envenimer nos paroles et nos procédés, quelquefois consciemment, plus souvent à notre insu car la laideur de ce vice absurde est telle qu'on n'ose se l'avouer et pourtant une grande partie du mal régnant dans le monde lui est imputable. Par elle, le bien n'a pas libre circulation parmi les hommes ; il est soumis à mille contrôles et à mille douanes ; il ne circule que muni de brevets d'origine ; par elle, son merveilleux pouvoir de contagion est emprisonné ; il n'est ni admiré, ni imité, ni partagé. Le bien de chacun devrait être la joie de tous, il devrait être cette richesse qui s'enrichit, se perfectionne et se multiplie par une mise en commun fraternelle.

Non vraiment, la charité n'est pas envieuse. Elle n'a que joie, aspiration au mieux, enrichissement devant un bien ; il est à son frère, il vient de Dieu : il est donc à elle. On pourrait dire par contraste des choses semblables à propos du mal fraternel ; de là vient que la charité s'en attristant comme du sien propre est sincèrement miséricordieuse, ressentant le mal d'autrui et le combattant comme le sien propre. On comprend ainsi pourquoi on remplit toute la loi du Christ quand on porte les fardeaux les uns des autres.

2. Mt. 20, 15.
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Message  Monique Ven 26 Mar 2010, 9:41 pm

UN CŒUR DE CHAIR

CHAPITRE III

Quant à la désoccupation de soi, au souci de ne pas se vanter et de s'effacer pour devenir transparent à la lumière divine, quant aux patiences, à la confiance, au pardon, à l'attention à voir les choses par le meilleur côté, nous le retrouverons de-ci, de-là, en essayant de comprendre les exigences et les dimensions de la charité.

Qu'il suffise simplement de faire quelques remarques. Certaines déformations peuvent être si profondes, si liées au physique, si ancrées, qu'elles semblent presque indéracinables. Cette difficulté peut être une peine très sanctifiante chez qui ne s'y laisse jamais aller volontairement, qui ne laisse jamais ce mal passer dans ses paroles et ses procédés, qui sait prendre du recul avec soi-même pour ne jamais s'identifier avec cette tendance, mais au contraire conduit résolument sa vie vers le bien sans tenir compte des résistances de sa nature. Peu à peu d'ailleurs, ces difficultés s'affaibliront au fur et à mesure que se fortifiera sa volonté d'aimer et l'empire qu'elle prendra sur sensibilité.

A ce propos, il ne faut pas omettre de souligner le lien entre les paroles et le cœur. Saint Jacques voit dans la langue le gouvernail de la vie humaine. Il parle avec l'autorité divine et l'expérience confirme chaque jour la justesse d'une telle remarque. Elle s'applique très spécialement au domaine affectif car « la bouche parle de l'abondance du cœur ». Refréner sa langue donne la possibilité de maîtriser les réactions de la sensibilité.

On ne dira jamais assez le mal de la langue trois fois homicide au dire de saint Bernard, car elle tue la charité en celui qui se laisse aller à parler, en celui qui écoute et souvent en celui dont on parle et qui, bientôt renseigné, risque d'être atteint. Il faudrait en dire autant des oreilles pour être tout à fait juste. C'est un sujet souvent repris par les maîtres spirituels et il n'est pas nécessaire d'y insister si ce n'est pour redire la grande sagesse de l'apôtre : « Si quelqu'un ne commet pas d'écarts de la parole, c'est un homme parfait (1). »

Notre regard fixé intérieurement et assidûment sur le Christ fera passer en nous, par une sorte de transfusion d'âme, les dispositions qui sont en lui. Chacune de nos réactions, chacune de nos paroles devraient nous faire communier à son âme.

Alors peut-être, entreverrions-nous ce que le curé d'Ars voulait dire quand il parlait du « cœur liquide des saints », ce cœur tout en disponibilité, tout penché à se donner et restant à l'état de don, ce cœur où les choses et les êtres prennent leur place et se pèsent selon leur propre poids, tant ils y sont accueillis et y sont chez eux, ayant trouvé une porte de communication avec Dieu.

