Un échappé DES MASSACRES de septembre

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Message  Monique Lun 01 Fév 2010, 4:03 pm

Un échappé DES MASSACRES de septembre Bureau12

Un échappé
DES MASSACRES de septembre

Voici, une des pages les plus tristement célèbres de notre histoire. Les massacres, qui eurent lieu à Paris du 2 au 5 septembre 1792, sont le plus atroce des épisodes qui ensanglantèrent la Révolution. On venait d'apprendre l'investissement de Verdun par les Prussiens. Sous le prétexte d'une vaste conspiration, ourdie dans les prisons en vue de massacrer les femmes et les enfants des patriotes partis pour les frontières, on résolut de se venger des « ennemis de la Révolution ». A l'Abbaye, à la Force, à Bicêtre, aux Bernardins, ceux-ci furent égorgés. Un des prisonniers, qui dut à sa chance et à son aplomb d'être sauvé, a raconté en détail ces terribles journées.

PAR G. LENOTRE
de l'Académie française


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L'air bon enfant, la bouche souriante, la joue fleurie, une pointe d'accent gascon : il n'en fallait pas plus, jadis, pour réussir dans le monde ; et telles étaient les raisons du succès de M. Jourgniac de Saint-Médard, capitaine commandant les chasseurs du régiment d'infanterie du roi, qui se trouvait tenir garnison à Nancy en 1783.

Le capitaine Jourgniac (on disait aussi Journac), qui s'était à lui-même conféré la noblesse, en ajoutant à son nom très roturier celui d'une modeste terre de ses ancêtres, s'était enrôlé à vingt ans et avait conquis son grade, non pas à la pointe de son épée, car il n'eût pas à faire campagne, mais à force d'amabilités, de bons mots et de bouquets à Chloris.

Ses hommes l'aimaient fort : ils le savaient « sorti des rangs », et il se montrait avec eux familier et indulgent. Pourtant, aux premiers jours de la Révolution, ses chasseurs se mutinèrent : un des plus exaltés lui mit sous le nez la Déclaration des Droits de l'Homme.

Cela le déconcerta : Jourgniac n'était point construit de manière à rien comprendre aux événements qui allaient se dérouler.

En présence de l'insubordination croissante des soldats qu'il commandait, il fit imprimer à bon nombre d'exemplaires, en 1790, un Discours adressé aux chasseurs de son régiment : il y laisse libre cours à sa faconde, se proclame le premier chasseur de la compagnie, atteste que ses soldats le chérissent, et fait « vibrer les cordes du patriotisme et de la fraternité ».

Electrisés par tant d'éloquence, les chasseurs de Jourgniac se révoltèrent tout à fait et, au cours d'une marche militaire, le proclamèrent général, sur le grand chemin de Nancy à Luné-ville.

Promu de la sorte chef des révoltés, le brave Jourgniac eut peur : il « brisa son épée », quitta l'armée, et regagna Paris. Là, il fonda un petit journal, y déposa nombre de jeux de mots et plusieurs romances, persuadé, en vrai Français badin et bon vivant, que c'était aux passions déchaînées le plus actif remède : il croyait éteindre cet immense incendie en versant dans la flamme un flacon d'eau de lavande !
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Message  ROBERT. Lun 01 Fév 2010, 4:17 pm

.

Merci Monique pour cet excellent fil et qui peut être un merveilleux complément pour "Le maquisard de Dieu" de notre ami Benoît. Je me souviens d'un autre fil sur un autre forum qui traitait également d'un prêtre qui échappa lui aussi à la guillotine...
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Message  Monique Lun 01 Fév 2010, 7:00 pm

Jourgniac se demande pourquoi on l'arrête

En dépit de ses efforts et de ses chansons, la catastrophe s'étendait : la monarchie venait de s'écrouler, les Prussiens étaient en France, l'anarchie régnait à Paris ; Jourgniac s'obstinait à rimer. Il fut très étonné et commença à soupçonner que « ça pouvait être sérieux », quand, le 22 août 1792, des hommes qu'il ne connaissait pas, des messieurs vinrent l'arrêter à son domicile, rue Croix-des-Petits-Champs.

On le conduisit à la mairie, où un membre du Comité de Surveillance de la Commune l'interrogea sommairement ; puis on décida de le transférer à l'hôtel du faubourg Saint-Germain.