1. Jc. 3, 2.
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Message  Monique Lun 29 Mar 2010, 7:23 pm

ESPRIT DE SERVICE

CHAPITRE IV

Aimer comme le Christ est chose infinie ; c'est la route qui appelle et ne laisse pas de repos. Les réalités humaines et les expressions terrestres ne sauraient suffire pour nous en donner une idée juste. Le Seigneur est venu en personne pour nous montrer le visage de l'amour et ce visage est celui du serviteur. Mais il faut s'entretenir longuement avec lui dans la prière et la méditation de sa Parole pour écarter ce que cette attitude de service, vue superficiellement peut garder d'insuffisant et d'extérieur. Serviteur, évoque la relation à l'autre, l'obéissance et le respect en cet office ; il insinue l'action utile, mais il ne dit pas aussitôt l'attention de l'amour, la communion dans la joie et la vigilance Prévenante.

L'intention du Seigneur est formelle : il veut apprendre aux siens que l'amour est service. La page où saint Jean raconte le lavement des pieds est dans toutes les mémoires ; elle devrait être une de celles où le livre s'ouvre de lui-même puisque le Fils de Dieu a agi expressément pour cela et il n'a explicité aussi formellement son intention pour aucune autre de ses manières de faire : « Je vous ai donné l'exemple pour que vous agissiez comme j'ai agi envers vous (1) » Il veut nous mettre comme lui et avec lui en état de service les uns vis-à-vis des autres.

Trois circonstances donnent une importance inoubliable à ce geste du Seigneur : on est à la veille de sa mort, alors qu'il est déjà vendu et payé, au moment de passer de ce monde à son Père et dans la plénitude de son autorité de Fils de Dieu. Son amour a gardé pour cette heure les manifestations suprêmes.

Puis, ce geste a quelque chose d'excessif en ce sens qu'il dépasse ce que normalement demandait la situation. Le Christ, si l'on ose dire, sort de son adorable discrétion et lave les pieds des douze, de Pierre et de Jean comme de Judas.

Enfin, pour cette seule circonstance, semble-t-il, le Christ fait aussi solennellement montre de ses titres : « Vous m'appelez Seigneur et Maître et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l'exemple pour que vous agissiez comme j'ai agi envers vous (2). »

Ayant lors de l'inauguration de la bonne nouvelle sur la montagne, écouté le Christ ouvrant la bouche pour enseigner aux siens le secret du bonheur, nous ne sommes pas étonnés, ce soir, de l'entendre conclure cet avertissement suprême par une autre promesse de bonheur : « Sachant cela, heureux serez-vous si vous le faites (3). »

1. Jn. 13, 15.
2. Jn. 13, 13 à 16.
3. Jn. 13, 17.
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Message  Monique Mar 30 Mar 2010, 7:47 pm

ESPRIT DE SERVICE

CHAPITRE IV

Il serait d'ailleurs insuffisant de rapporter l'esprit de service à ce seul moment de la vie du Christ ; c'est toute sa vie qui, dès le premier moment s'est placée et s'est déroulée sous le signe du service. C'est pour cela qu'il est venu chez nous, sortant du sein du Père : « C'est ainsi que le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude (4). »

Cette intention anime donc tout le mystère de la Rédemption: la croix était le service suprême et l'Eucharistie en est la permanence durant le temps de l'Église. Un aliment n'a pas d'autre raison d'être que de servir.

Pour élargir nos vues et nous donner à comprendre que peut aussi servir pour la joie de donner et parce qu'il vit dans indépendamment même de ses nécessités et des situations où il a besoin d'être aidé, le Christ présente la vie future comme un banquet où il prendra soin de servir lui-même les siens : « Heureux ces serviteurs que le maître à son arrivée trouvera fidèles à veiller! En vérité, je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table et, passant de l'un à l'autre, il les servira (1). » Après cela, on comprend qu'un saint Paul ait pu présenter la fonction apostolique comme « un service », « un ministère », disons-nous aujourd'hui, usant d'un mot dont le sens primitif s'est perdu : « Car ce n'est pas nous que nous prêchons, mais le Christ Jésus, le Seigneur ; nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, pour l'amour de Jésus (2). » La mission qui lui a été confiée lui a fait perdre sa liberté et l'a livré à tous en qualité d'esclave : « Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous, afin d'en gagner le plus grand nombre (3). »

C'est dire qu'on ne comprendrait rien à l'esprit de service en chrétienté, si on le réduisait aux nécessités matérielles et aux choses extérieures. C'est donc bien la charité fraternelle qui prendra toute ce caractère de service : « Vous en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement, que cette liberté ne se tourne pas en prétexte pour la chair ; mais par la charité mettez-vous au service les uns des autres (4). »

4. Mt. 20, 28.
1. Lc. 12, 37.
2. II Co. 4, 5.
3. I Co. 9, 19.
4. Ga. 5, 13.
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Message  Monique Mer 31 Mar 2010, 7:28 pm

ESPRIT DE SERVICE

CHAPITRE IV

Comme le remarque saint Augustin, « celui que la vérité a libéré, la charité le rend esclave. » La foi donne au disciple de communier aux pensées de Dieu et d'entrer dans ses mystères. La charité lui donne maintenant de communier à ses intentions et de les réaliser. Ce ne sont donc pas seulement nos propres vues, nos expériences et les circonstances extérieures qui devront fixer la nature et l'esprit du service chrétien, mais les objectifs poursuivis par Dieu.

Alors on remarque moins distraitement la portée de ce souhait que saint Paul adressait à Philémon. On l'a à peine relevé, tant il semble formulé en passant, et pourtant on est tenté d'en tirer une des règles essentielles de la vie chrétienne : « Puisse cette foi rendre agissant son esprit d'entr'aide en t'éclairant pleinement sur tout le bien qu'il est en notre pouvoir d'accomplir pour le Christ (5). »

Servir, c'est d'abord se référer à l'autre. Qui aime ne s'appartient pas. Il sert donc parce qu'il se place en vérité au point de vue de l'autre, qu'il cherche en vérité son avantage, se préoccupe de ce qui le concerne. C'est pour bannir tout égoïsme de notre vie, tout esprit de domination de notre action que le Maître insiste sur cet esprit de service. Nous ne restons pas enfermés dans nos intérêts et nos goûts personnels ; un autre a droit sur nous. Nous ne nous imposerons pas dans le bien que nous prétendrions faire ; nous sommes prêts à rendre un service selon que nous en serons requis.

Cela paraît banal, mais y pense-t-on dans une discussion, dans la manière de donner un conseil, dans l'éducation ? Ne cherche-t-on pas trop souvent à faire entrer dans ses vues, dans ses projets, plutôt que de se placer réellement au point de vue de l'autre? Nous tenons à imposer notre marque.

Ce point de vue de l'autre n'est pas un absolu, puisque lui-même est relatif à la communauté humaine et à Dieu surtout. La vérité ne diminue pas l'objectivité du service, son désintéressement et cette attention pleine de respect qui lui est essentielle, mais elle place le tout dans la lumière. Nous avons vu par ailleurs le respect attentif que nous suggère le mot de l'Évangile recommandant d'être « le plus jeune ».

Jamais notre réaction ne devra tenir compte de notre humeur, de ce qu'une chose nous coûte, des résonances qu'elle a en nous. Le frère qui vient peut être pour nous le vingtième et nous prendre malencontreusement, pour lui il est le premier et l'unique. Cela ne veut d'ailleurs pas dire que nous puissions tout faire et que nous puissions sortir du champ de notre pouvoir et de notre devoir, mais cela même, il y a une manière de le dire, de l'expliquer, une manière d'accepter nos limites qui est un service.