Jourgniac ignorait quel pouvait être l'immeuble décoré d'un nom si pompeux et si pacifique ; après un court voyage en fiacre à travers les rues de la rive gauche il fut fixé : l'hôtel du faubourg Saint-Germain n'était autre que la sinistre prison de l'Abbaye, derrière l'église Saint-Germain-des-Prés, lourde bâtisse carrée de pierres noires, accotée à chacun de ses angles d'une courte tourelle, et qui, en temps ordinaire, servait de maison de détention pour les militaires.

On plaça le nouveau venu dans une grande salle qui avait servi de chapelle sous l'Ancien Régime. Il s'y trouvait déjà dix-neuf personnes, gens du monde et de tenue parfaite, et Jourgniac, ravi d'être en bonne compagnie, prit possession du lit qu'on lui désigna : c'était celui de M. Dangremont, à qui on avait coupé la tête deux jours auparavant. Cela donnait à réfléchir.

Le soir même, au moment où les prisonniers se mettaient à table, autre incident, pour apéritif : l'un d'eux, M. Chantereine, colonel de la maison du roi, s'effondra sur sa chaise en disant :
— Nous sommes tous destinés à être massacrés... Mon Dieu, je vais à vous !
Il venait de se frapper de trois coups de couteau ; il expira en un instant.

Tout aussitôt, Jourgniac estima urgent de « rédiger un mémoire », et c'est à quoi il employa la journée du lendemain, 23 août ; cet écrit terminé, il en fit plusieurs copies qu'il adressa au ministre de la Justice, à la section, au Comité de Surveillance...

Sur ce, la conscience en repos et « dégoûté de parler », il s'endormit jusqu'au lendemain.
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Message  Roger Boivin Mar 02 Fév 2010, 11:55 am

..je ne sais pas si c'est le bon évènement, mais ça y fait penser.

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Message  gabrielle Mar 02 Fév 2010, 4:55 pm

Mercito Monique, notre patiente claviériste internet , qui ne cesse de mettre en ligne des oeuvres intéressantes et diversifiées Un échappé DES MASSACRES de septembre 364997

Ce dossier s'annonce encore uen fois captivant.
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Message  Monique Mar 02 Fév 2010, 7:54 pm

gabrielle a écrit:Mercito Monique, notre patiente claviériste internet , qui ne cesse de mettre en ligne des oeuvres intéressantes et diversifiées Un échappé DES MASSACRES de septembre 364997

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Message  Monique Mar 02 Fév 2010, 7:59 pm

roger a écrit:..je ne sais pas si c'est le bon évènement, mais ça y fait penser.

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Je ne puis vous le dire vraiment mais ça lui ressemble de très près, de toute façon tous les massacres du temps de la révolution française ne se ressemble-t-il pas tous ! affraid
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Message  Monique Mer 03 Fév 2010, 8:11 pm

Le 2 septembre des fenêtres de l'Abbaye...

Le dimanche 2 septembre, le guichetier servit aux détenus le dîner plus tôt que de coutume. Jourgniac remarqua son air effaré, ses yeux hagards, et il en présagea « quelque chose de sinistre ».

A deux heures, l'homme reparut sans mot dire ; ne voulant répondre à aucune question, il ramassa, sur la table, tous les couteaux, et sortit, la mine terrifiée.

A deux heures et demie, le bruit d'un roulement de tambour, dans la rue, suivi de clameurs, attira les détenus aux fenêtres de la tourelle : une foule compacte s'avançait en un formidable remous, s'écrasant aux devantures des boutiques closes ; et l'on voyait, dominant cette mer de têtes moutonnantes, quatre fiacres cahotés, soulevés, n'avançant que par soubresauts, portant chacun une grappe de gens accrochés aux ressorts, debout sur les brancards, juchés sur les toits des voitures.

On vit alors émerger de l'un des fiacres un grand jeune homme, vêtu d'une robe de chambre blanche ; il tendit le bras vers la foule ; sa tête était nue et l'on distinguait, de haut, dans ses cheveux noirs, la trace bleuâtre d'une tonsure. Il sembla hésiter, tourna la tête à droite et à gauche, et cria :

— Grâce ! Grâce !... Pardon !