5. Phm. 6.
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Message  Monique Lun 05 Avr 2010, 6:45 pm

ESPRIT DE SERVICE

CHAPITRE IV

Servir, c'est surtout agir utilement ; c'est œuvrer, peiner, travailler pour son maître. La charité doit être agissante. Saint Jean montre le caractère vain et trompeur qu'elle aurait en celui qui, le pouvant, n'aiderait pas son frère (1). Elle nous entraîne même, dans sa logique, à donner notre vie comme le Seigneur l'a fait. Il est beau de voir l'amour immense de l'Incarnation pressant Notre-Dame de rendre à sa vieille parente les services que réclame sa maternité toute proche : « Et Marie demeura là trois mois (2). »

Ferons-nous allusion au pas rapide de la Vierge quand la servante du Seigneur se fait servante d'Elisabeth? L'Ancien Testament nous avait dit que le service de l'amitié devrait être empressé : « Ne dis pas à ton prochain : va et reviens, demain je te donnerai, quand tu peux lui donner sur l'heure (3). »

Le service évangélique met à la disposition de tous et de chacun. Au nom du Christ et pour refaire ce qu'il a fait pour nous, le chrétien doit être partout et toujours en état de don et de service. Saint Paul a trouvé pour le dire un mot admirable ; il suffirait de le vivre pour être saint, c'est-à-dire logique avec l'Évangile : « Je me suis fait tout à tous (1). » Tout à tous, tout à chacun, ces simples mots révèlent les dimensions de la charité chrétienne : « tout » du côté de celui qui donne, parce qu'il est relié à Dieu, mis par Dieu en état de disponibilité, qu'il redonne ce qu'il a reçu et partage ce qu'il a. Ce « tout », pourtant, ne pourra être absolu, non dans le désir et l'intention, mais dans le fait, puisque en tant que créatures, nous sommes limités.

« A tous », cela dit le caractère universel de la charité dans son service ; mais il faut noter qu'elle va de l'un à l'autre et sert chacun personnellement : le juif, le païen, le faible ; ajouterons-nous l'ignorant, le savant, le jeune, le vieux, le malade ; mais pourquoi entreprendre une liste nécessairement incomplète puisque l'Apôtre dit « tous ? »
Le bienheureux Jourdain de Saxe avouait ingénuement qu'il serait devenu un grand philosophe s'il avait consacré à l'étude le temps qu'il avait consacré à méditer cet idéal.

« Tout à tous », tout à chacun. Mon frère est triste, je dois être sa consolation ; il est chagrin et renfermé, il me faut essayer de l'épanouir. Il est craintif, je le rassurerai ; il est dans le besoin, je le secourrai ; il est malade, je le soignerai ; il est accablé, je partagerai avec lui son fardeau ; il est tenté, je le défendrai ; il est près de tomber, je le retiendrai ; il est dans l'hésitation, je chercherai avec lui. Il est faible, je l'entraînerai ; il est dans la nuit, je lui porterai la lumière. Mais ici encore, à quoi bon entreprendre une énumération? Infinis sont les maux et les besoins de l'homme, variée donc dans ses applications doit être la charité pour servir. Qui sait si Dieu n'a pas permis que l'homme soit aussi besogneux dans son corps, dans son cœur, dans son esprit et dans son âme pour que la charité prenne tout son éclat, s'essayant à reproduire la bonté du Père céleste qui est sur tous ses enfants et ne cesse de tirer le bien du mal. Autant qu'il dépend de nous (car c'est bien là qu'on sent ses impuissances et ses limites), que personne ne nous quitte déçu par notre faute, sans avoir trouvé ce qu'il cherchait. Que près de chacun, nous ayons fait l'œuvre du Christ, nous appliquant à avoir ses sentiments, ses paroles.

1. Cf. I Jn. 3, 17.
2. Lc. I, 56.
3. Pr. 3, 28.
1. I Co. 9, 22.
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Message  Monique Mar 06 Avr 2010, 7:20 pm

ESPRIT DE SERVICE

CHAPITRE IV

Ce ne sont pas là exagérations ou rêveries, mais réalisme de l'amour ; à notre place infinitésimale, avec nos limites en tous sens, aussi bien en intelligence pour comprendre, qu'en possibilités pour être utiles, nous devons poursuivre cet idéal sans nous laisser décourager par la distance entre lui et les infimes occasions, entre le but immense et nos pauvres réalisations, toujours ébréchées et manquées.

Saint Paul ajoute à son immense « tout à tous » la conscience de son efficacité terriblement réduite, même par rapport à ses efforts : « Si je pouvais à tout prix en sauver quelques-uns. »

La route sans fin que le Seigneur a parcourue pour nous y entrainer est, certes, si royale, que jamais nous ne l'y suivrons tout à fait,mais elle est si vraie que le moindre pas y est précieux.

Loin de nous décourager, la distance qui nous sépare de l'idéal nous presse d'y marcher.
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Message  Monique Mer 07 Avr 2010, 7:41 pm

UN AUTRE TOI-MÊME

CHAPITRE V

L'idée de service avec sa nuance religieuse est très riche : elle dit le caractère réaliste, désintéressé de l'amour fraternel ainsi que sa référence à Dieu. Peut-être, en dépit des applications qu'elle comporte, risque-t-elle de paraître extérieure et d'exprimer malaisément la réciprocité ; toujours est-il que le Maître de vérité ne l'a pas introduite dans la formulation décisive du précepte de l'amour fraternel quand il l'a proclamé en sa force et en sa clarté universelles. « Le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

C'est là une expression si simple qu'elle paraît familière et naturelle, si totale qu'elle reste insondable. Les uns croiront qu'elle énonce la chose la plus instinctive et la diront « loi de nature », les autres en découvriront la nouveauté et les exigences au point de la vivre comme « la loi du Christ », celle dont l'accomplissement donne d'entrer en communion avec lui. On peut la vivre presque sans se sentir dérangé de ses habitudes de « civilisé », comme on peut en perdre tout repos, au point d'arriver par là à la sainteté. Essayons d'en voir la progression, mais auparavant redisons un mot de cette proximité qui fait le prochain.

Proximité et éloignement disent la relation de distance et varient selon la situation et les déplacements. Tel lieu est éloigné, cela dépend de l'endroit où vous êtes. Les proches d'un homme dont les racines sont terrestres sont les voisins de sa maison et les parents qui ont reçu le même sang ou qui y ont part du fait d'alliances plus ou moins lointaines.

Pour Dieu tout est proche et depuis que le Verbe s'est fait homme, chacun des siens le touche de près et fait partie de lui. « Tu me persécutes », dit-il à Saül qui meurtrit quelques-uns des siens. Lui est dans la gloire et n'a pas été touché, mais un de ses membres a été blessé, il en gémit et demande raison.

Le chrétien ne coupe pas ses racines terrestres et en même temps, il est uni à Dieu ; de fait, la notion de prochain s'étend à tout homme à cause de Dieu, sans le faire indistinctement à cause de la situation de chacun. C'est ce qui constituera l'ordre de la charité.
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Message  ROBERT. Mer 07 Avr 2010, 8:29 pm

Monique a écrit:
ESPRIT DE SERVICE

CHAPITRE IV

« Tout à tous », tout à chacun. Mon frère est triste, je dois être sa consolation ; il est chagrin et renfermé, il me faut essayer de l'épanouir. Il est craintif, je le rassurerai ; il est dans le besoin, je le secourrai ; il est malade, je le soignerai ; il est accablé, je partagerai avec lui son fardeau ; il est tenté, je le défendrai ; il est près de tomber, je le retiendrai ; il est dans l'hésitation, je chercherai avec lui. Il est faible, je l'entraînerai ; il est dans la nuit, je lui porterai la lumière. Mais ici encore, à quoi bon entreprendre une énumération? Infinis sont les maux et les besoins de l'homme, variée donc dans ses applications doit être la charité pour servir. Qui sait si Dieu n'a pas permis que l'homme soit aussi besogneux dans son corps, dans son cœur, dans son esprit et dans son âme pour que la charité prenne tout son éclat, s'essayant à reproduire la bonté du Père céleste qui est sur tous ses enfants et ne cesse de tirer le bien du mal. Autant qu'il dépend de nous (car c'est bien là qu'on sent ses impuissances et ses limites), que personne ne nous quitte déçu par notre faute, sans avoir trouvé ce qu'il cherchait. Que près de chacun, nous ayons fait l'œuvre du Christ, nous appliquant à avoir ses sentiments, ses paroles.