Ces mots exaspérèrent la populace, qui se mit à hurler : il y eut autour du fiacre une bousculade ; dix sabres s'abattirent sur le prêtre ; une longue tache rouge se dessina sur son vêtement blanc et, mollement, il retomba dans le fiacre où l'on apercevait d'autres prêtres entassés, immobiles de terreur. Les voitures, poussées par la foule, s'engagèrent dans la rue Sainte-Marguerite, où elles disparurent dans une tempête de cris, de menaces et de coups.

A l'intérieur de l'Abbaye, les détenus, muets de peur, n'osaient bouger : le bruit, presque aussitôt, se répandit parmi eux que les prêtres contenus dans les quatre fiacres venaient d'être massacrés devant le grand portail de Saint-Germain-des-Prés.

Un instant après, vers quatre heures, Jourgniac entendit « les cris déchirants d'un homme qu'on hachait à coups de sabre », et, s'étant rapproché de la fenêtre, il vit que, déjà, on en tirait un autre du guichet de la prison, et qu'on l'écharpait sur place, puis un autre encore, puis un quatrième.

Plus tard, vers la tombée de la nuit, pendant que les massacreurs, tous gens du quartier pour la plupart, étaient retournés souper chez eux, une voix, d'une rue voisine, clama à plusieurs reprises :

— Il faut les tuer tous, tous...
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Message  Monique Jeu 04 Fév 2010, 6:34 pm

Comment la nuit se passa

Les prisonniers, maintenant que la nuit était close, se regardaient sans proférer une parole : « A minuit, écrit Jourgniac, dix hommes, le sabre à la main, précédés par deux guichetiers qui portaient des torches, entrèrent dans notre chambre et nous ordonnèrent de nous mettre au pied de notre lit. Après qu'ils nous eurent comptés, ils nous dirent que nous répondions les uns des autres, et jurèrent que, s'il en échappait un seul, nous serions tous massacrés, sans être entendus par Monsieur le Président. »

Cela fut une lueur d'espoir : il subsistait donc une chance d'être entendu, de s'expliquer, de se disculper — d'attendrir les bourreaux, peut-être.

Le reste de la nuit se passa presque paisiblement : les tueurs étaient allés dormir. On se réveilla plein d'espoir, on se félicitait même d'avoir échappé au danger quand, vers dix heures, deux vieux prêtres parurent sur une sorte de balcon formant tribune à la salle où se tenaient Jourgniac et ses codétenus ; leur nom circula aussitôt : c'étaient le Père Lenfant, ancien confesseur du roi, et l'abbé Chapt-de-Rastignac.

Ils imposèrent, d'un geste grave, le silence, et le Père Lenfant, prenant la parole, annonça à ses compagnons « que leur dernière heure approchait : le massacre s'organisait de nouveau dans le greffe de la prison, et il les engageait à se recueillir pour recevoir sa bénédiction ».

Tous, d'un élan spontané, tombèrent à genoux ; tous joignirent les mains et courbèrent le front ; une demi-heure plus tard, un guichetier appela les deux prêtres, qui sortirent silencieusement ; l'abbé Chapt fut massacré immédiatement ; le Père Lenfant périt deux jours plus tard, assommé dans la rue par un inconnu.
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Message  Monique Ven 05 Fév 2010, 8:25 pm

A quoi s'occupaient les prisonniers

La tuerie avait recommencé. Jourgniac, qui a distillé en un mémoire devenu, à son heure, populaire, toutes les minutes de cette agonie de trente-huit heures, note ici un détail saisissant :

« Notre occupation la plus importante était de savoir quelle serait la position que nous devions prendre pour recevoir la mort le moins douloureusement possible, quand nous entrerions dans le lieu du massacre. Nous envoyions, de temps à autre, quelques-uns de nos camarades à la fenêtre de la tourelle, pour nous instruire de celle que prenaient les malheureux qu'on immolait, et pour calculer, d'après leur rapport, celle que nous ferions bien de prendre.

« Ils nous rapportaient que ceux qui étendaient les mains souffraient beaucoup plus longtemps, parce que les coups de sabre étaient amortis avant de porter sur la tête ; il y en avait même dont les bras tombaient avant le corps, et ceux qui les plaçaient derrière le dos devaient souffrir beaucoup moins.

« C'était sur ces détails horribles que nous délibérions. Nous calculions les avantages de cette dernière position, et nous nous conseillions réciproquement de la prendre quand notre tour d'être massacré serait venu. »

Il faut croire qu'on se lasse de tout, même de la terreur et de l'angoisse. Vers midi, Jourgniac, anéanti par l'effroyable attente, se jeta sur son lit, et s'endormit si profondément qu'il rêva : il rêva qu'il comparaissait devant ses juges, qu'il parlait, qu'il parlait si bien qu'on le renvoyait absous.

Il se réveilla tout ragaillardi, persuadé que son salut était assuré : il fit part de son rêve et de son réconfort à ses compagnons, qui semblent n'y avoir pris aucun intérêt.

Pourtant, cet incident eut pour bienfaisant effet que Jourgniac se mit à préparer sa plaidoirie, ce qui distrayait son esprit des scènes de désolation qui l'entouraient et des cris de carnage qui montaient de la rue. Tandis qu'il allongeait mentalement ses périodes et groupait ses arguments, Maussabré, un de ses camarades de chambrée, avec lequel il s'était, depuis quelques jours, plus particulièrement lié, vint se jeter dans ses bras :

— Mon ami, dit-il à Jourgniac, je suis perdu, je viens d'entendre prononcer mon nom dans la rue.
Maussabré était un aide de camp du duc de Brissac : il avait souvent donné des preuves de courage, mais la crainte d'être assassiné lui comprimait le cœur. Jourgniac essaya de le raisonner, l'invitant à considérer que « la peur ne guérissait de rien, qu'au contraire elle pouvait tout gâter ».

Un autre avait perdu la tête au point que, ne trouvant pas à se cacher dans la chambrée, il s'engagea dans la cheminée, et fit si bien des pieds et des mains qu'il parvint à y monter : il fut arrêté par des grilles de fer que, dans sa folie, il s'efforçait de briser à coups de tête.

Ses camarades le suppliaient de redescendre : il s'obstinait à se cramponner aux incassables barreaux. Il se laissa glisser pourtant, parmi un nuage de suie, mais il était devenu fou. Comme il ne fit plus que divaguer en tremblant jusqu'au soir, les autres, qui agonisaient pour leur propre compte, ne s'inquiétèrent plus de lui.
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Message  Monique Lun 08 Fév 2010, 7:38 pm

Un président énigmatique

Enfin, l'heure fatale sonna pour Jourgniac ! Le lundi, à onze heures du soir, des hommes armés pénétrèrent dans sa prison ; on le saisit, avec quelques-uns de ses compagnons ; on leur fit descendre l'escalier : on les massa dans une pièce sombre, voisine du guichet où se tenait le tribunal.

Ce qui paraîtra surprenant, c'est qu'à ce moment où ceux qui se trouvaient là, avec lui, pouvaient à peine se tenir debout, lui n'éprouvait qu'un désir : parler, parler de n'importe quoi, à n'importe qui, et le voilà engageant familièrement la conversation avec l'une des sentinelles qui le gardait.

L'homme répondit en un jargon que son interlocuteur reconnut pour être un patois languedocien qui lui était familier : très vite on devint bons amis, et Jourgniac obtint, tout d'abord, de la camaraderie du massacreur, une bouteille de vin partagée fraternellement et, ce qui valait mieux, quelques bons conseils :

— Vois-tu, dit le patriote, si tu es un calotin ou un conspirateur, tu es flambé ; mais si tu n'es pas un traître, je réponds de ta vie, n'aie pas peur.
— Euh ! ripostait Jourgniac, penaud, je ne suis pas traître, certes ! Mais je passe pour être un peu aristocrate.
— Ce n'est rien que cela : le président est un honnête homme qui n'est pas un sot.
— Fais-moi le plaisir, insista le prisonnier, de prier les juges qu'ils m'écoutent; je ne leur demande que cela.
— Tu le seras, je t'en réponds. Du courage ! Je tâcherai de faire venir ton tour le plus tôt possible. Embrasse-moi. On s'embrassa et l'homme sortit.


Ce président, dont on parlait ainsi avec tant d'importance et de respect, n'était autre qu'un clerc d'huissier, nommé Stanislas Maillard, jeune homme de vingt-neuf ans, de haute taille, mince, pâle, poitrinaire, de mise soignée, beau parleur, récemment marié, qui avait déjà figuré, en octobre 1789, parmi les bandes lancées à l'attaque du château de Versailles.