Merci pour cet excellent fil sur la Charité qui nous dit de suivre l'exemple de Jésus-Christ, afin d'être un autre "soi-même" pour le prochain comme Jésus l'a été pour nous tous.

Je me suis fait tout à tous (I Cor., IX, 22) à mettre en parallèle avec: Soyez parfaits, vous, comme votre Père céleste est parfait. (Matth., V, 48)
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Message  Monique Jeu 08 Avr 2010, 6:53 pm

UN AUTRE TOI-MÊME

CHAPITRE V

Ainsi le précepte « semblable au premier » fait de tout homme, dans la mesure où il se trouve en relation avec chacun de nous, quelqu'un à aimer comme nous-mêmes. Dans les perspectives du profit, le prochain est quelqu'un à utiliser, dans une société matérialiste, il est quelqu'un à exploiter au maximum ou à détruire s'il gêne ; dans certaines mystiques, il est sans intérêt quitte à le supporter ou à le secourir sans troubler sa propre tranquillité d'esprit.

Pour un chrétien, il est quelqu'un à aimer comme soi-même. C'est bientôt dit, ce n'est jamais fini. Ces simples mots réfutent toutes les accusations portées contre la charité de ne pas aimer l'homme ; elle a beau être universelle, elle n'en n'est pas moins personnelle, mais cela condamne les déformations que nous apportons à cette doctrine et notre lenteur à marcher sur la route où s'ouvre la magnifique aventure d'aimer les hommes à la manière du Christ.

« Comme toi-même. » La face négative du précepte va de soi, mais elle va très loin, excluant vis-à-vis des présents et des absents, des connus et des inconnus, toute pensée, toute parole, tout procédé que nous désapprouverions vis-à-vis de nous-même : ne jamais faire à autrui ce que nous ne voudrions pas pour nous-même.

Pourtant, de nouveaux sommets se découpent à l'horizon : la formulation du Seigneur est positive et ne souffre pas d'exception ; elle ouvre sur l'infini : « Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes (1). » Il n'y a rien à ajouter, mais tout est à expliquer.

La charité cherche ce qui est des autres (2) explique saint Paul ; son souci est de donner. Pensées et sentiments du cœur, paroles et actions se réfèrent à cette nouvelle amitié que Dieu a logée dans le cœur chrétien en s'y installant lui-même. Cela comporte les complaisances et les délicatesses de la vie courante, mais cela ouvre aussi sur les sommets des grands dévouements, des héroïsmes les plus désintéressés et des mises en commun de la sainteté. Pour Notre-Dame, ce sera sa manière de saluer Elisabeth et de lui rendre service au lendemain de l'Incarnation en elle du Verbe de Dieu ; ce sera Cana et toutes ses conséquences ; c'est sa maternité spirituelle où elle nous donne ce qu'elle a reçu.

« Comme toi-même », dit l'attention intérieure qui s'applique à comprendre et à vouloir le bien de notre frère. On ne pense à lui que pour son bien. Plus encore, il s'agira, en tout, de l'aider de son mieux. Il arrivera quelquefois qu'on ne pourra rien, qu'on ne saura pas quoi faire, mais jamais on ne sera pour autant dispensé de désirer le bien de son frère. Souvent on hésitera sur ce qui est le meilleur, surtout s'il s'agit d'un refus ou d'une exigence qui sera dure et risquée, mais on ne choisira que pour le bien.

1. Mt. 7, 12.
2. Cf. Ph. 2, 4.
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Message  Monique Ven 09 Avr 2010, 6:20 pm

UN AUTRE TOI-MÊME

CHAPITRE V

Des dévouements quotidiens et de la gaieté entraînante, jusqu'à l'attention qui met ensemble aux écoutes de l'Évangile, tout est dit dans ce simple mot : « comme toi-même ». La complicité est exclue, car ce n'est pas aimer que de faire du mal, ce serait se haïr soi-même et haïr l'autre.

Il faudrait donc tout redire ici des devoirs de la charité, mais il semble plus important de réfléchir à quelques applications sur lesquelles il n'est pas possible même de s'attarder, mais qui amorceraient une série de réflexions sur la vie nouvelle inaugurée par le Christ.

« Comme toi-même » explique du premier coup qu'il ne faudra jamais réduire la charité à la bienfaisance. Certes, cette efficacité est beaucoup et le Christ l'a exaltée de telle manière que ni les déformations qui l'ont défigurée, ni les critiques qui l'attaquent ne prévaudront contre le « c'est à Moi que vous l'avez fait ».

Pourtant, qui de nous se réduirait lui-même à ses besoins matériels ? Le « comme toi-même » invite au respect, à l'attention et au partage des sentiments. Le chrétien n'a plus le droit de proférer des injures : on ne l'avait pas dit aux anciens, mais lui l'a appris très clairement. Il a aussi appris ce respect dû aux plus petits qu'il ne faut pas mépriser : « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits ; car, je vous le dis, leurs anges aux cieux se tiennent constamment en présence de mon Père qui est aux cieux (1). »

Enfin, le mystère du Corps Mystique va lui montrer à quel point il est proche des autres et il va se sentir en eux au point de partager leurs joies et leurs peines, de porter avec eux leur fardeau et de vibrer avec eux non « comme un écho sonore », mais comme le membre vitalement et intérieurement uni aux autres membres du corps : « Un membre souffre-t-il ? tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l'honneur? tous les membres prennent part à sa joie. Or vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part (2). »

I. Mt. 18, 10.
2. I Co. 12, 26 et 27.
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La charité et les transformations qu'elle opère Empty Re: La charité et les transformations qu'elle opère

Message  Monique Dim 11 Avr 2010, 6:35 pm

UN AUTRE TOI-MÊME

CHAPITRE V

Une réflexion de saint Thomas, d'autant plus frappante qu'elle est dite comme en passant, montre à quel point est vraie cette communion au prochain. Le saint docteur se demande s'il faut aimer le prochain plus que son propre corps et il répond par l'affirmative ; il réfute ainsi une objection qui voudrait voir préférer notre corps parce que plus proche de nous que notre prochain : « Oui, répond-il, en ce qui consume notre nature humaine, notre corps est plus proche de notre âme que le prochain ; mais en ce qui concerne la participation à la béatitude, la communauté est plus étroite entre notre âme et celle du prochain qu'avec notre propre corps (1). »

Mais le mot évangélique dit plus que la métaphore : en ton frère, c'est lui-même que tu aimes, lui différent de toi, mais uni à toi, lui qui est un absolu parce qu'il est une personne. L'amour va à la personne ; les modernes le redécouvrent ; les grands théologiens, un saint Thomas entre autres, n'avaient jamais cessé de l'affirmer.

Jamais donc la charité ne traitera ceux qu'elle aime comme des choses, comme des cas. C'est pourquoi le dialogue qui met en communication deux personnes pour échanger leurs pensées, pour se comprendre, s'interroger et se répondre, pour chercher ensemble, pour « écouter ensemble », et s'il est entre disciples pour s'aimer mieux en communiant plus étroitement, est une des formes privilégiées de la charité fraternelle.

Du même coup, se réduit à néant la fameuse objection : aime-t-on à cause des qualités, à cause des nécessités, à cause d'un intérêt étranger, fût-il supérieur? Non, c'est à cause de toi que tu es aimé, mais ce « toi » qui te fais un absolu par rapport à tout le reste, te réfère à celui dont la triple Personnalité en l'unité de sa déité, crée toute personnalité. On ne peut être une personne qu'en référence à lui.

On ne peut vraiment aimer une personne humaine de cette manière-là, sans être, même à son insu, soulevé jusqu'à Dieu : c'est une des formes de l'amour implicite de Dieu.



1. IIa-IIae q. 26, a. 5 ad. 2.
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