Comment Maillard avait-il usurpé la présidence du tribunal improvisé de l'Abbaye ? De quel droit, à quel titre avait-il assumé cette épouvantable responsabilité ? Avait-il reçu de quelque pouvoir occulte un mot d'ordre ou des instructions ? On ne sait. Est-ce par haine des aristocrates, ou par amour de l'humanité, qu'il se chargea d'une telle besogne ? Point obscur.

Ce qu'on peut affirmer, c'est qu'il régularisa le massacre, et si quelques prisonniers échappèrent à la tuerie, c'est à Maillard qu'ils durent la vie. Il gagna en ces jours funestes le surnom de Tape-dur, qu'il ne porta pas longtemps, d'ailleurs, car il devait mourir dix-huit mois plus tard, épuisé, phtisique, crachant le sang.
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Message  Monique Mar 09 Fév 2010, 7:14 pm

Un président énigmatique

Jourgniac et ses compagnons avaient été reconduits à leur chambrée ; de la fenêtre de la tourelle, ils entendirent un orateur adresser au peuple une proclamation, accueillie par des cris de mort ; et, tout aussitôt leur porte s'ouvrit, et l'on appela M. Défontaine, ancien garde du corps, dont ils entendirent, quelques instants plus tard, les cris déchirants. On conduisit ainsi à la boucherie quelques-uns des compagnons de Jourgniac. La chambrée se vidait.

Enfin, vers une heure du matin, la porte fut ouverte encore ; trois hommes portant des torches parurent sur le seuil, l'un d'eux jeta le nom de Jourgniac Saint-Médard, qui se leva de son lit et descendit avec eux le long escalier.

La salle basse où on le poussa était le guichet de la prison : en face de l'escalier était, au milieu de la pièce, une table sur laquelle on voyait des papiers, une écritoire, des pipes et quelques bouteilles.

Quand Jourgniac pénétra dans cette caverne où la chaleur était suffocante et qui empestait une intolérable odeur de genièvre, il fut poussé dans un coin, en attendant qu'on eût jugé le malheureux qui le précédait. Celui-ci était un homme d'environ soixante ans qui cherchait à discuter et produisait, à sa décharge, une réclamation des patriotes de sa section. Maillard insinua :

— Ces demandes sont inutiles pour les traîtres.
— Votre jugement est un assassinat, gémit l'accusé.


Mais le président, flegmatiquement, reprit :
— J'en ai les mains lavées... Conduisez M. Maillé...

Il sembla à Jourgniac que Maillard prononçait cet arrêt à contrecœur ; on poussa M. Maillé dehors, et, avant que la porte fût refermée, il était happé, déchiré, égorgé, en lambeaux.
— A un autre ! fit le président, qui s'était assis pour écrire et avait enregistré le nom du condamné qu'on expédiait.

On traîne Jourgniac devant la table : deux hommes le tiennent par le bras, un troisième par le collet de son habit : Maillard lève vers lui son regard tranquille.

— Votre nom ? Votre profession ?
Un de ses juges ajoute :
— Le moindre mensonge vous perd.
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Message  Monique Mer 10 Fév 2010, 10:07 pm

A quoi sert d'avoir la langue bien pendue

Cependant, Jourgniac a répondu avec assez de calme : il cherche des yeux son protecteur languedocien qu'il n'aperçoit pas. Maillard consulte le registre d'écrou et parcourt des yeux les dénonciations qu'il passe ensuite à ses collègues.

— Savez-vous, dit-il, quels sont les motifs de votre arrestation ?
— Oui, Monsieur le Président, et je peux croire que la fausseté des dénonciations faites moi...


Il s'interrompit. A son grand déplaisir, on détournait souvent l'attention de Maillard et des juges ; on leur parlait à l'oreille ; on leur présentait des lettres. Jourgniac s'ingéniait à ramener sur lui l'attention :

— On m'accuse, disait-il, d'être rédacteur d'un journal antirévolutionnaire : cela n'est pas... et si je pouvais fouiller dans ma poche...

Il fait un mouvement inutile pour prendre son portefeuille ; un des juges s'en aperçoit :

— Lâchez monsieur ! ordonne-t-il.

Alors l'accusé pose sur la table des attestations écrites établissant qu'un certain Gautier est le seul rédacteur du journal incriminé : avec volubilité, il explique que, parfois, il lui arrive de rimer un couplet, d'aiguiser une épigramme qu'il va jeter dans la boîte du journal ; rien de plus. Un murmure l'interrompt :

— Eh ! messieurs, messieurs ! réclame-t-il, j'ai la parole ; je prie Monsieur le Président de vouloir bien me la maintenir ; jamais elle ne m'a été plus nécessaire.

Les juges accueillent d'un bon rire cette judicieuse remarque :

— C'est juste, disent-ils, c'est juste : silence !

Jourgniac poursuit fiévreusement l'exposé de ses certificats, déclarations établissant qu'il n'a jamais émigré, attestations des maîtres d'hôtel qui l'ont logé depuis vingt-trois mois : les juges examinent ces pièces, quand on le force à céder sa place à un accusé qu'on présente au président.

C'est un ecclésiastique déniché dans la chapelle de la prison. On lui pose quelques rapides questions, puis Maillard fait un signe : le prêtre jette son bréviaire sur la table, il est entraîné vers la porte, saisi, harponné, déchiré...

On ramène Jourgniac à la table :
— Je ne dis pas, objecte un des juges, que vos certificats soient faux ; mais qui nous prouvera qu'ils sont vrais ?


L'accusé a repris tout son calme ; il demande à être mis au cachot jusqu'à ce que la validité de ses certificats soit constatée :

— S'ils sont faux, dit-il, je mérite la mort.
— Un coupable, remarque un des juges, ne parlerait pas avec cette assurance.


Et, dans le fond de son cœur, Jourgniac se promet bien d'embrasser un jour cet homme s'il a le bonheur de sortir vivant de cet enfer. Il se trouve qu'un des assistants, qui siège là en amateur, peut certifier l'authenticité d'une des signatures, et cela encore réconforte l'accusé : il place hardiment sa plaidoirie préparée, pérore, discute, expose ses principes politiques ; il est encore interrompu par l'intrusion du concierge Lavacquerie, annonçant, tout effaré, qu'un prisonnier se sauve par une cheminée.

Maillard ordonne de tirer sur lui quelques coups de fusil : un instant après on amène le moribond, criblé de balles, mais vivant encore : c'est Maussabré, qu'on achève, à coups de sabre, à la porte de la prison.
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Message  Monique Jeu 11 Fév 2010, 7:38 pm

Chapeau bas et vive la Nation !

Jourgniac était lancé ; rien ne pouvait maintenant l'arrêter : il reprend sa harangue, attestant qu'il n'est ni Jacobin, ni Feuillant : il advient même qu'il parle trop et qu'un des juges, impatienté, lui coupe la parole:

— Vous nous dites toujours que vous n'êtes pas ça, ni ça, qu'êtes-vous donc ?

— J'étais franc royaliste. Un murmure général salue cette bravade ; mais l'un des juges apaise le tumulte par cette extraordinaire remarque, que Jourgniac rapporte textuellement :

— Ce n'est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, c'est pour en juger les résultats.

Le Gascon s'enhardit encore, parle de ses paysans, des marques d'attachement qu'il a reçues d'eux, de ses soldats « qui le chérissaient... » Il est devenu si sympathique au tribunal qu'un des juges lui marche sur le pied, pour l'avertir qu'il parle trop. Mais arrêtez donc un bavard qui se sent écouté !
Il parla tant qu'il dut lasser ; pour en finir, renonçant, peut-être, à transformer en interrogatoire ce monologue audacieux, Maillard ôta son chapeau.

— Je ne vois rien, dit-il, qui doive faire suspecter monsieur ; je lui accorde la liberté. Est-ce votre avis ?
Tous les juges s'inclinèrent :

— Oui, oui, c'est juste.

Tout de suite, les assistants, formant auditoire, se jetèrent sur Jourgniac et l'embrassèrent à tour de bras.
Le président chargea trois des assistants d'aller en députation annoncer au peuple le jugement qu'on venait de rendre : on invita Jourgniac à se couvrir de son chapeau ; puis, la porte ouverte, on le présenta au peuple. Dès qu'il parut sur le seuil de la prison, un cri s'éleva :

— Chapeau bas ! Voilà celui pour lequel vos juges demandent aide et secours !

Des bravos répondirent, et une grande clameur de « Vive la Nation ! ». Félicité, embrassé porté de bras en bras, Jourgniac, tout étourdi, fut placé entre quatre porteurs de torches et traversa en triomphateur la horde enthousiasmée des massacreurs qui s'apprêtaient d'abord à le mettre en pièces.

FIN
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